Rapport d'information n° 517 (2016-2017) de MM. Jean-François LONGEOT et Ronan DANTEC , fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 25 avril 2017

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N° 517

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Rapport remis à M. le Président du Sénat le 25 avril 2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 avril 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête (1) sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d' infrastructures , intégrant les mesures d' anticipation , les études préalables , les conditions de réalisation et leur suivi ,

Président

M. Jean-François LONGEOT,

Rapporteur

M. Ronan DANTEC,

Sénateurs

Tome II : Auditions

(1) Cette commission d'enquête est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Ronan Dantec, rapporteur ; MM.  Roland Courteau, Michel Delebarre, Mme Évelyne Didier, M. Rémy Pointereau, Mme Sophie Primas, M. Raymond Vall, vice-présidents ; MM. Gérard Bailly, Jérôme Bignon, Gérard César, Daniel Gremillet, Jean-François Husson, Mme Chantal Jouanno, MM. Hervé Poher, André Trillard, Alain Vasselle.

PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA RÉALITÉ DES MESURES DE COMPENSATION DES ATTEINTES À LA BIODIVERSITÉ ENGAGÉES SUR DES GRANDS PROJETS D'INFRASTRUCTURES, INTÉGRANT LES MESURES D'ANTICIPATION, LES ÉTUDES PRÉALABLES, LES CONDITIONS DE RÉALISATION ET LEUR SUIVI

Audition de M. Paul Delduc, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer et du ministère du logement et de l'habitat durable
(jeudi 15 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous procédons à la première audition de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Cette commission d'enquête a délimité un double cadre pour ses travaux : d'une part, elle étudiera en particulier les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation ; d'autre part, elle analysera en détail quatre cas spécifiques, quatre projets d'infrastructures : le suivi des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la construction de l'autoroute A65, la réalisation en cours des mesures de compensation du projet de LGV Tours-Bordeaux, les inventaires et la conception des mesures de compensation pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et enfin la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation. Ils devront donc nous permettre d'étudier chaque stade de ce dispositif, d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

Nous avons souhaité auditionner en premier lieu les représentants de l'État, en l'occurrence la Direction générale de la nature, de l'aménagement et du logement (DGALN). Son directeur, M. Paul Delduc, est accompagné de M. Guillem Canneva, adjoint à la sous-direction de l'action territoriale et de la législation de l'eau, et de M. Jacques Wintergerst, adjoint à la sous-direction de la protection et de la valorisation des espèces et de leurs milieux.

Chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet de solliciter la création d'une commission d'enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'utiliser ce droit pour soulever la question des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. C'est sur cette base que notre commission d'enquête s'est constituée le 29 novembre dernier. M. Ronan Dantec, auteur de la proposition de résolution à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

La DGALN fait partie des six directions rattachées au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Elle a trois priorités : élaborer, animer et évaluer les politiques de l'urbanisme, de la construction et du logement ; les politiques des paysages, de la biodiversité et de l'eau ; la protection de l'ensemble du patrimoine naturel, y compris la mer et le littoral.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subordination de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Paul Delduc prête serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Paul Delduc, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature. - Aucun, madame la présidente.

Je voudrais rappeler quelques éléments historiques pour montrer que la question des mesures compensatoires a pris une ampleur particulière dans la période récente. C'est avec la loi de 1976 et les études d'impact que la séquence « Eviter, réduire, compenser », dite ERC, a été précisée par le législateur. Les réglementations communautaires ont ensuite évolué, avec l'adoption de la directive Oiseaux de 1979 et, en 1992, de la directive habitat-faune-flore puis de la directive-cadre sur l'eau en 2000. Cela a abouti à des régimes spécifiques de protection qui contenaient des versions de la séquence ERC, complétant celle, générale, de l'étude d'impact. À la fin des années 2000, la séquence « Éviter, réduire, compenser » a pris une tournure nouvelle, avec la traduction dans la législation française de l'impératif de protéger non pas seulement les spécimens d'espèces protégées, mais également leurs aires de reproduction et leurs sites de repos, c'est-à-dire une partie de leurs habitats. Les zones désormais concernées par la réglementation des espèces protégées ont été élargies.

La prise de conscience de la nécessité de mesures compensatoires et la dimension de ces dernières ont évolué dans le temps. Pour prendre l'exemple de l'A65, l'État et les parties prenantes ont voulu montrer - on était juste après le Grenelle de l'environnement - que les choses pouvaient être faites correctement, en prenant en compte les caractéristiques des espèces protégées et les zones humides. Le mouvement s'est poursuivi depuis : volonté d'une meilleure compréhension des actions à mener, progression dans la technicité des échanges entre parties prenantes... Je vous ai adressé des documents qui servent à éclairer aussi bien le maître d'ouvrage que les instructeurs, l'État, pour apprécier les atteintes à la biodiversité et la façon de les éviter, de les réduire, de les compenser.

La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a introduit des éléments de cadre commun qui traduisent la doctrine ERC élaborée par les parties prenantes en 2012. Subsistent malgré tout des régimes particuliers : l'étude d'impact, les zones humides, la réglementation propre à Natura 2000 et les espèces protégées. Le premier, l'étude d'impact, présente un spectre plus large que les autres, puisqu'il permet la prise en compte des impacts significatifs sur de la biodiversité ordinaire. Les autres sont davantage focalisés sur de la biodiversité patrimoniale - Natura 2000 pour des habitats et des espèces d'intérêt communautaire, les espèces protégées pour des espèces listées, les zones humides pour des zones bien déterminées, avec des caractéristiques particulières. Le cadre juridique n'est donc pas aussi simple et univoque qu'on peut l'imaginer. Il existe plusieurs types de compensation, plusieurs natures de dommages à la biodiversité.

Il ne faut recourir à la compensation que si l'on n'a pas réussi à éviter ou à réduire. La compensation est un « résidu » ; elle ne constitue pas un objectif de l'administration ou du Gouvernement. Elle constitue un moyen de maintenir dans un état de conservation favorable les espèces impactées, soit en tant que spécimen soit dans leur habitat.

J'ajoute qu'il y a une spécificité pour les espèces protégées. Leur destruction suppose une raison d'intérêt public majeure. Cette exigence est plus forte que celle des autres réglementations. Les débats sont intenses sur certains projets, et la jurisprudence du Conseil d'État est assez limitée.

C'est au maître d'ouvrage de montrer qu'il respecte la séquence ERC. Pour les projets d'infrastructures, substantiels, que vous allez examiner, cela commence dès la phase initiale, en particulier pour les infrastructures linéaires, avec l'examen des différentes variantes du tracé d'abord, puis le resserrement du faisceau. Les documents produits par l'État, notamment par la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, superposent les enjeux relatifs à la biodiversité et à l'eau avec les potentiels fuseaux. Cette phase est sous la responsabilité du maître d'ouvrage. Pour des projets ayant un impact majeur, l'État et les parties prenantes sont associés dès le stade de la réflexion préalable, afin de prendre en compte les enjeux les plus importants.

La phase de réduction consiste, pour les grandes infrastructures linéaires, à rétablir la transparence des ouvrages, en réalisant par exemple des passages inférieurs ou supérieurs. Pour prendre l'exemple du hamster, on a installé, sans trop y croire, des passages inférieurs puis on s'est rendu compte que les animaux les empruntaient. Nous faisons encore beaucoup d'expérimentations. On a ainsi essayé de guider les chiroptères dans des couloirs pour éviter leur collision avec des véhicules, ce qui fonctionne partiellement. Depuis dix ans, notre compréhension de l'efficacité des dispositifs de protection des animaux progresse !

Reste, in fine , la compensation. Le responsable est, je le redis, le maître d'ouvrage. Néanmoins, pour les grands projets, l'interaction avec les services de l'État est très forte. Pour reprendre l'exemple de l'A65, juste après le Grenelle de l'environnement, le Gouvernement voulait que les choses soient bien faites : le Conseil national de protection de la nature a donné un avis assorti de nombreuses recommandations, qui ont toutes été suivies par le maître d'ouvrage.

Les relations entre les services de l'État et les maîtres d'ouvrage peuvent être tendues, voire conflictuelles. Mais nous voulons aboutir à des résultats satisfaisants. La prise en compte de l'environnement peut être vécue par les maîtres d'ouvrage comme un « surcoût ». Mais les choses changent. Il est vrai que le coût de la compensation peut s'élever à 5 à 10 % du montant total de l'opération. Il ne faut pas négliger l'aspect pédagogique de cette contrainte, ainsi que de certains contentieux. Certaines décisions de justice clarifient les choses.

La séquence ERC figure dans les principes généraux du code de l'environnement à l'article L. 110-1. Il faut aussi noter que les mesures compensatoires doivent désormais faire l'objet de la plus grande transparence. C'est l'un des grands apports de la récente loi relative à la biodiversité. En pratique, chaque direction départementale des territoires conserve des dossiers pour chaque arrêté, avec des cartes, dans lesquels on pioche pour faire des contrôles. La loi prévoit désormais que les mesures compensatoires soient géolocalisées, mises en ligne, décrites et accessibles à tous. C'est une avancée obtenue à la suite des travaux sur la séquence ERC en 2012-2013. Un groupe de travail a travaillé sur cette question et la loi a acté cette nécessité de transparence. Chacun peut contrôler l'effectivité des mesures. L'État, de son côté, ne peut effectuer que des contrôles par sondage. Les arrêtés de prescription prévoient certaines obligations, comme un rapport annuel du maître d'ouvrage sur l'état d'avancement des mesures compensatoires. Au-delà, on peut effectuer des contrôles inopinés. Certaines verbalisations se font aussi sur la base d'observations des citoyens. Ce contrôle par sondage n'est pas exhaustif.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez dressé un tableau très complet. Je vous poserai trois questions complémentaires.

L'État a-t-il une vision claire de l'impact global des infrastructures sur l'état de la biodiversité, en termes notamment de fragmentation des milieux, de diminution des zones humides ? L'État est-il en situation d'avoir une stratégie globale où il intègre le besoin d'infrastructures dans une logique de préservation de la biodiversité ?

Au regard de l'évolution des effectifs du ministère de l'environnement, avez-vous la capacité de contrôler, notamment dans la durée, les mesures de compensation ?

Quel est le rapport de force entre l'État et les grands aménageurs s'agissant des infrastructures qu'il désire faire construire, c'est-à-dire dans des situations où il se retrouve un peu écartelé entre sa volonté de bénéficier de l'infrastructure et sa volonté de faire respecter les mesures de compensation ?

M. Paul Delduc. - Les infrastructures représentent près d'un quart de la surface des espaces artificialisés. Vous pourrez trouver des précisions dans le rapport sur l'état de l'environnement en France.

Par ailleurs, les anciennes infrastructures, qui sont majoritaires, ont rarement été conçues pour établir la transparence. On cherche toujours des moyens pour rattraper la situation, par exemple trouver des financements pour rétablir des continuités entre massifs forestiers. Notre vision n'est donc pas claire, mais l'impact est historiquement fort. Notre pays est bien équipé, c'est ce qui le rend attractif aux yeux des investisseurs. Il faut trouver un équilibre entre, d'un côté, la nécessité d'améliorer l'attractivité de notre pays et de faciliter la circulation et, de l'autre, la recherche du moindre impact sur la biodiversité.

Pour les ouvrages récents que vous allez étudier, je note que la superficie du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes n'est pas très grande. En revanche, les deux autres ouvrages linéaires représentent des superficies importantes, de 3 000 à 5 000 hectares. Le sujet essentiel reste pour moi le rétablissement de la continuité sur un grand nombre d'ouvrages anciens.

La deuxième question portait sur les moyens de contrôle de l'État. Le ministère de l'environnement contribue bien sûr au rétablissement des comptes publics. Il possède néanmoins quelques ressorts : les agents des directions départementales des territoires qui font du contrôle par sondage, ceux de certains établissements publics comme l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques pour les zones humides - ce sont eux qui ont récemment constaté les carences ou les défaillances de certains ouvrages -, et les agents de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, plutôt utilisés pour Natura 2000.

Nos moyens de contrôle sont limités et nous obligent à procéder par sondage pour les ouvrages anciens. Sur l'A65, qui est l'un des premiers projets pour lesquels des mesures compensatoires significatives ont été prévues, le contrôle est relativement important et un suivi continu est exercé par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Le cas est particulier, car des garanties sont apportées par un sous-traitant qui a des préoccupations d'image. La DREAL exerce néanmoins des contrôles ponctuels et s'assure du bon achèvement des opérations. A'liénor, le concessionnaire de l'A65, finalise les dernières conventions de gestion détaillées pour les 1 500 hectares de compensation. On prête peut-être plus d'attention à ce projet emblématique qu'à d'autres ouvrages construits depuis.

Le rapport de force entre l'État et les grands aménageurs est forcément complexe. L'État cherche une position équilibrée. Il serait problématique que l'État insiste pour réaliser des ouvrages qui impactent la biodiversité sans compensation possible. La loi relative à la biodiversité prévoit que si des impacts ne peuvent être compensés, le projet ne peut être autorisé en l'état. Cela figurait dans la doctrine de 2012. Ce principe est ancien pour les espèces protégées, car il découle clairement de la directive.

Un équilibre se fait toujours entre les différents intérêts en présence. Il y a une question de proportionnalité assez apparente dans la réglementation sur les études d'impact. Mais si le projet est mal ficelé, il risque d'être interrompu par des contentieux qui seront gagnés par les opposants. Certains projets ont été autorisés un peu rapidement, et n'ont pas résisté aux tribunaux... La force de rappel est donc assez importante. Quand les maîtres d'ouvrage en sont conscients, cela permet à l'État de montrer que tel ou tel élément risque de ne pas résister à un contentieux. Nous avons des moyens de ne pas trop nous laisser aller !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous des exemples de projets qui ont été significativement modifiés, voire abandonnés, en raison de la contrainte de compensation ?

M. Paul Delduc. - Je pourrais trouver des exemples dans les infrastructures routières, comme par exemple les contournements. Ce sont des projets qui ne sont pas indispensables au bon fonctionnement du réseau mais qui ont de forts impacts, par exemple parce qu'ils traversent des zones humides.

Quand un ouvrage a un impact très fort sur une partie significative de son emprise, il n'est plus intéressant de le réaliser ! Car les mesures compensatoires coûteront non pas 10 % du montant du projet, mais 50 % ou plus. Dans ces cas, on déplace ou on reconfigure certains ouvrages.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La jurisprudence contribue-t-elle à l'élaboration de la doctrine de compensation ?

Mme Sophie Primas . - L'efficacité des mesures de compensation a-t-elle été évaluée ? Nous savons ce que nous détruisons en construisant des infrastructures, nous essayons de compenser si nous n'avons pas évité ou réduit, mais quid de l'efficacité de ces mesures ?

M. Rémy Pointereau . - Vous avez évoqué les passages pour les chiroptères ; on peut penser également à ceux pour le gibier. C'est un surcoût. À court terme, on constate le passage d'animaux ; mais dix ans après, les résultats sont-ils toujours les mêmes ? Si l'on n'avait rien fait, quelle serait la situation de part et d'autre du tracé de l'infrastructure ?

Par ailleurs, vous avez mentionné les différents scénarios examinés pour une infrastructure. C'est une situation à laquelle je suis confronté actuellement pour un projet. On a l'impression que les opérateurs écrivent à l'avance le scénario qui sera choisi. On organise un débat public, on sollicite les élus et on s'aperçoit que l'on revient toujours à ce qui avait été initialement décidé, même si les élus ont choisi un autre tracé qui dessert mieux les agglomérations concernées. N'y aurait-il pas un lobby des opérateurs ? Y êtes-vous sensible ou tenez-vous compte des élus de terrain ?

M. Raymond Vall . - Quelle idée !

M. Paul Delduc. - Madame Primas, quand les projets sont importants, l'État demande un suivi scientifique des mesures de compensation. C'est notamment prévu pour l'A65. On observe si les populations reviennent et dans quels effectifs. La loi le prévoit explicitement. Auparavant, il s'agissait d'une obligation de moyens ; désormais, c'est une obligation de résultat.

Les ouvrages plus anciens ont été équipés pour vérifier le nombre de passages. Nous avons donc déjà engrangé des informations, par type d'ouvrage et par type d'espèce, sur l'efficacité relative de telle ou telle méthode. La Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer a publié un rapport intitulé Infrastructures linéaires de transport et reptiles et un autre sur les chiroptères, dans lesquels on trouve des éléments sur l'efficacité des mesures de réduction.

Il faut être honnête : le suivi des mesures compensatoires sera plus intense pour les projets importants que pour ceux de plus petite dimension. Les quatre que vous avez sélectionnés feront l'objet d'un suivi scientifique. Quelquefois, des échanges scientifiques ont même lieu en amont du projet : la DREAL organise par exemple en Provence-Alpes-Côte d'Azur des comités de pilotage avec des membres du Conservatoire botanique national de Porquerolles, du conseil scientifique régional du patrimoine naturel et avec le maître d'ouvrage pour réfléchir aux aspects scientifiques de la future compensation.

Je citerai le cas spécifique de la compensation par l'offre. Une expérimentation est en cours dans la plaine de la Crau sur une sorte de steppe, appelée coussou. Le suivi scientifique est très important et central dans cette opération conduite par l'État.

J'en profite pour rappeler que la compensation est forcément de la recréation ou de la restauration de milieux qui en remplacent d'autres ; ce n'est jamais la mise sous cloche de milieux existants en bon état. Créer une réserve n'est pas de la compensation. L'opération de la Crau était intéressante, car elle permettait d'intervenir sur des milieux très dégradés sur lesquels on essaye de reconstituer la steppe caractéristique de la Crau. Il faudra un millier d'années pour qu'elle retrouve ses spécificités d'origine, mais cela permet toute de suite de restaurer l'habitat de certaines espèces.

Monsieur Pointereau, je ne dispose pas d'éléments précis sur les passages à grande faune. Mais les animaux de la grande faune empruntent souvent les mêmes passages. C'est une question comportementale. Cela ne marche pas forcément pour des animaux plus petits, comme les batraciens. Cela dit, les passages à grande faune sont une solution onéreuse, qui suppose la construction de ponts, de viaducs... C'est la forme de rétablissement de continuité la plus aboutie : on reconstitue un milieu qui a toutes les caractéristiques du milieu naturel.

Dans les documents que je vous ai transmis, vous trouverez des exemples de passages toute faune assez récents qui montrent leur efficacité. Des études ont été faites sur le sujet par certains maîtres d'ouvrage, avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement notamment.

Enfin, tout serait joué d'avance ? La question est culturelle. Nous ne sommes pas en Suède, où l'on peut mettre vingt ans à élaborer un projet. Dans notre pays, il est plus compliqué de faire évoluer substantiellement un projet, sauf en cas d'enjeu majeur. Tout est fait pour que des changements soient possibles, notamment grâce à la Commission nationale du débat public. Nous avons encore quelques années d'apprentissage devant nous !

M. Gérard Bailly . - Nous avons trouvé des solutions intéressantes et positives pour les passages à grande faune, qui sont nombreux sur l'A39 et bien utilisés. Dans les années 1990, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur leur pertinence. Aujourd'hui, on se pose moins de questions.

Ma question porte sur l'évaluation de la compensation : qui fait l'estimation technique et financière ? Y a-t-il un débat avec le maître d'ouvrage ? Quel est le coût, qui doit être variable, de la compensation ?

M. Paul Delduc. - Le débat doit intervenir assez tôt, et doit être en partie réglé par les séquences « éviter » et « réduire ». Dans le cas de la LGV Tours-Bordeaux, les arrêtés de prescription prévoient des compensations mutualisées qui aboutissent à une superficie d'environ 3 500 hectares. Une partie importante est réservée au vison d'Europe. Le concessionnaire a eu du mal à trouver les surfaces prévues et il s'est avéré qu'il pouvait être intéressant de renforcer la partie « réduire » au détriment de la partie « compenser ». Une première demande de modification des arrêtés a reçu un avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature ; après de nouveaux échanges et un second examen, l'avis a été favorable. Les mesures de réduction vont donc être relevées par l'augmentation de la transparence de l'ouvrage pour le vison et celles de surface seront réduites.

Il faut optimiser les moyens vers les solutions les plus efficaces et, partant, réduire les coûts. L'appréciation des coûts doit se faire très tôt, au fur et à mesure de la conception du projet. Si les mesures compensatoires sont trop chères, il faut faire évoluer le projet, soit en accroissant l'évitement des zones à impact, soit en augmentant la réduction.

Pour le coût, les ordres de grandeur observés sont de 5 à 10 % du montant total de l'opération. Cela se discute avec le maître d'ouvrage, mais on ne discute pas le coût des mesures de compensation in fine sans revenir éventuellement sur les deux phases précédentes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous évoquez un monde dans lequel les choses ne se passent pas trop mal ! Avez-vous des exemples dans lesquels certains opérateurs préféreraient risquer une amende plutôt que de réaliser des mesures de compensation ?

L'État remet-il les clés de l'ouvrage ? Signe-t-il, à un moment donné, la réception de l'infrastructure, mesures compensatoires incluses ?

M. Paul Delduc. - Jouer l'amende est risqué, d'abord pour une raison d'image. Il ne serait guère honorable de se retrouver mis en défaut sur ce genre d'affaires. Les trois grands groupes essentiellement concernés ont leur réputation à défendre. Je ne nie pas que le rapport de force entre l'État et le maître d'ouvrage est parfois très tendu.

Le non-respect de certaines dispositions en matière d'espèces protégées revient à une destruction illicite de ces espèces et est considéré comme un délit : en plus du risque d'amende, il y a celui de la prison. Aucune peine de prison n'a encore été prononcée, mais cela pourrait arriver pour de gros projets.

S'agissant de la réception, les arrêtés de prescription définissent les étapes. Le maître d'ouvrage attend que l'État lui confirme qu'il a bien respecté ses obligations. A'liénor l'a demandé, par exemple. Il n'y a jamais de remise des clés par principe, car le maître d'ouvrage reste le seul responsable des mesures de compensation. Pour les infrastructures de transport, la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) prévoit qu'un bilan est effectué cinq ans après la réception des ouvrages, notamment sur les mesures prises en matière d'environnement.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je souhaiterais que vous nous précisiez la législation applicable à chacun des quatre projets que nous avons retenus. La loi n'étant pas rétroactive, quel est l'impact de la loi relative à la biodiversité sur ces projets ?

M. Paul Delduc. - Nous vous transmettrons ce document.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Un questionnaire vous sera adressé. Nous communiquerons aux membres de la commission d'enquête les documents que vous nous avez transmis.

Audition de M. Arnaud Gossement, avocat, Mme Marthe Lucas, maître de conférences à l'Université d'Avignon, et M. François-Guy Trébulle, professeur à l'École de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
(mardi 20 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Je rappelle que cette commission d'enquête a délimité un double cadre pour ses travaux : d'une part, elle étudiera en particulier les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation ; d'autre part, elle analysera en détail quatre projets d ' infrastructures : le suivi des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la construction de l'autoroute A65, la réalisation en cours des mesures de compensation du projet de LGV Tours-Bordeaux, les inventaires et la conception des mesures de compensation pour le projet d ' aéroport à Notre-Dame-des-Landes et, enfin, la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation et devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui, aujourd'hui, ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd ' hui soit ouverte au public et à la presse : elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons aujourd'hui trois spécialistes du droit de l ' environnement.

Mme Marthe Lucas est docteure en droit public et maître de conférences à l ' université d ' Avignon. Elle travaille également au laboratoire de l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale. Sa thèse s'intitulait « Étude juridique de la compensation écologique ».

M. Arnaud Gossement est docteur en droit de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, avocat au barreau de Paris et spécialisé dans le droit de l ' environnement.

M. François-Guy Trébulle est professeur des universités en droit privé et sciences criminelles à l ' université Paris I Panthéon-Sorbonne. Son champ d ' enseignement et de recherche concerne le droit privé, le droit des affaires et le droit de l ' environnement et du développement durable et de leurs interfaces.

Je rappelle à l'attention de Mme Lucas et MM. Gossement et Trébulle que chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet notamment de solliciter la création d'une commission d ' enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'utiliser ce droit pour soulever la question des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. C'est sur cette base que notre commission d ' enquête s'est constituée, le 29 novembre dernier. M. Ronan Dantec, auteur de la proposition de résolution à l ' origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Mes chers collègues, cette table ronde doit nous permettre d ' appréhender les enjeux juridiques de la compensation des atteintes à la biodiversité. Il serait utile également que vous puissiez nous éclairer sur les exemples internationaux sur ce sujet que nous pourriez utilement approfondir.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d ' enquête, demander à Marthe Lucas, Arnaud Gossement et François-Guy Trébulle de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d ' emprisonnement et 75 000 euros d ' amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marthe Lucas, MM. Arnaud Gossement et François-Guy Trébulle prêtent serment .

Mme Chantal Jouanno, présidente. -  Monsieur François-Guy Trebulle, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. François-Guy Trebulle. - Je le jure.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - A la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête vous posera un certain nombre de questions, puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

Mme Marthe Lucas. - Aucun lien d'intérêt en ce qui me concerne.

M. François-Guy Trébulle. -  Moi non plus.

M. Arnaud Gossement. -  En ce qui me concerne, j'ai eu un lien d'intérêt avec le projet de Notre-Dame-des-Landes à deux titres : d'une part, en tant qu'avocat faisant partie d'un cabinet qui défendait les associations, et, d'autre part, au titre de France Nature Environnement, dont j'étais administrateur, et qui est engagé contre ce projet.

Mme Marthe Lucas. - C'est un grand honneur pour moi d'être auditionnée. Je vous remercie sincèrement de l'intérêt que vous portez à mes travaux.

Je vais essayer de résumer la démarche de ma thèse en quelques mots. J'ai commencé mes travaux en 2008 dans le but de faire un état des lieux des différents dispositifs juridiques de compensation écologique. J'en suis très vite arrivée à la conclusion que ceux-ci étaient au nombre de huit dans notre droit, avec évidemment des modalités et des objectifs différents, ce qui pose des problèmes de complexité, d'articulation et de cohérence juridique.

Au-delà de l'étude des textes, j'ai pris le parti de regarder la jurisprudence et la doctrine, qui étaient assez rares en 2008. Ensuite, j'ai choisi de compléter mes informations en allant à la rencontre des acteurs du terrain, pour savoir comment ils déterminaient les mesures compensatoires et, surtout, comment ils les mettaient en oeuvre.

À partir de ces éléments, j'ai proposé dans ma thèse la caractérisation d'une notion de compensation écologique, qui, pour répondre à sa finalité curative, devait obéir à plusieurs critères : des mesures en nature, destinées à compenser des dommages résiduels et fondées sur l'équivalence et l'additionnalité écologiques.

Je me suis également intéressée aux propositions pour améliorer la procédure de détermination des mesures et leur mise en place. Parmi les réflexions, notamment sur la nécessité de mutualiser les mesures compensatoires, je me suis penchée sur l'outil du marché d'unité de compensation, ainsi que sur la mutualisation par l'intermédiaire de la planification.

J'aimerais attirer votre attention sur deux points qui me semblent essentiels.

Le premier, c'est la place à réserver à la compensation écologique. Celle-ci est rattachée au triptyque éviter-réduire-compenser, dit ERC, que la loi pour la reconquête de la biodiversité a rappelé. Ce texte a également rattaché ce triptyque au principe de prévention. Autant, pour les mesures d'évitement et de réduction, nous sommes évidemment dans la prévention, puisqu'il s'agit d'empêcher la survenance d'un dommage, autant, pour la compensation, il s'agit plutôt de réparer un dommage, même si c'est de manière anticipée. Au-delà du triptyque ERC, la compensation fait partie d'une démarche beaucoup plus large, celle de l'étude d'impact. À mon sens, elle doit vraiment se rattacher à cette dernière, qui comprend notamment les principales solutions de substitution du projet, qui doivent désormais être décrites, et non plus seulement esquissées. Nous nous situons là véritablement dans de la prévention.

Nous devons certes avoir à l'esprit la loi sur la biodiversité, mais également l'ordonnance du 3 août 2016 sur la réforme des études d'impact et le décret d'application, qui a notamment conduit à un recul en termes de champ d'application des études d'impact.

Le second point essentiel est de rappeler les enjeux juridiques de la compensation. À mon sens, ils se situent au niveau de leur détermination, mais également au niveau de leur réalisation par les acteurs.

Sur la détermination et la définition des mesures compensatoires, de grands progrès ont été faits, ce qui a permis notamment de ne plus les confondre avec les mesures de réduction.

Sur la réalisation des mesures compensatoires par les acteurs, en revanche, il reste de nombreuses interrogations juridiques, qui sont particulièrement d'actualité, la loi biodiversité ayant augmenté les exigences en matière de compensation.

Ainsi, on peut s'interroger sur la façon dont on va inciter les partenaires locaux à gérer durablement un site de compensation. En d'autres termes, comment le maître d'ouvrage va-t-il réussir à contractualiser ?

De même, comment inciter le propriétaire à louer son fonds sur plusieurs années, voire à recourir à une obligation réelle environnementale ? Quelles pratiques agricoles peuvent être qualifiées de mesures compensatoires ?

Par ailleurs, comment réussir à garantir une compensation qui soit effective et pérenne sur le très long terme, alors qu'elle est actuellement le fruit de contrats de courte durée, ce qui nécessite une succession de contrats dans le temps ? Comment faire face au changement de gestionnaire de compensation, de propriétaire, voire carrément de site de compensation en cours de projet ou même de maître d'ouvrage ?

Enfin, comment ne pas perdre de vue une cohérence écologique sur les territoires, de façon à maximiser les apports de la compensation ?

Le besoin de recherche est réel sur ces points. L'Agence nationale de la recherche en a entrepris. Il conviendrait cependant de mettre en place une instance de travail qui réunirait les chercheurs, y compris les juristes, et les acteurs qui sont directement impliqués sur le terrain. Je pense particulièrement aux conservatoires d'espaces naturels, qui apportent des expertises très intéressantes.

Ces questions ne sont d'ailleurs absolument pas déconnectées de la mise en place des sites naturels de compensation, qui ont tendance à focaliser les débats quand il s'agit de réalisation de mesures compensatoires. Je vous remercie de votre attention.

M. Arnaud Gossement. -  Je vous remettrai une note, bien modeste par rapport aux travaux de Mme Lucas, sur le cadre juridique lui-même de l'obligation de compensation des atteintes à la biodiversité, et sur l'évolution depuis 1976 de cette notion, contenant un certain nombre de références de jurisprudence.

Je rappelle également dans cette note que le ministère de l'environnement, pour essayer de clarifier les choses, a élaboré une doctrine dite ERC. Je me suis également inspiré des travaux du groupe de travail présidé par M. Romain Dubois, à qui la commission de modernisation du droit de l'environnement a demandé en 2015 de travailler à l'amélioration de la séquence ERC. Ces travaux ont débouché sur un certain nombre de propositions assez techniques sur la compensation des atteintes à l'environnement.

Je comprends que votre commission s'intéresse à la biodiversité, mais le sujet pourrait être plus large, et concerner la forêt ou le carbone par exemple.

Je vous ferai tout d'abord part du point de vue de l'ancien militant que je suis. En 2008, lorsqu'il a été beaucoup question de la compensation de la biodiversité, que l'on avait un peu oubliée depuis 1976, les débats au sein des associations de défense de l'environnement, notamment de France Nature Environnement, ont été extrêmement nourris. Il faut savoir que le débat est toujours le même : les associations de défense de l'environnement, comme les porteurs de projets, ont des réactions paradoxales par rapport à ce sujet.

Par exemple, au sein des associations, un certain nombre de responsables considèrent que la compensation est un droit à détruire. C'est un mouvement assez fort, même si des associations, notamment en Alsace, ont mené des chantiers de compensation sur le grand hamster extrêmement intéressants, qui ont permis de faire évoluer la position du mouvement associatif français en général. En même temps, lorsqu'il y a un contentieux, ces mêmes associations critiquent la faiblesse des mesures de compensation. Même s'il ne s'agit pas forcément des mêmes personnes, des mêmes points de vue ni des mêmes moments dans l'histoire, cela peut paraître paradoxal vu de l'extérieur.

Il en va de même pour les maîtres d'ouvrage et les porteurs de projets. D'un côté, mes clients me disent aujourd'hui que ces mesures de compensation sont compliquées et qu'elles coûtent cher car elles entraînent de la spéculation foncière, ce qui barre l'accès aux marchés pour les petites et moyennes entreprises. D'un autre côté, ils ont conscience que la compensation permet de faire accepter les projets.

Des deux côtés, en fin de compte, on a des attitudes paradoxales, et l'enjeu est aujourd'hui d'en sortir.

Après l'accueil de la compensation par les acteurs eux-mêmes, j'évoquerai l'attitude du juge. En réalisant une étude pour un acteur qui se lançait sur le terrain de la compensation de la biodiversité en France, j'avais constaté que, depuis 1976, le juge administratif avait une attitude assez constante. Les décisions qui ont été rendues vendredi dernier par la cour administrative d'appel de Lyon marquent cependant un tournant. En effet, jusqu'à présent, le Conseil d'État avait fait preuve d'une grande prudence sur l'obligation de compensation, au sens compensation-prévention ou anticipation des problèmes, c'est-à-dire dans la phase ex-ante , pour revenir à la typologie exposée par Mme Lucas. Je cite notamment la décision du Conseil d'État Syndicat mixte de la vallée de l'Oise rendue en 2008, où le juge exerçait un contrôle le plus restreint possible, c'est-à-dire se bornait à regarder si, dans l'étude d'impact, il y avait ou pas description des mesures compensatoires et de la méthodologie pour les mettre en oeuvre. En d'autres termes, l'étude d'impact était-elle sincère ? Le Conseil d'État avait par ailleurs dans cette décision une vision assez extensive de la mesure compensatoire dans la mesure où il l'étendait à des questions telles que l'envol des déchets ou la prolifération des animaux nuisibles. Or les puristes de la compensation les qualifient non pas de mesures compensatoires mais de mesures d'évitement.

On constatait donc un contrôle restreint et un souci du Conseil d'État, de faire en sorte que le juge administratif ne soit pas le juge de la qualité des mesures. Aujourd'hui, à mon avis, demander au juge administratif de le faire, comme le font les acteurs des quatre projets que vous avez retenus, revient à perdre son temps. Le juge administratif n'est pas la bonne autorité pour réaliser cette analyse de la qualité des mesures compensatoires : il intervient trop tard, il n'est pas outillé pour cela et les associations n'ont pas les moyens d'engager des mesures d'expertise judiciaire.

Tel était l'accueil par le juge administratif, jusqu'à la jurisprudence de la société Roybon Cottages. En l'espèce, la cour administrative de Lyon a pris le contre-pied du Conseil d'État lorsqu'il a été saisi du référé, puisqu'elle est allée beaucoup plus loin dans l'examen des mesures compensatoires « zones humides ». Le Conseil d'État a été saisi d'un pourvoi par le maître d'ouvrage, et il sera intéressant de voir comment il tranche.

Pour conclure, je me permets de faire quelques propositions inspirées de ma double expérience d'associatif et d'avocat d'entreprises qui interviennent dans le domaine des énergies renouvelables et des déchets.

Tout d'abord, je pense qu'il faut clarifier le régime juridique de l'obligation de compensation. Certes, vous avez tenté de le faire dans le cadre de la loi biodiversité, mais il y aujourd'hui des notions, notamment l'absence de perte nette ou le gain de biodiversité, qui me font un peu peur. À mon sens, il faut préciser les termes sur l'objectif même de la mesure compensatoire pour rassurer et éviter des stratégies de contournement de l'obligation de compensation.

Ensuite, il importe de réaffirmer encore plus franchement et plus précisément que la compensation n'est pas un droit à détruire mais la dernière séquence du triptyque ERC. Certes, cela figure dans les textes, mais l'administration laisse parfois passer des études d'impact dans lesquelles on passe directement à la mesure compensatoire sans que la preuve ait été apportée que l'on ne pourrait ni éviter ni réduire. Le maître d'ouvrage n'est pas forcément responsable, car lui-même peut être incité par l'administration, au nom de l'acceptabilité de son projet, à tout de suite passer à la compensation des atteintes éventuelles de son projet. Il faut vraiment que l'administration intègre cela.

Par ailleurs, je pense qu'il faut lancer un débat sur la spécialisation du travail de définition et d'exécution des mesures compensatoires. Mes clients, lorsqu'il s'agit de petites entreprises qui font appel à des bureaux d'études assez modestes, ne sont pas des spécialistes de la biodiversité et de son ingénierie. Or, faire appel à un tiers peut avoir un coût important qui va grever le budget, voire conduire à son abandon. Pourtant, une telle intervention est nécessaire. C'est pourquoi il faut reposer la question du rôle de l'Agence française de la biodiversité en tant que pôle d'ingénierie publique. Nous en avions débattu lors du Grenelle de l'environnement, sans que la question soit tranchée. En droit communautaire, c'est le maître d'ouvrage qui a la responsabilité de ces mesures, mais peut-on déconnecter le problème du financement en demandant à un organe public d'assurer la définition, l'exécution et le suivi des mesures compensatoires ? C'est un vrai débat, que la loi sur la biodiversité n'a pas permis de régler.

Ma troisième proposition est d'assurer l'indépendance de l'autorité environnementale. Au sein de la commission en charge de la modernisation du droit de l'environnement, présidée par M. Alain Richard, j'avais proposé de donner une véritable indépendance à cette autorité. Ce débat n'a pas non plus été tranché. Pourtant, c'est l'autorité environnementale qui est chargée de vérifier la sincérité et la qualité des mesures compensatoires qui sont dans l'étude d'impact. D'ailleurs, les avis qu'elle rend sont de grande qualité, mais ils sont un peu tardifs, ce qui peut être catastrophique pour le maître d'ouvrage. Surtout, l'autorité environnementale manque de moyens et il faut savoir que ses décisions sont souvent préparées par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Je suis favorable à ce que l'on lui donne une véritable indépendance et de vrais moyens, notamment pour asseoir la crédibilité des mesures. Dans les projets que vous avez retenus, on voit bien que, systématiquement, la question des mesures compensatoires est posée alors qu'il est beaucoup trop tard et que le sujet a déjà complètement dégénéré.

Pour l'avenir, prévenons le problème avec une autorité environnementale totalement indépendante. C'est le sens de la jurisprudence dont la Cour de justice de l'Union européenne a posé les bases avec l'arrêt « Seaport », rendu le 20 octobre 2011. Nous aurions dû lui donner plus de poids, même s'il est peut-être interprété de manière excessive.

Enfin, à mon sens, il serait dommage de s'orienter vers un contrôle du juge administratif différencié. Je sais que la tentation existe chez certains parlementaires, mais je pense que le juge administratif n'a pas à être l'instance de contrôle de la qualité des mesures compensatoires.

Telles sont les propositions démocratiques et juridiques que je souhaitais porter à votre connaissance.

M. François-Guy Trébulle. -  En préambule, je voudrais faire un rappel bibliographique pour citer d'abord la thèse de Marthe Lucas. J'ai également communiqué à la commission d'enquête une thèse, soutenue la semaine dernière sur l'immeuble et la protection de l'environnement par Grégoire Leray. Je signale aussi un numéro spécial à paraître de La revue juridique de l'environnement , avec notamment un article du professeur Gilles Martin sur la compensation écologique, intitulé « De la clandestinité honteuse à l'affichage mal assumé ». Tout est dans le titre...

Sans revenir de manière exhaustive sur le cadre et les différents instruments de la compensation écologique, je tiens à souligner que, dans les différents instruments qui préexistaient aux travaux tout à fait récents, il faut peut-être évoquer une compensation particulière, qui est celle prévue par le code forestier en matière de défrichement. Elle est particulièrement intéressante parce que, d'une part, elle suscite un réel contentieux, et d'autre part, parce qu'elle fournit un très bon contre-exemple : le code forestier prévoit en effet la possibilité, lorsque l'on arrive pas à compenser, soit de le faire éventuellement sur d'autres terrains - la jurisprudence est très compréhensive, puisque cela peut être à des dizaines de kilomètres -, soit de verser une indemnité équivalente, dont le montant est déterminé par l'autorité administrative. Ce cas nous conduit à la problématique tout à fait majeure du prix associé à la compensation et par conséquent d'une forme de monétarisation.

Tout en saluant les avancées réalisées par la loi relative à la biodiversité, je tiens à aborder quelques points saillants, notamment la place de cette doctrine ERC, qui a été consacrée récemment par le législateur, après n'avoir été qu'une doctrine du ministère, dépourvue de force juridique en tant que telle. À mon sens, celle-ci introduit un biais un peu troublant dans le rapport à la compensation. Comme le montrent très bien les travaux de Marthe Lucas, la compensation peut être soit ex-ante , soit ex-post . Or l'article 1347-1 du code civil dispose que la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. La compensation en matière écologique est-elle fondamentalement différente de la compensation de droit commun ? À vrai dire, je ne le crois pas, car des termes différents auraient été choisis s'il ne s'agissait pas de traduire une réalité commune.

La thèse que je veux défendre devant vous est celle d'un continuum entre la compensation ex-ante et la compensation ex-post . En réalité, il est assez vain de prétendre scinder les deux et cantonner la compensation ex-ante à ce qui va être réalisé jusqu'à l'autorisation, pour poser éventuellement après la question de la responsabilité. En effet, dans les deux cas, il y a destruction. Je rejoins tout à fait Marthe Lucas lorsqu'elle dit que le rattachement au principe de prévention relève très largement du forçage des notions. À partir du moment où l'on est dans une logique de compensation, on constate qu'une dégradation, certes résiduelle pour la compensation ex-ante , est survenue. Par hypothèse, on n'est alors plus dans la prévention. J'irais jusqu'à parler de responsabilité quand Marthe Lucas dit réparation. C'est un autre principe tout à fait fondamental qui entre ici en ligne de compte. Cette responsabilité est un peu problématique, car elle va être envisagée, pré-positionnée, ex-ante , avant même que le préjudice n'arrive, mais celui-ci est certain dans l'hypothèse où le projet sera effectivement autorisé et les travaux réalisés. C'est cet élément qui va nous permettre de raisonner par anticipation en termes de compensation. Il est très important d'avoir à l'esprit qu'il s'agit de traiter juridiquement, le mieux possible, une dégradation de l'environnement. Plus que de la prévention, ce principe se rapproche plutôt de la correction par priorité à la source, ce qui n'est pas rigoureusement identique.

La compensation est donc une notion globale. J'en veux pour preuve le fait qu'on la retrouve dans la directive 2004/35/CE relative à la responsabilité environnementale, laquelle a été transposée par le législateur en droit français en 2008. Dans les différentes formes de réparation prévues à l'article L. 162-9 du code de l'environnement, cette idée est omniprésente.

En matière de responsabilité, on va déboucher sur la réparation évoquée, laquelle peut se faire soit en nature, soit par équivalent, qui sera alors l'archétype de ce qui est fongible, c'est-à-dire l'argent. On retrouve ex-ante exactement la même problématique. Certaines compensations pourraient s'envisager en nature, avec ces deux principes sur lesquels on reviendra peut-être : le principe d'équivalence, qui doit nous interroger en termes de fonctionnalité et potentiellement de dépeçage des fonctionnalités ; le principe de proximité, sur lequel il va aussi falloir revenir, singulièrement dans la perspective de création d'unités de compensation ou d'unités de biodiversité, rendue désormais possible. Certes, leur création était possible auparavant, ce qui n'est pas interdit étant permis, mais elles ont été consacrées explicitement par le législateur cet été.

Ces éléments m'apparaissent essentiels pour tenter de comprendre le cadre général de la compensation. On parle bien de se saisir d'une dégradation, que l'on va réparer le mieux possible en l'anticipant, d'une part, et en la corrigeant, d'autre part. C'est fondamental pour répondre à certaines des questions que vous avez posées et pour comprendre que l'État, entendu largo sensu, est un acteur dont on ne parle pas suffisamment.

Vous nous avez interrogés sur les responsabilités. Bien sûr, on va d'abord penser à celui qui dégrade, c'est-à-dire au maître d'ouvrage, mais celui qui va autoriser la compensation ex-ante , sur la foi d'analyses qui seront peut-être insuffisantes, pourrait potentiellement faire partie de ceux auxquels il conviendrait de demander des comptes si jamais il s'avérait que la compensation ex-ante laissait la place à une compensation ex-post au moment de la réalisation. Malheureusement, il ne s'agit pas d'une vue de l'esprit. Penser le continuum, c'est aussi penser cette possible responsabilité.

Par ailleurs, de la même manière que les civilisations sont mortelles, comme l'a dit Paul Valéry, n'oublions pas que les opérateurs sont mortels, fragiles. De ce point de vue, je voudrais vraiment attirer votre attention sur la distorsion fondamentale qui existe, d'une part, entre la temporalité des acteurs économiques, d'autre part, les dégradations qu'il s'agit de réparer. À cet égard, toute solution compensatoire qui ne reposerait pas sur des garanties de pérennité équivalente à la perte constatée serait nécessairement de l'ordre de l'artefact. L'enjeu est redoutable de ce point de vue. On sait que les États Unis, via les mitigation banking , sur lesquels le ministère de l'écologie a fait un remarquable rapport de parangonnage, ont une belle expérience en la matière. Il y a beaucoup à en retirer sur le montage des projets de compensation.

Quand on s'intéresse à l'effectivité, il est plus difficile de savoir si la compensation fonctionne vraiment, si les garanties temporelles sont réellement fournies. Face à la fragilité d'opérateurs, il y a quelque chose de vertigineux à proprement parler, tant et si bien qu'à l'exception des mécanismes reposant sur le droit réel, particulièrement sur la propriété, éventuellement publique, ou sur une fiducie bien comprise, laquelle permettrait de dépasser la vue économique, il sera très difficile d'envisager l'effectivité des mesures.

La problématique de la compensation nous interroge aussi par rapport à l'approche des fonctionnalités des écosystèmes qui vont être touchés. À cet égard, je veux juste dire un mot de la problématique des unités de compensation, des unités de biodiversité, pour bien souligner leur différence avec les quotas d'émission de gaz à effet de serre. Ceux-ci participent totalement de cette dynamique et, dans une certaine mesure, leur succès théorique, conceptuel, est lié au fait qu'ils sont absolument fongibles. Une tonne de carbone est totalement fongible avec une autre tonne dans un univers qui ne connaît, par hypothèse, pas de frontières.

En revanche, lorsque l'on s'intéresse à la biodiversité et aux problématiques écologiques ancrées dans un territoire, dans un sol, dans un immeuble, alors la fongibilité est très difficile à appréhender. Elle n'est pas insurmontable, mais elle ne peut être surmontée que par des artifices écologico-juridiques. Il faut assumer cette construction intellectuelle, avec toutes les limites qu'elle représente.

Je ne voudrais pas terminer sur une note négative, mais le fait est que si les mécanismes de compensation sont dans une dynamique plutôt satisfaisante, ils ne relèvent pas de la panacée. Ils sont, de surcroît, très complexes.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Tout le monde a compris que le sujet n'était pas d'une totale simplicité. C'est un premier point de consensus entre nous. Nous avançons pas à pas.

Paul Delduc nous disait la semaine dernière que la doctrine se construisait beaucoup à partir de la jurisprudence. Nous avons choisi un certain nombre de dossiers très médiatisés, avec plusieurs décisions de justice ces dernières semaines. Ces décisions sont-elles cohérentes ?

Le calendrier et les délais d'instruction se situent-ils dans une cohérence d'ensemble ? Il conviendrait d'évoquer le problème du caractère suspensif des décisions, car on voit bien que les opposants sont tentés d'employer des moyens pas tout à fait légaux pour les rendre suspensives. Peut-on raccourcir les procédures pour créer du consensus sur les dispositifs ?

J'ai été surpris de ne pratiquement pas entendre parler du droit européen. Sommes-nous en présence de deux droits qui ne s'articulent pas totalement ?

Enfin, dernière question, dont vous avez peu parlé : les sanctions quand les engagements de compensation ne sont pas tenus. Est-ce que l'arsenal répressif permet d'y remédier, soit en obligeant, soit en prononçant des amendes dissuasives ? Le dispositif est-il cohérent, y compris dans sa dimension pénale ?

Mme Marthe Lucas. - La cohérence de la jurisprudence est assez difficile à constater. Pour essayer de faire simple, je dirai que le juge administratif contrôle les mesures compensatoires à deux moments différents : l'étude d'impact et l'arrêté d'autorisation.

Pendant longtemps, le juge administratif ne faisait pas de distinction entre les trois éléments du triptyque ERC. Pour lui, dès qu'il y avait des mesures de réduction, il y avait compensation. C'est d'ailleurs une confusion que faisaient le juge, les requérants et l'administration.

Le juge aime s'appuyer sur des textes juridiques précis. Or, la plupart du temps, les textes n'étaient pas précis sur le contenu de l'obligation de compenser. Comment compenser ? Qu'est-ce qu'une mesure de compensation ? Comment définir la restauration de milieu et la recréation ? Le juge avait du mal à sanctionner en l'espèce.

J'ai relevé une grande cohérence par rapport aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE. Au vu de la transposition de la directive-cadre sur l'eau, qui fixe des objectifs de qualité écologique, les auteurs des SDAGE se sont mis à prévoir des modalités de compensation, qui pouvaient être variables. En gros, ils ont attribué des ratios de compensation, qui allaient de 100 % à 200 %, selon qu'il s'agissait de la destruction d'une zone humide ou de zones d'expansion des crues.

Dès lors que l'on était en présence de ratios très précis, ces schémas allaient plus loin que la réglementation nationale et le juge a pu s'appuyer sur des quotas qu'il était à même de contrôler pour sanctionner la compatibilité de mesures compensatoires au SDAGE.

S'agissant des sites Natura 2000, le principe est que les projets susceptibles d'avoir des conséquences ne doivent pas voir le jour, sauf dérogation si le projet répond à des raisons impératives d'intérêt public majeur, s'il n'existe pas de solution alternative et si des mesures compensatoires sont prévues.

En l'espèce, la compensation est déconnectée de l'étude d'impact. On regarde si l'impact du projet est significatif après les mesures d'évitement et de réduction, ce qui est très prudent, dans la mesure où l'on n'a aucune garantie de pouvoir recréer écologiquement un milieu identique à celui qui a été détruit.

Sur ce point, un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes a contrôlé très sévèrement une mesure compensatoire sur le pont de Donges.

Au-delà, il me semble assez difficile de porter un jugement sur la position du juge administratif. De manière générale, les requérants sont plus précis, donc le juge est aussi plus précis sur la faisabilité des mesures compensatoires. Mais il n'est absolument pas spécialiste pour évaluer le contenu écologique des mesures compensatoires.

M. François-Guy Trébulle. -  Sur la cohérence de la jurisprudence, je partage absolument le sentiment que l'examen se fait de plus en plus précis. Le dernier arrêt sur Notre-Dame-des-Landes, qui est d'une densité incroyable, illustre d'ailleurs très bien ce constat. Le fait est qu'on assiste peut-être à un mécanisme d'apprentissage collectif dans lequel les porteurs de projets améliorent les dossiers en travaillant avec des gens de plus en plus compétents.

Pour ma part, je ne vois pas tellement d'incohérences dans la jurisprudence. J'observe plutôt une vraie volonté d'essayer de trouver des éléments. Cela dit, à partir du moment où l'on n'a pas de définition très précise sur laquelle s'appuyer, s'il y a une prise en compte sans omission flagrante d'impact, on sent une volonté du juge de ne pas être celui qui s'oppose à la réalisation de projets.

Mme Marthe Lucas. - J'ai oublié quelque chose de très important sur le juge administratif en matière de déclaration d'utilité publique. Il y a un raisonnement qui me gêne dans la pesée des avantages et des inconvénients que fait le juge administratif : il considère que les mesures compensatoires qui figurent dans l'arrêté de compensation sont des éléments positifs et s'en sert pour dire que le projet n'a pas d'impact sur l'environnement. C'est pour moi un vrai problème. Le juge devrait au contraire se dire que plus un projet prévoit des mesures compensatoires importantes, plus son impact sur l'environnement est fort.

M. François-Guy Trébulle. - Le juge national est d'ailleurs en discordance avec le juge européen, puisque ce dernier souligne attentivement que les mesures compensatoires doivent être considérées à part de l'ensemble du projet.

Sur la question de l'ancrage européen, il faut rappeler que l'on parle de sujets complètement communautarisés lorsque l'on évoque les habitats et les espèces. Par voie de conséquence, on est de toute façon dans des matières dans lesquelles la perspective européenne est centrale. C'est la même chose pour le réseau Natura 2000 : on ne peut pas envisager le développement de règles nationales sans tenir compte des règles européennes. De ce point de vue, s'il y a quelques décisions à soutenir, il faut mentionner l'arrêt du 19 janvier 2004 sur le râle des genêts, qui a établi que certaines des mesures proposées étaient inappropriées parce qu'elles n'auraient qu'un effet partiel et seraient difficiles à mettre en oeuvre, avec une efficacité douteuse à long terme. Deux autres arrêts de la CJUE doivent être remarqués : un arrêt du 15 mai 2014 à propos de l'intérêt public majeur permettant de déroger aux protections de Natura 2000 ; un arrêt du 21 juillet 2016, qui précise que les éventuels effets positifs du développement futur d'un nouvel habitat sont difficilement prévisibles et, en tout état de cause, ne seront visibles que dans quelques années. Ce dernier arrêt a conduit la Cour à établir une certaine distance entre des mesures qui sans être illusoires, se situent dans un futur relativement incertain, et la réalité des atteintes constatées.

La loi relative à la biodiversité votée cet été évoque une obligation de résultat dans des termes qui sèment le doute. Ira-t-on vers l'exécution forcée ? Ce n'est pas clair.

L'article L. 163-4 du code de l'environnement fait référence aux possibles sanctions administratives prévues à l'article L. 171-8 du code de l'environnement. En outre, celui qui n'aura pas respecté les mesures de compensation sera en infraction aux règles de police administrative, assorties pour la plupart de sanctions pénales. Il pourra se voir reprocher ce qu'il n'a pas réalisé.

M. Arnaud Gossement . - Le rapporteur soulignait la complexité du sujet. Le maître d'ouvrage fait face à un dilemme infernal. S'il remplit scrupuleusement le volet portant sur les mesures compensatoires de son étude d'impact, il se verra rétorquer que son projet pèse très lourdement sur l'environnement et qu'il n'a pas su éviter ni réduire ; s'il ne remplit pas le volet, il s'entendra dire que son étude d'impact n'est pas sincère et qu'il n'a pas su éviter ni réduire. Quel que soit son choix, il sera critiqué. C'est la raison pour laquelle il s'adresse à des juristes, eux-mêmes démunis face à un droit qui définit avec trop d'imprécision la mesure compensatoire.

Le droit européen a fermé des débats qu'il faut rouvrir. Selon la directive de 2011 sur l'évaluation environnementale, c'est le maître d'ouvrage qui est responsable de cette évaluation. Cela se discute : un fabricant des panneaux solaires n'est pas spécialiste de l'habitat des espèces protégées. Il faudrait qu'il puisse confier la définition, l'exécution et le suivi des mesures compensatoires à un tiers indépendant ou à la puissance publique.

La directive 2004/35/CE interdit les compensations financières. Cela se discute aussi. Dans certains cas, les mesures compensatoires ont pu être envisagées par l'État comme un moyen de financer cette politique publique trop peu dotée par ailleurs. Organisons clairement la fiscalité de la biodiversité. Ce tabou n'a pas lieu d'être.

Le problème de la proximité est identique. Songeons à la jurisprudence Roybon. Le juge administratif critique l'éloignement de la mesure de compensation. Mais s'il s'agit d'un site dégradé, tel un terril, la compensation n'est pas pertinente sur place. Elle le serait davantage un peu plus loin.

Quant aux procédures, j'espère que le prétoire ne deviendra pas le lieu d'examen des mesures compensatoires. Les juges administratifs ont accompli d'immenses progrès en réduisant considérablement le délai de jugement. En revanche, il est problématique que le recours soit devenu une arme en soi, dont le but est de faire perdre du temps. Reconnaissons que des réponses partielles ont été apportées, notamment pour l'éolien offshore avec la création d'une juridiction spécialisée, l'autorisation unique et le recours à l'ordonnance en droit de l'urbanisme.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les sanctions sont-elles dissuasives ?

M. François-Guy Trébulle . - Il existe encore très peu de contentieux sur la réalisation de mesures de compensation.

Le code forestier impose le rétablissement en bois et forêt des lieux défrichés en cas de non-exécution des travaux imposés : c'est une solution dissuasive. Toutefois, il n'est pas crédible d'imposer la démolition d'une autoroute ou d'un aéroport pour replanter des arbres. La sanction économique serait peut-être plus convaincante que la sanction pénale.

Enfin, je m'oppose à l'utilisation du mécanisme de compensation pour financer la politique de biodiversité. Ce serait un problème.

M. Arnaud Gossement . - Je n'ai absolument pas proposé, tout à l'heure, de créer une nouvelle taxe. J'appelle juste à la clarté du débat.

M. Rémy Pointereau . - La complexité juridique du sujet le réserve à des initiés.

Comment situez-vous le droit de l'environnement français par rapport au droit allemand ou italien ?

La compensation des atteintes à la biodiversité pose un problème de surcoût, notamment en forêt où le coût de réparation est hors de proportion, mettant en péril les projets. Il deviendra de plus en plus difficile de créer des infrastructures. En Charente, beaucoup de projets de retenues collinaires réalisés ne peuvent être utilisés pour des raisons juridiques. Comment supprimer les freins juridiques ? On met notre pays sous cloche.

M. Gérard Bailly . - La France compte des espaces ruraux, forestiers, humides d'une très grande diversité.

La langue française nous pose problème : défrichement, déboisement, déforestation, débroussaillement... Pour moi, le déboisement est la suppression de bois, le débroussaillement de broussailles, et le défrichement de friches - et non de bois. Nous butons sur ce dernier terme. Les élus du Massif central ont déclaré lors du débat sur la loi Montagne que l'espace agricole avait progressé de 50 % au cours des soixante dernières années. Je vous accorde que ce chiffre pose problème s'il s'agit bien de déboisement et non de défrichement.

Je parcours les mêmes territoires depuis plus de soixante ans ; j'y ai constaté des évolutions. De belles pâtures ont été abandonnées car trop éloignées. Situées sur des plateaux pauvres en terre, elles accueillent aujourd'hui des genévriers. La forêt n'y a pas d'avenir. Pourtant, les agriculteurs ou les communes qui veulent y réinstaller des pâtures doivent affronter des obstacles. La compensation porte-t-elle sur la situation à l'instant « t » ou sur l'état passé ?

Il est gênant de laisser la décision à la jurisprudence. Elle doit revenir au législateur.

22 % du territoire du Jura est classé Natura 2000. Il y a vingt ans, on l'a proposé au secteur de la petite montagne en promettant aux habitants nombre d'avantages. Aujourd'hui, on rejette leurs projets à cause de ce classement. Il est normal que les gens, désormais, se méfient.

M. Jérôme Bignon . - Existe-t-il un inventaire des opérations donnant lieu au triptyque ERC ? Les DREAL doivent toutes tenir un tableau de bord. À terme, l'Agence française pour la biodiversité s'en chargera. Qu'est-il advenu des opérations de compensation, d'évitement ou de réduction passées ? Les contentieux sont-ils fréquents ? Le passé éclaire la réflexion sur l'avenir.

Le principe de proximité complique extraordinairement le système dans un pays ravagé par des friches que l'on ne sait pas réparer. On délaisse ces zones de pollution tout en instaurant une compensation par ailleurs. On ne traite pas les friches, alors que les habitants en souffrent.

Pour compenser la dégradation de l'eau, la taxe pollueur-payeur a été inventée. C'est le meilleur système inventé pour obtenir une eau de bonne qualité en quantité. Une compensation classique n'aurait pas résolu le problème.

Je mesure mon caractère iconoclaste, mais s'il restait de l'argent non utilisé par les opérateurs de compensation, il pourrait être confié à un agent public tel que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui compte 3 000 fonctionnaires et s'appuie sur un savoir-faire gigantesque.

En tant qu'avocat, j'aime défendre plutôt que poursuivre. Néanmoins, la poursuite est nécessaire dans certains cas. Le droit pénal qui permet de poursuivre ceux qui enfreignent la réglementation sur la compensation est-il contraventionnel - c'est-à-dire que l'infraction est automatique - ou réprime-t-il l'intention ? Je suis tenté de recommander peu d'indulgence vis-à-vis du responsable d'une violation délibérée des règles de compensation.

La Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de la Somme, assurant une maîtrise d'ouvrage déléguée pour la mise en place d'une station d'épuration, a totalement fait fi des mesures d'évitement et de réduction. En tant que président de la commission locale de l'eau du Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) compétent, je l'ai dénoncé. Nous avons voté contre. La DDTM n'en a pas tenu compte. Je n'ai pas porté plainte, mais je constate que les projets locaux échappent au regard.

Mme Évelyne Didier . - Les juristes que nous recevons aujourd'hui sont éminents. Pensez-vous qu'il est possible de construire sur ces questions une culture partagée sans pédagogie, sans simplification du vocabulaire ? Toute démarche ne devrait-elle pas commencer par une culture partagée ? La gestion des déchets a vraiment progressé quand la population a été impliquée.

J'ai entendu beaucoup de sénateurs rire, dans l'hémicycle tout à l'heure, quand la disparition d'oiseaux a été évoquée par M. Dantec. La perte de biodiversité n'est pas perçue comme un phénomène dramatique.

Existe-t-il un répertoire des exemples d'évitement ou de réduction réussis, sans avoir coûté cher ?

Quels sont les recours en cas d'échec de la compensation, par exemple quand des arbres ne repoussent pas dans une parcelle reboisée ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - N'existe-t-il pas deux poids, deux mesures entre les grands et les petits projets ?

M. François-Guy Trébulle . - J'entends que le juridique pourrait l'emporter sur l'intérêt général. Le maître de la loi est le législateur. Celui qui met le pays sous cloche est celui qui a la main sur cette cloche. La question centrale est celle de la définition de l'intérêt général.

Notre impératif majeur, plus que la simplicité, est l'exactitude des notions. En privilégiant la pédagogie, on se heurte parfois à des murs. Les concertations massives organisées pour certains projets n'ont pas amoindri la radicalité des oppositions.

La norme de référence de la compensation est celle de l'état du milieu au moment du lancement du projet, et non l'état passé.

Je n'ai pas de réponse quant aux opérations menées par le passé. L'administration a peut-être des éléments de réponse.

J'en viens à la proximité. La question est : que recherche-t-on ? Si c'est une compensation écologique de la détérioration liée à un projet donné, cette notion de proximité a du sens.

Je suis extrêmement sensible au problème des friches, mais sa résolution n'incombe pas à la compensation.

Mme Marthe Lucas . - Le défrichement, selon le code forestier, est toute opération qui implique la destruction de l'état boisé d'un terrain, mais qui, également, met fin à sa destination forestière. La différence entre le défrichement et le déboisement est que ce dernier conserve la destination forestière du terrain.

La loi de 1976 était très simple : il fallait compenser. Mais cette loi a créé des incohérences et, in fine , personne ne compensait.

La loi américaine de 2008 est extrêmement détaillée : elle définit les notions de proximité, d'équivalence, d'aire de service, ou d'autres. Cette rédaction peut sembler complexe mais apporte de la transparence et de la sécurité juridique pour tous les acteurs.

La loi relative à la biodiversité, en introduisant une obligation de résultat, fait oeuvre de pédagogie. Juridiquement, le maître d'ouvrage pourra être condamné même s'il n'a pas commis de faute, si sa mesure compensatoire n'atteint pas le résultat fixé. C'est extrêmement fort.

Lorsque j'ai achevé ma thèse, certaines DREAL commençaient à mettre en place un recensement des mesures compensatoires. Jusqu'au décret de 2011 du Grenelle de l'environnement, les mesures compensatoires n'étaient pas obligatoirement reprises dans l'arrêté d'autorisation. Il n'était donc pas possible de contraindre le maître d'ouvrage à les réaliser - beaucoup ne l'ont pas été, mais on ne l'a pas su car il n'y avait pas de suivi. En outre, les mesures compensatoires n'ayant pas de caractère opposable, beaucoup ont disparu sous un nouveau projet, dont les propres mesures compensatoires ne s'additionnent pas aux précédentes.

La loi relative à la biodiversité, en imposant la géolocalisation des mesures compensatoires, favorise un suivi extrêmement intéressant. Les associations de protection de l'environnement seront attentives et pourront demander au préfet un arrêté de mise en demeure de réalisation des mesures compensatoires, si elles ne le sont pas.

Les sanctions pénales relatives à l'inexécution, ou à la mauvaise exécution, des mesures compensatoires, sont très rares. Il existe seulement une contravention de cinquième classe sur les installations, ouvrages, travaux et activités.

La caducité de l'autorisation, faute de réalisation des mesures compensatoires dans les trois ans, serait une mesure très dissuasive, mais qui ne serait pas valable pour les grands projets.

Il existe une différence entre les petits et les grands projets, mais aussi entre ceux qui sont portés par le secteur privé et ceux portés par le secteur public. Il existe nombre d'instruments juridiques de protection de l'environnement, mais beaucoup sont à l'initiative des pouvoirs publics. Un gros projet bénéficiera d'un partenariat public, contrairement à un petit projet pour lequel la compensation sera bien plus compliquée à mettre en place, l'acquisition n'étant pas toujours une solution. Il faut réussir à trouver des acteurs pour contractualiser sur le long terme, la loi relative à la biodiversité imposant des compensations effectives pendant toute la durée des atteintes.

M. Arnaud Gossement . -. Le niveau de connaissance des procureurs en droit de l'environnement est insuffisant, faute de formation et de moyens. Lors des états généraux du droit de l'environnement en 2013, le procureur qui avait créé l'association européenne des Green Prosecutors avait demandé aux élus présents des fonds pour acheter des codes de l'environnement.

La sanction administrative a des limites. Quelle est la pédagogie de la sanction d'un agriculteur qui a fait appel à une entreprise spécialisée pour draguer un fossé, laquelle ne s'est pas assuré qu'il avait une autorisation ? La violence n'est pas une solution.

Mme Évelyne Didier . - Répondez aussi sur le fond de mon propos.

M. Arnaud Gossement . - Pourquoi les juristes sont-ils difficilement audibles ? Parce qu'ils lisent des textes difficilement lisibles : les lois. Mes clients ne comprennent rien à certains textes votés ici. Même après treize ans de pratique du droit, je ne comprends pas certains passages de la loi biodiversité.

Je sais bien que les groupes d'intérêts s'adressent au Parlement et que celui-ci tente de trouver des compromis.

La qualité du droit pose problème. Le Conseil d'État a déjà rendu deux rapports pour déplorer sa dégradation. Les consultations d'avocats sont de plus en plus longues car nous avons de plus en plus de mal à expliquer le droit à nos clients. La complexité est parfois demandée par des défenseurs de l'environnement qui veulent augmenter le niveau de protection par de nouvelles règles. Mais plus le niveau de protection augmente, plus le droit bavarde et plus il sert les intérêts de grands maîtres d'ouvrage qui seuls peuvent franchir les barrières à l'accès au marché. Les élus locaux sont empêchés d'investir via des partenariats public-privé, tout comme les TPE et PME. Une règle bien comprise sera mieux appliquée. Le politique doit sauter le pas de la simplification, qui est absolument nécessaire.

Il est plus facile de construire sur un espace naturel sensible que sur une friche polluée, alors que l'État y incite : le cahier des charges sera moins long dans le premier cas. Si l'un des objectifs est de protéger la santé publique, on se heurte aussi à un entrelacs de réglementations. Les contrats contiennent toutes sortes de clauses de garantie de passif. Il serait intéressant qu'une installation sur une friche constitue une mesure de compensation - ce n'est pas possible aujourd'hui. Il faudrait un opérateur qui noue des liens entre les différents projets.

En effet, il y a deux poids, deux mesures entre grands et petits projets. Ces derniers étouffent parfois sous des mesures de compensation dont on ne comprend pas la justification quand les premiers en sont dispensés.

Un inventaire des mesures de compensation serait absolument essentiel. Il faut mutualiser les connaissances. Le fichier national des études d'impact est difficilement accessible ; des obstacles liés à la confidentialité peuvent exister. Cet inventaire est du ressort de l'Agence française pour la biodiversité, dont le financement pose problème. Cet outil n'en est qu'à sa préfiguration.

La compensation est absolument essentielle, d'un point de vue économique, écologique, technique, scientifique. Ne vous contentez pas de définir des sanctions.

M. Rémy Pointereau . - Vous n'avez pas répondu à ma demande de comparaison avec l'Allemagne et l'Italie.

Mme Marthe Lucas . - Il est difficile de vous répondre. Le droit de l'environnement repose sur des directives européennes adaptées par chacun. Ainsi, l'Allemagne a décidé de créer des banques de compensation.

M. François-Guy Trébulle . - En Allemagne, les collectivités territoriales ont la possibilité d'être agents de compensation.

Dans tous les domaines où le droit européen s'applique, la jurisprudence européenne est très peu française ; le droit est très harmonisé. Il faudrait une étude de droit comparé pour plus de précisions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On constate l'extrême complexité du sujet. Comment construire une culture partagée dans ces conditions ?

Nous sommes preneurs de propositions d'améliorations, notre but étant de fournir des préconisations cohérentes.

Je soulignerai, en conclusion, que la nouvelle loi biodiversité apporte des améliorations, notamment sur la géolocalisation. Pas à pas, nous gagnons en cohérence. Merci.

Audition de Mme Carole Hernandez-Zakine, manager, responsable du droit de l'agro-écologie à InVivo AgroSolutions
(mercredi 21 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, créée à la demande du groupe écologiste. Nous étudierons les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation et analyserons quatre projets : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, Notre-Dame des Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau. Nous nous pencherons sur l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires.

Notre réunion est ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous recevons Mme Carole Hernandez-Zakine, manager et responsable du droit de l'agro-écologie à InVivo AgroSolutions. Elle est accompagnée de M. Raphaël Zarader, consultant chez Rivington.

InVivo est un groupe coopératif agricole français issu de la fusion des deux unions de coopératives, de collecte et d'approvisionnement, Sigma et l'Union nationale des coopératives agricoles d'approvisionnement (Uncaa). Sa filiale InVivo AgroSolutions est opérateur de compensation de biodiversité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Carole Hernandez-Zakine prête serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Madame Carole Hernandez-Zakine, quels sont vos liens d'intérêt avec les différents projets cités ?

Mme Carole Hernandez-Zakine, manager, responsable du droit de l'agro-écologie à InVivo AgroSolutions . - Je n'en ai aucun. AgroSolutions, filiale d'InVivo, est un cabinet de conseil et d'expertise en agro-écologie. Il n'a pas de lien avec les grands projets cités car nous travaillons surtout sur de petits projets.

Merci de m'avoir conviée. J'ai ainsi l'occasion de vous présenter un nouveau métier, celui d'opérateur de compensation, qui existe depuis très peu de temps. Reconnu très récemment par la loi biodiversité, il est encore en construction.

AgroSolutions rassemble une quarantaine d'experts en agronomie, hydrogéologie, pédologie, protection des plantes, écologie, gestion des données, droit rural et droit de l'environnement - un merveilleux domaine d'innovation juridique. Grâce à nos compétences croisées en agriculture et en environnement, nous accompagnons les agriculteurs dans la transition vers l'agro-écologie. Notre but est de leur assurer des revenus durables et de les aider à intégrer les exigences environnementales et sanitaires, tout en tenant compte de leur bien-être.

La compensation existe depuis quelques années. Comment peut-elle servir le projet de l'agro-écologie ? Je précise que nous fonctionnons par la demande et non par l'offre. Selon la loi biodiversité, l'opérateur intervient pour mettre en oeuvre des mesures de compensation pour l'aménageur qui y est obligé, une fois que les mesures sont définies et autorisées, ce qui suppose que l'étude d'impact soit terminée. De plus en plus toutefois, nous ne travaillons plus seulement après la validation des mesures, mais aussi en amont.

Nous passons un contrat sur-mesure avec l'aménageur pour expertiser ses mesures de compensation et l'aider à les mettre en oeuvre. Demain, nous espérons passer un deuxième contrat de suivi de ces mesures.

Prenons l'exemple d'autorisations administratives qui exigent la préservation de prairies pendant la nidification d'une espèce donnée. Nous conseillons concrètement l'aménageur sur la mise en place de cette demande sur un territoire agricole, en définissant la période de fauchage de la prairie, les conditions de pâturage, la pratique de fertilisation, le drainage. Outre notre expertise théorique, nous rencontrons sur le terrain les acteurs du territoire, notamment les agriculteurs, que nous avons parfois déjà identifiés. Une fois le cahier des charges des mesures de compensation élaboré - sa coconstruction améliore grandement son acceptabilité - nous rédigeons le contrat proposé à l'agriculteur en charge de la compensation. AgroSolutions a choisi de rémunérer ce service rendu. Le contrat de mise en place des mesures de compensation peut être signé entre AgroSolutions et l'agriculteur, entre AgroSolutions, l'agriculteur et l'aménageur, ou entre ces deux derniers. Tout dépend du projet de chaque aménageur. Le travail de suivi de l'opérateur est ensuite très important, puisque la compensation se situe dans une dynamique de très long terme.

La loi biodiversité insiste sur l'obligation de résultat ainsi que sur l'obligation de moyens. Celle-ci peut être, par exemple, l'implantation de haies. Au bout d'un an, on vérifie si les haies ont été plantées et si les bonnes espèces ont été sélectionnées. Au bout de deux ou trois ans, on vérifie si l'implantation a réussi et si les haies sont suffisamment denses pour accueillir l'espèce concernée. Au fil du temps, le suivi évolue pour améliorer en permanence la compensation. L'accompagnement des agriculteurs est donc nécessaire, l'opérateur assurant le lien entre l'aménageur et l'agriculteur.

L'obligation de résultat inscrite dans la loi m'a beaucoup interrogée. Qu'afficher ? Peut-on exiger un certain nombre d'individus d'une espèce, ou de terriers ? Doit-on plutôt viser l'amélioration de la qualité des habitats ? Il est impossible, dix ans à l'avance, de prédire un nombre d'individus. La nature est capricieuse. Évaluer la capacité d'un habitat à accueillir des individus est plus aisé.

Depuis peu, nous sommes saisis par des aménageurs qui souhaitent que nous les aidions en amont du projet à définir des mesures de compensation précises dans leur étude d'impact et à sécuriser leur accès aux agriculteurs qui les mettront en oeuvre, en anticipation de l'autorisation administrative. Afin de nous assurer un réservoir d'agriculteurs et de terres agricoles, nous passons des contrats d'engagement préalable, de courte durée, avec les agriculteurs.

Nous ne travaillons pas que sur des mesures de compensation, mais également sur des mesures de réduction. Là aussi, nous élaborons des contrats. Notre travail est pédagogique : nous expliquons aux aménageurs ce qu'est la compensation, en quoi elle impose des contraintes et offre des opportunités. L'exigence d'efficacité à long terme impose des échanges fournis entre l'opérateur et l'aménageur. Le premier doit par exemple être capable de pallier le désengagement d'un agriculteur, dont le contrat échoit au bout de cinq ans, quand la compensation court sur trente ou quarante ans.

Nous accompagnons aussi les aménageurs qui ne parviennent pas à déployer leurs mesures de compensation car elles ne sont pas acceptées par les agriculteurs. L'un de nos clients avait prévu deux hectares de jachère par éolienne mais ne trouvait aucun agriculteur partenaire. Nous avons cherché des mesures équivalentes. Après le passage d'une convention avec le Muséum national d'histoire naturelle, nous avons rencontré les coopératives d'agriculteurs, la chambre d'agriculture, les associations de chasseurs. Dans le respect de l'équivalence écologique, il s'est avéré intéressant d'alterner la jachère avec la mise en place de haies, de bouchons et de bandes enherbées. Les conflits ont été apaisés.

La compensation est une véritable occasion pour l'agriculteur de jouer un rôle dans la préservation de l'environnement, tout en gagnant un revenu complémentaire. Les sommes ne sont pas très élevées et ne pousseront pas un agriculteur à produire des papillons plutôt que du blé. Pour que la compensation soit réussie, il faut que chacun soit raisonnable et construise ensemble la solution, en conjuguant intérêt général de la biodiversité et intérêt particulier de l'agriculteur.

Enfin, notre logique est de privilégier la contractualisation plutôt que l'acquisition de terres.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Constatez-vous deux poids, deux mesures entre les grands projets qui suscitent l'intérêt de l'État et les petits projets auquel il est plus indifférent ? On a parfois l'impression que, plus le projet est petit, plus l'État est soucieux de la qualité des mesures de compensation.

Quels sont les coûts d'investissement et les coûts de fonctionnement des mesures de compensation ?

Avez-vous le sentiment que l'État joue son rôle de contrôleur ?

Les mesures de compensation participent-elles à l'approche environnementale des territoires, telle que la trame verte et bleue ? Quelle est l'échelle de proximité ?

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Pour l'heure, nous, opérateur de compensation, ne sommes pas contrôlés par l'État en tant que tel. C'est l'aménageur qui l'est. Nous travaillons pour l'instant sur des petits projets et constatons une grande hétérogénéité du contrôle selon les territoires. Dans certains cas, nous constatons un militantisme administratif où l'État veut imposer ses mesures de compensation, tandis que dans d'autres cas, c'est presque l'indifférence.

Vous m'interrogez sur la proximité. Alors que nous travaillions sur un projet de plantation d'arbres, nous avons appris que la commune avait un projet d'infrastructure paysagère. Nous prévoyons de trouver une cohérence entre les deux projets - ce n'est pas une obligation.

Notre accompagnement étant sur-mesure, il peut être délicat d'en chiffrer le coût. Toutefois, ce peut être de l'ordre de 10 000 euros par an pour bénéficier de l'accompagnement d'un opérateur de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce 10 000 euros par hectare ?

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Ce chiffre concerne un petit projet d'une dizaine d'éoliennes.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quelle proportion du coût global du projet cette somme représente-t-elle ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce 1 000 à 2 000 euros par hectare agricole ?

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Je vous ferai parvenir le détail par écrit.

M. André Trillard . - L'obligation de résultat est impossible à tenir sur du vivant, qu'il soit végétal ou animal. Elle dépend de nombreux facteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Mme Hernandez-Zakine suggérait de raisonner en obligation de constitution d'un milieu plutôt qu'en nombre d'individus.

M. André Trillard . - En Loire-Atlantique, la terre n'est pas chère, elle est vendue 1 400 euros par hectare. C'est beaucoup moins cher d'acheter de la terre que de dépenser 10 000 euros par an pour compenser.

En Loire-Atlantique, la Brière est en train de se fermer, à cause de l'absence d'agriculture et de la prolifération de la jussie. Pourquoi se préoccuper de quelques hectares quand on a laissé 5 000 hectares disparaître de notre territoire ? N'est-on pas en train de créer des obligations pour les petits projets en fermant les yeux sur les grands sujets ?

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Le chiffre de 10 000 euros est un simple indicateur. Le coût dépend du territoire et des mesures.

Je le répète, l'obligation de résultat est impossible à tenir s'il s'agit d'un nombre précis d'individus. Il faut plutôt réfléchir en termes de dynamique positive.

M. Jérôme Bignon . - Combien de contrats avez-vous signé avec des aménageurs ? Vous devez faire vivre quarante collaborateurs.

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Notre cabinet ne vit pas que de la compensation. Nous avons 300 000 euros de contrats. La compensation est un marché dans la mesure où il y a une offre et une demande, mais il est réduit. Notre société a choisi d'y participer car il s'agit d'une activité symbolique qui rapproche agriculture et écologie.

Mme Sophie Primas . - L'activité d'un grand groupe comme InVivo garantit la présence d'experts auquel un opérateur indépendant ne pourrait pas recourir.

Mme Carole Hernandez-Zakine . - En effet. En outre, nous avons accès aux chambres d'agriculture et aux agriculteurs en général.

La compensation est une mission que nous souhaitons remplir.

M. Jérôme Bignon . - Pourquoi ne travaillez-vous pas sur de grands projets ? N'y avez-vous pas accès ?

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Les grands aménageurs intègrent l'expertise au sein de leur propre structure. Nous sommes en contact avec eux pour des démarches complémentaires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous connaissance de projets dont les coûts de compensation étaient tels que l'aménageur a préféré y renoncer ou le modifier ?

Les opérateurs de compensation devront-ils être certifiés ?

Mme Carole Hernandez-Zakine . - Je ne connais pas de cas de renoncement ni de modification.

Oui, la certification serait positive puisque nous sommes dans une dynamique de professionnalisation.

M. Daniel Gremillet . - Nous abordons ici un surcoût dont nous devrons débattre entre nous.

M. Jérôme Bignon . - L'agrément n'a pas été inscrit dans le texte de loi pour que les agriculteurs puissent être opérateurs. Peut-être faudra-t-il distinguer petits et grands projets.

M. André Trillard . - L'installation d'une éolienne nécessite un trou de 1 000 mètres cube alors qu'on interdit des puits de 3 mètres de profondeur. Les éoliennes sont une atteinte suffisante à l'environnement pour qu'on n'impose pas d'autres problèmes en plus.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci.

Audition des représentants de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA),
de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA),
de la Coordination rurale,
de la Confédération paysanne et de Jeunes Agriculteurs
(mercredi 21 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons M. Pascal Férey, secrétaire adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), Mme Morgan Ody agricultrice, et M. Bernard Breton, animateur foncier, de la Confédération paysanne, M. Alain Sambourg, vice-président de la section « CR77 » de Coordination rurale, Mme Christiane Lambert, vice-présidente, et Mme Kristell Labous, responsable des affaires juridiques de l'environnement, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et M. Guillaume Darrouy, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs.

Cette commission d'enquête a délimité un double cadre pour ses travaux : d'une part, elle étudiera les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et le suivi dans la durée des mesures de compensation ; d'autre part, elle analysera quatre cas spécifiques, quatre projets d'infrastructures : le suivi des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la construction de l'autoroute A65, la réalisation en cours des mesures de compensation du projet de LGV Tours-Bordeaux, les inventaires et la conception des mesures de compensation pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et enfin la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Férey, Mme Morgan Ody, M. Bernard Breton, M. Alain Sambourg, Mme Christiane Lambert, Mme Kristell Labous, M. Guillaume Darrouy prêtent serment .

Ils déclarent aussi ne pas avoir de lien d'intérêt avec aucun des quatre projets mentionnés ci-dessus.

Mme Christiane Lambert, vice-présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). - La compensation écologique est perçue comme une obligation réglementaire par les agriculteurs. Les premières expériences ont été peu concluantes. Depuis, la réussite de certaines opérations a fait quelque peu évoluer le regard. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a instauré les obligations réelles environnementales et a reconnu le rôle des agriculteurs dans le maintien de la biodiversité. Des initiatives professionnelles pour définir des contrats de prestation de services environnementaux ont vu le jour. Nous regrettons toutefois que l'accent ne soit pas assez mis sur les autres mots de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC). Eviter est essentiel. Limiter la consommation de foncier permet de réduire les pertes de biodiversité et de potentiel économique. Réduire est aussi important.

La compensation est parfois perçue comme une contrainte. Il y a des confusions entre les responsabilités du maître d'ouvrage et celles des agriculteurs. Le maître d'ouvrage doit compenser, mais c'est sur les terres de l'agriculteur. La confusion est maximale quand l'État est maître d'oeuvre, car il cherche à compenser en périphérie, comme ce fut le cas pour des opérations de contournements ou pour la construction de routes nationales. Les impacts économiques ou logistiques, lorsque des exploitations sont fragmentées, doivent faire l'objet d'une estimation précise. On ne comprend pas toujours le coefficient multiplicateur. Dix pour un, c'est souvent excessif ! La règle du « un hectare pour un hectare » devrait prévaloir. La concertation en amont avec les agriculteurs doit être améliorée ; les chambres d'agriculture se sont dotées de services d'aménagement qui travaillent en lien avec les syndicats agricoles. Il conviendrait aussi d'associer les agriculteurs à la réalisation des inventaires d'espèces. Les chambres d'agriculture et les organisations agricoles disposent d'experts compétents. Enfin, pour que les compensations soient opérationnelles, les agriculteurs doivent être associés à la rédaction des cahiers des charges.

Nous sommes attachés à un cadre juridique stable. Les contrats de prestation de services environnementaux sont une avancée en ce sens. La profession s'est mieux organisée. Aujourd'hui on parle de marché de compensation. N'oublions pas que les agriculteurs sont des acteurs de la compensation, des producteurs de biodiversité. Celle-ci a de la valeur. Si l'on nous demande des mesures supplémentaires en faveur de la biodiversité, il est normal de rémunérer ce travail utile à la société et de compenser les éventuels surcoûts. Nous sommes attachés au caractère volontaire et opposés à l'acquisition foncière par le maître d'ouvrage car il est possible de concilier l'activité agricole et la restauration de la biodiversité. Partout, dans le Finistère, le Loir-et-Cher ou la Marne, les responsables des fédérations départementales tiennent des réunions locales pour présenter les contrats de prestation pour services environnementaux. Les agriculteurs prennent conscience que la biodiversité est une richesse à préserver et qu'ils ont un rôle à jouer en la matière. La loi sur la biodiversité a facilité cette reconnaissance.

Les organisations agricoles doivent être associées en amont. Lorsque les maîtres d'ouvrage réduisent la concertation, ils créent les germes du conflit. Les interlocuteurs ne manquent pas : chambres d'agriculture, syndicats agricoles, bureaux d'études locaux, etc. L'acquisition foncière est souvent une solution de facilité. Elle pose aussi des problèmes de responsabilité.

La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a créé les obligations environnementales. Elles étaient présentées à l'origine comme une servitude, une obligation sans contrepartie ; aujourd'hui il est écrit qu'elles peuvent donner lieu à des contrats de prestation de services environnementaux. La FNSEA est en première ligne pour expliquer la démarche aux agriculteurs . Enfin, beaucoup de terres sont exploitées en fermage : dans ce cas, le fermier doit être aussi associé.

M. Pascal Férey, secrétaire adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). - Je suis exploitant dans une région classée Natura 2000. Je connais bien les compensations écologiques. Tout d'abord si l'on parle de compensation, c'est que l'évitement et la réduction n'ont pas été suffisants. Pour les agriculteurs, la compensation, c'est un peu la double peine : on leur prend des terres pour réaliser des projets d'intérêt général, et on compense en prenant d'autres terres agricoles. Le mode de calcul du coefficient est opaque. Les donneurs d'ordres devraient le justifier car son caractère inflationniste pose problème. L'expérience montre aussi que les donneurs d'ordre, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités territoriales, sont souvent très exigeants avec les agriculteurs et beaucoup moins avec eux ! On pourrait faire appel à d'autres structures que les bureaux d'études ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement pour valider les documents préalables aux aménagements ; le Muséum national d'histoire naturelle, par exemple, qui est compétent pour les territoires Natura 2000, a l'expertise nécessaire.

Les compensations fluctuent en fonction des territoires et des sites : en zone viticole classée, la compensation en périmètre immédiat sera plus légère qu'ailleurs. À l'inverse, dans ma région, classée Natura 2000, le coefficient était de dix  pour une opération de contournement urbain ! Les opérateurs sont arrivés, via la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, avec un chéquier pour racheter les terres et ont fait flamber le prix du foncier. Non seulement les terres agricoles ont fondu mais leur prix a augmenté...

Prévoir une consultation publique, c'est bien. Encore faut-il que les documents soient compréhensibles ! Beaucoup de ces documents font des milliers de pages, en petits caractères, et sont techniques et inintelligibles, même pour des experts. La transparence doit aussi s'accompagner d'une bonne gouvernance. Être élu ne dispense pas d'expliquer son action. Trop souvent, lors des débats publics, les partisans et les adversaires du projet se mobilisent, mais 90% de la population n'a pas voix au chapitre.

Enfin, les projets d'aménagement sont des projets de long terme. Il faut davantage de pédagogie, prendre le temps d'expliquer en amont comment la compensation se fera et dans quel cadre. Les agriculteurs ne pourront indéfiniment supporter toutes les contraintes sans compensation financière. Les agriculteurs sont des producteurs de biodiversité. Il est normal que la société rétribue leur prestation.

M. Alain Sambourg, vice-président de la section « CR77 » de Coordination rurale . - La compensation des atteintes à la biodiversité concerne toutes les modifications de l'environnement, sur le plan écologique comme humain. Elle doit être définie sur la base d'une analyse exhaustive des mutations provoquées par un projet d'aménagement. Toute opération d'urbanisme en milieu rural crée des obligations pour les agriculteurs : restriction de l'usage des produits phytosanitaires, réduction des bruits, des odeurs, etc. Cela accroît leurs charges financières. Les agriculteurs doivent être associés à la procédure de détermination des préjudices et participer aux audits initiaux. Ces analyses doivent être réalisées dès l'étape de faisabilité, avant l'établissement des plans de financement, afin que leur coût financier soit bien inclus dans le calcul de rentabilité. On s'aperçoit trop souvent, après coup, que les crédits manquent pour les opérations de compensation. Les nuisances des projets pour le monde agricole sont sous-estimées par les services de l'Etat. Les indemnisations en cas d'expropriation sont trop faibles au regard de la dégradation irréversible de l'outil de travail. Les conséquences pour les pratiques agricoles doivent aussi être analysées à long terme. Les charges de production augmentent à cause de la création de zones non traitées, de la modification des horaires de travail ou de circulation de véhicules. Là encore, les agriculteurs sont pénalisés.

On constate aussi que plusieurs équipements ont provoqué un développement des plantes indésirables comme les renouées du Japon, les berces ou les chardons. Les sols sont vivants et captent le carbone. Le compte n'y est pas quand on transforme une terre agricole en route et que l'on compense avec une terre inculte ou polluée : la surface est identique mais le comportement du sol sera très différent. Je m'alarme aussi quand on remplace une terre capable de capter du carbone par des sols imperméables où l'eau ruissellera, entrainant des pollutions. L'agriculteur rend service à la collectivité grâce à l'activité biologique de ses sols. Ne l'oublions pas.

Mme Morgan Ody, agricultrice, membre de la Confédération paysanne . - Merci d'avoir pris l'initiative de cette commission d'enquête. Pour la Confédération paysanne, la compensation est un leurre. Elle intervient parce que l'on n'a pas su éviter ni réduire. A ce titre, elle est toujours un échec pour la biodiversité. Plusieurs études scientifiques remettent ainsi en cause l'idée selon laquelle il serait possible de compenser la destruction d'un écosystème par la restauration d'un écosystème équivalent.

La compensation évidemment un marché. Le succès actuel des mécanismes de compensation au niveau international est dû à la création d'un nouveau marché juteux. On donne artificiellement une valeur marchande aux milieux naturels, à chaque mare, aux abeilles, etc. Les milieux financiers et les bureaux d'études se frottent les mains, mais les paysans à travers le monde sont inquiets. Donner une valeur monétaire aux richesses naturelles risque de les exclure encore davantage et de les marginaliser. Si nous ne pouvons plus acheter la terre ou accéder à l'eau, nous ne pourrons plus travailler. Or, ce sont les agriculteurs qui sont les meilleurs garants de la biodiversité. Lorsque l 'open field céréalier remplace le bocage ou que des activités pastorales de montagne disparaissent, des écosystèmes disparaissent également. La biodiversité suppose le maintien de paysans nombreux sur tout le territoire. Or, les mesures compensatoires n'aident pas les paysans, elles les excluent. Ainsi les constructions du campus du plateau de Saclay ont-elles été compensées par la création de bassins de rétention d'eau, grâce à l'expropriation d'autres agriculteurs. Mais les terres agricoles ne sont pas illimitées ! On compense l'atteinte à une terre en prélevant les terres d'un autre agriculteur... C'est un jeu à somme nulle.

La Confédération paysanne plaide pour un processus territorial de proximité qui associe mieux les agriculteurs. Nous sommes opposés aux réserves d'actifs naturels et à tous les processus de financiarisation qui permettent aux bétonneurs de s'affranchir de la consultation des populations. La suspicion pèse sur la compensation car les phases d'évitement et de réduction sont négligées. À Sivens il a fallu un mort pour que l'on étudie enfin un projet alternatif ! À Notre-Dame-des-Landes, les pouvoirs publics refusent de prendre au sérieux la possibilité d'améliorer l'aéroport de Nantes-Atlantique. Si l'on respectait la séquence « ERC », les projets consommant le moins d'espaces naturels et agricoles devraient pourtant être privilégiés, mais ce n'est jamais le cas. L'État manque d'impartialité, faute d'une séparation fonctionnelle entre les services chargés d'autoriser un projet et ceux qui doivent l'évaluer sur le plan environnemental. C'est le préfet qui assure ces deux missions, avec de fortes pressions politiques. Les conflits d'intérêts sont nombreux. Le préfet qui a attribué le chantier de Notre-Dame-des-Landes à Vinci est devenu salarié de cette société ! À Sivens, la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, société mixte dont beaucoup d'élus locaux sont administrateurs, a réalisé les études concluant à la nécessité d'un barrage et a été désignée, par les élus, pour construire l'ouvrage et pour assurer la gestion de la ressource. Juge et partie !

La loi sur la biodiversité a renforcé la compensation sans renforcer l'évitement ni la réduction. On a enterré de fait ces deux étapes qui étaient pourtant prioritaires dans la loi de 1976. Cette loi marque un retournement dramatique pour la protection de la biodiversité. Elle favorise les acteurs privés qui achètent des terres pour soi-disant les restaurer et ensuite les revendent aux sociétés qui veulent bétonner. Le risque est de remplacer une politique articulée autour de parcs naturels par une politique menée par des acteurs privés guidés par la recherche du profit à court terme. Dans la plaine de la Crau, la Caisse des dépôts promet une gestion sur trente ans. À Notre-Dame-des-Landes, les mesures compensatoires sont prévues dans le cadre de baux ruraux de neuf ans. Or, il est prouvé que pour restaurer des milieux naturels, il faut au moins une centaine d'années, pour un résultat incertain, alors que ce qui est détruit, le restera.

Les contrats signés avec le propriétaire posent la question du respect du statut du fermage. En empilant les mesures de compensation décidées par le propriétaire, on risque de remettre en cause le libre choix du fermier dans la gestion de sa ferme et de donner des pouvoirs excessifs au propriétaire au détriment du preneur.

Nous estimons que dans le cas des quatre projets qui vous intéressent, l'étude des alternatives a été bâclée, voire oubliée dans la mise en place de la séquence éviter-réduire-compenser. Il faut au contraire renforcer les moyens de l'action locale dans la conception des projets.

Ainsi, l'A65 était-elle bien nécessaire, au vu de sa faible fréquentation ? L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes s'imposait-il alors que, d'après une étude sérieuse, il était possible d'améliorer à moindres frais l'aéroport Nantes-Atlantique ?

Quant à la réserve naturelle de Cossure, la création d'un marché de protection de la biodiversité créerait un dangereux précédent. Les politiques publiques, qui ont prouvé leur efficacité, seraient remplacées par des acteurs privés, avec leur logique de court terme. Ne serait-il pas plus simple de faciliter le maintien et l'installation de paysans pratiquant le pastoralisme ? Pour l'instant, la Caisse des dépôts et consignation installe des moutons...

La mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser présente évidemment des enjeux pour le monde agricole. Éviter un aménagement, c'est empêcher une perte de terre agricole ; le réduire, c'est diminuer la perte ; en revanche, introduire une compensation, c'est actionner une chaîne de compensations successives qui impactent plusieurs fois les producteurs - en témoigne l'exemple de la plaine de Saclay.

La transformation des richesses naturelles en marchandises est une menace grave pour les paysans, pour le monde agricole et, au-delà, pour la production alimentaire. Cela nous concerne tous.

M. Guillaume Darrouy, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs. - L'environnement est pour nous, jeunes agriculteurs, un enjeu essentiel. C'est notre outil de travail, nous sommes attachés à sa préservation. La compensation incombe au maître d'ouvrage, pas aux seuls agriculteurs. Nous y sommes attachés, car il est plus facile de s'en prendre à l'agriculteur à la fin du projet que de l'impliquer en amont. Il est indispensable de dissocier le maître d'ouvrage, qui est juridiquement responsable de la compensation, de l'opérateur, qu'il soit agriculteur ou autre.

L'estimation des impacts d'un projet doit faire l'objet d'une concertation en amont, pour évaluer les éventuelles mesures d'évitement et de réduction ainsi que, si nécessaire, les mesures de compensation. Quand on impose des mesures en fin de projet, les agriculteurs se braquent et le débat devient stérile. Ces derniers doivent être associés à l'élaboration du cahier des charges lors de la première discussion préalable.

La compensation revient-elle à créer un marché ? Je le crains. On voit des opérateurs vendre des mesures de compensation à des porteurs de projet, ou apparaître dans les commissions d'acquisition du foncier. Cela suscite des réactions très négatives des agriculteurs. La terre disponible ne doit pas être réservée à la compensation, mais destinée en priorité à l'installation de jeunes agriculteurs. Il faudra faire preuve de vigilance pour éviter que le foncier agricole ne devienne un puits sans fond. En cent ans, l'espace forestier a doublé, alors que l'espace agricole s'est réduit.

Les agriculteurs sont un vecteur de biodiversité, quel que soit leur mode de production. Quand on crée des ressources en eau, on peut aussi créer de la biodiversité - je pense au barrage de Sivens. La compensation peut offrir des opportunités à un jeune agriculteur qui s'installe, mais dans un cadre bien défini juridiquement. Le risque principal est celui d'une financiarisation de la compensation. Il faut écouter les agriculteurs, ils ont leur mot à dire sur les projets.

La co-construction doit être engagée avec tous les acteurs, en impliquant d'abord les personnes proches du site ; je ne vois pas quelle est la légitimité d'individus qui vivent à des centaines de kilomètres, comme les zadistes à Sivens.

Quant aux mesures à destination du grand public, j'ai du mal à me faire une opinion sur la base d'un dossier de 1 700 pages. Nous sommes nombreux à ne pas avoir l'instruction nécessaire pour l'analyser et déterminer si les mesures proposées sont à la hauteur de l'enjeu.

Plutôt que de nous demander ce que nous proposons ou ce que nous faisons déjà en matière de biodiversité, les services de l'État nous tirent dessus à boulets rouges.

Les agriculteurs, producteurs de biodiversité, ont beaucoup à apporter. Nous demandons que l'État joue le rôle de cheville ouvrière de la protection de l'environnement ; qu'il alerte et sensibilise les opérateurs sur le fait que l'on n'achète pas du foncier seulement pour remplir des obligations réglementaires. Éviter-réduire-compenser ne doit pas se réduire à un drapeau que l'on lève pour montrer qu'on a écouté les environnementalistes.

Le dispositif actuel n'est pas mauvais, à condition que l'on sache s'en servir. La loi a reconnu les services environnementaux rendus par les jeunes agriculteurs ; il faudra le traduire au plan économique. Nous sommes tout autant attachés au foncier qu'à l'environnement.

Pour conclure, j'espère que cette table ronde ne sera pas qu'une réunion de plus, et qu'elle permettra d'intégrer davantage la profession agricole et de l'associer à l'ensemble de la démarche.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Notre commission d'enquête se donne pour objectif de mesurer l'efficacité et l'effectivité de la loi sur toute la séquence ERC, et pas seulement sur la compensation.

Mme Christiane Lambert. - Un mot sur l'utilisation des friches industrielles et des sites militaires abandonnés, question qui a été largement abordée lors de l'examen de la loi biodiversité. Nous sommes dans une posture pragmatique : nous sommes conscients que des zones industrielles, des zones artisanales et des voies de communication sont nécessaires pour désenclaver et créer de l'activité ; il faut par conséquent éviter et réduire autant que possible mais il restera toujours une part pour la compensation.

Nous sommes en mesure d'identifier des friches ; de jeunes agriculteurs ont lancé une opération appelée « Les délaissés », consistant à semer du blé pour donner la récolte à des associations caritatives.

La superficie des friches identifiées est parfois très importante ; il faut les valoriser en priorité. Dans la Marne, un terrain militaire désaffecté, la base 112, a été reconverti, à l'initiative de la FDSEA et avec l'expertise de la chambre d'agriculture, en « ferme 112 », un espace dédié à l'expérimentation et à l'innovation agricoles, en mobilisant des moyens publics et privés. Autre initiative, la FDSEA de l'Oise a participé à l'identification du domaine foncier public abandonné pour les mesures de compensation prévues dans le cadre du projet de canal Seine-Nord. Ces domaines pourraient être utilisés pour la création de serres ou de fermes verticales. Ces projets, dont l'ampleur est réelle, ont vocation à se substituer à la gestion très dispendieuse du foncier qui a longtemps prévalu.

Les DREAL continuent à privilégier l'acquisition pour assurer la pérennité du foncier. Or nous considérons que cette question a été réglée par la loi biodiversité, notamment dans le cadre des obligations réelles environnementales transmissibles. L'administration doit donc changer de logiciel.

Pour le repérage des friches, nous disposons d'outils comme les PLU et les SCoT, ainsi que l'acquisition par les collectivités, désormais conscientes de la rareté et de la cherté du foncier. Il s'agit de mettre en place une approche plus globale et anticipée, notamment avec les Safer.

La compensation est là ; il faut faire avec et procéder avec pragmatisme plutôt que par idéologie ou idéalisme, en impliquant tous les acteurs dans les départements.

M. Guillaume Darrouy. - Un recensement exhaustif des friches a été lancé dans les Landes par la chambre d'agriculture. Un grand nombre de surfaces dépérissent. Les mesures de compensation pourraient commencer par la conservation de ce type d'espaces, ce qui permettrait de rétablir du foncier agricole dans certaines zones.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Notre commission d'enquête cherche à dégager un équilibre et une vision cohérente entre des acteurs aux intérêts parfois divergents. Je prends vos remerciements à l'ouverture de cette réunion comme un encouragement pour nos travaux dont, nous l'avons constaté hier, la complexité est grande, notamment au plan juridique.

Vous semblez d'accord pour défendre le caractère prioritaire des deux premiers termes de la séquence : éviter et réduire. Il convient avant tout de maintenir le foncier agricole ; et pour cela, de faire en sorte que les aménageurs s'inscrivent dans cette démarche. Ainsi, tel maître d'ouvrage pourrait être tenté de préférer un parking simple à un parking en silo si le foncier n'est pas cher. Les contraintes liées à la compensation pourraient au contraire conduire les opérateurs à privilégier la séquence éviter-réduire. Votre avis sur cette question nous intéresse ; les positions idéologiques peuvent diverger, mais nous recherchons des éléments opérationnels. Dans le cadre de l'enquête coût-bénéfice, évitons aussi que la valeur attribuée aux terrains soit honteusement insuffisante.

Les délais de la compensation font l'objet d'intérêts et d'enjeux qui s'affrontent. Vous convenez tous que, pour être efficace, la compensation doit s'inscrire dans la durée. Or les agriculteurs sont inquiets des engagements de contractualisation dans la longue durée. Quelle est votre vision de cet arbitrage ?

Les friches peuvent être utilisées dans le cadre de la compensation, mais elles ne représentent pas toujours une équivalence écologique satisfaisante. Le partenariat éventuel avec le Muséum national d'histoire naturelle, que vous avez cité, est intéressant. Comment percevez-vous l'approche de la biodiversité qui repose, en France, sur le concept de trame verte et bleue ? Cela assure la cohérence globale des écosystèmes mais représente aussi une contrainte potentielle : tous les territoires n'ont pas la même valeur, en termes de compensation comme de fonctionnement.

Enfin, que serait, selon vous, une fourchette satisfaisante pour la valeur du service rendu par l'agriculteur dans une logique de compensation ?

Mme Christiane Lambert. - Les aménageurs communiquent beaucoup plus sur la compensation, à l'aide de belles brochures, que sur l'évitement. Une comptabilisation des hectares évités aurait un effet incitatif. De plus, la communication des aménageurs ignore souvent les actions de compensation engagées par les agriculteurs eux-mêmes.

Le centre commercial Atoll Angers a enseveli un hectare de zone humide. L'aménageur proposait une compensation à hauteur de seize hectares ; mais, après des échanges avec la chambre d'agriculture et les associations de défense de l'environnement, il a été jugé préférable de mettre en place quatre hectares de zone humide dans de meilleures conditions. Le résultat a satisfait toutes les parties prenantes.

La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture a introduit le concept de compensation collective agricole. L'indemnisation ne suffit pas toujours pour des opérations susceptibles de déstructurer l'économie agricole. Ainsi, 25 hectares en moins d'emprise foncière pour la coopération ou le négoce se traduisent par une baisse de chiffre d'affaires et des surcoûts logistiques. La compensation collective agricole oblige l'aménageur à compenser aussi cela. Ainsi, un rééquilibrage entre compensation de la biodiversité et compensation du potentiel de production peut être envisagé, permettant des études d'impact plus globales et fidèles à la réalité.

Pour être efficace, la compensation doit s'inscrire dans la durée. Pour cela, elle doit être rémunératrice. Les agriculteurs ne sont pas habitués à une indemnisation à juste valeur... Dans le cadre du contrat d'agriculture durable (CAD), successeur du contrat territorial d'exploitation (CTE), les surcoûts liés aux mesures agro-environnementales sont calculés et l'indemnisation est fixée à un niveau attractif pour l'agriculteur. Il convient d'associer les acteurs agricoles et les experts qui les représentent très en amont, dès la phase du calcul de l'indemnisation.

Les mesures de protection pour le grand hamster d'Alsace ont conduit les agriculteurs à convertir des hectares de maïs en hectares de blé ou de prairie. Le coût de ces conversions est facile à calculer. L'agriculteur qui l'accepte sera plus enclin à l'inscrire dans la durée si la compensation financière est à la hauteur. C'est donc avant tout une question de moyens mobilisés.

Comme pour les circuits courts, on veut à la fois l'apport écologique et un prix au rabais. Or la biodiversité a un prix - et celui qui doit le payer est le demandeur de biodiversité. Les espaces que l'on veut protéger ont une valeur ; il est d'autant plus opportun de le rappeler que le chiffre d'affaires agricole a baissé de cinq milliards d'euros l'année dernière.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur les quatre dossiers qui nous intéressent, considérez-vous que les mesures de compensation proposées par les opérateurs sont raisonnables ?

Mme Christiane Lambert. - Sur la réserve de la Crau, la discussion a été difficile. C'était une approche nouvelle avec, pour les agriculteurs concernés, un sentiment de dépossession. De plus, ils n'étaient pas préparés à la négociation avec la Caisse des dépôts et consignations, qui en a tiré avantage. Désormais, les chambres d'agriculture conduisent des études d'impact globales.

La concertation s'est mieux déroulée dans le cas du grand hamster d'Alsace. Quant à Notre-Dame-des-Landes, le sujet est tellement polémique qu'il est très difficile de se faire une opinion. Pour répondre à votre question, je ne connais pas les propositions financières sur ce dossier. Quel espace serait concerné ? Nous n'avons pas d'éléments assez précis.

Mme Kristell Labous, responsable des affaires juridiques de l'environnement, FNSEA. - La ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux avait fait l'objet d'une véritable négociation entre Réseau ferré de France (RFF) et les agriculteurs ; mais RFF a accordé une concession à Vinci. La compensation négociée, avec la participation de la chambre d'agriculture, avait satisfait les agriculteurs. Sera-t-elle maintenue ? Point important, la compensation a été homogène entre agriculteurs. Pour éviter la concurrence, il convient de formuler une proposition pour l'ensemble du territoire, en fonction des actions proposées par les agriculteurs. Si le prix du foncier est trop élevé dans certains endroits, certains propriétaires pourraient être tentés de ne plus mettre leurs terres en fermage.

L'A65 a fait l'objet d'une négociation avec les propriétaires-exploitants. Le montant négocié était, d'après mes informations, très attractif. Dans toutes ces situations, le prix résulte d'un équilibre à trouver.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'en conclus que la compensation reste hétérogène entre ces différents dossiers.

Mme Kristell Labous. - Elle l'est encore plus sur les autres dossiers dont j'ai connaissance. Lorsque des baux à clauses environnementales sont passés, les agriculteurs ne touchent pas de rémunération. Pour nous, ce n'est pas une solution durable. Le bureau d'études Dervenn, en Bretagne, privilégie les contrats en traitant directement avec les agriculteurs. Enfin, sur la ligne à grande vitesse Nîmes-Montpellier, les discussions avec RFF se déroulent bien, mais le prix du foncier a augmenté.

Mme Christiane Lambert. - Nous avons passé en 2016 une convention avec SNCF-Réseau pour la mise en place de la séquence éviter-réduire-compenser en amont, suite aux griefs exprimés. Il y a, en la matière, un conflit historique à lever.

Mme Morgan Ody. - Travailler sur la partie « éviter-réduire » est essentiel, d'autant que la France ne respecte pas toujours les obligations européennes en matière d'étude de solutions alternatives. Il convient d'intégrer celles-ci dès le début de la consultation et de prendre en compte les propositions des acteurs locaux.

Je regrette que la loi biodiversité n'ait pas tenu compte de cette dimension, d'autant que les défauts de la procédure ont donné lieu à des conflits. Aujourd'hui, l'État arrive avec un projet dont tout le monde sait qu'il sera retenu à l'issue de la consultation ; du coup, le public y voit une farce et n'y participe pas.

Nous sommes opposés, vous l'aurez compris, au principe même de la compensation. Il faut aussi reconnaître et quantifier la perte écologique. Prétendre que la compensation l'annule, c'est faire preuve de duplicité - comme pour la taxe carbone : un trajet en avion compensé n'est pas neutre pour autant.

Concernant les friches, nous estimons préférable de construire la ville sur la ville, en assumant le coût que cela représente. Arrêtons de considérer les terres agricoles comme des déserts. Il faut au contraire les sanctuariser autant que possible, et compenser la perte si on ne le peut pas.

La fourchette de prix que vous évoquez n'est pas dans notre logique. Nous ne voulons pas que les paysans deviennent des faire-valoir pour les bétonneurs, bons à compenser les destructions des autres. Ils ont un rôle à jouer dans la biodiversité. Nous voulons être rémunérés pour produire !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qu'en est-il des trames vertes et bleues ?

M. Guillaume Darrouy. - Privilégions la partie « éviter-réduire ». Lorsqu'une collectivité vient annoncer à un agriculteur une déviation, elle doit la justifier de manière argumentée, définir le cadre et les besoins dans le temps. Si ce socle n'est pas assuré, l'aménageur ne cherchera jamais à éviter ni à réduire. Pour chaque projet, l'État doit préciser par écrit quelles mesures il a envisagées pour éviter les atteintes à la biodiversité, et pourquoi il ne les a pas retenues.

Le traitement de la durée dépend des mesures prises. On pourrait s'apercevoir, cinq ans après, qu'elles n'ont servi à rien. Autre problème, la transmission des contrats et de la compensation. Il me semble difficile d'imposer à un agriculteur qui s'installe les compensations contractualisées par son prédécesseur - surtout quand le porteur de projet a fait l'objet d'une liquidation judiciaire ou a cessé son activité. La durée impose la prudence. Certains propriétaires et agriculteurs pourraient être tentés de toucher l'enveloppe, et advienne que pourra... La rétention foncière est un problème pour le fermage, quand on sait combien l'installation par acquisition est rare. Elle pourrait également avoir un impact sur le marché du foncier. Autour de Nice, les prix atteignent déjà des niveaux astronomiques, et devraient encore monter.

La concertation sur les trames vertes et bleues a été insuffisante au niveau local. La concertation a eu lieu au niveau régional ; ensuite, on a rédigé des guides envoyés aux bureaux d'études pour intégration dans les documents d'urbanisme. Il faudrait établir aussi un cahier des charges et engager une démarche de construction avec les chambres consulaires, notamment les chambres d'agriculture. Si la trame verte et bleue est décidée depuis Bruxelles ou même au niveau de la Région, c'est beaucoup plus compliqué.

La valeur du service rendu doit être calculée en évaluant précisément les efforts financiers, humains, stratégiques et économiques demandés à l'agriculteur. Si cela représente un risque économique, il doit être aidé. La valeur peut par conséquent aller du simple au double ; tout dépend de ce que l'on cherche à protéger. Il est hors de question d'imposer - comme c'est le cas actuellement - des contraintes environnementales supplémentaires ; et les agriculteurs volontaires doivent y trouver une contrepartie, d'autant que, comme nous le savons, leur situation est de plus en plus difficile.

M. Alain Sambourg . - Après un délai, les terres mobilisées sous forme de réserve foncière doivent être rendues à l'agriculture. Certaines zones artisanales sont en friche depuis quarante ans ! Le prix d'un mètre carré varie d'un euro à 150 euros, ce qui exclut l'installation d'agriculteurs. Lorsqu'il atteint 300 euros, comme en région parisienne, comment s'étonner que des exploitants proches de la retraite soient tentés de vendre à des acheteurs chinois ou arabes ? Si nous voulons un paysage agricole, à vous de jouer ! La compensation agricole est dans les cordes des agriculteurs. La compensation environnementale est un autre métier, qui doit faire l'objet d'une rémunération proportionnelle à la surface et garantie dans le temps. L'État a compensé, dernièrement, pour une entreprise italienne ayant contribué à l'exposition universelle de Milan. Il peut donc aussi compenser un changement d'activité. Quant aux friches, s'il s'agit de terres agricoles, elles doivent le redevenir. On peut se donner les moyens pour transformer des terres agricoles en zones humides, en formant et en rémunérant l'agriculteur chargé de les entretenir. Ce qu'il faut, c'est évaluer la biodiversité détruite par une construction, pour calculer la compensation. Et c'est bien celui qui détruit la biodiversité qui doit en assumer la charge.

M. Pascal Férey . - Chaque collectivité territoriale a des obligations. En 2007, 160 000 hectares de friches industrielles ou artisanales étaient inutilisés en France. Cela peut être dû à de la spéculation, mais aussi à des questions de complexité : critères de dépollution, documents d'urbanisme faisant obstacle ad vitam aeternam ... Des opérations financières non négligeables sont réalisées par les collectivités territoriales. A Melun-Sénart, la terre agricole achetée 20 000 ou 30 000 euros se vend 350 000 ou 400 000 euros une fois constructible. Et ce sont les exploitants agricoles qui doivent accepter la compensation suite à ce type d'opération ! Les hectares de terres périurbaines ont de la valeur, et il faut en tenir compte.

Qui a qualité pour définir un coefficient multiplicateur ? Il faudra tôt ou tard organiser le marché de la compensation pour éviter la spéculation. Le même agriculteur qui réclame la protection du code rural tant qu'il est actif ne se prive pas, la retraite venue, de proposer ses terres à la collectivité. Trêve d'hypocrisie : sans organisation, les marchés parallèles se développeront. J'ai les plus grandes réserves sur de grosses opérations comme la constitution de la réserve d'actifs naturels de la Crau. Les structures de grande taille disposent de moyens importants et présentent des projets de rêve. Pour être acceptée, la compensation écologique doit rester supportable et être bien expliquée.

La maîtrise du foncier est en sujet important. Quand le conservatoire du littoral achète du foncier, celui-ci ne peut plus être mis en fermage. La seule option est une convention de mise à disposition, c'est-à-dire la précarité. Dans la Manche, plusieurs centaines de milliers d'hectare sont détenus par le conservatoire du littoral. Lorsqu'un agriculteur part à la retraite, le cahier des charges peut changer du tout au tout. Écartons-nous le moins possible du statut du fermage.

M. Gérard Bailly . - La loi montagne a été l'occasion d'évoquer le problème de l'enfrichement des terres, gagnées même par la forêt. En 65 ans, la forêt a largement reconquis le Massif Central, par exemple. Mais quels sont les dispositifs de soutien pour un jeune agriculteur qui voudrait renverser cette tendance ? Y a-t-il des indemnités, des compensations ? Quid des retenues d'eau ? Il faudrait comparer aux compensations exigées autrefois. Dans ces zones, l'agriculteur ne fait souvent que restaurer un état antérieur. Pourquoi des taxes de défrichement ?

M. Jérôme Bignon . - Je suis sensible à la double peine dénoncée par les agriculteurs : sur 70 hectares, lorsqu'on vous en prend dix pour un projet, dix hectares supplémentaires sont mobilisés pour la compensation. S'il est acceptable, dans une société démocratique, de sacrifier une part de ses terres à l'intérêt général, il semble plus difficile de renoncer en plus à une surface équivalente pour de la compensation.

Une première piste serait de renoncer à certains projets, moins pertinents que d'autres. Nous n'avons qu'une économie agricole, et il est chimérique de prétendre la remplacer par des cultures réalisées en ville ou sur nos balcons. Il est difficile de discuter de cette double peine. L'intitulé même de notre commission d'enquête trahit une certaine gêne, qui ne mentionne ni réduction ni évitement. Il faudrait pourtant regarder le problème en face. Or je n'ai jamais vu d'analyse d'évitement. Une tranchée de 105 kilomètres va traverser la Somme, l'Oise et le Pas-de-Calais. Elle est sans doute utile. Mais quelle rupture de continuité écologique ! Résultat : les prix montent, et des hectares d'une des terres agricoles les plus riches de France vont disparaître deux fois - pour la construction, et pour la compensation.

Nous n'avons guère fait d'effort pour atténuer, même temporairement, le double principe d'équivalence et de proximité. Nous avons pourtant des friches à résorber, mais manquons de moyens pour le faire. Cette situation est ubuesque !

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Cela fait consensus.

Mme Christiane Lambert . - Beau plaidoyer pour les terres agricoles ! La loi biodiversité a été débattue pendant deux ou trois ans. Et pourtant, elle comporte d'autres aberrations. Ainsi de l'exigence chimérique d'une perte nette de biodiversité nulle, voire d'un gain ! Comment l'exaucer ? Ce serait une triple ou une quadruple peine ! Est-ce plus grave de perdre un peu de biodiversité, ou beaucoup d'emplois et de production agricole ? Le manque de fermeté dans la contestation de ce point, et l'arbitrage rendu - nous savons par qui - aboutissent à un résultat catastrophique. À quel autre secteur imposons-nous de telles contraintes ? C'est inacceptable.

Défendre le foncier agricole est bienvenu, mais certains élus n'hésitent pas à changer d'attitude face à une entreprise. Pour occuper dix hectares dans l'Oise, Amazon a obtenu son autorisation ICPE en quatre mois. Je ne connais pas d'autre exemple d'un délai si court. Notre pays a connu une utilisation immodérée de foncier. Il faut changer cela, mais avec pragmatisme. Exiger une perte nette de biodiversité nulle, ce n'est pas sérieux !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce n'est pas le sujet de notre commission d'enquête.

Mme Christiane Lambert . - Si, car cela implique davantage de compensation. Quant à l'articulation des compensations avec les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), elle nécessite un énorme et minutieux travail d'anticipation.

Mme Évelyne Didier . - Autrefois, on ne compensait pas. Positivons ! Cela dit, la compensation de la biodiversité n'existe pas et ne peut exister. Il n'y a qu'un écosystème, qu'on ne saurait remplacer. Considérez-vous que les ventes de terres à des Chinois doivent faire l'objet d'une compensation ? J'avais déposé un amendement empêchant le stockage des déchets du bâtiment dans de la bonne terre agricole. Il m'a fallu convaincre que je n'attaquais pas les agriculteurs, au contraire ! Comment empêcher ce type de projets ? Quelle compensation faut-il prévoir ? Avec le Grand Paris, cela ne va pas s'arranger.

M. Alain Sambourg . - C'est simple : s'il ne peut gagner sa vie, l'agriculteur part. L'enfrichement des terres reflète donc le manque de revenu agricole. Des pétroliers achètent nos forêts pour produire des briquettes. Peut-être est-il plus important de se chauffer que de se nourrir ? Pour nous, les retenues d'eau ne servent qu'à stocker l'eau l'hiver pour l'utiliser en été. En mai et juin dernier, nous avons frôlé la catastrophe à Paris. L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) explique qu'il vaut mieux inonder des terres agricoles que construire un bassin de retenue en aval. C'est plutôt que cela coûte moins cher... Une retenue en aval est pourtant indispensable, notamment pour refroidir la centrale de Nogent.

Compensation des espèces ? En remplaçant des forêts par des pâturages, on change évidemment la faune. Oui, il y a une double peine. Si la compensation est agricole, très bien. S'il s'agit de planter des arbres, c'est autre chose. Les agriculteurs préfèrent produire, et vivre de leur travail.

En effet, il serait bon d'analyser la pertinence des projets. Nous ne manquons certes pas de diplômés pour le faire ! Mais nous voyons bien que les communes sont surtout attentives aux promesses d'emplois. Celles-ci doivent-elles prévaloir sur l'objectif de préservation des terres agricoles ? C'est un choix de société.

Oui, le principe de proximité est compliqué à mettre en oeuvre. Quant à la vente de terres aux Chinois, elle s'explique évidement par la faiblesse des prix offerts par la Safer, combinée aux 3 000 ou 4 000 euros de dettes par hectare que laisse un agriculteur arrivé à l'âge de la retraite. Or les produits qui seront cultivés sur ces terres ne financeront pas les coopératives et autres organismes français, puisqu'ils seront directement exportés en Chine. La meilleure protection serait de laisser nos agriculteurs vivre de leur travail.

Faut-il faire 200 kilomètres pour enfouir ses déchets, ou 60, et les enfouir sous des terres de grande valeur ? Là encore, c'est un débat de société.

M. Pascal Férey . - Quelle que soit la dimension d'un projet, il faut imposer une étude d'impact fouillée, dégageant une vision globale. L'étude de pertinence est rarement effectuée. En France, le foncier agricole n'est pas cher. C'est pour cela qu'on le gaspille si facilement. Aux Pays-Bas, un hectare coûte 100 000 euros.

Mme Sophie Primas . - Comment font les jeunes ?

M. Pascal Férey . - Ils parviennent à acquérir des terres avec l'aide des banques. En France, les prix vont de 5 000 à 15 000 euros l'hectare. Cela dit, le prix n'est pas tout. Là où Caen aménage un espace de vente, le prix passe à 300 000 euros l'hectare, ce qui reste peu par rapport aux enjeux économiques. Où faut-il localiser la compensation écologique ? Imposer une proximité stricte restreindrait considérablement les possibilités de certains territoires. Le risque est de voir toutes les compensations localisées sur des terres d'élevage, qui deviendraient le refuge de la biodiversité. Il aurait fallu être plus précis : que signifie « un périmètre proche » ? Le bail environnemental peut être transmis, mais cela laisse-t-il vraiment le choix au successeur ? Des décisions ont été prises à Paris sans que leurs implications sur le terrain soient bien mesurées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Au-delà des déclarations de principe, et des exposés de cas particuliers, quels remèdes opérationnels suggérez-vous ? Les États-Unis sont allés loin en imposant une équivalence complexe et très régulée. Quelle garantie durable inventer ? Comment fixer la valeur d'une terre agricole au moment de l'enquête coût-bénéfice ?

Mme Christiane Lambert . - Les terres acquises par les Chinois restent cultivées, et ne font donc pas l'objet d'une compensation. La Safer n'y est pour rien : ils offrent 20 000 euros par hectare, quand le prix de marché est de 5 000 euros. D'ailleurs, la loi empêche les Safer d'intervenir car les transferts se sont faits par parts de société. C'est pourquoi le député Dominique Potier a déposé une proposition de loi sur le foncier, afin de combler cette faille. Il faut aussi définir le statut d'agriculteur de sorte que cette qualité ne puisse être reconnue à des financiers.

La loi montagne va être votée. Une taxe de défrichement et des compensations seront imposées : les forestiers ont bien négocié. Pour que les agriculteurs ne soient pas pénalisés, nous avions suggéré des amendements, qui n'ont pas été adoptés. Nos tentatives de regagner des espaces de production ont suscité plusieurs décisions défavorables.

Nous proposons une meilleure utilisation des friches et une meilleure estimation de la valeur de la compensation, qui facilitera sa pérennité. Il faudra trouver une solution pour les cas de faillite. Nombre de zones agricoles, à faible potentiel, sont en plein désespoir. L'arrêt de l'élevage les a pénalisées, mais la compensation écologique peut leur apporter des revenus. S'il faut produire de la biodiversité, nous le ferons, à condition que ce soit rentable.

Mme Morgan Ody . - La philosophie même de la loi nous pose problème, qui associe biodiversité et espaces sauvages, alors que celle-ci est liée à l'activité humaine. En montagne, on perd de la biodiversité quand les paysans disparaissent. Aussi faut-il défendre l'agriculture paysanne, en lui assurant des revenus, en la défendant contre le loup, ou en maintenant un réseau de petits abattoirs. C'est indispensable pour préserver une paysannerie sur tout le territoire, qui est la base de la biodiversité. Ne confondons pas compensation environnementale et compensation agricole. Souvent, quand un élu rend constructible une zone agricole, il compense en rendant cultivables des zones naturelles. Et ces terres échoient à de jeunes agriculteurs, qui peinent à les cultiver car leur potentiel agricole est faible.

La vente de terres à des acheteurs chinois ne nous poserait pas de problème si le modèle agricole qu'ils y mettent en oeuvre était différent. Dans la Nièvre, le montage est le même que pour la ferme des mille vaches. La politique de régulation foncière est détricotée par des montages sociétaires. Si nous ne réagissons pas, nos paysans vont disparaître rapidement. Les politiques publiques de défense de l'environnement ne doivent pas être remplacées par des acteurs privés. Avec les contraintes budgétaires actuelles, le risque est fort. La cohérence de l'action publique aurait beaucoup à y perdre.

Enfin, nous sommes très sceptiques sur les bénéfices que les agriculteurs pourraient tirer de l'argent de la compensation.

En effet, au regard des négociations internationales sur la biodiversité menées à l'heure actuelle - la France fait partie d'un programme international sur la compensation de la biodiversité -, il est évident qu'il sera très rapidement beaucoup moins cher d'acheter des réserves d'actifs naturels au Nicaragua ou au Soudan qu'en France.

Je ne crois pas du tout que la création des réserves d'actifs naturels soit une source de revenus potentiels pour les paysans à l'avenir. Au contraire, compte tenu des enjeux financiers, ces dispositions auront des impacts massifs au niveau international - elles en ont d'ores et déjà. C'est un marché très lucratif. Je ne pense pas que nous puissions, en France, nous en laver les mains.

Selon moi, l'inscription des réserves d'actifs naturels dans la loi est potentiellement très dangereuse pour l'avenir.

M. Guillaume Darrouy . - Monsieur le sénateur Bailly, selon moi, plusieurs éléments expliquent que l'agriculture ait du mal à reconquérir les espaces agricoles : la rentabilité et la rétention foncière de la part des propriétaires, phénomène que l'on ne trouve évidemment pas en montagne, mais plutôt en périurbain et dans certaines zones autour des agglomérations.

Concernant les friches, la procédure de terre inculte est très peu utilisée en métropole. En revanche, elle l'est régulièrement dans les territoires ultramarins. Je pense qu'il y a probablement des choses à améliorer sur ce plan.

On ne peut que vous rejoindre sur la double peine ! Je dirais même qu'il y a souvent une triple peine.

Contrairement à certains, je ne trouve pas normal que les acheteurs chinois rachètent notre patrimoine. Nous défendons une agriculture familiale, pas une agriculture de firme. On ne sait pas qui est l'investisseur chinois, où va partir le bénéfice de l'exploitation... Que peut faire un jeune face à un investisseur chinois qui met 20 000 euros sur la table, quand la Safer ne peut même pas intervenir ?

Je suis d'accord : il faut protéger le foncier. À ce sujet, je vous invite à lire le rapport d'orientation « Foncier : entre avenir et héritage » , que les Jeunes Agriculteurs ont fait paraître l'année dernière. Nous y proposons un certain nombre de réponses. Tout le monde doit s'y mettre.

Les parlementaires du groupe Les Républicains ont demandé au Conseil constitutionnel d'annuler toutes les dispositions de la loi Sapin II relatives au foncier, alors que certains nous ont dit, droit dans les yeux, qu'ils étaient d'accord avec nous...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Restons-en au sujet de la compensation.

M. Guillaume Darrouy . - Par ailleurs, pour protéger le foncier, il va falloir définir rapidement ce qu'est un actif agricole. Qu'est-ce qu'un agriculteur ? Ce travail nous servira pour la compensation environnementale. Depuis la loi d'avenir, les Jeunes Agriculteurs l'avaient porté haut et fort. Nous avons été très peu suivis, mais tout le monde commence à le comprendre désormais. J'en suis ravi.

Je veux vous rassurer sur la compensation agricole : les collectivités qui engagent des projets impliquant une perte de terres agricoles ne devront pas automatiquement retrouver des terres agricoles. Très peu de dossiers relèveront du dispositif de la compensation agricole. Nous nous sommes fait enfumer.

Pour finir, je me demande pourquoi, aujourd'hui, en France, on protège mieux l'environnement que l'être humain.

Mme Christiane Lambert . - Très souvent, la compensation écologique est réduite à la seule biodiversité.

Dans la commune voisine de la mienne, la création d'une route a été compensée écologiquement par une moindre consommation d'énergie, avec la mise en place d'une chaudière à bois pour chauffer les salles de sport.

La compensation n'est pas forcément surfacique et ne se réduit pas nécessairement à la biodiversité : elle peut porter sur l'air, l'environnement...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vos propos illustrent la question de l'hétérogénéité, qui a été soulevée hier par les juristes.

S'agissant des commandes, nous attendons avec impatience vos contributions écrites et vos propositions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Madame Labous, vous avez de toute évidence une vision assez précise des différents contrats qui ont été passés avec des agriculteurs sur un certain nombre de projets. Les éléments d'information dont vous disposez sur les quatre projets qui entrent dans le champ de notre commission d'enquête nous intéressent énormément. On voit bien qu'il y a des opérateurs plus allants, sans les citer à ce stade.

Mme Christiane Lambert . - Quid des autres projets ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les informations concernant d'autres projets sont aussi importantes : elles nous permettront de disposer de points de comparaison.

Nous avons bien compris que vos approches idéologiques respectives étaient différentes. Ce n'est pas une surprise ! Cependant, sans adhérer obligatoirement au cadre très contraint défini par les lois en vigueur, vous avez peut-être des propositions opérationnelles à nous faire passer par écrit.

Ces propositions et les données dont vous disposez intéressent au plus haut point la commission d'enquête.

M. Alain Sambourg . - Il me semble que, lors de l'examen du projet de loi, on a parlé, à un moment, de « couloir de biodiversité » plutôt que de « trame verte » et de « trame bleue ». Pouvez-vous me le confirmer ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Non. Les termes n'ont pas changé.

Mme Sophie Primas . - Les éléments que vous pourriez nous communiquer sur le fonctionnement du Canal Seine-Nord, bel exemple d'une grosse infrastructure à venir, nous intéressent également.

M. Guillaume Darrouy . - Je vous invite à venir dans notre beau territoire pour découvrir le Canal du Midi, qui a apporté beaucoup de biodiversité. Sa présence nous ravit !

Audition de M. Jean-Philippe Siblet, directeur du service du patrimoine naturel du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN)
(mercredi 21 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous accueillons M. Jean-Philippe Siblet, directeur du service du patrimoine naturel du Muséum national d'histoire naturelle.

Ce service scientifique du Muséum est notamment en charge de l'inventaire national du patrimoine naturel. Son expertise en matière de connaissance de la nature et de sa préservation est particulièrement reconnue.

Vous êtes aussi chargé, dans le cadre de collaborations avec des partenaires privés ou publics, d'accompagner un certain nombre d'acteurs dans leur démarche d'évitement, de réduction et de compensation des impacts sur la biodiversité.

Pour votre information, cette audition est ouverte au public : elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu.

Conformément à la procédure applicable à toutes les commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je vous rappelle que tout faux témoignage est passible de peines pénales, qui vont jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Philippe Siblet prête serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Monsieur, avez-vous des liens d'intérêt avec les différents projets que nous étudierons plus particulièrement dans le cadre de la commission d'enquête, à savoir l'A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Jean-Philippe Siblet . - Je n'en ai aucun.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous vous avons adressé une série de questions pour vous aider à construire votre propos. Nous n'attendons pas que vous répondiez point par point à chacune d'elles. Vous pourrez nous faire parvenir ultérieurement une contribution écrite.

M. Jean-Philippe Siblet . - Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant vous.

Les questions que vous m'avez adressées m'ont paru extrêmement pertinentes. Elles posent bien les problèmes que soulève la question de la compensation, qui, comme vous l'avez sans doute compris, est extrêmement complexe.

Vous m'avez interrogé sur l'état de la biodiversité. Bien évidemment, ce sujet pourrait nous occuper pendant des dizaines d'heures ! Cependant, il importe de dire que nous n'avons jamais aussi bien connu cet état. Notre connaissance a beaucoup progressé, notamment au cours des dix dernières années, et on est aujourd'hui capable de retracer l'évolution, en particulier grâce à plusieurs dispositifs, notamment le dispositif d'évaluation de l'état de conservation, mis en oeuvre dans le cadre de l'application des directives européennes Habitat et Oiseaux. Le second bilan, qui couvre la période 2007-2012, confirme le premier, à savoir que la part des habitats et des espèces d'intérêt communautaire en bon état de conservation en France est faible. Grosso modo , un habitat sur cinq et une espèce sur quatre seulement sont en bon état de conservation. Ces données sont objectives, robustes et ne souffrent pas de contestation.

Pour l'ensemble des espèces, les tendances négatives sont plus nombreuses que les tendances positives. Sans surprise, parmi les écosystèmes les plus menacés, les écosystèmes marins, littoraux, humides et aquatiques sont ceux qui souffrent le plus.

Pour ce qui concerne, par exemple, le groupe taxonomique particulier que constituent les oiseaux, le bilan paraît un peu moins contrasté, avec 89 espèces nicheuses en déclin, 97 en hausse, 41 stables, 14 fluctuantes, et 53 dont on n'a pu déterminer l'évolution.

On peut avoir l'impression que baisse et augmentation s'équilibrent, mais, en réalité, les espèces qui augmentent sont des espèces généralistes, que l'on va trouver à peu près partout, alors que les espèces qui diminuent le plus, qui sont les plus menacées, sont les plus spécialistes. Au total, on se rend compte que le bilan n'est pas favorable.

Il ne s'agit pas de tomber dans le catastrophisme. Il y a des choses qui marchent bien, comme le retour des rapaces et des grands prédateurs. Malheureusement, ces succès se font parfois dans la douleur : elles peuvent être difficilement compatibles avec un certain nombre d'activités.

Une autre source d'information réside dans les listes rouges d'espèces menacées, élaborées en France et coordonnées par l'Union internationale pour la conservation de la nature et par le Muséum. À peu près un quart ou un tiers de nombreuses espèces sont menacées : il en va ainsi de 32 % des oiseaux, de 23 % des amphibiens, de 22 % des poissons d'eau douce et de 12 % des libellules.

Dans ce constat, il ne faut pas évidemment oublier les outre-mer. Vous n'ignorez pas que l'essentiel de la biodiversité nationale se trouve outre-mer. Là aussi, la situation est extrêmement compliquée. La France possède un territoire ultramarin extrêmement important, avec une biodiversité tout à fait exceptionnelle. Notre pays est aujourd'hui l'un de ceux qui possèdent le plus d'espèces endémiques menacées sur leur territoire, avec le plus fort taux de responsabilité. Bien évidemment, on a tendance, quand on parle de compensation, à s'intéresser de façon principale à l'Hexagone, mais un certain nombre de projets importants touchent l'outre-mer. Vous avez sans doute entendu parler de la nouvelle route du littoral à La Réunion, projet considérable dont les mesures d'accompagnement et les mesures compensatoires sont tout à fait importantes.

Concernant l'impact des grandes infrastructures, notamment de transports, à quelle échelle doit-on évaluer ces incidences et la pertinence des études d'impact ? À l'échelle nationale, régionale, locale ? À l'échelle des projets eux-mêmes ? En fonction de la réponse que l'on donne à cette question, les processus à mettre en oeuvre et les évaluations ne seront pas du tout les mêmes.

À ma connaissance, il n'y a jamais eu de tentative d'évaluation aux niveaux national et régional, pour différentes raisons : l'absence de volonté, la complexité et certainement aussi le manque de moyens. Cependant, il serait extrêmement intéressant de disposer d'une vision nationale de ces dispositifs.

Vous m'avez demandé quelle était la responsabilité des grands projets dans les phénomènes d'érosion de la biodiversité. Elle est certainement en deçà de l'intensification agricole, de l'artificialisation des sols, de l'urbanisation. Toutefois, par un effet cumulatif, les infrastructures se surajoutent sur des territoires souvent déjà déstructurés ou ayant subi un certain nombre de modifications, affectant la capacité de résilience, c'est-à-dire la capacité à se régénérer, des écosystèmes. Les érosions de la biodiversité sont alors très fortes. Vous connaissez tous l'image du château de cartes, qui devient branlant puis tombe d'un seul coup et très rapidement. Cette image est extrêmement pertinente en l'espèce.

Sur ces questions, on a souvent tendance à s'intéresser aux impacts directs d'un projet ; c'est assez naturel et légitime. On regarde ce que l'artificialisation d'un sol ou la création d'une infrastructure donne sur l'emprise ou à proximité de celle-ci. Mais il existe aussi des impacts indirects ou induits.

Par exemple, l'impact des travaux engagés dans le cadre du Grand Paris, qui ont été présentés récemment au Conseil national de la protection de la nature, où je siège moi-même, est extrêmement limité, parce que ce sont des travaux souterrains. La surface est très peu impactée, si ce n'est quelques puits d'aérage. Les impacts les plus importants sont induits par la gestion des remblais, qui entraîne des conséquences à plusieurs dizaines de kilomètres de distance. Où vont aller ces remblais ?

M. Jérôme Bignon . - Ils représentent 40 millions de mètres cubes.

M. Jean-Philippe Siblet . - Absolument !

Ces impacts seront, à mon avis, beaucoup plus importants, en termes de qualité des terres, sur le remblaiement de certains plans d'eau, etc. Il s'agit là donc d'un vrai projet d'aménagement de territoire. Cette dimension n'est pas complètement prise en compte, du moins de façon globale, au démarrage des projets.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - On essaie de la prendre en compte.

M. Jean-Philippe Siblet . - Je sais que des initiatives sont prises, mais, pour habiter une petite commune de la vallée de la Seine, en amont de Montereau, je vois bien que ces remblais suscitent beaucoup de convoitise et de spéculation : certains voudraient en profiter pour valoriser les plans d'eau.

M. Jérôme Bignon . - J'ai compris que les déblais n'étaient pas très intéressants : ils contiennent beaucoup de gypse.

M. Jean-Philippe Siblet . - Au reste, pourquoi aller remblayer des plans d'eau à trente kilomètres sur un foncier incertain, alors que le coût des terrains situés à proximité immédiate est beaucoup plus important ? Que fait-on de ces remblais ? Comment les met-on en oeuvre, et pour quoi faire ?

Si l'on est dans une démarche de réhabilitation et de compensation écologiques, il faut recréer des espaces verts, des milieux naturels, pas des endroits éventuellement destinés à des activités non compatibles avec cet objectif.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ce sujet n'entre pas vraiment dans le champ des travaux de la commission d'enquête, mais il m'intéresse. J'espère que nous aurons l'occasion d'en reparler, dans un autre contexte.

M. Jean-Philippe Siblet . - Volontiers.

Vous m'avez également interrogé sur le bilan que l'on peut dresser de la mise en oeuvre de la séquence ERC - « éviter-réduire-compenser » - depuis la loi du 10 juillet 1976. Ce bilan est finalement assez récent, car la séquence ERC n'est réellement prise en compte que depuis dix ou quinze ans. On n'a donc pas beaucoup de recul et notre capacité d'évaluation est, somme toute, limitée. Elle est aussi limitée parce qu'il manque, à mon sens, trois éléments importants.

Premièrement, jusqu'à la nouvelle loi sur la biodiversité, qui a prévu un registre national des opérations de compensation, la bancarisation des mesures de compensation n'existait pas. On n'avait pas de cartographie ni même de liste des mesures qui ont été mises en place et des méthodes de suivi.

Deuxièmement, la standardisation des méthodes de suivi qui permettent d'évaluer l'atteinte des objectifs est très faible. Ce point est lui aussi extrêmement négatif. On n'a pour ainsi dire pas de synthèse des bilans recueillis pour chaque opération à des échelles intégratives, qu'elles soient administratives ou écologiques. Par exemple, on n'est pas capable de dire, à l'échelle d'une vallée, ce qui a été fait, comment cela a été fait, ce qui a marché et ce qui n'a pas marché et la méthode utilisée pour l'évaluation.

Il me paraît envisageable de mesurer une opération de compensation, mais cela nécessite la prise en compte de deux principes fondamentaux préalables.

Le premier principe est ce que j'appelle la notion d'incertitude. Il faut savoir que l'ingénierie écologique est une science jeune et que la plupart des opérations de compensation reposent sur des expérimentations pour lesquelles peu de références existent. Par ailleurs, les références existantes concernent des contextes qui ne sont pas nécessairement comparables. Il faudrait donc adopter comme principe que l'efficacité des mesures compensatoires doit être évaluée sur la base de résultats tangibles, et pas uniquement sur la simple mise en oeuvre desdites mesures. Cela doit conduire à un principe de réajustement des mesures compensatoires si l'évaluation démontre leur manque de fonctionnalité. Ce point est important.

Cette réforme représenterait quand même une forme de révolution culturelle, parce qu'il est assez peu admis aujourd'hui qu'une mesure compensatoire puisse ne pas produire d'effet, notamment qu'elle puisse ne pas produire les effets escomptés, puisque ce sont des experts qui l'ont prévue.

Le second principe est la notion de finitude des territoires. Notre planète est de plus en plus petite, de plus en plus finie. Nous connaissons tous la question de l'empreinte écologique. On consomme ce que la planète peut nous donner chaque année un peu plus tôt.

Les mesures compensatoires nous interpellent très directement sur cette question. En effet, il paraît délicat, voire impossible d'évaluer l'impact d'une infrastructure s'il n'est pas possible d'évaluer la capacité de résilience du territoire sur lequel elle s'installe et ce, à des échelles pertinentes de perception. Cependant, jusqu'où peut-on aller dans l'artificialisation, la fragmentation, l'intensification de l'usage des sols d'un territoire donné sans affecter de façon définitive la capacité de résilience des écosystèmes et donc provoquer corrélativement un effondrement de la biodiversité ? Cette notion de finitude est extrêmement importante et doit s'apprécier à différentes échelles de perception.

Pour conclure sur cette question, je pense que l'on peut faire l'hypothèse que la prise en compte de ces deux principes conduirait à un changement de paradigme et à une proposition très différente de celle qui existe actuellement, permettant de déboucher sur des solutions beaucoup plus efficaces pour mettre à terme à l'érosion de la biodiversité et plus acceptables par la plupart des parties prenantes, qu'il s'agisse des aménageurs, de l'État, des organismes instructeurs ou des acteurs environnementaux, notamment par un recours accru à la modélisation prédictive en amont des projets et par un partage plus équitable de la charge de la compensation entre projets.

Cela éviterait de confier aux uns la charge de ce que les autres n'ont pas fait. On connaît les systèmes d'impact cumulatif. Je veux citer l'exemple des infrastructures linéaires : on fait une ligne à haute tension, puis une autoroute, puis une ligne à grande vitesse, et c'est à celle-ci qu'il incombe de compenser les deux premières - de fait, c'est impossible. À qui appartient la charge de la compensation ? Comment doit-elle être mise en oeuvre ? En la matière, prendre en compte les deux principes que je viens d'exposer permettrait d'améliorer les choses.

Définir la compensation est une tâche extrêmement complexe ! Il y a eu de nombreux travaux, et même des thèses sur le sujet. Pour ma part, j'estime que la compensation pourrait être définie par l'ensemble des mesures susceptibles de permettre le maintien ou la restauration du bon état de conservation des habitats et des espèces impactées par le projet. Cette définition a le mérite d'être relativement simple. Elle peut même paraître simpliste aux yeux de certains de mes collègues.

Les critères permettant d'assurer la réussite d'un projet de compensation sont très nombreux et ne sont pratiquement jamais tous mis en oeuvre de façon simultanée, ce qui pose bien le problème. En réalité, il n'y a actuellement aucune opération de compensation en France et pratiquement aucune dans le monde qui soit menée dans les règles de l'art, telles que définies par l'ensemble des écologues ou des ingénieurs. D'ailleurs, je pense que vouloir respecter ces règles rendrait l'opération économiquement non viable, car aucun opérateur n'accepterait de les mettre en oeuvre. Il faut donc garder une certaine modestie par rapport à ces questions.

Pour ma part, j'ai relevé cinq critères majeurs.

Premièrement, il n'y a pas de bon projet de compensation sans étude initiale de qualité, sur la faune, la flore, les habitats et sur la fonctionnalité des écosystèmes, sujet que l'on ne fait encore qu'effleurer aujourd'hui et pour lequel nous n'avons pas toutes les réponses scientifiques. Comment un écosystème fonctionne-t-il ?

Deuxièmement, il faut respecter une certaine proximité des sites de compensation. Ce critère est plus proche d'un principe de précaution qu'il n'est un critère véritablement scientifique. Plus le site de compensation est proche du site impacté, plus les chances de réunir un certain nombre de paramètres écologiques comparables - une même entité biogéographique et bioclimatique - et d'éviter des dérives sont importantes. C'est un principe de bon sens, qui n'est pas complètement absolu. Par exemple, il n'y a pas d'équivalence écologique entre une tourbière et un boisement, même situé à un kilomètre.

Troisièmement, il faut une équivalence écologique des terrains compensés. C'est à la fois une tarte à la crème et une condition incontournable. Aujourd'hui, on voit fleurir des études d'impact un peu compliquées qui expliquent que l'on peut compenser un hectare de bouleaux par deux hectares de hêtres. Je pense que, scientifiquement, il ne serait pas très long de démontrer que cela ne peut fonctionner ainsi.

Tout ne doit probablement pas pour autant être jeté à la poubelle. Mais, aujourd'hui, il n'existe pas de dispositif permettant de prouver scientifiquement que la compensation engagée évite une perte nette de biodiversité.

Quatrièmement, il faut aller vers la recréation, vers la renaturation d'espaces, et pas simplement préserver des espaces qui possèdent déjà une valeur importante. Une compensation qui consisterait à préserver un espace naturel de qualité n'en est pas vraiment une, puisque la superficie impactée sera de toute façon perdue.

Je suis assez frappé que des opérateurs puissent proposer, à titre de mesure de réduction, de différer leurs travaux après la période de reproduction des oiseaux. C'est un peu comme si je vous disais que votre voisin habitera chez vous durant ses travaux ! La place est déjà prise. Quand les travaux auront commencé, les territoires où les oiseaux chercheront à migrer seront déjà occupés par d'autres oiseaux.

Actuellement, on compte trois couples d'oiseaux nicheurs par Français. En réalité, très peu d'espèces d'oiseaux comptent des effectifs extrêmement importants. L'espèce la plus importante, en France, est le pinson des arbres : on en recense entre 8 et 10 millions de couples. Je rappelle que nous sommes 65 millions. L'espèce humaine est de très loin la plus nombreuse sur notre territoire !

Cinquièmement, il faut des mesures de suivi adaptées. Bien souvent, chacun estime qu'il a défini la meilleure méthode de comptage. Certains essaient de minimiser les coûts ; d'autres, de gagner un peu plus d'argent... Au final, cela donne des résultats nuancés et, parfois, des situations un peu étonnantes. Par exemple, l'opérateur qui a obtenu le marché public se déclare incompétent techniquement ou conteste le bien-fondé des normes figurant dans le marché. On constate de vrais déficits techniques sur ces questions.

Certes, la nouvelle loi sur la biodiversité apporte des éléments positifs pour la mise en oeuvre de la compensation écologique, mais ce qui fait le plus défaut en la matière n'est pas forcément l'absence de textes ; c'est plutôt la volonté politique déterminée d'appliquer les textes existants. C'était d'ailleurs en partie vrai de la loi de 1976, qui permettait déjà de faire beaucoup de choses. Par ailleurs, je regrette le choix, pour l'intitulé de la nouvelle loi, du terme guerrier de « reconquête » : il faut faire mieux que la guerre à la biodiversité !

Il faut aussi des moyens adaptés. Sans moyens, on ne peut imaginer faire les choses bien. Les besoins en recherche et développement sur la thématique de la compensation sont importants, pour un coût modéré - de l'ordre de quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros. Il est dommage que l'on ne se donne pas aujourd'hui les moyens de réaliser ces études !

Il faut également disposer de moyens de contrôle. Pour avoir travaillé pendant dix-huit ans dans un service extérieur de l'État, qui s'appelait, à l'époque, « direction régionale de l'environnement », je peux vous dire que l'on manque de moyens. On ne peut pas être partout, même dans une région comme l'Île-de-France. On n'a pas le temps de vérifier tous les projets ni de lire des études d'impact qui représentent plusieurs mètres cubes de papier.

La proximité géographique est selon moi un élément essentiel à la réussite d'un projet de compensation.

En revanche, je ne peux pas définir une distance maximale. Il faut également tenir compte du caractère mosaïque de l'habitat. Plus l'habitat est complexe, plus il est difficile de s'éloigner ; plus l'habitat est homogène, plus on peut trouver des habitats comparables, même à distance de quelques kilomètres. Les études portant sur cet aspect de la question n'ont, pour l'instant, pas donné de résultats très convaincants.

Au reste, il ne faut s'enfermer dans trop de carcans : il faut essayer de respecter des principes, sans se dispenser d'être intelligent. S'il y a des coups à faire, même s'ils ne sont pas orthodoxes d'un point de vue scientifique, faisons-les ! À partir du moment où les choses sont expliquées, elles sont parfaitement recevables. On peut expliquer que l'on a volontairement décidé de ne pas respecter tel critère pour saisir une opportunité.

La nouvelle loi fixe le principe suivant lequel les mesures de compensation ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction.

Il faut garder en mémoire que la meilleure compensation est celle qu'il n'est pas nécessaire de faire. Ce n'est pas qu'une boutade : moins on fera de compensation, mieux la biodiversité se portera.

La compensation ne doit pas être le recours ultime après que les processus d'évitement et de réduction ont été mis en oeuvre. Il doit pouvoir y avoir un évitement : si le bilan coût-avantages en termes d'aménagement du territoire, de bien-être de la population, de respect et de préservation de la biodiversité est trop défavorable, on doit pouvoir renoncer à un projet.

En tant que membre du Conseil national de la protection de la nature, je vois que la notion d'intérêt public majeur est parfois utilisée à tort et à travers. Il est intéressant de noter qu'elle est utilisée à des échelles différentes. Potentiellement, tout peut avoir un intérêt public majeur, même un terrain de football construit sur une tourbière, pour le bien de la population, la santé des administrés, le développement du sport... sauf que la tourbière est l'un des rares écosystèmes qu'il n'est absolument pas possible de recréer. Il me semble que cette notion d'intérêt public majeur est parfois déterminée avec un peu d'abus, voire de laxisme.

Pour ce qui concerne la détermination en amont des impacts, je veux vous signaler qu'une expérience intéressante a été menée en lien avec le Muséum et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Cette expérience porte le nom de « CARNET B », pour « cartographie nationale des enjeux territorialisés de biodiversité remarquable ». Ce travail a consisté à utiliser toutes les informations disponibles sur un territoire donné, à les restituer à une maille kilométrique de 10 kilomètres sur 10 kilomètres et, à partir de là, de déterminer les fuseaux de moindre impact des infrastructures futures, de manière à minimiser les impacts très en amont. Cette initiative me paraît intéressante, d'autant qu'une campagne d'inventaire dédiée a été menée sur un certain nombre d'espèces réglementées, dites « patrimoniales » ou à enjeux, dans trois régions pilotes, dont la Lorraine et le Centre.

Cette opération « gagnant-gagnant » a permis de faire progresser la connaissance en biodiversité et, dans le même temps, de fournir des informations très intéressantes pour l'aménagement du territoire. Cette expérience mériterait d'être poursuivie.

On pourrait même imaginer un maillage plus serré, pour être encore beaucoup plus opérationnel. La maille de 10 km sur 10 km est la norme européenne et que l'on utilise pour la restitution des informations dans le cadre de l'inventaire national du patrimoine naturel. Nous avions calculé la faisabilité et le coût d'un maillage de 1 km sur 1 km sur toute la France, pour avoir une idée des enjeux. Le coût était apparu très important, mais pas si excessif au regard du coût d'autres infrastructures. Surtout, la limite n'était pas tant financière que liée au nombre de naturalistes nécessaires pour réaliser l'opération. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là de nos réflexions, mais ces travaux ont permis de montrer que la réalisation d'un maillage fin n'était pas totalement utopique.

Le Muséum commence à étudier la question des actifs environnementaux et de la compensation par l'offre. Nous avons un partenariat avec le conseil général des Yvelines, qui mène une opération pilote dans le cadre de l'appel à projets lancé par le ministère de l'écologie. Nous travaillons ensemble depuis maintenant trois ans. Nous nous sommes rendu compte que, en la matière, l'un des points clés est le foncier. Pour une collectivité territoriale, acheter du foncier en évitant l'expropriation n'est pas très simple. C'est même quasiment impossible dans un certain nombre de cas. Le projet, pour l'instant, butait sur ces problèmes d'acquisition. Par ailleurs, l'équivalence écologique nécessite d'acheter des terrains qui rendent la compensation possible, selon les normes que je vous ai présentées. En particulier, les terrains plus simples à acheter, ceux qui ne font pas l'objet de spéculation, qui ne permettent pas de développement, sont souvent les plus riches d'un point de vue écologique. Les terrains qui nous intéressent sont des terrains dégradés, que l'on pourra renaturer.

Nous avons donc une assez bonne connaissance de ces questions. Nous nous demandons si l'on peut s'orienter vers des mesures de gestion au moins autant que vers l'acquisition foncière, par exemple, en proposant des agriculteurs volontaires des mesures agri-environnementales pour gérer les terrains à long terme. Au reste, ce n'est pas très simple de trouver des agriculteurs volontaires, sauf dans le marais breton, où le taux de contractualisation des prairies naturelles, au titre des mesures agri-environnementales, s'élève à 80 %. Or, aujourd'hui, les primes sont versées avec un retard de deux ans, ce qui est problématique quand on sait que la prime fait le salaire.

J'en viens à la Crau, qui fait partie de vos cas d'étude. Il se trouve que je connais bien ce territoire, pour être ornithologue de formation et de coeur. J'ai beaucoup parcouru la Crau. Je considère que, d'un point de vue technique, le projet Cossure est très abouti. C'est vraiment un travail de très grande qualité. Les terrains qui ont été réhabilités et restitués ont une très grande valeur, mais n'ont pas la valeur des cossouls vierges. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de reconstituer du cossoul originel.

Ne nous leurrons pas : certains espaces ne sont pas compensables. Une tourbière n'est pas compensable ; le cossoul de la Crau n'est pas compensable. Ce point est extrêmement important. Or, durant les dix dernières années, plusieurs dizaines voire centaines d'hectares de cossouls vierges ont disparu sous l'effet de l'artificialisation, liée notamment à l'implantation d'équipements logistiques sur la commune de Saint-Martin-de-Crau.

J'ai bientôt soixante ans ; j'ai fréquenté ces terrains pour la première fois à dix-huit ans. J'y ai vu des Ganga cata, des outardes canepetières. J'y ai vu chasser le vautour percnoptère. Aujourd'hui, on voit des boîtes à chaussures de plusieurs centaines de milliers de mètres carrés sur des centaines d'hectares, à perte de vue ! On aurait peut-être mieux fait de préserver ces terrains, qui ont une valeur inestimable. En termes d'aménagement du territoire, cet endroit est tout de même relativement vaste. Il y avait de la place ailleurs.

On a artificialisé sur les cossouls vierges. Et cela continue, puisque l'on a vu passer des dossiers au Conseil national de la protection de la nature voilà encore quelques mois. La compensation écologique a consisté en la création d'un vaste plan d'eau, qui, de toute façon, était nécessaire, compte tenu des risques d'incendie, en bordure de la route qui dessert Salon-de-Provence. Ce plan d'eau serait sans doute très apprécié dans certains secteurs urbains défavorisés, mais il ne vaut pas un site qui abrite des espèces endémiques uniques au monde. Par ailleurs, ce projet est intellectuellement déstabilisant : on est obligé d'imaginer des destructions, y compris de sites naturels, pour prendre des mesures de restauration.

Après-guerre, la Crau était en déshérence. L'élevage y était difficile. On a distribué des aides massives pour l'implantation d'arboriculteurs, notamment pour les pêchers. Cela a profondément déstructuré le sol, qu'il a fallu retourner, irriguer. Dans les années quatre-vingt, la chute de la production et les difficultés du marché ont conduit à un abandon progressif de ces cultures. Et je ne vous parle pas de l'implantation de terrains militaires ou autres centres d'essai pour véhicules, de ce grignotage qui, aujourd'hui, fait ressembler les marges de la Crau à un vrai gruyère. D'ailleurs, ceux qui ont créé la réserve naturelle se rappellent qu'ils se sont arraché les cheveux tellement le foncier était devenu complexe.

Aujourd'hui, fort heureusement, la Crau est une réserve naturelle nationale. Son coeur est protégé, mais il y a encore du travail.

Son exemple montre que l'utilisation de mesures compensatoires pour pallier des carences dans la préservation d'espaces remarquables constitue une déviance.

Autre exemple, l'aménagement du grand port du Havre : la mesure compensatoire a consisté à aider l'État à financer la réserve naturelle. Sauf que la réserve naturelle avait été créée pour compenser l'impact de Port 2000 ! Cette situation pose problème, d'un point de vue éthique comme sur le plan du respect de la loi.

Je ne connais pas suffisamment les sujets de l'autoroute A65, de la LGV Tours-Bordeaux et, surtout, de Notre-Dame-des-Landes, que je n'ai pas eu à traiter dans le détail.

Dans le cadre de la LGV Tours-Bordeaux, le concessionnaire, LISEA, a mis en place une fondation d'entreprise, dotée de plusieurs millions d'euros, qui sert à soutenir ou encourager des projets en faveur de la biodiversité sur un territoire relativement large. C'est intéressant, mais cela n'a jamais été présenté comme une mesure compensatoire par LISEA.

Pour ce qui concerne l'information du public, sur laquelle vous m'avez également interrogé, il y a parfois une petite confusion : l'argent versé par LISEA a tendance à être assimilé à une mesure compensatoire. Il faut être très précis. Bien sûr, il faut informer davantage, mais ces sujets extrêmement techniques se prêtent mal à une communication grand public. Il faut donc savoir ce que l'on dit, comment on le dit et quel public on vise.

Je vois quand même trois grands axes de communication.

Il faut dire à nos concitoyens que l'espace est limité et qu'il nécessite une gestion économe et raisonnée. Je me rappelle avoir lu, à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt, dans des textes qui émanaient de la DATAR, que la France était un pays vaste et qu'il n'était pas nécessaire d'économiser l'espace. On n'écrirait sans doute pas la même chose aujourd'hui !

Il faut aussi expliquer que l'on ne peut pas tout monétiser. Le rapport Chevassus-au-Louis sur le coût de la biodiversité l'a bien montré, la nature exceptionnelle n'a pas de prix. Par exemple, si une tourbière est détruite, on ne sait pas la reconstituer.

De plus, on affiche un objectif d'absence de perte nette de biodiversité très noble, auquel le grand public peut adhérer. Mais on ne peut atteindre cet objectif sans un référentiel clair. Actuellement, la tendance naturelle est de gouverner par des slogans. Au-delà, nous devons trouver une réalité scientifique et technique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La commission d'enquête souhaiterait obtenir des propositions sur le « point zéro ». Quelle place pour l'Agence française de la biodiversité dans cette affaire et pour le Muséum ? Comment tout cela s'articule-t-il ?

Pourriez-vous nous citer un ou deux exemples où le château de cartes s'effondre, avec une dynamique de disparition de la biodiversité ? À l'inverse, connaissez-vous des endroits où la résilience est possible ? C'est un élément important pour les mesures compensatoires.

Enfin, quel est le rôle du Conseil national de protection de la nature dans cette affaire, lui qui est régulièrement interrogé sur les grands projets ? Comment prend-il ses avis ? Que deviennent-ils et qu'en fait l'État ?

M. Rémy Pointereau . - J'ai apprécié les propos intéressants de M. Siblet, scientifique pragmatique. Mes questions concernent les infrastructures. Vous avez évoqué la LGV Tours-Bordeaux. Je pense à un autre projet où l'on nous demande soit d'imaginer un jumelage avec d'autres autoroutes ou lignes ferroviaires ou de faire une cicatrice sur un territoire vierge. Cette seconde solution semble poser plus de problème en termes de biodiversité animale.

S'agissant de la compensation, l'équation est assez difficile à maîtriser. En effet, si l'objectif est de préserver au maximum les terrains agricoles, on les prélève souvent pour reboiser et réaliser le projet. La Sologne, par exemple, est mise en avant comme zone naturelle, avec des passages Natura 2000, alors qu'elle compte nombre de propriétés clôturées. J'ai l'impression que les opérateurs hésitent à traverser ces zones, plus par crainte des propriétaires que de la mise en cause de la biodiversité. Pourquoi n'a-t-on pas prévu, comme en Argentine, des passages plus larges pour éviter de recouper encore notre territoire ? Cela devrait être mis en avant lors des réalisations d'infrastructures.

M. Jean-Philippe Siblet. Vous avez raison, monsieur le sénateur. La France a été pendant longtemps leader sur ces questions, grâce aux techniciens de haut niveau, notamment ceux du Service d'études techniques des routes et autoroutes dépendant du ministère de l'équipement, le SETRA, qui travaillaient sur le passage de la faune.

Aujourd'hui, ces professionnels sont réduits à la portion congrue. Pour la libre circulation des poissons, par exemple, un ou deux spécialistes en France savent fabriquer une passe à poissons fonctionnelle. Nous avons des étudiants brillants sortant de faculté, des diplômés de Master II avec une expertise toujours plus pointue sur ces questions, mais ils ont du mal à trouver du travail à la fin de leurs études. Avec quatre ou cinq emplois supplémentaires, nous pourrions résorber en partie le problème.

J'en viens au jumelage des infrastructures. Cette solution est plus souhaitable que d'aller balafrer un site nouveau et de créer ainsi une nouvelle discontinuité du territoire. Mais comme dans tout, il faut savoir s'arrêter. Si l'emprise au sol est trop large, la faune ne circulera plus. À l'époque, nous avons mené des études avec RFF pour savoir comment les batraciens pouvaient franchir un ouvrage ferré et s'ils étaient sujets à des brassages génétiques. La réponse est positive sous certaines conditions. Peuvent-ils franchir plusieurs infrastructures ? En tout état de cause, il vaut mieux investir des espaces déjà impactés.

Ce sujet présente un lien avec la trame verte et bleue issue du Grenelle de l'environnement. En réalité, beaucoup d'éléments du Grenelle ont fini sur mon bureau pour que j'indique la marche à suivre. Je me suis entouré de collaborateurs et nous avons monté le dossier. Nous y travaillons et avons beaucoup progressé. Toutefois, encore aujourd'hui, nous ne disposons pas de tous les éléments permettant la certification de notre démarche.

Soyons modestes : l'ingénierie écologique est récente, et nous sommes dans une phase d'apprentissage. Nous n'avons pas à avoir honte, car nous disposons d'un recul insuffisant, de quelques dizaines d'années tout au plus. De plus, l'écologie n'est pas une science dure où l'on est sûr de tout. On a beaucoup à apprendre de la nature. À cet égard, le biomimétisme permet de tirer nombre d'enseignements.

Vous m'avez interrogé sur le rôle du Conseil national de la protection de nature. J'y suis très attaché, et depuis bien avant d'en faire partie. Ses membres viennent d'horizons divers, mais ils sont tous des scientifiques ou des praticiens ayant une connaissance réelle du terrain. On peut toujours contester la pertinence d'un avis, mais globalement, contrairement à ce que l'on entend parfois, le CNPN donne plutôt des avis favorables aux projets ; en réalité, son travail consiste plutôt à les amender ou à donner des pistes de réflexion qu'à les empêcher.

Pour tout vous dire, je suis inquiet de la réforme en cours. S'entourer de collaborateurs intuitu personae est une bonne chose, mais cela rend un peu moins tangible la façon dont la répartition est décidée autour de la table. Il est bon d'avoir des membres identifiés comme des représentants d'associations, d'institutions scientifiques ou reconnus pour les compétences propres.

La réforme est en cours. Le CNPN devrait être dissous et recréé selon la nouvelle méthode à l'été prochain. Nous attendrons des candidatures spontanées. J'espère que ce comité ne perdra pas son âme, sa spécificité. Les représentants des cellules environnement des entreprises me l'ont dit à plusieurs reprises, si le CNPN n'était pas là pour inciter à l'excellence, ils n'existeraient plus au sein des entreprises, car la dimension environnementale perdrait de son importance.

Cet outil est très intéressant, car il produit de la doctrine, de la méthodologie, permet d'envisager des solutions et des alternatives. Plusieurs projets ayant reçu en première lecture un avis défavorable assorti de conseils, ont ensuite été modifiés et obtenu l'avis favorable. Beaucoup y trouvent leur compte.

La résilience peut-elle être mesurée ? Je citerai l'exemple des canaux, qui sont parfois remplacés pour remplacer une rivière naturelle. Dans ce cas, on passe d'une trentaine d'espèces de poissons à moins de dix espèces, peu intéressantes pour le pêcheur. Je pourrai aussi citer les zones humides, car la biomasse devient presque inexistante lorsqu'elles sont comblées. Si cela se reproduit sur des centaines de kilomètres carrés, la baisse se révèle dramatique. En quarante ans, j'ai vu disparaître des espèces de certains territoires comme la pie grièche grise qui est tout de même un vertébré. Cela alerte fortement sur l'état de notre planète.

Oui, des exemples précis sont quantifiés. L'enjeu est de synthétiser et de modéliser, ce qui prend un peu de temps et d'énergie. Le nombre des équipes travaillant sur ces questions augmente, notamment au muséum, à Montpellier, mais on n'a pas encore toutes les clefs permettant de répondre à votre question. Si vous pouviez nous aider à initier cette étude sur l'état de référence, ou au moins commencer à étudier des pistes sur la façon d'envisager cette question, ce serait passionnant et extrêmement utile.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous nous donner des exemples positifs, où l'on constate une reconquête forte de biodiversité, y compris avec une intervention humaine.

M. Jean-Philippe Siblet. L'effet « réserve » existe, autant en milieu terrestre qu'en milieu marin. Je suis un fervent défenseur des politiques de préservation des espaces naturels, qui sont tout sauf désuets. Il faut continuer à en créer et à les protéger.

J'ai travaillé longtemps avec les exploitants de matériaux de granulats alluvionnaires, qui servent à fabriquer le béton. Si l'on s'y prend bien, on peut exploiter ces matériaux et récréer des espaces de très grande qualité, des écosystèmes, des habitats. Paradoxalement, c'est l'un des rares sujets à compensation qui peut être traité in situ . Dans certains cas, on peut obtenir une biodiversité supérieure à ce qui existait auparavant.

Bien sûr, il faut édicter des règles, car il n'est pas question d'exploiter les tourbières pour reconstituer des plans d'eaux. Sur des espaces banalisés, on peut parvenir à recréer de la biodiversité. Je vous invite à visiter le secteur de la Bassée, en amont de Montereau, où une réserve naturelle a été créée. Nous avons vraiment réussi à reconstituer une biodiversité, mais il faut étudier la question sur le long terme.

Les territoires qui vont mieux sont ceux qui abritent la forêt, et ce pour de nombreuses raisons : la forêt a été beaucoup plus protégée réglementairement. En outre, ces espaces sont beaucoup plus résilients. Tout n'est pas parfait, mais la forêt va bien, sachant que les secteurs les plus menacés sont les zones humides.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - N'y a-t-il pas de bons exemples en zone humide ?

M. Jean-Philippe Siblet. Le Marais breton va être classé au titre de Ramsar, mais tout cela est ténu, car certains se plaignent de ne pas recevoir de primes après avoir contractualisé. En revanche, j'ai cru comprendre que tous les sites Ramsar seraient désormais éligibles au titre de l'indemnité compensatoire de handicap naturel.

M. Jérôme Bignon . - Je confirme cette information.

Audition de M. Laurent Piermont, président, et
M. Philippe Thiévent, directeur de CDC Biodiversité
(mercredi 21 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Notre dernière audition aujourd'hui sera celle de M. Laurent Piermont, président de CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, entièrement dédiée à la biodiversité et à sa gestion pérenne, de M. Philippe Thiévent, directeur, et de Mme Brigitte Laurent, directrice des relations institutionnelles de la Caisse des dépôts.

Vous intervenez pour le compte de tout maître d'ouvrage, collectivité, entreprise qui vous délègue le pilotage de leurs actions volontaires ou réglementaires, dans le cadre de la compensation notamment, mais aussi de la restauration de la gestion d'espaces naturels. Vous avez en outre mis en oeuvre en 2008, dans la plaine de la Crau, 357 hectares d'anciens vergers sur le site de Cossure, afin de restaurer un espace naturel et d'y créer la première réserve d'actifs naturels française. Cela constitue une première pour ce que l'on appelle la compensation par l'offre. Ce dossier est l'un des quatre dossiers que nous étudions plus spécifiquement dans le cadre de notre commission d'enquête.

J'indique que cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et donnera lieu à la publication d'un compte rendu.

Je vous rappelle que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Laurent Piermont, Philippe Thiévent et Mme Brigitte Laurent prêtent successivement serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - En dehors de la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau, les trois autres projets portent sur l'A65, la LVG Tours-Bordeaux et l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. Avez-vous des liens d'intérêts avec ces différents projets ?

M. Laurent Piermont, président de CDC Biodiversité . - Madame la présidente, la société CDC Biodiversité a des liens d'intérêts avec A'liénor, concessionnaire de l'A65, qui lui a délégué la mise en oeuvre des mesures compensatoires prévues par les arrêtés préfectoraux autorisant la réalisation de cette autoroute. Je précise que la délégation concerne uniquement les mesures compensatoires, à l'exclusion de toute autre mission.

S'agissant de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la société CDC  Biodiversité a été chargée de missions partielles d'études et de conseil visant à évaluer la faisabilité et le coût d'éventuelles mesures compensatoires, à l'exclusion de toute définition desdites mesures.

M. Philippe Thiévent, directeur de CDC Biodiversité. - Il s'agissait effectivement d'une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et de conseil, préalablement à la réflexion du maître d'ouvrage. Elle n'a jamais conduit à une quelconque implication dans la mise en oeuvre concrète des mesures de compensation, comme ce fut le cas pour l'A65.

M. Laurent Piermont. - Concernant la LGV SEA, CDC Biodiversité n'a aucune implication dans cette opération, sinon que la Caisse des dépôts, via sa direction des investissements, a participé pour une part au financement de la LGV. Mais, sauf erreur de ma part, je ne suis pas informé des montants en jeu. Il me semble que les fonds d'épargne gérés par la Caisse des dépôts ont contribué financièrement, mais je ne saurais l'affirmer.

M. Philippe Thiévent. - CDC Biodiversité est intervenue très en amont de l'attribution de la concession, là encore dans le cadre d'une mission elle-même très en amont pour Réseau ferré de France (RFF), alors que le projet n'avait pas du tout fait l'objet d'une concession. Cette mission d'expertise et d'orientation était donc destinée à l'État, qui était le maître d'ouvrage.

M. Laurent Piermont. - Je souhaiterais rappeler brièvement l'historique de l'implication de la Caisse des dépôts dans les questions de compensation et de biodiversité pour vous permettre de mieux comprendre la raison de notre présence parmi vous.

La Caisse des dépôts a engagé en 2004 une mission de réflexion sur les leviers économiques d'action qu'elle pouvait développer en faveur de la biodiversité. Cette réflexion a abouti, en 2006, à la création de la mission « Biodiversité » de la Caisse des dépôts pour laquelle Philippe Thiévent m'a rejoint. Cette mission a travaillé en étroite concertation avec les associations, le monde scientifique et les services de l'État. C'est en accord avec eux que nous avons orienté notre réflexion en 2006 sur le levier de la compensation, volet de la loi de 1976 qui n'était pas suffisamment respecté. La loi de 1976 a défini le concept : « Éviter, réduire, compenser ».

Les principes généraux qui ont structuré la réflexion avaient pour objectif d'aboutir à des propositions d'actions concrètes, de prendre comme étalon de l'action un étalon écologique et non financier, et enfin, de chercher à concilier économie et biodiversité.

En 2007, la décision a été prise de tester en vraie grandeur un opérateur de compensation. La Caisse des dépôts a donc créé une filiale à 100 % sous la forme d'une société anonyme, forme d'action la plus souple. Il a aussi été décidé de lancer une expérimentation de compensation par l'offre dans la plaine de la Crau, en accord avec l'État. Enfin, a été prévu un test à droit constant de la compensation en faveur de nombreux maîtres d'ouvrages. L'idée était de leur faire prendre conscience que, du fait de l'existence d'un opérateur, tout obstacle serait levé.

Le site de Cossure a été choisi pour réaliser le premier test d'une réserve d'actifs naturels, sur la proposition de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et du ministère de l'écologie. Nous avons accepté ce choix pour trois motifs : un consensus de l'ensemble des acteurs pour faire cesser l'érosion du coussoul, formation végétale exceptionnelle de cette région ; une opération de génie écologique de grande ampleur visant à restaurer un désert en un espace favorable à la faune aviaire, au bupreste de Crau et à tout un cortège d'animaux caractéristiques de cet espace ; une expérimentation institutionnelle en vraie grandeur de l'action d'un opérateur de compensation et de la réalisation d'un site naturel de compensation. La posture de la Caisse des dépôts dans cette opération est encore aujourd'hui celle d'un expérimentateur. L'idée n'est pas de promouvoir plus particulièrement telle ou telle solution, mais de tester son intérêt.

Les tests portent sur l'engagement d'un opérateur à restaurer 357 hectares selon un cahier des charges, à organiser sur le long terme une gestion conservatoire en lien avec le conservatoire des espaces naturels, puis à se porter garant de la vocation écologique de l'espace au-delà des trente ans. L'opération peut être financée par la vente d'unités de compensation à de futurs maîtres d'ouvrage ou à des maîtres d'ouvrage n'ayant pas trouvé les moyens de réaliser leurs obligations de compensation.

Ce droit de proposer ces unités était restreint à une aire de service, c'est-à-dire à des zones de plaines méditerranéennes potentiellement favorables à l'avifaune steppique, situées à côté de la Camargue et des milieux côtiers. Cette aire a été dénommée l'aire de service de la réserve d'actifs naturels.

L'une des conditions pour pouvoir vendre les unités de compensation était que le service instructeur de l'opération en question donne son accord sur l'équivalence écologique. Le fait d'avoir obtenu la validation du site naturel de compensation de Cossure ne donnait aucun droit automatique à vendre les unités de compensation. Il fallait une seconde validation par l'État de l'équivalence écologique entre les destructions opérées par le maître d'ouvrage et les unités de compensation.

S'agissant d'une expérimentation menée avec l'État, la transparence la plus totale a été de mise. Nous avons mis en place un dispositif de suivi entièrement financé par CDC Biodiversité avec le laboratoire d'écologie d'Avignon, la DREAL et le conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), un état des lieux et des rapports d'étape au sein d'un comité de pilotage local et d'un comité de pilotage national.

Après dix ans de réflexion et d'action sur la compensation et sur l'action de CDC Biodiversité, nous constatons que nous obtenons des résultats. De plus, lorsque l'État décide d'autoriser une destruction, nous constatons que la compensation est possible, après évitement et réduction. S'agissant d'un bien public, le cadre réglementaire est évidemment décisif. Il implique l'autorisation, le contrôle, le suivi et éventuellement un registre. Par ailleurs, l'action de compensation ne peut être menée sans concertation étroite avec les acteurs du territoire et doit s'inscrire dans des projets de territoires.

Des débats ont eu lieu autour de la marchandisation et de la financiarisation de la nature, ainsi que de l'appel d'air. Tout d'abord, l'existence de l'opération Cossure n'a en aucun cas été un encouragement à la réalisation d'opérations donnant lieu à compensation. Ensuite, l'achat et la vente portent sur des prestations en vue de réaliser des études, d'effectuer des travaux écologiques. Mais en aucune façon l'écosystème, les outardes ou tout autre bien naturel ne peuvent être achetés ou vendus. Il est donc inexact de parler de marchandisation de la nature.

Je peux parler de la financiarisation, car j'ai notamment créé l'European Carbon  Fund , qui s'est occupé de marchés de crédits CO 2 et de leur transférabilité. C'est un fait, le marché du CO 2 est financiarisé. En revanche, les opérations de compensation concernent une opération pour un maître d'ouvrage et ne sont pas transférables. Elles ne donnent pas matière à financiariser. Les banques n'ont d'ailleurs aucun intérêt à intervenir, sinon pour apporter le fonds de roulement de génie écologique.

Toutefois, dès lors que l'on souhaite éviter toute perte nette, on se met à compter. C'est ce dénombrement de la biodiversité qui gênera toujours l'action. Dès lors que l'on agit pour préserver la biodiversité, la nature ne peut plus être considérée de façon holistique. Il n'y a donc pas marchandisation ni financiarisation mais il y a bien un dénombrement des biens naturels.

CDC Biodiversité va poursuivre son action sur la compensation, mais, depuis que la loi a été votée, en proposant des partenariats et en aidant les futurs opérateurs de compensation, et non en jouant un rôle dominant sur ce secteur.

Enfin, nous continuons à développer de nouveaux leviers sur les services écosystémiques, la biodiversité en ville et le versement volontaire. Ce dernier service fonctionne plutôt bien. À ce propos, nous avons lancé un projet, Nature 2050, premier programme d'adaptation des territoires aux changements climatiques, fondé exclusivement sur un versement volontaire des entreprises qui s'intéressent à l'avenir des territoires où elles sont implantées. L'argent rentre, ce qui est une très bonne nouvelle pour le financement de l'action.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Jetez-vous un regard critique sur les projets pour vérifier que les mesures d'évitement et de réduction ont bien été prises en compte au préalable, y compris lorsque ces projets émanent de l'État ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il s'agit d'une audition-cadre, ce qui signifie que nous reprendrons ultérieurement, lors d'audition spécifiques, chacun des projets sur lesquels vous êtes intervenus. À ce stade, mes questions seront donc plutôt générales.

Nous avons auditionné aujourd'hui un autre opérateur, qui se plaignait de petits budgets. Votre logique est différente, car vous vous inscrivez dans une dynamique plus globale de restauration de la biodiversité. Certains dossiers sont en quelque sorte des vitrines pour drainer d'autres financements dans ce but.

Quel est votre sentiment sur l'état de la connaissance aujourd'hui ? De quelle connaissance s'agit-il ? Où en est-elle ? Est-elle suffisante ? Allez-vous voir à l'étranger ?

Demain, une partie de votre prestation sera-t-elle une prestation d'évitement ? La crainte majeure se situe là. Vos projets entrent-t-ils dans une logique écosystémique plus large, incluant les questions de trame ? Qu'en est-il de leur articulation avec les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire, les SRADDT, et les schémas régionaux de cohérence écologique, les SRCE ?

M. Laurent Piermont . - Je donnerai deux chiffres : la convention sur la diversité biologique évalue en moyenne à 300 milliards de dollars par an les besoins de la biodiversité au niveau mondial. Le Global Canopy Programme estime à 52 milliards de dollars par an les financements actuels de la biodiversité, dont les trois quarts sont d'origine publique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les 300 milliards sont destinés à la restauration.

M. Laurent Piermont . - Ils visent à répondre aux objectifs de Nagoya.

Les chiffres montrent qu'il faut mobiliser le secteur économique pour atteindre les montants nécessaires, car on ne peut tripler, quadrupler ni même décupler les budgets publics. Par ailleurs, il n'est pas absurde de demander à l'activité économique, à la source d'une partie des problèmes, de financer ces besoins.

La bonne nouvelle, selon moi, est que si vous rapportez les 300 milliards aux 70 000 milliards de dollars du produit mondial brut, vous vous situez dans la fourchette habituelle, soit 0,4 %. C'est énorme, mais pour préserver l'avenir du monde vivant dont nous faisons partie, cela me paraît acceptable.

Toute l'action de la Caisse des Dépôts dans la biodiversité repose sur l'idée que l'action fonctionne et qu'il est possible de trouver des leviers économiques pour intégrer de la biodiversité dans les business model des acteurs économiques. Selon l'une de nos études réalisée en 2008, si l'ensemble des maîtres d'ouvrage de France respectaient la totalité de leurs obligations, le coût pour le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) aurait été de 0,4 % du produit brut du BTP, un taux acceptable pour le secteur.

À partir de là, on peut fonder un modèle économique d'acteurs qui interviennent auprès des entreprises ou se trouvent internalisés. On peut classer les activités en trois types.

Les premières dépendent d'une ressource naturelle renouvelable comme l'agriculture, la forêt, la pêche, et visent à préserver les écosystèmes produisant les produits renouvelables. Les leviers sont la certification écologique et le paiement pour la préservation des services écosystémiques.

Les deuxièmes intègrent dans leur activité la destruction de biens naturels de façon définitive. Sont concernées, globalement, la ville et ses extensions. Dans ces cas, il faut éviter, réduire, compenser. Mais la surface de la terre étant finie, on ne peut pas compenser éternellement. Il faut donc restaurer et modifier le plus possible nos modes de construction et d'aménagement pour réduire au maximum les impacts environnementaux.

Les troisièmes ont besoin de la nature, mais sans la consommer ou la détruire. Une grande partie de l'activité touristique n'a pas besoin de détruire les espaces naturels, même si nombre d'activités économiques reposent sur la destruction de certains espaces.

C'est sur ce concept d'activités à biodiversité positive que nous fondons Nature 2050.

Sur l'état de la connaissance, nous avons créé en 2006 la mission « Biodiversité » devenue mission « Économie de la biodiversité », qui est un budget de la Caisse des dépôts travaillant uniquement sur les liens entre économie et biodiversité. Une équipe de quelques personnes agit en ce sens. Nous allons d'ailleurs publier très bientôt une étude sur l'état des lieux de la mise en oeuvre de la compensation écologique, fondée sur une enquête anonyme auprès des services de l'État. Cette étude porte en elle ses propres limites. Nous en avons publié une autre voilà huit mois sur la compensation à l'international qui répond à votre question. Certains ont des idées très bonnes et différentes des nôtres sur la façon de mettre en oeuvre la compensation. Je pense à like for like , à like for unlike . Nous vous transmettrons le résultat de ces travaux.

Nous avons aussi publié des rapports sur la biodiversité et l'économie urbaine ou l'éclairage en ville. Ces travaux ont pour objet d'établir le lien entre l'économie d'un secteur et la biodiversité.

Nos projets s'insèrent-ils dans une logique écosystémique plus large ? Oui, bien sûr.

M. Philippe Thiévent . - La connaissance est-elle suffisante ? Nous agissons sur les mécanismes de compensation, mais à ce stade, il nous paraît important de souligner que, trop souvent, l'absence ou la prétendue absence de connaissances peut être un prétexte à l'inaction. Or, en matière d'ingénierie écologique, il faut agir sans attendre d'avoir toutes les réponses scientifiques. Les scientifiques de l'IMEP, Thierry Dutoit en tête, ont trouvé là une occasion d'expérimenter sur 400 hectares ce qu'ils pratiquaient à l'échelle du mètre carré.

Concernant la restauration des zones humides, nous avons engagé un certain nombre d'initiatives, notamment sur le projet de l'A65. Dans le sud-ouest de la France, à l'inverse de la Crau, qui est sèche et ventée, les milieux sont plus humides. Nous avons donc mis en place pour ces milieux, conformément au cahier des charges, des processus de restauration d'habitats, en imaginant des itinéraires sylvicoles afin de concilier la préservation de certains lépidoptères et un mode de gestion forestière inhabituel. Nous nous sommes aperçus que l'on pouvait arriver à des résultats même sans passer par les méthodes scientifiques usuelles.

Nous avons également des objectifs pour les batraciens et les amphibiens, mais le dispositif était certainement moins adapté à leurs besoins. La sensibilité et la réaction de certaines espèces à l'habitat diffèrent beaucoup d'une espèce à l'autre. Elles sont très fortes pour les insectes, qui vivent dans des territoires souvent restreints, avec des capacités migratoires moins importantes que d'autres groupes taxonomiques.

Le choix de l'espèce, même s'il est guidé par les engagements et les obligations, nous incite, au fur et à mesure de l'avancement de l'expérimentation, à aller chercher la précision, y compris en zones humides.

M. Laurent Piermont . - Les leviers économiques pour agir en faveur de la biodiversité sont très efficaces, mais se heurtent à deux limites. D'abord, ils ne peuvent jamais être considérés comme des budgets, car ils sont nécessairement connectés à un marché dont l'activité est fluctuante. Surtout, ils sont dirigés par leur objet même. Par exemple, si le levier est la restauration du vison d'Europe. C'est cette espèce, et pas une autre, qui va être favorisée. C'est pourquoi ces leviers ne peuvent qu'être complémentaires à l'action publique, chargée de l'intérêt général.

Les principes sont les mêmes pour la connaissance. Dans quinze ans, des opérateurs de compensation se disputeront peut-être le marché de la compensation de telle infrastructure. À moins que l'arrêté préfectoral oblige à effectuer certaines recherches en particulier, la logique de compétition l'emportera.

Avant de lancer l'opération Cossure, nous avons visité les mitigation banks américaines pour nous en inspirer. Nous avons aussi étudié très sérieusement le système allemand des éco-points qui est plutôt performant.

Quant à notre implication dans la séquence éviter, réduire et compenser, CDC Biodiversité a voulu éviter, étant opérateur de compensation, de définir et réaliser les mesures ainsi que, dans la mesure du possible, de se mêler de l'évitement et de la réduction. L'objectif est d'exclure tout éventuel conflit d'intérêts. Pour autant, nous examinons l'opération et en rendons compte auprès d'un comité scientifique, notamment pour vérifier le respect des règles de déontologie internes à la société. Nous pouvons notamment inciter le maître d'ouvrage à progresser sur l'évitement et la réduction.

Nos projets s'insèrent dans une logique systémique plus large, car chaque action menée par CDC Biodiversité s'inscrit dans une étude globale des enjeux écologiques, territoriaux et paysagers. Lorsque nous sommes chargés de restaurer l'espace favorable au vison d'Europe, nous devons raisonner exclusivement en termes de biotopes et d'écosystèmes. Mais à la seconde même où nous commençons à agir, nous intervenons nécessairement chez quelqu'un, ce qui nous oblige à envisager la situation en termes de cadastre, de foncier, de schémas d'aménagements. Toute la difficulté de l'exercice est d'intégrer des infrastructures écologiques favorables aux espèces protégées dans les aménagements humains.

Mme Sophie Primas. - Vous commercialisez les produits de vos expérimentations. Pour quel pourcentage ? Qui sont vos acheteurs ? Quelle est leur philosophie ? Êtes-vous vraiment le dernier recours ou un moyen de faire un appel d'air ? Enfin, quelle est la nature de l'opération Nature 2050 ? S'agit-il d'une fondation ?

M. Laurent Piermont . - CDC biodiversité mène plusieurs dizaines d'opérations de compensation à la demande, à droit constant, et une expérimentation avec l'État à Cossure, dont aucune n'a créé d'appel d'air.

Il s'agissait tout d'abord de mettre en oeuvre au profit d'une zone d'aménagement des mesures compensatoires qui avaient été fixées par un arrêté préfectoral de 1997, donc bien avant l'installation de Cossure. Les autres opérations concernées sont une plateforme logistique, des activités industrielles à Saint-Martin-de-Crau et l'extension à venir d'une infrastructure aéroportuaire préexistante. Nous avons un client exceptionnel, la société du pipeline sud-européen (SPSE), depuis l'éclatement du pipeline à 800 mètres de Cossure à la suite duquel l'État a demandé des mesures compensatoires, dont l'achat de dix unités de compensations.

M. Philippe Thiévent . - Il s'agit en l'espèce, non d'un projet d'aménagement, mais de mesures de réparation mises en oeuvre sur le lieu de l'accident. Compte tenu des hectares dégradés, les expérimentations menées depuis deux ans à Cossure ont pu être directement mises en oeuvre pour une efficacité maximale.

M. Laurent Piermont . - À la fin de 2016, 165,5 unités de compensation ont été utiles à des maîtres d'ouvrage, soit 46,3 % de ce qui était à vendre. Il nous en reste 191,5. En huit ans, nous n'avons donc pas vendu la totalité des unités de compensation et plusieurs projets ont été élaborés qui n'ont pas fait appel à Cossure.

Sur le plan économique, je suggérerai aux futurs maîtres d'ouvrage de sites naturels de compensation de réaliser des études de marché très précises. À Cossure, nous bénéficions d'un budget de 12,5 millions d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - D'investissement ?

M. Laurent Piermont . - Cet investissement correspond aux engagements pris par CDC Biodiversité, à savoir l'acquisition du terrain, les travaux de restauration et l'ensemble de la gestion sur trente ans.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Tout cela vaut 12,5 millions d'euros ?

M. Laurent Piermont . - 12,5 millions d'euros en valeur 2008. On constate une dérive des prix, puisque le tarif de vente, qui était de 35 000 euros en 2008, a atteint 44 000 euros. J'insiste, cette opération est non pas commerciale, mais expérimentale. Il a été décidé de ne pas retenir un prix fixe pour inciter à l'action.

Si l'État et la Caisse des Dépôts se sont lancés dans cette expérimentation, c'est principalement pour que la compensation ait lieu avant la destruction. Ce point est capital pour les outardes, qui ne seront pas sans abri en attendant les mesures compensatoires !

La cohérence écologique présente également une grande importance. Enfin, le contrôle des opérations est très facile pour les services de l'État, qui ne sont pas confrontés à une multitude de maîtres d'ouvrage dont certains pourraient ne pas rendre leur rapport ou se trouver dans une situation financière délicate.

Le modèle économique est satisfaisant, puisque les calculs se révèlent justes, avec des recettes supérieures aux dépenses à condition de vendre la totalité des unités. L'opération de Cossure est emblématique, mais peut-être avons-nous collectivement privilégié la qualité de l'opération sur l'aspect marketing.

Nous avons décidé de lancer le projet Nature 2050 juste après la COP21. L'humanité, en décidant de limiter à deux degrés la hausse des températures, a de fait accepté cette hausse. Or les conséquences écologiques seront considérables, même en France. Par conséquent, outre l'impératif de réduction des émissions de CO 2 , il convient d'agir maintenant pour aider les territoires agricoles, naturels et forestiers à s'adapter. L'humanité a, dans son optimisme bien connu, décidé d'imposer une accélération aux écosystèmes, ce qui entraînera inévitablement un certain nombre de désordres. L'objectif de Nature 2050 est d'atténuer ces désordres grâce à des actions sur les forêts, l'agriculture, la restauration de zones humides, l'introduction d'espaces naturels en ville.

J'en viens à la trame verte et bleue. Nous proposons à des entreprises d'agir dans les territoires où elles sont implantées, ce qui nous a permis de recueillir des sommes très importantes.

Mme Sophie Primas . - Sans avantages fiscaux ?

M. Laurent Piermont . - Tout à fait, pour éviter la contribution du contribuable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Accompagnerez-vous demain les régions dans le travail colossal de définition de la trame verte et bleue ? Pourrez-vous mettre à profit votre expertise au service des régions pour les aider à identifier les verrous à restaurer pour assurer la continuité de la trame ?

M. Laurent Piermont . - L'accompagnement des collectivités est l'une des missions traditionnelles de la Caisse des Dépôts et de ses filiales. Agir et investir en faveur de la réalisation de la trame fait partie de nos missions. En revanche, CDC Biodiversité ne souhaite pas devenir un bureau d'études écologiques. Elle préfère faire appel à d'autres intervenants compétents, locaux ou régionaux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous déjà repéré des verrous de continuité sur lesquels il serait intéressant d'intervenir à nouveau ?

M. Laurent Piermont . - Nous en repérons en permanence, mais il faut distinguer le verrou et le lieu de priorité. La doctrine française a préféré porter la priorité sur le local, quand d'autres pays ont mis l'accent sur le like for unlike . Pour répondre précisément à votre question, nous devrons agir rapidement sur certains noeuds autoroutiers.

M. Philippe Thiévent . - La mission de la Caisse des Dépôts est d'incuber des métiers et de développer des solutions. Elle accompagne les collectivités grâce à son expertise écologique, afin de les aider à acquérir ce savoir-faire. Cet accompagnement passe par un partenariat financier privilégié et l'identification de solutions économiques pérennes qu'un opérateur s'engagera à mettre en oeuvre. Il est vraiment important que ces actions s'inscrivent sur le long terme, mais cela soulève la question des ressources pour y parvenir. Les acteurs économiques qui y trouvent leur intérêt contribueront à l'entretenir. Notre pôle recherche travaille en ce sens en vue de l'intérêt général.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous attendons les deux études promises, au coeur de notre commission d'enquête. Je suis un peu surprise que seulement 47 % des unités aient été vendues. La compensation n'est sans doute pas suffisamment mise en oeuvre aujourd'hui mais la loi relative à la biodiversité devrait permettre d'améliorer la situation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . -Pourriez-vous nous communiquer tous les rapports que la CDC Biodiversité à produits sur les dossiers étudiés par la commission d'enquête ?

M. Philippe Thiévent . - Concernant la LGV, notre rapport est ancien. Il était destiné à l'époque à RFF. Nous avons effectivement publié un certain nombre de rapports d'études et de réflexions sur cette question de l'additionnalité et de l'équivalence écologique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il est très utile de remonter en amont pour comparer les diagnostics posés et les actions ultérieures.

M. Laurent Piermont . - J'imagine que vous souhaitez l'exhaustivité de nos productions, mais le volume de ces publications est très abondant. Nous pourrions vous les envoyer sous format électronique et vous indiquer les passages les plus utiles à votre mission.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il est extrêmement important que ces documents restent confidentiels, car ils sont internes à la commission d'enquête. En cas de fuite, nous pourrions nous-mêmes être sanctionnés au titre du code pénal.

M. Laurent Piermont . - Nous avons encore quelques réponses factuelles à vous communiquer.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous pourrez le faire par écrit.

M. Philippe Thiévent . - Nous informerons les maîtres d'ouvrage des projets en question.

M. Laurent Piermont . - Pour l'A65, notre vision des mesures compensatoires est très complète, mais elle est très partielle concernant l'ensemble de l'opération. Il serait plus pertinent d'interroger le maître d'ouvrage lui-même sur cette question.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ce sera fait aussi !

Messieurs, nous vous remercions de ces éléments d'information.

Audition de Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale et déléguée interministérielle au développement durable du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer
(jeudi 22 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Cette commission d'enquête s'intéresse à l'efficacité et l'effectivité des mesures de compensation, mais également à l'ensemble de la séquence « éviter, réduire, compenser », dite séquence ERC. Au-delà d'une vision générale, quatre projets d ' infrastructures vont être spécifiquement étudiés : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux, le projet d ' aéroport à Notre-Dame-des-Landes et, enfin, la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d ' aujourd ' hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

J ' en viens à notre première réunion de la journée.

Nous entendons ce matin Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale et déléguée interministérielle au développement durable du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Elle est accompagnée de Mme Ophélie Darse, adjointe au chef du bureau des biens publics globaux, de M. Valéry Lemaitre, chef du bureau des infrastructures, des transports et de l'aménagement, et de Mme Frédérique Millard, adjointe au chef du bureau des infrastructures, des transports et de l'aménagement.

Les membres de notre commission d'enquête connaissent le Commissariat général au développement durable, le CGDD, qui est une structure transversale ayant pour vocation d'intégrer le développement durable tant au sein des politiques publiques que dans les actions de l'ensemble des acteurs socio-économiques. Il a, à ce titre, publié un grand nombre de revues et de documents, dont certains ont trait à la compensation des atteintes à la biodiversité ou encore à la séquence ERC.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d ' enquête, demander à Laurence Monnoyer-Smith de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit jusqu'à cinq ans d ' emprisonnement et 75 000 euros d ' amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Laurence Monnoyer-Smith prête serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Madame, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions, puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Vous avez la parole.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Mesdames, messieurs les sénateurs, mon propos liminaire reprendra les éléments qui me semblent les plus saillants à l'aune des questions que vous m'avez adressées.

Je dresserai un panorama de l'état actuel de nos travaux, du rôle joué par le Commissariat général au développement durable dans la définition et la mise en oeuvre de la séquence ERC ; je soulignerai les progrès réalisés depuis l'introduction de cette séquence, au travers de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ; j'évoquerai, enfin, quelques enjeux aujourd'hui importants.

Les impacts d'un projet sur l'environnement ont fait l'objet d'une réglementation dense.

L'introduction de la séquence « éviter, réduire, compenser » par la loi du 10 juillet 1976 a constitué une véritable innovation tant en France qu'en Europe. Depuis, ce principe a été intégré dans la législation européenne au travers de directives traitant de l'évaluation environnementale des plans et programmes - à partir de 2001 -, puis des projets - à partir de 2011. La transposition de ces textes en droit national constitue un cadre majeur de mise en oeuvre de la séquence.

Celle-ci dépasse, d'ailleurs, la seule préservation des espèces protégées. Son périmètre, relativement large, englobe également la biodiversité ordinaire, le bruit, la qualité de l'air et la pollution.

Au fil des années, la mise en oeuvre de cette séquence ERC a nécessité un travail important d'accompagnement méthodologique - nous y reviendrons, car cette dimension est au coeur du rôle du Commissariat général au développement durable. Ce travail a été réalisé dans le cadre de la mise en oeuvre des études d'impact, avec la publication, en 1996, du guide établi par le service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements (SETRA) sur l'étude d'impact des infrastructures de transport. S'y est ajouté un guide du ministère de l'environnement sur l'étude d'impact en 2000, puis un guide du Commissariat général au développement durable portant sur l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme.

Nous avons constaté un certain nombre de difficultés et d'insuffisances dans la mise en oeuvre de la séquence ERC.

Au vu des éléments fournis dans les études environnementales, la question de l'efficacité, en particulier des mesures compensatoires, pose quelques problèmes. Force est de constater que les obligations des porteurs de projet relatives à ces mesures compensatoires n'ont pas toujours été remplies.

Il existe plusieurs causes à cela, la première étant le manque de connaissances et de compétences, notamment au moment de l'introduction de cette séquence dans l'ensemble des textes de loi, de la part des maîtres d'ouvrage, mais aussi des bureaux d'études qui les assistent.

Nous avons aussi mesuré combien nous étions limités en termes d'outils et de méthodologies partagés - je reviendrai sur le sujet, notamment sur les difficultés rencontrées par les services de l'État lorsqu'ils sont confrontés à la mise en oeuvre de la part des bureaux d'études de méthodologies extrêmement différentes.

À la suite de ce constat, le ministère a lancé des travaux destinés à améliorer la mise en oeuvre de la séquence ERC.

Parallèlement à la réflexion sur la réforme des études d'impact, le Commissariat général au développement durable a donc été chargé d'organiser un comité national de pilotage, dont il assure également le secrétariat. Cette instance a pour mission d'élaborer, avec l'ensemble des parties prenantes - ONG environnementales, bureaux d'études, administrations, maîtres d'ouvrage, etc. -, une vision commune des actions à mener sur cette séquence.

En 2014, dans le prolongement des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, un groupe de travail, présidé par M. Romain Dubois, sur l'amélioration de la séquence ERC a formulé un certain nombre de recommandations opérationnelles, que le Commissariat général au développement durable s'est attaché à mettre en oeuvre. Ce travail, qui n'est pas achevé, préfigure ce que nous appelons de nos voeux, à savoir la création d'un centre de ressources sur la séquence.

Le comité national de pilotage, lancé en 2010, a encadré et coordonné des travaux ministériels sur la mise en oeuvre de la séquence. Il a notamment permis la production de documents essentiels, tels que la doctrine et les lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels, publiées en 2012 et en 2013. Dans ce cadre, l'accent a été mis sur le fait qu'il s'agissait bien d'une séquence complète, ne se réduisant pas à la seule mise en oeuvre de mesures compensatoires.

Parallèlement, le comité de pilotage a suivi l'expérimentation de l'offre de compensation engagée en 2011 et ayant permis la mise en oeuvre de quatre sites naturels de compensation par la CDC biodiversité, EDF, le conseil départemental des Yvelines et l'entreprise Dervenn.

Enfin, il a travaillé sur la question du manque d'information et de l'engagement des bureaux d'études. Une charte d'engagement volontaire des bureaux d'études a été élaborée afin d'améliorer la qualité des travaux fournis par ces acteurs, en appui de la maîtrise d'ouvrage. Aujourd'hui, une centaine de bureaux d'études, environ, se sont engagés volontairement dans le suivi de cette charte.

Ces travaux ont permis de s'orienter vers une amélioration de la mise en oeuvre de la démarche, grâce à des retours d'expériences entre acteurs, au développement de méthodologies ou encore à l'expérimentation de nouvelles solutions de compensation.

Ce triptyque est encore perfectible, notamment s'agissant de la mise en oeuvre et du suivi des mesures, ce qui explique le renforcement de la règlementation par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

C'est aussi dans le sillage des réalisations du comité de pilotage que le groupe de travail présidé par M. Romain Dubois, de l'entreprise SNCF Réseau, a été lancé.

Ces travaux, démarrés en septembre 2014, à la demande de la ministre de l'écologie et, comme je l'indiquais, dans le prolongement des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, visent à élaborer des propositions concrètes relatives à la mise en oeuvre de la séquence. De novembre à décembre 2014, le Conseil général de l'environnement et du développement durable a assuré leur pilotage, puis la rédaction d'un rapport contenant des propositions concrètes d'amélioration, présenté à la ministre et aux parties prenantes lors de la réunion du Conseil national de la transition écologique du 6 janvier 2015.

Ce rapport, particulièrement orienté vers des améliorations concrètes, formule six groupes de propositions : assurer le partage de la connaissance pour tous pour aller vers un centre de ressources ERC ; intensifier et déployer la formation de l'ensemble des acteurs de la séquence et favoriser l'émergence d'études d'impact de qualité ; pour un même projet, mutualiser et articuler les mesures ERC propres aux différentes réglementations ; rendre plus lisible la chronologie de la démarche, son articulation entre toutes les phases d'un même projet ; développer des éléments méthodologiques sur la compensation ; mutualiser et articuler les mesures compensatoires de différents projets.

Chacune de ces propositions se décline en actions concrètes, dont beaucoup ont été mises en oeuvre par le Commissariat général au développement durable, en liaison étroite avec ses partenaires.

Je citerai notamment l'outil de géolocalisation des mesures compensatoires, aujourd'hui encadré par l'article 69 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La mise en place de cet outil, qui s'articule d'ailleurs avec celle d'un outil spécifique pour la gestion des études d'impact, constitue pour nous une avancée extrêmement importante pour pallier les difficultés que nous rencontrons actuellement au niveau du suivi de ces mesures.

Je mentionnerai également la création et le déploiement d'actions de formation nationales à l'attention des services de l'État - d'intenses efforts ont été fournis en ce sens -, la mise en place de la charte d'engagement volontaire des bureaux d'études précédemment évoquée et, enfin, le lancement de plusieurs études sur les questions méthodologiques.

J'en citerai plusieurs exemples : une étude de déclinaison des lignes directrices nationales ERC au secteur des carrières ; une étude sur la nomenclature et la classification des mesures ERC et de leur accompagnement ; une étude sur les typologies des méthodes de dimensionnement des mesures compensatoires ; une étude capitalisant sur l'expérience acquise à partir du suivi d'un certain nombre de projets et proposant des fiches méthodologiques.

Toutes ces études ne sont pas achevées, à l'image d'une étude de capitalisation actuellement en cours, qui repose sur un échantillonnage de 110 projets s'échelonnant entre 2008 et 2014. Celle-ci nous donne des indications importantes - les seules de niveau national dont nous disposons aujourd'hui - sur les coûts, la mise en oeuvre de la séquence, l'intensité des mesures d'évitement, de réduction et de compensation par la maîtrise d'ouvrage.

Quelles suites donner à tout cela ? Comme vous pouvez le constater, nous ne cherchons pas ici à tenir un discours angélique ; nous voulons montrer que nous sommes sur une trajectoire de perfectionnement dans la mise en oeuvre de cette séquence ERC, de développement d'outils de méthodologie et d'outils, destinés aux services, d'appui au suivi de ces mesures. Nous sommes conscients, à la fois, de l'enjeu et de la perfectibilité de la mise en oeuvre de la séquence.

Toutefois, les avancées réalisées depuis 2010, avec la mise en place du comité de pilotage, les réalisations du groupe de travail, l'implication du Commissariat général au développement durable dans la mise en oeuvre des recommandations formulées par ce dernier, nous permettent d'envisager un renforcement des obligations de mise en oeuvre de la séquence ERC.

C'est ce qui a été fait dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Un certain nombre de principes majeurs, qui, jusqu'à présent, n'apparaissaient que dans la doctrine nationale, ont été réaffirmés et, surtout, inscrits dans la loi : l'objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité ; l'obligation de résultat ; l'obligation de pérennité et d'effectivité durant toute la durée des impacts ; la proximité fonctionnelle des mesures par rapport à l'impact ; la non-autorisation du projet, en l'état, si les atteintes qui lui sont liées ne peuvent être ni évitées ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante.

La loi fixe donc des objectifs extrêmement ambitieux. Il s'agit maintenant, pour les services de l'État, d'en assurer la mise en oeuvre et d'accompagner les porteurs de projet afin d'améliorer l'application de la séquence ERC. La réalisation de l'obligation de résultat et de l'obligation de suivi constitue un enjeu extrêmement important pour ces services, qui, à ce jour, ne sont pas encore totalement équipés pour répondre à ces objectifs, mais qui s'y emploient résolument.

À nos yeux, parmi les enjeux majeurs liés à la séquence ERC, se trouve la question de l'assurance de la pérennité des mesures compensatoires sur toute la durée des impacts : cette pérennité doit être garantie sur un temps long, ce qui nécessite stabilité, capitalisation et accès à la mémoire. Cela explique le développement de l'outil de géolocalisation des mesures compensatoires, qui a vocation à être complété par la suite : il devrait permettre une capitalisation d'informations sur la nature de ces mesures, de la maîtrise d'ouvrage qui les porte, etc.

La remontée des données, je tiens vraiment à le souligner, est une question essentielle, son organisation exigeant des efforts très importants de la part des services de l'État. Cette problématique dépasse d'ailleurs les données liées à la biodiversité : nous avons, plus largement, à organiser la remontée de l'ensemble des données afférentes aux études d'impact. Le système étant totalement dématérialisé, l'enjeu technique est fort et ce sont deux ans de travail, environ, qui seront nécessaires pour mener le projet à bien.

Autre enjeu majeur, l'anticipation de la compensation. Comme je l'ai indiqué, il faut se focaliser sur la totalité de la séquence, et non seulement sur les mesures compensatoires. Plus l'anticipation de la maîtrise d'ouvrage est importante, plus celle-ci est capable d'intégrer en amont ce qui relève des mesures d'évitement et de réduction, et plus elle est apte à définir concrètement les mesures compensatoires qui devront être mises en oeuvre, parfois, d'ailleurs, de manière très anticipée par rapport à la réalisation du projet.

Cette dimension, essentielle, exige un travail d'accompagnement de la part des services, y compris en amont du dépôt des demandes d'autorisation. C'est pourquoi il nous paraît important d'impliquer l'ensemble des bureaux d'études et de mobiliser tous les services déconcentrés de l'État.

Nous voyons un troisième enjeu dans la capacité à assurer une prise en compte globale des impacts du projet. Les questions de méthodologie, qui ont été soulevées à plusieurs reprises par le comité de pilotage et par le groupe de travail, prennent ici tout leur sens. Cette prise en compte globale, qui s'inscrit dans la lignée de la réforme de l'évaluation environnementale, mais aussi de la vision européenne - l'approche par projet d'ensemble est préférée à l'approche par type d'autorisations -, nécessite effectivement de développer une méthodologie particulière pour évaluer les impacts, les biotopes qu'ils affectent et la façon de calculer les unités de compensation, pour les impacts résiduels qui n'auraient pu ni être évités, ni être réduits.

Enfin, la difficulté à compenser effectivement les atteintes à la biodiversité ne doit pas faire de cette compensation la solution première au traitement des impacts de projet. Nous sommes particulièrement attachés à ce point, comme le montre la dernière réunion du comité de pilotage, et travaillons, en conséquence, sur la question de l'évitement. Comment lui donner toute sa place ? Comment faire en sorte que cette dimension soit correctement renseignée par la maîtrise d'ouvrage, afin d'en faciliter le suivi ?

Dès le premier semestre 2017, nous nous emploierons à l'organisation d'un séminaire sur la phase d'évitement, afin de mettre en lumière les bonnes pratiques, inviter les maîtres d'ouvrage à bien renseigner cette étape et à valoriser les comportements vertueux dans ce domaine.

M. Ronan Dantec , rapporteur. - Je suis impressionné par votre plan de travail et par le nombre de rapports supplémentaires que nous aurons à lire.

J'aurai tout d'abord deux questions d'ordre général. L'État déploie-t-il une véritable approche croisée entre les enjeux de biodiversité et les autres enjeux d'aménagement liés aux infrastructures ? Par ailleurs, selon la loi, si un maître d'ouvrage oublie de mettre en oeuvre les mesures compensatoires qu'il s'est engagé à déployer, l'État peut se substituer à lui et, par la suite, lui envoyer la facture. Vous êtes-vous saisis de cette question, notamment sous l'angle méthodologique ?

Au-delà de ces aspects généraux, pouvez-vous évoquer les projets ciblés par notre commission d'enquête ? Avez-vous travaillé spécifiquement sur ces projets ? Quelle est votre position à leur égard ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - S'agissant de la façon dont les services de l'État travaillent, ceux-ci disposent d'un outil d'intégration à travers l'étude d'impact, qui leur offre une vue d'ensemble, allant, d'ailleurs, bien au-delà des questions liées à la biodiversité. Le travail que les services déconcentrés mènent, avec la maîtrise d'ouvrage, sur l'ensemble de la séquence est donc de nature à leur permettre d'avoir un regard complet sur le dossier.

En outre, les réformes de l'évaluation environnementale, de l'autorisation environnementale unique et de l'étude d'impact des projets mettent en avant une approche par projet, au détriment d'une approche par autorisation qui avait tendance à encourager un travail en silo. Nous avions parfaitement conscience que cette approche par projet, en particulier dans le cadre du permis unique, permettrait une meilleure organisation du travail.

Autre point intéressant, les demandes que, du coup, les services déconcentrés formulent concernant les outils de remontée de l'ensemble des données des études d'impact ou de géolocalisation des mesures compensatoires vont également dans le sens d'une meilleure intégration.

Par conséquent, nous progressons. Je ne nie pas l'existence d'une certaine culture - certains services travaillant sur l'autorisation « espèces protégées » ou sur d'autres types d'autorisations ont pu, de par l'organisation même du système, développer une vue quelque peu focalisée -, mais nous sommes aujourd'hui beaucoup mieux armés pour « dé-siloter » le travail.

L'action de formation que j'évoquais précédemment visait aussi à attirer l'attention, au niveau des acteurs des collectivités locales, sur la nécessité de ce travail transversal.

Au moment de la définition des mesures ERC, lorsque le maître d'ouvrage dépose son dossier, le balayage se fait désormais de manière beaucoup plus approfondie. Voilà pourquoi je suis assez confiante sur le fait que nous progressons.

S'agissant du rôle du préfet, celui-ci dispose désormais, au titre de la loi, d'importants pouvoirs de contrôle, notamment d'une possibilité, radicale, d'arrêter le projet si les atteintes sont de très grande ampleur.

Sont prévues des procédures administratives et, éventuellement, en cas de manquements graves, des procédures judiciaires. Je citerai les mises en demeure, les consignations de sommes, les suspensions de travaux, les fermetures ou suppressions d'installations et d'ouvrages, et les amendes. En particulier, la circulaire du 12 novembre 2010 relative à l'organisation et la pratique du contrôle par les services et établissements chargés de mission de police de l'eau et de la nature mentionne très clairement l'existence de procédures d'envoi de courriers de rappel, de rédaction de procès-verbaux et de mises en demeure.

La législation ayant été clairement renforcée, il est maintenant important que le suivi soit effectivement réalisé - annuellement dans les cinq premières années, puis tous les cinq ans -, mais les services de l'État font état de la quantité de travail que cela représente.

En tout cas, la législation est en place pour que ce suivi puisse être assuré.

Je vais maintenant aborder les quatre opérations qui vous intéressent. Je précise que le Commissariat général au développement durable ne joue pas de rôle opérationnel dans ces projets, puisque la définition des mesures d'évitement et de compensation est réalisée localement par les services déconcentrés de l'État. Nous jouons simplement un rôle d'appui ou de conseil, notamment en ce qui concerne la méthodologie.

En ce qui concerne l'autoroute A65, les impacts « résiduels » - ce terme doit être compris littéralement - ne sont pas négligeables : traversées de cours d'eau, l'un d'eux étant notamment bordé d'une aulnaie-frênaie particulièrement riche en biodiversité, de secteurs humides en bon état ; 5 espèces végétales et 48 espèces animales sont impactées, dont le vison d'Europe ; rupture d'un corridor de déplacement des chiroptères.

Les arrêtés ministériels d'autorisation ont défini les mesures de compensation, avec la restauration de 1 372 hectares et la gestion conservatoire de ces terrains sur toute la durée de la concession, soit 52 ans, ce qui représente un suivi très important pour les services de l'État. Le délai de mise en oeuvre était fixé à 4 ans. Un comité de suivi a été créé pour accompagner la mise en place des mesures compensatoires et attribuer des enveloppes financières pour l'application de certains plans d'action nationaux ou régionaux en faveur des espaces impactés.

Nous savons que le concessionnaire a rencontré un certain nombre de difficultés pour la mise en oeuvre des mesures de compensation, notamment la sécurisation de l'ensemble des surfaces de compensation. Le dossier du porteur de projet demandait la recherche d'une superficie de sites de compensation de près de 6 000 hectares cartographiés le long de l'infrastructure. Le concessionnaire a fait appel à CDC Biodiversité comme prestataire. Nous n'intervenons pas directement, mais mettons en place les outils nécessaires au suivi sur 52 ans, avec toute la problématique de l'archivage.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qui est ce « nous » ? S'agit-il de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou du Commissariat général au développement durable ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Le Commissariat général au développement durable assure la maîtrise d'ouvrage pour l'ensemble des services déconcentrés de l'État, afin de mettre en place un outil qui corresponde à leurs besoins. Nous avons réalisé une étude, en constituant des groupes de travail pour essayer de comprendre quels types de données ils utilisent, où les récupérer, comment les faire remonter, etc. Les personnes présentes autour de moi aujourd'hui sont directement impliquées dans la réalisation de cet outil de géolocalisation.

J'ajoute que le Commissariat général au développement durable assure la tutelle de l'Institut national de l'information géographique et forestière : nous disposons ainsi de l'outil cartographique qui permet la géolocalisation la plus précise possible.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous disposez donc de documents élaborés ...

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Nous disposons des états d'avancement de la mise en place de cet outil. Nous avons utilisé un designer de services pour répondre au mieux aux besoins des DREAL. La mise en oeuvre de la séquence ERC, en particulier avec la mise en oeuvre de la loi sur la biodiversité, s'est traduite par une augmentation importante du nombre des dossiers. Nous restons attentifs au fait que les services déconcentrés de l'État ont besoin d'un appui.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Votre travail va nous être précieux.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - La LGV, quant à elle, traverse de nombreux habitats naturels d'espèces protégées, des cours d'eau et des zones humides. La société concessionnaire, LISEA, doit mettre en oeuvre les mesures compensatoires prévues dans les arrêtés de dérogation au régime de protection des espèces protégées. La dette compensatoire mutualisée totale - s'ajoutent en effet les compensations au titre de la loi sur l'eau et de Natura 2000 - a été estimée à 3 500 hectares par la maîtrise d'ouvrage. Un comité de suivi interdépartemental placé sous la présidence du préfet de région accompagne la mise en oeuvre des mesures de compensation, sa dernière réunion a eu lieu le 12 décembre 2016.

Pour ce seul projet, 195 dossiers de compensation ont été instruits par les DREAL des régions Centre-Val de Loire et Nouvelle Aquitaine : c'est une bonne illustration de la quantité de travail que je viens d'évoquer. Les moyens humains du service du patrimoine naturel des DREAL sont donc fortement mobilisés.

Les services instructeurs ont alerté la maîtrise d'ouvrage sur le retard pris dans le respect du calendrier, en particulier pour les espèces protégées. En effet, d'après l'arrêté de dérogation, l'essentiel des compensations aurait dû être réalisé avant décembre 2014.

En 2015, la société LISEA a voulu substituer des mesures d'investissement à une partie des mesures compensatoires surfaciques, parce qu'elle ne parvenait pas à sécuriser cette compensation. Ces investissements visaient à réduire la mortalité du vison d'Europe sur les routes, en aménagent des ouvrages d'art routiers répartis sur les bassins versants. À la suite de cette proposition, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a émis un avis défavorable à la révision de l'arrêté ministériel.

En 2016, les DREAL ont organisé des séances de travail pour trouver des solutions en vue d'un réexamen de ce dossier par le comité permanent du CNPN. Ces réunions étaient très ouvertes, puisque des ONG étaient présentes. Le 6 juillet 2016, le CNPN a formulé un avis favorable sous réserve et un arrêté ministériel modificatif est en cours de rédaction pour établir les nouvelles conditions de réalisation de la dette compensatoire en ce qui concerne, notamment, le vison d'Europe.

En ce qui concerne Notre-Dame-des-Landes, le Commissariat général a joué un rôle très limité : il est intervenu en appui de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour le traitement du contentieux européen, notamment sur l'évaluation des mesures de compensation pour les zones humides. Je pourrai vous fournir, si vous le souhaitez, tout l'historique des mesures compensatoires concernant ce projet.

Nous avons joué un rôle plus important pour la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau, la réserve des Coussouls, puisqu'il s'agit d'une expérimentation. Cette opération, proposée dans le cadre du groupe de travail, concerne une offre de compensation ; elle est menée depuis 2008 par CDC Biodiversité. Un comité local de suivi a été mis en place par les services du Commissariat général au développement durable, de la DREAL et l'ensemble des parties prenantes. Un certain nombre de réunions du comité local ont permis de définir les contours de l'expérimentation et le suivi a été particulièrement intense : on a cherché à évaluer le cadre méthodologique et à lancer de nouvelles opérations. Le site est au coeur d'un réseau Natura 2000, avec des habitats d'oiseaux, ainsi qu'un habitat naturel européen prioritaire. L'opération ne vise pas à compenser une perte au niveau de la réserve en tant que telle, mais de l'ensemble des habitats des diverses espèces protégées. Aujourd'hui, à mi-parcours, 357 hectares de coussoul ont été restaurés. Les indicateurs de suivi révèlent des résultats relativement bons, puisque 46 % des unités ont été vendus aux aménageurs.

Nous pourrons éventuellement vous donner plus de détails.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Effectivement, de nouveaux échanges peuvent se faire par écrit.

M. Rémy Pointereau, vice-président . - Vous avez évoqué le problème de l'efficacité des mesures compensatoires et noté le manque de compétences et de connaissances des maîtres d'ouvrage qui engagent les projets. Qui détient les compétences pour mettre en oeuvre ces compensations ? Nous avons auditionné hier Jean-Philippe Siblet, directeur du service du patrimoine naturel du Muséum, qui est un scientifique plutôt pragmatique. À l'entendre, j'ai le sentiment que la biodiversité n'est pas une science exacte.

Le programme que vous évoquez est très administratif et rigoureux. Par ailleurs, la loi a placé la barre si haut que l'on n'atteindra jamais les objectifs affichés. Si l'on doit tout respecter, on ne pourra plus construire une seule infrastructure, ou alors, ce sera très difficile.

On sait bien que les compensations artificielles ne fonctionnent pas non plus. Ne peut-on pas faire preuve de bon sens et de pragmatisme ? Quand j'entends le nombre d'études à faire, qui viennent alourdir le coût des projets, cela ne fait que les rendre encore plus infaisables.

Vous avez parlé de perfectibilité, cela me rassure. Tout est perfectible, mais il y a tellement de contraintes qu'il paraît difficile de faire aboutir les projets.

M. Daniel Gremillet . - A-t-on réalisé des études d'impact sur les conséquences des mesures de compensation ?

Pour être plus clair : un ouvrage « consomme » de l'espace, agricole ou forestier. L'impact forestier est limité, puisque la loi impose de compenser le défrichement d'une surface par le reboisement d'une surface équivalente. En revanche, il n'y a pas de compensation pour le secteur agricole. Chaque fois qu'un ouvrage est construit et qu'une compensation intervient, comme la terre n'est pas extensible, le reste du territoire subit des conséquences, il faut augmenter la productivité des terres agricoles restantes et l'on observe parfois des atteintes à la biodiversité.

Je pensais qu'on avait atteint le maximum de ce qui peut être fait. Or vous nous avez dit que beaucoup reste à faire. Pouvez-vous nous donner des exemples de ce qui reste à faire ?

M. André Trillard . - Ma première question porte sur la pérennité de la connaissance des mesures compensatoires. Il y a 22 ans, l'administration que vous représentez a publié une liste des établissements classés. Dans ma petite commune, deux des établissements figurant sur cette liste étaient fermés respectivement depuis 1973 et 1932 ! Cela prouve que l'administration centrale n'est pas capable de gérer sur le long terme ce type d'informations.

Il me semblerait plus intéressant d'obliger le préfet, lors d'une révision du plan local d'urbanisme, d'indiquer dans le « porter à connaissance » la localisation des territoires concernés par des mesures compensatoires et la nature de ces mesures. Faisons davantage de pragmatisme dans toutes ces procédures : il faut que les territoires de mesures de compensation soient connus dans la durée au niveau local.

Il y a un deuxième point que j'aimerais voir pris en compte. Je suis vétérinaire de formation et je peux vous dire qu'il n'existe pas d'obligation de résultat concernant le vivant. On peut envisager une obligation de moyens, mais l'obligation de résultat n'a pas de sens, parce qu'elle fait fi des circonstances extérieures non liées au projet.

Permettez-moi enfin quelques remarques au passage. Si j'étais opposant à un projet d'équipement, je ferais de l'élevage d'espèces protégées que j'irais disperser sur les territoires. Vous auriez peut-être la niaiserie d'accepter que leur présence soit millésimée... Enfin, dans tout ce que vous décrivez, c'est la régularité des procédures qui va être jugée par l'administration ou la justice, et jamais la réalité des projets, sauf si l'on a affaire à des personnes pragmatiques ! C'est le reproche que j'adresse à l'ensemble du secteur public.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - M. Pointereau a posé la question de l'appréciation de l'efficacité des mesures compensatoires. Lorsque j'ai parlé du manque de compétences de la maîtrise d'ouvrage, je tiens à souligner que les services déconcentrés de l'État n'adoptent pas une démarche de sanction, mais d'accompagnement : c'est bien la philosophie que nous essayons de développer. Il ne s'agit pas d'adopter une approche radicale, mais de travailler avec la maîtrise d'ouvrage pour lui faire prendre conscience de l'importance de la séquence ERC et de la pertinence des mesures à définir. L'avis du CNPN se fonde sur la pertinence des mesures, eu égard aux enjeux locaux spécifiques. Il s'agit de permettre à la maîtrise d'ouvrage d'avoir une compréhension fine des mesures proposées.

Vous avez raison de dire qu'il ne s'agit pas d'une science exacte. Le Commissariat général au développement durable y est particulièrement sensible. La mesure du service écosystémique rendu par la nature fait encore l'objet de travaux de recherche et nous savons combien il est difficile de « monétariser » la valeur d'un écosystème. Si l'implantation d'un ouvrage est décidée dans un endroit, c'est aussi parce qu'il bénéficiera d'un certain nombre d'atouts naturels. Il est assez dur de nous reprocher de nous préoccuper uniquement de la régularité de la procédure, alors que nous cherchons à faire en sorte que le territoire s'approprie véritablement le projet. Les ordonnances concernant la participation du public visent précisément à assurer une bonne appropriation par le territoire. Les aller-retour entre les services de l'État et la maîtrise d'ouvrage permettent en général d'aboutir à un avis favorable.

En ce qui concerne l'obligation de résultat, vous avez raison de dire qu'elle ne saurait être absolue, ce serait faire preuve d'une arrogance suprême. L'obligation de résultat que nous envisageons porte sur la réalisation des mesures proposées.

La problématique de l'espace, quand on parle de compensation, est une vraie question. L'artificialisation croissante de notre territoire nécessite la mise en place de mesures de compensation, qui peuvent entraîner des conflits d'usages, notamment agricoles. Nous y sommes très sensibles. C'est la raison pour laquelle il est important de mener une réflexion sur la question des équipements et sur la restauration d'un certain nombre d'espaces. Il existe beaucoup de friches qui devraient être réutilisées. Or, pour un maître d'ouvrage, il est beaucoup plus onéreux de restaurer une friche industrielle pour y installer une zone commerciale que d'artificialiser un espace naturel ou agricole. Un vrai travail doit être mené avec les services déconcentrés de l'État et les porteurs de projets pour valoriser la restauration des friches, en montrant l'intérêt qu'il y a à restaurer un milieu pour s'y installer.

Enfin, la question du suivi nous pose des problèmes techniques qui ne sont pas insurmontables. Il faut organiser la remontée des données - pour l'instant, des documents dont le format est difficilement exploitables -, mais le Commissariat général au développement durable dispose d'une expertise en matière de big data , et il est tout à fait possible de créer une plateforme de suivi qui a vocation à être ouverte et fera très vraisemblablement l'objet de crowd sourcing . À terme, cet outil facilitera le travail des services déconcentrés de l'État. Nous sommes tout à fait confiants sur la faisabilité de ce projet, mais il faut encore créer l'infrastructure informatique, ce qui nous prendra environ dix-huit mois. Nous disposerons alors d'un outil beaucoup plus précis et performant. Cette question m'inquiète beaucoup moins que celles du calcul du service écosystémique rendu ou de l'artificialisation des sols.

Quant au « porter à connaissance », il incombe aux préfets...

M. André Trillard . - Il me paraît essentiel qu'il soit très précis sur l'implantation - mais vous avez déjà les données -, et qu'il soit renouvelé tous les dix ans ou tous les quinze ans. Je vous rappelle que l' open source n'a aucun intérêt pour les communes de moins de 1 000 habitants, parce que leurs agents n'ont pas le temps de faire des recherches, car le recrutement s'est littéralement effondré. L'information sur la nature des mesures de compensation relève d'une autre démarche.

À partir du moment où les parcelles qui intéressent les services de la DREAL ne sont pas concernées par le projet de la commune, tout va bien ! C'est ainsi que procèdent les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) pour indiquer les sites de fouilles archéologiques, en omettant toutefois les endroits susceptibles d'intéresser les chercheurs de trésors : on ne dispose que de ce qui est racontable...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est la même chose si l'on n'indique pas le lieu de nidification d'un rapace rare...

M. André Trillard . - Oui, mais les mesures de compensation ne peuvent pas être secrètes ! Il s'agit de conserver une mémoire locale. Au terme de deux mandats, c'est-à-dire douze ans, la quasi-totalité des conseils municipaux est renouvelée et la mesure disparaît de la mémoire locale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cette proposition figurera dans le rapport.

M. André Trillard . - Je souhaiterais poser une autre question. Lors de plusieurs auditions, nous avons entendu parler du problème de la forme des dossiers par les spécialistes qui accompagnent les porteurs de projet. N'y a-t-il pas le moyen d'imposer une forme type, comme cela se fait pour l'urbanisme ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour compléter cette question, les guides méthodologiques que vous avez évoqués ne nous rapprochent-ils pas du système américain, où les mesures compensatoires sont très cadrées ? J'ai l'impression que la même logique est à l'oeuvre.

M. André Trillard . - Ma question ne portait pas sur cet aspect. J'ai cru comprendre que les personnes chargées d'instruire ces dossiers rencontrent des difficultés, ne serait-ce qu'à envisager la présentation formelle du dossier. Il ne s'agit pas du fond.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - La difficulté porte peut-être moins sur la forme générale que sur les méthodologies utilisées pour définir les unités de compensation. Nous sommes en train de mettre en place une nomenclature à l'intention des services déconcentrés. Notre idée est moins de codifier les méthodologies que d'apporter à ces services un appui à la bonne compréhension du fonctionnement de ces méthodologies.

Un autre élément important mérite d'être souligné : la mise à disposition des données des études d'impact va constituer une aide très importante pour les porteurs d'ouvrages, car elle apportera des connaissances approfondies sur un territoire qui pourront être capitalisées, ce qui permettra une économie importante pour le futur maître d'ouvrage qui aura moins besoin de recourir aux services de bureaux d'études. Je ne vous cache pas que cette perspective suscite la réticence de certains de ces bureaux d'études... Ces données portent sur des connaissances communes et seront très utiles pour les porteurs de projet.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu aux questions de la commission d'enquête. Des compléments d'information pourront vous être demandés ultérieurement par écrit.

Audition de M. Laurent Courbois, directeur de la fédération régionale des chasseurs du Languedoc-Roussillon et chargé de mission à la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Mme Nadège Colombet, responsable juridique, et M. Jérôme Guillouët, responsable technique de la Fédération nationale de la pêche en France
(jeudi 22 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition commune des représentants des chasseurs et des pêcheurs. En effet, il nous a semblé utile de rencontrer l'ensemble de la chaîne des acteurs concernés par les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructure.

Nous allons entendre M. Laurent Courbois, directeur de la fédération régionale des chasseurs du Languedoc-Roussillon et chargé de mission à la Fédération nationale des chasseurs et Mme Nadège Colombet, responsable juridique de la Fédération nationale de la pêche en France, qui est accompagnée de M. Jérôme Guillouët, responsable technique.

Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Courbois, Mme Nadège Colombet et M. Jérôme Guillouët prêtent successivement serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vais laisser le soin à chacun d'entre vous de vous exprimer dans un bref propos introductif. Le rapporteur, Ronan Dantec, et les membres de la commission qui le souhaitent pourront ensuite vous poser leurs questions.

Avant de vous laisser la parole, je me dois de vous demander si l'un d'entre vous a des liens d'intérêt avec l'un des quatre projets que la commission étudie spécifiquement, à savoir l'autoroute A65, la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels des Coussouls en plaine de la Crau.

M. Laurent Courbois, directeur de la fédération régionale des chasseurs du Languedoc-Roussillon et chargé de mission de la Fédération nationale des chasseurs . - Aucun, madame la présidente.

Mme Nadège Colombet, responsable juridique de la Fédération nationale de la pêche en France . - Je n'en ai pas, madame la présidente.

M. Jérôme Guillouët, responsable technique de la Fédération nationale de la pêche en France . - Je suis membre du système d'information des pêches maritimes et de l'aquaculture, le SIPA.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Très bien. Je vous remercie. La parole est à M. Laurent Courbois pour la Fédération nationale des chasseurs.

M. Laurent Courbois . - Je présenterai brièvement le réseau des fédérations de chasseurs puis les trois principes que nous défendons au niveau de la Fédération nationale. Enfin, je tâcherai de montrer l'implication des fédérations de chasseurs dans la compensation des atteintes à la biodiversité.

Aujourd'hui, il existe 90 fédérations de chasseurs sur le territoire, treize fédérations régionales et un réseau de 1 300 collaborateurs exerçant des métiers en lien avec la faune sauvage et ses habitats, ainsi qu'avec la biodiversité. Nous avons également créé une fondation nationale pour la protection des habitats de la faune sauvage qui intervient sur les territoires, notamment pour procéder à des acquisitions foncières et à des opérations de gestion conservatoire de la biodiversité.

La Fédération nationale des chasseurs défend un premier principe, celui d'une « utilisation raisonnée » de la biodiversité. Au travers de leur pratique de la chasse, les citoyens habitant dans les communes rurales s'investissent dans des actions de conservation des espèces et des habitats. C'est ce que nous appelons la « conservation par l'utilisation raisonnée », concept que nous avons fait inscrire dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Bien que ne figurant pas encore dans le code de l'environnement, nous estimions en effet que ce concept était conforme aux principes et directives de la convention internationale sur la diversité biologique.

Nous défendons un deuxième principe, celui de la reconnaissance des usages tels que la chasse et la pêche sur nos territoires, principe qui a également été introduit dans le code de l'environnement. Nous considérons que bon nombre des actions de conservation de la biodiversité que nous menons sur le terrain sont liées à ces usages.

Aujourd'hui, force est malheureusement de constater que l'efficacité de nombreuses mesures de conservation de la biodiversité est remise en cause, en raison notamment du report des directives « Habitat » et « Oiseaux » et que, d'une manière générale, l'état de conservation des espèces et des habitats ne s'est pas amélioré depuis la loi de 1976 relative à la protection de la nature. Nous constatons en outre que les pouvoirs publics n'ont plus toujours les moyens de leur ambition en matière de politique de conservation de la biodiversité.

Le troisième principe que nous soutenons est le principe de bonne intendance des territoires : il s'agit de faire en sorte que les propriétaires privés, les agriculteurs, les forestiers, les chasseurs, les pêcheurs, les ayants droit du foncier en d'autres termes, soient mieux impliqués dans les politiques de conservation de la biodiversité, et donc dans les programmes de compensation écologique.

Dans la mesure où les chasseurs s'intéressent, en raison de leur pratique, à la conservation des espèces « gibier » sur le terrain, ils contribuent aujourd'hui à conserver la biodiversité de manière directe et indirecte. Selon nous, la conservation du gibier mène à la conservation de la biodiversité. Pour donner un exemple concret, la conservation de la perdrix rouge dans le sud de la France contribue indirectement à protéger l'outarde canepetière.

L'étude sur les valeurs socio-économiques de la chasse, qui a été réalisée par le cabinet de conseil (BIPE), évalue à 57 000 équivalents temps plein l'investissement bénévole des chasseurs. Ce sont autant d'effectifs que la sphère publique n'a pas à investir dans l'aménagement des espaces et la conservation des espèces sur le territoire. Une autre étude de ce cabinet, relative aux services écosystémiques liés à la chasse montre par ailleurs que cet investissement bénévole équivaut à un engagement à hauteur de 460 millions d'euros en faveur de la conservation de la nature.

Nous avons également développé une base nationale de données pour démontrer l'implication des chasseurs et illustrer le concept de « conservation par l'utilisation » dont j'ai parlé il y a quelques instants. Cette base, évidemment consultable sur internet, a déjà permis de répertorier plus de 500 actions menées par les fédérations de chasseurs ou la fondation pour la protection des habitats de la faune sauvage.

Je terminerai mon intervention en soulignant l'implication de nos fédérations et de la fondation pour la protection des habitats de la faune sauvage dans la compensation écologique. Nous intervenons en fournissant des données aux bureaux d'études des conservatoires des espaces naturels ou des conservatoires botaniques qui nous sollicitent. Nous intervenons aussi dans la phase d'évaluation des projets quand on nous demande de réaliser des diagnostics cynégétiques et environnementaux. In fine , un certain nombre de fédérations de chasseurs participent à la mise en oeuvre de mesures de compensation écologique et à leur suivi, qu'il s'agisse de contrebalancer les effets de projets d'infrastructures routières, ferroviaires, portuaires ou éoliennes.

Enfin, si vous me permettez de formuler quelques recommandations, j'ajouterai que nous souhaiterions la mise en place d'une meilleure territorialisation, d'une meilleure contextualisation et d'une meilleure appropriation des programmes de compensation écologique. Aujourd'hui, quand un opérateur engage un programme de compensation écologique de 30 millions d'euros pour l'outarde canepetière, la démarche est assez mal comprise par les élus locaux et les citoyens ruraux que nous représentons. Je rappelle à cet égard qu'avant d'être chasseurs, ces citoyens sont des entrepreneurs du monde rural, des retraités, des ouvriers.

M. Rémy Pointereau . - Des agriculteurs !

M. Laurent Courbois . - ... des agriculteurs pour beaucoup, des forestiers pour d'autres, et qu'ils s'adonnent certes à un loisir, mais qu'ils constituent aussi un très bon thermomètre du monde rural.

Les montants colossaux de certains programmes de compensation...

M. Rémy Pointereau . - De quels programmes parlez-vous ?

M. Laurent Courbois . - En l'espèce, je veux parler du programme de compensation écologique lié à la ligne LGV Nîmes-Montpellier. Ce programme, dont le coût s'élève entre 20 et 30 millions d'euros, est concentré sur quelques espèces inconnues du grand public, ce qui provoque une certaine incompréhension.

Nous proposons qu'une plus grande place soit laissée à une biodiversité plus ordinaire. Les mesures de compensation écologique seront ainsi mieux comprises sur le terrain. C'est ce que j'appelais tout à l'heure la territorialisation, la contextualisation et l'acceptation sociale des grands ouvrages et des programmes de compensation écologique.

Il faudrait également interdire ce que nous considérons comme une « double peine » pour les chasseurs : d'un côté, on détruit et on morcèle les territoires de chasse, on supprime des espèces gibier et leurs habitats ; de l'autre, on prend une mesure compensatoire consistant à mettre en place des zones interdites à la chasse. Cette injustice cristallise les tensions sociales sur le terrain, car la mise en oeuvre d'un projet d'infrastructure entraîne à la fois la destruction des habitats des espèces et l'interdiction de la chasse, alors que ces deux dimensions devraient être complètement dissociées. Pour nous, la conservation des valeurs d'usage, tel que la chasse ou la pêche, est importante.

Je ferai une dernière recommandation sur la gouvernance des programmes de compensation écologique. Il serait préférable d'éviter d'attendre que des tensions sociales apparaissent sur le terrain pour intégrer certains acteurs socioprofessionnels au processus. En effet, on ne fait appel aux fédérations de chasseurs que pour exercer une mission de médiation, le jour où les élus locaux, les maires ou les préfets de département s'aperçoivent qu'ils rencontrent des difficultés avec les populations locales. C'est dommage ! Il serait préférable d'impliquer les acteurs socioprofessionnels comme les chasseurs, les représentants des usagers de la nature, les représentants des propriétaires beaucoup plus en amont. Les programmes de compensation ne doivent pas devenir le monopole d'un certain nombre de conservatoires, avec lesquels nous travaillons du reste très bien, ou d'associations naturalistes, avec lesquelles il nous arrive en revanche parfois de moins bien travailler. Il faudrait parvenir à mieux faire travailler ensemble tous ceux qui sont présents sur le terrain.

Mme Nadège Colombet, responsable juridique de la Fédération nationale de la pêche en France . - La Fédération nationale de la pêche en France, la FNPF, est une structure nationale qui coordonne les actions de plus de 3 700 associations rassemblées dans 94 fédérations départementales de la pêche. Ces structures sont chargées sur le terrain de mettre en oeuvre quotidiennement des mesures de gestion en matière de pêche, mais aussi des mesures de protection des milieux aquatiques et du patrimoine piscicole.

Environ 1 000 salariés, ainsi que 40 000 bénévoles travaillent aujourd'hui dans les fédérations pour nous permettre de remplir les missions de service public que nous a confié la loi, l'ensemble représentant un poids économique estimé par le cabinet BIPE à 2 milliards d'euros.

Les fédérations et associations de pêche sont des opérateurs historiques des politiques de compensation écologique au travers notamment des autorisations et concessions d'ouvrages hydroélectriques. Depuis les années 1930, il existe ainsi un système de compensation des dommages piscicoles.

C'est dans ce cadre que la FNPF, avec le Conseil supérieur de la pêche, le CSP, et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, a eu l'occasion de financer des actions et des études pour la restauration du milieu aquatique, et de financer les actions d'associations de protection des poissons migrateurs. Jusqu'ici, ces mesures étaient bien prévues par les règlements d'eau. Elles le sont encore, mais elles seront progressivement remplacées par le système de la compensation écologique de droit commun dont on parle aujourd'hui.

Compte tenu de ce contexte, la FNPF observe avec grand intérêt la structuration de la séquence « Éviter, réduire, compenser » ou séquence ERC. Elle attend avant tout qu'une véritable réflexion s'engage sur les méthodes contribuant à éviter, d'abord, les atteintes à la biodiversité.

Elle souhaiterait également une vraie réflexion sur l'application de la séquence ERC aux milieux aquatiques. En effet, d'une certaine façon, on pourrait rapprocher la séquence ERC des obligations que la France doit respecter dans le cadre de la directive-cadre sur l'eau, notamment les mesures destinées à améliorer l'état des masses d'eau à l'échelon national. Cette notion de « masse d'eau » a d'ailleurs été élargie par la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE, laquelle a eu l'occasion de préciser qu'elle s'appliquait à tous les projets : désormais, aucun projet ne doit avoir pour effet néfaste de dégrader l'état de la masse d'eau. La CJCE est même allée jusqu'à considérer qu'aucun projet de nature à créer ce type de dégradations ne pouvait être lancé, sauf cas particulier justifié par un motif d'intérêt général.

Un certain nombre de réflexions doivent encore être menées autour des programmes de compensation écologique, en particulier sur le critère de proximité géographique.

Enfin, je profite de cette audition pour signaler que la FNPF vient de créer la Fondation F3P « Préservation Patrimoine Pêche », dont l'objet est de protéger les espaces des milieux aquatiques et des zones humides, de maintenir et de favoriser la biodiversité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le monde de la pêche espère vivement qu'il prendra toute sa place dans la mise en oeuvre de la séquence ERC.

M. Jérôme Guillouët, responsable technique de la Fédération nationale de la pêche en France . - En tant que responsable du pôle technique de la FNPF, je voudrais évoquer le travail qu'effectue notre réseau pour les milieux aquatiques. Comme le disait ma collègue, nos fédérations et nos associations réalisent des opérations de restauration et de protection des milieux aquatiques et des peuplements piscicoles, ce qui leur confère une vaste expertise technique et une très bonne connaissance du territoire dont elles ont la gestion.

À ce titre, les fédérations de la pêche recourent à ces mesures de compensation écologique et font très souvent figure d'opérateurs à part entière.

Je souhaite me faire l'écho d'un certain nombre de réactions provenant des fédérations départementales de la pêche sur la séquence ERC.

Tout d'abord, il semblerait que la première phase de la séquence, les mesures destinées à éviter les atteintes environnementales, est très souvent passée sous silence, soit parce qu'elle a effectivement été éludée, soit parce que nos structures n'ont pas été associées au programme à ce stade de la séquence.

Il semble que le constat soit identique pour la deuxième phase de la séquence, celle consistant à réduire les atteintes à la biodiversité : on observe que cette réduction est souvent circonscrite aux seules obligations réglementaires et que les fédérations ne sont pas très souvent impliquées.

En revanche, les fédérations de la pêche sont consultées au moment de la troisième phase, celle de la compensation, et uniquement à ce stade. Cela n'est pas sans poser de problèmes : non seulement c'est un peu tard mais cela crée très souvent des crispations en raison de la lourdeur des dossiers à traiter et de l'urgence imposée, d'autre part. C'est d'autant plus vrai que les structures n'ont en général qu'un chargé de mission ou deux, et donc des moyens limités.

Pour prolonger la réflexion, j'ajouterai que certaines fédérations se plaignent du fait que les compensations sont insuffisantes au regard des effets sur la biodiversité. Il existe même quelques cas assez complexes pour lesquels aucune compensation n'est réalisable : je pense notamment à des territoires comme les têtes de bassin ou à des projets qui affectent certaines espèces protégées exceptionnelles.

Il est assez fréquemment souligné aussi que la compensation se limite au strict périmètre du projet. Évaluer les effets d'un projet sur un cours d'eau ne peut se faire qu'en envisageant un continuum : quand on prévoit d'affecter un cours d'eau, on ne se contente pas de provoquer des effets sur la seule zone du projet. Il y a bien d'autres conséquences, en particulier en aval du cours d'eau.

Un autre point a été mis en avant, celui de l'équivalence fonctionnelle entre l'impact et la compensation : les organismes rencontrent des difficultés pour trouver des sites de compensation, problème accru par le manque de maîtrise foncière. En respectant le principe d'additionnalité écologique, les maîtres d'ouvrage se retrouvent assez vite à l'étroit et peinent à trouver des sites de compensation.

On observe d'ailleurs que les maîtres d'ouvrage comme l'administration ont une vision parfois trop stricte de la compensation des projets d'infrastructure en ne considérant que le linéaire ou la surface et en omettant de réfléchir en termes de fonctionnalité.

La compensation des atteintes à la biodiversité est souvent négligée au cours de la phase des travaux. Parfois, certaines mesures compensatoires sont mises en oeuvre avec beaucoup de retard, et ce pour diverses raisons. Pour certaines espèces particulièrement fragiles, le mal est fait.

Enfin, certaines mesures compensatoires sont engagées sans que le maître d'ouvrage n'ait de réelle certitude sur leur efficacité. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer, notamment le fait que l'écologie n'est pas une science exacte.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce que vous venez de nous dire fait largement écho à des propos que nous avons déjà entendus, notamment la nécessité qu'il y aurait à ce que l'ensemble des acteurs soient bien associés en amont de la séquence ERC. Cette recommandation me semble faire l'objet d'un large consensus parmi les membres de la commission.

L'État essaie de travailler sur une base nationale de données, répondant ainsi au souhait exprimé par le Muséum national d'histoire naturelle de pouvoir disposer d'une vision plus claire de l'état de la biodiversité en France, et de pouvoir contribuer aux mesures de suivi des mesures compensatoires.

Voici donc ma première question : dès lors que vous avez vous-mêmes déjà mis en place des bases de données, êtes-vous favorables à l'élaboration de cette grande base nationale de données sur laquelle la séquence ERC s'appuiera ?

Ma seconde question, un peu provocatrice je le reconnais, porte sur votre statut : compte tenu de votre savoir-faire et de votre implication sur le terrain, ne vous considérez-vous pas de fait comme des opérateurs de la compensation ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Monsieur Guillouët, vous nous avez dit que les fédérations de la pêche n'étaient pas associées du tout aux deux premières phases de la séquence ERC et que l'on ne vous sollicitait qu'au stade de la compensation. Pourriez-vous nous confirmer ce point ?

M. André Trillard . - Tout d'abord, je me réjouis d'entendre des personnes qui représentent le monde rural !

Je reconnais le professionnalisme des fédérations de la chasse et de la pêche. J'ai la chance d'avoir sur ma propre commune un étang qui appartient à la fédération de la pêche de mon département. Il est absolument passionnant de rencontrer les membres de cette fédération, car ils connaissent la nature au niveau de ma commune largement aussi bien que moi.

Je pense que les chasseurs sont aussi largement concernés par les séquences « éviter et réduire » que par la phase de compensation. Le traitement qu'on leur réserve est anormal : on n'associe ces professionnels - ce sont pourtant de vrais professionnels ! - qu'à la fin du processus en ne leur laissant que 60 ou 90 jours pour réaliser une étude. C'est impossible de travailler comme cela !

Les chasseurs et les pêcheurs sont pourtant de vrais et de bons protecteurs de la nature rurale. C'est pourquoi on devrait les associer beaucoup plus tôt aux projets. Ainsi, ils devraient être en mesure de manifester rapidement leur intérêt à agir ou, au contraire, pouvoir décliner toute implication, lorsque les projets ne les concernent pas.

M. Jérôme Guillouët . - Dans le cadre de leurs travaux, nos structures contribuent à alimenter le système d'information sur l'eau, dont vous avez certainement entendu parler. Elles le font parfois avec peine. C'est pourquoi nous cherchons actuellement à élaborer une base de données à l'échelon national, qui contribuerait à faire remonter ces informations plus facilement. Pour l'instant, les informations remontent au cas par cas, en fonction des études que nous commandent nos partenaires financiers ou les partenaires avec lesquels travaillent nos structures. Cela étant, il s'agit d'un problème bien identifié et nos fédérations fournissent tout de même un grand nombre de données.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'irai dans le sens de ce que vient de dire notre collègue André Trillard en soulignant que vous êtes des acteurs effectivement incontournables de la biodiversité. Pourriez-vous nous dire si vous travaillez en étroite collaboration avec le Commissariat général au développement durable, le CGDD, pour l'élaboration de cette base nationale de données ? Y êtes-vous associés ?

M. Jérôme Guillouët . - Ce n'est pas tout à fait ainsi que cela fonctionne dans les faits. À l'heure actuelle, il existe plusieurs bases nationales de données en matière environnementale. Il y a le système d'information sur la nature et les paysages (SINP), le système d'information sur l'eau (SIE), les atlas de la biodiversité communale.

L'ensemble des données est géré de telle sorte que tout le monde puisse avoir accès aux informations : si vous cherchez une donnée sur un poisson, votre requête doit vous permettre d'accéder à la bonne base de données, que ce soit celle du SIE ou celle de l'INPN - l'inventaire national du patrimoine naturel - du Muséum national d'histoire naturelle. Le système doit vous permettre de reconstituer une information complète.

Quand on dit que la FNPF souhaite élaborer une base nationale de données, c'est évidemment pour son usage propre, mais c'est également parce qu'elle souhaite participer à cet échange global d'informations sur la biodiversité, au même titre que les autres acteurs de l'environnement. À terme, si un poisson capturé par pêche électrique est répertorié par notre fédération dans le cadre d'un inventaire, on devrait pouvoir le retrouver dans la base de données de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'ONEMA.

M. Laurent Courbois . - Les fédérations de chasseurs participent aux échelons départemental et régional à la démarche engagée par le SINP, le système d'information sur la nature et les paysages.

Nous avons élaboré une base nationale de données, que l'on peut retrouver sur le site internet de la FNC, et qui reprend les actions référencées par les fédérations de chasseurs en matière de conservation de la biodiversité. Évidemment, cette base n'est pas exhaustive, parce que les chasseurs agissent au quotidien et qu'il est impossible de répertorier toutes les interventions au jour le jour.

Évidemment, nous comptons participer à la démarche engagée par la Direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie en collaborant à la mise en place de la grande base nationale de données lancée par la secrétaire d'État. Pour nous, il est intéressant d'expliquer ce que les usagers de la nature que nous sommes font sur le terrain.

La Fédération nationale des chasseurs souhaiterait évidemment pouvoir proposer plus qu'actuellement des offres de services en matière de compensation écologique. Il faut savoir que nous n'avons généralement pas connaissance des deux premiers axes de la séquence ERC et que nous ne sommes même pas consultés. À cet égard, on a l'impression que quelques bureaux d'étude et quelques conservatoires initiés, en lien avec les DREAL, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, détiennent un monopole. Les grands aménageurs communiquent, sensibilisent, mais il faut qu'ils aillent plus loin et qu'ils fassent travailler les gens sur le terrain. Or, là, il y a un problème : lors de la mise en oeuvre des mesures compensatoires, lors de l'attribution des fonds, on assiste à une sorte de course à l'échalote entre les réseaux naturalistes et les conservatoires, au milieu desquels nous essayons très péniblement d'émerger. Or nous arrivons souvent après la bataille, même si ce n'est pas le cas dans tous les départements.

Quand un programme de compensation écologique est lancé, un comité de liaison ou de pilotage est mis en place, mais nous n'y sommes pas associés dès le départ. On ne vient nous chercher que lorsqu'il y a des tensions sociales sur le terrain ou des problématiques difficiles à gérer. On nous demande même parfois toute une série d'informations et de données, et ce à titre gratuit. Dans de telles conditions, les programmes de compensation sont plus difficilement acceptés par les acteurs de terrain. Lors des grands colloques sur la compensation écologique, le monde de la chasse et de la pêche compte un représentant sur les deux cents intervenants.

Lorsque les usagers de la nature, qui sont sur le terrain et qui connaissent les infrastructures, ne sont pas associés dès le départ, lorsqu'ils prennent connaissance des sommes en jeu et qu'ils se rendent compte qu'un certain nombre de structures, qui ne sont pas sur les territoires, se les approprient, ils acceptent difficilement les mesures de compensation. Cela se répercute sur les élus locaux, sur la presse, ce qui ne facilite pas la mise en oeuvre de la politique du « éviter, réduire, compenser ».

À titre d'exemple, lorsqu'on demande, alors que mille hectares de territoires de chasse ont été détruits, qu'une enveloppe soit prévue pour aider à restaurer la pratique de la chasse, voire pour mettre en place des cultures faunistiques pour des espèces ordinaires, on nous rit au nez. Un certain nombre d'aménageurs nous disent qu'ils s'en tiennent à la liste du Conseil national de la protection de la nature, cette liste comprenant l'outarde canepetière, le lézard ocellé et le butor étoilé, mais non les espèces ordinaires comme le lapin et la perdrix. Ce qu'ils ne réalisent pas, c'est qu'en protégeant des espèces ordinaires et des valeurs d'usage, on protège mieux les espèces protégées. Cet argument, pour l'instant, fait sourire. Le problème, c'est que les gens ne comprennent pas qu'on consacre autant d'argent à la magicienne dentelée ou à des espèces ciblées par les directives. Certains programmes de compensation provoquent ainsi des broncas.

Il me semble donc qu'il ne serait pas inutile de réfléchir à une évolution législative sur ces sujets. L'objectif, évidemment, n'est pas de mettre en oeuvre des programmes de compensation de 500 millions d'euros.

Que faisons-nous pour les talus, pour les haies, pour les bandes de tournières détruites au bout d'une parcelle viticole ? Rien ! Or la nature ordinaire, ce sont tous les petits linéaires de notre espace agricole qu'on fait disparaître. Pour nos structures, c'est une lutte de faire reconnaître ces concepts.

M. André Trillard . - Il est important que les ruraux soient représentés lorsque leurs territoires sont concernés. J'ai été choqué par ce que nous ont dit les juristes que nous avons auditionnés avant-hier, car aucun d'entre eux ne comprenait le fonds du sujet. Il faut parler à tous les citoyens.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je pense qu'il y a un consensus entre nous sur deux points. D'une part, il faut associer tous les acteurs très tôt, notamment lors de la séquence « éviter, réduire », et non pas uniquement lors de la partie « compenser ». D'autre part, la biodiversité banale est un enjeu majeur. On ne préservera pas les espèces remarquables sans protéger les écosystèmes.

Enfin, quelle est votre perception technique sur les continuités des rivières ou les continuités des grands écosystèmes de plaine ou de forêt ? Est-ce qu'on sait faire ou non ? Est-ce qu'on fait bien ou mal ?

M. André Trillard . - Quid des gardes du territoire rural ? Peut-on continuer de cumuler des représentants de la chasse et de la pêche, de l'Office national des forêts, de la politique agricole commune dans les situations de contrôle ? Pensez-vous que des regroupements intelligents d'administration sont possibles ?

M. Laurent Courbois . - Malheureusement, dans les schémas régionaux de cohérence écologique, les SRCE, on se focalise encore beaucoup sur les ilots de biodiversité que sont les aires protégées. Dans un certain nombre d'endroits, on oublie la biodiversité banale. Ainsi, dans les régions méridionales, où 50 % ou 60 % du territoire est en trame écologique, les trois quarts de ces 50 % ou 60 % sont les actuelles aires protégées - réserves naturelles nationales, réserves nationales de chasse et de faune sauvage, sites Natura 2000.

Il faut bien se concentrer, dans les SRCE, sur la trame écologique entre les ilots de biodiversité.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La dimension « corridors et continuités » vous semble-t-elle encore trop faible dans les schémas ?

M. Laurent Courbois . - Le problème est qu'il y a une confusion entre les espaces protégés et la trame écologique.

Dans certaines régions, les corridors sont non pas des corridors, mais d'énormes « patatoïdes ».

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Dans quelle mesure la compensation peut-elle contribuer à la mise en oeuvre des différentes trames ?

M. Laurent Courbois . - Il n'y a quasiment pas d'additionnalité. On constate malheureusement dans un certain nombre de régions le désengagement de la sphère publique et des services déconcentrés : on se sert de l'argent de la compensation écologique des grands aménageurs pour financer le réseau Natura 2000 et certains programmes de conservation de la biodiversité, ce que je peux comprendre compte tenu de la diminution des crédits. Cela pose la question de l'additionnalité.

M. André Trillard . - L'année dernière, alors que je défendais en séance un amendement visant à réduire la redevance pour pollution diffuse, la ministre m'a répondu qu'il ne fallait pas réduire le budget des agences de l'eau !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous aujourd'hui une vision claire sur la qualité des mesures compensatoires, notamment des grandes infrastructures linéaires, et de leurs effets sur la faune ?

M. Laurent Courbois . - Un réseau de 1 200 salariés compte des compétences techniques qui peuvent être mobilisées. Cela étant dit, un certain nombre de réseaux vivant de ces crédits sont réticents à faire participer les acteurs socio-économiques.

À titre d'exemple, il arrive que les crédits d'un programme de compensation écologique de plusieurs dizaines de millions d'euros soient répartis à 99 % entre trois opérateurs et que nous ne participions pas à ce programme. Nous y sommes sensibilisés, nous en sommes informés - très en retard -, mais nous ne sommes pas souvent partenaires du programme.

Or n'ayant pas d'argent, nous sommes en train de perdre les bénévoles sur le terrain, tous ces gens qui se sont investis durant des années pour mettre en place un point d'eau, des cultures faunistiques, des jachères fleuries, qui entretiennent les chemins de randonnée le dimanche, tous ces gens finissent par se décourager.

M. Jérôme Guillouët . - Pour ma part, je ne peux parler que de la continuité dans les milieux aquatiques.

Le Référentiel des obstacles à l'écoulement, qui est une base de données, recense 80 000 ouvrages sur 500 000 kilomètres de linéaire environ. Selon certaines études, on compte un ouvrage tous les kilomètres ou tous les trois kilomètres, en fonction des régions, des cours d'eau et de nombreux autres paramètres. Le milieu aquatique est donc fortement fragmenté, mais des efforts sont faits en matière de franchissement des poissons.

Les enjeux sont très différents en fonction des rivières, selon qu'il s'agisse d'une rivière à migrateurs ou d'une rivière de poissons non migrateurs. Il faut reconnaître que la biodiversité moins ordinaire sert à la biodiversité ordinaire, elle sert à faire avancer certains dossiers.

Nos fédérations sont très motivées par la continuité. Elles y travaillent beaucoup en tant que techniciennes, mais également en tant qu'animatrices. Elles travaillent à l'échelle d'un bassin versant et intègrent au sein d'un comité de pilotage tous les usagers, aussi bien les propriétaires de moulin que les élus, les financeurs et les administrations, afin d'obtenir un accord sur ce qu'il faut faire pour restaurer la continuité.

Certaines fonctionnalités, je l'ai dit tout à l'heure, ne sont pas compensables. Dans ce cas, nos structures négocient un peu de continuité contre un problème avec une espèce que l'on ne peut pas déplacer. On peut travailler dans le cadre d'un programme cohérent, mais également par opportunité, pour faire avancer les dossiers.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je répète ma question : que savons-nous faire ? Que ne savons-nous pas faire ? Vous avez parlé tout à l'heure des têtes de bassin.

J'ai compris qu'on sait rétablir des continuités même lorsqu'une grande infrastructure croise une rivière. Est-ce que c'est fait à chaque fois ?

Nous avons besoin d'éclairages techniques sur ces questions.

M. Jérôme Guillouët . - Chaque ouvrage a un impact sur les poissons et cet impact n'est jamais compensé à 100 %. Les passes à poissons ne fonctionnent pas à 100 %.

Le problème est que les effets non compensés s'additionnent tout le long d'un linéaire et constituent au final un obstacle assez fort.

Oui, on sait réduire l'impact des ouvrages, plus ou moins bien, avec plus ou moins de succès, certaines expériences ne fonctionnant pas. Pour certains ouvrages, la réduction est très faible. Ainsi, il n'est pas très satisfaisant de faire du transport de poissons, car on est là assez loin du fonctionnement naturel qui était escompté.

Il y a environ une trentaine de rivières à saumons en France. Si vous impactez une partie de la rivière, elle ne fonctionne plus du tout. Allez trouver une autre rivière pour retrouver la fonctionnalité globale ! C'est un exercice très difficile.

Mme Nadège Colombet . - En 2010, seules 4 % des infrastructures étaient équipées d'ouvrages de franchissement alors que c'est une obligation.

La partie « éviter » relève plus de la maxime kantienne pour l'instant que d'une mise en oeuvre que l'autorité administrative pourrait suivre.

M. Laurent Courbois . - Globalement, la prise de conscience de l'impact des grandes infrastructures sur la biodiversité est assez exceptionnelle dans notre pays. Le nombre de pays qui, dans le monde, en sont à ce stade de prise de conscience et d'investissement de la sphère publique est assez réduit. Il ne faut donc pas s'autoflageller. Beaucoup d'argent est investi, beaucoup de progrès sont réalisés. C'est assez formidable si on compare la situation dans les pays en voie de développement.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Allez voir ce qu'il se passe en Tanzanie s'agissant des corridors : nous sommes très loin d'être à leur niveau.

M. Laurent Courbois . - Je n'entrerai pas dans ce débat !

Pour répondre à la question que vous avez posée, monsieur le rapporteur, oui, nous savons faire, mais l'impact résiduel est important. Cela étant dit, et les chasseurs de France en sont conscients, la société a besoin de développer de grandes infrastructures.

Il faut toutefois être vigilant sur la biodiversité plus ordinaire. Quand on compense des espèces ombrelles, par exemple la perdrix rouge, qui mange des insectes, on est obligé de conserver les habitats desdits insectes.

L'obligation réelle environnementale et les sites naturels de compensation nous semblent aller dans le bon sens. Toutefois, l'obligation réelle environnementale ne doit pas servir, pour ceux qui confondraient exercice de la chasse et diminution de la biodiversité, à interdire la chasse. On sait bien que la régression d'un certain nombre d'espèces est due, dans 95 % des cas, à des questions liées à l'habitat, à l'agriculture, à la gestion hydraulique ou à l'utilisation de pesticides.

La Fédération nationale de pêche a une fondation, comme nous en avons une. Il me semble important que les terrains de ces fondations qui représentent les usagers de la nature puissent être éligibles aux sites naturels de compensation.

J'ai été administrateur d'un conservatoire d'espaces naturels pendant longtemps, et je le dis donc avec d'autant plus de facilité : les fondations d'utilité publique, dont les fonds sont inaliénables, devraient être rendues éligibles à ce type de dispositif.

Ce qui nous inquiète, c'est la décontextualisation de la compensation écologique. De gros opérateurs comme la CDC Biodiversité sont loin du terrain et du contexte social. Nous, nous cherchons l'appropriation de la nature. La marchandisation de la nature par de gros opérateurs nous inquiète. La nature doit être conservée dans toutes les communes rurales de France par les gens qui y vivent.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie, madame, messieurs, de votre présence et de votre contribution à ce débat.

Audition de M. Thierry Dutoit, directeur de recherche en ingénierie écologique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS),
Mme Claire Etrillard, ingénieure d'études, et M. Michel Pech, géographe ruraliste à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA),
M. Harold Levrel, chercheur en économie écologique au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED), et Mme Anne-Charlotte Vaissière, économiste de la biodiversité au Laboratoire montpelliérain d'économie théorique et appliquée (LAMETA)
(jeudi 22 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Notre commission d'enquête, réunie à la demande du groupe écologiste, s'intéresse à la compensation des atteintes à la biodiversité sur les grands projets d'infrastructures, mais aussi aux mesures contribuant à éviter et à réduire ces atteintes. Nous avons concentré notre réflexion sur quatre grands projets d'infrastructures : le suivi des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la construction de l'autoroute A65, la réalisation en cours des mesures de compensation du projet de LGV Tours-Bordeaux, les inventaires et la conception des mesures de compensation pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et enfin la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau. Cela étant dit, les projets de dimensions plus modestes nous intéressent également. Nos interrogations portent principalement sur l'efficacité et l'effectivité des mesures de compensation écologique, mais aussi d'évitement et de réduction.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thierry Dutoit, Mme Claire Etrillard, M. Michel Pech, Mme Anne-Charlotte Vaissière et M. Harold Levrel prêtent successivement serment.

M. Thierry Dutoit, directeur de recherche en ingénierie écologique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). - Directeur de recherche au CNRS, je travaille sur les relations entre les espèces et les raisons de leur diversité. Au sein de l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE) d'Avignon, nous nous sommes intéressés, voici quinze ans, à la première opération de compensation par l'offre : le site de Cossure, dans la plaine de la Crau.

Je m'intéresse en particulier à la possibilité de mettre en place des mesures de compensation effectives via la restauration de milieux dégradés. Les diverses expérimentations menées depuis une quinzaine d'années reposaient sur deux piliers : la mesure de l'équivalence écologique, et la restauration des milieux dégradés. Je travaille sur ce second thème.

Un premier bilan, issu de nos travaux expérimentaux et de la bibliographie internationale, montre qu'aucune opération de restauration menée depuis vingt ans n'est parvenue à une restauration intégrale. Trois raisons principales à cela : les conditions socio-économiques à l'origine des écosystèmes ont changé - ce sont les changements dits d'usage -, le climat a lui aussi évolué, et enfin les systèmes en question comportent des milliers de composantes en interaction depuis des centaines, voire des milliers d'années. Le vivant est un ensemble dynamique. C'est pourquoi les opérations de restauration se sont donné pour objectif non de reconstituer une carte postale, mais d'imprimer une trajectoire aux écosystèmes. En revanche, il est possible de restaurer des composantes ou des fonctions ; c'est ce que l'on appelle la réhabilitation.

Mme Claire Etrillard, ingénieure d'études à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). - Juriste de formation, je travaille au sein d'une communauté de recherche dédiée aux politiques publiques en matière agricole et environnementale. Je m'intéresse, avec mon collègue Michel Pech, à la compensation écologique depuis 2013. À l'époque, le ministère de l'environnement souhaitait conduire plusieurs expérimentations analogues à celle de la plaine de la Crau, notamment en Bretagne. Nous abordons la question de la compensation sous l'angle du foncier : quel est l'impact de celle-ci sur les terrains agricoles, les outils de maîtrise foncière sont-ils adaptés, comment les agriculteurs répondent-ils à la compensation, et comment valoriser davantage l'activité agricole par le biais de la compensation ?

Nous évoluons dans un contexte marqué d'un côté par l'urbanisation, l'anthropisation et un développement économique qui accentue la rareté de la ressource agricole ; mais aussi, d'un autre côté, par des démarches de protection de cette ressource et de conciliation entre la production agricole et les productions jointes.

Le cadre juridique de la compensation se caractérise par sa complexité. Plusieurs dispositifs coexistent. Il y a ainsi des dispositions relatives à la compensation dans les études d'impact, les plans et documents ayant un impact sur l'environnement ; au titre des atteintes à la continuité écologique ; dans les objectifs de conservation Natura 2000 ; dans le cadre des installations ayant un impact sur l'eau, des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), des installations classées ; dans le code forestier, à propos des défrichements ; et enfin en matière de réparation des dommages environnementaux. Les maîtres d'ouvrage perçoivent ces dispositifs comme contraignants, difficiles à mettre en oeuvre et peu efficaces.

Les mécanismes de compensation impactent le foncier agricole. Parfois, les mesures sont mises en oeuvre par l'agriculteur lui-même dans le cadre d'un aménagement agricole ; mais il arrive aussi que des aménagements non agricoles grignotent les terres, non seulement à travers le projet lui-même mais aussi via les mesures de compensation. Les maîtres d'ouvrage ont besoin d'espaces à la fois pour le projet et pour la compensation, avec cette double contrainte supplémentaire que la compensation doit être mise en oeuvre au plus près du site, et concomitamment à la réalisation du projet. C'est donc assez complexe, et le maître d'ouvrage est conduit à des arbitrages entre des terres à valeur agricole intéressante et des terres à plus grande valeur environnementale ; il doit également s'occuper de la maîtrise foncière, un sujet juridiquement lourd qui impose de passer des contrats avec le propriétaire, lequel a souvent mis sa terre en location... Enfin, il faut mettre en oeuvre des mesures de compensation efficaces, efficientes et pérennes.

M. Michel Pech, géographe ruraliste à l'Inra. - Je travaille au laboratoire d'économie Agrocampus Ouest de l'INRA, à Rennes, sur quatre thèmes principaux : la politique agro-environnementale et son évaluation, la politique foncière, en particulier la compensation écologique, la politique des structures agricoles et le paiement pour services environnementaux et les biens publics.

Il convient de relativiser l'impact de la compensation écologique sur l'activité agricole, à travers le télescopage entre la rareté de la ressource foncière et le développement de la compensation - ce que l'on appelle souvent la double peine. Le problème doit être abordé plus sereinement, en distinguant les cas où l'aménageur met en oeuvre lui-même les mesures de compensation, ceux où il les confie à un opérateur, ceux où il acquiert des unités de compensation.

Quatre problématiques se posent dans cette situation. D'abord, l'acceptabilité, c'est-à-dire l'intérêt, pour le propriétaire, de mettre en oeuvre des mesures de compensation. Celles-ci modifient la nature de la terre, ce qui peut engendrer une plus-value ou une moins-value selon que sa valeur agronomique est inférieure ou supérieure à sa valeur environnementale. De plus, le choix des cultures s'en trouve altéré, d'où des degrés d'acceptabilité très variables. On voit apparaître des alliances entre le paiement pour services environnementaux et la compensation écologique, dans l'idée de valoriser ce service par une rémunération de l'action de l'homme en faveur de la nature.

Deuxième problématique, l'anticipation. On peut mettre en réserves des parcelles en vue de la compensation par la mise en oeuvre du droit de préemption des collectivités, à travers les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) et, en dernier ressort, par l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Troisième élément, la gestion du parcellaire par les collectivités, les agriculteurs, les Safer et les conservatoires d'espaces naturels, en fonction des opérations menées. La gestion d'une restauration ou d'un entretien de terrains de compensation sera différente. La nature des contrats peut évoluer en fonction de ces opérations.

Enfin, la pérennisation de la compensation est un enjeu majeur. Ainsi, la compensation de la destruction d'un milieu détruit appelle naturellement des mesures permanentes.

Il convient également d'améliorer la gouvernance territoriale, en organisant la mise en relation entre les aménageurs, les propriétaires fonciers et leurs fermiers, et d'intégrer davantage les mesures de compensation dans les politiques locales, à travers les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d'urbanisme (PLU), les zones d'aménagement différé, la préemption des Safer, afin d'anticiper la mise en place de la compensation. Il faudrait aussi s'intéresser davantage à la production agricole : les friches, de valeur agronomique moindre que les parcelles agricoles, peuvent, elles aussi, être mobilisées pour la compensation. Des données factuelles sur la valorisation faciliteraient le calcul coût-bénéfice et, par-là, l'information des acteurs.

La relation entre l'offre et la demande en matière de compensation mérite une remise à plat. Nos études ont mis en évidence une préférence de la profession agricole pour la compensation par la demande, ce qui pose le problème de l'adéquation entre cette demande et l'offre.

Autre difficulté, le risque d'éloignement spatial entre les sites endommagés et les sites de compensation. Soit on met en place des banques de compensation à proximité des grands ouvrages à venir, soit on relativise la notion de proximité pour travailler sur les aspects éthiques de cette obligation, car la compensation a alors des effets marchands sur la valeur des terres. Là encore, l'anticipation s'impose.

Troisième point, la nature de l'implication des agriculteurs. Lorsque ceux-ci participent à une compensation par contrat, leur production dans ce cadre doit-elle être considérée comme agricole ou environnementale ? Quelle sera la nature de leur revenu ?

Enfin, si les mesures de compensation sont pérennisées, les biens concernés peuvent être considérés comme des biens publics et doivent alors recevoir une protection technique, spatiale et temporelle conforme à cette réalité.

Mme Anne-Charlotte Vaissière, économiste de la biodiversité au Laboratoire montpelliérain d'économie théorique et appliquée (Lameta). - Spécialisée en économie écologique et institutionnelle, je m'intéresse à l'effet de la mise en oeuvre des politiques publiques de protection de la nature sur leur effectivité et leur efficacité. En matière de compensation écologique, je me suis intéressée aux contextes français et américain, à travers les banques de compensation mises en place en Floride.

On aurait pu imaginer l'émergence, pour des raisons d'efficacité, d'un marché mondial et libéral de la compensation écologique, or tel n'a pas été le cas. Dans le cadre de la compensation par l'offre, des opérateurs mutualisent les mesures compensatoires mises en oeuvre par plusieurs aménageurs. C'est un système de l'offre parce que l'opérateur organise à l'avance des opérations de restauration écologique qu'il propose ensuite aux aménageurs. Les services instructeurs disposent ainsi de davantage de temps pour des mesures de compensation de plus grande envergure ; le contrôle et le suivi s'en trouvent améliorés. C'est donc un marché qui reste fortement régulé : ainsi, la compensation doit être mise en oeuvre dans la même zone que l'impact initial, et les services instructeurs continueront à instruire les dossiers de demande d'autorisation des aménageurs.

Les règles d'application diffèrent selon les pays. En France, des sites naturels de compensation, comme celui de Cossure, ont été mis en place dès avant la loi sur la biodiversité. Aux États-Unis et dans d'autres pays, la solution retenue a été celle des banques de compensation.

La compensation par l'offre et la compensation par la demande sont complémentaires, car tous les milieux ne sont pas adaptés à la première. La loi biodiversité et ses décrets d'application posent des bases intéressantes d'encadrement de la compensation par l'offre, mais des imprécisions et des incohérences demeurent et en limitent l'efficacité. Les États-Unis, où une loi détaille les mécanismes de compensation par l'offre et par la demande, nous offrent un retour d'expérience de trente ans susceptible de nous aider à éviter les erreurs.

Au-delà des quatre projets d'envergure auxquels s'intéresse votre commission d'enquête, je me suis attachée, pour ma part, à étudier des aménagements de dimensions plus modestes qui présentent des difficultés en matière de contrôle et de suivi : zones d'activité commerciale (ZAC), zones d'activité industrielle (ZAI), zones pavillonnaires. Les responsables de ces projets ne sont pas toujours conscients de leurs obligations réglementaires.

Il nous manque en France un état initial des projets qui nous permettrait de faire le point sur les mesures « ERC » et de mesurer les effets de la loi sur la biodiversité. Pourquoi ne pas commencer par un territoire ou un projet pilote ? Enfin, les travaux actuels sur la loi concernent essentiellement la France métropolitaine et oublient l'outre-mer et les milieux marins, pourtant riches en biodiversité.

M. Harold Levrel, chercheur en économie écologique au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired). - Je suis chercheur en économie écologique au Cired et professeur à AgroParisTech. Je travaille sur l'efficacité des mesures de compensation depuis plusieurs années en France et aux États-Unis. J'ai participé à un ouvrage collectif en 2015 sur le sujet. J'ai été l'animateur d'un groupe de travail sur la biodiversité au sein du comité pour l'économie verte, qui regroupe des associations, des élus, des syndicats, des économistes, des professionnels, etc. Il a publié un avis, qui identifie trois priorités : l'intégration, la planification et l'anticipation. Les cadres réglementaires, les formats de recommandations et les outils d'évaluation de l'équivalence sont très hétérogènes. Chaque bureau d'études utilise ses propres outils. On manque d'un cadre commun, ce qui génère des conflits et des contentieux. Il est urgent de définir l'équivalence, afin de tenir compte de tous les composants de la biodiversité : les végétaux, les animaux, mais aussi les fonctionnalités. Ce type d'outil existe déjà dans la loi sur la responsabilité environnementale. Dès lors que la loi fixe l'absence de perte nette de biodiversité comme objectif avec une obligation de résultat, une harmonisation s'impose. Il conviendrait aussi d'élaborer un outil cartographique pour faciliter la visualisation des enjeux et la planification. Enfin, il faut se doter d'outils pour veiller à la pérennité des mesures de compensation. La loi pose déjà le principe des obligations réelles environnementales. On pourrait envisager d'autres solutions, comme des cessions au Conservatoire du littoral ou aux conservatoires d'espaces naturels par exemple.

La bonne compensation dépend de la nature des atteintes au milieu. S'il s'agit d'une tourbière millénaire, aucune compensation n'est possible. S'il s'agit de terrains dégradés, il est possible d'agir. La question est de définir le seuil à partir duquel une compensation est acceptable ou non.

La compensation implique des coûts. Si parvenir à une absence de perte nette de biodiversité s'avère trop coûteux, il est pertinent de renoncer au projet. C'est ce qui se passe aux États-Unis. En Floride, les mesures de compensation pour le rechargement des plages étaient deux fois plus coûteuses que le projet, mais, comme celui-ci était jugé crucial, il a été maintenu.

Les sites naturels de compensation de la biodiversité facilitent la mutualisation et permettent une approche intégrée des mesures de compensation en visant de plus grandes surfaces, ce qui augmente leur efficacité. Il est aussi plus facile pour l'administration de procéder aux contrôles. Aux États-Unis, un agent est chargé en moyenne de suivre 200 dossiers, mais ceux qui s'occupent de banques de compensation suivent sept dossiers : les sites sont plus faciles à gérer et les coûts de transaction sont réduits. Toutefois, ces sites ne sont pertinents que pour des écosystèmes qui ne sont pas spécifiques. La plaine de la Crau est un écosystème très spécifique, ce qui explique l'échec, sur le plan économique, du plan de la Caisse des dépôts.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous des liens d'intérêts avec un des quatre projets sur lesquels nous travaillons ?

M. Thierry Dutoit - Je suis président de la réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau. Nos travaux ont bénéficié d'un financement en 2008, en phase initiale, de la part de la Caisse des dépôts.

M. Harold Levrel . - Je supervise une thèse qui bénéficie d'un financement de Vinci et aborde la LGV Tours-Bordeaux.

Mme Claire Etrillard, M. Michel Pech, et Mme Anne-Charlotte Vaissière déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le cadre réglementaire évolue : loi sur la biodiversité, droit communautaire, protocole de Nagoya, etc. Les acteurs semblent se mobiliser. Estimez-vous que nous sommes sur le point de parvenir à un système cohérent, nous permettant de mieux prendre en compte la biodiversité, avec une meilleure connaissance des enjeux, des flux économiques ? Ou bien, à l'inverse, considérez-vous que notre société reste rétive à la compensation, qui serait perçue comme un obstacle aux opérations d'aménagement ?

M. Harold Levrel . - Aux États-Unis, la réglementation a été durcie suite à un rapport de la Cour des comptes de 2005 qui dénonçait le manque d'effectivité de la loi. La compensation est devenue plus coûteuse et plus efficace. Cela s'est accompagné de la création d'un nouveau secteur économique puissant de la restauration écologique. Ce secteur représente 125 000 emplois quand le charbon n'en représente que 80 000... Aujourd'hui, ce sont ces entreprises qui intentent des procès si les réglementations ne sont pas respectées ! Le renforcement de la réglementation environnementale a ainsi créé un développement économique endogène, avec une professionnalisation des acteurs.

Mme Anne-Charlotte Vaissière . - La loi américaine sur la compensation a beaucoup évolué en trente ans. Le législateur américain a compris qu'il fallait définir un cadre juridique très précis pour tenir compte du vivant, tout en offrant des marges de souplesse pour s'adapter si une restauration n'était pas efficace ou pour faire face au changement climatique.

Sommes-nous à la veille d'un système cohérent ? La loi sur la biodiversité a élevé le niveau d'exigence, avec la non-substitution des trois étapes de la séquence « ERC », son caractère obligatoire, la notion d'équivalence écologique, l'exigence de résultat, la possibilité d'obtenir des garanties financières, le principe d'obligation réelle environnementale. Toutefois aucun indicateur n'a été défini. Les garanties financières restent facultatives. Il serait judicieux de les rendre obligatoires dans les sites naturels de compensation.

Le cadre actuel ne garantit pas que les grands projets d'équipement, qui ont des effets durables sur l'environnement, s'accompagnent de mesures de compensation pérennes. Il est possible de réaliser des plans de gestion sur une longue durée. C'est une avancée. Toutefois, alors que les lignes directrices de la démarche « ERC » prévoient la possibilité de faire des cessions, la loi sur la biodiversité est muette sur ce point. Si la loi américaine offre une marge de souplesse pour s'adapter, notre loi reste très rigide et n'indique pas comment faire si une mesure n'est pas efficace ou comment s'adapter si l'environnement évolue.

La loi fait mention d'aires de services dans les sites naturels de compensation pour que les mesures de compensation aient lieu dans la même zone que celle impactée. Quand il s'agit d'une zone humide, l'idée est de rester dans le même sous-bassin versant ; quand il s'agit d'une espèce protégée, il faut viser l'aire de répartition de la population. La loi évoque la « proximité fonctionnelle », mais sans préciser. La proximité géographique n'est pas toujours suffisante : cela n'a pas de sens de compenser en dehors du bassin versant dans le cas des zones humides.

La loi sur la biodiversité facilitera-t-elle la reconquête ? La biodiversité ordinaire n'est souvent pas compensée, car la compensation se concentre sur les milieux protégés ou les espèces protégées. Seuls les impacts résiduels significatifs sont pris en compte. La compensation ne vise qu'une petite partie de la biodiversité. C'est un outil d'équilibre, pas de reconquête. Pour reconquérir la biodiversité, d'autres actions sont nécessaires, comme la désartificialisation des sols.

M. Michel Pech . - La loi sur la biodiversité comporte des avancées positives comme l'obligation réelle environnementale, doublée d'une obligation réelle sur le foncier. Elle favorise une meilleure compréhension des enjeux du dilemme entre la rareté du foncier agricole et les besoins fonciers des aménagements. Elle contribue au développement d'une ingénierie écologique. Si la concurrence entre les cabinets d'études est bénéfique, elle peut aussi s'accompagner d'effets pervers, incitant les aménageurs à recourir aux cabinets les moins chers pour mettre en place une compensation à moindre coût. Les mêmes autorités administratives sont compétentes pour l'évitement et la restauration, d'une part, et la compensation d'autre part. Il faudrait séparer.

Cette loi met aussi en avant l'économie agricole non marchande, ce qui implique de revoir l'articulation entre production agricole et production environnementale. Quel cadre fiscal appliquer à une exploitation qui tirerait la plupart de ses revenus de la compensation ? Il importe que le législateur précise le cadre. Se pose aussi la question de la valeur des terres. Les opposants à la compensation affirment que la compensation ponctionne des terres agricoles. Les études en cours montrent plutôt que les terres soumises à compensation ne sont pas celles qui ont une valeur agronomique élevée.

M. Jérôme Bignon . - Cela dépend où ! Si la région ne comporte que des terres riches, les compensations les affecteront nécessairement !

M. Michel Pech. - C'est exact, mais dans la mesure du possible, les agriculteurs ou les Safer essaient d'échanger pour faire en sorte que les premières terres impactées soient celles qui ont une valeur agronomique très faible.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela représenterait donc une plus-value pour ces terres de faible valeur agronomique. Ai-je bien compris ?

M. Michel Pech. - Absolument !

Mme Claire Etrillard. - La compensation écologique existe depuis 1976, mais à l'époque l'objectif était plutôt de conserver des espèces rares ou des espaces remarquables. Depuis, nous avons fait du chemin. En 2016, notre conception de l'environnement est plus intégrée.

La loi pour la reconquête de la biodiversité contient des apports juridiquement intéressants, tels que les obligations réelles environnementales ou la séquence ERC qui viendra compléter le principe d'action préventive, mais nous pouvons encore progresser. Par exemple, des incertitudes demeurent pour l'équivalence écologique, qui ne repose sur aucune méthode scientifique.

Pour ce qui est des opérateurs de compensation, l'agrément de l'État ne sera finalement pas exigé. Par ailleurs, les exploitants agricoles et forestiers n'ont pas été inclus dans la boucle, alors qu'ils sont visés au premier chef.

Quant à l'obligation de résultat, je ne sais pas si elle est totalement compatible avec cette équivalence écologique à géométrie variable.

Enfin, la compensation par l'offre peut constituer une opportunité pour réaliser de beaux projets environnementaux si elle ne débouche pas sur de la compensation à bas coût. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les risques que représente la distance entre les lieux de compensation et ceux où sont menés les projets, ou encore la disparité entre les régions.

M. Thierry Dutoit. - Nous sommes dans une démarche de progrès, car les premiers discours sur la compensation prononcés en 2008 lors de l'opération Cossure ont beaucoup évolué grâce aux retours d'expérience de nombreux chercheurs. Aujourd'hui, nous sommes mieux à même de renseigner et de dimensionner la compensation, de sorte que les aménageurs ne prononceront plus ce discours de la restauration intégrale d'un écosystème. À mes yeux, une bonne compensation est celle que l'on peut atteindre, y compris grâce à la réhabilitation.

D'un point de vue plus général, la compensation peut permettre une reconquête, mais elle n'est qu'un élément de la conservation de la nature avant les séquences « éviter » et « réduire ». S'il est actuellement impossible de restaurer un écosystème fortement dégradé, on peut très bien procéder à une réaffectation de celui-ci. Les écosystèmes pourraient être très intéressants à l'avenir en termes de biodiversité et de nouvelles fonctions. En l'espèce, l'incertitude est très importante, car on ne peut jamais prédire le résultat des dégradations. Or ces données sont essentielles pour se positionner par rapport aux aménageurs.

Nous voudrions systématiquement connaître la liste de l'ensemble des espèces présentes au sein d'un écosystème affecté, ainsi que toutes leurs fonctionnalités. Or cela est impossible du fait de la complexité de la nature, quelle que soit l'échelle à laquelle on l'appréhende. L'oubli d'une seule fonction risque d'entraîner des effets secondaires indésirables. Soyons toujours modestes concernant nos connaissances sur le vivant et sur nos capacités de restauration. Nous pouvons l'être un peu moins sur nos capacités de réhabilitation, qui doivent s'additionner aux mesures d'atténuation, d'évitement et de conservation.

M. Jérôme Bignon . - Je pensais que la compensation visait à compenser ce qui avait disparu, avec l'application des principes d'équivalence et de proximité. Selon vos propos, Monsieur Dutoit, la compensation serait autre chose. De plus, en l'état de nos connaissances, l'intégralité ne serait jamais atteinte et toutes les fonctionnalités ne pourraient être rétablies. La restauration dans un lieu différent bat en brèche les principes de proximité et d'équivalence. Cela étant, j'apprécie votre franchise sur ce sujet, ce qui n'est pas toujours le cas de l'administration.

Le débat porte aussi sur le conflit d'intérêts entre ceux qui sont chargés de tout faire : éviter, réduire et compenser. Les acteurs de la compensation ne comprennent pas bien le sens des critères imposés. Un vrai travail de fond doit permettre de trouver des solutions appropriées. Je me réjouis des progrès réalisés, car nous avançons dans le bon sens. Mais ce processus pourrait être accéléré avec un système moins opaque, plus transparent. Cela éviterait certaines interventions malheureuses d'agents de l'État, aucunement soucieux d'éviter la dégradation de milieux naturels.

Il serait très souhaitable que la science et le droit nous donnent les moyens de mieux progresser sur ces questions.

M. Daniel Gremillet . - Je souhaiterais revenir sur l'exemple pertinent évoqué par M. Pech. Des terres agricoles ou forestières permettraient de dégager un revenu supérieur à des terres productives grâce à une rémunération de la compensation et de tout ce qui figure dans le cahier des charges.

Certes, la nature évolue en permanence et nos connaissances s'affinent. Des certitudes actuelles pourraient demain être remises en cause. N'est-il pas dangereux d'extraire de la réalité ces territoires, dont la nature agricole pourrait se révéler bénéfique plus tard ? En outre, la compensation ne risque-t-elle pas d'être sujette à une marchandisation et à une course au mieux-disant ?

Enfin, la nature du sol et de la vie qu'il abrite évoluent avec l'environnement. Or les raisons qui motivent la compensation peuvent localement modifier les conditions climatiques et la nature du sol. Comment pouvons-nous appréhender ce processus ?

M. André Trillard . - J'ai cru entendre parler d'expropriation à titre de compensation. Cette approche est-elle purement théorique ?

Les compensations plus modestes sur les propriétés forestières communales gérées selon les procédures PEFC (Programme européen des forêts certifiées) présentent l'avantage d'assurer la pérennité de l'entretien et du fonctionnement de ces sites. Elles évitent ainsi de se tourner vers des terres agricoles.

L'état initial d'un territoire qui fait l'objet d'une cartographie n'est plus le même lors de la mise en oeuvre du projet. Qu'en est-il du nouvel inventaire ?

Monsieur Levrel, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que la production importe peu, pourvu que le nombre d'emplois ne soit pas modifié. C'est dépouiller encore le monde rural du peu de richesses qu'il possède que d'aller créer des emplois dans les grandes villes à titre de compensation.

M. Harold Levrel. - Mais non !

M. André Trillard . - Tant qu'à faire, continuons de complexifier la situation : un paysan tirera-t-il ses revenus pour moitié de l'agriculture et pour l'autre moitié des bénéfices non commerciaux ? Cette solution provoquerait un bazar innommable, mais elle ferait vivre les Parisiens.

Enfin, qui décide du ratio de compensation, qui est de 1 pour 1 dans certains territoires, et de 16 pour 1 dans d'autres ? Quelle est la règle ? Où se trouve le curseur ? L'usage me paraît en totale contradiction avec le droit.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous étudié d'autres sites de compensation par l'offre en dehors de la plaine de la Crau ? La compensation par l'offre pourrait-elle servir la biodiversité ordinaire ?

M. Michel Pech. - S'agissant des terres agricoles et des terres à valeur environnementale, il faut à tout prix anticiper.

En matière agricole, nous assistons à l'apparition des plans agricoles départementaux, qui permettent à la profession agricole et à l'administration d'envisager les évolutions futures en termes d'aménagement. Ce plan est idéal pour mettre en oeuvre des modifications à l'échelon des politiques locales, agricoles, urbaines ou d'aménagement sur une période de dix ans ou vingt ans, et pour déployer les moyens nécessaires pour respecter un certain nombre de principes.

La loi pour la reconquête de la biodiversité règle nombre de problèmes qui étaient mis en avant par les juristes, les économistes, les agronomes et les écologues. Maintenant, le curseur se situe chez les politiques. Que veut-on pour l'agriculture ou l'aménagement de demain ? Quels sont les arbitrages qui s'imposent ? Je n'ai pas la réponse.

Concernant les expropriations, je dispose seulement d'enquêtes réalisées par des étudiants de l'école d'agronomie de Rennes sur la ligne LGV Le Mans-Rennes et mentionnant l'expropriation. Mais je n'ai pas vraiment réussi à obtenir des informations précises en la matière. S'agit-il de procédures d'expropriation ou de réorganisations foncières ?

M. André Trillard . - Cela n'a-t-il pas été finalisé ?

M. Michel Pech. - Si, mais je ne m'interroge à ce sujet.

M. André Trillard . - L'expropriation ou la réorganisation foncière n'ont rien à voir.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous poserons la question.

M. Harold Levrel. - Je voudrais évoquer les conventions conclues avec les agriculteurs, et plus généralement, le recours croissant à la gestion conservatoire, système alternatif à l'acquisition du foncier et à la restauration de sites dégradés.

En réalité, le problème avec la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux est de trouver des terres à restaurer qui vaudront compensation. D'où le conventionnement avec les agriculteurs. Je ne suis pas contre cette pratique, mais elle risque de se généraliser, car elle est moins coûteuse, permet de surmonter le problème du foncier et suscite davantage l'adhésion locale, contrairement à l'achat du foncier qui pose problème.

Ce qui m'inquiète un peu avec ce type de démarche, c'est l'additionnalité. Dans l'absolu, l'artificialisation ou la fragmentation d'un sol avec une ligne à grande vitesse doit s'accompagner d'une action de compensation en vue de la désartificialisation. Or ce n'est pas le cas avec le conventionnement, qui peut être prévu avec les agriculteurs ou les forestiers pour compenser des impacts définitifs sur le sol. Quant aux éoliennes, ce sont des concessions de trente ans qui doivent à terme être retirées, à moins que le contrat soit renégocié. Dans ce cas, la question de l'additionnalité est vraiment discutable. D'ailleurs, l'incapacité à atteindre l'absence de perte nette de biodiversité en France s'explique par tous ces accords, ces arrangements locaux qui prennent des formes très différentes et valent compensation.

Cette dérive, il faut en avoir conscience pour mieux l'appréhender. Il convient à mon avis d'accorder plus de moyens aux administrations qui travailleront sur ce sujet. De plus en plus d'associations y passent une partie de leurs journées. C'est aussi le cas des DREAL au détriment d'autres actions. Si l'on compte financer ces besoins à moyens constants, on observera inévitablement une baisse de la qualité des actions menées.

Les marchés font-ils l'objet d'une marchandisation ?

Le cadre américain est extrêmement strict, car les frontières géographiques correspondent à des frontières écologiques. Pour les zones humides, les limites sont fixées par le périmètre des sous-bassins versants. De la même manière, des crédits de compensation sont vendus en fonction des observations effectuées sur le site et liées à la restauration écologique, aux différentes espèces et fonctionnalités, au suivi écologique des différentes composantes de la biodiversité.

À ma connaissance, c'est le premier marché qui est contraint par des limites spatiales et temporelles qui sont de nature écologique. Si les Américains ont réussi cela, c'est parce que le marché est au service d'une réglementation. Bien sûr, certains acteurs gagnent de l'argent si leur investissement produit les effets escomptés, car ce secteur est plutôt bénéficiaire. En revanche, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, ils perdent tout !

Ce qui me paraît intéressant dans ce système, c'est que la nature ne supporte plus les risques financiers liés aux mesures compensatoires insuffisamment bordées. Pour illustrer mon propos, je citerai l'échec de la compensation en faveur de Port 2000. Un travail ambitieux de reméandrage valant compensation n'a pas fonctionné en dépit de l'exigence d'un conseil scientifique et de l'investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros. Au final, c'est la nature qui a perdu. Dans le système d'investissement préalable, si le projet n'aboutit pas, les crédits de compensation ne sont pas octroyés et la compensation ne peut avoir lieu.

La financiarisation n'existe pas avec les marchés de compensation en l'absence de titrisation. L'achat d'un crédit de compensation n'est possible que si l'on génère un impact. En l'espèce, le marché secondaire n'existe pas, contrairement au marché carbone qui a donné lieu à des dérives importantes.

Quant à la création d'emplois en ville, je veux bien entendre cet argument, mais il ne faut pas se leurrer : la disparition de l'emploi dans les campagnes est liée à la révolution verte et non aux compensations. C'est l'agriculture moderne qui est à l'origine de la disparition de la population dans les zones rurales.

Mme Anne-Charlotte Vaissière. - S'agissant du risque de marchandisation, tout le système repose sur le cadre réglementaire destiné à encadrer la compensation par l'offre. En la matière, les Américains ont essuyé les plâtres depuis trente ans et proposé des mesures intéressantes. Ils utilisent désormais des méthodologies d'évaluation de l'équivalence écologique partagées pour mesurer l'impact et la compensation. On peut parler d'échange d'unités. En France, des méthodes d'évaluation nationale sont en cours de développement. Ces orientations sont très positives.

De plus, aux États-Unis, les servitudes environnementales qui protègent les terrains de compensations sont perpétuelles. Évidemment, l'immunité perpétuelle pourrait être discutable, mais des engagements en faveur des enjeux environnementaux ont été pris par les propriétaires. En France, la situation n'est pas envisagée de la même façon.

Enfin, les comportements opportunistes ne peuvent perdurer dans le système américain, car les unités de compensation ne sont pas toutes disponibles à la vente dès le début de l'opération. Les crédits sont mis en vente progressivement selon le degré d'atteinte des objectifs. Par conséquent, certaines personnes qui investissent dans des banques de compensation ne pourront vendre une partie de leurs crédits qu'au bout de cinq ou dix ans en fonction du temps de restauration de l'écosystème. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'application de la compensation par l'offre ne nous semble pas appropriée à certains milieux, notamment en Floride, où la restauration des zones humides prendra une dizaine d'années. En définitive, le risque de marchandisation existe si l'on ne se réfère à aucune règle. Mais avec un cadre réglementaire bien détaillé, les contraintes seront fortes sur ceux qui mettent en place ces sites naturels de compensation. Il est intéressant de regarder ce qui a été fait à l'étranger avant de se lancer dans l'aventure.

Monsieur Trillard, vous avez évoqué la possibilité de réaliser de petites compensations à partir de plans de gestion des propriétés forestières. Il faut évidemment être très attentif au respect d'un principe d'additionnalité dans les mesures de compensation. Celles-ci ne peuvent pas remplacer des actions déjà prévues et déjà financées. La compensation doit véritablement apporter une plus-value.

M. André Trillard . - À cet égard, la commune dont je suis le maire connaît un problème de zones humides qui est plutôt dissuasif. Au reste, la dénomination « zones humides » recouvre tellement de variétés que l'on ne sait plus sur quelle partie du territoire on se trouve en zone humide...

Dans le cadre d'une amélioration de l'environnement et des conditions de vie des habitants, on a récemment créé une forêt communale et obtenu la suppression de la ligne à moyenne tension qui desservait l'agglomération.

La zone humide et la forêt ne sont séparées que de 300 mètres. Sur la durée, la garantie est totale. Il y a une trame et un classement « espaces boisés classés » dans le plan local d'urbanisme (PLU). Il n'est donc pas question de faire n'importe quoi. Ensuite, le préfet a déclaré la forêt communale et a transmis la gestion à l'Office national des forêts (ONF). La forêt est aussi labellisée PEFC.

Les petits travaux dans des zones déclarées humides sont de nature à créer des problèmes. Pourtant, l'administration avait incité les maires à établir le plan de leurs zones humides, leur garantissant que cela n'aura aucune influence en matière d'urbanisme !

Les compensations ne peuvent pas être extraordinaires, mais on doit quand même respecter une cohérence. Cela dit, je suis bien conscient que le cas de ma commune n'est pas celui de la Crau !

Mme Anne-Charlotte Vaissière . - Dans ce cas particulier, la plus-value écologique que la gestion de cette forêt pourrait apporter devrait être évaluée.

Plus généralement, je voulais insister sur le principe d'additionnalité. S'il n'apparaît pas directement dans la loi, ce principe est vraiment fondamental pour que l'argent de la compensation ne se substitue pas à de l'argent qui était normalement dédié à des mesures de conservation et de gestion de la biodiversité.

Monsieur Trillard, j'ai dû mal m'exprimer lorsque j'ai évoqué l'état initial. Je ne parlais pas de l'état initial qui figure dans les études d'impact ou les diagnostics environnementaux qui doivent être réalisés pour chaque projet. Je souhaitais plutôt évoquer la façon dont les services instructeurs, à une échelle donnée, vont instruire la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC). Celle-ci est-elle effectivement réalisée ? Est-elle déjà effective ? Quels en sont les résultats ? Y a-t-il un bon suivi ? Comment le contrôle est-il exercé ? Les agents vont-ils sur le terrain ? J'avais en tête ces petites enquêtes à l'échelle locale pour étudier l'application réelle et le réalisme de la séquence ERC en France, en partant d'un exemple.

Madame Jouanno, effectivement, si la biodiversité ordinaire n'est pas directement protégée, ce que prend en compte l'étude d'impact - l'ensemble des milieux, le sol, les continuités écologiques - est vraiment très large. Par ce biais, il arrive que des zones de biodiversité ordinaire soient prises en compte pour dimensionner des mesures de compensation. Quand on s'intéresse à une espèce protégée, quand on restaure un milieu, tout un cortège d'espèces, relevant parfois de la biodiversité ordinaire, est aussi pris en compte. Dire que la biodiversité ordinaire n'est pas prise en compte était donc un peu schématique.

Je ne suis pas sûre que la biodiversité ordinaire soit prise en compte plus ou moins fortement selon que l'on compense par la demande ou par l'offre.

Pour ce qui concerne l'implication des acteurs agricoles dans les compensations écologiques, j'ai eu l'occasion de réaliser une étude, en partenariat avec les chambres d'agriculture de Picardie, sur la perception qu'avaient les agriculteurs de la mise en place de mesures de compensation sur les terres qu'ils cultivent. De façon générale, les agriculteurs n'étaient pas partants pour mettre en place ces mesures, mais quelques-uns l'étaient. Nous avons pu déterminer que, dans les raisons de l'acceptation ou du refus, la durée était l'un des facteurs les plus importants. Ce n'est pas très étonnant quand on sait que le taux de fermage atteint presque 60 % en France. Les agriculteurs ne vont pas forcément pouvoir s'engager sur des mesures compensatoires très longues. Cela nécessite de penser une articulation.

Dans ces conditions, l'obligation environnementale réelle peut être intéressante, à condition, bien évidemment, comme cela est indiqué dans la loi, que le preneur à bail et le propriétaire se soient mis d'accord et que, sur ce terrain, les producteurs successifs puissent conserver ce plan de gestion des compensations.

Je souhaite éclairer le débat avec l'expérience américaine. Aux États-Unis, les agriculteurs sont bien plus souvent propriétaires des terrains. Nous avons pu constater que, dans la plupart des banques de compensation de Floride, les opérateurs de compensation sont d'anciens producteurs agricoles, qui ont changé de métier. Cela dit, les échelles sont totalement différentes et la culture n'est pas la même.

M. Thierry Dutoit . - Je veux revenir sur la prise en compte de la nature ordinaire dans les processus de compensation. C'est une nécessité.

En effet, la nature ordinaire est beaucoup plus impactée que la nature extraordinaire par les aménagements. Or, par définition, la nature ordinaire, par opposition à la nature extraordinaire, n'a pas, a priori , de valeur patrimoniale, que ce soit en termes d'espèces, d'habitats ou encore de paysages. En revanche, elle remplit de nombreuses fonctions et peut rendre de nombreux services écosystémiques.

La nature ordinaire voit son importance de plus en plus reconnue dans le cadre des politiques de trame verte, de trame bleue. Les haies, les bandes herbacées ou les rivières peuvent être restaurées, non pas à des fins de restauration de la biodiversité, mais compte tenu de leurs fonctionnalités. La prise en compte spécifique de la nature ordinaire dans les processus de compensation doit passer par l'angle des services, et non par celui de la biodiversité. Ce point me paraît très important.

Cependant, les échelles rendent la prise en compte de la nature ordinaire compliquée. Pour qu'un système de haies ou de bande herbeuse soit efficace, il faut raisonner non pas en mètres carrés ou en centaines de mètres carrés, mais en maillage.

J'attire notamment votre attention sur le fait que, sur le site de Cossure, dans la plaine de la Crau, on réfléchit actuellement à prendre en compte la nature ordinaire du fait de la difficulté de vendre des unités de biodiversité.

Monsieur Gremillet, vous avez attiré mon attention sur les sols. Effectivement, les sols posent un problème en termes de restauration. Les sols, dans les écosystèmes, sont souvent considérés comme des boîtes noires : on regarde ce qui rentre et ce qui sort, mais on oublie de regarder ce qu'il y a dedans, à savoir, en l'espèce, la biodiversité « obscure ».

Il est de nombreuses espèces et de nombreux groupes d'espèces que l'on ne sait pas reconnaître, comme les champignons ou les algues. Par ailleurs, la plupart des sols ont mis plusieurs dizaines de milliers d'années à se former. C'est le cas des sols les plus évolués. Quelquefois, la restauration d'un écosystème peut consister à « dégrader » le potentiel agronomique d'un sol, qui a été acquis par des générations d'agriculteurs. On peut agir en retournant des sols qui ont été trop fertilisés par de nombreux apports d'azote chimique pour remettre en surface l'horizon minéral - le plus pauvre et le plus propice à une certaine biodiversité. La restauration des sols peut s'opposer à ce qui a été décidé au nom du génie agronomique pendant des centaines d'années.

J'ai eu l'occasion de travailler sur les calculs des ratios de compensation. J'ai connu trois étapes.

On a d'abord souhaité, au début de l'opération Cossure, consigner la fonction dans l'écosystème de chaque espèce - le moindre coléoptère, la moindre sauterelle... Nous en étions bien évidemment incapables ! On a donc très rapidement décidé de ne pas calculer les ratios de compensation espèce par espèce, fonction de chaque espèce par fonction de chaque espèce, habitat par habitat. Il est ressorti des négociations sur les ratios de compensation un compromis entre les capacités de l'aménageur, l'autorité de l'État en matière environnementale et la pression des associations de conservation de la nature. Un projet prévoyait une restauration de l'ordre de 10 à 15 hectares compensés par hectare détruit. Cela n'a jamais été appliqué, sauf dans le cas spécifique la pollution aux hydrocarbures par SPSE. Les derniers projets de compensation reposent sur des ratios de 1 hectare compensé pour 1 hectare détruit, voire de 1 pour 0,5. Au demeurant, ces ratios reflètent davantage la conjoncture économique que de réels calculs d'équivalence écologique.

Il est très difficile de mesurer l'équivalence écologique dès lors que l'on ne connaît pas l'ensemble du catalogue des espèces. Cependant, un travail important de bio-indication est réalisé actuellement pour mettre au point un outil d'estimation de cette équivalence. Toutefois, en matière d'écologie, l'oubli d'un paramètre peut avoir des effets secondaires terribles. On travaille beaucoup sur des indicateurs d'équivalence et sur des indicateurs de succès de la restauration.

M. André Trillard . - Je vous remercie de vos explications.

Nous avons entendu parler, lors d'une précédente audition, d'un ratio de 16 hectares compensés pour 1 hectare impacté. Peut-on considérer que ce ratio n'existe plus aujourd'hui ?

M. Thierry Dutoit . - Personnellement, je ne l'ai jamais vu mis en oeuvre.

M. André Trillard . - On garde une possibilité de discuter sur cette base.

M. Thierry Dutoit . - Oui.

M. André Trillard . - Les discussions qui devront avoir lieu sur les zones humides m'inquiètent fortement. L'expression de « zone humide » ne veut rien dire tant que l'on n'a pas expertisé précisément la zone ! Les cartographies ont souvent été faites depuis le volant des voitures.

M. Daniel Gremillet . - L'impact du politique sur l'agriculture et sur l'espace est bien plus faible qu'on peut l'imaginer. En revanche, l'impact de la science est phénoménal.

Voilà un demi-siècle, dans le département des Vosges que je connais bien, les terres dont le revenu cadastral était le plus élevé étaient les vieilles terres de prairie naturelle. Aujourd'hui, la science ayant fait des progrès, ce n'est pas sur ces terres que le revenu agricole par hectare est le meilleur.

Tout va très vite et continuera à aller vite. Voyez ce qu'était la Champagne pouilleuse il y a cinquante ans et ce qu'elle est aujourd'hui !

Faut-il considérer les terres en compensation comme des biens publics ? Doivent-elles être sanctuarisées ? Ce choix aurait des conséquences lourdes.

M. Michel Pech . - Dans l'absolu, non, toutes les terres en compensation ne seront pas des biens publics. Quand on pérennise des mesures de compensation sur des terres, parce que l'emprise a causé des problèmes tels que la compensation devrait durer ad vitam aeternam , leur propriétaire en est dépossédé. Quand de l'argent est versé pour protéger ces terres, la nature de la parcelle n'appartient plus au propriétaire. Cela devient un bien public.

Quand les contrats portent sur de très longues durées ou sont à vie, comme ils peuvent l'être aux États-Unis, il est évidemment hors de question que le propriétaire récupère le bien et en dispose à sa guise, alors que l'on a passé des années à y cultiver d'une certaine façon pour compenser je ne sais quelle emprise. Ces cas devraient rester marginaux, mais ils peuvent exister.

M. Daniel Gremillet . - Dans un demi-siècle, il y aura peut-être un nouveau projet qui pourrait amener à impacter de nouveau les terres.

M. Michel Pech . - Bien sûr !

M. Daniel Gremillet . - En permanence, l'Homme façonne les territoires. On ne sait pas ce qui va se passer dans un demi-siècle ni même dans vingt siècles. C'est pour cela que j'ai évoqué une possible sanctuarisation.

M. Jérôme Bignon . - Je reviens sur la propriété perpétuelle. Il n'y a que le domaine public qui soit inaliénable. Il faudrait que l'État intègre ces espaces dans son domaine. Les terres acquises par le Conservatoire du littoral ne sont pas inaliénables : le conseil d'administration peut en décider autrement, à la majorité des deux tiers, sauf décret en Conseil d'État défavorable. En principe, en droit civil, la durée maximale d'un bail est de quatre-vingt-dix-neuf ans.

Vous avez presque tous estimé que la loi prévoyait de nombreux outils. Mais, dans notre pays, le règlement a également une part très importante - je dirais même plus importante.

Sur la base des éléments qui sont aujourd'hui à votre connaissance, avez-vous l'impression qu'il manque des outils de nature législative en matière de biodiversité ? Les circulaires sur le littoral qui paraissent régulièrement permettent de mieux comprendre l'interprétation que l'administration fait de la loi. Pensez-vous que l'administration doive procéder de la sorte pour faire connaître sa doctrine administrative en ce domaine ? Si oui, pouvez-vous nous indiquer les orientations qui vous paraissent souhaitables ?

M. Harold Levrel . - L'indépendance de l'autorité environnementale, notamment des nouvelles autorités régionales, est un point important. De fait, dans l'histoire récente des mesures compensatoires découlant des grands projets, le préfet doit assumer à la fois un aménagement et une exigence environnementale. Ce n'est pas tenable, d'autant que les enjeux politiques, économiques et sociaux de l'aménagement dépassent, in fine , les enjeux environnementaux, ce qui est bien normal. Cette situation ne peut plus durer.

Aux États-Unis a été créée une organisation, l' Interagency review team (IRT). Ce groupement d'acteurs, chargé de défendre l'intérêt public relatif aux questions environnementales, bénéficie d'un budget dédié. Ses moyens sont prélevés sur les budgets de fonctionnement des études d'impact. L'IRT valide les sites naturels de compensation, sur la base de critères exigeants, ainsi que les évaluations, les suivis, les équivalences. Elle intervient à un moment clé de la validation.

Je ne vois pas bien ce qui est prévu, en France, pour gérer ce besoin, qui semble important.

M. Thierry Dutoit . - Le droit n'est pas ma discipline, mais le besoin de régulation juridique me paraît net si émerge un nouveau marché de compensation d'unités de biodiversité. Je vais essayer de l'illustrer très concrètement.

Actuellement, sur l'opération Cossure, une unité de biodiversité coûte 50 000 euros l'hectare TTC. Ce montant tient compte de notre capacité à avoir su réhabiliter une fonction de l'écosystème, qui est l'accueil des oiseaux steppiques.

Le décès d'un grand propriétaire de la plaine de la Crau a récemment libéré 900 hectares sur le marché. Chacun de ces hectares coûte 5 000 euros, éligibles au titre de la compensation ex post . Un aménageur qui a 50 000 euros à dépenser achètera, plutôt qu'un hectare sur le site de Cossure, 10 hectares de ces milieux steppiques dont l'intégrité est préservée, ce qui lui permettra d'agir sur une grande surface. Il sera soutenu par les gestionnaires d'espaces naturels.

Une régulation est nécessaire pour que l'aménageur qui s'est investi dans une compensation par l'offre puisse voir son projet aboutir.

Une régulation permettrait aux investisseurs de savoir où ils vont dans un contexte caractérisé par un marché très mouvant, des ratios de compensation qui vont en diminuant et une concurrence entre compensation par l'offre et compensation ex post . Il faut définir des règles pour éviter une compensation au moins-disant, ce qui serait vraiment une dérive terrible.

M. Michel Pech . - Monsieur Bignon, on a quand même, en matière de politique agro-environnementale et environnementale, des exemples, en France, d'échelons territoriaux, régionaux et locaux qui ont la main pour affiner des politiques décidées au niveau européen ou au niveau national.

Compte tenu des arbitrages qui devraient avoir lieu, notamment entre paiements pour services environnementaux (PSE), compensations et agro-environnement, ces échelons, sur la base de cahiers des charges ou de comités de pilotage locaux ou régionaux, pourraient affiner et rendre plus cohérentes l'ensemble de ces politiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous remercie de vos interventions, qui éclairent encore davantage le débat. On voit bien que l'exemple américain inspire aujourd'hui beaucoup de personnes en France. Avez-vous regardé ce qui se passe ailleurs ?

Aujourd'hui, l'agriculture allemande est passée devant l'agriculture française, parce qu'elle a intégré les revenus énergétiques, non agricoles. Les services écosystémiques et de biodiversité commencent-ils aujourd'hui à entrer dans le modèle de l'agriculture allemande ?

M. Thierry Dutoit . - On a découvert récemment qu'une offre de compensation agricole existait en Allemagne. La difficulté est que cette compensation agricole n'a pas été valorisée. Elle n'a pas fait l'objet de communication à l'échelle internationale. Claire Pellegrin prépare une thèse sur ce sujet. Je n'en ai pas encore les résultats. Les documents dont nous disposons étant en allemand, nous avons besoin de temps pour accéder à leur contenu.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'agriculture allemande est très dynamique aujourd'hui. Sa grande force est de raisonner en termes de diversification des ressources.

M. André Trillard . - En Allemagne, les panneaux solaires sont toujours couplés à la biomasse.

En France, on commence toujours par équiper les bâtiments les plus industrialisés. Ce n'est pas forcément ce qu'il faudrait faire. Au reste, ce n'est pas un mouvement global : seuls ceux qui ont déjà de l'argent s'y engagent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous nous fournir des liens qui nous permettraient de voir comment l'agriculture allemande se positionne aujourd'hui ?

Ma dernière question a trait aux prix. On en parle peu, mais cette dimension est assez centrale.

Au-delà du chiffre de 50 000 euros par hectare à Cossure, on sait que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) réhabilite aujourd'hui un mètre carré pour 5 euros investis. D'ailleurs, la CDC n'est pas qu'un opérateur de compensation. Sa vision des choses me paraît beaucoup plus large.

Avez-vous d'autres indications de prix ? En particulier, à quel prix se chiffrent les expériences réussies de restauration de zones humides ? Ce point est très important pour nous.

De même, pour le monde agricole, on nous a parlé d'un coût entre 1 000 et 2 000 euros par hectare en gestion, intégrant des enjeux de biodiversité. Avez-vous des fourchettes de prix à nous communiquer ?

On voit bien que les modèles économiques iront à un moment vers l'évitement, parce que cela coûtera moins cher de faire des projets moins consommateurs d'espace.

M. Thierry Dutoit . - Je vais vous faire une réponse d'écologue : tout dépend du niveau de dégradation et du niveau de restauration.

Dans le cas de la Crau, les opérations de restauration les plus lourdes ont consisté à retirer ou à retourner le sol pour éviter les résidus de pesticides ou d'engrais. Leur coût s'élèvera à quelque 20 000 euros par hectare, hors acquisition du terrain.

Dans le cas des semis d'espèce nurses , basés sur l'ingénierie écologique, le coût descendra aux alentours de 1 000 euros par hectare. Toutefois, le résultat sera très différent.

Grosso modo , plus l'intervention est lourde, plus on va intervenir sur le système, sur la partie abiotique, sur l'habitat, plus le coût sera élevé, mais plus on aura des résultats rapides, sans pour autant que ces derniers soient garantis sur le long terme. Plus les interventions reposent sur le génie écologique plutôt que sur le génie civil, moins ces interventions seront chères, mais moins le résultat sera rapide, tout en ayant le même questionnement sur leur durée de vie à long terme.

Il est donc très difficile de répondre à la question des coûts. Oui, on peut communiquer des fourchettes, mais les amplitudes sont extrêmement fortes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous souhaiterions au moins pouvoir disposer des chiffres concernant les projets que vous connaissez, en zones humides ou autres.

M. Harold Levrel . - En Floride, en prenant tout en compte - l'achat du foncier, la restauration et les fonds mobilisés pour la pérennisation -, on aboutit à un coût moyen d'environ 100 000 euros par hectare. Cette moyenne cache évidemment une forte variabilité.

Dans le New Jersey, où la densité de population est davantage comparable à la nôtre, puisqu'elle s'élève à quelque 300 habitants par kilomètre carré, comme la majorité des actions de restauration concernent des friches industrielles - c'est pour moi un bon exemple, parce qu'il y a une vraie désartificialisation -, le coût grimpe à 300 000 dollars par hectare. On voit évidemment les effets incitatifs d'un tel prix sur l'évitement et la réduction.

M. Thierry Dutoit. - Voyez aussi le coût d'acquisition du foncier : à Cossure, les terres ont été acquises sur un verger fonctionnel et non une friche agricole, soit 4 millions d'euros pour 400 hectares. Ce coût élevé d'acquisition a augmenté d'autant les coûts de la compensation.

Mme Anne-Charlotte Vaissière . - Le prix des unités de compensation augmente. Aux États-Unis, tout est négocié entre les services de l'État et les opérateurs de la compensation, mais l'État ne participe pas à la fixation du prix d'échange des unités entre les opérateurs et les aménageurs. Le décret actuel sur la compensation, qui a été porté à notre consultation, n'indique pas si l'État a un droit de regard sur le prix ni comment ce dernier sera fixé.

M. Michel Pech. - En Bretagne et en Limousin, la valeur des services écosystémiques dans les zones humides s'échelonne entre 800 et 1 500 euros par hectare.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est le coût de la prestation de l'agriculteur pour maintenir la zone humide ?

M. Michel Pech. - Oui, le coût du service que rémunère le demandeur, par exemple la collectivité locale...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous remercie. N'hésitez pas à nous transmettre des exemples réussis de restauration de zones humides en France ou en Europe.

Mme Anne-Charlotte Vaissière . - Il y a quelques mois, la Direction générale de l'environnement de la Commission européenne a publié une étude sur la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) en Europe, comprenant des exemples de prix de la restauration, notamment en France et en Allemagne. Peu de chiffres sont disponibles pour la France, mais en région PACA, le coût de la restauration de la séquence ERC s'élève en moyenne à 5 % du budget total, mais voire de 0,17 à 25 %. En Allemagne, le coût moyen de la restauration - et non seulement de zones humides - varie de 20 000 à 60 000 euros par hectare, et atteint parfois plus de 100 000 euros. Cette étude est disponible en ligne.

Les décrets d'application pourraient être utilement complétés : le décret sur les sites naturels de compensation ne mentionne pas ce que deviendront ces sites de compensation à long terme, une fois la durée de la compensation terminée. Il faudrait pouvoir conserver le contact du maître d'ouvrage et de toutes les personnes ayant acheté des unités de compensation, qui restent responsables de la compensation si celle-ci est inefficace. Il n'existe pas non plus de règles sur la libération d'unités de compensation. Aux États-Unis, il n'est pas possible de vendre des unités de compensation dès le début. Il faudrait aussi mentionner dans le décret comment fonctionne cette libération progressive des unités, et préciser la gestion adaptative de restaurations à long terme : si la restauration est insuffisante ou en cas de force majeure, que devient le site naturel de compensation ? Enfin, un décret précise des choses sur l'agrément des sites naturels de compensation, mais il manque un décret socle commun sur la compensation, notamment pour préciser l'équivalence, la proximité et autres choses afin de traiter la compensation par la demande, cas le plus fréquent. Or cette compensation par la demande restera complémentaire des futurs sites naturels de compensation, même après leur développement.

M. Harold Levrel . - Aux États-Unis, certains acteurs, comme les banques de compensation, qui réalisaient ces sites naturels de compensation étaient suspectés, à juste titre, de vouloir gagner de l'argent sur la nature ; un système de contrôle très fort a donc été mis en place. C'est seulement dans un deuxième temps qu'il en a été fait de même pour la compensation par la demande. Évitons cela en France et nivelons tout vers le haut.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Tout à fait !

M. Harold Levrel . - Un rapport du Commissariat général au développement durable (CGDD) sera publié en janvier prochain.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - C'est ce que l'on nous a indiqué ce matin.

M. Jérôme Bignon . - Serait-il possible d'instaurer un système assuranciel souscrit par le maître d'ouvrage ou de garantie ? Personne ne peut garantir que le maître d'ouvrage sera encore là soixante ans après, au contraire de l'assureur. Cela fonctionne bien pour les carrières, les éoliennes, les installations classées.

Mme Anne-Charlotte Vaissière . - Dans le droit actuel, un transfert de la dérogation à la stricte protection des espèces protégées est possible en cas de transfert d'activité. Par exemple, la Société du Grand Paris a une durée de vie limitée, elle construit le réseau. Une fois le réseau installé, un autre acteur, déjà identifié, prend le relais. Mais il faudrait clarifier les choses pour les petits projets comme les ZAC. À titre de comparaison, aux États-Unis, la responsabilité de la réussite de la compensation est transférée de l'aménageur à la personne tenant la banque de compensation. En France, on craint un risque de déresponsabilisation de l'aménageur achetant son crédit qui peut disparaître le lendemain. La réussite de la mesure tient à la personne tenant la banque de compensation, même si juridiquement, c'est plus complexe que cela.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour cette audition extrêmement instructive. N'hésitez pas à nous faire part de vos éventuels compléments par écrit.

Audition des représentants de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme (FNH), Humanité et Biodiversité, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), World Wildlife Fund (WWF), l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et France Nature Environnement (FNE)
(jeudi 22 décembre 2016)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons des représentants d'associations environnementales. Notre commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures ne s'intéresse pas uniquement à la compensation mais à toute la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC). Et si nous nous focalisons sur quatre grands projets, nous nous intéressons à l'effectivité et à l'efficacité des mesures de compensation partout ailleurs. M. Jean-David Abel, vice-président du réseau juridique de France Nature Environnement (FNE), est accompagné de M. Romain Écorchard, membre du réseau juridique de FNE. M. Pierre-Henry Gouyon est le président du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme (FNH). M. Bernard Chevassus-au-Louis, président d'Humanité et biodiversité, est accompagné de M. Bernard Labat, chargé de mission sur le droit et l'économie. Mme Dominique Aribert est la directrice du pôle « conservation de la nature » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). M. Sébastien Moncorps est le directeur du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Et Mme Christine Sourd, directrice adjointe des programmes chez WWF, remplace Mme Diane Simiu, qui n'a pas pu nous rejoindre.

Cette réunion est ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-David Abel, M Romain Ecorchard, M. Pierre-Henry Gouyon, M. Bernard Chevassus-au-Louis, Mme Dominique Aribert, M. Sébastien Moncorps et Mme Christine Sourd prêtent successivement serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous des liens d'intérêts avec les quatre projets que nous étudierons ?

Mme Dominique Aribert, directrice du pôle « conservation de la nature » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) . - La LPO a une convention d'expertise avec Cosea et Lisea sur les mesures compensatoires de la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux.

M. Romain Écorchard, membre du réseau juridique de France Nature Environnement (FNE) . - Je suis salarié d'une association qui a déposé plusieurs recours contre le projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Sans répondre à toutes les questions que nous vous avons adressées, pouvez-vous nous présenter les points saillants qu'elles soulèvent, selon vous ?

M. Jean-David Abel, vice-président du réseau juridique de FNE . - La mesure de la biodiversité en France et de son évolution au cours de la dernière décennie doit être objective. Au-delà des inventaires réalisés par le Muséum national d'histoire naturelle, les grands indicateurs de la stratégie nationale que sont la fragmentation, l'usage de pesticides ou le nombre d'oiseaux sont tous au rouge, plus ou moins foncé. La fragmentation, par exemple, va croissant, en mailles de plus en plus petites et de moins en moins connectées. Parler de compensation sans évoquer la dynamique ERC est problématique.

La compensation est un concept ancien qui, bien qu'ayant fait l'objet d'améliorations successives, demeure un pis-aller. D'une part, on ne sait pas restaurer à l'identique un milieu. D'autre part, la restauration s'effectuant la plupart du temps sur une surface qui possède déjà sa propre biodiversité, celle-ci doit avoir été mesurée au départ pour éviter des pertes trop importantes. Recréer ex nihilo de la biodiversité n'est pas possible. Au total, il y a toujours une perte importante. Certains projets sont compensés sur des zones déjà protégées ou repérées. Dans le sud-est, les mesures de compensation décidées pour des projets lancés dans les années 1980 ou 1990 ne sont souvent mises en oeuvre que partiellement, voire pas du tout, et nos alertes sur ce point sont ignorées par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Deux autres problèmes de fond doivent être soulevés. Alors que la mise en oeuvre des séquences éviter et réduire suffirait souvent, les enjeux économiques priment et l'on renonce à cantonner un projet sur un secteur moins sensible. Cela nous conduit à l'autre problème de fond : l'instance qui autorise est aussi celle qui évalue.

M. Romain Écorchard . - Jeune juriste d'une association de protection de la nature et originaire de Nantes, j'ai travaillé sur le projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes. L'addition de petits projets peut être aussi désastreuse qu'un seul grand projet - et ce, qu'ils soient menés par des autorités publiques ou par des acteurs privés. Le dispositif juridique organisant la compensation est dispersé entre plusieurs lois pas toujours cohérentes entre elles ; en tous cas, il n'est pas aisé à comprendre, ce qui nuit à son efficacité comme à celle des contrôles qu'il prévoit. Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) prévoient des dispositifs précis de compensation. Le contrôle administratif et judiciaire s'en trouve facilité. Inversement, là où l'on s'en tient à de grands principes, le contrôle ne peut être que très lâche. Nous plaidons pour une législation simple, claire et stable.

M. Bernard Chevassus-au-Louis, président d'Humanité et biodiversité . - La biodiversité se porte bien quand on s'en occupe sérieusement. Ainsi, le nombre d'oiseaux communs dans les milieux agricoles a régressé de 40 %, alors que celui des oiseaux protégés ayant fait l'objet de plans de restauration a crû de 20 %. Et le nombre d'espèces de poissons en aval de Paris est passé de 3 à 30 depuis 1964 grâce aux politiques de l'eau. Qu'il s'agisse d'oiseaux, de chauves-souris ou de papillons diurnes, il faut des politiques dédiées.

Nous devons hiérarchiser les facteurs d'érosion de la biodiversité. Chaque année, environ 15 000 hectares sont artificialisés. Les trois quarts de cette transformation résultent de l'urbanisation, et 20 % de la création de zones industrielles et commerciales. Les grandes infrastructures de transport ne représentent quant à elles que 2 000 hectares par an. Dans le même temps, 100 000 hectares de prairies sont retournés chaque année. Ne nous trompons pas de cible et prêtons attention à tous les usages des terrains. Or, tous ne sont pas visés par les mesures de compensation.

Même si la compensation existe depuis 1976, ce n'est qu'en 2016 que la loi a supprimé les mots « si possible » pour exiger l'absence de perte nette. Cette obligation de résultat est bien tardive, et résulte surtout des directives européennes.

Le verbe « éviter » est ambigu. Il peut aussi bien signifier « ne pas faire » que « faire en évitant l'impact ». Il faudrait un encadrement juridique plus clair, car on voit bien à Notre-Dame-des-Landes que les contre-expertises effectuées à la demande du Gouvernement se font selon des procédures décidées au cas par cas, et parfois contradictoires entre elles. La séquence éviter est beaucoup moins transparente que les suivantes.

Le critère de proximité géographique est intéressant, mais doit être nuancé selon que le lieu retenu relève, ou non, d'un schéma directeur. De plus, l'équivalence écologique ne suffit pas, il faut veiller à une compensation sociale en compensant de préférence à proximité de personnes ayant perdu l'accès à la biodiversité.

Je ne suis pas hostile à la compensation par augmentation du statut de protection d'un espace, même si ce n'est pas vraiment de la compensation. Quant à la compensation par l'offre, pourquoi pas ? Mais il faut bien distinguer les métiers. L'ordonnateur ne doit pas être le maître d'ouvrage, dont la responsabilité ne peut être transférée. C'est au maître d'ouvrage de garantir l'effectivité de la compensation, qu'il la réalise lui-même ou via un opérateur. Il doit bénéficier d'une assurance-qualité. Et un contrôleur doit s'assurer que la compensation est effective et durable.

Actuellement, le recours au Conseil national de la protection de la nature (CNPN) est trop tardif. Les citoyens doivent être mieux informés sur la manière dont la compensation au titre des espèces sera réalisée.

Mme Dominique Aribert . - Le document sur les oiseaux que je vous ai remis confirme les chiffres mentionnés. Je fais partie d'un groupe de travail sur la mise en place d'indicateurs dans le cadre de l'Observatoire national de la biodiversité. Nous y comparons les zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (Znieff) des années quatre-vingt-dix avec celles des années 2000 pour mesurer la perte de biodiversité, en termes de surface et d'habitat : entre ces deux générations, 47 000 hectares ont été perdus, dont 27 000 hectares de prairies, surtout en zones humides. Le premier facteur de perte est, de loin, l'agriculture, qui transforme des espaces riches en biodiversité en terres de culture intensive - voyez la prolifération des champs de maïs à la place des zones humides. Les infrastructures prennent de la surface agricole et fragmentent l'espace, mais ne réduisent pas beaucoup les zones les plus sensibles pour la diversité : en tout, elles comptent pour 800 à 1 000 hectares sur les 47 000 évoqués. Les carrières ont un impact bien supérieur, puisqu'elles représentent environ 7 000 hectares. Les projets d'infrastructure, au final, concernent en priorité les surfaces agricoles et leur impact concerne en premier lieu la fragmentation.

Que dire de la LGV ? Notre travail sur la compensation de ce projet a concerné en premier lieu l'outarde canepetière et le vison d'Europe. Cette ligne a été conçue pour éviter, autant que faire se peut, les zones les plus sensibles. Dans la région Poitou-Charentes, zone majeure pour les outardes, le projet essaie d'éviter au maximum les zones de protection spéciale. Il y a néanmoins des impacts résiduels, mais les acquisitions foncières et les mesures de conventionnement mises en place commencent à produire leurs effets.

Le problème, pour ces grandes infrastructures, est que la déclaration d'utilité publique (DUP) ne porte que sur l'espace artificialisé par la voie et pas sur les espaces de compensation. Les opérateurs et les maîtres d'ouvrage éprouvent des difficultés pour trouver les espaces de compensation, car ils n'ont pas droit à l'expropriation. Ils sont donc en permanence dans la négociation mais, pour ce faire, ils ont besoin de vendeurs en face d'eux. Or on voit se développer dans ces territoires une résistance extrêmement forte des organisations agricoles, les espaces agricoles étant les premiers concernés par la compensation. En effet, pour compenser la perte de biodiversité, on utilise des terrains qui sont aujourd'hui soumis à une agriculture intensive classique. Or, dans le cas du vison d'Europe, des surfaces importantes étaient concernées, alors que l'on ne sait pas grand-chose sur sa biologie. Les associations ont donc proposé à la ministre de l'écologie de substituer, pour une partie des mesures, à une compensation surfacique une compensation par aménagement d'ouvrages périphériques pour éviter la mortalité du vison. Ce projet a été mené à terme, après avis du CNPN. La mise en oeuvre des mesures de compensation a finalement été l'occasion d'effectuer des aménagements d'ouvrages et de voiries efficaces pour réduire la mortalité du vison et dans un délai réduit, ce qui n'aurait pas été le cas autrement.

Je voulais prendre cet exemple, car c'est une manière de penser la compensation qui est assez ouverte, et qui ne se limite pas à une réflexion en termes d'espace. La fragmentation fait partie des sujets importants.

La loi de 2016 sur la biodiversité propose des compléments importants sur la séquence ERC. Les mesures compensatoires mises en oeuvre depuis la loi de 1976 n'ont été comptabilisées par personne. Or certaines d'entre elles ont, depuis, fait l'objet de projets d'aménagement sans que personne ne le remarque ou ne puisse l'empêcher. En fait, on ne sait pas quel a été le bénéfice de ces mesures compensatoires, faute d'avoir un tableau de bord. Là où la loi apporte un plus, bien entendu, c'est que l'Agence française pour la biodiversité (AFB) va être chargée de la mise en place de cette comptabilisation et de ce suivi.

Enfin, il serait intéressant d'avoir, à l'échelle des départements, des sites de compensation en lien avec les préoccupations de biodiversité de ces secteurs géographiques pour pouvoir faire une compensation intelligente. La compensation intelligente ne se réduit pas à compenser un hectare de perte de tel habitat par l'équivalent. Selon les zones géographiques et biogéographiques, on peut envisager éventuellement d'avoir des mesures de compensation qui ramènent de la biodiversité sur un certain nombre d'habitats qui disparaissent.

Par exemple, dans l'ouest de la France, il y a des zones humides importantes, qui sont essentiellement de la prairie pâturée ou fauchée. On pourrait très bien avoir de la recréation de roselières dans ces prairies, ce qui serait l'occasion de recréer des habitats qui ont largement disparu.

Derrière, se pose la question du foncier. Les opérateurs de compensation vont être soumis à un préalable, qui est d'être propriétaires des terrains pour pouvoir faire les aménagements. Cela reste la mesure la plus sûre pour que des mesures soient durables. Les mesures compensatoires qui visent à faire du conventionnement sont de courte durée, de cinq ans à cinquante ans selon l'ampleur du projet. Au-delà, rien n'est garanti sur le devenir des espaces qui ont fait l'objet de cette compensation.

En conclusion, je dirai qu'on attend beaucoup de la loi de 2016. L'enjeu est d'avoir des espaces et des opérateurs performants un peu partout en France. Il faudra peut-être attendre quelques années, mais l'intérêt est bien là.

J'en viens à Notre-Dame-des-Landes. C'est un vieux projet. La question des mesures compensatoires se pose, parce que personne n'arrive à trancher. Il faut surtout se demander quelle est la légitimité de ces vieux projets. Y a-t-il une utilité publique à ce projet ? Françoise Verchère, ancienne conseillère générale de Loire-Atlantique, l'a dit et écrit à plusieurs reprises : c'est faute d'avoir repensé l'utilité de ce projet qu'on en est arrivé là. Quelle que soit la solution qui sera choisie, nous aurons beaucoup de mal à sortir de cette situation. La question est bien celle de l'évitement, au sens d'éviter de faire, quand l'utilité publique n'est pas ou plus évidente. Or l'utilité publique en France n'est jamais mise en débat ; c'est le seul domaine de la décision politique. On voit les difficultés auxquelles cela peut mener.

Mme Christine Sourd, directrice adjointe des programmes de conservation en France de World Wildlife Funf, WWF . - Le dernier rapport de l'Observatoire national de la biodiversité souligne que la France connaît une évolution inquiétante du nombre des espèces, un état mitigé des milieux naturels, avec la destruction des habitats. La population d'oiseaux régresse, tout comme les populations de chauves-souris, les milieux humides ou les grands espaces en herbe.

Face à ce constat, il importe que les grands projets d'infrastructures ne viennent pas s'ajouter aux autres facteurs d'érosion de la biodiversité. Or leur responsabilité potentielle est importante, notamment en termes d'effet barrière - c'est-à-dire lorsque l'infrastructure devient une frontière qui ne peut plus être passée. Les projets d'infrastructure peuvent aussi contribuer à la dissémination des espèces exotiques envahissantes, sans parler des mortalités animales, des perturbations et pollutions connexes, telles que les nuisances sonores.

Les grandes infrastructures, surtout celles qui sont linéaires, posent un problème de transparence. C'est surtout vrai pour les anciennes infrastructures, les nouvelles étant soumises à un droit plus rigoureux. Or je ne pense pas qu'il y ait une incitation à la mise à niveau des anciennes.

Je voudrais aussi mettre l'accent sur les outre-mer. On a beaucoup parlé de la métropole, où des expériences et un élargissement des connaissances ont été rendus possibles par la loi de 1976. Les territoires d'outre-mer sont en revanche confrontés à des problématiques particulières et les fonctionnalités écologiques des espèces qu'ils abritent ne sont pas complètement connues. Ces zones, où l'on démarre bien souvent à zéro, devraient pouvoir bénéficier de moyens leur permettant d'atteindre le même niveau que l'hexagone.

Une évaluation est-elle possible ? Comme Dominique Aribert l'a dit, aucun fichier ne permet de suivre les anciennes compensations. On ne sait pas si les évaluations ont eu lieu, ni si elles ont été faites correctement. C'est très difficile à évaluer. On aurait aimé qu'il y ait un bilan avant la loi biodiversité, car il aurait alors été plus facile de légiférer. Maintenant qu'un fichier sera à notre disposition, il faudra faire des évaluations régulièrement, sans attendre vingt ou trente ans avant de se retourner sur ce qui aura été fait.

À mon sens, l'État doit avoir une vision inter-régions, inter-territoires. Il doit aider les territoires à monter en puissance dans ce domaine. Je souligne qu'en Guyane, peu de bureaux d'études sont compétents. Les porteurs de projet se retrouvent donc sans ressources sur lesquelles s'appuyer. Les associations sont quand même en train de faire des mémoires sur la compensation, mais la situation est un peu celle de l'Hexagone il y a vingt ans. Apparemment, la situation est meilleure à La Réunion.

Je ne me risquerai pas à donner une définition de la compensation. Pour le WWF, il convient d'atteindre l'objectif ambitieux de zéro perte nette de biodiversité. La meilleure compensation pourrait donc être celle qui n'a pas lieu. Certains grands projets d'infrastructures se retrouvent parfois bloqués sans que les bonnes questions aient été posées en amont. Par exemple, plutôt qu'un TGV, un train pendulaire ne serait-il pas plus approprié ? Toutes les solutions techniques disponibles doivent être utilisées pour minimiser l'impact sur l'environnement. Mais la prise de décision sur ces grands projets est trop fragmentée et compartimentée. Comment faire ? Je n'ai pas la solution, mais je ne peux que faire le constat que ce mode de décision nous place dans une sorte de seringue dont on a du mal à sortir. Le temps politique n'est jamais celui du projet et il est impossible de remonter le temps.

M. Pierre-Henry Gouyon, président du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme (FNH). - J'ai un problème d'ordre général avec toutes ces questions. Je déplore depuis un moment que notre vision de la biodiversité soit largement issue de la Genèse et d'une vision parfaitement statique du monde vivant, créé une fois pour toutes. J'entends souvent des gens qui pensent tenir un discours évolutionniste mais ne font que remplacer le mot « créateur » par le mot « évolution ». Au lieu de dire « le créateur a créé les espèces », ils disent « l'évolution a créé les espèces ». Darwin, dans L'origine des espèces , dit justement le contraire, c'est-à-dire que la création des espèces continue encore aujourd'hui. Il s'agit pour moi d'un élément essentiel de notre débat : la biodiversité ne doit pas être vue comme quelque chose de statique.

Je voudrais que vous vous rendiez compte à quel point nous sommes conditionnés par cette vision culturelle extrêmement fixiste du monde vivant, souvent justifiée par le fait que le temps de l'évolution ne serait pas le même que le temps de l'écologie. Or nous savons que cela est faux depuis longtemps. Les choses bougent, qu'on le veuille ou non.

Maintenir la nature en état est d'autant plus illusoire que nous sommes dans une période de changements globaux. Il y a bien évidemment le changement climatique, que tout le monde connaît, mais sans vraiment réaliser que ce dernier amène à d'autres changements. Par exemple, les pathogènes vont se déplacer, c'est-à-dire qu'on n'aura plus les mêmes maladies aux mêmes endroits.

Je le répète, espérer maintenir les choses en état est une bataille perdue d'avance sur le moyen terme, même si l'on peut y arriver sur le court terme.

Je ne veux pas dire qu'il ne faut rien maintenir mais je veux vous faire comprendre qu'il faut penser « réseau » plus que « maintien statique d'une surface telle quelle ». Pour moi, l'arrivée des trames vertes et bleues a représenté un vrai progrès par rapport aux visions plus statiques qui préexistaient. Ce constat impacte ma vision de la compensation.

Une mesure de compensation, si elle s'intègre dans un réseau, et même si elle n'est pas effectuée juste à côté de la zone à compenser, a plus de chances d'être utile que si elle a été faite à proximité de cette zone, mais en étant tout aussi fragile que le milieu qui préexistait et par conséquent soumise à un risque accru de disparition. Je veux vraiment insister sur cet aspect dynamique. Les choses avancent doucement d'un point de vue scientifique et encore moins vite au niveau ingénierie. Évidemment, des erreurs seront commises, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire.

À mes yeux, l'AFB doit avoir une double mission : d'une part, faire des bilans, et, d'autre part, voir quelles sont les méthodes qui marchent, pour la compensation comme pour le reste.

C'est le message le plus important que je voulais faire passer.

Le domaine le plus touché actuellement est le domaine agricole. Nous en sommes tous convaincus. C'est vrai non seulement hors des champs, mais également dans les champs.

J'en viens au triptyque ERC.

Je ne suis pas certain qu'à long terme la compensation soit la meilleure solution - il y en aurait d'autres de type taxes, par exemple. Pour autant, dans l'état actuel des choses et de notre système juridique, la meilleure manière de faire de l'évitement et de la réduction, c'est de faire en sorte que la compensation soit chère. Pour qu'elle soit chère, il faut qu'elle soit effective, c'est-à-dire que les entreprises ne puissent pas y échapper. En d'autres termes, les mécanismes de compensation ne sont utiles que s'ils sont réellement obligatoires et suffisamment onéreux.

Ces deux principes posés, on peut bien sûr s'interroger sur ce qu'est vraiment une compensation. Qui doit la faire ? Comment les prestataires doivent-ils être choisis ?

À partir du moment où l'entreprise choisit son prestataire, il me semble qu'il y a un risque : le prestataire devient trop dépendant financièrement de l'entreprise, ce qui risque de lui faire perdre ses capacités critiques. Il existe également un risque que l'entreprise choisisse systématiquement le moins-disant, tant financier qu'écologique. De ce point de vue, le rôle de l'État est très important pour contrôler l'effectivité de la compensation et de son sérieux, mais également pour définir les méthodes à mettre en oeuvre pour que le bien commun soit respecté. Je suis certain qu'il est possible de faire mieux en réfléchissant davantage en termes de connectivité et de dynamique.

S'agissant de Notre-Dame-des-Landes, je partage l'opinion exprimée par les orateurs précédents : il aurait fallu agir bien plus en amont. En général, en France, au moment où les problèmes se posent, il est déjà extrêmement tard : les intérêts en jeu sont alors si considérables que les débats ne peuvent plus se dérouler sereinement.

M. Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). - Le comité français de l'UICN a mobilisé son réseau, qui regroupe à la fois des représentants du Gouvernement, d'établissements publics, d'organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que différents experts scientifiques, pour réaliser une étude en 2011 sur la compensation écologique. Cette étude présente neuf recommandations pour améliorer l'application du principe de la compensation écologique.

Le comité français n'a pas regardé en détail les mesures compensatoires des différents projets sur lesquels va travailler la commission d'enquête. Nous avions uniquement émis une recommandation d'alerte au moment où les mesures compensatoires du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes étaient discutées. Il y avait eu à cette époque une importante controverse scientifique, relayée notamment au sein du CNPN, sur le calcul des mesures compensatoires.

Comme nous avons été particulièrement actifs dans l'élaboration du projet de loi sur la biodiversité, les principales recommandations ne vous sont pas inconnues. On les retrouve également dans la politique mondiale que l'UICN a adoptée sur les compensations relatives à la biodiversité lors de son dernier congrès mondial à Hawaï, en septembre 2016.

L'UICN a aussi beaucoup travaillé au niveau international, au sein du Business and biodiversity offsets program, qui a beaucoup contribué à la doctrine sur la compensation écologique.

La première recommandation s'intitule « Poser des limites au principe de la compensation » : la compensation ne doit pas être un prétexte pour autoriser tous les projets ; au contraire, lorsque les enjeux écologiques sont particulièrement importants, avec des habitats et des espèces très rares et menacés, le projet doit être refusé. C'est ce qui a été inscrit dans la loi.

La deuxième recommandation est de respecter la hiérarchie du triptyque ERC et de ne pas passer directement à la compensation. Cela veut dire que les maîtres d'ouvrage doivent présenter des scénarios alternatifs démontrant que toutes les possibilités ont été sérieusement étudiées pour arriver au scénario le moins impactant. Dans un deuxième temps, l'étude d'impact doit également préciser toutes les mesures de réduction des impacts qui ont été mises en oeuvre. Il s'agit par exemple de prévoir que certaines interventions ne se font pas lors des périodes de nidification d'espèces. Enfin, les mesures compensatoires ne doivent porter que sur les impacts résiduels. Il est clair qu'aujourd'hui les volets évitement et réduction des impacts ne sont pas suffisamment ambitieux ni détaillés. Par ailleurs, dans de nombreuses études d'impact, l'intégration des préoccupations de biodiversité devrait intervenir beaucoup plus en amont qu'actuellement.

La troisième recommandation porte sur l'additionnalité des mesures compensatoires. Cette recommandation a également été reprise dans la loi biodiversité. Les mesures compensatoires doivent apporter un plus. Le projet ne se réalise que grâce au financement de ces mesures, ce qui veut dire que l'on apporte des résultats nouveaux en matière de biodiversité, y compris sur un site qui n'est pas forcément très dégradé. J'ajoute que les mesures compensatoires ne doivent pas se substituer à des politiques ou des mesures déjà existantes. Les moyens déjà développés pour la gestion environnementale d'un site ne doivent pas être retirés au motif que des mesures compensatoires viennent d'être mises en place. Il s'agit d'apporter un plus.

La quatrième recommandation a pour objet le respect des spécificités écologiques des sites impactés et la prise en compte du contexte local. On revient sur les questions d'équivalence écologique, qu'il faut toujours essayer de traiter au mieux. La loi de 2016 prévoit la mise en place d'une compensation en fonction de l'espèce ou du type d'habitat que l'on dégrade. Nous sommes favorables à ce que les mesures compensatoires soient mises en place à proximité du site, et non pas dans des lieux très éloignés. Il faut garder cette intégration territoriale de la prise en compte de la biodiversité. Je pousse la réflexion jusqu'au bout en caricaturant un peu : on ne peut pas avoir des zones où l'on sacrifie totalement la biodiversité au prétexte que l'on accumule des mesures compensatoires dans d'autres.

La cinquième recommandation consiste à d'améliorer la prise en compte dans les mesures compensatoires de la biodiversité ordinaire, de la continuité écologique et des services éco-systémiques. La compensation écologique a un impact global sur le fonctionnement des milieux naturels. Aujourd'hui, la compensation écologique est beaucoup vue sous l'angle de la dérogation concernant les espèces protégées. Or, si d'un point de vue méthodologique, il est encore difficile d'évaluer et de quantifier les services écologiques, il importe de bien appréhender l'impact des projets et des mesures de compensation sur le fonctionnement global des milieux naturels.

Cette évolution aura d'ailleurs des vertus en termes de communication et de sensibilisation auprès du grand public et des aménageurs. Il s'agit d'éviter les discours du type : « Le pique-prune a bloqué l'autoroute ». De même, avec cette pédagogie, les aménageurs de l'A65 auraient compris que l'on attribue 1 362 hectares de mesures compensatoires pour une espèce de papillons. Il faut expliquer davantage aux aménageurs l'impact global des projets d'infrastructures sur les milieux naturels : par exemple, une perte de zone humide entraîne une modification hydrologique, une perte de service d'épuration des eaux, de stockage du carbone ou encore de régulation globale du climat.

Notre sixième recommandation est d'imposer la transparence dans la mise en place et le suivi des mesures compensatoires. Les informations ne sont pas facilement accessibles. De ce point de vue, l'obligation formulée par la loi de 2016 pour le maître d'ouvrage de déclarer la localisation de ses mesures compensatoires est positive, tout comme celle de faire remonter le résultat des mesures en place.

Notre septième recommandation est d'atteindre au minimum un résultat de non perte nette et de tendre vers un gain de biodiversité. La loi relative à la biodiversité apporte une clarification très nette en la matière puisque l'objectif est désormais imposé et identifié.

Notre huitième recommandation est de créer des outils pour améliorer la mise en oeuvre des mesures compensatoires, leur suivi et leur évaluation. Nous nous félicitons que le ministère de l'environnement ait mis en place des lignes directrices nationales sur l'application de la séquence ERC. Il faudrait compléter ces lignes directrices par des guides opérationnels ainsi que par un partage des bonnes pratiques et des expériences. Nous soutenons la création d'un observatoire de la compensation, qui pourrait être un centre de ressources de l'AFB.

Notre neuvième recommandation est l'approfondissement des réflexions sur les spécificités des milieux marins et ultra-marins, qui accueillent beaucoup d'espèces endémiques. Il s'agit d'habitats très sensibles et très menacés, impossibles à reproduire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Merci de ces exposés qui rejoignent des propos que nous avons déjà entendus, ce qui nous aide à dégager quelques enjeux majeurs.

J'ai le sentiment que les associations de protection de l'environnement portent deux approches s'agissant de la compensation. Certains souhaitent éviter toute perte nette sur le territoire touché quand d'autres préfèrent une planification nationale de la reconquête de la biodiversité en réintégrant le stock lié à des décennies de création d'infrastructures qui ont provoqué une fragmentation problématique des milieux. On a beaucoup évoqué les données nationales agrégées. Ce deuxième point de vue va dans le sens de certains d'entre vous, qui ont déclaré : « Il faut que ce soit cher. » Le coût très élevé incite à l'évitement mais finance aussi d'autres actions de reconquête.

M. Jean-David Abel . - Les deux points de vue sont audibles. Les exigences diffèrent selon qu'une infrastructure touche une plaine de maïs ou au contraire un ensemble de milieux humides, comme Notre-Dame-des-Landes.

Nous ne sommes pas fixistes, l'enjeu ne se situe pas à deux kilomètres près. Toutefois, dans une logique de trame et de résilience, il faut éviter de sacrifier certains endroits quand on en privilégie d'autres parce qu'ils subissent moins de pressions économiques, agricoles ou urbaines. Si l'agriculture est le premier facteur affectant la biodiversité, les infrastructures ne sont pas anodines. Les tracés de l'A65 et de la LGV Bordeaux-Toulouse passent dans des endroits d'une exceptionnelle richesse. Ne minorons pas leur impact sur l'entomofaune, qu'on ne sait pas recréer et qui se situe à la base de la pyramide alimentaire.

M. Romain Écorchard . - Attention : les obligations de la séquence ERC augmentent tandis que les pouvoirs publics se désengagent fortement des politiques de biodiversité. Il serait absolument paradoxal que la compensation vienne remplacer les politiques volontaires et que la reconquête de la biodiversité soit financée par la destruction de milieux naturels.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Un équilibre doit évidemment être trouvé. Il ne peut y avoir d'un côté des réserves naturelles et de l'autre des endroits sacrifiés. Où se situe cet équilibre ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis . - Le mot « infrastructure » évoque immédiatement un grand machin. Or les trames assurent aussi de petites continuités. L'échelle peut être très petite. Il n'y a donc pas forcément besoin d'une planification à grande échelle.

Chercher à mieux protéger les milieux compensés que les milieux qui n'ont jamais été altérés n'est pas de bonne politique. Cela contraindrait à développer des outils de maîtrise foncière coûteux ou à développer une vision fixiste. Une prairie humide réhabilitée doit avoir exactement le même statut qu'une prairie humide restée en l'état, sans quoi on risquerait de « surdépenser » sous prétexte que l'homme a agi.

Si l'on artificialise un lieu, il faut en renaturaliser un autre. Nous préférons identifier un nombre restreint de zones profondément dégradées plutôt que d'améliorer à la marge des surfaces importantes, ce qui ferait courir le risque, assez rapidement, de hausses de prix du foncier liées à la recherche de terrain pour la compensation. C'est dans ce domaine de la compensation intensive de zones fortement dégradées que la planification serait utile. En outre, la renaturalisation d'endroits dégradés pourrait engendrer un meilleur bénéfice social.

Mme Dominique Aribert . - Il me semble qu'il faut avoir des unités de compensation réparties à l'échelle de toute la France, avec une approche biogéographique.

Il faut d'abord penser à la désartificialisation. En France, on construit des routes sans jamais en détruire. En Autriche, quand une route est délaissée au profit d'une déviation, elle est détruite, semée et devient une prairie. La France a un immense réseau routier, avec beaucoup de départementales. Or les chouettes effraie sont au moins autant tuées sur ces petits axes que sur les autoroutes. L'impact des grandes infrastructures ne doit pas masquer celui, considérable, des autres. Nous avons tous à l'esprit des zones industrielles ou artisanales, ou des voiries qui ne servent plus et qui pourraient être désartificialisées

Sur le littoral du sud-ouest, on réfléchit au recul stratégique. N'est-ce pas l'occasion de réfléchir à des zones à renaturer ? Il faut planifier. Actuellement, on laisse à tous les aménageurs la charge de trouver des espaces à renaturer. Pourquoi ne pas les intégrer dans une logique de biodiversité dynamique ? La LPO a entrepris un travail avec la Caisse des dépôts et consignations dans les Alpes-Maritimes. Ce repérage, à l'échelle nationale, serait une tâche conséquente.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les États-Unis ont une structure rassemblant tous les acteurs de la compensation. En France, l'AFB pourrait-elle, demain, jouer ce rôle ? Quelle gouvernance privilégier ?

Mme Christine Sourd . - La restauration des terres dégradées et la planification sont complémentaires. L'AFB vient de naître. Elle va devoir dans un premier temps exercer les missions qui l'étaient auparavant par des structures séparées. Cette période transitoire d'environ 2 ans pourrait en effet être l'occasion de réfléchir aux options que vous suggérez.

L'inventaire des terres artificialisées pourrait constituer la base d'un outil juridique pour exproprier des lieux en déshérence. Ce serait positif pour les écosystèmes dont la connectivité est importante.

En revanche, certains écosystèmes sont uniques, comme celui de coussouls de la plaine de la Crau. Celui qui lui ressemble le plus est situé en Hongrie. La transformation des anciens vergers en milieux naturels n'est pas équivalente pour les insectes. Tout ne peut pas se recréer avec de l'argent.

M. Pierre-Henry Gouyon . - On assiste actuellement à un effondrement. Un équilibre dynamique se maintient grâce au mouvement. Si un satellite ou un vélo ralentit, il finit par s'effondrer. C'est le cas de la biodiversité. S'il est encore temps d'intervenir quand s'engage la dynamique d'effondrement, quand la chute advient, il est trop tard.

L'AFB doit se charger des tâches mentionnées, en revenant peut-être aux fondamentaux. Quand une espèce s'éteint, il est vraiment tard. Avant, nombre de sous-espèces ou de variétés ont été concernées. Il faut réfléchir à différents niveaux de la systématique. Chaque espèce de plante accumule beaucoup de diversité en son sein tandis que les nouvelles espèces d'insectes se recréent facilement : il y a donc souvent plus de biodiversité au sein d'une même espèce de plante qu'entre deux espèces d'insectes. Dès lors, dire qu'une espèce est égale à un point n'a pas de sens sur le plan biologique.

Certains déplorent que certaines zones soient riches en diversité et d'autres non : c'est pourtant précisément le sens du mécanisme de compensation. Toute la question porte sur l'échelle : à quel niveau systématique et à quelle échelle géographique accepte-t-on de perdre de la biodiversité pour en gagner ailleurs ? Le suivi des actions sera extrêmement important pour répondre à ces questions.

M. Sébastien Moncorps . - La mise en oeuvre des mesures de compensation est très peu suivie. Il faut les analyser à l'échelle du territoire, sachant qu'il est souvent plus intéressant de restaurer un système dégradé plutôt que d'améliorer une zone déjà en bon état.

La banque de compensation à l'américaine peut être intéressante pour aider la planification, en réunissant beaucoup de petits projets dans un grand.

Je note une contradiction. Nous cherchons à faciliter la mise en oeuvre des mesures compensatoires, malgré des limites telles que la disponibilité des terrains et les protocoles de restauration des milieux. Or la bonne compensation est celle qui n'existe pas. Pour lever cette contradiction, il faut favoriser l'évitement, afin que seuls les impacts résiduels aient besoin d'être compensés.

L'AFB serait utile pour inventorier les terrains susceptibles d'être utilisés pour la compensation, apporter une expertise technique, mettre en relation les acteurs et créer un observatoire des bonnes pratiques.

M. Jean-David Abel . - Quel opérateur pour coordonner la politique de compensation ? Je ne pense pas que ce puisse être l'AFB, qui résulte de la fusion d'organismes déjà très chargés. En outre, on demanderait à une structure publique de travailler sur des projets privés. Je plaide pour une structure publique-privée à la gouvernance très large, dont l'inventaire et les travaux seraient soumis au Comité national de la biodiversité et à l'AFB. Le travail doit être rigoureux.

Il serait bon de créer un groupe de travail sur l'expérience américaine de la banque. Le décret qui décrira le régime de responsabilité sera très important. Il faudra aussi obtenir des retours sur Cossure. Enfin, il faut penser à la durée : pour combien de temps restaure-t-on ? Il faut une certaine stabilité.

M. Romain Écorchard . - Faire de l'AFB l'acteur central de la politique de compensation poserait un problème majeur : elle assure la police de l'environnement, comment peut-elle contrôler ses propres interventions ?

M. Pierre-Henry Guyon . - On dit souvent que le prix régule le marché. Si le foncier est trop cher pour l'entreprise, peut-être est-ce le signe qu'il faut renoncer au projet ? L'État doit prendre ses responsabilités.

M. Jérôme Bignon . - Nous avons entendu des choses contradictoires dans les différentes auditions. Je m'interroge sur le zéro perte nette : si l'on cherche à compenser, c'est bien que le milieu se trouve dégradé. Or les chercheurs du CNRS disent qu'il n'est pas possible de revenir à l'exact état antérieur.

M. Pierre-Henry Gouyon. - On peut restaurer autrement, et revenir à un état aussi satisfaisant.

M. Jérôme Bignon . - Les mots recouvrent parfois une certaine hypocrisie. Personne ne croira plus au zéro perte nette si l'on dit que le résultat de la compensation sera « un peu différent mais fort utile ». Compensation n'est pas restauration.

Selon que vous serez puissant ou misérable, les principes de proximité ou d'équivalence s'appliqueront ou non. Dans un projet soutenu par l'État, proximité signifie « globalement équivalent ». Mais pour un petit projet privé, cinquante hectares de terres agricoles doivent être compensées par cinquante hectares de terres tout à côté, sinon l'opération est refusée.

L'Agence ne saurait être juge et partie. En revanche, elle doit être un conservateur des hypothèques - car souvent, il n'y a aucun suivi de la compensation.

D'une région à l'autre, trop de différences subsistent. Telle DREAL réclame un indice 10 de compensation, telle autre un indice 3. Les pratiques locales sont trop variées d'un territoire à l'autre.

Enfin, l'État est trop souvent juge et partie. Les conflits d'intérêts sont fréquents. Il ferme les yeux ou non, selon les cas. Plus de clarté s'impose.

Le monde agricole se sent souvent maltraité. Pour le Canal Seine-Nord, Voies navigables de France (VNF) applique la compensation, sur 105 kilomètres, en prélevant de très bonnes terres agricoles. Or il existe d'autres zones beaucoup plus dégradées sur lesquelles pourrait s'effectuer la compensation. Je connais par exemple un village qui compte sur son territoire un site industriel orphelin si pollué que l'on ne peut même pas y installer de panneaux solaires. Personne ne fait rien car la dépollution est trop coûteuse. Voilà une piste intéressante pour une opération de compensation... C'est sur un point comme celui-ci qu'il nous faut mettre de l'ordre.

M. André Trillard . - Dans le tableau que vous nous avez remis, je m'interroge sur les surfaces des catégories 13 et 14 : de nombreuses terres qui deviennent des serres pour le maraîchage ne sont plus des terres agricoles.

Les agences foncières, dans les départements, ont mené des actions en faveur des espaces naturels sensibles.

Dans mon département, tous les oeillets des marais salants ont ainsi été rachetés pour éviter la déshérence, grâce à quoi ils n'ont pas été bouchés et occupés par des caravanes.

Les terres humides sont-elles correctement cartographiées ? Il faudrait des règles précises, sur la base desquelles, éventuellement, on pourrait contester le classement. Je suis convaincu que dans certains cas, celui-ci a été fait de manière très imprécise.

Vous avez parlé des friches industrielles. Il y a aussi les friches agricoles, bâtiments abandonnés, véritables verrues qui se transmettent d'une génération à l'autre, sans qu'aucune solution soit trouvée.

Quant au milieu marin, je voudrais savoir quelle est votre position au sujet des zones économiques exclusives. Estimez-vous que les règles internationales sont satisfaisantes ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous qui appartenez à des associations vigilantes, jugez-vous que l'État est moins regardant sur les grands projets ? Pensez-vous que la compensation pourrait servir à financer des politiques de conservation qui manquent de financements publics aujourd'hui ?

M. Jean-David Abel. - Les opérateurs nationaux sont proches de l'État et ils mènent souvent des opérations d'intérêt public. Mais il me semble que le traitement dépend surtout de la mobilisation locale. Telle petite commune est démunie face à des services de l'État tatillons, en revanche un projet local d'aménagement pourra susciter l'engouement et bénéficier de soutiens puissants auprès du préfet. Or, c'est ce dernier qui, à la fois, évalue l'impact de l'opération et délivre l'autorisation. Si dans les grands projets nationaux il existe une certaine transparence - les associations, des élus, s'expriment - dans ces projets locaux, voulus par des élus, des parlementaires, il est impossible de faire entendre qu'une implantation sur un autre site serait moins dommageable à la biodiversité. La loi sur la protection des milieux naturels n'est pas appliquée, les objectifs économiques de court terme l'emportent toujours. Il faudrait intervenir très en amont pour implanter les projets là où ils sont le moins nuisibles.

M. Bernard Chevassus-au-Louis . - Les grands opérateurs possèdent une vraie expertise technique ; la qualité de leurs propositions incite à prendre celles-ci au sérieux. Les petites communes, elles, manquent de conseils et leurs dossiers s'en ressentent.

La compensation agricole n'a rien à voir avec la compensation écologique. Je précise aussi que lorsque l'État déclare d'utilité publique un projet, il n'y a plus à compenser la perte de capacité de production agricole.

Mme Dominique Aribert . - Une partie des grands projets - ligne à grande vitesse, aéroport - se fait à l'initiative de l'État ou des collectivités locales, ce qui interroge sur le fait que le préfet soit également l'autorité environnementale. De plus, les avis en région, sont illisibles. Ils sont essentiellement une analyse au terme de laquelle on ne sait absolument pas quoi penser du projet. Le grand public ne peut rien y comprendre. La notion d'avis a été pervertie.

Les petits projets souffrent d'un déficit d'accompagnement. L'autorité administrative se borne à indiquer les étapes à suivre. On éviterait bien des problèmes si elle accompagnait plus les initiatives en amont. Peut-être n'est-ce pas son rôle...

M. André Trillard . - Ça ne l'est plus, hélas.

M. Jérôme Bignon . - Ça l'a été dans le passé !

M. Jean-David Abel . - Il y a une responsabilité du privé également, car l'État ne peut tout prendre en mains. Les chambres de commerce et d'industrie (CCI) peuvent également proposer des formations.

M. Sébastien Moncorps. - Les agents de la DREAL ne sont pas non plus suffisamment formés à l'accompagnement des projets.

M. André Trillard . - S'abstiennent-ils dès lors d'émettre une opinion ?

M. Sébastien Moncorps. - Non, car ils sont obligés de rendre un avis.

Nous avions proposé qu'une autorité de régulation indépendante puisse effectuer l'analyse et le suivi des mesures de compensation.

M. Bernard Chevassus-au-Louis . - Nous avons des leçons à prendre des Américains sur les procédures et le rôle de chacun des acteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous cherchons des solutions et sommes preneurs de vos analyses écrites sur le maillon manquant, du côté des agences ou des services de l'État ; sur l'articulation entre la nouvelle loi et le dispositif juridique antérieur ; et peut-être sur la compensation financière, dont on peut se demander si elle est une piste pour la reconquête de la biodiversité, à condition bien sûr que la transaction soit honnête.

M. Jean-David Abel . - Il est difficile de répondre à cette question. Instinctivement, je dirais non. Mais si un projet public, un hôpital en zone de montagne par exemple, est indispensable mais nuisible au milieu naturel, il faut compenser. En revanche, se contenter de débourser de l'argent pour être autorisé à détruire, c'est un encouragement à ne rien faire.

Mme Dominique Aribert . - La loi prévoit bien des unités de compensation, des sommes consacrées à la restauration.

M. Jean-David Abel . - Mais l'opérateur reste en responsabilité, dans la durée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il y a des situations de blocage où toutes les solutions sont bonnes à envisager pour qu'il y ait un gain écologique.

M. Bernard Chevassus-au-Louis . - Si la compensation devait être purement financière, il faudrait que l'argent ne soit pas versé au budget général dans la loi de finances, mais serve bien à la compensation.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci à tous de vos analyses.

Audition de M. André Flajolet, président de la commission environnement et développement durable de l'Association des maires de France (AMF), Mme Hermeline Malherbe, présidente de la commission environnement de l'Association des départements de France (ADF), M. Philippe Schmit, secrétaire général de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et M. Hubert Dejean de la Batie, vice-président de la région Normandie en charge de l'environnement, membre de Régions de France
(mardi 11 janvier 2017)

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous poursuivons les auditions dans le cadre de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité créée à l'initiative du groupe écologiste et plus particulièrement de Ronan Dantec qui en est le rapporteur. Cette commission d'enquête a pour but de mesurer l'effectivité et l'efficacité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité dans le cadre de grands projets, mais aussi, la réalité des mesures d'évitement et de réduction de ces atteintes.

Afin d'approfondir ses travaux, la commission d'enquête se penche spécifiquement sur les quatre projets que sont l'autoroute A 65, la ligne à grande vitesse (LGV) Tours - Bordeaux, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse, elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat et un compte rendu en sera publié.

Nous accueillons aujourd'hui M. André Flajolet, président de la commission environnement et développement durable de l'Association des maires de France (AMF). Il est accompagné de Mme Sylviane Oberlé, chargée de mission prévention des pollutions et de Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations parlementaires.

Nous accueillons également notre collègue sénatrice Hermeline Malherbe, présidente de la commission environnement de l'Association des départements de France (ADF). Elle est accompagnée de M. Benjamin Eloire, conseiller environnement et de Mme Marylène Jouvien, chargée des relations parlementaires.

Au titre de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), nous accueillons son secrétaire général M. Philippe Schmit, accompagné de Mme Montaine Blonsard chargée des relations avec le Parlement et de Mme Camille Allé, chargée de mission énergie.

Enfin, au titre de l'Association des régions de France (ARF), nous accueillons M. Hubert Dejean de la Batie, vice-président de la région Normandie, en charge de l'environnement. Il est accompagné de Mme Marie-Reine du Bourg, conseillère aux relations parlementaires.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes que nous entendons aujourd'hui, de prêter serment puisque tout faux témoignage serait passible de peines prévues par le code pénal.

M. André Flajolet, Mme Hermeline Malherbe, M. Philippe Schmit et M. Hubert Dejean de la Batie prêtent successivement serment de dire toute la vérité.

Je vous prie de commencer vos interventions en nous précisant, le cas échant, les liens d'intérêt qui vous lient aux quatre projets précités sur lesquels porte notre commission d'enquête.

M. André Flajolet. - L'AMF souhaiterait faire partager quatre remarques à votre commission d'enquête.

La première est que les mesures de compensation sont, en général, plus compliquées et plus exigeantes pour les petits projets que pour les grands. De ce point de vue, nous apparaissons parfois comme les victimes collatérales du ressenti global que l'on peut avoir contre les grands projets car l'on n'a pas pu s'exprimer à leur sujet.

La deuxième remarque est qu'il existe une forme de déplacement du ressenti de ces atteintes puisque les habitants vivent, dans leur vie quotidienne, un certain nombre de contraintes nouvelles dont ils ne sont pas nécessairement les bénéficiaires. Ils n'en sont pas non plus nécessairement des victimes. À un moment donné, un grand ensemble du type de ceux sur lesquels votre commission se penche, va impacter la vie quotidienne d'une série de personnes qui n'ont pas été nécessairement concertés de façon directe.

Les maires constatent aussi que le dialogue entre l'État et les grands maîtres d'ouvrage est direct alors que les collectivités territoriales qui sont directement concernées n'arrivent qu'en second rideau. Elles sont concernées avant, pendant, et après l'installation de l'ouvrage. En effet, avant l'ouvrage, il y a un réaménagement, un déménagement des territoires. C'est également à ce moment que débute une nécessaire accoutumance au nouvel ouvrage qui peut parfois durer longtemps. Les dommages collatéraux peuvent être durables. C'est notamment le cas lorsque le trafic aérien est touché.

Enfin, je m'interroge sur la notion de patrimoine. Comment l'évaluer de manière significative à l'aune d'une échelle de risque ou d'une échelle de gravité ? Certains patrimoines peuvent être « déplacés » alors que d'autres sont irrémédiablement perdus. Or, la perte de biodiversité apparait comme un risque majeur et peut-être irréversible. Les écosystèmes évoluent du fait des activités humaines et de leurs conséquences, dont le changement climatique. L'AMF s'interroge donc sur les garanties que les collectivités territoriales et leurs habitants peuvent avoir dans les systèmes de mise en place des comités de suivi. Il est nécessaire qu'une représentation soit suffisamment significative pour que les populations que nous représentons soient des facteurs d'encouragement à la faisabilité, sous la condition suspensive qu'il n'y ait pas de perte irréversible de biodiversité.

Je précise que je n'ai aucun lien d'intérêt avec les différents projets cités.

Mme Hermeline Malherbe. - Je précise que je n'ai également pas de lien d'intérêt direct avec ces projets.

Je partage la première remarque de M. Flajolet sur le ressenti d'une distorsion entre petits et grands projets. Il ne s'agit d'ailleurs pas forcément de très grands projets car même à l'intérieur d'un département, on peut avoir l'impression que des projets un peu plus grands sont traités de manière différente des plus petits. Il en découle un sentiment d'iniquité concernant notamment les possibilités et perspectives de mesures de compensation. Ces mesures sont travaillées au jour le jour, en fonction du type de dossier et les critères ne sont pas, en matière de compensation, nécessairement connus des uns et des autres.

Je constate que les élus sont de plus en plus sensibles à la question de la préservation de la nature, des paysages et de la biodiversité dans leur conduite des politiques publiques. C'est une bonne chose. Entre dans le champ de compétence des départements la gestion des espaces naturels sensibles qui concerne plus de 200 000 hectares répartis sur plus de 4 000 sites. Cette compétence a été confirmée tant par la loi portant nouvelle organisation de la République (dite loi NOTRe) que par la loi d'août dernier pour la reconquête de la biodiversité.

Je souligne ensuite le volontarisme des élus à faire prévaloir l'évitement et la réduction aux mesures de compensation dans l'élaboration des projets d'aménagement. À ce titre, les débats préalables et la concertation doivent permettre d'envisager toutes les solutions. Même si les enquêtes d'utilité publique peuvent apparaitre courtes, elles donnent le plus souvent lieu à des concertations préalables des nombreux acteurs liés aux projets. C'est intéressant.

Je note également la volonté des collectivités territoriales de mieux prendre en compte et d'anticiper les mesures de compensation. Je prends ici l'exemple du département des Yvelines, mais également nombre d'autres départements dont les services jouent un rôle majeur et opérationnel en la matière.

Au regard des compétences qu'ils détiennent, les élus des départements sont confrontés aux mesures de compensation dans le cadre des infrastructures et ouvrages routiers, mais cela concerne également la mission de solidarité territoriale auprès des communes et établissement publics de coopération intercommunale (EPCI) le plus souvent ruraux.

Je constate, enfin, la complexité de la réglementation applicable en matière de compensation. Elle est ressentie par les élus, mais également par les techniciens. Ce droit est en perpétuelle évolution comme le montre la loi d'août dernier déjà évoquée, même si la compensation existe de manière constante en ce qui concerne les espèces protégées, les zones humides, les sites Natura 2000 ou les réserves naturelles qui concernent les départements.

M. Philippe Schmit . - Je vous présente les excuses de Corinne Casanova, présidente de la commission en charge de l'urbanisme et de l'aménagement de l'AdCF, qui n'a pu être présente aujourd'hui. Ses observations écrites vous seront transmises à l'issue de cette audition. Je me permets, en conséquence, de parler en son nom.

D'une manière générale, les principes de la compensation sont, plutôt, de plus en plus compris. Cependant, cette compréhension varie sensiblement en fonction des collectivités concernées et des dynamiques d'aménagement qui leurs sont propres. Tous les élus ne sont pas confrontés de la même manière à ce type de problématique. Ceux qui connaissent les spécificités des zones humides le sont particulièrement. En effet, il existe une montée de l'appropriation politique de la problématique de la compensation lorsqu'elle est en lien avec l'eau, qu'il s'agisse de la gestion des milieux aquatiques ou de la prévention et la gestion des inondations. Le triptyque « éviter, réduire, compenser » se retrouve maintenant aussi lié aux problématiques agricoles.

Pour autant, malgré cela, les règles relatives à la compensation demeurent pour l'heure techniquement peu lisibles. Rares sont les élus à comprendre à la fois le rôle et la capacité de leur collectivité à agir dans la définition des mesures locales de compensation.

Tirer bilan de la loi d'août dernier est pour l'heure impossible. L'enjeu principal serait de travailler autour de la notion de compensation dans le temps. On a en effet l'impression que les efforts se focalisent au seul moment de la définition de ces mesures alors que le véritable sujet est de donner des garanties, non seulement dans le mode de gestion de l'espace, mais également dans la gestion du temps. Les comités de suivi ne sont pas de véritables garanties de la mise en oeuvre réelle des mesures. La place des collectivités territoriales dans la définition de ces mesures est, en ce sens, primordiale car il convient que ces mesures soient placées dans une logique de projet de territoire.

À l'inverse, on constate aujourd'hui que les mesures de compensation sont souvent définies à des échelles relativement réduites alors même qu'elles ont des effets sur le marché foncier et vont parfois à l'encontre des logiques de projets plus larges qui préexistent. Il est donc important que ces mesures soient étudiées globalement, en amont, par les collectivités.

Je conclus mes propos liminaires en précisant également que je n'ai pas de lien d'intérêt avec les projets abordés par votre commission.

M. Hubert Dejean de la Batie - Je ne suis pas impliqué dans les quatre projets précis sur lesquels se penche cette commission.

La plupart des propos que je souhaitais tenir ont déjà fait l'objet de développements.

En tant que maire, je relaie ici l'inquiétude des populations et des élus qui se demandent s'ils vont rester maîtres de leur destin lorsqu'ils sont concernés par des projets d'infrastructures de grande ampleur. Or nos concitoyens ont le sentiment de rester maître de leur destin lorsqu'ils comprennent la nécessité de ces aménagements ainsi que les mesures qui sont prises pour que ces projets servent au mieux les intérêts de leur territoire.

Je rappelle que la compensation est le dernier échelon de la chaîne « éviter, réduire, compenser ». Se focaliser sur la compensation ne doit pas conduire à court-circuiter les deux premières étapes, même si l'on sait qu'à un moment donné, il faudra arbitrer, faire les projets, et donc in fine compenser.

En tant que représentant de l'ARF, je rappelle que la loi a officiellement reconnu le rôle de chef de file des régions en matière de biodiversité. Il s'agit d'un sujet qui nous intéresse et sur lequel nous avions déjà beaucoup travaillé. Des agences locales et des observatoires existaient déjà. Le fait d'être devenu chef de file n'en est que la conséquence logique, à l'heure où la nécessité de préserver la biodiversité est une priorité unanimement reconnue. Les régions sont également chef de file en matière de stratégie économique qui est aussi une question majeure pour l'avenir des citoyens sur leur territoire.

M. Ronan Dantec . - Je note qu'un consensus très fort existe dans notre pays sur les enjeux liés à la biodiversité. Les propos du président Flajolet rappelant que la perte de biodiversité est un risque majeur résument, je pense, vos interventions.

La différence de traitement entre petits et grands projets a été rappelée de manière très régulière au cours des auditions de cette commission d'enquête. Les collectivités territoriales arrivent-elles à peser en amont des mécanismes complexes liés aux mesures de compensation d'un aménagement ? Les outils d'urbanisme, notamment votés dans la loi NOTRe, les trames vertes et bleues, les schémas de cohérence écologique, les espaces naturels sensibles peuvent être les outils d'une stratégie globale de biodiversité. Permettent-ils aux collectivités, notamment les départements et les régions, d'y inclure les besoins prioritaires de compensation à l'échelle d'un territoire ? L'identification de zones à restaurer en priorité ainsi que les flux financiers générés par la compensation pourraient, en ce sens, soutenir cette stratégie globale de biodiversité. Est-ce dans l'évolution naturelle des choses ? En est-on au contraire très loin ? Y réfléchissez-vous déjà ?

En tant qu'aménageurs et porteurs de projets, les collectivités que vous représentez sont-elles prêtes à payer le surcoût que nécessite le maintien de la biodiversité ? Existe-il un décalage entre le principe de leurs déclarations générales en la matière et la réalité dictée par l'état des finances publiques ?

M. Hubert Dejean de la Batie. - Nous sommes tous impliqués, car intervenir en amont des mesures de compensation signifie qu'il faut agir au niveau de la prospective territoriale, dont l'outil est le schéma de cohérence territoriale (SCoT). Or le SCoT concerne tous les niveaux de collectivités territoriales et même l'État. Longtemps pris pour un outil difficilement maniable, le SCoT pourrait aujourd'hui être mis à contribution en matière de compensation.

Les EPCI qui ont une technostructure solide possèdent des SCoT très travaillés et cohérents alors que les plus petits rencontrent certaines difficultés. Nous sommes fréquemment témoins, au sein des régions, de demandes de leur part visant à obtenir le détachement de personnel spécialisé à leur profit.

La prospective induite par le SCoT existe, mais elle n'est pas maîtrisée. Il existe des décalages importants entre ce qui a été imaginé et ce qui est effectivement mis en oeuvre. Il m'arrive de signer des mesures compensatoires que j'accepte très volontiers. Le grand port maritime de Rouen en est un exemple puisqu'il vient de céder 256 hectares au conseil de rivage de Normandie que je préside. Si j'ai approuvé cette cession à titre de compensation, j'avoue cependant être bien incapable de dire quand la décision de cette cession a été prise et qui a défini la nature, le quantum et la localisation de cette mesure de compensation.

De mon expérience de géographe, je sais qu'il existe, par exemple, en Espagne des tribunaux et des juges de l'eau. Je ne sais pas qui en est l'équivalent en France pour définir dans tous leurs aspects les mesures de compensation.

Pour résumer, je pense que l'on a bien l'idée d'une planification bien en amont, mais qu'elle n'est pas forcément effective.

Mme Hermeline Malherbe. - Les départements essaient de mettre en oeuvre la batterie d'outils qui peuvent permettre une réflexion en amont des projets.

Je rebondis sur les propos de M. Dejean de la Batie pour préciser que les grands EPCI qu'il évoque possèdent certes de grandes populations, mais sur de petits espaces avec des moyens importants. Mais il en va exactement du contraire pour les petits EPCI. Il est donc nécessaire que l'État, les régions et les départements les accompagnent de manière différenciée car, malgré certaines exceptions, plus le territoire est grand et plus il relève de problématiques de biodiversité nombreuses. Les communes membres du parc naturel régional que je préside s'appuient en ce sens beaucoup sur son expertise. J'ai même été surprise de recevoir une demande des services de l'État afin d'obtenir un avis du parc naturel régional alors qu'ils sont normalement en charge de le fournir eux-mêmes.

La question du financement des mesures compensatoires est très diversement appréciée puisque justement une forme d'injustice est ressentie dans le traitement des différents types de demandes de compensation. L'exemple du lézard bosselé au mémorial du camp Joffre de Rivesaltes, dans les Pyrénées Orientales, est presque caricatural. Afin de compenser l'atteinte à cette espèce, sept fois plus d'espace que celui de son biotope a été demandé par les services déconcentrés de l'État ! C'est d'autant plus surprenant que ce mémorial comprend une partie construite mais que le reste de l'aménagement est constitué des ruines préexistantes, inaccessibles au public, au sein desquelles ce lézard peut continuer à vivre.

Pourquoi demander de si grands espaces alors que le suivi dans la durée de la réalité des mesures de compensation est aussi léger ?

M. André Trillard . - Il est important de définir qui détermine ces ratios. Vous citez le cas d'un rapport de 7, mais parfois c'est 16 ! Les services de l'État ont des engagements différents à l'échelle locale selon les territoires. Nous sommes dans un pays de droit écrit et pas de coutume. Je cherche donc à savoir quel est l'abaque, quelle est la règle et sur quelle base on détermine ces ratios. Qui, Madame, avait fixé ce ratio ? La préfecture de région ?

Mme Hermeline Malherbe. - La décision n'était pas prise au niveau préfectoral . Nous avons eu des retours de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Savoir qui faisait quoi n'était pas très simple.

M. André Trillard . - Disons-le Madame !

M. André Flajolet. - Du côté des maires, les sentiments sont multiples, voire contradictoires. Il en ressort néanmoins que les matériaux dont on dispose sont suffisants et parfois surabondants, même s'ils ne sont pas toujours compris. Ces outils sont si nombreux qu'un glossaire est presque nécessaire lorsqu'on se rend en réunion ! Si les matériaux existent, je pense néanmoins que n'existe pas toujours l'architecte pour les mettre en harmonie car les deux angles avec lesquels on regarde le problème sont biaisés. Le premier angle conduit à la monétarisation des compensations. Le second relève, lui, de la sanctuarisation de la biodiversité.

Je souhaite faire converger ces deux angles sur la question de la durabilité des mesures compensatoires. Entrent-elles dans une stratégie à la fois écologique et économique ? Cette économie est-elle durable ? Il s'agit de la question la plus importante car toutes les collectivités sont concernées par le problème. Soit elles ne le comprennent pas et s'en désintéressent, soit elles le refusent. Ces rejets sont souvent la conséquence de ne pas avoir été associées sur le devenir des mesures de compensation qui les concernent.

Dans le comité de bassin que je préside, on constate que 8 % des terres ont été retournées. Si une compensation devait avoir lieu pour maintenir les prairies et leur écosystème, il faudrait faire le choix de la durabilité autour d'une conception économique et environnementale. Cette conception doit obligatoirement être territorialisée. Ce qui est vrai chez moi ne l'est pas forcément chez les autres.

Il convient localement de savoir d'où l'on vient afin d'introduire des projets dans une dynamique propre au territoire.

M. Ronan Dantec . - Vous n'avez pas parlé des trames vertes et bleues. Je comprends votre souhait de définir une stratégie territoriale afin d'anticiper de manière partagée les besoins. Je vous rejoins dans le constat que les outils à disposition pour y parvenir sont suffisants, mais je constate que vous ne citez pas ces trames. Il pourrait pourtant être logique de les utiliser comme support.

Si elles sont vecteur de durabilité, je constate également que les élus, sur le terrain, renâclent à la définition de ces trames car en découle pour eux une part de contrainte.

Je renouvèle ma seconde question qui consiste à savoir si les élus sont prêts à assumer des coûts supplémentaires afin d'atteindre des objectifs de durabilité dans les projets qu'ils mettent en oeuvre.

M. André Flajolet. - La question de la trame dépend de l'ampleur du projet. Sur certains projets, le SCoT peut suffire.

M. Ronan Dantec . - L'idée est que la trame préexiste en amont des besoins de compensation.

M. André Flajolet. - Je suis d'accord avec vous mais on s'aperçoit aujourd'hui dans ma région qu'un certain nombre de trames sanctuarisées il y a une trentaine d'années sont remises en cause pour des besoins qui ne sont pas évidents. Quelle est la légitimité d'un projet qui permet de bousculer un territoire ? Cette question n'est pas souvent posée.

Les contraintes sont des chances, à condition qu'y soit associée une sortie de contrainte et une perspective nouvelle. Sinon, les contraintes sont pesantes et ne sont pas acceptables sur le principe.

M. Philippe Schmit. - Les questions du rapporteur tendent à soulever le problème de la responsabilité politique autour de la biodiversité. Corinne Casanova me précisait récemment que les élus sont extrêmement mobilisés sur l'organisation institutionnelle et financière de leurs territoires. Le bouleversement récent de la carte des intercommunalités et l'absorption de leurs nouvelles compétences ne crée pas forcément un climat favorable aux échanges entre élus sur la biodiversité au sein de leur territoire. La question de l'appropriation et du partage de la biodiversité est un enjeu important.

Or ces enjeux sont soit réellement traités comme colonne vertébrale des projets de territoire, soit comme une problématique connexe. Dans beaucoup de cas, c'est la seconde option qui prime et il est difficile de ramener la biodiversité au premier plan. Il existe une grande hétérogénéité de traitement d'un territoire à l'autre : certains élus passionnés se consacrent à ces enjeux alors que d'autres les délaissent. Certaines communautés très impliquées mais peu nombreuses ont dressé des atlas de leur biodiversité qui permettent, entre autres, aux élus locaux de s'approprier le sujet. Les plans d'action en faveur des zones humides et les débats induits ont, en ce sens, permis aux classes politiques locales de comprendre les enjeux liés à ces zones.

Si ces éléments ne sont pas compris, la biodiversité sera, au travers des schémas régionaux de cohérence écologique et via le zèle de certaines DREAL, perçue comme une contrainte.

Je suis également d'accord pour dire que l'on possède une boîte à outils complète puisque l'on peut, entre autres, inscrire les trames vertes et bleues dans les plans locaux d'urbanisme ou les plans locaux d'urbanisme intercommunaux. Mais beaucoup reste à faire pour inscrire la planification écologique dans les projets de territoire.

Les mécanismes de compensation commencent à intégrer les esprits mais il faut qu'ils soient compris pour qu'on les intègre dans ces projets.

Il existe une différence entre inscrire collectivement, au sein d'un SCoT, la préservation de la biodiversité ou d'y identifier des corridors et le fait, pour chacun des maires, de traduire ces orientations dans les autorisations d'urbanisme qu'il prend.

Enfin, en tant que secrétaire général d'une association nationale de collectivités, je constate que les problématiques de compensation et de biodiversité sont rarement les points clés de notre ordre du jour.

M. Hubert Dejean de la Batie. - Je réponds simplement à la dernière question du rapporteur en indiquant que je déteste qu'on me fasse payer quelque chose que je n'ai pas commandé. Ce doit être la collectivité qui décide de la contrainte liée à la biodiversité qui doit en financer les conséquences. Cela relève de la logique.

Je rejoins le rapporteur sur la nécessité de prévoir la compensation dans le temps et d'en assurer la durabilité. Les choses ne sont pas forcément figées pour l'éternité. L'exemple de l'éolien en mer le montre car, au large de la Suède, le premier champ éolien offshore du monde vient d'être entièrement démantelé. La remise à l'état initial a été provisionnée dans le budget du projet. Cette projection dans le temps long est parfois difficile pour nous, élus, qui tenons nos mandats pour échéances.

M. André Flajolet. - Je pense vraiment que le choc des temps est à prendre en compte. Qu'on le veuille ou non, notre société attend une rentabilité de plus en plus immédiate alors que les questions de biodiversité s'appréhendent sur le long terme. Or la monétisation de nos activités n'est pas compatible avec cette logique de long terme. Je suis tout à fait d'accord avec le fait que les élus abordent, certes, ces problématiques au sein des intercommunalités mais ont du mal à les expliquer aux citoyens qui veulent savoir pourquoi ils sont confrontés à certaines contraintes immédiates.

M. Gérard César . - Vous avez établi un constat mais n'avez pas formulé de propositions. Vous avez soulevé la nécessité de garanties à la durabilité des mesures de compensation mais n'en avez pas proposées.

La problématique du marché foncier est centrale. Pensez-vous que la création des offices fonciers est une solution ?

M. André Trillard . - Deux facteurs limitant n'ont pas été cités. Je pense d'une part à une défiance claire vis-à-vis de certains services de l'État dans certains départements où ils ont atteint une autonomie qui n'est pas acceptable. Dans un département que je connais il a, par exemple, été dit aux maires d'un secteur, à l'occasion d'un relevé des zones humides, qu'il n'existait aucune contrainte d'urbanisme !

Je pense, d'autre part, à une tendance assez nette à prendre par le haut des sujets qui sont également locaux. Je pense aussi à des échecs monstrueux de protections antérieures. La réserve Pierre Constant du célèbre parc de Brière en sont un exemple. Il risque de fermer, faute d'agriculture car la jussie recouvre le sol dans son ensemble. S'il s'agit là de l'avenir de la biodiversité, ce n'est en tout cas pas celui que je voyais et que voyait le professeur Constant à l'origine de ces réserves. Il y a un problème. Qui juge de quoi ? Qui a assez de recul pour faire autorité en la matière ? Je souhaiterais qu'on me le dise !

M. Gérard Bailly . - Les élus des collectivités territoriales aujourd'hui représentées partagent le souci que leurs territoires soient attractifs sans être défigurés.

Je souhaiterais savoir qui doit, du point de vue des collectivités, être le fer de lance en matière de compensation ? Puisque les collectivités sont aussi maîtres d'ouvrage, est-ce aux élus à faire des propositions ou est-ce à l'administration de l'État ? Comment cela se passe-t-il ? Qui propose ?

Mme Hermeline Malherbe. - Aujourd'hui, ce sont les maîtres d'ouvrage qui formulent les propositions de compensation. C'est sur la base de ces propositions qu'un contrôle est opéré par les services de l'État. De là vient la défiance, même si elle n'est pas systématique. Il serait bon que ceux qui contrôlent ne soient pas les mêmes que ceux qui conseillent. Pour les services déconcentrés de l'État, il peut sembler plus facile de contrôler à l'échelle d'une région alors que le conseil nécessite une plus grande proximité. Il va aujourd'hui exister une agence nationale pour la biodiversité ainsi que, a priori , des agences régionales. Il y aura donc des possibilités d'aide à la décision pour que les acteurs formulent des propositions.

M. André Flajolet. - Il arrive que l'État oublie qu'il n'est que le garant et qu'il devienne le gérant. Il prend la fonction de décider et n'est pas nécessairement dans la recherche du consensus. Or les élus sont les seuls acteurs permanents sur le terrain, à l'échelle de leur commune ou d'autres structures. Il faut qu'ils soient capables de porter un consensus qui est le leur et qui ne soit pas imposé par une technostructure. Car ces technostructures sont tellement mobiles que leur décision d'aujourd'hui peut être à l'opposé de la décision du lendemain. Les élus sont donc les seuls à pouvoir dire le consensus, le faire partager et vérifier qu'il dure.

M. André Trillard . - On ne peut pas exiger un approfondissement de la loi dans certains territoires qui soit sans cohérence avec la manière dont elle est appliquée sur les territoires voisins.

M. Ronan Dantec . - Je reprends la question de M. César. Quelles sont aujourd'hui vos propositions ? Il faut que les élus locaux bâtissent un consensus dans la durée, mais quid des outils pour le construire ?

Les trames vertes et bleues sont aujourd'hui perçues avec vigilance par les collectivités vis-à-vis d'un État parfois défenseur de l'environnement. Que pensez-vous de la proposition d'inclure dans ces trames les zones de compensation ? Cela changerait leur nature. Elles ne seraient ainsi plus perçues de manière défensive par les collectivités puisqu'en anticipant des solutions de compensation elles seraient la garantie pour le monde économique que des projets futurs ne soient pas bloqués. Ces solutions seraient prises en compte dans le cadre d'un consensus territorial, à l'échelle de la région ou de l'intercommunalité, où existe une vision beaucoup plus dynamique de la biodiversité.

M. Hubert Dejean de la Batie. - Je partage l'avis de M. Trillard. Il nous arrive assez souvent avec Jérôme Bignon, d'ailleurs membre de cette commission, de nous emporter à l'encontre de fonctionnaires d'État fraîchement arrivés dans nos territoires qui soutiennent des solutions qui vont à l'encontre du bon sens. Il peut s'agir, par exemple, d'interdire les engins mécaniques pour curer les mares, ce qui conduit à ce qu'elles se referment finalement. Nous leur demandons donc parfois de reconsidérer leur point de vue !

Mme Hermeline Malherbe. - Certains de ces fonctionnaires sont installés depuis longtemps et pensent toujours de cette manière !

M. Hubert Dejean de la Batie. - Les régions sont prêtes à poser des trames, mais elles ne peuvent le faire qu'avec l'appui des EPCI, des départements et des communes. Car intégrer les zones de compensation dans ces trames fait courir le risque que les maires des zones visées reprochent d'avoir à accueillir ces mesures sans pour autant bénéficier des emplois créés par un projet implanté ailleurs dans la région. Mais je pense que l'ensemble des régions est prêt à prendre ses responsabilités en la matière.

Planifier en amont les zones de compensation risque également de décourager les porteurs de projets d'éviter ou de réduire puisqu'ils disposeront d'un stock de solutions à disposition pour compenser directement.

Mais ce n'est pas parce que le système comporte ces risques de dévoiement qu'il doit être globalement remis en cause. Il convient seulement d'être vigilant. Elu de l'axe Seine, je constate, au sujet du canal Seine-Nord, qu'il aurait été préférable de plus éviter et réduire avant de compenser.

Nos concitoyens se demandent tous s'il y a encore quelqu'un qui pilote ! Les gens veulent localement redevenir maîtres de leur destin. Il faut leur donner le sentiment qu'on peut le faire.

M. Philippe Schmit. - Je rejoins l'idée que planifier les espaces de compensation va encourager à minorer le travail d'évitement et de réduction.

En matière de documents de planification que sont le SCoT, le PLU ou le schéma régional de cohérence écologique, il faut se méfier de la capacité d'absorption des évolutions législatives en matière d'urbanisme dans les territoires. Beaucoup d'élus expriment un besoin absolu de « pause digestive ». Les évolutions récentes sont relativement lourdes et le niveau de technicité des documents d'urbanisme en matière foncière et de biodiversité atteint des sommets. Les objectifs de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (dite loi SRU) d'il y a 15 ans commencent juste à porter leurs fruits, le Grenelle de l'environnement peine à être véritablement mis en oeuvre et je ne parle pas de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR). Il est, je pense, trop tôt pour introduire des changements majeurs car beaucoup de territoires ne seraient pas prêts à accepter une réforme de la planification.

Une distinction existe entre les services déconcentrés de l'État au sein des départements et au sein des régions dans leur proximité et leur capacité de construction et de réflexion. L'expérience des zones humides, qui sont fréquemment synonymes de compensation, montre qu'il est possible de tenir un dialogue avec les services déconcentrés dans les départements malgré leur rôle de contrainte pour les projets d'aménagement. Cette capacité de dialogue est moins évidente avec les services déconcentrés à l'échelle des régions.

M. André Flajolet. - Les élus locaux se sont engagés depuis 30 ou 40 ans sur ces sujets. Ils ont parfois connu de l'incompréhension ou de la convivialité avec les services de l'État mais ont assuré leur mission avant même que le cadre législatif n'existe.

Je souligne que pour le canal Seine-Nord, l'évitement et la réduction seront visibles pour ce qui est du nombre de camions en moins sur les autoroutes et en matière d'étouffement de la périphérie lilloise !

M. Hubert Dejean de la Batie - Nous continuerons d'échanger sur ce sujet dans d'autres cadres.

M. André Flajolet. - Je m'étonne que l'on n'ait pas encore parlé des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Ces lieux de concertation ignorent les frontières administratives et ne connaissent que les frontières géographiques : ils sont l'expression d'un véritable Parlement de l'eau à travers les comités de bassin et les agences. Ils sont déjà la réalité de l'ensemble des trames.

Il faut faire attention à ce que des architectures cohérentes ne soient pas dépecées en sous-ensembles qui le seraient moins et que l'ordre local ne devienne pas le désordre général. Renforcer les pouvoirs de représentation des comités de bassin et élargir leurs missions aurait permis d'en faire un lieu pertinent d'échanges et de prospective.

Mme Hermeline Malherbe. - Je ne partage pas ce point de vue. Les différents SDAGE de France ne fonctionnent pas tous de la même manière. Au sein du bassin Rhône-Méditerranée par exemple, les règles relatives au Rhône sont cohérentes mais celles relatives aux Pyrénées-Orientales ne le sont pas avec la réalité de ce territoire. Quand leurs ressorts sont cohérents, les SDAGE fonctionnent plutôt bien mais ce n'est pas toujours le cas. Dans cette hypothèse, des règles inadaptées et complexes affaiblissent les acteurs locaux qui les subissent, qu'ils soient élus, acteurs économiques ou associatifs.

Lorsque des règles architecturales nationales sont conçues dans le nord de la France pour engendrer des économies de chauffage il n'est pas normal qu'elles s'imposent dans le sud où elles se révèlent inadaptées. Les problèmes n'y sont pas les mêmes. Cela relève de la même logique. Il existe encore certaines de ces règles nationales mal adaptées aux territoires.

Je partage l'idée que prévoir les solutions de compensation en amont créerait un effet d'aubaine au détriment de l'évitement et de la réduction. Or ces deux premières étapes sont les plus importantes. Elles pourraient à juste titre entrer dans les schémas et dans les trames. Prévoir la compensation correspond mal à la réalité à laquelle sont confrontés les maîtres d'ouvrage puisqu'on leur demande de compenser les atteintes précises dont ils sont à l'origine.

S'il n'est pas en lien direct avec la compensation, je souhaite également évoquer l'outil intéressant que sont les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN). Ils permettent, pour un territoire donné tel que celui d'une ou de deux communes, de distinguer les espaces naturels à protéger de l'espace qui pourra être dévolu au foncier agricole. Car il faut savoir que l'équivalent de la surface d'un département est artificialisé tous les dix ans. Il existe des solutions liées à l'élevage pour garantir qu'un milieu reste ouvert et que les espaces naturels soient protégés également. La solution ne relève pas du tout ou rien. Il y a un besoin de convergence en amont qui peut être prévu, le cas échéant par les trames, afin d'éviter au maximum le recours à la compensation.

M. Hubert Dejean de la Batie. - La compensation est un arbitrage entre une activité économique et la défense de l'environnement. C'est à ce titre là que j'appréhende mal la compétence du SDAGE en la matière. Je suis d'accord sur le fait que la police de l'eau est bien faite en France, je conçois que les SDAGE puissent être associés aux mesures de compensation, mais je ne pense pas qu'il leur revient de déterminer ces mesures. Il est nécessaire qu'existe un terrain sur lequel les acteurs économiques et les acteurs de la défense de l'environnement puissent travailler ensemble afin de définir de justes compensations.

J'aurais tendance à dire que ce terrain devrait relever de la compétence des régions puisqu'elles sont chef de file à la fois en matière de biodiversité et de stratégie économique. Au nom de l'ARF, je précise que les régions sont prêtes à assumer cette responsabilité afin de coordonner les autres collectivités. Il est, en effet, hors de question que les régions dictent leur comportement aux EPCI, puisque les régions sont les premières à déplorer que l'État en fasse de même avec elles. Quant à déterminer la nature et les modalités techniques de cette instance, on peut en discuter. Je pense toutefois que plus ce comité sera resserré et plus il sera efficace. Je suis affolé lorsque je rencontre des comités consultatifs à plus de 160 membres. Comment voulez-vous qu'ils aboutissent à une proposition ? Il est toutefois possible qu'une structure au panel large vienne ensuite valider des propositions déjà établies.

M. Ronan Dantec . - Voilà une proposition ! Elle est un peu basée sur le modèle des SDAGE. Peut-être qu'à l'échelle de la trame de biodiversité régionale et d'un schéma régional de biodiversité un tel comité de suivi serait nécessaire afin qu'y émerge un consensus. Sans vouloir passer pour le défenseur des aménageurs au sein de cette commission - ce qui pourrait surprendre - je constate qu'un certain nombre de projets sont bloqués faute de réponses techniques de compensation. L'anticipation de ces réponses au sein d'une trame semble donc nécessaire. Un équilibre doit être trouvé. D'autres pays travaillent sur la compensation en intervenant très en amont des projets. Je pense par exemple au port de Rotterdam. Le fait de donner à la région un rôle de premier plan pour trouver les consensus et obtenir une stratégie cohérente liée à la diversité des territoires peut, en ce sens, être intéressant. La perte de biodiversité est arrivée à un stade qui rend de plus en plus difficile de toucher à certains milieux, comme les zones humides. Il faut anticiper cette difficulté.

Je vous propose de prolonger cette réflexion par des apports écrits sur la cohérence et les consensus nécessaires.

M. André Trillard . - Les services déconcentrés de l'État dans les régions et les départements se sont affaiblis depuis plusieurs années par l'ultra-spécialisation de leurs fonctionnaires. Les préfets, comme le ministre de l'intérieur, ont perdu cette faculté à trancher en dernier recours sur ce que doit être le point de vue de l'État sur un sujet donné. Le préfet n'est plus le métronome de l'action de l'État. J'étais farouchement opposé à ce qu'on se soit contenté de regrouper les administrations car je pense que certains arbitrages se font à l'intérieur d'une administration alors qu'ils doivent être faits sur la place publique. Quelque chose ne fonctionne pas et cela a conduit à ce que des directeurs départementaux et régionaux prennent le pouvoir. Je souhaite le retour du pouvoir du préfet comme représentant du ministre de l'intérieur.

M. Hubert Dejean de la Batie. - Il y a quelques secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) qui n'ont pas basculé de ce côté-là.

M. André Trillard . - Cela dépend des objectifs de carrière !

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous propose de nous faire parvenir des éléments de réponse complémentaires ou propositions par écrit, notamment si notre rapporteur est amené à vous poser de nouvelles questions.

M. Hubert Dejean de la Batie - La création d'un comité de suivi local devrait concerner la décision de la compensation. Il s'agit de déterminer qui décide et qui suit l'application de ce qui a été décidé. Là encore, des outils existent comme les conservatoires d'espaces naturels, le conservatoire du littoral ou les espaces naturels sensibles. Il faut seulement prendre des décisions intelligentes et bien mesurer les coûts de la compensation car une fois la mesure prise, il faut la faire vivre. L'important est de savoir qui prend la décision de la compensation et qui en mesure le poids.

Mme Hermeline Malherbe. - Il est important qu'elle soit à la fois définie dans l'espace mais également dans le temps. J'envisage qu'un schéma puisse être mis en place à l'échelle régionale mais je pense que le suivi des décisions doit être plus territorialisé pour se rapprocher du terrain. Je pense que les préfets de région ou de département doivent être associés.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Un consensus semble apparaitre sur ce point.

Audition de représentants de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) : M. Marc Bouron, directeur général de Cofiroute, M. Nicolas Orset, directeur adjoint de la construction du groupe Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), M. Arnaud Hary, directeur du développement des concessions de Sanef, et M. Christophe Boutin, adjoint au délégué général
(mercredi 11 janvier 2017)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons maintenant Marc Bouron, directeur général de Cofiroute, Nicolas Orset, directeur adjoint de la construction du groupe Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), Arnaud Hary, directeur du développement des concessions de Sanef, et Christophe Boutin, adjoint au délégué général de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA).

Avant de débuter l'audition, je vais vous demander de prêter serment. Je vous rappelle que tout faux témoignage ou subordination de témoin est passible de sanctions pénales.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Boutin, Nicolas Orset, Arnaud Hary et Marc Bouron prêtent successivement serment .

Notre commission d'enquête a pour objectif de mesurer l'effectivité et l'efficacité des mesures de compensation, mais également des mesures d'évitement et de réduction, même si cela n'est pas explicite dans l'intitulé de notre structure.

Après vos propos introductifs, le rapporteur vous posera une série de questions, ainsi que les membres de notre commission d'enquête. Auparavant, je vous demande de bien vouloir nos indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête : cela est important pour l'objectivité des débats. À la fin de vos exposés respectifs, le rapporteur vous posera une série de questions.

M. Christophe Boutin, adjoint au délégué général de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes . - Je vous remercie de nous avoir proposé cette audition, qui nous permet de présenter les actions des sociétés d'autoroutes en faveur de la biodiversité, tant dans les opérations de construction, qui sont spectaculaires, que dans la phase d'exploitation.

Le principe de la concession d'autoroute repose sur un contrat de long terme avec un exploitant présent pendant toute la durée du contrat. Cet exploitant est donc à même de réaliser toutes les mesures nécessaires à la vie de l'ouvrage, mais également de ses abords.

Les liens d'intérêts de l'ASFA existent essentiellement pour l'A65, dont le concessionnaire est l'un des membres de notre association. Par ailleurs, certains actionnaires des sociétés membres de l'ASFA sont également actionnaires des sociétés chargées de la réalisation des autres projets auxquels votre commission d'enquête s'intéresse, sans pour autant que l'ASFA y soit directement impliquée.

Les concessionnaires autoroutiers sont de véritables aménageurs du territoire, des aménageurs qui s'engagent en faveur de l'environnement et de la biodiversité, ce dont nous sommes fiers. Les réalisations les plus récentes des sociétés d'autoroutes sont d'ailleurs exemplaires en la matière ; les autoroutes plus anciennes, que l'on appelle également le stock, procurent également des exemples intéressants. Si nous respectons bien entendu toutes les lois en vigueur en matière de protection de l'environnement - les derniers textes adoptés sont d'ailleurs en cours d'analyse et seront mis en oeuvre dès la parution des textes réglementaires - nous allons parfois au-delà des obligations législatives. C'est le cas lors d'opérations de modernisation du réseau ou par le biais d'investissements spécifiques en faveur de la biodiversité, réalisés dans le cadre des contrats de plan, qui permettent de financer des opérations qui n'étaient pas prévues dans le cahier des charges initial de la concession. Une partie de ces investissements est spécifiquement dédiée aux mesures en faveur de la biodiversité, comme la création de passages pour la faune sur les réseaux anciens, construits bien avant que le principe même de respect de l'environnement soit inscrit dans la loi. Les concessionnaires ont donc un véritable savoir-faire reconnu par leurs partenaires du monde académique et associatif.

Les sociétés regroupées au sein de l'ASFA exploitent plus de 9 000 kms de voies, exclusivement en France, et gèrent près de 39 000 hectares de dépendances vertes. Certaines de ces dépendances font partie des ouvrage techniques, comme les talus et les accotements, d'autres proviennent de parcelles « délaissées » qui n'ont pu être rétrocédées après la construction de l'ouvrage. Celles-ci sont néanmoins souvent des réservoirs de biodiversité très intéressants - parfois même plus intéressants que les parcelles agricoles initiales en termes de richesse d'espèces -, et sur lesquels nous avons une maîtrise foncière directe.

Les autoroutes comprennent un certain nombre d'infrastructures dédiées à la préservation de la biodiversité. Nous ne comptons pas moins de 1 659 ouvrages spécifiquement dédiés au passage des animaux sauvages - et j'insiste sur cette qualification, car il y a par ailleurs un nombre conséquent de passages dits « mixtes », utilisés par les animaux autant que par le monde agricole.

Plusieurs évolutions législatives pourraient faciliter la mise en oeuvre des mesures en faveur de la biodiversité par les concessionnaires autoroutiers. Tout d'abord, il faudrait pouvoir s'assurer la maîtrise foncière des emprises qui seront utilisées pour les mesures de compensation dès le stade de déclaration d'utilité publique (DUP). En effet, les mesures de compensation nécessitent généralement des surfaces importantes à proximité de projets déjà consommateurs d'espace, et les acquisitions ne sont pas forcément aisées. Plus les mesures sont intégrées tôt dans le projet, plus elles ont de chance d'être efficaces.

Par ailleurs, les coefficients de compensation applicables aux projets sont variables : il serait intéressant qu'ils soient adaptés à la nature des milieux à compenser - tous ne présentent pas la même richesse - et pondérés par l'efficacité attendue des mesures mises en oeuvre, puisque, là encore, toutes ne se valent pas.

Ensuite, il faudrait prendre en compte les efforts réalisés lors des étapes d'évitement et de réduction. De nombreux enjeux initiaux peuvent avoir été évités grâce à des décisions stratégiques, concernant le tracé de l'infrastructure par exemple. Ces choix structurants ne sont pas sans incidence sur les coûts de l'ouvrage ; ils ne sont pourtant pas pris en compte dans la détermination des mesures compensatoires. Cela est parfois surprenant.

Enfin, il nous semble qu'il serait parfois opportun que les mesures de compensation ne soient pas mises en oeuvre à proximité de l'infrastructure. Des périmètres un peu plus éloignés peuvent en effet présenter une pertinence écologique plus importante.

M. Marc Bouron, directeur général de Cofiroute . - J'ai également des liens d'intérêts avec les différents projets sur lesquels travaille la commission. En effet, Cofiroute fait partie du groupe Vinci Autoroutes, lui-même filiale du groupe Vinci, qui est actionnaire de Notre-Dame-des-Landes et de la LGV Tours-Bordeaux. Cofiroute a par ailleurs effectué un travail conséquent d'interconnexion entre la LGV et l'A10, exploitée par Cofiroute et ASF.

Le groupe Vinci Autoroutes gère actuellement près de 4 400 kms de réseau en France, principalement répartis entre trois concessionnaires : Cofiroute, Autoroutes du Sud de la France (ASF) et Autoroutes Estérel-Côte d'Azur (ESCOTA). Quelle que soit la taille du projet, la prise en compte de l'environnement est un sujet complexe qu'il convient de traiter le plus en amont possible.

Au sein des enjeux environnementaux, la préservation de la biodiversité est un axe de travail prioritaire. Depuis 40 ans, la compréhension de ces enjeux, la connaissance de la réglementation et les compétences des équipes de maîtrise d'oeuvre et de maîtrise d'ouvrage ont beaucoup évolué. Dès la construction des premières sections, au début des années 1970, une attention était déjà portée à l'environnement. Par exemple, le premier passage grande faune du réseau Cofiroute, qui se situe aux portes de Paris, au niveau de la barrière de péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines, a été construit en 1972.

Les deux tiers du réseau ont été construits après 1976. Les principes d'évitement et de réduction ont donc été systématiquement privilégiés, et des mesures de compensation mises en oeuvre lorsque l'évitement de l'impact n'était pas possible. L'ampleur des mesures déployées à cette époque est évidemment proportionnelle aux connaissances scientifiques et techniques du moment.

L'A71, dont la construction s'est achevée à la fin des années 1980, fournit un bon exemple du principe d'évitement. En effet, le tracé a évité un étang de 6,5 hectares, qui se situe désormais dans les emprises de Cofiroute. Une décennie plus tard, nous avons constaté une amélioration de ce milieu, grâce aux travaux de génie écologique que Cofiroute a menés. Cet étang a d'ailleurs été classé en zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) en 2015 par les services de l'État.

Les sections les plus anciennes font l'objet de mises aux normes environnementales lors d'opérations d'aménagement spécifiques ou de projets d'élargissement. Des ouvrages de franchissement pour la faune, comme des tunnels ou des écoponts, sont construits. On en compte déjà 783 sur le réseau de Vinci Autoroutes, et plus d'une centaine de nouveaux aménagements sont prévus dans les prochaines années dans le cadre du plan de relance autoroutier.

Vinci Autoroute mise également sur la capitalisation de l'information et l'alimentation de la recherche scientifique à travers l'élaboration de guides sur l'efficacité des mesures engagées et la réalisation de thèses. En 2016, une étude menée avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) a permis d'évaluer les aménagements de restauration des continuités écologiques. Il s'agit d'un ouvrage de référence en écologie routière, tant sur les aménagements eux-mêmes que sur le suivi de leur efficacité.

Le volet environnemental des bilans LOTI (loi d'orientation des transports intérieurs) permet également de qualifier la pertinence des mesures d'évitement, de réduction et de compensation. Un des derniers bilans effectués a porté sur une section d'environ 100 kms de l'A19, dans le Loiret, mise en service en 2009. Il existe sur cette section plus de 107 passages pour la faune, mais aussi des haies d'envol, des aménagements pour les chiroptères, et des mesures de compensation pour les bois. Le préfet a constaté que les mesures étaient efficaces, et qu'elles permettaient même parfois d'améliorer le milieu naturel.

La découverte d'une population de pique-prunes dans la Sarthe avait interrompu la construction de l'A28 pendant plusieurs années. Des mesures de préservation de l' osmoderma eremita , prises dans le cadre de la démarche ERC, ont fait l'objet d'un suivi de près de 10 ans. Cela a permis de mesurer leur efficacité et d'améliorer la connaissance scientifique de ce scarabée.

Plus récemment, lors du projet d'élargissement de l'A63, nous avons mis en place des mesures de compensation sur près de 250 hectares, dont une large partie était dédiée à la préservation du vison d'Europe. Une convention de gestion avec la maison d'initiation à la faune et aux espaces naturels (MIFEN) et le conservatoire des espaces naturels d'Aquitaine permettra de suivre ces mesures pendant 20 ans.

Le bilan, s'il semble positif, n'exprime pas pour autant l'ampleur du travail et de l'énergie que nous mettons à faire aboutir les dossiers. De nombreuses réunions de travail avec les différentes parties prenantes - les services de l'État, les associations de protection de la nature - sont nécessaires pour traiter les difficultés que nous rencontrons au quotidien. Face à l'importance grandissante accordée aux mesures compensatoires, deux m'apparaissent saillantes : la première difficulté concerne la quantification des mesures compensatoires. Les coefficients de compensation applicables aux projets sont généralement fixés par rapport aux projets précédents, et il est souvent attendu des maîtres d'ouvrage de faire toujours plus. Il serait préférable qu'un guide facilite la connaissance en amont des mesures compensatoires attendues. Cela permettrait en outre d'inciter à l'optimisation foncière : actuellement, pour obtenir les autorisations de démarrage des travaux, les maîtres d'ouvrages peuvent être tentés d'acquérir beaucoup de terres en vue des mesures de compensation, plutôt que d'en cibler la qualité.

Une évaluation plus objective des coefficients de compensation et une incitation plus forte à la fonctionnalité des mesures, plutôt qu'à leur quantité, permettrait de concilier au mieux préservation de la biodiversité et faisabilité des projets d'infrastructures au service des territoires.

Enfin, cela améliorerait aussi la compréhension du projet par l'ensemble des parties prenantes, et en particulier par le monde agricole. Les agriculteurs ont parfois du mal à comprendre que l'on ponctionne une première fois des emprises pour le projet, et ensuite pour la mise en place des mesures compensatoires. C'est ce qu'ils appellent la double peine.

La deuxième difficulté que l'on rencontre concerne les modalités de mise en oeuvre de ces mesures de compensation. Les arrêtés d'autorisation unique, qui permettent le démarrage des travaux, fixent les mesures environnementales des projets et règlent les procédures d'acquisition foncière, et en particulier le processus d'expropriation. Or, assurer la garantie foncière des mesures compensatoires est difficile en l'absence de levier juridique permettant aux maîtres d'ouvrage de satisfaire cette maîtrise foncière. Dans ce contexte, il serait utile que la déclaration d'utilité publique des projets permette d'obtenir également la maîtrise foncière des terrains de compensation, même si ces parcelles ne sont pas nécessairement strictement contiguës à celles du projet.

M. Arnaud Hary, directeur du développement des concessions de Sanef . - Avant de commencer, je vous indique que Sanef est l'actionnaire et l'exploitant, conjointement avec Eiffage, de l'A65.

La société Sanef exploite 1 700 kms d'autoroute au nord, à l'ouest et à l'est de la France. Les deux tiers de notre réseau sont relativement anciens - je pense notamment à l'A1 et à l'A2, dont la construction a été achevée bien avant 1976, à l'A4, terminée en 1976, et à l'A13, dont une grosse partie a été finie peu après.

Comme l'a dit Christophe Boutin, les enjeux sur les nouvelles sections et sur les anciennes réalisations sont différents. Les nouvelles sections, achevées à partir des années 1990, ont intégré dès le départ l'enjeu environnemental. C'est le cas de l'A16, qui relie Paris à Boulogne-sur-Mer et a été l'une des premières autoroutes à faire l'objet de mesures d'évitement et de réduction. Les étapes d'évitement et de réduction ont été largement mises en oeuvre dès les tracés principaux. Il faut rappeler que les tracés des autoroutes sont avant tout décidés par les services de l'État, qui mènent les déclarations d'utilité publique. Les concessionnaires interviennent ensuite dans l'optimisation d'une bande de terrain de 300 mètres grâce à des aménagements visant à éviter et réduire les impacts. La société Sanef et la SAPN ont progressivement renforcé la cohérence de ces aménagements, notamment par la mise en place, dès 1990, d'un plan Objectif environnement.

Nous faisons également face à un enjeu de mise à niveau des sections les plus anciennes. Cette mise aux normes peut être réalisée à l'occasion d'un élargissement, même si certaines autoroutes anciennes comme l'A1 doivent faire l'objet d'aménagements particuliers car leur élargissement, déjà daté, n'avait pas fait l'objet d'une mise à niveau totale. Ces investissements se font avec l'aide de l'État, notamment dans le cadre du plan de relance autoroutier signé en 2015. Celui-ci permet à la Sanef de dépenser 55 millions d'euros pour la protection des milieux aquatiques, en particulier à proximité des autoroutes historiques que sont l'A1 et l'A4.

La connaissance de la biodiversité est un enjeu complémentaire. Nous avons réalisé en 2013 un audit de la biodiversité sur les quelque 7 000 hectares de dépendances vertes gérées par la Sanef. Cet audit a permis de réaliser un état des lieux de nos emprises, mais également du dialogue avec les parcelles attenantes. Par exemple, sur l'A4, un certain nombre de passages sous l'autoroute, mis en place dans les années 1970, ont fait l'objet d'aménagements complémentaires, comme la plantation de plantes appétentes qui incitent les animaux à traverser. L'efficacité de ces mesures est contrôlée par des appareils photo automatiques et des pièges à traces.

Enfin, la compatibilité de nos pratiques d'exploitation avec la gestion des impacts environnementaux est un enjeu primordial. Tous les autoroutiers ont aujourd'hui mis en place une gestion extensive des emprises - fauches tardives, raisonnées, et même parfois absence de fauche - en partenariat avec le monde agricole, qui est parfois surpris par l'absence de mise au clair de l'ensemble de l'emprise. L'utilisation des produits phytosanitaires est aussi un sujet important. Collectivement, nous sommes engagés dans une démarche de forte réduction de l'utilisation de ces produits : Sanef s'est fixé comme objectif une division par 7, même si nous rencontrons parfois des difficultés techniques. C'est le cas pour la pousse le long des barrières de béton situées sur le terre-plein central de l'autoroute. Il faut alors intervenir sur la voie de gauche, ce qui est très compliqué, en particulier sur une autoroute à 2 X 3 voies comme l'A1, sur laquelle circulent plus de 70 000 véhicules par jour. Dans ce genre de cas très particuliers, l'utilisation raisonnée de phytosanitaires est nécessaire. Nous essayons cependant d'inventer de nouvelles pratiques sur toutes ces petites tâches qui ont un impact global.

Nos engagements pour la biodiversité se concrétisent de deux manières. Tout d'abord, nous avons élaboré un document présentant une vision consolidée des enjeux de biodiversité sur les emprises du groupe Sanef et à proximité. Par ailleurs, nous sommes depuis le 1 er décembre 2015 l'une des six entreprises certifiées « Engagement biodiversité » par Ecocert. Nous avons appliqué à notre système de gestion des autoroutes des engagements en faveur de la biodiversité qui relèvent de la réduction des impacts et de la gestion raisonnée de l'ensemble du réseau, dans le respect des lois, des règlements et des bonnes pratiques autoroutières, car les clients de l'autoroute attendent eux aussi un niveau de service élevé.

M. Nicolas Orset, directeur adjoint de la construction du groupe Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) . - Le groupe Eiffage, qui est actionnaire de l'A65, est également actionnaire du groupe APRR.

Les politiques menées par APRR et les enjeux auxquels elle est confrontée sont similaires à ceux exposés par mes collègues. Nous échangeons d'ailleurs régulièrement sur les bonnes pratiques, de manière à améliorer en permanence nos processus. En tant que maître d'ouvrage et gestionnaire d'un réseau de 2 200 kms d'autoroutes, nous sommes engagés sur des opérations de construction dans lesquelles la biodiversité est activement préservée par nos choix environnementaux. Plus récemment, nous avons adhéré à la stratégie nationale pour la biodiversité.

La doctrine « éviter-réduire-compenser » est appliquée par APRR depuis le début des années 1980. Les premières mesures d'évitement ont été mises en oeuvre lors de la construction de l'A31 entre Beaune et Langres. Suite à des échanges avec l'association « Nature Haute-Marne », nous avons ainsi pu préserver des sites remarquables comme les gorges naturelles de la Vingeanne.

Dans les années 1990, nous avons construit entre Dôle et Bourg-en-Bresse celle que nous appelons aujourd'hui « l'autoroute verte ». C'était une innovation majeure car nous y avons appliqué, bien avant la formalisation des règlementations actuelles sur la protection de la nature, le principe de la responsabilité environnementale. Des bilans successifs ont été réalisés durant 10 ans pour mesurer les effets des aménagements réalisés. Les résultats sont parfois contrastés. Des journées d'échanges ont eu lieu en 2007 sur ce sujet.

Plus récemment, lors de la réalisation du contournement sud de Mâcon, qui traverse une plaine inondable de la Saône, nous avons créé un espace de plusieurs centaines d'hectares favorable aux oiseaux nichant au sol. 220 hectares ont ainsi été conventionnés avec les chambres d'agriculture pour des fauches tardives, afin que les oiseaux puissent nicher au sol et que l'éclosion des oeufs soit préservée.

Nos autoroutes les plus anciennes -l'A6 entre Paris et Lyon et l'A36 entre Dijon et Mulhouse - font l'objet de programmes de rattrapage, dans le cadre de contrats de plan ou de plans de biodiversité visant à réaliser des ouvrages de protection de la faune, de préservation ou de renaturation des cours d'eau.

Dans la continuité de cette éco-responsabilité, la création de l'Agence française pour la biodiversité nous aidera certainement à améliorer la préservation, la gestion et la renaturation de la biodiversité. En effet, nous menons systématiquement une concertation avec les services de l'État, les collectivités locales, les conservatoires des espaces naturels et les associations pour aboutir à des mesures raisonnées, proportionnées et utiles.

Nous recherchons en permanence le meilleur équilibre entre un aménagement et ses impacts. Nous devons respecter à la fois les normes de sécurité des usagers de l'autoroute et les normes en matière d'environnement et de biodiversité. Nous sommes donc des catalyseurs permettant l'intégration d'un projet dans son environnement et la préservation de la biodiversité.

Je souhaite aborder un autre sujet important : la localisation des mesures compensatoires. On nous demande le plus souvent de mener ces mesures au plus proche du projet. Pourtant, il serait intéressant de voir dans quelle mesure la compensation pourrait améliorer la biodiversité à quelques kilomètres du projet, en restant bien entendu dans des limites écologiques acceptables. Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos : tout d'abord, les réalisations notables sur l'A719, qui ont pu être menées grâce au concours de tous les acteurs. La construction de cette autoroute traversait en effet un massif boisé important, impacté sur plusieurs dizaines d'hectares par l'infrastructure, et une plaine agricole très riche. Nous avons proposé de relocaliser le reboisement à 30 km du projet, et de créer ainsi un massif écologiquement intéressant qui permettait à la biodiversité de se reconstituer. Au final, pour 30 hectares de boisement initialement perdus, nous avons créé 90 hectares en compensation.

Le second exemple se situe à Grenoble, où deux diffuseurs ont été construits, l'un sur l'A41 et l'autre sur l'A48. Ils se situent dans deux vallées de part et d'autre du massif de la Chartreuse et distantes de plusieurs dizaines de kilomètres. Un des deux projets impactait une zone humide remarquable, l'autre avait des conséquences environnementales moindres. En accord avec les collectivités locales, nous avons choisi de regrouper les mesures compensatoires des deux projets sur un seul site, là où nous pouvions créer une entité écologique importante. Cela nous a permis de réaliser une compensation de zone humide bien plus vaste qui montre aujourd'hui des résultats intéressants. Dans un contexte de raréfaction des emprises foncières, ces approches pragmatiques seraient sans doute bénéfiques à grande échelle.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous remercie pour ces éléments. J'ouvrirai le débat avec trois questions. Tout d'abord, lorsque nous avons auditionné l'État sur les enjeux de biodiversité liés aux grandes infrastructures, le premier sujet évoqué a été celui de la transparence des infrastructures, c'est-à-dire de la préservation des continuités environnementales sur les anciennes autoroutes. Avez-vous aujourd'hui une vision assez claire de ce qu'il faudrait mettre en place en termes de transparence sur l'ensemble du réseau, y compris sur le stock ? Cela fait écho à vos propos sur la localisation des mesures compensatoires.

Par ailleurs, avez-vous beaucoup de retours d'expérience de reconstitution de zones humides ? C'est de toute évidence un point difficile aujourd'hui. Où en êtes-vous en termes d'ingénierie ?

Enfin, l'argent reste une mesure intéressante des choses, même si ce n'est évidemment pas la seule. Vous disiez que le plan de relance autoroutier avait permis un investissement de 55 millions d'euros en faveur de la biodiversité. Quelle part de votre enveloppe cela représente-t-il ? Quel ratio vous semble aujourd'hui économiquement acceptable pour l'investissement dans les mesures compensatoires ? Nous avons besoin de savoir jusqu'où vous êtes prêts à aller, dans les modèles économiques, en termes d'investissements sur la biodiversité.

M. Marc Bouron . - Concernant la transparence écologique, la cartographie des aménagements fait clairement apparaître un déséquilibre entre les anciennes sections et les nouvelles autoroutes. Les bilans LOTI (loi d'orientation des transports intérieurs) permettent de mesurer l'efficacité des mesures de transparence, mais ceux-ci ne portent que sur les réalisations récentes. Nous menons donc des études complémentaires, comme cette thèse sur l'impact des infrastructures sur les déplacements des grands cerfs en Ile-de-France menée conjointement avec l'université Paris 6. Ces études montrent notamment que le passage sous l'autoroute A10, créé en 1972, ne fonctionne pas très bien ! C'est un couloir noir que les animaux n'apprécient pas. On distingue nettement une rupture entre les autoroutes réalisées dans les années 2000 et celles achevées précédemment.

M. Arnaud Hary . - Sur la traversée des infrastructures historiques, il y a encore des enjeux nationaux : il reste quelques corridors interrompus par des autoroutes, et dont la continuité n'a pas été aujourd'hui rétablie. L'un se trouve dans les Vosges, du côté de Saverne ; l'autre se situe dans la forêt d'Ermenonville, où l'A1 est encore un obstacle à la traversée des animaux. Nous sommes d'ailleurs en train de réaliser un passage animaux sauvages sur cette autoroute, entre Roissy et Senlis. Ces aménagements viennent compléter, au rythme des disponibilités financières et des discussions avec l'État, les dispositions en matière de transparence.

À l'échelle locale, nous mettons en place de petits aménagements comme des plantes appétentes et des haies pour cacher les lumières des infrastructures. Nous échangeons également avec les conservatoires des paysages, les associations foncières locales, voire même les fédérations de chasseurs, car tous ces acteurs contribuent à la gestion des espaces de part et d'autre de nos aménagements. Toutes ces dispositions nécessitent un suivi : celui-ci a parfois été délaissé, nous nous efforçons alors de le remettre en place. En conclusion, l'audit a permis d'identifier l'ensemble des enjeux liés à la gestion du stock, même s'ils ne seront pas tous traités dans l'immédiat.

En ce qui concerne les coûts, les 55 millions d'euros que j'ai cités sont spécifiquement affectés à un plan de protection des milieux aquatiques. Ce plan représente environ 10 % du budget global de Sanef/SAPN, mais il concerne un aménagement spécifique. Certains plans, comme le programme « des engagements verts » suivi par Vinci Autoroute et Sanef entre 2010 et 2013, sont intégralement au service de l'environnement : protection contre le bruit, protection des milieux aquatiques, aménagements pour la faune... La biodiversité peut donc représenter jusqu'à 100 % d'un programme spécifique !

Dépenser entre 5 % et 10 % du budget d'un réaménagement global uniquement pour les mesures de compensation semble être une fourchette haute. Il faudrait compter cette enveloppe pour l'ensemble des aménagements pour l'environnement, en dehors bien entendu des aménagements techniques, comme les profils en long, qui ont également des effets sur l'environnement. N'oublions pas que les coûts engagés lors des séquences éviter et réduire ne sont pas inclus dans ces chiffres !

M. Marc Bouron . - Le suivi des mesures de compensation sur la durée de la concession, comme cela est le cas sur certaines autoroutes, représente également un enjeu financier.

M. Ronan Dantec . - Nous cherchons à déterminer quel est le modèle économique de la compensation, et notamment à chiffrer la restauration de zones humides. Nous avons très peu d'exemples aujourd'hui en France.

M. Nicolas Orset . - Nos « carnets d'autoroutes » reprennent l'ensemble de nos réalisations en faveur de la biodiversité, et en particulier les prairies humides et les passages pour la faune. Pour continuer à développer ces derniers, l'important est aujourd'hui d'en réduire les coûts. Pour cela, nous testons actuellement, sur un ouvrage au nord de Grenoble, des revêtements allégés. Le Cerema nous accompagne dans ce projet.

Ce qui semble réellement important aujourd'hui, c'est de réaliser le bon investissement au service de la renaturation et de la biodiversité en général. À ce titre, les retours d'expérience sont essentiels. Le bilan LOTI de l'A406 à Mâcon, mise en service en 2011 et qui traverse une plaine inondable, est en cours de réalisation. Il nous permettra d'avoir un retour d'expérience sur la préservation des zones humides. Globalement, les retours sont positifs, même si des choses restent à améliorer.

Sur l'A39, au nord de Bourg-en-Bresse, certains étangs fonctionnent particulièrement bien aujourd'hui. Les mesures de compensation ont permis d'y préserver une population de libellules protégées et une fougère remarquable.

Mme Évelyne Didier . - Je souhaite prolonger le questionnement de notre rapporteur. Nous avons bien compris la dichotomie qui existe entre le stock historique et les nouveaux projets, qui intègrent la préoccupation récente pour l'environnement. Je ne doute pas que la qualité des réalisations va continuer de s'améliorer. Pouvez-vous nous préciser le budget nécessaire au réaménagement d'une section ancienne, et celui dédié à son entretien ?

Les nouveaux projets sont financés soit par des années supplémentaires d'exploitation - les coûts sont alors supportés par l'État -, soit par du péage - les coûts sont alors supportés par les usagers. Pouvez-vous nous indiquer si vous obtenez des financements particuliers de la part de l'État pour les projets de remise à niveau des tronçons historiques ?

M. Rémy Pointereau . - Je voudrais tout d'abord remercier les différents orateurs pour leurs exposés très précis. De nombreux efforts sont faits en matière d'aménagement pour favoriser la biodiversité depuis quelques d'années, on ne peut que s'en féliciter.

J'ai été très impressionné par l'étendue des dépendances vertes. Ces 39 000 hectares sont-ils comptabilisés parmi les surfaces de compensation ? Ce sont des réservoirs importants pour la biodiversité. En Eure-et-Loir et dans le Cher, on constate que certaines espèces reviennent le long des autoroutes, ce qui est une bonne chose. Utiliser les dépendances vertes comme surfaces de compensation permettrait de préserver des terres agricoles déjà largement impactées par les infrastructures.

La localisation des mesures compensatoires et l'utilisation des emprises foncières ferroviaires et autoroutières apparaissent comme un véritable enjeu.

M. Jérôme Bignon. - Nous avons peu de retours sur la compensation dans les zones humides. Avez-vous des échanges sur ces questions avec vos collègues carriers ? Ces derniers ont mis au point une ingénierie assez remarquable pour la remise en état des zones humides. Je pense également aux grands ports maritimes qui ont parfois besoin de remblayer les zones humides pour développer leurs entrepôts et autres installations. Y a-t-il un travail partagé entre professionnels sur cette question ?

Je m'interroge également sur la question de la proximité. Des agriculteurs se retrouvent confrontés à un double peine puisqu'ils perdent leur terre à deux titres - la réalisation de l'ouvrage et la mise en oeuvre des mesures de compensation. Or nous savons que, tous les dix ans, c'est l'équivalent d'un département de surface agricole utile qui disparaît. Dans le même temps, des zones de friches subsistent que personne n'a les moyens de restaurer. Avez-vous sur ces questions des propositions à formuler qui pourraient enrichir nos travaux ? Les puristes de la compensation pourraient être gênés mais la commission d'enquête doit poser la question, notamment au regard de la nécessité de protéger le monde agricole. Je pense en particulier à la construction du canal Seine-Nord, qui va toucher à deux titres des terres agricoles remarquables en Picardie.

M. Christophe Boutin . - En réponse à Mme Didier, le coût de la compensation, pour les constructions nouvelles, est intégré dès le départ dans le modèle économique et par conséquent dans le coût initial du péage. S'agissant des autoroutes existantes et d'aménagements qui ne sont pas prévus par le contrat ni par la loi, l'Etat peut utiliser des outils de « respiration contractuelle » tels que les contrats de plan - c'est-à-dire des investissements ajoutés au cahier des charges de la concession et dont le coût se répercute principalement sur les tarifs - ou, de façon plus exceptionnelle et désormais encadrée par la loi, un allongement de la durée de la concession. De tels outils permettent de répartir le coût des investissements concernés.

Mme Évelyne Didier . - Il s'agit donc bien d'un projet global. Le coût de la compensation est intégré et ne fait pas l'objet d'un budget spécifique.

M. Christophe Boutin. - S'agissant des 39 000 hectares de surfaces de dépendance verte, elles sont de plusieurs natures : certaines sont indissociables de l'ouvrage et peuvent faire l'objet d'interventions destinées à assurer la pérennité de celui-ci ; d'autres ressemblent davantage à des surfaces délaissées. Quoi qu'il en soit, ces surfaces ne sont aujourd'hui pas ouvertes à la réalisation de mesures de compensation. La compensation se fait en plus de ce stock de surfaces.

M. Arnaud Hary . - Jusque récemment, nous n'avions qu'une connaissance partielle de la richesse de nos emprises, ce qui rendait difficile leur valorisation. Cela n'est plus vrai aujourd'hui et conduit donc à l'ouverture d'un débat sur la prise en compte de ces territoires dans la compensation. Je prends l'exemple d'une prairie calcicole située sur un échangeur de l'autoroute A1, au niveau du parc Astérix : elle s'est développée de façon spontanée et est aujourd'hui très riche. D'une certaine façon, nous avons fait de la compensation sans le savoir.

M. Marc Bouron . - Dans les faits, ces territoires ne sont pas considérés comme des mesures de compensation.

M. Nicolas Orset . - Il faut nous permettre de développer plusieurs types de mesures de compensation. Les contraintes liées à la présentation des dossiers devant le Conseil national de protection de la nature (CNPN) sont de plus en plus fortes. Il nous serait utile de pouvoir développer un panel de mesures plus important. L'autoroute A 719 est emblématique de ce point de vue et offre des perspectives intéressantes, notamment avec le développement de populations de cistudes d'Europe. Lorsque l'ensemble des acteurs concernés agit de façon concertée et raisonnée, il est possible de faire des choses intéressantes. Mais c'est plus souvent l'exception que la règle.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'État travaille aujourd'hui sur la notion d'équivalence, en observant notamment le modèle américain. L'idée serait qu'à partir du moment où l'équivalence est respectée, l'application du principe de proximité pourrait, elle, être plus souple. Y êtes-vous favorables ?

M. Nicolas Orset. - Les règles sont aujourd'hui appliquées de façon systématique, sans retours d'expériences suffisants. Nous travaillons avec des professionnels et savons proposer des aménagements présentant un intérêt écologique. Chaque projet, chaque site est unique : il faut donc proposer les mesures les plus en adéquation avec le milieu concerné, sans que l'interprétation du principe d'équivalence soit nécessairement univoque.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - L'équivalence n'est pas qu'une question de surface.

M. Christophe Boutin. - Avoir de la visibilité sur ce qui peut être fait serait un moyen de sécuriser les projets. Globalement, plus les mesures compensatoires sont définies et intégrées en amont dans le modèle économique du concessionnaire, plus leur mise en oeuvre est sécurisée.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quelles sont vos relations avec l'Etat ? Est-ce que ce dernier a vraiment le souci d'éviter ? Comment contrôle-t-il la mise en oeuvre des mesures de compensation ?

M. Arnaud Hary. - C'est l'Etat qui décide des tracés. La richesse des études fournies sur ces dossiers prouve que l'Etat fait son travail. Pour les projets dont nous maîtrisons l'initiative, et qui sont généralement d'ampleur plus réduite, l'Etat joue également un rôle fort et fait preuve de diligence à chacune des étapes. Nous avons des relations contractuelles avec différents services de l'Etat et les différentes voix peuvent être entendues, même si c'est le rôle du préfet de trancher sur certains points. Il nous serait parfois utile de bénéficier d'une coordination renforcée pour arriver à mieux concilier les délais d'instruction par les services de l'Etat et nos délais de réalisation. Les contrôles sont également présents et peuvent être effectués en lien avec les associations, notamment s'agissant des bilans LOTI. L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), et désormais l'Agence française de la biodiversité (AFB), joue aussi son rôle.

M. Marc Bouron . - Il faut distinguer deux phases : le travail en amont du projet, notamment de négociation pour la définition des mesures de compensation, qui intervient une fois que le projet a été déclaré d'utilité publique et, par conséquent, dont nous avons été chargés par l'État d'assurer la réalisation ; puis la phase de contrôle, sur laquelle nous avons des enjeux financiers, mais aussi des enjeux de réputation, voire des enjeux pénaux, et sur laquelle nous sommes par conséquent très vigilants.

M. Nicolas Orset . - Je résumerais notre relation avec l'Etat en deux mots : vigilance et rigueur. Les services de l'État avec lesquels nous échangeons disposent d'une véritable compétence. On nous demande parfois d'en faire toujours plus. Quoi qu'il en soit, il est important de maintenir les échanges.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - L'action de l'État est-elle homogène sur les territoires ?

M. Christophe Boutin . - Il est difficile de répondre à la question. Les enjeux peuvent être différents selon les territoires mais je n'ai pas connaissance de projets où l'Etat aurait fait preuve d'un laxisme particulier ou au contraire d'une grande sévérité.

M. Marc Bouron . - La principale différence entre les territoires est liée aux retours d'expériences dont disposent déjà les services de l'État lorsqu'ils travaillent sur un projet.

S'agissant des zones humides, le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Rhin-Meuse prévoit la possibilité d'appliquer un coefficient inférieur à un lorsque la fonctionnalité des zones sur lesquelles s'effectue la compensation est meilleure que celle des territoires impactés. Ce type de possibilité est assez exceptionnel.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La loi fixe désormais l'objectif d'absence de perte nette de biodiversité et d'obligation de résultat. Cela vous conduit-il à faire évoluer vos modèles économiques en provisionnant le risque contentieux et le risque d'éventuelles nouvelles interventions dans le futur. Est-ce que ça change votre métier ?

M. Arnaud Hary. - La durée des concessions permet une gestion responsable. Cette responsabilité était déjà présente. Elle est aujourd'hui renforcée. L'un des grands avantages de la logique économique de la concession est l'intégration de la notion de durée : nous devons assurer l'investissement mais aussi son entretien et son renouvellement.

M. Nicolas Orset. - Nous assurons en effet un suivi dans le temps, notamment en contractualisant avec des entités pérennes telles que les conservatoires d'espaces naturels ou les collectivités territoriales.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur le projet mené par CDC Biodiversité ? Le prix des actifs naturels qu'elle met à la vente vous paraît-il trop élevé ?

M. Marc Bouron. - Nous n'avons pas encore travaillé avec CDC Biodiversité. Il faut avant tout que les mesures compensatoires fassent l'objet d'une appropriation locale et dans le temps.

M. Nicolas Orset. - Nous ne travaillons pas non plus avec la CDC Biodiversité sur ces sujets. Le panel des solutions de compensation est en effet un sujet important et il pourrait être intéressant de l'élargir, par exemple à des solutions totalement délocalisées, à la condition que l'intérêt environnemental soit réel.

M. Gérard Bailly . - La volonté de compensation est réelle et des solutions sont trouvées. Peut-on pour autant continuer à desservir tous les territoires ? Un projet d'autoroute au sud de Grenoble a été arrêté. Le territoire est aujourd'hui complètement déshérité. Cela interpelle.

Par ailleurs, la vallée du Rhône est aujourd'hui saturée. Est-il possible de modifier le tracé des autoroutes pour éviter cette saturation tout en tenant compte des atteintes à l'environnement et en prenant des mesures de compensation adaptées ?

M. Arnaud Hary. - Nous n'avons pas à nous prononcer sur les choix de l'Etat qui est le seul à décider du lancement ou de l'arrêt d'un projet. S'agissant des projets qui ont menés, nous pouvons dire que la séquence ERC fonctionne.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous pouvez compléter vos interventions avec une contribution écrite. L'objectif de notre commission d'enquête est de rendre possible les projets d'aménagement et d'améliorer la biodiversité. Il nous serait utile de connaître vos propositions sur la façon dont peuvent être conciliés ces deux objectifs, notamment par la construction, en amont des projets, d'espaces de dialogue.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie.

Audition de M. Serge Muller, vice-président du comité permanent et président de la commission « Flore », M. Michel Métais, président de la commission « Faune », et M. Serge Urbano, secrétaire du comité permanent, du Conseil national de la protection de la nature (CNPN)
(jeudi 12 janvier 2017)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant aujourd'hui les représentants du Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Même si l'intitulé de la commission d'enquête ne le précise pas, celle-ci s'intéresse à l'efficacité et à l'effectivité de l'ensemble du triptyque « éviter-réduire-compenser », dite aussi séquence ERC.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous allons entendre :

- M. Serge Muller, vice-président de la commission « Flore » du CNPN ;

- M. Michel Métais, président de la commission « Faune » du CNPN ;

- M. Serge Urbano, secrétaire du comité permanent du CNPN.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Serge Muller, M. Michel Métais et M. Serge Urbano prêtent successivement serment.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les quatre projets spécifiques concernés par notre commission d'enquête, à savoir l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau ?

M. Serge Urbano. - Je fais partie de la commission de suivi des mesures compensatoires sur la LGV Sud Europe Atlantique.

M. Serge Muller. - J'ai fait partie de la commission d'experts qui a évalué le dossier de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes concernant les zones humides.

M. Michel Métais. - Je fais également partie de la commission de suivi pour la LGV Sud Europe Atlantique.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous avez la parole.

M. Serge Muller, vice-président du comité permanent et président de la commission « Flore » du CNPN. - Nous vous remercions tout d'abord d'auditionner le Conseil national de la protection de la nature dans le cadre de votre commission d'enquête, laquelle examine un sujet qui nous tient à coeur. Le CNPN s'implique en effet beaucoup dans les avis relatifs à des infrastructures routières, eu égard aux dérogations demandées.

J'interviens en tant que président du comité permanent du CNPN et président de la commission « Flore ». Permettez-moi, au préalable, de vous demander de bien vouloir excuser le président du comité permanent, Vincent Boullet, en mission à La Réunion.

Le CNPN est une commission administrative à caractère consultatif ; elle donne des avis sur les politiques relatives à la protection de la nature ou de la biodiversité, ainsi que sur les demandes de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

Vous le savez certainement, le CNPN, qui est actuellement une instance mixte regroupant des experts scientifiques - j'y siège en tant que personnalité qualifiée -, des représentants d'associations de protection de la nature - c'est le cas de mes deux collègues -, des gestionnaires d'espaces naturels, y compris des agriculteurs, des chasseurs, des pêcheurs, des forestiers et des représentants des parcs nationaux, de réserves naturelles, ainsi que des représentants des ministères, va évoluer vers une instance constituée exclusivement de personnes nommées intuitu personae , à l'image des conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN). Cela va constituer un bouleversement : le CNPN existe depuis 1946 et travaille donc depuis des décennies sur ces sujets. On espère qu'il pourra continuer à fournir un travail de même qualité. Pour l'heure, nous allons vous présenter le fonctionnement du CNPN dans sa configuration actuelle, avec différentes instances : un comité permanent, que nous représentons, un certain nombre de commissions et le CNPN plénier, qui se réunit en réunion plénière trois ou quatre fois par an.

Concernant les grandes infrastructures, nous ne donnons des avis que sur les espèces protégées ; nous intervenons, je le répète, sur les demandes de dérogation à l'interdiction de destruction relative aux espèces protégées. L'avis du CNPN ne porte que sur ce point : les espèces protégées dans leurs habitats. Pour ce faire, l'avis du CNPN est fondé sur l'examen d'un dossier de demande de dérogation dans lequel le pétitionnaire, avec l'aide d'un bureau d'étude, doit argumenter, en vertu de la réglementation, sur les raisons impératives d'intérêt public majeur du projet qui doivent présider à cette demande, envisager l'absence de solutions alternatives et étudier la séquence « éviter-réduire-compenser » pour chacune des espèces protégées impactées, en vue de garantir ou d'améliorer l'état de conservation de ces espèces et de leurs habitats, ainsi que leurs relations avec la fonctionnalité des écosystèmes dans lesquels celles-ci sont présentes. Nous recevons un grand nombre de dossiers. Les dossiers courants sont traités directement par l'expert délégué « Faune », c'est-à-dire Michel Métais, et l'expert délégué « Flore », c'est-à-dire moi-même, avec une délégation du comité permanent du CNPN. Quelque 300 avis sont rendus par an : plus de 200 pour la commission Faune et une centaine pour la commission Flore.

Les dossiers un peu plus complexes ou présentant un enjeu plus important, soit 10 à 20 % des dossiers, sont examinés en commission : la commission Faune se réunit dix fois par an, contre cinq fois pour la commission Flore. Nous auditionnons les pétitionnaires, avec leur bureau d'étude, en présence parfois de représentants de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou de la direction départementale des territoires (DDT). Sur la base de ces auditions, nous donnons un avis.

Nous pouvons également procéder à des expertises préalables ou nous référer à des analyses réalisées par un certain nombre d'organismes : les conservatoires botaniques nationaux concernant la flore, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ou l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), qui fait maintenant partie de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), pour ce qui concerne la faune. Par ailleurs, les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN) peuvent d'une certaine manière donner des pré-avis sur certains dossiers. L'avis de cette instance n'est pas nécessaire pour les dossiers relatifs à l'aménagement, mais il peut éclairer l'avis du CNPN : une instance régionale peut souvent avoir une connaissance plus fine du contexte local.

Les dossiers les plus importants sont ensuite examinés par le comité permanent - nous en sommes tous les trois membres -, après une pré-analyse par les spécialistes siégeant dans les commissions faune et flore. Sur certains dossiers, il arrive même que le CNPN plénier donne l'avis sur une demande de dérogation. Ce fut notamment le cas, voilà quelques années, pour le fameux dossier de la route du littoral à La Réunion.

En cas d'avis favorable sous conditions, le maître d'ouvrage doit suivre les conditions de l'avis favorable, qui sont reprises dans l'arrêté préfectoral - voire, parfois, ministériel, pour une trentaine d'espèces animales à enjeu national - de dérogation. Il revient à l'administration, au préfet et à ses services, qui peuvent aussi missionner d'autres structures, telles que l'ONEMA ou l'ONCFS, de vérifier que les conditions ERC sont bien suivies.

En cas d'avis défavorable - environ 15 % des cas -, le pétitionnaire doit revoir son projet et le modifier de manière à le rendre satisfaisant, pour répondre aux critères ERC, en vue de permettre le maintien ou la restauration du bon état de conservation des espèces protégées impactées par le projet et de leurs habitats. Il arrive que le projet soit abandonné après un premier avis défavorable, voire un deuxième, mais c'est relativement rare. Il arrive aussi que le préfet passe outre l'avis défavorable du CNPN, ce qui nous plaît moins. Ce fut le cas concernant la route du littoral à La Réunion. L'avis avait été défavorable à l'unanimité des votes exprimés, une solution alternative n'ayant pas été prise en compte. Les impacts indirects sur les carrières, notamment, ne figuraient pas dans le dossier, ce qui avait justifié notre avis défavorable. Malgré tout, le projet a été lancé et est apparemment en cours de réalisation.

J'en viens au bilan de la mise en oeuvre de la séquence ERC depuis la loi du 10 juillet 1976, sur lequel vous m'avez interrogé.

Vous l'avez noté, même si elle n'était pas vraiment appliquée, cette séquence figurait déjà dans la loi de 1976. Pour siéger depuis plus de trente ans au sein du CNPN, j'évoquerai parmi les premiers dossiers celui du barrage de Petit-Saut en Guyane, à la fin des années quatre-vingt, jugé insatisfaisant par le CNPN au regard des mesures d'évitement, de réduction et de compensation. On a vu le résultat : plus de 30 000 hectares de forêt tropicale noyés, des déplacements de populations de flore et de faune, avec des résultats très limités, et un impact très fort sur la qualité de l'eau du fleuve Sinnamary.

Le nombre de dossiers examinés a augmenté : nous sommes passés de quelques dossiers par an dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix à quelques dizaines, pour atteindre quelques centaines actuellement.

Globalement, cela s'est amélioré, mes collègues vous le diront. Nous regrettons toutefois que la demande de dérogation soit faite souvent trop tardivement, lorsque la déclaration d'utilité publique est prise, ce qui ne laisse pas une grande marge de manoeuvre pour envisager de réelles possibilités d'évitement ou de réduction des impacts de grande ampleur.

M. Michel Métais, président de la commission « Faune » du CNPN. - Vous nous demandez quels sont les critères qui permettent d'assurer la réussite d'un projet de compensation. Nous en avons retenus cinq.

Premièrement, l'anticipation d'un projet nous semble importante. Elle nécessite une bonne connaissance préalable du territoire et des enjeux écologiques locaux.

Deuxièmement, les partenariats avec des organismes gestionnaires d'espaces naturels sont essentiels. Ils diffèrent selon les territoires : l'ONEMA, l'ONCFS, l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire du littoral, les conservatoires régionaux d'espaces naturels (CREN), les associations de protection de la nature, les naturalistes, les parcs régionaux, selon les cas.

Troisièmement, la réussite d'un projet repose aussi sur l'application de l'équivalence écologique, de l'additionnalité et de la mutualisation, des points fondamentaux qui vous intéressent.

Quatrièmement, la proximité géographique des mesures compensatoires est essentielle. Il est important de retrouver le caractère identique des habitats affectés ou détruits.

Cinquièmement, enfin, pour ce qui concerne notamment les projets les plus importants, la constitution d'un comité de suivi est capitale. Nous en reparlerons ultérieurement au sujet des grandes infrastructures, on voit la différence selon qu'il y a un comité de suivi ou non : l'exécution des mesures compensatoires, entre autres, est plus ou moins effective ; elle est pratiquement nulle sans comité de suivi.

Au titre des mesures compensatoires, j'évoquerai aussi la proximité géographique, qui est une garantie pour atteindre l'équivalence écologique. Ce point est important eu égard à la notion de compensation écologique introduite par la loi. Ce n'est pas l'un ou l'autre ; il faut vraiment considérer un mix.

La cinquième question du questionnaire que vous nous avez adressé portait sur les apports principaux de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Cette loi comprend des dispositions intéressantes, mais suscite aussi, vous le comprenez bien, des inquiétudes.

Je ne reviendrai pas sur la réparation du préjudice écologique, car cette disposition est intéressante. Il en est de même pour l'Agence française pour la biodiversité. Même si ces mesures n'ont pas une relation directe avec le sujet qui nous occupe, cette instance pourrait avoir un rôle important, que je ne développerai pas ici ; ce point sera peut-être abordé lors des questions.

La loi a permis de renforcer le cadre juridique de la démarche ERC, notamment l'obligation de l'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Cette disposition n'est pas nouvelle ; elle figure dans le guide méthodologique, mais l'inscrire dans la loi permettra aux instructeurs de dossiers de parvenir à des résultats intéressants.

L'obligation de résultat constitue également une disposition très importante, ainsi que la non-autorisation en l'état des projets si les mesures ERC proposées ne sont pas satisfaisantes. Là encore, inscrire cette disposition dans la loi apportera un fondement à nos avis : si les conditions ne sont pas remplies, nous pourrons nous opposer à un projet. À la suite d'avis défavorables du CNPN, des décisions visant à arrêter des projets vont être prises.

La géolocalisation des mesures compensatoires répond à l'un des voeux du CNPN ; cette mesure importante figurait dans nos conclusions de commissions faune et flore de 2015. La géolocalisation, au même titre que les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), changera le statut de ces espaces et permettra d'assurer un suivi. D'autres dispositions ont bien sûr été introduites, mais je me suis borné à évoquer les points importants.

Toutefois, je vois une ombre au tableau. Même si le besoin n'est pas énorme, on note un amaigrissement des effectifs au niveau national. Début 2016, outre la personne qui instruisait administrativement les dossiers, c'est le CNPN qui a vraiment fait le lien, sur la base du bénévolat. On atteint quasiment un niveau zéro en termes de moyens liés à l'instruction des dossiers. Cette situation constatée au niveau national est plus criante encore au niveau régional. En effet, les DREAL et les DDT doivent réaliser un travail important : il ne leur incombe pas seulement de vérifier que les dossiers sont bien instruits, certaines d'entre elles ont, en vertu du pouvoir réglementaire, un niveau d'exigence très important à l'égard des pétitionnaires. Je pourrais vous donner de nombreux exemples sur ce point, mais le temps nous manque.

En outre, nous déplorons la non-évaluation des mesures préconisées. L'année dernière, la commission faune a désigné six projets que nous souhaitons réexaminer dans cinq ans. De fait, nous nous sommes autosaisis de ces dossiers, sur lesquels nous avons donné le plus souvent un avis favorable sous conditions. Nous allons vérifier dans cinq ans ce qu'ils seront devenus. Mais, je le répète, cela se fait sur la base du bénévolat, sans aucune forme d'autorité. Nous ferons cette inspection avec l'assentiment ou a minima l'information du pétitionnaire et de l'administration. Il faudrait systématiser cette procédure, surtout pour ce qui concerne les dossiers les plus importants. Il est important de pouvoir suivre les avis émis par l'autorité environnementale, le CNPN. Actuellement, nous n'avons vraiment aucune garantie, sauf à visiter l'infrastructure par la suite.

Je vous l'ai dit, nous comptons sur la mise en place d'un comité de suivi. Or cette évaluation lui incomberait. On le voit bien pour la LGV Tours-Bordeaux, le rôle du comité de suivi essentiel.

Mais cela repose sur une volonté politique à tous les niveaux de l'État pour appliquer la loi adoptée.

J'insiste sur les petits moyens à maintenir ou à développer, et sur la nécessité d'instituer un niveau de contrôle à un temps donné : trois ans, par exemple, après les autorisations pour évaluer ce qui se passe sur le terrain.

M. Serge Urbano, secrétaire du comité permanent du CNPN . - Vous nous demandez quel regard nous portons sur l'expérience de réserve d'actifs naturels menée dans la plaine de Crau.

D'un point de vue écologique, le CNPN estime qu'il s'agit d'une réussite dans la mesure où l'on a prévu une bonne trajectoire écologique en remplaçant un verger industriel, précédemment construit sur du « coussoul », par une steppe herbacée, en termes de mesure compensatoire. Si la compensation vise à restaurer ou recréer des milieux, l'expérience est ici très intéressante.

De plus, cette expérimentation s'est déroulée dans une zone à très fort enjeu écologique, le coussoul de Crau. On propose des mesures compensatoires pour des projets qui pourraient encore dénaturer ou détruire du coussoul. Le CNPN s'était alarmé de cette situation en 2009, en demandant un plan de sauvetage du coussoul de Crau.

Cela étant, du point de vue du génie écologique et de la démarche, cette expérimentation a toute sa valeur. Mais se pose, à l'arrière-plan, la question fondamentale du modèle économique de l'expérimentation de réserves d'actifs naturels. Actuellement, environ 50 % des actifs naturels ont été vendus dans la Crau.

L'initiative de la CDC Biodiversité a conduit l'État à réagir : un groupe de travail a été mis en place au sein du Commissariat général au développement durable, en vue de prévoir des expérimentations sur les actifs naturels, auquel le CNPN participe. Je formulerai deux observations.

D'une part, avec les trois expérimentations en cours, des questions se posent en termes de restauration écologique, de disponibilité du foncier et, surtout, de modèle économique eu égard aux investissements à faire au départ.

D'autre part, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages s'est emparée de ce sujet, avec les projets d'agrément des sites naturels de compensation. Lors de la consultation du CNPN et de la consultation publique sur le projet de décret, il en ressort que ce décret devrait être affiné en traitant plus la question de la gouvernance - cela rejoint les questions que l'on se pose sur le suivi local et l'avis du CNPN. Quand on raisonne en termes de compensation, on raisonne à long terme - trente à cinquante ans. Se pose donc la question de la validité des actifs naturels sur une certaine période. Il faudrait également que le décret intègre beaucoup plus les considérations écologiques s'agissant des capacités à remettre des actifs correspondant aux besoins de compensation.

En ce qui concerne l'analyse du CNPN sur les autres projets que sont l'A65, la LGV Tours-Bordeaux et le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, nous n'avons pas tous les éléments, mais nous vous faisons part du regard que nous portons.

L'A65 est quasiment réalisée concernant les compensations. La LGV Tours-Bordeaux est en cours de réalisation. Concernant l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mon collègue Serge Muller vous répondra.

S'agissant de l'A65, on était un peu dans l'euphorie du Grenelle de l'environnement. On essayait d'impulser une nouvelle dynamique sur la séquence ERC, avec des ambitions fortes en termes de mesures compensatoires, de surfaces et de réalisation. Globalement, le CNPN n'est pas impliqué dans le suivi de ce dossier et ne dispose pas de tous les éléments.

En revanche, le CNPN s'est impliqué dans le projet en cours de réalisation de la LGV Tours-Bordeaux : on a rendu pratiquement dix avis sur ce dossier. Lors de l'instruction du dossier, Réseau ferré de France (RFF) a demandé au CNPN de le conseiller dans la présentation du dossier de demande de dérogation, ce qu'il a fait. Au vu des dossiers déposés par la suite, il a donné un avis défavorable. Au titre de la législation relative aux espèces protégées, de la séquence ERC et de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, il nous semblait que le dossier aurait pu être plus abouti. Nous avons fait des recommandations pour le densifier.

L'autre élément fort, c'est que nous avions demandé dans notre avis de participer au comité de suivi. Ainsi, pour avoir pu assister régulièrement aux réunions du comité de suivi, nous avons listé différents éléments. Toutefois, il s'agit plus d'un constat - l'opération n'étant pas terminée - dont nous pouvons tirer des enseignements, en soulignant quelques points de vigilance.

Cette opération s'est déroulée à un rythme très rapide. Les arrêtés ont été pris en 2012 et la ligne sera fonctionnelle à la mi-2017. Nous nous interrogeons sur la capacité à disposer d'informations suffisantes en temps et en heure et sur la capacité qu'a le génie écologique à suivre le génie civil. Mettre en place des mesures compensatoires dans un territoire ne s'improvise pas ; cela se construit, c'est toute une approche qui est mise en place. Actuellement, on observe un décalage entre la réalisation progressive des mesures compensatoires et l'achèvement prochain des travaux de génie civil. Cela pose une question de fond, sur laquelle le CNPN a alerté l'État : comment les mesures prévues dans les arrêtés ministériels et interpréfectoraux vont-elles être appliquées, sachant que les mesures compensatoires devaient être mises en oeuvre au 31 décembre 2016 ?

Autre point important : comment évaluer une bonne mutualisation des mesures compensatoires entre espèces ?

Nous échangeons régulièrement sur ce sujet avec le pétitionnaire : il a imaginé un plafond théorique, sur lequel le CNPN ne se prononce absolument pas, et l'on connaîtra la surface et toutes les mutualisations lorsque le projet sera réalisé.

Il faut avoir à l'esprit les ordres de grandeur de ce dossier : 223 espèces protégées impactées, une surface de 25 000 hectares de mesures compensatoires, une emprise d'environ 5 400 hectares. On se demande à quelle hauteur les mesures compensatoires seront mises en place. Actuellement, le pétitionnaire évalue les mesures compensatoires à hauteur de 3 500 hectares environ, dans le cadre d'une mutualisation que nous estimons très forte et théorique ; mais, en l'état, nous ne pouvons pas encore l'examiner.

L'autre point important et révélateur, comme cela a déjà été souligné, concerne la capacité de l'État à assurer l'instruction, le suivi et le contrôle de tels dossiers, avec des compétences scientifiques, pour bien évaluer les équivalences écologiques et les mutualisations. Le CNPN a été quelque peu désemparé par la proposition du pétitionnaire de transformer des mesures surfaciques compensatoires en travaux de génie civil pour améliorer la transparence des ouvrages. Ce fut une première. On peut entendre la démarche, mais cela demande de construire un modèle fort et partagé.

Le CNPN rencontre aussi des difficultés sur un autre point : en fonction des dossiers, chaque pétitionnaire a sa méthode pour calculer les équivalences écologiques. Au titre d'une autre association, on avait alerté le ministère sur ce sujet, en demandant qu'une méthode claire et partagée par tous soit retenue.

La sécurisation foncière est également un point important. Cet exemple est également intéressant en la matière. La durée de la concession étant d'un demi-siècle, la durée des mesures compensatoires devrait correspondre au moins à cette durée. Mais on se heurte vite à des questions légitimes et compréhensibles, à savoir la capacité à opérer une maîtrise foncière qui soit durable dans le temps et l'espace. Un système de conventionnement est certes peut-être plus recevable et plus souple, mais on n'a aucune garantie en termes de durée. Se pose là une vraie question sur la sécurisation foncière des mesures compensatoires.

Je laisse la parole à mon collègue pour évoquer le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

M. Serge Muller. - Le comité permanent a été saisi du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans le courant de l'année 2012. Les commissions Faune et Flore ont examinés ces dossiers, puis le comité permanent a donné, avec un vote très partagé, en juillet 2012, un avis favorable sous conditions à la demande relative aux espèces protégées animales et végétales pour laquelle la dérogation avait été demandée à cette date. Ce n'est pas une autorisation de faire les travaux, c'est une dérogation par rapport à l'interdiction de destruction des espèces. Nous avions été assez incommodés, si je puis dire, en termes d'équivalences écologiques, par les unités de compensation qui nous ont été présentées.

Une dérogation a ensuite été demandée pour une autre espèce animale qui avait été découverte, le campagnol amphibie, pour lequel la commission Faune a donné un avis défavorable en avril 2014. S'agissant de la flore, une seule espèce figurait dans la liste initiale, mais il se trouve que trois autres espèces végétales protégées ont été découvertes depuis lors, qui n'ont pas encore fait l'objet de demandes de dérogation. Si le projet devait vraiment se poursuivre, il serait nécessaire de déposer une demande de dérogation, sinon cela constituerait un vice administratif.

J'ai également été impliqué dans ce dossier pour ce qui concerne l'impact sur les zones humides dans la mesure où j'appartenais au comité d'experts, composé de onze membres, nommé par le préfet de Loire-Atlantique pour examiner la dérogation relative aux zones humides. Après une dizaine de réunions et des visites sur le terrain pour rencontrer l'ensemble des parties prenantes, nous avons donné à l'unanimité un avis défavorable sur ce point. Un grand nombre de zones humides sont impactées. Or, du fait de l'évolution de ces milieux, où avait persisté une agriculture extensive à cause du projet d'aéroport, les habitats et les espèces protégées présents sont devenus relativement uniques. Il n'est pas possible de restaurer de tels milieux dans le contexte de changement global actuel, qu'il s'agisse du changement climatique, de l'intensification agricole ou du changement d'usage des terres : cela constituerait une perte de la biodiversité. Ces habitats, avec les espèces présentes dans les zones humides, sont devenus irremplaçables à l'identique. Ce point faisait partie des questions posées au niveau du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), qui avait fixé comme condition d'acceptation du projet la création ou la restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et sur le plan de la qualité de la biodiversité. C'est pourquoi nous avons donné un avis défavorable à l'unanimité. Cet avis défavorable a été appuyé ensuite par une motion du comité permanent du CNPN en avril 2013.

Pour conclure, je voudrais insister sur les limites de l'exercice « éviter-réduire-compenser », qui ne constitue pas une solution miracle pour lutter contre les impacts sur le patrimoine naturel et la biodiversité. Je ne connais pas de projets actuels ne comportant pas un bilan en partie négatif sur un certain nombre d'espèces et sur leurs habitats, ne serait-ce que du fait de l'artificialisation de milieux. Ce n'est pas à partir d'anciennes routes que l'on recrée des milieux naturels. Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut rien faire. L'objectif est de retenir la moins mauvaise solution après avoir évalué les raisons impératives d'intérêt public majeur, limité les impacts sur la biodiversité et essayé, autant que possible, de les compenser par des actions de restauration de milieux.

Mon collègue Thierry Dutoit que vous avez auditionné, au mois de décembre dernier, en tant que spécialiste des restaurations, vous a bien précisé que la restauration n'était pas satisfaisante dans la majorité des cas. Celle-ci est relativement facile pour la plaine de Crau parce qu'il s'agit d'agro-écosystèmes. On peut assez facilement restaurer ce milieu par le pâturage, même si la restauration n'est pas totale. Mais pour certains types de zones humides, il ne faut pas se leurrer : la restauration à l'identique, avec la même qualité de biodiversité, n'est pas possible.

Vous le voyez, on atteint là les limites de la démarche ERC. La nouvelle loi en tient compte : lorsqu'il n'est pas possible d'obtenir une compensation satisfaisante par rapport à nos critères, le projet ne doit pas être autorisé. L'ensemble des parties prenantes doivent mettre en balance les impacts sur la biodiversité et l'environnement, et l'intérêt public majeur que présente le projet. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de prendre une décision en connaissance de cause.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si nous n'avons pas le temps d'entendre toutes vos réponses, je précise que vous pourrez nous répondre par écrit.

Nous souhaitons savoir comment il est possible de créer un système cohérent sur l'ensemble des enjeux liés à la biodiversité, intégrant la compensation. L'objet de la commission d'enquête est de pointer les difficultés.

J'entends que la question de l'anticipation reste centrale et que la situation n'est pas satisfaisante non plus en aval de l'enquête publique. Pouvez-vous nous en dire plus, car nous sommes là pour faire des propositions ?

Un autre point essentiel concerne les questions d'équivalence. On l'a bien compris, le CGDD travaille, lui aussi, à fixer des cadres plus précis ; on a en tête l'exemple américain. Pensez-vous que le CNPN, y compris dans sa nouvelle configuration, est en capacité, dans un délai raisonnable - c'est le délai qui m'intéresse -, de participer à l'élaboration d'une trame d'équivalence unique ? Est-ce possible ou l'état des connaissances scientifiques est-il encore trop faible en la matière ?

Un autre sujet, lié au dernier point : comment fait-on en termes de planification ? Vous avez utilisé ce terme. Le monde rural exprime beaucoup d'inquiétudes - et elles sont légitimes - à l'égard de ce que l'on appelle « la double peine ». On reste trop près du projet, considérant que l'équivalence est respectée, avec des terres agricoles de très bonne qualité. Or, en termes d'équivalence écologique, tout en suivant la même logique climatique, il serait peut-être plus intéressant d'aller à 80 kilomètres du site impacté. Qu'entend-on par « proximité » ? Il faut vraiment travailler sur cet aspect des choses.

Enfin, ne pensez-vous pas que les trames verte et bleue, les schémas de cohérence et les outils de planification devraient intégrer et flécher de possibles zones de compensation, c'est-à-dire des zones dégradées ? Il y a un vrai débat sur cette question.

M. Alain Vasselle . - Je poserai une question rapide. Vous m'en excuserez, je ne suis pas un fin connaisseur du dossier de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais, comme les médias s'en font régulièrement l'écho et que vous venez de préciser certains points, je m'interroge. Vous avez émis un avis défavorable sur ce dossier au regard de la compensation de destruction de zones humides, qui n'était pas possible. Je comprends que cette compensation ne soit pas possible sur place. Mais est-elle possible en un autre lieu du territoire national ? Cette compensation serait-elle alors satisfaisante ?

Par ailleurs, comment comprendre qu'il soit possible qu'un référendum conduise à prendre une décision allant à l'encontre de l'avis du CNPN ? Le référendum passé, il n'est même plus question de parler de compensation ou de quoi que ce soit dans la mesure où la décision a été prise. Quelle est votre réaction par rapport à cette situation ?

M. Roland Courteau . - Je poserai une question très brève sur l'amaigrissement des moyens humains que vous avez évoqué concernant l'instruction des dossiers. Pourriez-vous être plus précis sur les moyens actuels, en citant éventuellement quelques exemples et quelques chiffres ? Selon vous, que serait-il souhaitable de faire ?

Mme Évelyne Didier . - Merci pour vos exposés précis et courts. Vous dites, au fond, que la réussite d'opérations de ce type passe par l'anticipation, une bonne instruction du dossier, un bon suivi et un bon contrôle, et tout cela dans la durée. On ne peut prévoir de telles opérations si on ne les imagine pas à long terme. Vous insistez beaucoup sur la durée.

Le CNPN est une instance nationale ; vous avez donc à vous prononcer sur des projets concernant l'ensemble du territoire, ce qui suppose une certaine unicité, une certaine cohérence ; c'est en tout cas ce que l'on peut espérer. Mais vous vous appuyez sur les DREAL. Or, avec la réorganisation opérée, tous les personnels ont été mélangés, alors qu'ils étaient très spécialisés : certains oeuvraient au sein des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF), d'autres au sein des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE). Cela influence-t-il la manière dont le travail est fait localement ? Car, au final, ce sont des responsables locaux qui examinent le dossier. Comment s'articule la coopération entre les DREAL et vous ? Cette réorganisation a-t-elle entraîné des problèmes ?

M. André Trillard . - Monsieur Urbano, j'aimerais que vous me reprécisiez un point, qui m'a quelque peu effrayé. Vous dites que les projets vont trop vite et que vous n'avez pas le temps de les examiner. C'est très grave, j'ai déjà connu des fonctionnaires qui ont été dans cette situation. À titre d'exemple, un directeur de centre d'orientation et de formation m'avait dit un jour qu'il était temps que l'outil industriel s'adapte à l'outil de formation, ce qui était quelque peu ahurissant. Je me méfie donc structurellement des administratifs.

Je suis de Loire-Atlantique, je suis même propriétaire de terres sur la commune de Notre-Dame-des-Landes. Je vous pose une question : quelle est la surface de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? La surface modifiée, transformée ? Vous avez des notes sur ce point. La surface est de 120 hectares. J'ai été l'acheteur, j'ai été président du conseil général, je sais exactement ce qui a été acheté et pourquoi. Pourquoi cet aéroport est-il si grand ? On a acheté les deux premières zones de bruit pour éviter toute difficulté au niveau de la propriété. Il y a quelque 1 500 hectares sur lesquels vous pouvez faire ce que vous voulez - vous pouvez protéger la nature comme vous le souhaitez - et 200 hectares qui sont artificialisés. J'espère que les auditions permettront d'apporter des réponses à ces questions, qui ont été savamment raréfiées par le rapporteur.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Non !

M. André Trillard . -L'aéroport a été autorisé en 2008. Cette autorisation n'aurait aucune valeur parce qu'elle n'est pas passée par vous en dix ans ? Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Je le répète, en 2008, l'aéroport a été autorisé, l'exploitant a été formé. On artificialise 120 hectares et c'est devenu une affaire d'État ! La question du référendum est excellente, mais ce n'est pas la seule. Ramenons les choses à leur juste mesure.

M. Daniel Gremillet . - Vous avez évoqué la notion de comité de suivi. Sur quelle durée ? Sur quelles zones ? Est-ce exclusivement sur les zones de compensation ? À l'image de ce qui vient d'être dit sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il y a des zones délaissées pour tous les travaux. Le comité de suivi s'intéresserait-il uniquement à la zone de compensation ou aussi aux zones délaissées, qui peuvent malgré tout faire l'objet d'une préservation ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je ne sais pas si nous aurons le temps d'entendre toutes les réponses.

M. Michel Métais. - Je répondrai d'abord à la dernière question du rapporteur. Il est totalement acquis que nous intégrons les trames verte et bleue (TVB) et le schéma régional de cohérence écologique (SRCE). En tant que praticiens, nous exigeons ce schéma pour tous les espaces. C'est une obligation pour nous : si un pétitionnaire fait un inventaire et ne nous signale pas le SRCE local, on lui demande des précisions. C'est une sorte de garantie. Par ailleurs, nous essayons de faire coller la notion de TVB à la proximité, c'est-à-dire à l'échelle communale. Généralement, lorsque le CNPN est saisi d'un projet assez structurant, avec des incidences environnementales fortes, nous sommes soucieux que la commune soit engagée. Au titre des mesures compensatoires, nous nous adressons aussi à l'État lorsque nous demandons une garantie au moyen d'un arrêté de protection de biotope et la gestion des classements.

Pour prendre un exemple dont on parle beaucoup actuellement, le projet, très contesté, de centre commercial Val Tolosa à Toulouse, l'avis que nous avons remis et l'expertise que nous avons réalisée concernent la commune, car elle est très impliquée dans le projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour reprendre la question clé des zones humides pour la biodiversité en France, car la perte de zones humides est un facteur important de la baisse de la biodiversité, une compensation à 80 ou 100 kilomètres, et non pas à proximité immédiate, dans des conditions hydrologiques similaires, vous semble-t-elle imaginable, si le gain en termes de biodiversité est positif ?

M. Serge Urbano. - Cette question se pose dans le cadre du groupe de travail du CGDD sur les actifs naturels : pour « vendre » des actifs naturels, quelle est la zone d'influence ?

Lors d'une expérimentation réalisée dans le vallon de Combe Madame dans les Alpes afin de recréer de l'habitat pour les petits coqs de bruyère, on avait défini une zone de 25 kilomètres. Mais le pétitionnaire a argué du fait qu'il n'avait pas de projets à cette distance qu'il pouvait compenser. Cela pose une véritable question.

D'un point de vue écologique et sociétal, il est préférable que la compensation ait lieu à proximité : les habitants vont mieux comprendre, il y a du lien, des espèces, etc. Je le dis avec toutes les réserves qui s'imposent en termes d'expertise : une marge d'interprétation est possible suivant les espèces et les milieux. Mais, sur le principe, il paraît très difficile - et nous avons eu ce débat sur l'expérimentation dans la Crau - de compenser à l'autre bout de la France. À mon sens, la compensation doit pouvoir être entendue par les citoyens : ils doivent comprendre la démarche écologique et sociétale de proximité.

Si vous le permettez, j'aimerais revenir sur la planification, qui nous semble constituer un enjeu très fort ; en attestent les questions qui se posent actuellement sur les dossiers en cours d'examen. La planification comporte deux volets. Tout d'abord, il faudrait peut-être un débat sur le débat public. On avait eu une discussion sur le projet de TGV Paris-Orléans-Lyon : les ingénieurs de RFF avaient reconnu qu'il serait utile de dire, en fonction des connaissances dont on dispose, que le projet aura des impacts, avec une marge de latitude à l'échelle espace-temps, et d'annoncer les principes de compensation, en vue d'avoir un débat public plus solide.

Par ailleurs, le CGDD a réfléchi à la possibilité de mener une étude d'impact beaucoup plus intégratrice, alliant la connaissance du projet et les différents dispositifs, c'est-à-dire la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, la réglementation relative aux espèces protégées, le code forestier, pour englober le tout, quitte à revoir le calendrier de l'enquête publique et de la demande de dérogation par rapport aux arrêtés de déclaration d'utilité publique (DUP).

Il y a peut-être des marges de progrès de ce côté-là pour faire mieux comprendre et réagir sur un projet.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Au vu du temps qui nous reste, pourriez-vous répondre à la question relative à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui intéresse tout le monde ?

M. Serge Muller. - J'ai les chiffres : 176 hectares sont imperméabilisés, 726 hectares sont aménagés, pour une DUP demandée sur 1 650 hectares. Voilà les chiffres officiels. Vous l'imaginez bien, il y a des impacts indirects. Lorsqu'on imperméabilise des secteurs de zone humide, des zones de sources, en sommet de plateau, les impacts indirects sont plus étendus.

On m'a demandé s'il était possible d'avoir une compensation. Le système de cette zone est devenu relativement unique dans l'ouest de la France, avec une zone « préservée » par ce projet d'aéroport. Partout ailleurs dans cette partie de la France, il y a eu une intensification au niveau des zones agricoles humides de plateaux oligotrophes. Eu égard à la demande de dérogation, je vous ai donné les délais dans lesquels nous avons donné nos avis : juillet 2012 pour le comité permanent du CNPN, avril 2013 pour la dérogation relative aux zones humides. Si d'autres espèces protégées sont découvertes, la réglementation veut - ce n'est pas moi qui fait la loi, c'est vous ! - qu'une autre demande de dérogation soit déposée. Dès que nous serons saisis, en un temps record de quelques semaines, nous donnerons un avis sur ce point. Mais tant que nous ne sommes pas saisis, nous ne pouvons rien faire.

M. Michel Métais. - Une question nous a été posée sur la durée du comité de suivi. En fait, c'est le comité qui décide de sa durée et de son objet. Nous appartenons les uns et les autres à plusieurs comités en tant que membres du CNPN ou lorsque ce dernier y est associé, et c'est très convivial. Ce n'est absolument plus un état d'esprit. Nous voulons tout simplement avoir une présentation du suivi : il s'agit généralement d'un suivi annuel, et c'est tout à fait satisfaisant.

Pour tel aménagement faisant l'objet d'un délai de prescription de trente ans, le cinquième ou sixième comité peut décider de ne se réunir ensuite que deux ou trois ans plus tard. C'est lui qui décide de la périodicité la mise en place d'un comité de suivi incite, de fait, le pétitionnaire à être beaucoup plus soucieux de l'avenir des prescriptions qu'il a lui-même acceptées.

M. Serge Urbano. - Pour compléter le propos de mon collègue, le comité de suivi comprend aussi des membres du CNPN : ils veillent aux côtés de l'administration à la prise en compte de leurs recommandations. Les premières années sont extrêmement importantes pour la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

Pour répondre à la question des moyens dans les territoires, le constat a été dressé : les moyens doivent être renforcés eu égard au nombre de dossiers, avec des personnels compétents ; c'est une évidence pour nous. On aimerait que les dossiers soient parfaitement instruits selon les différentes thématiques et que ce ne soit pas le CNPN qui ait à se prononcer sur la recevabilité du dossier.

M. Alain Vasselle . - Vous ne m'avez pas répondu sur la consultation populaire !

M. Serge Muller. - Nous n'intervenons pas sur ce point. Je n'ai pas d'avis en la matière. Nous ne faisons que donner des dérogations par rapport aux espèces protégées ou à l'impact sur les zones humides. Je l'ai dit dans la conclusion de mon propos, il ne nous incombe pas de prendre des décisions : ce sont les pouvoirs publics qui le font après avoir suivi la réglementation prévue par le code de l'environnement. C'est un avis simple.

M. Michel Métais. - Quand l'administration centrale reçoit un dossier, les commissions Faune et Flore et le comité permanent ont l'obligation de répondre dans les dix semaines. Le délai de consultation et d'analyse du dossier est en général de cinq semaines et nous rendons notre avis au bout de cinq à dix semaines. Si le dossier est déposé au ministère le 2 janvier, la commission, le CNPN ou son expert donneront leur avis avant le 2 mars. Cela ne traîne pas en longueur. Sur les dossiers dits DAU, nous avons l'obligation de donner un avis dans les deux mois ; au terme de ce délai, l'avis est réputé favorable.

M. Serge Muller. - Il faut savoir que ces dossiers font des centaines de pages et que nous travaillons bénévolement.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie.

Audition de MM. Jean-Pierre Poly, directeur général, Guillaume Rousset, directeur de la recherche et de l'expertise de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), Jean-Michel Zammite, directeur du contrôle des usages et de l'action territoriale, et Mme Véronique de Crespin de Billy, chef de projet appui technique, de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA)
(jeudi 12 janvier 2017)

Mme Sophie Primas, vice-présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Nous avons souhaité entendre, dans le cadre de nos travaux, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, ainsi que feu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'ONEMA, qui a été intégré à l'Agence française pour la biodiversité (AFB), pour pouvoir notamment apprécier le rôle de chacun de ces deux établissements dans la mise en oeuvre et, surtout, le contrôle des mesures de compensation.

Je rappelle aux personnes que nous entendons que nous nous sommes fixés pour objectif, dans le cadre de cette commission d'enquête, d'analyser plus en détail les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame des Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau.

Ces projets, qui sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation, devront nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels à une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC).

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié. Nous entendons M. Jean-Pierre Poly, directeur général de l'ONCFS, M. Guillaume Rousset, directeur de la recherche et de l'expertise, M. Jean-Michel Zammite, directeur du contrôle des usages et de l'action territoriale à l'ONEMA et Mme Véronique de Crespin de Billy, chef de projet appui technique.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander, madame, messieurs, de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Pierre Poly, Guillaume Rousset, Jean-Michel Zammite et Mme Véronique de Crespin de Billy prêtent successivement serment.

Mme Sophie Primas, vice-présidente . - Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Jean-Pierre Poly, directeur général de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. - Je n'ai aucun lien d'intérêt. L'ONCFS déploie son réseau de veille écologique et sanitaire sur l'ensemble du territoire national. L'office a un service dans chaque département.

M. Guillaume Rousset, directeur de la recherche et de l'expertise de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. - Je n'ai aucun lien d'intérêt.

M. Jean-Michel Zammite, directeur du contrôle des usages et de l'action territoriale de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques. - Je n'ai aucun lien d'intérêt. L'ONEMA dispose également de services départementaux, lesquels instruisent ces dossiers au titre de la loi sur l'eau.

Mme Véronique de Crespin de Billy, chef de projet appui technique de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques. - Je n'ai aucun lien d'intérêt pour ce qui concerne ces quatre projets. Je le précise, je suis membre de la commission Faune du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), auquel j'apporte mon expertise sur certains dossiers. J'ai participé à l'expertise, demandée par le préfet, sur le dimensionnement de la compensation pour le projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes, à la suite d'une remarque du commissaire enquêteur formulée dans le cadre de l'enquête publique.

M. Jean-Pierre Poly. - Dans mon propos introductif, je veux montrer comment l'ONCFS s'intéresse au sujet qui occupe cette commission d'enquête.

L'office est placé sous la double tutelle du ministère de l'agriculture et du ministère de l'environnement. Il est chargé de trois missions fondamentales et complémentaires : la surveillance du territoire, la police de la nature et la police de l'eau. Il s'agit de missions de recherche et d'expérimentation sur la faune sauvage et ses habitats, aux fins de conseiller les aménageurs, les gestionnaires et les pouvoirs publics. Sur la séquence ERC, nous intervenons à plusieurs niveaux : missions de police - les plus prégnantes -, expertise sur la fonctionnalité et la connaissance des écosystèmes terrestres - nous sommes à l'origine d'études d'impact pour chacun des projets concernés -, rôle de conseil, enfin, dans l'instruction des dossiers, à la fois auprès des maîtres d'ouvrages et des autorités administratives.

Nous exerçons ces missions aux niveaux national et local.

Au niveau national, nous produisons des références techniques. Parmi les mesures compensatoires figurent souvent les passages à gibier. Sur ce sujet, nous sommes capables de documenter les ouvrages à réaliser. Nous avons produit une brochure faisant autorité sur les champs d'éoliennes et leur impact sur la faune migratrice. Nous sommes enfin des experts sur de nombreuses espèces sensibles, parfois menacées, souvent protégées, comme le lynx, le vison d'Europe et le hamster.

Parmi nos missions de base figurent également des missions d'inventaire de la biodiversité ordinaire et la biodiversité des espaces remarquables et protégés. Dans les espaces ordinaires, nous réglementons la chasse. J'insiste sur la biodiversité, parfois tout aussi menacée que la biodiversité remarquable !

L'un de nos agents a pour principale mission d'instruire les dossiers ensuite examinés par le Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Nous accompagnons la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur l'évolution de la séquence ERC.

Nous sommes parfois à l'origine de dispositifs expérimentaux, comme c'est le cas dans le massif de Belledonne, en liaison avec les ouvrages réalisés par EDF.

Nous avons également en charge l'élaboration et la mise en oeuvre de plans nationaux de gestion et de protection d'espèces sensibles. Nous intervenons à la fois en tant qu'experts, prescripteurs de mesures de compensation, ou qu'opérateurs. C'est notamment en tant qu'opérateurs que nous sommes intervenus sur le contournement de l'agglomération strasbourgeoise pour protéger des zones peuplées par le hamster.

Environ une dizaine d'inspecteurs de l'environnement habilités à procéder aux opérations de contrôles sont placés dans chacun de nos services départementaux. Ils interviennent en appui des directions départementales des territoires (DDT) et des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour l'instruction administrative des dossiers auprès des maîtres d'ouvrage. Leur connaissance du fonctionnement des écosystèmes terrestres leur permet d'orienter la conception des mesures compensatoires à mettre en oeuvre. Ils jouent également un rôle actif dans le contrôle de ces mesures. La réduction de nos moyens nous a conduits, dans les procédures d'instruction, à nous focaliser sur certains aspects d'un dossier d'instruction.

M. Jean-Michel Zammite. - L'AFB nouvellement créée a de très nombreuses activités, qui sont indiquées précisément dans la loi pour la reconquête de la biodiversité. L'une de ses missions est d'assurer le suivi des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité et de dresser un inventaire national destiné à identifier les espaces naturels à fort potentiel de gain écologique et les parcelles à l'état d'abandon. Il s'agit d'une attribution nouvelle à laquelle nous travaillerons à partir de cette année.

Au demeurant, le sujet de la compensation n'est ni orphelin, ni nouveau au sein des établissements constitutifs de l'Agence. Nos services territoriaux interviennent dans ce domaine et, plus globalement, dans la séquence ERC depuis de très nombreuses années.

On peut distinguer cinq grands types de missions.

Il s'agit d'abord de conduire et de financer, en partenariat avec EDF ou avec des établissements publics, des travaux de recherche visant à mettre en place des dispositifs destinés à réduire les effets des aménagements et à établir des mesures de compensation (méthodes de dimensionnement, évaluation des fonctions des zones humides, établissement d'indicateurs de trajectoire de zones humides).

Ensuite, nous participons à l'élaboration de doctrines. Nous disposons d'une ingénierie administrative pour faciliter l'instruction des dossiers, ce qui permet de capitaliser nos retours d'expérience. Nous mettons à disposition des guides techniques pour mettre en valeur ce qui fonctionne.

Par ailleurs, nous menons de nombreuses actions de prévention et de formation, via des journées d'information et de sensibilisation à la séquence ERC, par exemple sur les mesures de réduction en phase de chantier ou de compensation des atteintes au milieu aquatique. Nous avons coconstruit ces offres de formation avec le Commissariat général au développement durable (CGDD), et d'autres opérateurs, pour que les maîtres d'ouvrage puissent disposer d'une connaissance des pratiques de la compensation. Nous participons également à des séminaires et des colloques avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), de même qu'avec EDF et différents opérateurs.

Au titre de la prévention, nous apportons une expertise technique aux dossiers relatifs à la loi sur l'eau ou aux espèces protégées, à la demande des services instructeurs de l'État. Nos recommandations techniques peuvent ensuite être reprises. Ces instructions représentent environ 7 500 dossiers par an, soit 20 % de l'activité des agents de l'établissement - 120 ETP (équivalents temps plein) par an.

En outre, nous organisons la mise en place de documents de planification, tels que les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), pour la mise en oeuvre de la séquence ERC.

Une autre de nos activités, fort connue, est la mise en oeuvre des contrôles de la bonne exécution de ces mesures. Il s'agit des mesures de police que l'on peut retrouver dans le cadre des plans de contrôle organisés par le préfet.

Enfin, nous sommes chargés d'une mission de veille juridique et d'appui aux instances judiciaires, pour remédier aux atteintes environnementales et compenser la dégradation environnementale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ma question portera sur la transparence pour ce qui concerne les infrastructures linéaires morcelant le pays. Quelle est la vision de l'ONCFS sur les difficultés actuelles ? À quels endroits les infrastructures récentes posent-elles un vrai problème d'impact sur la biodiversité ? Où faudrait-il intervenir en priorité ? Avez-vous une vision scientifique de l'impact du morcellement des populations ? Je pense aux cervidés et à la faune sauvage en général.

S'agissant des projets cités, avez-vous été associés en amont, notamment sur la séquence ERC ? L'État vous semble-t-il avoir réellement mis en oeuvre l'étape évitement ?

Comment envisagez-vous le contrôle qui devra s'exercer demain ? Quels seront vos pouvoirs de police dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, qui prévoit une obligation de résultat ? Quelle sera votre capacité de contrôle pour bien vérifier que les mesures compensatoires satisfont cette obligation ?

M. Jean-Pierre Poly. - Sur le premier point, j'illustrerai ma réponse par un exemple. Nous sommes à la croisée de concepts nouveaux : trame verte, trame bleue et séquence ERC. Avec les fédérations départementales de chasse et la Société de vènerie, nous avons exploité les carnets que tiennent les veneurs sur les trajets empruntés par les grands animaux, pour mettre en place les dispositifs de franchissement au bon endroit. Si une telle démarche n'est pas reproductible partout, il convient néanmoins de l'évoquer.

En réponse à votre deuxième question, je vous dirai que nous intervenons davantage de manière curative.

M. Ronan Dantec . - D'un point de vue scientifique, avez-vous des exemples de populations fractionnées, qui dépérissent ?

M. Jean-Pierre Poly. - Oui, nous avons une bonne vision du dispositif.

M. Guillaume Rousset. - Nous suivons les populations de grands gibiers de manière très précise. Celle des cervidés a connu des augmentations très importantes. Dans le cadre des dispositifs d'assurance automobile, la prise en charge des collisions avec le grand gibier nous a permis d'obtenir des données précises sur les lieux où se produisaient les accidents. Toutefois, les dispositions ayant été modifiées, de telles données ne sont plus disponibles.

M. Jean-Pierre Poly. - Les franchises sont différentes et les assurances ne nous renseignent plus de la même façon.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous pourrions peut-être vous aider en la matière !

Dans la mesure où les populations de cervidés augmentent et où l'État évoque un problème de transparence des anciennes infrastructures, avons-nous vraiment besoin d'un maître d'ouvrage pour bâtir des ponts au-dessus des autoroutes ? Je sais que ma question vous semblera quelque peu inattendue ...

M. Jean-Pierre Poly. - Il existe des problèmes de concentration de populations sur des espaces limités. Il convient donc de rayonner et de diffuser pour avoir des populations plus homogènes. Par ailleurs, une population confinée - je pense en l'occurrence au domaine de Chambord - ne vit pas comme une population naturelle. Il est donc important d'assurer la libre circulation des animaux, pour un bon fonctionnement des écosystèmes.

Mme Véronique de Crespin de Billy. - S'agissant de l'impact des infrastructures, vous évoquiez le fractionnement des milieux. Pour ce qui concerne les espèces aquatiques ou semi-aquatiques, dont le cycle de vie dépend de la présence de certains habitats humides ou aquatiques, nous observons une fragilisation de certaines populations, qui peut aller jusqu'à sa disparition à proximité immédiate de l'infrastructure. Tel est le cas pour l'écrevisse à pattes blanches.

Il existe d'autres impacts résiduels forts participant à la diminution de la capacité d'accueil globale des milieux aquatiques. Ils altèrent le caractère physico-chimique de l'eau en raison de l'accentuation des processus d'érosion ou de l'utilisation de certains matériaux qui modifie le pH de l'eau. Ces pollutions se pérennisent du fait de l'utilisation de remblais réalisés avec des matériaux très basiques ou très acides, qui augmentent les risques d'inondation et d'érosion. L'emprise de l'infrastructure peut modifier les modalités d'écoulement des eaux, ce qui se répercute sur les zones humides et les cours d'eau situés en aval.

Par ailleurs, pour la faune, outre un fractionnement, on constate une perte sèche d'habitat liée à l'emprise des infrastructures et au réaménagement foncier voire à l'urbanisation. On fait ce constat pour les zones humides, mais aussi pour les cours d'eau. Ainsi, dans la mesure où un cours d'eau doit passer à la perpendiculaire des structures pour ne pas risquer une érosion des remblais, il est souvent nécessaire de le dériver, ce qui engendre des pertes de charge linéaire.

Autant de facteurs qui contribuent à réduire la capacité d'accueil globale des milieux naturels. Une telle situation entraîne une dégradation des services rendus par la biodiversité à la société.

M. Guillaume Rousset. - Comme les grands animaux, d'autres espèces beaucoup plus fragiles telles que le hamster ou le vison d'Europe rencontrent des problèmes liés à la fragmentation de l'habitat qui résulte des infrastructures plus anciennes. Nous avons ainsi conduit avec les DREAL des opérations visant à corriger ces situations.

M. Ronan Dantec . - Pour ce qui concerne les projets évoqués, avez-vous été associés en amont, notamment sur la séquence ERC ?

M. Guillaume Rousset. - La situation varie suivant les projets. De manière générale, nous sommes associés aux deux dernières phases, à savoir « réduire » et « compenser ». Plus ponctuellement, nous pouvons être associés à la phase « éviter ».

Pour ce qui concerne l'A65, nous étions porteurs du plan national de restauration du vison d'Europe et nous avons donc été associés plus en amont.

M. Jean-Pierre Poly. - Des opérations d'inventaire nous sont confiées en amont de la conception du projet. Quand l'idée du projet naît, nous sommes bien souvent sollicités pour procéder aux inventaires faunistiques du secteur, qui permettront ensuite d'orienter les études d'impact et d'enclencher la séquence.

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Nous avons été associés différemment selon les projets.

Nous n'avons pas été associés au dossier de la plaine de la Crau qui concerne assez peu les milieux aquatiques.

En revanche, nous avons été associés aux trois autres projets - A65, LGV/SEA et Notre-Dame-des-Landes -, mais de manière différente à chaque fois. L'instruction de ces projets n'a pas eu lieu en même temps et il faut donc tenir compte du contexte.

L'instruction du dossier de l'A65, dans le cadre de la loi sur l'eau, remonte à 2006-2007. À l'époque, nous avons été associés très en amont pour fournir des données sur la présence ou l'absence de telle ou telle espèce aquatique ou sur certains enjeux aquatiques, mais nous ne l'avons pas été sur la question de l'évitement. Nous avons ensuite été associés à l'analyse des mesures de réduction d'impact en fin de chantier, à la fois sur les ouvrages provisoires et définitifs. Les choses ont été un peu plus compliquées concernant la compensation. Nous n'avons été associés à cette réflexion qu'après la mise en service de l'infrastructure, les mesures de compensation de ce projet n'ayant pas été définies en phase d'instruction, mais seulement plus tard.

En phase d'instruction, les sites qui nous ont été présentés ne correspondaient qu'à des intentions et non à des engagements du maître d'ouvrage. Une fois l'autorisation obtenue, le maître d'ouvrage a revu, pour une part, son offre de compensation. Nous avons alors été associés au processus afin de vérifier l'éligibilité de certains sites. Certaines espèces aquatiques étaient plus particulièrement ciblées, notamment l'écrevisse à pattes blanches et la cistude d'Europe.

Dans un second temps, nous avons été associés à l'expertise des mesures de compensation des zones humides. Les mesures de compensation pour les espèces protégées ont dans un premier temps été mutualisées avec celles-ci. Nous devions donc d'abord vérifier l'éligibilité des sites de compensation en tenant compte des critères relatifs aux espèces protégées.

Nous avons procédé à un certain nombre de contrôles qui ont révélé que 60 % des sites de compensation de zones humides n'étaient en réalité pas humides. Après une procédure administrative un peu longue, nous pouvons dire aujourd'hui que ces mesures de compensation sont satisfaisantes. Après plusieurs échanges, le maître d'ouvrage nous a proposé de vrais sites de compensation de zones humides parmi son volume de sites de compensation pour les espèces protégées.

Nous sommes plutôt satisfaits du résultat. Les plans de gestion ont été validés et seront bientôt mis en place.

Sur le dossier de l'A65, nous avons donc été sollicités plusieurs fois, à différentes époques : en amont de l'instruction, pendant l'instruction, pendant le chantier et en phase de contrôle des procédures administratives.

Nous avons également été associés très en amont sur le dossier du projet LGV/SEA pour fournir des données d'inventaire du milieu et réaliser une évaluation des enjeux.

Nous avons ensuite été davantage sollicités en phase de chantier pour évaluer la pertinence des mesures de réduction mises en place sur les IOTA provisoires - c'est-à-dire tout ce qui est protection des milieux pendant les chantiers - comme sur les ouvrages définitifs, notamment en matière de franchissement ou de dérivation des cours d'eau.

Nous sommes encore très régulièrement sollicités sur ce projet pour veiller à l'éligibilité des mesures de compensation des zones humides et cours d'eau.

À ce titre, nous avons reçu beaucoup de dossiers dont certains sont rejetés en raison - selon nous et selon le service instructeur - de leur non-éligibilité et d'autres sont acceptés et pris en charge. Il s'agit à la fois de mesures de compensation cours d'eau et zones humides qui peuvent être mutualisées, le cas échéant, avec les mesures de compensation espèces protégées.

S'agissant de NDDL, l'ONEMA a travaillé sur l'expertise du dossier loi sur l'eau. Cette saisine portait davantage sur la pertinence de l'état initial, afin de savoir s'il manquait certaines données d'inventaire de la zone concernée par le projet ?

M. Ronan Dantec . - Et c'est tout ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Nous n'avons pas été saisis de la question précise des mesures d'évitement.

M. Jean-Michel Zammite. - Nous sommes seulement saisis à la demande des services de l'État.

M. Ronan Dantec . - On peut s'étonner que sur une tête de bassin, qui concerne donc exclusivement des zones humides, vous ne soyez pas davantage sollicités.

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Nous avons été assez peu sollicités en l'espèce, notamment sur la question des mesures d'évitement, mais il ne faut pas en tirer une règle générale.

M. Ronan Dantec . - Ce que vous dites des inventaires est très intéressant. Est-ce vous qui avez mis en évidence la présence du campagnol amphibie sur le site ? À l'époque, on ne l'avait pas encore découvert.

Mme Véronique de Crespin de Billy. - À l'époque, nous n'avions pas connaissance de la présence de cette espèce sur le site. Elle n'a été découverte que récemment.

En revanche, nous avions identifié la présence d'une population de truites de très bonne qualité qui n'apparaissait pas dans le dossier.

M. Ronan Dantec . - Quand on parle de compensation, on pense souvent au vison d'Europe et à quelques autres grandes espèces. Vous avez cependant beaucoup insisté sur une autre dimension, celle des modifications physico-chimiques. S'agissant de Notre-Dame-des-Landes, a-t-on fait appel à votre compétence pour analyser les risques de modification physico-chimiques de l'eau dans la mesure où la tête de bassin serait, de fait, énormément modifiée ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Nous aurions pu l'être, mais nous ne l'avons pas été spécifiquement. Il faut reconnaître que ces questions n'ont été mises en lumière que très récemment.

L'impact des infrastructures linéaires sur les caractéristiques physico-chimiques de l'eau était assez méconnu jusqu'à ces dernières années, à l'exception du problème de l'apport excessif des sédiments et du colmatage des cours d'eau en raison du décapage des talus - en phase de chantier, une fois que les terrassements commencent, les processus d'érosion assez forts entraînent ces sédiments dans les cours d'eau.

En revanche, l'impact des sauts de pH ou des pollutions physico-chimiques liées à l'utilisation de certains adjuvants, notamment pour le béton, ou de certaines graves bitumineuses, n'est connu que depuis peu.

Je ne pense donc pas que l'on puisse reprocher aux services de l'État de ne pas avoir suffisamment questionné l'ONEMA à l'époque. Nous n'avions pas nous-mêmes de connaissances suffisantes sur ce sujet, qui va encore faire l'objet de beaucoup de recherches.

Nous venons de mettre en lumière, par exemple, l'impact des explosifs à base d'ammonitrate sur les cours d'eau. Nous progressons sur ces questions, avec l'aide des maîtres d'ouvrage. Ces problématiques sont abordées de manière assez constructive, dans une optique préventive, afin de réfléchir à des solutions avant de sanctionner la pollution observée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qu'en est-il du contrôle de l'obligation de résultat, que nous avons introduit dans la loi ? Vous sentez-vous prêts à assurer cette mission ? L'assurez-vous déjà sur certains dossiers ?

Mme Sophie Primas, présidente . - Sous quelle forme ? Et à quels délais ?

M. Jean-Pierre Poly . - C'est, depuis cinq ans, une référence dans notre contrat d'objectifs et de moyens. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous intervenons à la demande et qui, de ce fait, sont inscrits dans les plans de contrôle départementaux, exécutés conjointement ou en bonne intelligence avec nos collègues de l'ONEMA et sur lesquels le préfet assure l'arbitrage, en fonction des priorités locales. Nous tenons une comptabilité très précise de nos missions de police : je vous ferai parvenir des renseignements précis sur la part de ce contrôle dans l'ensemble des missions de police exécutées par l'office.

M. Michel Zammite. - Le meilleur contrôle, c'est celui que l'on n'a pas à faire. Tel est le cas lorsque le maître d'ouvrage est bien conscient de ses droits et obligations, et de la nécessité de prendre en compte l'exigence environnementale dès l'amont du projet. La prévention, qui passe par l'information et la sensibilisation, compte beaucoup. Cela dit, le contrôle reste une exigence et il est mis en oeuvre au travers de plans de contrôle, qui mobilisent nos agents de terrain, notamment sur la question des zones de compensation.

Il n'est pas toujours facile, cependant, de traduire des contraintes administratives en contrôle. Une chose est d'écrire qu'il faut mettre en place des zones de compensation, autre chose est de le mesurer objectivement. Il serait utile que les actes administratifs, qui restent souvent trop flous, soient plus précis. Autant il est simple de contrôler les moyens mis en oeuvre, autant il est beaucoup plus délicat de contrôler le résultat. On peut vérifier qu'une passe à poissons a bien été mise en place, mais il est plus délicat de s'assurer qu'elle fonctionne bien.

Mme Sophie Primas, présidente . - Il vous manque, en somme, des indicateurs de performance ?

M. Michel Zammite. - Nous avons édité des guides, qui donnent des indications. Cela fait partie de notre travail d'aide à l'ingénierie de l'administration. J'ajoute que nous travaillons beaucoup avec les grands opérateurs, comme EDF, qui sont demandeurs. Nous ne nous contentons pas de jouer les gendarmes mais engageons, avec ces opérateurs, un travail collaboratif. Cela représente, au reste, une charge de travail assez importante.

M. Guillaume Rousset. - Je rejoins ce qui vient d'être dit, notamment sur les difficultés à évaluer la fonctionnalité des mesures compensatoires. Nous sommes dans une logique de cas par cas : sur chaque dossier, des mesures compensatoires spécifiques sont prévues. Pour pouvoir les contrôler, il faut qu'elles aient été bien conçues et que l'arrêté soit précis sur le résultat attendu. D'où l'importance d'être associés au travail de l'administration en amont. Étant chargés d'une mission à la fois technique et de police, notre double culture nous met en mesure d'apporter conseil aux services de l'État, pour que les arrêtés soient précis et prescriptifs.

Je signale une innovation, qui découle de la loi pour la reconquête de la biodiversité et d'une initiative des administrations centrales : l'enregistrement systématique des mesures compensatoires. Mme Monnoyer-Smith et M. Delduc, que vous avez entendus, vous en auront parlé. C'est un outil très précieux.

Mme Véronique de Crespin de Billy . - Nous avons entamé un contrôle des mesures de compensation, il y a cinq ou six ans, à partir du moment où elles sont devenues fréquentes dans les arrêtés. Or, nous avons bien souvent constaté que nous étions gênés par le manque de précision de ces arrêtés, qui ne sont pas assez prescriptifs. Nous avons donc lancé un travail d'aide à la rédaction des actes administratifs autorisant un projet : nous proposons ainsi aux services instructeurs de l'État tous les garde-fous nécessaires, non seulement pour faciliter le contrôle - disposer d'un échéancier de mise en oeuvre, par exemple, le facilite beaucoup - mais aussi pour préciser, plus en amont, ce qui est attendu des maîtres d'ouvrage, et rappeler les principes qui régissent la compensation.

Mme Sophie Primas, présidente . - Je salue, avant de passer la parole à nos collègues, les membres de l'Institut du Sénat, venus assister à nos travaux.

M. Alain Vasselle . - Je vous remercie de la qualité de vos réponses.

Je m'interroge sur le rôle des organismes que vous représentez - et je pense en particulier à l'ONCFS - en qualité d'acteurs de la compensation. Comment imaginez-vous ce rôle ? À quel stade ? Avec quels moyens budgétaires ? Serez-vous en mesure d'assurer cette mission sans grever les moyens dévolus à d'autres missions ?

Ma deuxième question porte sur la libre circulation de la grande faune. On s'en préoccupe pour les grands ouvrages, mais fait-on de même pour les initiatives privées ? Je pense notamment à la Sologne, entièrement cloisonnée par des propriétés grillagées, ce qui interdit toute libre circulation à ces animaux. Je suppose qu'on y rencontre des phénomènes de concentration, avec les dégâts qui les accompagnent. J'ai conscience que ma question déborde un peu notre sujet, mais cela vaut de s'en préoccuper.

On entend souvent dénoncer les effets néfastes des autoroutes. Or, j'ai pu constater, sur mon territoire, que depuis la construction d'un échangeur autoroutier de l'A16, les lapins de garenne sont plus nombreux que jamais, de même que les perdrix grises, qui prospèrent beaucoup mieux que sur les terrains agricoles. Tout n'est donc pas négatif, du moins pour la petite faune - au point qu'il faut mettre en place une régulation, pour éviter des dégâts. Est-ce un élément que vous prenez en compte ?

Une question, pour finir, sur l'action de l'ONEMA. Vous nous avez dit, à propos d'un ouvrage, que vous avez réussi à réaliser la compensation des zones humides. Mais vous n'avez rien dit des compensations potentielles pour ce qui concerne Notre-Dame-des-Landes. J'ai cru comprendre que l'acquisition de foncier représentait plus de mille hectares : comment expliquer que la compensation ne soit pas possible sur une telle surface, alors que l'aéroport n'exploitera que 100 à 120 hectares ?

M. Ronan Dantec, rapporteur. - 900 hectares.

Mme Sophie Primas, présidente . - Les chiffres divergent.

M. Rémy Pointereau . - Quel dialogue entretenez-vous sur le terrain, en amont des projets, avec les opérateurs, les élus locaux, les agriculteurs ? Êtes-vous associés aux projets suffisamment en amont, avant même la Commission nationale du débat public, avant que les choix de scénario ou de tracé n'aient été faits ? Je pense au projet de ligne ferroviaire Paris-Orléans-Clermont-Lyon, dit POCL, pour lequel coexistent deux scénarios, l'un, qui traverse la Sologne en jouxtant les voies existantes, l'autre qui emprunte un corridor vierge. On nous explique que cette deuxième solution est la meilleure, et qu'il vaut mieux faire passer la ligne en pleine nature que sur des terrains déjà occupés par des routes et des voies ferrées. On se souvient que le passage de l'A71, en pleine Sologne, a d'abord eu des effets très pénalisants avant que la biodiversité ne se reconstitue. Recommencer la même chose ailleurs créerait les mêmes problèmes. Y compris de cloisonnement : il existe déjà deux clôtures en Sologne, et l'on en ajouterait deux autres à 80 kilomètres. La faune se trouverait enfermée entre deux corridors. Quelle est votre approche face à ce type de scénario ? Ne vaut-il pas mieux privilégier l'implantation sur des zones qui supportent déjà des infrastructures ?

Pour rebondir, enfin, sur les propos d'Alain Vasselle, je confirme que l'impact des projets n'est pas totalement négatif : au bout de quelques années, la faune et la flore se reconstituent, se diversifient, les lapins, les perdrix, les sangliers, les cervidés reprennent le dessus, et l'on retrouve une biodiversité d'une richesse inédite. Faut-il l'imputer à une meilleure gestion du territoire ou n'est-ce pas plutôt que l'on se fait peur en noircissant l'impact des projets, au point de vouloir tout mettre sous cloche ?

M. Jérôme Bignon . - Un bon exemple de biodiversité retrouvée est Tchernobyl, où la faune, sur un site abominablement pollué, a repris le dessus de manière spectaculaire.

M. Ronan Dantec . - Disons plutôt que la grande faune tient le choc. Mais c'est tout le contraire pour la petite faune : voyez ce qu'il en est des passereaux.

M. Jérôme Bignon . - Je l'ignorais.

Je m'interroge sur l'ingénierie de réparation des milieux humides, très favorables au gagnage des oiseaux. Avez-vous le sentiment qu'elle est au point ? Ne pourrait-on faire plus et mieux ? Et si tel est le cas, l'intervention d'opérateurs privés serait-elle profitable ou dispose-t-on de l'expertise nécessaire ? Les zones humides, essentielles à la biodiversité mais aussi dans la lutte contre le réchauffement climatique, ont reculé, on le sait, dans des proportions considérables.

Avez-vous connaissance d'opérations où la compensation proposée n'aurait jamais été réalisée ? Je pourrais citer des cas, mais en avez-vous été saisis ? J'ajoute que j'ai entendu dire que l'État, lorsqu'il est maître d'ouvrage, s'exonère volontiers de la compensation qu'il a proposée. Je livrerai à notre commission d'enquête un exemple précis.

J'ai connu, personnellement, une situation où l'État était assistant maître d'ouvrage pour l'implantation d'une station d'épuration. Comme président de la commission locale de l'eau en charge du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), je devais être consulté. Quand j'ai demandé quelles étaient les mesures d'évitement, j'ai provoqué la surprise. Le fait est qu'il était prévu d'installer la station d'épuration le long du lit mineur du petit fleuve côtier, quand il eût été logique de l'installer à flanc de coteau. On m'a répondu non seulement que cela coûterait beaucoup plus cher - un argument qui revient souvent - mais qu'il s'agissait d'une station d'épuration, donc d'un projet favorable à l'environnement, comme si cela était de nature à justifier tous les dommages !

Mme Sophie Primas, présidente . - Je vais donner la parole à nos invités, en leur rappelant qu'ils s'expriment sous serment...

M. Jean-Pierre Poly . - La création d'infrastructures peut en effet avoir des effets inattendus sur la biodiversité. Les lapins de garenne prospèrent - on en voit même le long du périphérique. Cela est lié à la fragmentation des milieux, propice au développement de la biodiversité, mais également à la création de zones en friche qui ne sont ni fauchées ni traitées, ce qui favorise la nidification d'espèces sensibles comme la perdrix grise. Si bien qu'en créant une infrastructure, on crée, de fait, une mesure compensatoire de base.

Vous nous demandez quels sont nos liens avec les opérateurs. Nous y sommes très attachés, car l'établissement public ne peut faire grand-chose par lui-même. C'est pourquoi nous avons développé des partenariats d'ampleur, notamment avec le monde agricole et le monde de la chasse, via le programme Agrifaune, qui rayonne, par voie de convention, sur 70 % des départements et permet, sur 350 exploitations de référence, de faire la démonstration que l'on peut initier des pratiques agricoles qui protègent le revenu de l'agriculteur sans être préjudiciables à la biodiversité. Cela a force d'exemple et permet de reproduire des modèles susceptibles d'être exploités dans les mesures compensatoires.

Nous avons engagé, plus récemment, des dispositions du même type avec les forestiers et les chasseurs, pour aménager l'équilibre entre la forêt et le gibier. Autant nous sommes rodés au traitement des dégâts causés à l'agriculture, autant nous restons confrontés à des difficultés avec le monde de la forêt, où les populations de cervidés rendent la situation critique dans bien des secteurs. Je pense notamment au massif du Donon, dans l'est de la France, qui s'en est trouvé ruiné.

M. Alain Vasselle . - Ou la forêt de Chambord.

M. Jean-Pierre Poly . -Oui, mais dans une moindre mesure, car on y opère une régulation.

Nous avons donc engagé des opérations expérimentales, tant avec la forêt privée qu'avec l'ONF, et avec les fédérations départementales de chasseurs, pour travailler, au-delà de la mise en place des plans de chasse, sur la régulation des populations et l'évolution des techniques sylvicoles, de manière à protéger le produit de la forêt tout en ménageant sa biodiversité et son capital cynégétique, source de revenus pour les propriétaires forestiers, qu'ils soient publics ou privés.

M. Guillaume Rousset. - Une précision sur le problème de la simplification des paysages. Les infrastructures peuvent, en effet, créer une discontinuité favorable. C'est le cas des zones agricoles faites de très grandes parcelles : en recréant des frontières, on facilite le développement de certaines espèces.

Vous nous interrogez sur nos priorités. Notre métier consiste à appuyer les autorités publiques, non seulement en produisant des références, mais aussi pour les contrôles et l'instruction. En revanche, mettre en oeuvre des mesures compensatoires n'est pas notre coeur de métier. L'office gère 60 000 hectares, sous divers statuts. Il nous arrive d'accueillir certaines mesures compensatoires, ce qui a pour principal intérêt de nous donner une expérience et de nous mettre en mesure de fournir de bons conseils. Il reste que nos priorités demeurent le contrôle et l'appui à l'instruction, selon une procédure à la demande.

J'en reviens aux effets positifs de certains projets. D'un point de vue sanitaire, la création d'une discontinuité, avec la création d'une autoroute ou d'une ligne à grande vitesse, peut être de nature à limiter la diffusion de maladies de la faune sauvage. Cela a été le cas de la peste porcine dans l'Est, où les autoroutes ont formé une barrière utile.

L'engrillagement des chasses privées est en effet un problème, que nous surveillons.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En Sologne notamment.

M. Guillaume Rousset. - En effet, cela limite la circulation des animaux et les concentre, au risque de poser un problème sanitaire.

M. Jean-Pierre Poly . - Tout cela mérite malgré tout d'être relativisé. À Chambord, la concentration en cervidés est néanmoins ce qui a permis, des années durant, d'assurer la réimplantation du cerf dans notre pays. Le pool génétique y reste suffisamment diversifié.

M. Alain Vasselle . - Il n'y a pas de problème de consanguinité ?

M. Jean-Pierre Poly . - Non. Nous n'avons pas observé de dégénérescence.

M. Alain Vasselle . - Vous dites que vous surveillez l'engrillagement de la Sologne, mais cela fait des années que le problème se pose. Il est temps d'agir !

M. Michel Zammite. - Peut-on considérer que les grandes infrastructures linéaires enrichissent la biodiversité ? Je serai plus prudent, car la situation est contrastée. On trouve aussi des cas d'envahissement par des plantes exotiques comme la renouée ou la balsamine.

Vous vous interrogez sur le comportement de l'État. J'indique que nous verbalisons, si nécessaire, comme pour tout autre pétitionnaire. Nous dressons des procès-verbaux sur lesquels il revient au procureur de se déterminer. Il n'y a pas de discontinuité...dans l'application de la loi.

Quel dialogue entretenons-nous avec les opérateurs ? Nous ne sommes pas en relation directe avec eux. Tout comme l'ONCFS, l'ONEMA fournit des données, tirées des inventaires que nous établissons. Nous fournissons, en open data, des informations sur l'état des milieux humides et piscicoles, qui informent l'ensemble des opérateurs sur la qualité de leur milieu.

Mme Véronique de Crespin de Billy . - Quelles sont les possibilités de compensation en zones humides sur le projet de Notre-Dame-des-Landes ? Ce sont bien 800 hectares de zones humides qui sont concernés, soit l'emprise elle-même à laquelle s'ajoute tout le réseau viaire. Mais il ne faut pas considérer la compensation de manière purement quantitative, car on ne peut pas compenser une zone humide par n'importe quelle autre. Le principe d'équivalence est beaucoup plus exigeant : il faut compenser à milieu et à fonction équivalents. La première difficulté est donc de trouver les mêmes types de zones humides que celles qui sont touchées.

L'autre difficulté tient au fait que parmi les zones humides concernées par le projet, certaines sont des prairies humides faciles à sécuriser ou à restaurer ailleurs, tandis que d'autres sont des zones humides remarquables, notamment des prairies humides oligotrophes, habitats bien spécifiques dont la création dépend d'une certaine pente, de certaines modalités d'alimentation en eau, d'une certaine qualité de sols. Ce sont des milieux très rares, difficiles à compenser en s'assurant d'un réel gain écologique.

Cela m'amène à votre question sur l'ingénierie de réparation des milieux humides. Selon le type d'habitat humide concerné, la topographie, le type d'impact - depuis un simple fossé jusqu'à un retournement complet des sols -, il sera plus ou moins aisé de restaurer ou de sauvegarder. On sait, par expérience, que pour certaines zones humides, la compensation sera satisfaisante, mais que pour d'autres, comme les tourbières, cela sera très difficile : certaines se créent selon des modalités très complexes à reproduire - c'est notamment le cas des tourbières bombées, alimentées uniquement par les eaux de pluie. Pour ces habitats-là, on sait que la compensation sera quasiment impossible.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez bien participé à la commission scientifique désignée à la suite de l'enquête publique sur le projet d'aéroport, et qui a conclu à l'impossibilité de mettre en place des mesures compensatoires, telles qu'elles étaient proposées.

Mme Véronique de Crespin de Billy . - J'étais en effet rapporteure de ce collège d'expert. La saisine, cependant, portait non pas sur la possibilité de la compensation - même si nous nous y sommes penchés - mais sur le dimensionnement de la compensation et le caractère scientifique de la méthode proposée par le bureau d'étude en appui aux deux maîtres d'ouvrage - la DREAL, pour le réseau viaire et AGO Vinci pour l'aéroport.

Pour le dimensionnement, les grands principes retenus étaient assez semblables à ce que l'on trouve ailleurs, soit des méthodes d'équivalence dites « miroir », qui tendent à évaluer la dette environnementale du projet et à la comparer à l'offre de compensation possible, pour dimensionner la compensation nécessaire.

Nous avons identifié, dans la méthode soumise à notre analyse, certaines difficultés : elle faisait appel à un tel nombre d'indicateurs et de coefficients d'ajustement, tant de la dette environnementale que de l'offre de compensation, que le résultat devenait peu lisible. Il m'est difficile d'entrer dans le détail, mais je vous renvoie au rapport que nous avons rendu.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous entendrons la commission scientifique en audition. Ma question est la suivante : avez-vous ou non le sentiment que le projet faisait bien la distinction entre les milieux ? Cherchait-il ou non à éviter les prairies humides oligotrophes ?

Mme Véronique de Crespin de Billy . - Le collège n'était pas interrogé l'évitement. De mémoire, je n'ai pas souvenir d'avoir vu dans le projet de véritables mesures d'évitement. Cela étant, Notre-Dame-des-Landes n'est pas le seul projet dans ce cas. Il est un certain nombre de projets dans lesquels il est clair que le maître d'ouvrage aurait gagné à prévoir de telles mesures d'évitement, ce qui aurait diminué d'autant sa dette environnementale à compenser.

Mme Sophie Primas, présidente . - Il me reste à vous remercier.

Audition de M. Jean-Paul Naud, co-président, Mme Geneviève Lebouteux, secrétaire et M. Christophe Dougé, conseiller régional des Pays de la Loire et adhérent du collectif d'élu-e-s doutant de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (CéDPA), M. Julien Durand, administrateur et porte-parole de l'association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA), Mme Agnès Belaud, administratrice de l'ACIPA et du CéDPA, et M. Sylvain Fresneau, président de l'association de défense des exploitants concernés par l'aéroport (ADECA) et adhérent de l'ACIPA
(mardi 17 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous reprenons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Je rappelle que nous nous sommes fixés pour objectif d'analyser plus en détail les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation. Ils devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons ce soir deux associations sur le projet spécifique de la définition des mesures compensatoires à Notre-Dame-des-Landes : le CéDPA (collectif d'élus doutant de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes) et l'ACIPA (association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes).

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes que nous entendons aujourd'hui, de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Jean-Paul Naud, Geneviève Lebouteux, Christophe Dougé, Agnès Belaud, Sylvain Fresneau et Julien Durand prêtent successivement serment .

M. Jean-François Longeot, président . - Mesdames, messieurs, à la suite de vos propos introductifs, qui devront être courts, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?

Les personnes entendues déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt avec les autres projets.

M. Jean-Paul Naud, co-président du CéDPA . - Je vous remercie de votre invitation et de l'attention que vous portez à notre délégation d'associations afin que nous puissions témoigner de la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur de grands projets d'infrastructures.

Il nous est effectivement possible de témoigner de l'application du mécanisme « éviter-réduire-compenser », aussi bien en ce qui concerne le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes qu'en ce qui concerne d'autres projets communaux ou intercommunaux.

Je commencerai par présenter le CéDPA, dont je suis co-président. J'ai été élu maire de Notre-Dame-des-Landes en 2008 sur une liste hostile au projet. En 2009, nous avons créé un collectif regroupant environ 1 000 élus doutant de la pertinence de l'aéroport. À partir de 2011, ce collectif a été transformé en association. Le but était de faire entendre au niveau local, national et international la voix des élus qui contestaient la réalisation d'un nouvel aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Il s'agissait également d'obtenir un réexamen des dossiers à la lumière des propositions alternatives qui n'avaient jamais été sérieusement étudiées.

La transformation du collectif en association nous permettait d'ester en justice devant les juridictions compétentes. Je laisse Agnès Belaud présenter l'ACIPA.

Mme Agnès Belaud, administratrice de l'ACIPA et du CéDPA . - L'ACIPA est l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Elle a été créée le 16 décembre 2000 lorsque le gouvernement Jospin a relancé le dossier de l'aéroport.

L'objet de notre association est, entre autres, d'informer les adhérents et la population, et de protéger les forêts, les bois, les cours d'eau, les plans d'eau ainsi que les zones humides situés dans le secteur géographique concerné. Notre lettre d'information hebdomadaire est envoyée à plus de 7 000 personnes. Nous travaillons également mensuellement avec soixante autres organisations - associations, collectifs, syndicats et mouvements politiques - au sein de ce que nous appelons la « coordination des opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes ».

Aujourd'hui, nous avons invité Sylvain Fresneau, adhérent de l'ACIPA et président de l'ADECA (Association de défense des exploitants concernés par l'aéroport). Cette association est la plus ancienne de nos associations puisqu'elle a été créée en décembre 1973.

M. Christophe Dougé, conseiller régional des Pays de la Loire, adhérent du CéDPA. - Nous avons abordé les travaux de votre commission d'enquête à travers le prisme de Notre-Dame-des-Landes. Geneviève Lebouteux évoquera la partie « éviter-réduire ». J'aborderai, pour ma part, les mesures compensatoires. Jean-Paul Naud vous présentera ensuite une autre expérience sur la mise en oeuvre de la compensation dans la commune de Notre-Dame-des-Landes, non liée à l'aéroport. Cela permettra de montrer qu'il existe plusieurs lectures de la doctrine ERC.

À titre préalable, je souhaite rappeler que la biodiversité composant l'emprise du projet d'aéroport est constituée à 98 % de zones humides, et pas n'importe lesquelles : un bocage humide, des prairies humides, des landes, des boisements humides, ainsi qu'un chevelu dense de multiples têtes de bassin versant des affluents de la Vilaine et la Loire. Ce site n'a pas subi de perturbations durant les soixante dernières années d'évolution et de développement de l'agriculture moderne. Il n'y a pas eu de recalibrage de cours d'eau, comme ça a pu être le cas ailleurs, ni de drainage important ou d'arrachage de haies.

Cette qualité apparaît clairement dans les inventaires faune et flore, même si des insuffisances ont néanmoins été relevées. C'est donc un espace naturel quasi unique dans l'ouest de la France. De par l'imbrication de ces têtes de bassin versant, il s'agit d'un lieu exceptionnel pour les corridors écologiques, trame verte et bleue, entre deux bassins fluviaux. Ces têtes de bassin versant sont des espaces importants pour la qualité et la régulation de l'eau en aval des cours. Il existe des connexions étroites entre les sols, les sous-sols et les boisements dans la circulation et la fourniture de l'eau en aval, que ce soit pour les rus, les ruisseaux, les rivières et les fleuves qui les collectent.

Cet écosystème naturel complexe est un ensemble unique et entier. Il constitue une illustration concrète du bon état écologique des cours d'eau tel que le définit la directive européenne cadre sur l'eau.

Mme Geneviève Lebouteux, secrétaire du CéDPA . - Nous avons concentré notre présentation sur la séquence « éviter-réduire-compenser ».

Je commencerai par la partie « éviter ». Pour Notre-Dame-des-Landes, à aucune étape du projet, la notion d'évitement n'a été intégrée. Le choix du site a été fait en 1967 : à l'époque, il n'y avait aucune préoccupation environnementale. On pensait même bétonner les marais du côté de la Brière !

En 2000, le projet est relancé, en grande partie pour des préoccupations foncières autour de Nantes, et surtout parce que cette zone avait été réservée pendant trente ans. En 2002 et 2003, un débat public a eu lieu sur le site de Notre-Dame-des-Landes. En 2006-2007, l'enquête publique a été réalisée. D'après l'analyse coûts-bénéfices, 40 millions d'euros sont prévus pour le plan agro-environnemental. Néanmoins, il s'agit essentiellement du coût global estimé pour l'acquisition des terres et l'on ne voit pas ce qui est prévu pour les mesures environnementales.

En 2011, nous avons fait expertiser cette analyse par un cabinet d'études CE Delft. Il ressort que le coût de gestion additionnel de l'eau avait été omis, de même que la valeur de la nature et les dépenses annuelles de mise en place du plan environnemental.

En 2008 est publiée la déclaration d'utilité publique (DUP). Durant toute cette période, aucune notion d'évitement n'a été inscrite. Nous assistons à un fractionnement des procédures dans le temps. Les préoccupations environnementales apparaissent en 2012, avec l'enquête publique « loi sur l'eau ». C'est à partir de ce moment-là qu'il est enfin question de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

« Éviter » signifie étudier s'il existe une alternative au projet existant. Mais comment appliquer cet évitement alors qu'initialement le milieu était qualifié de non contraignant ? En définitive, il est à 98 % situé en zone humide ! Il était alors trop tard pour chercher des alternatives permettant l'évitement, point fondamental de la doctrine « éviter-réduire-compenser ».

Les porteurs du projet n'ont manifesté aucune volonté de rechercher une alternative : les terres avaient déjà été réservées pour la moitié d'entre elles. Nos propositions, notamment celle d'étudier les capacités de l'aéroport de l'Ouest, ont été refusées à plusieurs reprises.

Autre point qui nous choque : en 2012, au moment de l'enquête publique « loi sur l'eau », les porteurs du projet AGO et l'État prétendent qu'ils ont appliqué la procédure « éviter-réduire-compenser ».

Vous trouverez dans le dossier que nous vous laisserons quelques pages extraites du document qui nous a été présenté en décembre 2012. Trois pages portent sur « éviter » et « réduire ». Vous constaterez que pour les porteurs du projet « éviter », c'est alléguer simplement que l'emprise du projet est moindre que celle de la « ZAD ». Il ne s'agit nullement de conduire une réflexion sur de possibles alternatives !

En 2013, puis en 2016, deux études officielles ont montré qu'une alternative existait.

En effet, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a remis en 2013 une étude à la demande de la Commission du dialogue. La DGAC a gonflé les coûts, mais a néanmoins reconnu que l'alternative consistant à réaménager l'aéroport de Nantes-Atlantique était possible.

En 2016, ce point est confirmé par le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) commandé par Ségolène Royal.

Fin 2016, les conclusions du rapporteur public à la cour administrative d'appel reconnaissent également que l'alternative existe. Il était ainsi proposé à la cour administrative d'appel de nous donner raison, en vain.

Les considérations environnementales et la préoccupation d'évitement doivent donc être envisagées en amont d'un projet, en réponse à un besoin. Sur Notre-Dame-des-Landes, les porteurs du projet ont fait exactement l'inverse : ils ont cherché à justifier un projet déjà défini et surtout pas à l'éviter !

Or il existe des projets évités : le projet d'autoroute A83 Nantes-Niort a finalement contourné le Marais poitevin par le Nord et le projet A831 Fontenay-le-Compte-La Rochelle, qui devait également traverser le Marais poitevin, a été carrément abandonné au profit du contournement de Marans.

Je serai plus brève sur la partie « réduire ». De la même façon que pour « éviter », la préoccupation de réduction de l'impact n'a pas été intégrée au projet. L'enquête publique de 2006 concluait déjà que le projet d'aéroport était un lourd tribut pour l'agriculture. La mission agricole de 2012 va plus loin. Selon elle, il n'y a aucun souci d'économie du foncier. Par exemple, tous les parkings prévus sont à plat, il n'y a aucun parking à silos.

La seule réduction consentie a consisté à diminuer la superficie des places de parking, les voitures seront plus serrées. Cette réduction demandée par la mission agricole et par la Commission du dialogue en 2012-2013 n'avait pas été acceptée par l'État et par AGO ; le tribunal administratif de Nantes a imposé cette décision en 2015.

D'autres réductions ont été refusées, comme la demande de rapprochement du barreau routier de la plateforme. Récemment, le CGEDD a parlé d'aéroport surdimensionné et a estimé, comme nous, qu'une seule piste suffirait. Cette réduction n'a pas non plus été acceptée. La consultation qui s'est tenue en juin dernier a porté sur le projet initial d'un aéroport à deux pistes.

Il existe pourtant des projets à impact réduit. Nous avons tous en tête des exemples de lotissements auxquels on a retiré des parcelles.

En conclusion, pour prendre en compte les deux étapes que sont « éviter » et « réduire », il convient d'intégrer les préoccupations environnementales dès le début de la démarche. De façon plus générale, il importe de garder à l'esprit une certaine hiérarchie des priorités.

Notre pays est très largement pourvu en équipements. Par conséquent, la priorité de préservation de la biodiversité mise en balance avec les objectifs qui ont prévalu pour le projet d'aéroport, à savoir le moindre coût et la non-remise en cause d'un projet prévu de longue date.

Nous vous transmettrons les propositions que nous avons faites au moment de la commission de rénovation du débat public de 2015. Plusieurs d'entre elles concernent les sujets qui nous préoccupent.

La proposition 3 demande de faire cesser immédiatement le « saucissonnage » des procédures, d'ailleurs en contradiction avec les directives européennes. Le projet doit être évalué dans son ensemble et l'utilité publique ne peut être prononcée avant.

La proposition 4 vise à intégrer l'analyse environnementale globale au moment de la comparaison entre les différentes solutions.

M. Christophe Dougé . - Je poursuis sur la notion de compensation qui vous intéresse en priorité ; néanmoins, ce qu'a dit Geneviève Lebouteux sur « éviter » et « réduire » est très important.

Dans le cadre d'une procédure classique, lorsque vous êtes porteur d'un projet affectant une zone humide, comme à Notre-Dame-des-Landes, vous devez indiquer très formellement comment vous comptez compenser la destruction de cette zone.

Le porteur de projet doit notamment apporter la preuve qu'il a la maîtrise foncière des terrains destinés à assurer la compensation, évoquer la méthode de réalisation de cette compensation, garantir la pérennité et le financement des mesures envisagées. La description, en outre, doit être précise : plans, accompagnement de bureaux d'études, garanties de localisation et de coût, et même, parfois, conventions de longue durée relatives à l'entretien de ces espaces et au suivi après travaux. Ça, c'est la règle !

Je vais laisser la parole à mon collègue Jean-Paul Naud, maire de Notre-Dame-des-Landes, qui a eu à traiter un projet d'aménagement sur sa commune, autre que celui de l'aéroport.

M. Jean-Paul Naud . - Mon témoignage illustre le traitement de projets communaux ou intercommunaux plus modestes, dont la réalisation est également affectée par le mécanisme « éviter-réduire-compenser ».

La commune de Notre-Dame-des-Landes est située dans le périmètre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du bassin de la Vilaine. Les contraintes de ce SAGE, s'agissant de la destruction de zones humides, sont beaucoup plus drastiques que celles qui s'appliquent sur d'autres secteurs. On nous impose en effet, dès que l'emprise en zone humide dépasse les 1 000 mètres carrés, la réalisation d'un projet « présentant un intérêt public avéré », c'est-à-dire d'un projet qui peut faire l'objet soit d'une DUP, notion bien connue, soit d'une déclaration de projet, notion beaucoup plus vague.

Ainsi, nous projetions de créer une zone d'activités de proximité à Notre-Dame-des-Landes, la première tranche s'étendant sur 2,5 hectares seulement. Nous avons découvert, à cette occasion, la lourdeur de la procédure consistant à monter une déclaration de projet. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), que nous avions interrogée sur cette notion très récente, n'avait pas été en mesure de nous répondre.

Le dossier est lourd à monter ; s'il est accepté, il faudra restaurer les zones humides, la surface de la compensation prévue étant égale à 200 % de la surface perdue. Nous avons rencontré les représentants de la commission locale de l'eau (CLE), du SAGE Vilaine. Ceux-ci nous ont encouragés à lancer la procédure de déclaration de projet, mais en nous conseillant d'anticiper sur les mesures compensatoires à réaliser au titre des zones humides détruites, alors que le projet ne faisait que de 2,5 hectares !

Sur de petits projets comme celui-ci, à la lourdeur du dossier de déclaration de projet vient donc s'ajouter le coût très élevé des mesures compensatoires, même lorsque les superficies concernées sont faibles. À Vigneux-de-Bretagne, qui appartient à la communauté de communes d'Erdre et Gesvres, dont dépend également Notre-Dame-des-Landes, nous avons réalisé l'extension d'une zone d'activité ; pour 1 800 mètres carrés de zone humide, le coût des mesures compensatoires s'est élevé à 70 000 euros ! Nous craignons qu'à l'avenir, certains projets plus importants puissent être ainsi freinés.

M. Christophe Dougé . - Pourquoi avons-nous souhaité que Jean-Paul Naud présente ce cas ? Parce que s'agissant du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en matière de mesures compensatoires, il n'y a rien eu de tout cela ! Pour commencer, le diagnostic environnemental a été jugé très insuffisant, alors que la bonne connaissance des lieux est censée être au fondement de la doctrine ERC.

En outre, les porteurs de projet ne disposent d'aucune maîtrise foncière, donc d'aucune garantie de compensation, en dehors de la ZAD. Les enveloppes évoquées sont des enveloppes potentielles. Par ailleurs, aucune description précise, à l'échelle de la parcelle, des mesures compensatoires n'a été proposée. Il n'y pas non plus de localisation, ni de convention pérenne. Seules sont proposées des conventions de 5 ans avec des agriculteurs, alors que le contrat de concession, lui, est de 55 ans ! Et à ce jour, à notre connaissance - Sylvain Fresneau, agriculteur, ou Julien Durand, agriculteur retraité, pourront nous le confirmer -, aucune convention n'a été signée avec des agriculteurs. Aucune ! Aucune mesure compensatoire n'est donc engagée, aujourd'hui, à Notre-Dame-des-Landes.

Les porteurs de projet, à savoir l'État et AGO-Vinci, ont développé une méthode fondée sur des unités de compensation, alors que le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), et les SAGE nous invitent plutôt à appliquer une méthode de compensation « surfacique ». L'espace naturel unique que j'ai décrit tout à l'heure, l'État et AGO-Vinci l'ont donc déconstruit pièce par pièce, tel un puzzle, sous forme d'unités de compensation, pour les affecter sur d'autres parcelles selon une logique totalement désordonnée. L'ensemble complexe constitué par les deux têtes de bassin versant est détricoté pour réaffecter ici et là des unités de compensation.

Nous avons soulevé un autre problème lors des différentes enquêtes publiques, mais aussi devant les juridictions : les porteurs de projet ont proposé comme mesures compensatoires des zones humides immédiatement voisines de celles qui seront détruites, sur la ZAD elle-même, c'est-à-dire à proximité du futur aéroport ! Si vous veniez sur place, vous constateriez que cette méthode relève de la supercherie intellectuelle. On peut véritablement s'interroger sur la pertinence scientifique de cette méthodologie ! D'ailleurs, le collège d'experts nommé en avril 2013 avait invalidé cette méthode de compensation.

Je prends une image que nous utilisons régulièrement : si, par malheur, un projet conduisait à la nécessité de détruire le domaine de Chambord, et que la méthode appliquée à Notre-Dame-des-Landes était retenue, cela reviendrait à proposer, à titre de compensation, de restaurer les huisseries et les peintures du château voisin de Chenonceau. C'est ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes : on perd un joyau de biodiversité, sans aucune garantie de compensation !

Il existe donc un déficit dans la définition scientifique de la méthode de compensation : aucune compensation n'est envisagée pour la destruction des têtes de bassin versant. Ce sont des cours d'eau, des prairies et des bocages humides qui sont concernés, et on nous propose de petites interventions sur des parcelles, ici ou là.

En résumé : de grandes enveloppes non définies, pas de localisation précise, aucun chiffrage, règne du « deux poids, deux mesures » dans l'application de la réglementation française, absence de conventions avec les agriculteurs. Surtout, en principe, les mesures compensatoires doivent être réalisées avant la destruction des espaces concernés ! À Notre-Dame-des-Landes, le dossier dit qu'elles le seront dans les 20 ou 30 ans à venir.

Pour conclure, nous considérons que la méthode ERC n'a pas été utilisée correctement à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit d'ailleurs plutôt, en réalité, de la méthode « CRE » : d'abord compenser, partiellement réduire, et, en dernier ressort, éviter. Mais la question de l'évitement, donc de l'éventuel abandon du projet sur ce site, aurait dû être posée il y a 17 ans, au moment de la relance du projet de transfert, en 2000 ! Le fractionnement des procédures environnementales et leur examen 12 ans après la relance du projet ont conduit à l'absence d'évaluation globale des impacts environnementaux. Et la question de l'évitement n'a fait l'objet d'aucune procédure démocratique.

La priorité, en 2008, a en effet été donnée à la procédure de DUP au détriment des dispositions de la loi sur l'eau de 2006, du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, et a fortiori de la directive-cadre européenne sur l'eau. Précisément, de nombreux jugements qui nous ont été défavorables en Conseil d'État se fondent davantage sur la procédure de DUP que sur la loi sur l'eau, sans prendre en compte le droit européen.

Un autre ordonnancement des procédures aurait été nécessaire : évaluation globale des impacts, débat sur les alternatives, consultation du public, voire votation ; ensuite seulement seraient intervenues la DUP et les autorisations « loi sur l'eau ». Depuis une vingtaine d'années, on a pris le dossier à l'envers ! Si l'on avait procédé différemment dès la relance, comme l'a dit Geneviève Lebouteux, l'alternative consistant à optimiser Nantes-Atlantique aurait pu être étudiée convenablement. Parce qu'une réserve foncière et une zone d'aménagement différé (ZAD) existent à Notre-Dame-des-Landes, on a tout fait pour y imposer le projet d'un aéroport à deux pistes, d'un barreau routier et d'une aérogare ; si cette ZAD n'avait pas existé, le projet d'aéroport n'aurait évidemment jamais été développé sur ce site !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je souhaite d'abord revenir sur un point que nous entendons régulièrement : la différence de traitement entre petits et grands projets, y compris sur un même territoire. Êtes-vous inquiets, en tant qu'élus, quant à la menace qui pèserait sur beaucoup d'autres petits projets en raison de la difficulté à trouver des mesures compensatoires ?

Deuxième question : de telles mesures compensatoires sont-elles impossibles ? Nous avons bien compris que l'évitement était le coeur de votre approche, mais existerait-il des possibilités de compensation qui n'auraient pas été étudiées ou mises sur la table, y compris plus loin sur le territoire ?

Enfin, comment se fait-il qu'aucune contractualisation avec le monde agricole n'ait encore été engagée ?

Mme Évelyne Didier . - J'ai entendu le mot « concession » ; il s'agit d'un contrat particulier, conclu entre une puissance publique et une ou plusieurs personnes privées. Normalement - ce fut le cas pour les autoroutes -, tout est prévu noir sur blanc dans le contrat, y compris les mesures de compensation. Comment et avec qui ce contrat de concession a-t-il été signé ? Pourquoi ne contient-il pas de telles précisions, alors que c'est la norme, en principe, pour les grands projets, lorsqu'une concession est attribuée ?

M. Christophe Dougé . - Dès lors que la méthode de compensation choisie s'appuie sur des unités de compensation, et qu'une zone humide jouxtant une zone détruite peut devenir mesure compensatoire de cette dernière, il n'y a évidemment aucun problème pour trouver des compensations ! Mais la réalité, c'est que la France a perdu plus de la moitié de ses zones humides depuis un siècle. Prendre au sérieux l'enjeu environnemental, c'est-à-dire compenser réellement, signifierait restaurer des espaces dégradés. À Notre-Dame-des-Landes, où un complexe de têtes de bassin versant de 1 200 hectares serait impacté, la compensation consisterait à restaurer un cours d'eau totalement détruit pour refaire à l'identique des têtes de bassin versant.

Or nous savons aujourd'hui que c'est totalement impossible ! C'est pourquoi les scientifiques, en 2013, ont conclu que la perte des têtes de bassin versant de Notre-Dame-des-Landes ne pourrait être compensée. Si le dossier avait été mené dans le bon ordre, cette conclusion aurait été tirée dès le début des années 2000. Nous aurions tout de suite choisi l'option « éviter », à l'image de ce qui s'est passé pour les projets autoroutiers évoqués par Geneviève Lebouteux. D'autres sites, voire l'optimisation de Nantes-Atlantique, auraient été mis à l'étude, ce qui ne fut pas le cas à l'époque.

Madame Didier, lorsque l'État contracte avec une personne privée, en l'occurrence AGO-Vinci, il est clair qu'il doit introduire des garanties dans le projet de concession, s'il examine correctement le droit de l'environnement et le droit de l'eau. À supposer qu'il soit possible de chiffrer la compensation de la perte de têtes de bassin versant, ce que nous contestons, ce n'est pas 450 millions d'euros, mais peut-être le double, qu'il faudrait prévoir dans le contrat.

Mme Évelyne Didier . - En quelle année le contrat de concession a-t-il été signé ?

M. Christophe Dougé . - En 2010.

M. Sylvain Fresneau, président de l'ADECA et membre de l'ACIPA . Les agriculteurs du secteur, dont je fais partie, n'ont jamais été démarchés par des représentants de la concession pour évoquer d'éventuelles mesures compensatoires. En revanche, de notre côté, nous avons organisé une rencontre avec nos voisins pour leur demander s'ils étaient d'accord pour participer à la compensation ; un grand nombre d'entre eux y étaient opposés. Le document que nous vous avons remis contient une carte recensant les agriculteurs du secteur qui refusent d'office les mesures compensatoires.

M. André Trillard . - Deux ou trois précisions sur ce dossier que je connais un peu. Pourquoi avoir choisi ce site ? Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la zone de bruit directe de l'aéroport de Nantes-Atlantique ; en comparaison, elles seraient 800 à Notre-Dame-des-Landes ! Le projet est dimensionné pour intégrer les zones de bruit 1 et 2. Plusieurs centaines d'hectares ne sont pas transformés.

Je ne commenterai pas le choix des méthodes de travail. J'ai moi-même présidé une collectivité en Loire-Atlantique, mais à une époque antérieure à la loi de 2006. Le problème est que nous courons toujours derrière la législation ! Mais la concession a été accordée.

J'entends ce que vous dites, Jean-Paul Naud, sur la différence de traitement entre petites et grandes communes ; mais je pourrais vous opposer la différence entre petits et grands dérangements, pour ne pas dire délits, en citant Notre-Dame-des-Landes parmi les derniers. Les opposants au projet ne sont pas seuls sur place ; s'y trouvent aussi les zadistes, qui forment une population pour le moins particulière ! Constater que les choses ne se passent pas de la même façon selon que vous êtes puissant ou misérable, ce n'est pas nouveau : La Fontaine l'avait écrit !

Le projet est ancien, il a avancé, et ce serait très clairement une erreur dangereuse de revenir à Nantes pour la protection de la population, vu le comportement de certains pilotes. Il y a également une zone Natura 2000 au bout de la piste : le lac de Grand Lieu. Il y a donc des raisons objectives de déplacer l'aéroport.

M. Roland Courteau . - Combien d'agriculteurs sont favorables au projet et aux mesures de compensation ? Combien y sont hostiles ?

M. Julien Durand, administrateur et porte-parole de l'ACIPA . - Merci de revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire les mesures compensatoires, et non les zones de bruit. Nous disposons d'un seul document montrant la zone retenue par les porteurs du projet pour d'éventuelles mesures de compensation. Un protocole d'accord a été signé par la chambre d'agriculture, le conseil départemental et le préfet, mais il n'engage les agriculteurs à rien de concret. De notre côté, 80 paysans et propriétaires de quelque 8 000 hectares sur les 16 000 hectares de terrains qui entoureraient l'aéroport se sont engagés à ne pas souscrire à des mesures compensatoires pour ce projet. Du reste, l'agronomie est à peu près la même sur ces terrains. Comment, dès lors, compenser la perte de terres humides ? Mathématiquement, le compte n'y est pas. En tous cas, s'ils veulent respecter la loi, les porteurs du projet devront aller au-delà de ces 8 000 hectares, et proposer des surfaces plus importantes ou davantage d'unités de compensation. La mouture qui nous a été proposée est intellectuellement malhonnête. Pour nous autres paysans, un hectare doit valoir un hectare, et non des subdivisions qui ne tombent pas rond.

Si vous nous faites l'honneur de visiter la zone, nous vous accompagnerons en toute sécurité dans la partie Nord-Est, qui est la seule où des terrains soient disponibles pour aménager d'éventuelles mesures compensatoires, à l'intérieur de la zone des 1 650 hectares, et sur des terres humides. On nous propose d'y faire des mares à l'infini... Manqueront néanmoins les forêts qui auront été détruites, puisque l'aérogare doit être installée sur une forêt acquise par le conseil départemental sous la présidence de M. Trillard. Les contrats ont une durée de cinq ans, pour une concession de 55 ans, cherchez l'erreur... Quant à l'indemnité, nous n'en voyons pas la couleur !

M. Gérard Bailly . - Qui a choisi ce site ? Avant le protocole d'accord, les agriculteurs n'ont-ils jamais été réunis ? N'ont-ils eu aucun échange avec les porteurs du projet ? Combien d'hectares les porteurs du projet et les agriculteurs possèdent-ils respectivement ? Je suis moi-même agriculteur, et je connais bien ces sujets pour avoir été président de la chambre d'agriculture et du conseil général lors de l'élaboration du tracé de l'A 39, qui traversait tout le Jura, et de la ligne de TGV. Nous avions beaucoup discuté en amont avec les organisations agricoles et Réseau ferré de France (RFF), ou Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR).

M. Sylvain Fresneau . - Nous parlons de deux protocoles différents. Le protocole d'indemnités et d'éviction consiste en la signature d'accords amiables de vente de terres avec AGO-Vinci, et l'ADECA a veillé à ce que l'égalité soit respectée entre les différentes propriétaires.

M. Gérard Bailly . - Je voulais vous l'entendre dire.

M. Sylvain Fresneau . - Je parlais pour ma part du protocole d'accord sur les mesures compensatoires environnementales, au sujet desquelles nous n'avons à aucun moment été contactés.

M. Julien Durand . - C'est l'État qui est propriétaire des 1 650 hectares mis en concession, y compris pour le barreau routier, qui représente environ 200 hectares. À l'extérieur de cette zone, nous savons que l'État et AGO n'a encore rien acheté, car la Safer nous tient au courant des mutations agricoles.

M. André Trillard . - De quoi exactement AGO-Vinci est-elle propriétaire?

M. Julien Durand . - Nous avons été convoqués au tribunal comme propriétaires, par les services de l'État et la société AGO-Vinci qui agit pour le compte du ministère de l'écologie. C'est l'État qui est propriétaire des 1 650 hectares sur la ZAD. En 2003, les services du conseil général de Loire-Atlantique avaient déjà acquis 850 hectares avec un droit de préemption ; 150 hectares ont été négociés à l'amiable par AGO-Vinci auprès de plusieurs propriétaires, et 650 hectares ont fait l'objet de mesures d'expropriation.

M. André Trillard . - Ces 1 650 hectares ne correspondent pas exactement à la surface du futur aéroport. Un remembrement doit être fait.

M. Julien Durand . - Ils ont fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique signée le 9 février 2008 par M. Fillon. Les expropriations ont lieu à l'intérieur de ce périmètre, qui comporte la desserte routière et les infrastructures aéroportuaires.

Mme Geneviève Lebouteux . - Sur les documents fournis par AGO-Vinci figurent le périmètre de la ZAD, le tracé des pistes et la zone aéroportuaire. Une partie restera à l'état naturel pour servir, soi-disant, à la compensation.

M. André Trillard . - Une opération de remembrement est suspendue depuis des années.

M. Jean-Paul Naud . - Elle concerne plusieurs communes. À vrai dire, deux remembrements étaient prévus, pour le barreau routier et pour l'aéroport, mais elles ont été fusionnées. Le conseil départemental suit ce dossier, mais il n'a pas avancé depuis 2013, faute de progrès sur le projet d'aéroport lui-même.

M. Gérard Bailly . - Qui a choisi ce site ?

Mme Geneviève Lebouteux . - L'État, via l'organisme d'études et d'aménagement de l'aire métropolitaine (Oream).

M. Christophe Dougé . - En 1963.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Merci. Nous entendrons la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles, ainsi que les porteurs du projet, et nous nous rendrons sur le site en février. Nous y visiterons aussi bien les zones dont vous avez parlé que celles que nous proposeront les porteurs du projet.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci.

Audition de M. Patrick Jeantet, président-directeur général, M. Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable et Mme Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable au sein du métier accès au réseau de SNCF Réseau
(mercredi 18 janvier 2017)

Mme Sophie Primas, vice-présidente . - Mes chers collègues, je vous prie tout d'abord d'excuser notre président, Jean-François Longeot, qui n'a pas pu être présent cet après-midi mais qui sera là demain.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant SNCF Réseau.

Vous savez que nous nous sommes fixés pour objectif, dans le cadre de cette commission d'enquête, d'analyser plus en détails les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Ces projets en sont tous à un stade différent de mise en oeuvre de la compensation et devront ainsi nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC).

L'audition d'aujourd'hui doit ainsi nous permettre d'aborder plus spécifiquement le cas de la LGV Tours-Bordeaux, même si nous savons que c'est LISEA qui a été chargée de la mise en oeuvre des mesures de compensation. Nous devrions d'ailleurs les entendre dans deux semaines. Nous aborderons également aujourd'hui le sujet de la compensation d'un point de vue plus général, sur l'ensemble des projets qu'a à regarder SNCF Réseau.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, M. Bernard Torrin, directeur du développement durable, et Mme Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable au sein du métier accès au réseau. Vous êtes accompagnés de M. Jérôme Grand, directeur de cabinet et de Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Jeantet, M. Bernard Torrin et Mme Corinne Roecklin prêtent successivement serment.

Mme Sophie Primas, vice-présidente . - Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau. - SNCF Réseau est le concédant du projet de LGV Sud Europe Atlantique (SEA) entre Tours et Bordeaux. Nous avons également un projet à Notre-Dame-des-Landes dont une des options vise à connecter l'aéroport au réseau ferré national. À titre personnel, je n'ai pas de lien d'intérêt.

M. Bernard Torrin, directeur du développement durable. - Je n'ai aucun lien d'intérêt avec ces projets à titre personnel.

M. Corinne Roecklin, responsable environnement et développement durable . - Je n'ai pas non plus de lien d'intérêt avec ces projets.

Mme Sophie Primas, vice-présidente . - Je vous remercie et vous laisse la parole.

M. Patrick Jeantet. - Merci de nous permettre d'échanger sur ce sujet, qui est majeur pour SNCF Réseau, car nous sommes un maître d'ouvrage important en matière d'infrastructures ferroviaires. Nous sommes également un acteur responsable, conscient des impacts en matière d'environnement, respectueux des lois mais également volontaire, notamment en matière de recherche sur la biodiversité. Les enjeux que vous examinez sont importants pour la faisabilité des projets et les options à prendre, ainsi que les coûts liés à l'évitement, à la réduction et à la compensation.

Avant de parler de la biodiversité, je souhaiterais évoquer la politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), dans laquelle la SNCF est très impliquée. Lors de la COP 21, nous avions organisé une grande manifestation avec les acteurs internationaux du développement durable. En matière sociétale, la fondation SNCF concrétise la dimension citoyenne de la SNCF, avec trois axes, consacrés à l'illettrisme, la culture et la solidarité. 1 500 agents de la SNCF sont impliqués auprès d'associations sur ce dernier point. Par ailleurs, dans le cadre du contrat de performance avec l'État, nous avons pris des engagements pour mettre en accessibilité l'ensemble de nos gares.

La biodiversité est un de nos 16 engagements de RSE. À ce titre, nous développons l'écoconception de nos projets. Les projets de lignes nouvelles ont un impact indéniable sur la biodiversité.

Ce sujet est pris très au sérieux, dans ses trois composantes : éviter, réduire et compenser. Le réseau de 30 000 km que nous exploitons a été largement conçu avant la loi de 1976 et n'a donc pas été soumis à une réglementation en la matière. C'est essentiellement le réseau de LGV, développé depuis les années 1980 et d'environ 2 000 km, qui a été progressivement soumis à ces règles.

Nous avons un système en entonnoir, avec des études progressives jusqu'au tracé final. À chaque étape, nous examinons les impacts sur la biodiversité. La réduction intervient surtout par la création de passages d'un côté à l'autre des voies ferrées. Pour la LGV Est européenne, inaugurée en 2016, nous avons construit 70 passages pour le grand gibier et 110 à 115 passages pour le petit gibier. Pour les projets plus récents, comme la LGV SEA, les passages sont plus nombreux : environ un par kilomètre. La compensation s'accélère. SNCF Réseau est responsable d'environ 900 hectares pour des mesures de compensation.

En termes de chiffres, nous avons donc 30 000 km de lignes, qui représentent environ 50 000 km de voies. Nous avons 90 000 hectares de dépendances vertes, qui nous appartiennent, mais qui sont situés en dehors de la plateforme. S'agissant de la plateforme elle-même, pour une LGV, on consomme en moyenne 10 hectares au kilomètre, avec une plateforme d'environ 15 mètres de large. Les infrastructures totales peuvent donc représenter un ordre de grandeur d'environ 300 000 hectares, auxquels il faut ajouter les 90 000 hectares de dépendances vertes. La majorité du linéaire a été construite au XIXe siècle, et les lignes construites après 1976 correspondent essentiellement aux LGV.

Indéniablement, les milieux sont fragmentés par les lignes ferroviaires. Mais elles n'engendrent pas que des effets négatifs. À travers le programme TRANS-FER (Transparence écologique des infrastructures ferroviaires), nous constatons que les lignes ferroviaires peuvent avoir des effets positifs, notamment longitudinaux. Les lignes sont des corridors de biodiversité. Les effets négatifs doivent bien entendu faire l'objet d'évitement, de réduction et de compensation. Mais ces corridors créent et alimentent la biodiversité.

Nous agissons sur le réseau existant pour favoriser la biodiversité et limiter l'impact de ce réseau. Nous travaillons en particulier sur les continuités écologiques, en matière de cours d'eau notamment. Par une charte, nous nous sommes engagés à rétablir 100 % des continuités hydro-écologiques d'ici 2025 sur l'ensemble du réseau. Nous avons un partenariat en matière d'éco-pâturage avec l'Office national des forêts (ONF) pour privilégier une gestion différenciée de la végétation, comme l'implantation de mélanges de mellifères sur les talus. Sur les voies anciennes inutilisées, nous avons des partenariats avec les collectivités territoriales pour développer des voies vertes ou le vélo-rail.

Nous contribuons également à l'évolution de la connaissance, notamment par le programme TRANSFER, en contribuant à des associations, organismes et programmes de recherche, pour mieux connaître la biodiversité et se former collectivement, afin de développer les compétences en la matière.

Nos partenaires sont nombreux, comme France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Avec FNE, nous avons notamment élaboré un guide commun sur la biodiversité.

Concernant la méthode suivie pour nos projets, essentiellement le programme LGV, nous avons différentes phases : des études préalables, un débat public, puis des études précédant l'enquête publique. À partir de zones assez larges, nous nous recentrons sur des faisceaux, puis sur le tracé, qui fera finalement l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). À chaque phase, nous prenons en compte les enjeux de biodiversité, principalement dans une approche d'évitement. Plusieurs LGV ont ainsi vu leur tracé prévisionnel dévié pour éviter des forêts ou des habitats, comme la LGV Méditerranée, avec un changement de tracé d'environ 2 km pour des espaces de nidification d'aigles royaux. Si l'on souhaite éviter des atteintes, il faut intervenir à ce stade préalable, avant que le tracé ne soit défini.

Comme je le disais, nous avons environ 900 hectares de compensation. Les mesures de compensation s'accroissent avec le temps. Pour la ligne nouvelle (LN) 1, il n'y avait pas à proprement parler de compensation ; pour la LN 5 Méditerranée, mise en service en 2001 et qui fait 250 km, nous avons environ 90 hectares pour la compensation ; pour la LN 7 Est européenne, inaugurée en 2016 et qui fait 400 km, nous avons 340 hectares.

S'agissant des projets en cours de construction, sous forme de partenariats public-privé (PPP) ou de concessions, comme la ligne SEA, la ligne Bretagne Pays-de-la-Loire (BPL) ou la ligne de contournement Nîmes-Montpellier (CNM), les mesures sont encore plus élevées. Pour la ligne SEA, 3 500 hectares sont nécessaires, pour 302 km de ligne. La demande de compensation s'est accrue, avec certaines difficultés nouvelles.

Il ne nous semble pas déraisonnable d'évaluer les coûts de la compensation dans une fourchette comprise entre 5 et 10 % du total d'une opération. Mais il faut reconnaître que nous avons des difficultés à les estimer précisément car ils n'ont pas été précisément suivis par le passé. C'est sans doute un point sur lequel il faudrait progresser à l'avenir. Cela dépend aussi de l'évitement et de la réduction qui ont précédé. L'évitement est particulièrement difficile à chiffrer. La réduction est plus simple à évaluer, lorsque l'on crée des aménagements comme des passages. Mais il faut également prendre en compte la durée croissante des mesures car elle augmente les coûts d'entretien. Nous ne sommes pas encore assez armés pour donner des chiffres fiables.

Je souhaiterais évoquer maintenant quelques difficultés que nous rencontrons sur le terrain. La compensation a pris un rôle important, peut-être trop important. Nous avons des problèmes de disponibilité du foncier, notamment sur la SEA, que LISEA pourra présenter plus en détail. Par le contrat de concession, c'est LISEA qui est responsable de toutes les conséquences liées aux autorisations qu'ils ont obtenues pour réaliser le projet, en particulier en matière de biodiversité. L'exigence de proximité accroît cette difficulté. Si l'on traverse le marais Poitevin, identifier des terrains libres à proximité est un problème.

Nous manquons d'outils à ce sujet. La DUP ne couvre pas les terrains de compensation. Il faut donc convaincre au niveau local et la construction d'une relation de confiance avec les acteurs du territoire, en particulier le monde agricole, est importante, vu l'ampleur de la compensation. La création des obligations réelles environnementales par la loi biodiversité est un point très positif, dont nous attendons l'application.

L'anticipation de la réalisation des compensations est un autre enjeu. Tant que le projet n'est pas définitivement confirmé, on ne mène pas de compensation. Elle intervient en aval du processus et se heurte parfois à des difficultés foncières. Anticiper ces enjeux, dès les premières phases du projet, par exemple par la réalisation de réserves foncières, serait intéressant, même si financer la compensation sans certitude sur la réalisation du projet peut être un autre problème.

Nous avons également des difficultés à trouver des partenaires, non seulement pour trouver des terrains accueillant les mesures de compensation, mais également pour gérer ces espaces naturels, car ce n'est pas notre métier. Deux catégories de partenaires sont importantes : les gestionnaires d'espaces naturels - comme les syndicats mixtes, les conservatoires d'espaces naturels - qui peuvent suivre et coordonner le programme de mesures, et les exploitants agricoles qui peuvent mettre en oeuvre les mesures sur les parcelles. La professionnalisation de toutes ces activités restent en cours.

Le dernier point important est la confiance et l'anticipation. L'évolution législative et réglementaire est importante ces vingt dernières années. L'ensemble du processus pour réaliser une LGV prend environ 20 ans. Le changement des normes peut créer de l'incertitude pour le porteur d'un projet. Par ailleurs, suivant les régions, les demandes de compensation sont très variées et hétérogènes, pour un même sujet ou pour des sujets proches. Nous serions désireux d'une uniformisation des règles en matière de compensation. À ce jour, nous avons des difficultés à anticiper les mesures nécessaires et les coûts.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous remercie pour vos propositions, qui rejoignent plusieurs de nos préoccupations.

Concernant les ruptures qu'entraînent les voies, vous avez parlé d'études sur les corridors qu'elles créent. Mais avez-vous mené des analyses pour mieux connaître les impacts sur le morcellement des habitats ? Par ailleurs, n'y a-t-il pas une tentation pour la SNCF de multiplier les grillages sur les lignes existantes, en vue d'éviter les collisions avec les animaux ? Enfin, toujours sur ce sujet, il y a également une coupure chimique, qui s'ajoute à la coupure physique, sur le tracé de la voie. Intégrez-vous cette coupure dans votre stratégie ?

Vous avez également évoqué l'hétérogénéité des mesures entre les différentes régions. Qu'il y ait une règle commune en matière d'équivalence écologique est de bon sens. Mais qu'en est-il des contrôles effectués par l'État ? J'aimerais à ce titre que vous puissiez préciser la répartition des responsabilités entre SNCF Réseau et votre concessionnaire.

Enfin, pouvez-vous donner votre sentiment sur l'avancement des travaux sur la LGV Tours-Bordeaux, et sur Notre-Dame-des-Landes ? Pour ce dernier projet, avez-vous déjà travaillé sur les besoins de compensation ?

M. Patrick Jeantet . - Nous entretenons d'excellentes relations avec l'État, avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en particulier, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. Le sujet important, pour l'État comme pour nous, est celui de la formation des personnels. Vu l'ampleur du sujet, trop peu de gens sont suffisamment formés : nous en avons quelques-uns, il y en a aussi à la DREAL, mais globalement pas assez. Je pense qu'il faut faire un effort pour développer cette formation.

Je ne jugerai pas le contrôle par l'État. Je pense qu'il contrôle effectivement, mais a-t-il vraiment tous les moyens pour le faire ? C'est une question que l'on peut se poser.

Concernant la ligne SEA, je vous confirme qu'en tant que maître d'ouvrage, nous sommes tenus de contrôler que notre concessionnaire respecte les engagements qu'il a pris au titre du contrat. C'est une relation contractuelle tout à fait classique. En l'occurrence, LISEA s'est engagé, entre autres choses, à assumer toutes les conséquences environnementales des différentes autorisations obtenues - il y en a plus de 69, même si toutes ne concernent pas la biodiversité - et à mettre en oeuvre les mesures de réduction et de compensation. Nous avons l'obligation de contrôler notre concessionnaire, et nous le faisons régulièrement Nous avons mis en place des méthodes pour nous assurer que le sujet des compensations est pris très au sérieux par notre concessionnaire.

M. Bernard Torrin . - Je souhaite revenir sur la question des coupures. Parmi les impacts des infrastructures ferroviaires sur la biodiversité, on compte notamment la consommation d'espace du fait même de l'existence de l'emprise et la destruction éventuelle d'habitats et d'espèces. Le sujet principal reste néanmoins celui de la fragmentation des habitats par l'infrastructure. Pour répondre à votre question, je propose de détailler le projet TRANS-FER que le président a évoqué tout à l'heure.

Ce projet dit TRANS-FER, lancé dans le cadre de l'appel à projets de la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) et mené entre 2011 et 2014 en partenariat avec le Muséum national d'histoire naturel, le CNRS, Ecosphère et le ministère de l'environnement, s'est intéressé à la fragmentation de l'espace par les infrastructures ferroviaires. Nous avons regardé la transparence de quatre tronçons de voies, sur ligne classique et sur ligne à grande vitesse, pour cinq groupes taxonomiques différents. Les études ont prouvé que les infrastructures ferroviaires ne créent pas d'effet de barrière infranchissable. En revanche, on a constaté un effet de filtre sur certaines espèces, qui s'amplifie avec le temps. La conclusion des études est claire : « La plupart des groupes faunistiques adaptent leur comportement en traversant les sections courantes lorsque celles-ci ne sont pas hermétiquement closes, et empruntent les ouvrages existants, spécifiques ou non : passages grande faune, passages agricoles, routes, rétablissements routiers, barrages hydrauliques, buses sèches, etc. » On a souvent l'image d'une infrastructure linéaire infranchissable ; les études scientifiques ont bien montré, et c'est important, que la fragmentation n'est pas irrémédiable.

Les clôtures sont évidemment un élément de difficulté particulier en termes de fragmentation. Il est vrai qu'aujourd'hui, nos lignes à grande vitesse sont clôturées, pour des raisons de sécurité. Nous avons énormément d'introduction de gibier (sangliers, chevreuils) sur nos emprises, avec des impacts importants en termes de sécurité et de régularité. Mais parallèlement, nous avons réalisé des passages pour la faune. Pour limiter les impacts des clôtures, nous menons également plusieurs actions, avec les fédérations de chasse et les associations de protection de l'environnement notamment, sur la maîtrise de la végétation par exemple, ou l'installation de dispositifs techniques, comme des toboggans, qui permettent aux animaux rentrés de ressortir plus facilement de l'emprise.

Vous avez évoqué les corridors écologiques. SNCF Réseau est l'un des membres fondateurs du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B), qui regroupe l'ensemble des grands maîtres d'ouvrage des infrastructures linéaires. Le CIL&B et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) France ont mené, fin 2014, une grande étude sur le thème « Corridors d'infrastructures, corridors écologiques ? ». Cette étude s'est achevée sur un séminaire au cours duquel les débats ont été nombreux. Je vous en livre la conclusion in extenso : « Les travaux confirment que la contribution des infrastructures de transports et leur emprise peut être possible en faveur de la biodiversité si un ensemble de précautions sont prises pour éviter les atteintes et aménager les espaces de manière optimale. » Là encore, c'est peut-être un préjugé qui est levé : oui, si l'on est attentif à la maîtrise de la végétation, à la gestion des clôtures et que l'on noue des partenariats avec les associations qui connaissent la faune et la flore, on peut faire des infrastructures linéaires des espaces à impact positif sur la biodiversité.

Vous nous interrogez également sur le traitement chimique des voies. Pour assurer la maîtrise de la végétation de nos voies, nous faisons appel à des méthodes à la fois mécaniques et chimiques. Sur la plateforme, notre objectif « zéro végétation » est tiré par des critères de sécurité : au même titre que sur les routes, cela est nécessaire pour voir les signaux, assurer la surveillance des installations, le dispositif de retour de courant, et la stabilité de la plateforme. Aux abords des voies, nous avons une règle de gestion plus raisonnée. Cependant, nous avons des pistes le long des voies, qui permettent le cheminement de nos personnels, des services de secours, mais également des clients en cas de transbordement par exemple. Ces contraintes nécessitent une bonne maîtrise de la végétation. Sur les 30 000 km de voies du réseau, nous utilisons des traitements phytopharmaceutiques qui ont été optimisés : depuis 10 ans, nous avons divisé par trois la quantité de produits utilisés ; nos personnels sont formés. Nous avons également développé des méthodes innovantes : nos trains désherbeurs sont équipés de GPS, ce qui permet de couper l'épandage de produits phytopharmaceutiques au droit des cours d'eau ou près d'une zone de captage d'eau potable. Nous sommes en conformité avec tous les arrêtés préfectoraux en la matière. Au final, nous utilisons moins de 1 % des produits phytopharmaceutiques consommés en France, et toujours dans une optique de réduction et de maîtrise des risques. Sur ce sujet, des débats d'experts sont toujours possibles ; pour notre part, nous considérons qu'en raison de toutes les actions que nous menons, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques n'a pas d'impact sur la biodiversité sur nos lignes.

Enfin, sur le sujet de la SEA, je précise qu'au titre de nos responsabilités, nous participons aux comités de suivi entre les services de l'État et LISEA. Nous avons également des comités de suivi propres avec le concessionnaire, dont l'un porte sur les mesures compensatoires, ce qui nous permet de vous livrer en toute transparence des chiffres identiques à ceux de LISEA. Nous assurons un suivi « au fil de l'eau » de la qualité des chantiers et de leur avancement en termes de mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment expliquez-vous la condamnation de COSEA en décembre dernier pour plusieurs manquements aux réglementations en vigueur, et notamment l'absence de filtres pour la qualité des eaux, pourtant bien prévus dès le départ ? Quel bilan tirez-vous de cette condamnation ? Avez-vous assuré un suivi suffisant ? L'État a-t-il rempli ses obligations ?

M. Bernard Torrin . - LISEA en parlera mieux que nous, mais on a effectivement pu constater quelques petits soucis au démarrage. Nous avons notifié à LISEA les manquements que nous avions observés. Ces quelques erreurs impardonnables ont été sanctionnées. Il y a eu une très bonne réaction des équipes, en termes d'organisation, de moyens, de compétences pour une mise en conformité très rapide. Depuis de très nombreux mois, les observations que nous pouvons avoir sont minimes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez parlé du montant des travaux. C'est un point important. Les condamnations prononcées étaient de l'ordre de 40 000 euros. Vous qui connaissez à peu près le montant des travaux, pensez-vous que ces amendes sont dissuasives pour des filiales de grands groupes comme Bouygues et Vinci, ou est-ce qu'au final, cela reste une économie par rapport au fait de prendre toutes les mesures en amont ?

M. Bernard Torrin . - J'ai du mal à m'exprimer sur le sujet. Je n'ai pas le sentiment que LISEAait cherché à faire des économies en prenant le risque de la pénalité ou de l'amende. Nous travaillons avec un partenaire responsable.

M. Patrick Jeantet . - Je pense aussi qu'au-delà du risque purement financier, il y a un risque d'image. Un groupe de la taille de Vinci fait attention à son image, car il en a besoin en France mais également à l'international. Afficher un non-respect volontaire des réglementations en matière d'environnement pourrait lui nuire. Vous poserez la question aux représentants de LISEA, mais je pense que l'image est un élément important.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comme vous l'avez dit, vous êtes chargés de veiller au bon déroulement de la concession et au respect des réglementations en matière d'environnement. Suite au problème sur la concession, c'est bien votre part de suivi et d'intervention que j'interroge.

M. Patrick Jeantet . - Le suivi du chantier est assuré par les services du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ils effectuent des visites régulières pour contrôler l'atteinte des objectifs environnementaux. Nous allons, cette année, réceptionner les travaux : le CEREMA poursuivra sa mission dans cette nouvelle phase pour contrôler toutes les obligations liées au projet, et pas uniquement les obligations opérationnelles.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je n'ai pas eu de réponse sur le projet « liaisons nouvelles Ouest Bretagne - Pays de la Loire » (LNOBPL) : quels sont les besoins en compensation ? Quelles solutions sont possibles ? La réglementation européenne impose l'intégration de la totalité des projets dans un projet unique. Avez-vous été en mesure de fournir des données à l'État ?

Mme Corinne Roecklin . - LNOBPL est un projet émergent, dont le débat public s'est achevé il y a tout juste deux ans. Aujourd'hui, on est en phase post-débat public. Le travail sur les différents scénarios possibles pour répondre aux fonctionnalités du projet continue. L'une des fonctionnalités envisagées est la desserte éventuelle de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais les deux projets n'en sont pas au même niveau de définition : LNOBPL est une idée de projet - il reste près de vingt ans d'études, alors que Notre-Dame-des-Landes est un projet plus abouti. Actuellement, nous recensons un ensemble d'enjeux environnementaux, afin de dessiner des options de passage possibles pour desservir le site de l'aéroport, mais pas seulement. Aujourd'hui, nous sommes vraiment dans la phase d'évitement des enjeux majeurs, porteurs de risques forts. LNOBPL n'a pas encore de tracé, on ne peut donc pas savoir quels seront les impacts résiduels qu'il faudra compenser.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La Commission européenne demande d'avoir une vision globale du projet, y compris des dessertes. L'État ne vous a donc pas encore demandé de données sur les besoins en compensation de la desserte de Notre-Dame-des-Landes ?

Mme Corinne Roecklin . - Non, parce qu'on ne les connaît pas... On ne sait pas où va passer le projet.

Mme Évelyne Didier . - Vous avez précisé que la DUP ne couvre pas la compensation. Avez-vous des propositions à faire à ce sujet ? Est-il crédible ou utopique d'envisager l'intégration de la maîtrise foncière des surfaces de compensation à la DUP ?

Vous avez évoqué la question des produits phytopharmaceutiques. Nous pouvons tous constater en prenant le train que des plantes - j'évite le terme de « mauvaises herbes » car on me répond toujours que cela n'existe pas ! - poussent le long des voies. Jusqu'ici, le regard que nous portions sur ce phénomène était négatif. Dans certains pays, comme la Suisse, cette végétation ne dérange plus depuis longtemps, mais j'ai l'impression que nous n'en sommes pas encore tout à fait là. Avez-vous des campagnes de communication en direction des voyageurs et des riverains pour préciser que cette végétation n'est ni gênante, ni esthétiquement déplorable ? Avez-vous cette volonté d'éduquer ?

Concernant les différences de pratiques dans l'application des règlements en fonction des régions, comment pourrions-nous régler ce problème et uniformiser les pratiques ? À travers des textes ? Des rencontres ? Des formations ?

Enfin, vous avez évoqué le contrôle de l'État. La concession est un contrat très particulier. Pour les concessions autoroutières, tous les coûts sont prévus dans le contrat. D'ailleurs, les sociétés d'autoroutes, que nous avons entendues dans le cadre de cette commission d'enquête, ont à peine compris les questions que nous leur avons posées sur les coûts des compensations : conscients que l'environnement est malheureusement souvent le dernier sujet traité dans les projets, nous laissions entendre que la compensation pouvait n'être traitée que lorsqu'il reste de l'argent dans un programme.

Dans le domaine ferroviaire, le principe de la concession est nouveau. À votre avis, tous les projets désormais seront-ils réalisés en PPP ou exploités via un contrat de concession ? Ces options ont un certain coût pour le contribuable. Quels avantages et quels inconvénients voyez-vous à ces concessions ?

M. Roland Courteau . - Vous avez dit que les corridors créent et alimentent la biodiversité. J'aimerais que vous soyez plus précis sur ces deux expressions qui m'ont interpellé.

Ma seconde question concerne le projet de ligne à grande vitesse Montpellier-Perpignan, qui est le chaînon manquant de cette grande ligne reliant Paris à Barcelone : avez-vous un ordre de grandeur des mesures de compensation ?

M. Gérard Bailly . - Mon département a été traversé, il y a quelques années, par la LGV Rhin-Rhône. J'étais à l'époque président du conseil général, et les choses se sont relativement bien passées au niveau des compensations.

J'ai pris la parole pour réagir à ce qui a été dit par notre collègue Evelyne Didier sur les mauvaises herbes : je m'excuse, mais le paysan que je suis estime qu'il y a des mauvaises herbes ! Certains gardent des chardons sur leurs terrains. Mais les chardons, ça vole ! Qu'ils aillent ensuite les ramasser dans nos champs de blé ou dans les prés où nos vaches pâturent ! C'est pour cela que je n'admets pas que l'on dise qu'il n'y a pas de mauvaises herbes !

M. Patrick Jeantet . - Sans trancher sur l'opportunité des contrats de concession, il me semble que l'un des points durs les plus importants est la forte instabilité interrégionale et la variabilité des demandes de compensation d'une région à l'autre. Quel que soit le groupement auquel la concession est confiée, l'important, c'est la prévisibilité.

Mme Évelyne Didier . - Cette prévisibilité, à qui ou à quoi tient-elle ?

M. Patrick Jeantet . - La prévisibilité est importante quel que soit le domaine. En matière de biodiversité, elle concerne le niveau de compensation qui sera demandé. Lorsqu'on est dans l'inconnu, on tend naturellement à maximiser le risque. Si l'imprévisibilité actuelle continue, les réponses aux appels d'offres des concessionnaires deviendront financièrement très élevées, par peur du risque. D'où l'importance de votre question sur les raisons de ces différences régionales. Je ne suis pas un expert, mais j'ai tendance à croire qu'elles tiennent à la jeunesse de la science de la biodiversité : comme elle manque de maturité, les expertises et l'appréciation des problèmes varient encore beaucoup d'une personne à l'autre.

Créer une filière universitaire permettrait d'approfondir les recherches en matière de biodiversité, et leurs applications industrielles. Cela favoriserait peut-être l'émergence d'un certain consensus.

Mme Sophie Primas . - Sur un même projet, deux experts peuvent avoir des appréciations totalement différentes ?

MM. Patrick Jeantet et Bernard Torrin . - Absolument !

M. Bernard Torrin . - La biodiversité n'est pas une science exacte, et le domaine n'a pas encore été complètement exploré. Nous manquons donc de connaissances. Nous participons, au travers de nos différents partenariats, aux travaux de recherche. Pour l'instant, les écologues, les services de l'État et les maîtres d'ouvrage peuvent avoir des appréciations très variables.

Revenons un instant sur le sujet de la DUP. La maîtrise foncière est bien la clé de voûte de la compensation. Elle le sera d'autant plus que les volumes de compensation deviennent substantiels et doivent être mis en oeuvre sur des territoires où la pression foncière est forte. Nous ne proposerons pas de rendre « DUPables » les mesures compensatoires, car cela nous semble excessif pour ceux qui seraient alors contraints de nous céder leurs emprises. Les partenaires agricoles ont dû vous parler de la « double peine »... En revanche, nous souhaitons vivement trouver des outils qui permettent de rendre les mesures de compensation accessoires de l'infrastructure - peut-être les décrets d'application de la loi biodiversité le permettront-ils. Il faut trouver les moyens juridiques qui nous permettent de dégager assez facilement des solutions. Nous pensons que l'une des clés de la réussite réside dans une démarche territoriale, en partenariat très étroit avec le monde agricole, les conservatoires des espaces naturels, les chambres d'agriculture... Cette proximité territoriale, si elle est nécessaire, n'est pas pour autant suffisante. Nous avons besoin d'outils juridiques, mais la DUP ne nous semble pas forcément adaptée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous une idée plus précise de l'outil juridique idoine ? Plusieurs des intervenants que nous avons entendus jusqu'ici trouvaient que la meilleure solution consistait à intégrer les mesures compensatoires à la DUP. Vous avez visiblement une opinion différente. Comment voyez-vous les choses ?

M. Bernard Torrin . - Aujourd'hui, la mesure compensatoire doit être mise en oeuvre au plus près de l'infrastructure. Sans être écologue, on comprend que cette proximité est importante. Pour autant, et la loi biodiversité le permet, je pense qu'il faut également explorer les concepts d'unité d'équivalence et de zones de compensation.

SNCF Réseau est propriétaire de 90 000 hectares de dépendances vertes. Toutes ne sont pas des paradis pour la biodiversité, loin s'en faut ; mais un certain nombre d'espaces sont des réservoirs de biodiversité et pourraient être le support de compensations, que ce soit pour nos projets ou pour ceux d'autres aménageurs. La démarche de CDC Biodiversité est également intéressante.

SNCF Réseau est très attaché à cette idée de proximité territoriale, mais il faut pouvoir la compléter par d'autres approches.

Parmi les outils dont nous disposons, l'obligation réelle environnementale, créée par la loi biodiversité, a introduit une certaine servitude qui peut éventuellement permettre de répondre à la question de la gestion des mesures sur le long terme : comment garantir que l'exploitant agricole ou le propriétaire assurera les mesures compensatoires sur une durée de 30 ou 50 ans ? Il faut consolider cette capacité à garantir dans le temps les mesures de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous arrivons sur un point important, celui des actifs. Dans la plaine de la Crau, acquérir et entretenir les surfaces de compensation revient à environ 50 000 euros par hectare ; en zone humide, nous sommes aux alentours de 100 000 euros par hectare. Ces coûts sont-ils acceptables sur les projets, ou sont-ils trop élevés ?

Vous nous avez également fait part de vos difficultés à assurer l'entretien dans la durée. Là aussi, n'est-ce pas tout simplement une question de moyens ? Si vous augmentez le coût du dédommagement à l'hectare, ne trouverez-vous pas plus d'agriculteurs favorables et enclins à suivre les mesures sur la durée ? Êtes-vous prêts à y réfléchir ou est-ce un point sur lequel le concessionnaire et vous refusez de transiger ?

M. Bernard Torrin . - Nous assurons actuellement l'entretien et le suivi d'environ 1 000 hectares de compensation. Il suffit de s'organiser et de développer les budgets. Mais nous n'avons que 1 000 hectares... Si demain, nous arrivons à des volumes plus importants dans des zones où la pression foncière est plus lourde, cela peut avoir des impacts considérables sur le coût du projet. 50 000 euros à l'hectare, c'est un chiffre qui inclut l'acquisition du foncier, les travaux et le suivi dans le temps des mesures. Il est évident que les mesures compensatoires ont un coût. Cependant, ce coût n'est pas révélateur de l'efficacité écologique des mesures : il faut être attentif à ne pas se laisser enfermer dans cette logique. Ce n'est pas parce que l'on paie plus cher que la biodiversité en retire plus de bénéfices !

Mme Sophie Primas . - Vous attisez notre curiosité. Avez-vous des exemples et des contre-exemples de ce rapport entre coût et efficacité ?

M. Bernard Torrin, directeur de l'environnement et du développement durable . - Nous avons quelques exemples, mais nous manquons encore de recul. La mutualisation des mesures compensatoires sur un même terrain, dont nous n'avons pas beaucoup parlé, permet de diminuer les coûts globaux. Nous parvenons parfois à conclure des partenariats sur des mesures simples et peu coûteuses, comme le fauchage tardif. Tout dépend de l'exigence de la mesure de compensation attendue.

Je suis peut-être iconoclaste, mais il faut s'interroger sur la possibilité d'assurer la compensation sur le réseau existant. Il faut trouver d'autres pistes de compensation, plus globales. SNCF Réseau, comme d'autres gestionnaires, a une infrastructure très importante sur le territoire national. Pourquoi ne pas profiter de ce réseau pour améliorer la continuité écologique au titre de la compensation d'un autre projet ? Certes, en procédant de la sorte, on va peut-être sacrifier l'outarde canepetière au profit de la continuité écologique du vison d'Europe. Mais à s'enfermer dans le tout-local, on va, si ce n'est déjà fait, atteindre nos limites.

M. Jérôme Bignon . - Vous avez tenu des propos intéressants, mais qui m'ont paru contradictoires.

Les 90 000 hectares que vous appelez « dépendances vertes » et sur lesquelles vous souhaitez développer la compensation me semblent, pour circuler régulièrement en train, être davantage des friches que des futurs outils d'exploitation du réseau. Ces friches sont peu présentes autour des lignes TGV mais sont devenues légion sur les lignes plus anciennes. C'est certainement sur ces territoires qu'il faut agir.

Vous nous dites d'ailleurs qu'il serait peut-être intéressant d'utiliser ces friches. Mais à partir du moment où l'on accepte de délocaliser la compensation, pourquoi s'arrêter aux friches de la SNCF ? Il y a des centaines, des milliers d'hectares de friches en France qui dénaturent nos territoires. Ces friches sont le résultat d'un passé industriel glorieux mais qui s'est mondialisé et délocalisé. Il a fait souffrir la biodiversité, et nous restons sans solution pour ces territoires. L'ADEME avait entamé un travail de transformation de ces friches qui n'a pas été poursuivi et je ne vois pas de solution dans l'immédiat. Ce serait vraiment intéressant de mettre en rapport les surfaces de friches qui sont abandonnées et celles créées pour la compensation en démembrant des terres agricoles de bonne qualité... Tout cela a un côté très shadokien !

Le principe de proximité voudrait que l'on réimplante des espèces de grenouille à proximité immédiate de leur habitat initial, afin de recréer des conditions de vie strictement identiques. Est-on certains qu'il s'agit-là de la solution la plus adaptée pour les grenouilles ? Rien n'est moins sûr. On se refuse pourtant à avoir une réflexion plus pragmatique qui consisterait, en priorité à résorber les friches. Cela permettrait de recréer de la biodiversité de façon intelligente, mais coûteuse pour les porteurs de projets et de façon plus efficace pour la collectivité. Car les hommes et les femmes qui vivent à proximité de ces friches seraient heureux de les voir restaurées.

Je ne mets pas en cause la SNCF, mais je crois que le système conduit à faire naître des friches, puis à les laisser mourir tout en essayant de créer de la biodiversité ailleurs. J'ai été un peu long, et je m'en excuse mais je voulais apporter ma contribution et exprimer mon indignation.

M. Patrick Jeantet . - Je pense qu'il faut continuer à compenser localement, tout en ayant la possibilité de compenser ailleurs, et ce d'autant plus qu'on constate une augmentation des demandes de compensation par rapport à des projets menés il y a 5 ou 10 ans.

Pour les projets tels qu'ils sont aujourd'hui, nous allons vers des situations de plus en plus difficiles.

Sur la ligne SEA, 25 000 hectares de compensation ont été demandés au titre des différents arrêtés. Nous en avons mutualisé un certain nombre et, au final, 3 500 hectares de compensation seront mis en oeuvre. Ce chiffre est très nettement supérieur à ce qui avait été demandé lors de la construction de la ligne à grande vitesse est-européenne vers Strasbourg, puisque nous avions alors compensé 340 hectares. Dans le marais poitevin, il sera très compliqué de dégager les surfaces nécessaires pour les mesures de compensation. Trouver d'autres terrains, d'autres mécanismes, permettrait de compléter la compensation locale. Il ne s'agit en aucun cas d'exclure cette première approche, mais bien de voir s'il est possible de s'ouvrir à la seconde.

M. Jérôme Bignon . - Merci pour ce message d'espérance.

M. Bernard Torrin . - Je voudrais répondre sur la façon dont nos infrastructures « créent » et « alimentent » la biodiversité. La maîtrise de la végétation le long des voies ferrées, et en particulier sur les talus et accotements, est assurée de manière raisonnée. Nous avons développé des partenariats avec l'ONF et la LPO pour développer de bonnes pratiques, par exemple en évitant de faucher pendant les périodes de nidification. De ce fait, les abords des voies sont certainement plus sauvegardés que certaines exploitations agricoles intensives, qui se trouvent de part et d'autre de nos emprises ferroviaires. Au final, nous avons la chance d'avoir de longs linéaires, aux abords bien traités, dans lesquels la biodiversité ordinaire s'installe, se crée et s'alimente. On a vu des plantes protégées apparaître, le lézard des murailles se développer.

Le terme coupure chimique ne me paraît pas adapté. En réalité, il n'y a pas de coupure chimique : il y a un traitement chimique de la plateforme qui est raisonné - les doses employées sont inférieures à celles utilisées dans le monde agricole. Nos espaces, globalement protégés, permettent l'installation et la prospérité de la biodiversité ordinaire.

M. Patrick Jeantet . - S'agissant de la LGV Montpellier-Perpignan, nous sommes dans une phase d'études préliminaires.

M. Roland Courteau . - Cela dure tout de même depuis trente ans...

M. Patrick Jeantet . - Je le sais, mais c'est l'état actuel des choses. Nous sommes en train de redémarrer les études sur cette ligne et, à ce stade, je ne peux pas vous répondre sur les mesures de compensation car nous ne les connaissons pas encore. Elles dépendront notamment de la capacité d'évitement, et donc du tracé détaillé, qui n'est pas connu à ce jour.

M. Bernard Torrin . - Sur la sensibilisation des riverains et des élus, je vous confirme que nous menons des actions. Nous avons réalisé récemment une « fiche réflexe », qui explique nos pratiques de manière très pédagogique. Nous utilisons cette fiche dans notre dialogue territorial de concertation avec les élus, et en amont d'opérations importantes de traitement de la végétation. Être plus transparents sur nos actions fait partie de nos responsabilités. Nous essayons d'expliquer les choses pour démystifier un certain nombre de sujets : le traitement chimique ou encore la présence normale de la végétation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Aujourd'hui, les Anglais ont choisi d'utiliser ce qu'ils appellent les brownfields , les friches, pour faire de la compensation : je désartificialise un hectare de friche pour compenser une artificialisation en zone naturelle. Le potentiel est important, mais avec le coût de dépollution des sols, n'est-il pas au final plus cher que la compensation telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui ?

Quels coûts d'entretien des zones de compensation vous semblent acceptables ? Est-ce qu'une fourchette de 1 000 à 2 000 euros par hectare vous paraît raisonnable ? Nous avons besoin d'ordres de grandeur. Vous avez 3 500 hectares de zones de compensation sur la LGV Tours-Bordeaux - ce qui ne paraît d'ailleurs pas si considérable, puisque cela correspond à environ 350 kms d'artificialisation. Cela pourrait vos coûter 3 à 4 millions d'euros par an d'entretien. Est-ce un coût difficile à assumer ?

M. Patrick Jeantet . - Je propose que nous vous répondions par écrit sur ce sujet, car nous avons besoin de faire une étude détaillée. Juste une remarque : 3 500 hectares, cela représente tout de même l'équivalent d'une deuxième LGV...

M. Bernard Torrin . - La zone de compensation de Vaires-sur-Marne, mise en oeuvre dans le cadre du TGV Est-européen, me semble une bonne illustration de l'utilisation des friches. Nous avons mis en place un bassin d'expansion des crues. Nous avons choisi de le traiter sous forme d'une zone d'aménagement écologique réutilisant des terres de terrassement. Nous avons créé une zone humide de 30 000 m², gérée par une association. Elle ouvre cet espace à des écoliers qui viennent s'enrichir sur la biodiversité : on est donc capables de transformer des installations de type industriel en véritables zones de biodiversité. Vaires-sur-Marne se situe en zone périurbaine et le site est géré de manière écologique, avec fauches tardives et suivi écologique. Des choses sont donc possibles sur les friches.

Mme Sophie Primas . - Je vous remercie vivement pour la quantité d'éléments que vous nous avez apportés et la qualité de vos réponses. Nous vous poserons probablement de nouvelles questions par courrier. N'hésitez pas à nous faire parvenir d'autres éléments, sur les coûts notamment, cela nous intéresse.

Audition de M. François Poupard, directeur général de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer
(mercredi 18 janvier 2017)

Mme Sophie Primas, présidente . - Nous espérons compléter les informations que la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) nous a transmises, en entendant François Poupard, directeur général de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Notre commission d'enquête s'est fixé pour objectif d'analyser les conditions de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation des grands projets d'infrastructures en attachant une importance particulière à quatre projets : la construction de l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau. Ces projets sont à des stades différents de mise en oeuvre des mesures de compensation, ce qui nous permettra d'apprécier l'efficacité et l'effectivité du système compensatoire existant, et d'identifier les obstacles éventuels à l'application de la séquence éviter-réduire-compenser.

Nous recevons François Poupard, accompagné de Mmes Nora Susbielle, cheffe du bureau de la politique de l'environnement à la sous-direction de l'aménagement du réseau routier national, et Nancy Canoves Fuster, directrice de cabinet.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin seraient passibles des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Poupard et Mmes Nora Susbielle et Nancy Canoves Fuster prêtent successivement serment.

Ils déclarent aussi ne pas avoir de lien d'intérêt avec aucun des quatre projets mentionnés ci-dessus.

M. François Poupard, directeur général de la DGITM . - La DGITM a pour première mission d'écrire les articles de loi, les règlements, décrets et arrêtés qui régissent les transports terrestres, maritimes, fluviaux, ferroviaires et routiers. En plus de cette compétence de cadrage, la DGITM anime des centres d'études et siège à leur conseil d'administration. Nous travaillons en concertation avec l'Institut français des sciences et technologies des transports de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) pour constituer des guides et des méthodes. Enfin, nous collaborons avec des établissements scientifiques comme le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).

Nous sommes concédant de grandes infrastructures, lorsqu'elles sont réalisées par des tiers, concessionnaires ferroviaires ou autoroutiers, par exemple. Nous sommes maître d'ouvrage pour les opérations sur le réseau routier national. Et nous sommes opérateur du réseau routier national par l'intermédiaire des directions interdépartementales des routes (DIR), structures déconcentrées du ministère qui exploitent le réseau routier national non concédé.

Les grandes infrastructures décidées et engagées dans notre pays sont intégrées dans un schéma national d'infrastructures des transports, élaboré en application de la loi Grenelle de l'environnement entre 2009 et 2011. Ce schéma a fait l'objet d'une évaluation environnementale, conformément au code de l'environnement, et un avis de l'Autorité environnementale a été rendu le 22 septembre 2010. Très exhaustif, il prévoit sur le long terme des projets qui se chiffrent à plus de 250 milliards d'euros d'investissement. En début de législature, la commission Mobilité 21, présidée par le député Philippe Duron, a engagé une sélection des projets et prévu un phasage de leur réalisation. La hiérarchisation s'est opérée selon trois échéances et quatre critères, dont le critère de performance écologique qui prend en compte l'empreinte environnementale, la contribution à la transition énergétique, les effets sur les émissions de gaz à effet de serre et le développement des transports collectifs, en application des lois visant à réduire le trafic routier.

Pour les travaux de modernisation des réseaux, chaque contrat de plan État-région fait également l'objet d'une évaluation environnementale soumise à l'avis de l'Autorité environnementale. Cette évaluation s'appuie sur un référentiel national d'éco-conditionnalité. La prise en compte de l'environnement s'intègre ainsi dans l'ensemble du processus, depuis la phase d'identification des infrastructures jusqu'à leur sélection et leur phasage dans le temps. Au fil de ces étapes, la concertation facilite l'acceptabilité globale du projet et son insertion dans l'environnement. Le processus, itératif, s'appuie sur le choix du meilleur tracé pour définir et hiérarchiser les enjeux tout en évaluant de plus en plus précisément les impacts. Une définition précise des mesures de compensation à mettre en oeuvre serait contre-productive et impossible à tenir, si elle intervenait trop en amont.

Les maîtres d'ouvrage regrettent qu'il n'existe pas de méthode d'évaluation objective des impacts et des compensations, fonctionnant sur des ratios d'équivalence écologique et laissant la place à la différenciation locale, au cas par cas ou selon les espèces. La méthode de ratios utilisée aujourd'hui n'est pas assez fine et n'est pas non plus suffisamment documentée espèce par espèce. Cette méthode d'évaluation surfacique des compensations a parfois des conséquences dommageables : elle provoque notamment des tensions foncières dans certaines zones à forte qualité agricole ou dans certaines zones périurbaines. Lorsque les ratios sont de un pour quatre, d'autres usages du sol prévalent, ce qui peut aboutir à une impossibilité matérielle de mobiliser les surfaces nécessaires.

La DGITM a engagé plusieurs études, en partenariat avec le Cerema, le Muséum, mais aussi d'autres organismes comme la DGALN. Elle a publié un guide, des rapports, des notes d'information incitant les maîtres d'ouvrage à prendre en compte les obligations environnementales et à favoriser des méthodologies homogènes au sein des services instructeurs.

Une autre difficulté vient de ce que pour garantir la maîtrise foncière des terrains nécessaires à la compensation, nous devons faire des choix sans connaître à l'avance les décisions politiques qui détermineront les infrastructures à réaliser demain. L'incertitude prévaut, dans la mesure où nous ne connaissons pas le lieu où la compensation devra s'appliquer. Il faudrait faire évoluer les outils mis à disposition des maîtres d'ouvrage, en osant aller jusqu'à l'affichage de la possibilité de recourir à l'expropriation, car parfois, les concurrences d'usage du sol empêchent de mobiliser les terrains nécessaires. Le sujet est compliqué : on ne peut pas avoir recours à l'expropriation sans une déclaration d'utilité publique (DUP). Or les terrains nécessaires à la compensation ne sont pas toujours inclus dans cette déclaration. D'autant que les terrains les plus pertinents pour la reconstruction de la biodiversité ne sont pas toujours dans la contiguïté de l'infrastructure ou de son fuseau.

La DGITM est favorable aux politiques de protection de l'environnement. Il y va de l'application des lois, de la réalisation de projets conformes aux politiques mises en oeuvre dans notre pays, et de l'acceptabilité de ces projets, trop souvent bloqués en fin de parcours. Il est indispensable de réaliser un travail en amont.

Nous sommes également favorables au développement d'une offre de compensation qui permettrait aux maîtres d'ouvrage de remplir leurs obligations de manière plus satisfaisante sur le plan environnemental. Cette offre devrait se caractériser par une plus grande souplesse pour ce qui est des critères de proximité entre le site impacté par l'infrastructure et la localisation des mesures de compensation.

Les obligations en matière environnementale sont largement décrites pour chaque projet, tant par la DUP et son annexe ERC que par les articles L. 122-1 et L. 122-14 du code de l'environnement. Pour les projets les plus importants, ces obligations figurent dans le dossier des engagements de l'État.

De nombreux projets d'infrastructures sont réalisés dans le cadre de contrats délégués, confiés à des concessionnaires ou à des partenaires privés. La responsabilité d'obtenir les autorisations administratives utiles pour réaliser le projet, qu'il s'agisse de celles à produire au titre de la loi sur l'eau ou des dérogations sur les espèces protégées, est portée par le maître d'ouvrage privé ou le concessionnaire. Ce maître d'ouvrage est alors soumis aux obligations de l'annexe ERC de la DUP, à celles qui figurent dans le dossier des engagements de l'État, ainsi qu'aux dispositions du contrat de partenariat qui prévoient des pénalités en cas de non-respect de ces obligations. Le contrôle exercé par la personne publique délégante n'a en revanche pas vocation à se substituer à la police de l'environnement qui a en charge le contrôle du respect des obligations environnementales du maître d'ouvrage privé ou délégué.

En ce qui concerne les dépendances vertes du réseau routier national non concédé dont les DIR assurent l'exploitation et la gestion, l'administration a fixé un plan d'action en faveur des insectes pollinisateurs. Elle travaille également à la diminution drastique de l'utilisation des produits phytosanitaires, avec pour objectif le zéro phyto, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, ainsi que le traitement de l'eau. Cette politique s'inscrit dans une démarche globale de préservation de la biodiversité sur les infrastructures de transport existantes gérées par l'État.

La restauration des continuités écologiques sur les infrastructures construites avant 2009 a donné lieu à de nombreuses études dans le but d'améliorer la connaissance et de définir des actions prioritaires d'intervention sur ces réseaux existants. Ces approches mettent en évidence la nécessité de réfléchir à la stratégie de financement de la requalification environnementale du réseau routier national à moyen terme. Cela vaut aussi pour les autoroutes concédées dont certaines ne sont pas aux normes actuelles. La DGITM a signé tout récemment une convention avec la DGALN pour permettre le cofinancement par les agences de l'eau d'opérations de restauration des continuités écologiques des cours d'eau, dits de liste 2, qui constituent une obligation légale. Un soutien similaire serait nécessaire pour des opérations de rétablissement de la trame verte et bleue sur le réseau, qui iraient au-delà des exigences réglementaires compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur le réseau.

Parmi les guides et les documents que la DGITM a établis, je citerai une note d'information sur le retour d'expérience sur les mesures compensatoires, réalisée en 2014 ; un guide didactique sur l'impact des projets d'infrastructures linéaires, publié en 2016 ; une note d'information sur le retour d'expérience sur les mesures compensatoires en zone humide, en cours de réalisation. Avec la direction de l'eau et de la biodiversité, nous avons rédigé une note de cadrage méthodologique visant à favoriser la planification des opérations de dragage et de gestion des sédiments associés sur l'ensemble du littoral. Dans la continuité du guide Espèces protégées, aménagement et infrastructures publié en septembre 2012, nous avons élaboré une étude de sécurisation juridique des projets sur les volets eau et espèces protégées, avec l'aide du CGDD et de la DGALN. Cette étude sera disponible très prochainement. Enfin, nous avons passé une convention avec le Muséum national d'histoire naturelle pour financer des travaux de recherche et développement afin de faciliter la prédiction des espèces présentes dans un secteur géographique et d'élaborer une base de données générale, comme le recommande la loi sur la biodiversité. Nous participons à de nombreuses journées d'étude, réalisons des fiches, développons des protocoles dans des domaines techniques qui nécessitent un soutien méthodologique pour les maîtres d'ouvrage.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons noté vos propositions d'amélioration avec intérêt. Vous avez mentionné votre collaboration avec le MHNH. Participez-vous à la cartographie nationale des enjeux de la biodiversité ? Et, plus largement, avez-vous une vision des enjeux de biodiversité au niveau national, ou bien procédez-vous au cas par cas ?

Vous avez insisté sur les contrats délégués. Croyez-vous que l'État joue son rôle de contrôle ? Des affaires récentes se sont terminées au tribunal, notamment sur le projet LGV. L'État a-t-il les moyens d'exercer son contrôle ou bien est-il surtout soucieux d'entretenir de bonnes relations avec les concessionnaires ?

Enfin, les pénalités sont-elles suffisamment dissuasives ? Considérez-vous qu'aujourd'hui les coûts de la compensation sont intégrés dans les projets ?

M. François Poupard. - Nous menons un travail approfondi pour acquérir la meilleure connaissance possible des espèces et des milieux impactés. Nous tentons de devenir plus compétents en matière d'enjeux globaux. Cependant, nous restons une direction technique qui s'occupe de transports et nous ne nous élevons pas au-dessus de notre condition. La DGITM et la DGALN ont collaboré à la cartographie que vous mentionnez. Le travail est en cours.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela signifie-t-il que, lorsque l'État discutera de grands projets, vous serez en mesure de signaler les difficultés qui risquent de mettre en péril leur mise en oeuvre ? Disposons-nous de cette vision systémique ?

M. François Poupard . - La DGITM s'est dotée d'un bureau spécifique en charge de cette question. Nous ne sous-traitons pas cette matière, même si nous ne disposons pas des mêmes moyens que d'autres organismes. Cela fait partie du travail du maître d'ouvrage.

Le contrôle de l'État s'exerce par le biais de la police de l'environnement qui relève davantage de l'ONEMA que de la DGITM. Cependant, nos inspecteurs des pêches assurent une forme de contrôle au service des directions interrégionales de la mer (DIRM) et des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) en faisant des patrouilles et en vérifiant l'application des réglementations du littoral, côté mer : braconnage, dégazage, etc. Nous sommes en discussion avec l'Agence française de la biodiversité (AFB) pour réunir nos forces de police.

L'État contrôle avec attention aussi la réalisation des concessions, et il le fait... sans concession. Les relations avec les concessionnaires sont parfois tendues. Les contrats de concession, souvent longs, sont pour beaucoup antérieurs aux réglementations environnementales. Nous essayons de les faire évoluer de manière à ce qu'ils intègrent une préoccupation environnementale, mais aussi des notions telles que la qualité de service pour les usagers. Ce n'est pas facile, car la renégociation des contrats donne lieu à des demandes d'indemnités. À titre d'exemple, les grands contrats sur les concessions d'autoroutes ont été renégociés au cours de l'année 2015, au terme d'un débat national. Ils sont désormais beaucoup plus exigeants.

Dans les contrats les plus récents, les mesures compensatoires et la conformité au cahier des charges sont soumises à des pénalités qui sont effectivement appliquées s'il y a lieu. La livraison d'une concession comme celle de la LGV SEA donnera lieu à un travail de vérification qui durera plusieurs mois.

Les pénalités sont-elles dissuasives ? Quoi qu'il en soit, un concessionnaire cherchera toujours à éviter de payer des pénalités. Il commencera par présenter des réclamations sur les travaux et ainsi de suite. Les pénalités en matière d'environnement sont lourdes. Il faudrait s'adresser directement aux intéressés pour savoir si elles sont vraiment dissuasives.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les pénalités dans les contrats de concession sont lourdes. Les amendes pénales sont encore souvent très modestes.

M. François Poupard . - Je parle bien des pénalités contractuelles. S'agissant de votre question concernant le coût de la compensation, dans la mesure où le concessionnaire doit répondre au cahier des charges, il intègre systématiquement les coûts de compensation dans son contrat. Nous tentons d'évaluer ces surcoûts, qui pourraient varier de 10 à 15 % selon les projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Jusqu'à présent, on nous a plutôt dit qu'ils variaient entre 5 et 10 %.

M. François Poupard . - Certains projets sont plus sensibles que d'autres. Effectivement, en moyenne, on tourne autour de 10 %.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Inscrire dans la loi sur la biodiversité l'obligation de résultat avec zéro perte nette pour la biodiversité peut-il contribuer à changer l'approche de certains maîtres d'ouvrage ? Se dirige-t-on vers un système de provisions pour risques ?

M. François Poupard . - La compensation n'est pas totalement documentée espèce par espèce, de sorte qu'elle se fera surtout sous forme de mesures foncières, ce qui revient à remplacer de la biodiversité par des hectares. D'une part, la méthode n'est pas forcément efficace. D'autre part, elle soulève des difficultés matérielles et de pression foncière. Il faut approfondir notre analyse pour mieux comprendre ce qu'implique une compensation intégrale.

Le temps pose également problème. Le maître d'ouvrage met en place des mesures. Que deviendront-elles dix ou vingt ans plus tard ? Ce n'est pas le métier du maître d'ouvrage que de gérer des réserves écologiques. On commence à reconstituer des zones humides. Jusqu'où et comment faut-il les gérer ? Quel type d'opérateurs impliquer ? C'est un vrai métier. Il faut également pouvoir financer ces projets dans la durée. Pour l'instant c'est un non-dit. La question finira forcément par se poser.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est un non-dit dont personne ne nous avait parlé jusque-là. Cela signifie-t-il qu'il faut intégrer un coût de fonctionnement dédié à la biodiversité dans les projets ? D'après vous, ce coût resterait un non-dit.

M. François Poupard . - En tout cas, ce coût n'est pour l'instant pas assumé comme tel. Il n'est ni chiffré, ni matérialisé. Dans les zones portuaires, certaines zones Natura 2000 sont gérées par le port avec l'aide d'ONG, et leur coût de fonctionnement est chiffrable. On sait l'identifier dans l'économie portuaire. Aucun opérateur n'intervient dans les grands projets d'infrastructures. Ce n'est ni le métier de Vinci, ni celui des DIR. Cette question doit encore être expertisée.

Mme Évelyne Didier . - Merci pour votre exposé, très clair. Est-il facile d'avoir une application et des exigences identiques sur l'ensemble du territoire, ou bien avez-vous constaté des applications diverses et variées que vous essayez de corriger en développant une politique commune nationale ? Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) réagissent-elles toutes de la même manière ?

Les évaluations environnementales imposées aux concessionnaires sont des exigences nouvelles de l'État qui supposent un avenant au contrat. Ne sont-elles pas forcément compensées ?

L'ONEMA exerce un contrôle pour l'eau. Qui réalise les autres types de contrôle ?

Lorsqu'il y a une zone de compensation, qui est propriétaire ? Une concession n'est en réalité rien d'autre qu'un système financier. Elle a forcément une durée, même si certaines concessions sont très longues, comme celles des autoroutes. In fine , ces zones de compensation reviennent-elles à l'État ? Qui en demeure propriétaire ?

M. François Poupard . - Plus que des variations entre Nord et Sud ou la pratique des DREAL ou des maîtres d'ouvrage, c'est la fragilité des milieux traversés qui détermine le niveau de précaution.

Les mesures prises à ce titre génèrent des surcoûts, dont vous demandez s'ils sont compensés par une augmentation des tarifs. La réponse est oui. La concession est un système de financement mêlant ressources budgétaires, via des subventions d'équilibre versées par les régions et l'État, et recettes issues des tarifs appliqués pendant toute la durée du contrat. Si une mesure de compensation n'est pas prévue par le contrat initial, le concessionnaire peut demander que son financement soit garanti par une subvention ou par une hausse des tarifs. C'est ainsi que les contrats de plan autoroutiers, comme le Plan Vert, ont prévu des compensations tarifaires des mesures écologiques. Quoi qu'il en soit, l'argent provient soit de l'impôt, soit des tarifs.

Outre l'ONEMA, la police de l'environnement est exercée par les DREAL. Je crois que l'AFB va unifier les corps de contrôle...

Quant à la propriété des terrains concédés, elle revient in fine au concédant, sachant que le concessionnaire doit les gérer de manière à les lui restituer en bon état.

Par nature, les concessionnaires ne sont pas des gestionnaires d'espace écologique. Doivent-ils le devenir ? Faut-il faire émerger des opérateurs spécialisés ? Dans l'affirmative, ceux-ci doivent-ils être créés de toutes pièces, ou est-il préférable de s'appuyer sur des institutions existantes, comme la Caisse des dépôts et consignations ? En tout cas, un nouveau métier apparaît, et il n'est pas sûr que Vinci soit le mieux placé pour l'exercer, même si des opérateurs compétents apparaissent parmi ses sous-traitants. La DGITM n'est pas non plus l'acteur idoine.

Mme Sophie Primas, présidente . - Lors d'une précédente audition, nous avons été alertés sur le manque de compétences en matière de biodiversité et de compensation. Qu'en pensez-vous ?

M. François Poupard . - Chez les maîtres d'ouvrage, ce manque est patent, et il est naturel, puisque ce n'est pas leur métier. Mes propres moyens sont affectés en priorité à l'exploitation des routes : si je prélève des ressources pour les consacrer à ces questions, je ne pourrai plus assurer le salage hivernal. Des pôles de compétence peuvent-ils émerger sur notre territoire ? Mis à part le Muséum, qui dispose d'une expertise pointue et diffuse guides et recommandations, la question se pose. Or la conception, la construction et la gestion des hectares de zones écologiques que nous créons requièrent de la main-d'oeuvre !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous sommes à un point de basculement : la loi a imposé la compensation, et les opérateurs ne disposent pas encore de tous les savoir-faire nécessaires. L'État est-il prêt à la financer ? Le modèle économique de la mobilité impose de maintenir les prix à un niveau raisonnable. Certes, il suffirait d'accroître les tarifs de péage ou le taux de la taxe aéroportuaire.

M. François Poupard . - La question du financement des transports, que vous soulevez, est complexe. Il n'y a que deux sources : le tarif et l'impôt. La situation des finances publiques nous conduit à rechercher des économies dans la construction et la gestion. Quant à la hausse des tarifs, nous savons bien que les usagers veulent des petits prix, qu'il s'agisse de la SNCF ou des péages autoroutiers. En fait, chacun veut une baisse des impôts et des tarifs tout en réclamant davantage de services et de compensations. Il faut pourtant faire les comptes et prendre conscience qu'une diminution des ressources couplée à une hausse des exigences ne peut que conduire à des impasses.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce ce qui nous attend ? La solution n'est-elle pas l'évitement ? Je sais bien que les coûts évités sont difficiles à évaluer... L'État passera-t-il en force sur des projets qu'il considère comme essentiels, mais ne sait pas comment compenser ?

M. François Poupard . - Le rôle de l'administration est d'élaborer un catalogue de projets utiles et susceptibles d'être financés. C'est aux responsables politiques qu'il revient de décider quelles infrastructures construire, et selon quel calendrier. En la matière, l'inertie est considérable : nous terminons actuellement des projets lancés il y a six ans et, entre la décision et la mise à disposition, il peut s'écouler jusqu'à une vingtaine d'années. Une vision dynamique est donc indispensable.

Oui, l'État est attentif aux coûts. Nos débats avec la direction du budget sont très nourris et même créatifs. L'opportunité de chaque projet d'infrastructure est scrutée de près. Notre ministère a d'ailleurs révisé sa méthode d'évaluation des projets pour prendre en compte les critères environnementaux. Y a-t-il un niveau maximal de coût environnemental acceptable ? Il est difficile de répondre dans l'absolu, puisque l'on compare toujours les coûts aux avantages d'un projet pour la collectivité. Si l'intérêt est très fort, des coûts compensatoires importants doivent être assumés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous faites bien de nous rappeler que l'enquête sur les coûts et bénéfices, qui suscite bien des débats, intègre les coûts environnementaux. On a parfois l'impression que les mesures compensatoires arrivent après coup, ce qui pose des problèmes aux maîtres d'ouvrage.

M. François Poupard . - Nous appliquons des décisions prises par nos prédécesseurs - et leurs prédécesseurs - alors que de telles mesures n'existaient pas. D'où les coûts supplémentaires. Jeune ingénieur, je devais respecter la deuxième version de la circulaire dite « Boiteux ». Il s'agissait de généraliser l'analyse des coûts et des avantages, selon des critères quantitatifs, à tous les projets d'infrastructures de transport. Nous en sommes désormais à la septième ou à la huitième version de cette circulaire, et l'analyse économétrique froide a cédé la place à une réflexion selon de multiples critères, qui va jusqu'à prendre en compte les effets globaux, comme le réchauffement de la planète. Le Commissariat général à l'investissement, qui réfléchit beaucoup aux méthodes d'évaluation des projets, a reconnu que notre ministère était en pointe en matière de prise en compte de critères multiples. D'ailleurs, ce sont parfois les projets eux-mêmes qui servent d'appui à une avancée réglementaire. Ce fut le cas, par exemple, de l'A 51.

Mme Évelyne Didier . - Certes, une durée de quinze ou vingt ans laisse à la réglementation le temps d'évoluer. La décision politique ne devrait intervenir que lorsqu'on dispose d'éléments suffisants. Je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas... En effet, votre direction a anticipé certaines évolutions, mais ce sont les responsables politiques qui décident en dernière analyse. Or, les projets de TGV qui concurrençaient directement l'entretien et la rénovation du réseau ferroviaire auraient dû être reportés. Cela montre que, du point de vue de la mobilité ferroviaire globale, les priorités n'ont pas été fixées de manière raisonnable.

M. François Poupard . - La décision des responsables politiques est-elle suffisamment éclairée ? Question complexe. Tout notre processus d'élaboration d'un projet, du débat public à la signature du contrat, fonctionne par entonnoir : on commence à réfléchir de manière très large, donc relativement imprécise, et progressivement, avec le débat, les avis, l'enquête publique, on devient plus précis. C'est pourquoi la DGITM n'est pas favorable à ce que les évolutions de réglementation conduisent à mettre en cause l'opportunité d'un projet lorsque celui-ci est déjà bien avancé. Devoir déplacer de quatre kilomètres un fuseau de 300 mètres nous contraint à reprendre le processus dix ans en arrière ! Convergentes, nos procédures sont très vulnérables à des décisions divergentes tardives. Pour autant, il n'est pas possible de faire l'inventaire des espèces sur un fuseau de vingt kilomètres. Il faut donc trouver un équilibre pour que l'étude des mesures d'évitement se fasse à une échelle adaptée. Par définition, le tracé d'une infrastructure linéaire doit être assez rectiligne... Nous nous réjouissons que la décision finale revienne aux responsables politiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il est bon que cela nous soit rappelé par votre administration.

M. François Poupard . - La décision de faire une ligne rapide entre Tours et Bordeaux relève d'une politique d'aménagement du territoire, et ne peut évidemment pas être prise par les seuls ingénieurs. Une décision politique ne correspond jamais totalement à une analyse économétrique froide, ce qui est bien naturel. Certes, elle ne doit pas non plus être irrationnelle : lorsque des milliards d'euros sont en jeu, la rationalité prend une place considérable - nous y veillons.

L'arbitrage entre investissements nouveaux et maintenance est une vraie question, qui a des conséquences aussi sur l'environnement : si l'on engage de nouveaux projets coûteux, le parc existant n'est pas adapté. Du point de vue technique, il est possible de sacrifier la maintenance pendant un ou deux ans. Au-delà, le coût du rattrapage dépasse celui de l'entretien régulier. Nous le voyons bien avec notre réseau ferroviaire, pour lequel il faudra investir 30 milliards d'euros en dix ans. Et il en va de même de notre réseau navigable et routier - hors les zones concédées, qui sont bien entretenues.

M. Gérard Bailly . - La compensation est importante, et son coût est de mieux en mieux compris et accepté. Nous avons parlé de la faune et de la flore, mais quid des êtres humains ? J'ai bien vu lors du tracé de l'A 39 ou de la LGV Rhin-Rhône que l'on prenait la peine de déplacer les travaux de quatre kilomètres pour préserver la nature. Prend-on un soin équivalent des personnes ? A raison de 12 000 ou 15 000 passages par jour, à multiplier par le nombre de jours travaillés par an, combien ces quatre kilomètres surnuméraires représentent-ils de moments qui auraient pu être passés en famille ? Et je ne parle pas du carburant supplémentaire consommé. Pour l'A 51, a-t-on pensé à ceux qui doivent prendre la route Napoléon pour rentrer chez eux, dans les Hautes-Alpes ou les Alpes-de-Haute-Provence ? Bref, se soucie-t-on autant des hommes que de l'environnement ? La question est d'importance, surtout pour les habitants des zones rurales.

M. François Poupard . - En effet, et elle est au coeur de l'analyse des coûts et bénéfices de chaque projet. Par bénéfice, nous n'entendons pas un résultat financier, mais bien un avantage pour la collectivité. Ce que doit faire gagner un projet d'infrastructure, ce n'est pas de l'argent, c'est du temps.

M. Gérard Bailly . - De la vie familiale, donc.

M. François Poupard . - Nous évaluons le coût de ce temps gagné et, pour un projet autoroutier, il constitue 80 % des bénéfices pris en compte.

M. Gérard Bailly . - Merci ! Me voilà soulagé.

M. François Poupard . - La pondération des effets externes sur la qualité de vie, le bruit ou la pollution, diminue un peu celle du gain de temps, mais celle-ci reste le principal critère - dans la deuxième version de la circulaire Boiteux, c'était le seul...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourriez-vous nous faire parvenir la dernière version de cette circulaire ?

Mme Sophie Primas, présidente . - Je vous remercie.

Audition de M. Bruno Léchevin, président, et M. Fabrice Boissier, directeur général délégué, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
(mercredi 18 janvier 2017)

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Je rappelle que notre commission d'enquête analysera plus en détails les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre Dame des Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Cette audition doit nous permettre d'aborder le sujet de la mise en oeuvre de la compensation d'un point de vue plus général, au regard des missions de l'ADEME. Nous nous interrogeons notamment sur la question de l'opportunité d'une utilisation des friches, notamment « polluées », pour la mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME, et M. Fabien Boissier, qui en est le directeur général délégué.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Léchevin et M. Fabien Boissier prêtent successivement serment.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan DANTEC, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME . - Merci de nous recevoir. Je n'exposerai pas la position de l'ADEME sur l'objet de vos travaux, car nous n'en avons pas nécessairement la compétence. L'ADEME n'est pas opérateur de mesures de compensation mais nous menons des actions de soutien à la reconversion des friches urbaines polluées, qui est un sujet qui vous intéresse. Nous menons des travaux de dépollution, nécessaires à de nouveaux usages, et qui contribuent à la préservation de la biodiversité.

Dans le cadre des émissions carbone, nos actions interviennent à tous les niveaux de la séquence éviter-réduire-compenser. L'accent est mis sur le développement de méthodes et d'outils pour effectuer des diagnostics sur les gaz à effet de serre (GES).

Face à l'essor des différents dispositifs de compensation volontaire, et du nombre croissant d'opérateurs, le ministère de l'environnement et l'ADEME avaient mis en place en 2007 une charte de la compensation volontaire des émissions de GES, afin de garantir la qualité et la fiabilité de ce dispositif en France. Cette charte établissait un guide de bonnes pratiques pour une démarche de compensation. En 2010, cette charte a été abandonnée, suite à un audit très négatif. La plupart des opérateurs ne fournissaient aucun document justificatif solide, les méthodes de calcul n'étaient pas reconnues et les vérifications étaient effectuées par les membres du projet eux-mêmes. La charte a donc été remplacée par le guide « La compensation volontaire : démarches et limites ». Il apporte des éléments de compréhension sur le contexte de la compensation volontaire, notamment les différents acteurs et l'état du marché. Depuis 2014, nous soutenons avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) une plateforme d'information et de sensibilisation aux bonnes pratiques en matière de compensation carbone, le site info-compensation-carbone.com .

Notre contribution à vos travaux a donc certaines limites. Toutefois nous sommes évidemment à votre disposition pour répondre au mieux à vos questions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons souhaité vous entendre car votre expérience en matière de friches et de compensation carbone peut éclairer nos travaux.

En Angleterre, la logique, pour un hectare d'espace naturel aménagé, est de retrouver un hectare aménagé pour en refaire un espace naturel. Avez-vous une idée du potentiel de friches, polluées ou non, à reconquérir en France ? Et connaissez-vous l'intérêt écologique de ces friches, notamment dans le cadre des continuités écologiques locales ?

M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME. - L'espace occupé par les friches industrielles est complexe à évaluer, en raison de difficultés de recensement. La surface que représentent les friches industrielles urbaines, potentiellement polluées, est de 145 000 hectares, comme ordre de grandeur. Dans une centaine de territoires, des inventaires fonciers plus précis ont été effectués, comme Lille-Métropole, le Grand Lyon, l'agglomération de Saint-Nazaire et la ville de Dunkerque. L'ADEME soutient ces démarches, mais nous n'en sommes qu'au début du processus, qui nécessite des ressources.

M. Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'ADEME . - Les friches polluées que nous connaissons sont surtout en zone urbaine, car c'est là que le foncier a de la valeur, et donc que les inventaires ont été menés.

La reconquête de ces friches polluées est intéressante, car elle permet de lutter contre l'étalement urbain, et donc contre le développement d'une emprise sur des terres qui ont une valeur agricole ou pour la biodiversité.

L'ADEME a deux missions à cet égard. Elle est responsable au titre d'une maîtrise d'ouvrage déléguée par l'État de la mise en sécurité de sites pollués orphelins. Et d'autre part, nous soutenons - avec toutefois peu de moyens - la réhabilitation de friches urbaines dans une logique d'appel à manifestation d'intérêt, pour faire émerger des pratiques innovantes et exemplaires, notamment des aménagements intégrant les enjeux liés à l'habitat, aux transports, à la trame verte ou encore à la vie sociale.

Nous avons publié un guide sur la biodiversité et la reconversion des friches urbaines polluées, pour montrer qu'il est possible de travailler sur la biodiversité dans le cadre d'une stratégie de reconquête des friches urbaines. Pour ne rien vous cacher, aujourd'hui ce n'est pas la pratique la plus courante. La biodiversité n'est pas encore arrivée à un point de prise en compte importante, mais nous considérons qu'il y a des possibilités intéressantes, malgré des obstacles techniques réels, comme la dépollution préalable au développement de la biodiversité, pour ne pas intégrer de nouveaux polluants dans la chaîne écologique. Cela pourrait aller dans le sens de la démarche de compensation que vous analysez.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce que les grandes friches militaires sont également traitées par l'ADEME ?

M. Fabrice Boissier . - À ma connaissance, l'ADEME n'a pas été amenée à intervenir sur des terrains militaires.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - En Lorraine, nous avons le plus ancien établissement public foncier. Il avait comme objectif de traiter les friches industrielles, mais nous avions également de nombreuses friches militaires. Une politique d'achat a donc été menée, et, en fonction des terrains, nous avons cherché des porteurs de projets susceptibles d'être compatibles. La dépollution dépend bien entendu de l'usage du terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous participez en fait d'abord à une démarche d'évitement, en fléchant des terrains pouvant accueillir des activités, afin d'économiser l'utilisation d'espaces naturels. Intervenez-vous auprès des porteurs de projet pour qu'ils privilégient ces terrains ? Y a-t-il un lieu ou une sorte de bourse pour ce dialogue et ces échanges ?

M. Fabrice Boissier . - L'ADEME ne gère pas toutes les dimensions d'un tel sujet. Lorsque nous intervenons sur la reconversion d'une friche, c'est parce qu'il y a déjà un aménageur qui a un projet, donc plutôt en aval. La bourse que vous évoquez existe peut-être localement, au niveau d'une collectivité dans le cadre d'une planification de l'urbanisme. Mais au niveau national, je ne crois pas.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - Je vais à nouveau citer mon expérience. Lors du travail sur le SCoT dans mon secteur, au nord de la Meurthe-et-Moselle, des objectifs ont été fixés pour l'utilisation de la terre agricole. En additionnant ces espaces dédiés à l'activité économique, la somme était conséquente. Un travail de sélection a donc été mené. Par ailleurs, les terres en friches devraient être zonées dans les plans locaux d'urbanisme (PLU), et l'État pourrait alors en faire un inventaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le SCoT peut-être un lieu d'organisation de ces enjeux, même si je n'ai pas tout à fait la même expérience de cet outil. Comment verriez-vous ce lieu d'échange, d'accompagnement et de stratégie : est-ce l'intercommunalité, l'agence d'urbanisme, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ? Il est intéressant de privilégier les friches, pour contrer l'étalement. L'ADEME doit-elle sensibiliser davantage les collectivités territoriales, dans le cadre de ses délégations locales ? Comment allez-vous coopérer avec l'AFB, qui a également un rôle à ce sujet ?

M. Bruno Léchevin. - Compte tenu de notre expérience dans ce domaine, nous devons bien entendu développer de telles actions, en coopérant avec l'AFB. Cela dépendra également de l'implantation territoriale de l'AFB, par rapport à celle de l'ADEME. Nous avons déjà des outils, un début de recensement, des processus d'accompagnement. Il faudrait préciser cette complémentarité.

M. Fabrice Boissier . - L'expérience de l'ADEME en matière de compensation carbone pourrait également apporter des enseignements. L'exemple de la charte peut être utile. Deux risques à anticiper ont été identifiés lors de ce travail : l'additionnalité des mesures de compensation, en vérifiant qu'elles n'auraient pas eu lieu sans l'effort de l'opérateur, et l'unicité, en s'assurant que deux porteurs de projet ne valorisent pas la même démarche de reconquête. L'Etat doit contribuer à la transparence de ces dispositifs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous travaillé sur les équivalences écologiques ? Il y a une flore de béton sur des friches qui peut être proche de flores rares sur des terrains minéraux. Certaines friches, installées près de cours d'eau, pourraient-elles redevenir demain des zones humides ?

M. Bruno Léchevin. - Nous ne sommes pas nécessairement dans un tel degré de précision, mais en visitant le réaménagement d'une friche urbaine à Lille, nous avons constaté une prise en compte des zones humides.

M. Fabrice Boissier . - Nous atteignons là les limites de nos compétences en matière de biodiversité. C'est pour cela que nous souhaitons travailler en lien étroit avec d'autres organismes, comme l'AFB. Il nous faut des expertises extérieures.

M. Bruno Léchevin. - Il faudrait sans doute rapidement mettre en lumière les opérations exemplaires à ce sujet, pour avoir un retour d'expérience et le diffuser.

M. Jérôme Bignon . - Dans ma vie locale, je connais une commune de 2 000 habitants, avec une friche urbaine liée à une activité orpheline de fabrication de peinture. L'entreprise a fait faillite et le mandataire liquidateur a clôturé ses opérations de liquidation. L'ADEME est intervenue une fois pour suivre le dossier, mais subsistent 6 hectares au coeur de cette ville, près d'une petite rivière. On ne peut rien faire.

Vous avez parlé d'une maîtrise d'ouvrage déléguée par l'État pour la mise en sécurité. Or ce site est tout sauf sécurisé : c'est un lieu de délinquance, où des gamins traînent, avec de la pollution. Le maire ne peut pas gérer le problème, et l'ADEME ne semble pas être très intéressée par le sujet. Nous sommes désarmés et un peu désespérés. Pour le maire, c'est odieux, car il y a un risque pour la population, et cela donne une image calamiteuse de la commune, qui ressemble parfois aux images de Tchernobyl. On ne sait pas comment traiter le sujet. On m'a souvent répondu que l'ADEME n'avait pas l'argent nécessaire. Mais la mise en sécurité du site n'est absolument pas assurée.

Une telle situation crée un climat délétère dans la commune. La combinaison de plusieurs problèmes suffit à créer un sentiment de désespérance dans la population : un faible débit internet, une mauvaise couverture mobile, une désertification médicale et une friche industrielle.

Dans le cadre de la loi biodiversité, nous exigeons beaucoup de moyens de la part des maîtres d'ouvrage pour faire de la compensation. En même temps, de nombreuses friches restent à remettre en état, qui pourraient être utilisées pour la compensation. Je comprends qu'on ne peut pas compenser une grenouille par un chevreuil. Mais il faut également avoir conscience que le public, notamment les agriculteurs, ne comprend pas qu'on consomme deux fois les mêmes espaces, tout en laissant des friches se maintenir.

M. Fabrice Boissier . - L'ADEME intervient sur la mise en sécurité des sites, c'est-à-dire en cas de danger du fait de la pollution, de déchets ou de bâtiments menaçant de s'écrouler. Cette intervention est diligentée par l'État, par le préfet et les services de la DREAL qui font le diagnostic. Étant sous contrainte budgétaire, il y a un exercice de priorisation avec le ministère pour intervenir sur ces friches. Je précise par ailleurs que cette intervention ne résout pas tous les problèmes. Avoir dépollué un site ne l'a pas revitalisé. La mise en sécurité peut par ailleurs se dégrader s'il n'y a pas d'entretien.

Pour cette raison, l'ADEME encourage la réhabilitation des friches, mais cela relève d'une autre mission, dans le cadre de la promotion que nous faisons d'une approche intégrée du développement durable et d'une transition écologique territoriale. Nous apportons alors un soutien méthodologique ou des aides, dans le cadre d'appels à projets, auprès de maîtres d'ouvrage, mais avec des moyens limités : un à deux millions d'euros par an.

Nous sommes convaincus que ces terrains ont une vraie valeur, à la fois économique, sociale et environnementale, selon l'aménagement qui est décidé. Quant à déterminer si ces friches peuvent être utilisées pour mettre en oeuvre des mesures de compensation, c'est une question que l'ADEME ne maîtrise pas à ce jour.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans le cadre des enquêtes coûts-bénéfices qui doivent précéder les grands projets, avez-vous le sentiment que la valeur CO 2 des terrains naturels, leur capacité d'absorption, est intégrée par l'Etat, afin de prendre en compte l'ensemble des enjeux ?

Par ailleurs, dans le cadre de la compensation, le réaménagement de zones naturelles peut-il recréer des puits de carbone, et être également valorisé à cet égard ?

M. Fabrice Boissier . - L'évaluation de la valeur carbone des sols est importante mais complexe, car elle peut évoluer dans le temps. L'ADEME a travaillé avec des spécialistes des sols, notamment l'INRA. Nous essayons de construire des référentiels méthodologiques mais nous n'avons pas encore de valeurs clef en main. Nous avons cependant constaté dans le cadre de la compensation volontaire carbone que les projets forestiers étaient souvent délaissés, faute de capacité à évaluer leur valeur carbone, et à certifier sa pérennité dans le temps.

M. Bruno Léchevin. - Nous travaillons également avec l'Institute for Climate Economics (I4CE), ancienne CDC Climat. D'ici la fin du mois de janvier, nous devrions présenter une étude de la demande en crédits carbone sur la réduction des émissions du secteur agricole.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - Les friches sont souvent des terrains orphelins. Qui devient propriétaire à l'issue de la procédure de dépollution ? L'État, la collectivité territoriale, l'opérateur ?

M. Fabrice Boissier . - Cela dépend de chaque situation. Un site orphelin que nous mettons en sécurité reste en l'état, sans activité. Le scénario idéal c'est une convergence entre un plan global d'aménagement porté par la collectivité territoriale et un aménageur qui va porter un projet. Cela permet d'avoir un maître d'ouvrage intéressé, qui va prendre la propriété en vue de valoriser le terrain. Il n'y a pas de schéma unique, mais il faut un projet.

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - Dans le cas évoqué par notre collègue Jérôme Bignon, il y avait bien un propriétaire, qui a fait faillite. La propriété du terrain lui est-elle retirée ?

M. Jérôme Bignon . - A l'issue de la liquidation, il devrait en avoir perdu la propriété. Mais le site demeure orphelin, sans transfert à l'État ou à la collectivité.

M. Fabrice Boissier . - Techniquement, ce sont des sites à responsable défaillant.

M. Jérôme Bignon . - L'État ne veut bien entendu pas en récupérer la propriété, ce qui est légitime d'une certaine façon. J'ai rencontré la Direction départementale des finances publiques (DDFiP), qui m'a expliqué que la commune devrait demander au tribunal de commerce de désigner un mandataire ad hoc pour lui permettre de l'acheter à un euro symbolique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quel coût représente la restauration d'un hectare de friche, sans surpollution particulière ?

M. Fabrice Boissier . - C'est extrêmement variable. Il nous est difficile de vous donner un chiffre qui soit représentatif.

M. Bruno Léchevin. - Nous allons faire un travail d'investigation, pour vous donner des chiffres ou des moyennes, fondés sur des situations de terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Merci. Nous avons également constaté qu'il y avait des disparités de traitement entre grands et petits projets, ces derniers étant parfois plus contraints que les infrastructures jugées majeures. Mais les PME ne sont-elles pas elles-mêmes réticentes à utiliser des friches, pour des questions techniques ou d'image ?

M. Bruno Léchevin. - Pour surmonter ce type de difficulté, il faut une approche plus globale dans le territoire. Il ne faut pas un seul acteur.

M. Fabrice Boissier . - Pour un aménageur, exposé à la possibilité d'une pollution imprévue, cela représente effectivement un risque financier important. À ce titre, l'ADEME et la métropole de Lille ont travaillé sur un système assuranciel permettant de protéger les aménageurs contre ce risque, en contrepartie d'une prime d'assurance. Le système assuranciel privé ne souhaite pas à ce jour s'aventurer dans ce domaine, faute de marché clair et compte tenu des risques. Nous recherchons les bons leviers pour l'actionner.

M. Jérôme Bignon . - Cette initiative est intéressante. Mais cela suppose déjà un certain avancement du projet. Je reviens au cas d'espèce évoqué à l'instant. Le maire a trouvé des entrepreneurs désireux d'aménager le terrain. Mais la DDT attend qu'il soit dépollué pour donner des autorisations. Donc la commune est bloquée, elle est en quelque sorte « tchernobylisée ».

Mme Évelyne Didier, vice-présidente . - Je vous remercie.

M. Bruno Léchevin. - Merci à vous. Nous vous transmettrons des éléments sur le coût moyen des projets de réhabilitation et nous sommes à votre disposition pour répondre aux questions complémentaires que vous souhaiteriez nous poser au cours de vos travaux.

Audition de M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor, M. Philippe Thiévent, directeur de CDC Biodiversité et M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC Projet, assistant maîtrise d'ouvrage environnement d'A'liénor
(jeudi 19 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant la société A'liénor, qui est la société concessionnaire de l'autoroute A65, un des quatre projets que nous analysons en particulier. A'liénor a sous-traité à la société CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts, la mission d'élaborer, de mettre en oeuvre et de suivre le programme de compensation écologique de l'autoroute.

Un communiqué de presse commun à ces sociétés du 22 mai 2013 indiquait que l'objectif de sécurisation de l'ensemble du foncier au 7 juillet 2012 avait été tenu. L'audition de ce jour doit donc nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application, ni un bon suivi, de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor, M. Philippe Thievent, directeur de CDC Biodiversité, que nous avons déjà entendu en décembre et M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC PROJET, assistant maîtrise d'ouvrage - environnement d'A'liénor.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible de peines prévues par le code pénal.

M. Olivier de Guinaumont, M. Philippe Thievent et M. Guillaume Benoit prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête, qui sont je vous le rappelle, outre l'A65, la LGV Tours Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor. - Je vous remercie pour l'intérêt que cette commission porte au projet de l'autoroute A65. Je suis président exécutif de la société par actions simplifiée (SAS) A'liénor. Je suis également directeur des concessions d'Eiffage depuis le début du projet, en charge de la maîtrise d'ouvrage et de l'exploitation. Je ne pense pas avoir de conflit d'intérêt sur les autres sujets étudiés par votre commission.

M. Philippe Thievent, directeur de CDC Biodiversité. - Mes liens d'intérêt n'ont pas varié depuis ma visite de décembre dernier devant votre commission. La CDC Biodiversité est maître d'ouvrage du site naturel de compensation de la plaine de la Crau et conserve, en tant que prestataire ponctuel, les liens que nous vous avions décrits avec les projets de la ligne à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux et le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je reprécise que l'A65 et le site naturel de compensation de la plaine de la Crau sont les deux projets dans lesquels la CDC Biodiversité est le plus largement impliquée.

M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC Projet, assistant maîtrise d'ouvrage - Environnement d'A'liénor. - Je n'ai pas d'implication directe, si ce n'est, comme pour Philippe Thievent, des missions ponctuelles pour la LGV dans le cadre d'un contrôle extérieur de dossier administratif très en amont du projet.

M. Olivier de Guinaumont. - Des documents ont été remis à la commission d'enquête. Ils comprennent, entre autres, un recueil de la stratégie d'Eiffage en matière de développement durable et certains documents à destination du Conseil national de protection de la nature (CNPN) qui illustrent assez bien notre démarche. D'autres documents sont relatifs au comité de suivi qui, sous l'égide du préfet de région, suit la mise en oeuvre des mesures de compensation de l'A65. Les arrêtés ministériels et préfectoraux liés au projet ont également été joints, ainsi qu'un document de synthèse.

La première des questions que vous m'avez envoyées avait trait aux grandes lignes du projet depuis sa genèse jusqu'à sa réalisation, ainsi qu'aux différents acteurs publics et privés intervenus, l'ordre et les modalités de leurs interventions.

Le linéaire de l'autoroute A 65 est important. Il s'agit d'un des plus gros projets d'autoroute réalisé d'un seul tenant. Son tracé de 150 kilomètres relie Langon, à 50 kilomètres au sud de Bordeaux, à Pau. Cette autoroute traverse à la fois des coteaux, des massifs forestiers exploités, dont la forêt des Landes, ainsi qu'une surface importante de cultures. Les objectifs du projet sont liés à la sécurité et au confort. Il s'agissait de repolariser la ville de Pau sur Bordeaux qui est la capitale de sa région puisque les infrastructures existantes orientaient plus naturellement Pau vers Toulouse. Le but était aussi de désenclaver les Landes, dont son chef-lieu Mont-de-Marsan. Dix diffuseurs ont, à terme, été prévus pour atteindre cet objectif.

En ce qui concerne l'historique de l'autoroute, ce projet est assez ancien. Il est apparu dans un schéma directeur aux alentours de 1995. Un certain nombre de décisions ont été prise par l'État à partir de cette date jusqu'en 2006. Un premier fuseau de 1 000 mètres a permis de définir une bande d'étude par arrêté ministériel. Cette bande a ensuite était ramenée à 300 mètres, qui est le standard en matière d'autoroute. Elle a fait l'objet d'une vaste consultation interministérielle. Une enquête publique de l'État a ensuite abouti à une déclaration d'utilité publique (DUP) en Conseil d'État, ainsi qu'à un dossier des engagements de l'État, partie intégrante de notre contrat de concession. Ce dossier précise un certain nombre de règles auxquelles qui s'appliquent au concessionnaire pour la réalisation et l'exploitation de l'infrastructure.

Le décret de concession a été publié fin 2006. Il mentionne que nous sommes à la fois concessionnaire, maître d'ouvrage et aménageur. Tenu par les stipulations de notre contrat de concession, nous avons progressivement développé un projet en concertation avec les 52 communes et les 3 départements (Gironde, Landes et Pyrénées-Atlantiques) traversés. La conception de ce projet a été relativement itérative et s'est basée sur un certain nombre de critères, dont des critères environnementaux. Ce processus a abouti à un tracé à l'intérieur de la bande de 300 mètres qui nous était imposée.

Ont ensuite été déposés les dossiers administratifs loi sur l'eau et dérogations pour la destruction d'espèces protégées. L'État ayant mis en oeuvre beaucoup d'études préalables à la mise en concession de l'infrastructure, nous avons pu bénéficier d'un diagnostic environnemental préexistant. Nous l'avons ensuite complété sur la base d'inventaires assez fouillés, réalisés sur 4 saisons. Ils ont permis de définir un certain nombre de mesures d'évitement dans le cadre du calage du tracé. Lorsque l'évitement n'était pas possible, nous avons mis en place des stratégies d'atténuation qui ont aussi bien concerné la phase de travaux que la phase d'exploitation. Enfin, des mesures de compensation ont été dessinées pour effacer l'impact résiduel du projet sur l'environnement.

Dans le cadre des normes d'archéologie préventive, des fouilles ont été diligentées par l'Institut national d'archéologie préventive (INRAP) et par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) sur les 1 500 hectares d'acquisition foncière du projet , rapporteur spécial. Bien que financé par A'liénor, le projet d'aménagement foncier a été sous maîtrise d'ouvrage des départements concernés qui ont pris le relai de l'État à partir de 2007 , rapporteur spécial .

S'en est suivi la construction de l'infrastructure à proprement parler. Un volet social a été développé avec la région autour de l'insertion et de la formation. Avec 3 500 personnes qui y ont pris part, le chantier de l'autoroute a été un important pourvoyeur d'emplois. Deux dossiers ont permis d'évaluer les impacts dans le cadre de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI). L'un est plus économique, l'autre porte majoritairement sur les aspects environnementaux. Ils ont été remis l'année dernière et sont en cours d'analyse par les services de l'État.

À partir de 2007 et de la publication des arrêtés de dérogation à la protection d'espèces protégées ou de leur habitat, le programme de mesures compensatoires a été arrêté avec la CDC Biodiversité.

Eiffage et SANEF sont respectivement actionnaires d'A'linéor à hauteur de 65% et 35%. A'liénor est une société dédiée à l'infrastructure sur laquelle porte la concession. Le projet a mobilisé des fonds à hauteur de 1,25 milliard d'euros dont 900 millions d'euros ont été empruntés auprès de 25 banques. Ce point est important car les financeurs sont particulièrement attachés au suivi de nos engagements, et notamment celui des mesures compensatoires. Nous nous sommes appuyés sur une association de sociétés d'Eiffage comme concepteur-constructeur. Une directive européenne nous a contraint à traiter 30 % des travaux avec des sociétés tiers, c'est-à-dire non liées ou non groupées avec les membres et les actionnaires de notre société de projet. Nous avons, au final, atteint 40 ou 45 %.

Nous avons fait appel à des entreprises spécialisées en matière d'environnement, comme Egis environnement, le Groupe de recherche et d'étude pour la gestion de l'environnement (GREGE), les sociétés Biotopes et Ingérop qui nous ont accompagnés. A l'inverse, un certain nombre d'acteurs, dont des associations qui avaient déposés un recours devant le Conseil d'État, ont, dans un premier temps, refusé catégoriquement toute coopération. Elles n'ont pas souhaité participer aux études environnementales qui nous ont permis de définir les meilleures solutions pour la réalisation et l'exploitation du projet, ainsi que les mesures compensatoires. Depuis que les recours ont été tranchés en notre faveur, certaines travaillent désormais avec nous. Nous l'avons accepté car certaines d'entre elles ont une connaissance reconnue sur les espèces concernées par le projet. L'exploitation est confiée à SANEF Aquitaine, filiale de l'un de nos actionnaires et notre opérateur environnement est la CDC Biodiversité. Notre assistant-maîtrise d'ouvrage RBC Projet nous aide également sur les aspects relatifs à la loi sur l'eau.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur les 1,25 milliard d'euros qui ont été mobilisés, y a-t-il eu une part supportée par l'État ?

M. Olivier de Guinaumont. - Le projet s'est monté sans subvention publique, du moins, sans subvention publique versée en numéraire. L'apport en nature de la déviation d'Aire-sur-l'Adour a été réalisé sur des crédits budgétaires par l'État, la région et les 3 départements concernés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ma question était motivée par le fait qu'un avenant au contrat de concession motivé pour des raisons environnementales mentionne une participation de l'État.

M. Olivier de Guinaumont. - Exactement. À l'issue de « l'avenant Grenelle », cette participation s'est élevée à 90 millions d'euros, assortie d'une extension de 5 ans de la durée d'exploitation. Sans émettre d'avis négatif, le CNPN a longtemps déclaré ne pas être en mesure de se prononcer sur nos arrêtés de dérogation. Cela a eu pour conséquence de bloquer le démarrage des travaux et les financements pendant à peu près 6 mois. L'État a décidé de prendre les mesures que je vous ai décrites pour solde de tout compte en réponse aux perturbations engendrées par le retard.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - À quoi est dû ce retard ? L'environnement n'avait-il pas été assez pris en compte dans le contrat initial de concession et dans le premier projet ? Les exigences supplémentaires introduites a posteriori vous ont-elles conduits à demander de nouvelles recettes en contrepartie ?

M. Olivier de Guinaumont. - Le premier projet, collégialement bâti par le ministère des transports et de l'écologie, était de qualité. Fruit d'une coordination interministérielle exemplaire, il comprenait, en outre, beaucoup d'engagements forts de l'État sur le plan environnemental, humain et économique. Sous réserve des études complémentaires à la charge du concessionnaire, les mesures de compensation inhérentes au projet étaient estimées à 65 hectares. Nous étions donc loin des 1372 hectares de compensation qui ont finalement dû être mis en oeuvre au terme des arrêtés. Cette différence s'explique par le fait qu'en 2005, la compensation ne prenait en compte que les seuls impacts directs sur la biodiversité. Or, les obligations de compensation ont ensuite dû intégrer les nouvelles déclinaisons en droit français issues des directives européennes en la matière, et le nouveau niveau d'exigence de la doctrine administrative. Le contexte du Grenelle intervenu un an ou un an et demi après la signature du contrat avait clairement changé les choses.

Nous n'avons donc pas uniquement pris en compte les impacts directs. Notre lecture de la réglementation et des attentes de la société civile nous a également poussés à prendre en compte des territoires qui, bien que vierges, étaient des habitats privilégiés d'espèces protégées. Les 65 hectares initialement prévus étaient le résultat d'une étude fine et poussée de l'État, mais qui prenait place dans un autre contexte réglementaire. Les 1 372 hectares sont la conséquence d'études réalisées dans un cadre différent. On ne nous a pas forcés à atteindre ce chiffre.

Les exigences de l'État dans le contrat de concession portaient, entre autres, sur des longueurs de viaducs qui étaient bien supérieures aux exigences techniques et hydrauliques. Les longueurs retenues témoignaient d'une volonté de maintien de la transparence écologique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La somme de 90 millions d'euros se justifiait donc par le changement de la demande de l'État depuis la signature du contrat de concession ?

M. Olivier de Guinaumont. - Suspendre le cours des choses est extrêmement onéreux pour ce type d'opérations. Si les travaux n'avaient pas encore été engagés au moment de la suspension du projet, beaucoup de personnes avaient été mobilisées, et d'études engagées. C'est en grande partie cet arrêt des opérations qui a motivé l'action de l'État. Le passage de 65 hectares à gérer sur une dizaine d'années à 1 372 hectares sur 55 ans a également pesé. Il en va de même pour les mesures de compensation portant sur les travaux puisque le nouveau niveau d'exigence avait lui aussi bien changé depuis le projet initial.

Mme Chantal Jouanno . - Est-ce-que les services de l'État ont été particulièrement présents quant à leur niveau d'exigence et leur accompagnement technique lorsqu'ont été définies les mesures d'évitement attachées au projet ?

Du fait de votre rôle de « pionnier », quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la mise en oeuvre des mesures de compensation du projet ?

M. Olivier de Guinaumont. - L'État a été présent tout au long du projet La délégation de service public et de maîtrise d'ouvrage dont le projet a fait l'objet nous a, néanmoins, laissé une grande liberté d'action encadrée par les stipulations qui nous liaient et par la réglementation. Si notre dossier n'est pas suffisamment solide, notre sanction est directe car nous ne recevons pas les autorisations administratives qui nous sont nécessaires.

Le dossier des engagements de l'État nous donne la liberté de caler le tracé de l'autoroute dans la bande des 300 mètres arrêtée par décision ministérielle. Cette liberté a toutefois été réduite à des endroits sensibles pour la biodiversité où le dossier a déterminé des points de passage obligatoires. Au droit des cours d'eau, des contraintes très claires avaient été données sur l'ouverture des viaducs, mais également sur la perpendicularité de l'ouvrage pour limiter les impacts. Il nous a également été demandé, dans certains cas, de ne pas intervenir en phase de travaux dans les lits mineurs et majeurs de ces cours d'eau afin de limiter les perturbations des milieux sensibles.

Nous étions effectivement dans le domaine de l'expérimentation puisque personne n'avait auparavant mis ce type de mesures en oeuvre dans ce délai et à cette échelle. Nous avons donc réuni un maximum d'acteurs actifs dans ce domaine et précurseurs en matière de compensation. Cela nous a poussés à choisir CDC Biodiversité comme partenaire. Car il s'agit d'un volet d'une conception itérative dans laquelle sont intégrés d'autres éléments comme l'humain ou l'économie. La nouvelle définition de la compensation donnée par la loi a conduit à ce que nous compensions des hectares de champs de maïs qui peuvent être un territoire de chasse pour certains rapaces comme l'élanion blanc. Les environnementalistes ont fini par réduire les incompréhensions que ce mécanisme générait pour les ingénieurs que nous sommes.

Certains des choix que nous avons opérés pour fixer le tracé de l'autoroute n'ont pas toujours été bien compris. Il nous est par exemple arrivé de rapprocher le tracé des habitations, engendrant des levées de boucliers de la part des élus et des riverains lors des concertations publiques sur le choix de l'itinéraire. Il a fallu être pédagogue pour leur expliquer que leur lieu de vie n'était pas le seul enjeu concerné, que la biodiversité entrait également en ligne de compte dans le choix du tracé et qu'un compromis devait être trouvé.

La DUP nous donne le droit de procéder à des expropriations pour acquérir le foncier nécessaire au projet, mais pas pour mettre en oeuvre la compensation environnementale. Quand bien même nous aurions pu y avoir recours, le niveau de maturité de la population sur les enjeux environnementaux n'était pas suffisant. Les propriétaires expropriés n'auraient pas compris qu'on les mette dehors de chez eux pour des considérations environnementales.

La CDC Biodiversité nous a aidés à trouver des partenariats avec des acteurs locaux pas forcément très convaincus au départ, qu'ils soient issus du monde de l'agriculture, du monde de la sylviculture ou qu'il s'agisse de propriétaires privés n'exploitant pas particulièrement leur terre.

Les considérations environnementales, les considérations des riverains mais également les considérations techniques devaient donc s'imbriquer pour définir le projet car nous devions maîtriser le coût global de l'infrastructure.

M. Rémy Pointereau . - Comment s'est passé le dialogue avec les élus locaux, les propriétaires et les riverains sur le choix du tracé ? À quel moment êtes-vous intervenus sur le choix du tracé ? Avant ou après la détermination de la bande des 300 mètres ?

Lors de la signature des actes afin de disposer du foncier pour mettre en oeuvre les mesures de compensation environnementale, avez-vous bien établi les règles de mise en oeuvre avec les propriétaires ? Un dialogue a-t-il été nécessaire ? Une association a-t-elle servi d'intermédiaire ou avez-vous pris contact avec les riverains et propriétaires un par un ?

Est-ce que le « 1 % paysagé » inclut des mesures compensatoires de biodiversité ?

Sur les 1,25 milliard d'euros de coût global, combien représente le surcoût induit par le passage du contexte de l'avant-Grenelle à celui de l'après-Grenelle ? Quel est l'impact final pour les contribuables ?

M. Roland Courteau . - Les mesures de compensation tiennent-elles compte de la différente capacité des sols à stocker le carbone en fonction de leur nature ?

Tous les sols n'ont pas la même teneur en matière organique. La baisse de cette teneur engendre une perte de biodiversité. Le changement d'usage du sol entraîne pendant quelques décennies la baisse du stock de carbone et une diminution de la biodiversité. Les mesures de compensation en tiennent-elles également compte ?

M. Olivier de Guinaumont. - Nous avons hérité de la bande de 300 mètres à laquelle ont été ajoutées quelques restrictions que j'ai déjà évoquées afin de tracer l'axe de l'autoroute. Cette bande est présentée par l'État dans l'enquête publique avec un projet illustratif et fait l'objet de la DUP. Cette DUP a été concomitante avec le contrat de concession mais elle intervient habituellement bien avant et relève de la seule responsabilité de l'État.

Nous avons assez rapidement repris les études de l'État afin d'affiner un peu le projet sur la base de critères techniques, économiques et environnementaux. Nous avons, pour cela, réalisé des réunions publiques au sein des communes concernées, en les regroupant dans le cas fréquent où elles étaient de faible taille. Ce nombre important de petites communes nous a fait beaucoup nous appuyer sur les conseillers départementaux pour fédérer les demandes et encadrer le processus.

Ces réunions publiques sont un processus collaboratif ressemblant à une enquête publique mais du point de vue d'une structure privée. Nous avions pris le parti, comme c'est le plus souvent le cas, d'y décrire le projet tel que nous l'envisagions et d'en discuter. Après avoir discuté avec les élus et les associations représentatives, on revient dans un second temps présenter un nouveau projet dans lequel nous avons essayé de tenir compte des attentes qui nous avaient été exprimées. Il s'agit le plus souvent d'attentes de proximité telles que des nuisances visuelles ou des besoins de fonctionnalité touchant, par exemple, le placement des bretelles.

Les intermédiaires que constituent les élus et les associations sont obligatoires car un tel projet touche des dizaines de milliers de personnes avec qui il n'est pas possible de dialoguer individuellement.

En ce qui concerne les actes notariés par lesquels nous avons acquis les terrains, nous avons très tôt superposé le tracé avec le parcellaire afin de définir les terrains qui devaient être acquis. Une première démarche amiable a été entreprise auprès des propriétaires. Elle a permis assez rapidement de repérer les propriétaires avec lesquels un dialogue a été possible et les dossiers qui ont été plus compliqués à traiter. Vus les fonds mobilisés, l'absence de subvention publique et le fait que les recettes ne seront perçues qu'à partir de la mise en service de l'autoroute, il nous fallait aller le plus vite possible. C'est d'ailleurs l'avantage des partenariats publics privés et des contrats de concession : ils permettent de faire émerger des projets très rapidement. Dès que les dossiers qui posaient problème ont été identifiés, une procédure d'expropriation a été lancée sur la base d'études parcellaires. Beaucoup de dossiers d'expropriations ont été abandonnés en cours au profit d'une solution à l'amiable. Les autres dossiers ont été transmis au juge des expropriations sur la base de la DUP.

Sur les 150 kilomètres de tracé, nous comptons aujourd'hui moins d'une dizaine de dossiers d'expropriation ayant donné lieu à contentieux. Ils ont été motivés par le sentiment que les biens avaient été sous-évalués ou que les nuisances étaient disproportionnées par rapport à l'intérêt général du projet matérialisé par la DUP.

Le « 1 % paysage » représente 6 millions d'euros investis par le concessionnaire pour cofinancer des projets dans la zone de covisibilité. Cette zone comprend notamment les 52 communes impactées, mais pas seulement. Cela ne vient pas forcément compléter les mesures compensatoires et en aucun cas s'y substituer. Ces projets regroupent, par exemple, des projets d'aménagement pour des entrées de villes ou des projets de valorisation du patrimoine encadrés par la directive « 1% paysage et développement ».

En ce qui concerne le surcoût, l'épisode qui a conduit à la signature d'un avenant avec l'État marque pour nous une période difficile. Le surcoût était, sur le papier de 250 millions d'euros. Il comprenait, certes, les nouvelles contraintes environnementales mais sa part prépondérante était liée à la suspension et à l'allongement des travaux ainsi qu'au retard induit pour la mise en service de l'autoroute, même si une grande partie de ce retard a ensuite été rattrapée. Notre société s'est finalement mise d'accord avec l'État pour une enveloppe supplémentaire de 90 millions d'euros et une extension de la période d'exploitation de 5 ans. C'était l'effet « Grenelle ».

Le coût global de la prise en compte de l'environnement au sens large sur un projet de cette envergure est de 250 millions d'euros. Je ne peux cependant pas vous dire avec précision quelle part de cette somme est directement liée à l'effet « Grenelle » puisque les contraintes initialement posées par l'État étaient prises en compte dans notre projet. Il s'agit par exemple des murs anti-bruit et autres dispositions particulières.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous confirmez donc que le principal surcoût environnemental, pour un aménageur, est aujourd'hui le possible blocage des travaux ?

M. Olivier de Guinaumont. - Une suspension coûte très cher. Les grands projets sont faits pour aller très vite car les enjeux financiers sont majeurs. Sur les 1,25 milliard d'euros que coûte le projet, la réalisation des travaux, la conception et l'acquisition foncière reviennent à un milliard et le reste correspond à la charge financière. Les 900 millions d'euros empruntés produisent des intérêts pendant toute la période de construction, qui nécessitent de sur-emprunter pour pouvoir les régler. Avec une dette à 5 %, une année d'intérêt revient à 45 millions d'euros. Le modèle de la concession permet, certes, d'aller vite, mais c'est surtout une nécessité, sans quoi des surcoûts intrinsèques au système peuvent être générés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pensez-vous que, dans la culture d'Eiffage, il a été acté que plus vite les questions environnementales étaient réglées en amont et plus faibles étaient les risques de surcoût lié à de possibles contentieux ?

M. Olivier de Guinaumont. - C'est la principale caractéristique des concessions et des partenariats public-privé. Des études ont été lancées dès que nous avons été pressentis par l'État pour l'attribution du contrat, sans pourtant être parfaitement sûrs que nous serions in fine signataires. Il était impératif de commencer le plus tôt possible car le calendrier était particulièrement contraint et les risques devraient être levés le plus tôt possible afin de faciliter la phase d'exécution. Cela permet également au public de se projeter. Car, dans le cas de l'A65, le public habite dans une région privilégiée et s'était fait une image catastrophique du projet. Il a fallu beaucoup de temps pour expliquer, à l'aide d'illustrations et d'infographies, comment allait être traitées leurs préoccupations. Cette étape est nécessaire à l'établissement d'une relation de confiance, afin de prévenir des conflits qui pourraient retarder le projet. Nous subissons des contraintes économiques, mais il n'existe aucune volonté de mal faire de notre part.

Les conflits que nous avons rencontrés s'expliquaient par des incompréhensions ou des oppositions idéologiques. Certaines associations cherchent, par nature, la contestation. À aucun moment nous avons pu travailler ensemble, malgré des discussions parfois constructives en aparté.

Sur les sujets relatifs au carbone, il n'existait pas, à l'époque de la création de l'A65, de nécessité de compenser sur ce point. Cette autoroute possède, en outre, une faible circulation qui est d'ailleurs majoritairement issue d'un report de trafic.

M. Roland Courteau . - Je souhaitais savoir si les mesures de compensation prenaient en compte la capacité de sols à stocker le carbone. Il peut, en la matière, exister des différences allant du simple au triple.

M. Philippe Thievent. - Il n'existait pas de contraintes ou de prescriptions particulières en la matière. Ce sont des paramètres qui n'ont pas été pris en compte au moment de l'évaluation et de l'estimation des mesures de compensation. Les mesures sont, dans le cadre de notre législation comprise « habitat pour habitat ». Elles vont donc s'orienter vers la même nature de milieu que celui dont les dégradations doivent être compensées. On peut imaginer qu'à partir du moment où on traite, par exemple, de la zone humide pour de la zone humide ou de la forêt pour de la forêt, ce paramètre ne varie plus beaucoup passé un certain délai.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons interrogé l'ADEME sur la possibilité d'intégrer un volet carbone dans la définition des mesures de compensation.

M. Olivier de Guinaumont. - Pour reprendre le fil du questionnaire transmis, je précise que nous avons travaillé en étroite collaboration avec les services de l'État dans l'élaboration des arrêtés et la préparation des dossiers de compensation, y compris avec certains services qui ont pour mission habituelle de sanctionner et pas forcément d'accompagner. Les arrêtés de dérogation ministériels et préfectoraux prévoient que le suivi des mesures de compensation est de la responsabilité du préfet de région et donc de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Ils prévoient également la constitution d'un comité de suivi dont les réunions sont assez fréquentes en phase de mise en oeuvre durant les trois premières années, puis un peu plus espacées par la suite. Ces trois années nous ont été nécessaires pour disposer du foncier nécessaire aux mesures de compensation.

Nous en avons apporté la preuve et nous nous sommes ensuite penchés sur les plans de gestion, afin de garantir ces mesures dans la durée. Après cette phase, les rendez-vous se sont espacés pour devenir annuels alors que leur fréquence initiale était mensuelle. Elle a parfois été légèrement inférieure, mais les réunions du comité de suivi ont toujours été organisées en bonne intelligence avec la DREAL, les institutions et les associations de protection de l'environnement qui en étaient membres, comme la société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), par exemple.

Du fait du caractère expérimental de la démarche, ces réunions du comité de suivi ont, à chaque fois, été l'opportunité de faire état de l'avancement du projet et de valider un certain nombre de principes. Des visites sur place ont également été organisées par la DREAL et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a pris l'initiative d'un certain nombre de formations en lien avec les mesures de compensation mises en oeuvre. Je ne doute pas que cet organisme aurait fait remonter les éventuels problèmes rencontrés et aurait exercé sa mission de contrôle si l'occasion lui en avait été donnée.

Les associations locales présentes dans le comité de suivi ont également un intérêt à ce que nous respections les engagements que nous avons pris et auraient également été les témoins privilégiés d'éventuels dysfonctionnements de notre part. Je déplore néanmoins que ces associations ne soient plus aussi présentes qu'auparavant aux réunions de suivi. Peut-être considèrent-elles que les mesures sont suffisamment avancées et sécurisées ?

L'auditeur technique des banques qui nous ont financés vérifie également l'effectivité des mesures et des arrêtés sur une base trimestrielle en ce qui concerne le contrôle sur pièces et annuelle pour le contrôle sur place. Un rapport est ensuite envoyé aux prêteurs pour l'assurer que notre société ne sera pas mise en défaut de ses obligations et ne tombera pas sous le coup d'une éventuelle sanction.

Nos sources de contrôle sont donc multiples puisque tout le monde s'intéresse finalement au sujet. L'arrêt qu'a connu notre chantier a, en effet, sensibilisé les acteurs sur les conséquences possibles liées à des enjeux environnementaux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Existe-t-il des contrôles inopinés de l'État ou vos relations demeurent participatives ?

M. Olivier de Guinaumont . - Nos relations avec l'État ont, sur ce projet, toujours été bonnes, au niveau local comme au niveau central. Nous avons fait l'objet d'une procédure pénale pour une atteinte liée au déversement accidentel de polluants dans un cours d'eau à enjeu. Mais cette procédure a fait suite à un signalement volontaire et spontané de notre part auprès de l'ONEMA. Les enjeux étaient suffisamment importants pour justifier une parfaite transparence de notre part et un travail collaboratif.

Mme Évelyne Didier . - Je souligne l'importance des réunions de chantier sur de tels projets. Les services de l'État et les collectivités locales y sont présents et chacun doit jouer son rôle. Car le contenu des comptes rendus et les réserves qui y sont indiquées font foi.

M. Olivier de Guinaumont . - En ce qui concerne le bilan des mesures compensatoires mises en oeuvre sur le projet, je pense qu'il est globalement bon puisque les engagements pris ont été respectés. La démarche scientifique et intellectuelle a été plutôt remarquable. Je salue à ce titre tous les spécialistes qui nous ont entourés car il ne s'agit pas là de notre métier.

La version initiale de la séquence énonçait « éviter, réduire et si possible compenser ». Je pense que ce projet a montré que la compensation était possible et à grande échelle. On n'a jamais fait autant en aussi peu de temps : près de 1 400 hectares de compensation pour 590 hectares touchés par l'impact dont 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, rapporté à 1 500 hectares d'emprise.

Ces 1 500 hectares d'emprise ont été confisqués à leurs propriétaires, on ne pouvait pas imaginer leur confisquer également les 1 400 hectares nécessaires à la compensation. On ne peut pas, in fine, opposer le tissu industriel et l'ensemble des enjeux locaux à des sortes de zones de réserves. Il faut qu'ils fonctionnent ensemble et de manière intelligente. Là est la principale qualité du travail réalisé par la CDC Biodiversité.

Trois ans nous ont été nécessaires pour sécuriser les mesures de compensation alors que la loi prévoit que l'on doit théoriquement compenser avant de détruire. En l'espèce, c'était complètement impossible.

La mise en oeuvre de la compensation a nécessité douze personnes à plein temps chez CDC Biodiversité, sans compter les ingénieurs mobilisés chez nous et chez le constructeur. Le projet de l'A65 a une autre singularité : nous avons proposé une contribution volontaire de 1,5 million d'euros pour aller au-delà de l'obligation de ne pas dégrader les milieux, en les redynamisant. Il s'agit, selon moi, d'un échec relatif même si les fonds ont été en grande partie engagés.

L'acceptabilité du projet par les territoires est centrale car nous avons besoin des élus pour dérouler une telle infrastructure dans des délais aussi courts. L'assentiment du département, de la région, de l'État, du monde agricole et des chambres de l'agriculture, du milieu de la sylviculture et des propriétaires fonciers a été nécessaire pour accomplir les mesures de compensation liées au projet. Nous avons pu surmonter ce problème de l'acceptabilité sans outil équivalent à la DUP en matière de compensation, même s'il reste, de notre point de vue, du chemin à faire.

Notre engagement est aujourd'hui pérenne et reconnu comme effectif. Nous avons, avec la CDC Biodiversité, prévu d'en faire un peu plus que prévu afin de bénéficier d'une certaine flexibilité. Car les conventions passées avec les propriétaires des terrains utilisés ne portent pas sur une durée de 55 ans mais sur 5, 10 ou 15 ans.

Vous nous interrogiez sur les améliorations pratiques ou réglementaires que l'expérience de l'A65 pourrait nous amener à formuler. Même si l'aspect environnemental est pris en compte plus tôt, je pense qu'il faudrait les intégrer encore plus tôt dans la genèse des projets. Ça a été le cas sur la ligne à grande vitesse qu'Eiffage réalise entre Le Mans et Rennes puisque Réseau ferré de France (RFF) avait déjà commencé à constituer des mesures de compensation. Si des études et un constat avait été posés en amont, il nous a fallu les vérifier et les compléter pour l'A65. Rien de concret n'avait été fait lorsque nous avons récupéré la concession du projet, à part des réserves foncières constituées par chaque département. Nous disposions de la durée très courte de 4 ans entre la signature du contrat et la date de mise en service, qui correspondait globalement à un an et demi de travaux et deux ans et demi de travaux.

Si une prise en compte en amont devait être retenue, nous suggèrerions un mécanisme de réévaluation de l'impact de façon à inciter le maître d'ouvrage à améliorer l'évitement et la réduction. Car si la compensation est déterminée à l'avance, elle correspond à une sorte de droit à détruire pour le concessionnaire alors que si elle doit être réévaluée, le concessionnaire aura tout intérêt à favoriser l'évitement et la réduction pour que soient réévaluées à la baisse les mesures de compensation. Les mesures pourraient, ainsi, être également réévaluées à la hausse dans l'hypothèse inverse.

Un bémol toutefois existe puisque les lignes à grande vitesse n'induisent pas les mêmes souplesses dans les tracés que les autoroutes, du fait, notamment, de pentes et de rayons de courbures plus contraints.

Je vais peut-être un peu loin dans mon raisonnement, mais on pourrait également imaginer que l'État conserve la maîtrise d'ouvrage sur les mesures compensatoires, comme dans le cas de l'aménagement foncier que nous finançons, mais dont la maîtrise d'ouvrage revient aux collectivités territoriales.

À défaut de revenir sur le principe de compensation avant destruction, le processus itératif développé par les maîtres d'ouvrage doit pouvoir continuer à prospérer sans contraintes excessives. Une application stricte de la loi qui impose de compenser avant de détruire impose que tout le processus soit prévu en amont du contrat de concession, avec toutes les questions soulevées, ou que du temps soit laissé au concessionnaire pour qu'il mette les mesures en oeuvre.

Afin de pouvoir anticiper, des bases de données sur les espèces sont nécessaires. Dans le cadre de l'A65, les inventaires faits par l'État ont dû être largement complétés sur une période de quatre saisons, soit un an de travail. Toutes nos études techniques et nos concertations avançant en parallèle, certains résultats disponibles au bout d'un an nous obligent à remettre en cause certaines hypothèses initiales. C'est une perte de temps et d'énergie considérable.

Il faut standardiser et baisser les ratios de compensation. Avec 1 400 hectares de mesures compensatoires pour 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, l'A65 est l'exemple de ces ratios importants. Cette disproportion est utilisée comme garantie de bien retrouver sur la surface de compensation la même biodiversité qui était présente sur la surface initiale. Certaines espèces font l'objet d'un coefficient de 10 ! On pourrait toutefois imaginer de baisser ces ratios une fois que la présence de l'espèce en cause est acquise à l'endroit de la compensation. Le même raisonnement peut être tenu pour la durée de ces mesures. 55 années de gestion conservatoire, c'est très long, a fortiori pour remplacer des territoires qui ne bénéficiaient d'aucune protection particulière. Si la compensation est, en ce sens, une opportunité de protéger les nouveaux territoires concernés, je pense néanmoins que cette durée est trop longue.

Se pose également la question du périmètre géographique des mesures de compensation. En ce qui concerne l'A65, il nous a été demandé de compenser au plus près de l'infrastructure. Toutes nos compensations ont lieu en Aquitaine car nous nous sommes interdit d'aller ailleurs. Or, cette nécessité de proximité immédiate n'est pas compatible avec une lecture cohérente et raisonnée des territoires concernés, même si la CDC biodiversité a fait tout son possible pour rendre nos actions cohérentes avec celles des départements, par exemple. Cette lecture géographique stricte relève d'une logique de mitage qui n'est pas la plus efficace en matière de redéploiement et de restauration de la biodiversité.

Se pose aussi la question de la stratégie globale de restauration. Il existe des plans par espèce, mais qui ne sont pas vraiment entrés en ligne de compte dans les débats que nous avons eus avec nos différents interlocuteurs, qu'il s'agisse de l'État ou des associations.

Une instance nationale pour piloter les compensations et garantir un maillage cohérent du territoire semble donc nécessaire. Pourquoi, à ce moment-là, ne pas verser les territoires dédiés à la compensation à un gestionnaire qui possèderait cette vision globale, ou à défaut que l'État s'empare de la maîtrise d'ouvrage des mesures de compensation ?

Dans le cadre de l'A65, 200 hectares de compensation touchent spécifiquement le vison d'Europe alors que, selon les experts, il a virtuellement disparu de la région. Dans le cadre du million et demi d'euros mobilisé pour des actions volontaires, 500 000 euros ont été dédiés à la redynamisation de cette espèce. Nous avons proposé de participer au plan de reproduction en captivité mais il nous a été expliqué que ce n'était pas nécessaire. Nous avons proposé de faire de la réintroduction mais il s'avère que l'action en faveur du vison est plutôt localisée vers la Charente. Je me demande donc à quoi vont servir les 200 hectares que nous avons mobilisés si ce n'est à répondre aux dispositions des arrêtés. Même si nos engagements sont formellement caducs au regard de ces arrêtés puisque nous avons pris du retard, nous conservons l'intention d'utiliser ces 1,5 million d'euros pour aller au-delà de la simple compensation et réellement redynamiser certaines espèces. Or, je me rends compte que le million d'euros déjà dépensé n'a servi qu'à réaliser des études. J'ai donc demandé à la DREAL que le reste de la somme qui doit être débloqué le soit au profit d'actions concrètes. En ce qui concerne le vison, je souhaite qu'à défaut de réintroduction, un traitement des routes départementales soit opéré. Car il ne sert à rien de restaurer de beaux espaces si les espèces qui y vivent se font écraser sur les routes alentours.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous nous indiquez qu'il manque une autorité pour faire la synthèse de la vision globale des opérateurs ou une autorité scientifique. Il manque donc une stratégie avec un certain nombre d'acteurs dont un opérateur possédant une vision nationale de trames régionales cohérentes ?

M. Olivier de Guinaumont . - Une stratégie et un schéma directeur sont effectivement nécessaires. Un grand pas a été fait avec l'A65 mais la réflexion n'est pas tout à fait aboutie et ces éléments nous ont manqué. Ces mesures coûtent très cher et il ne faudrait pas qu'elles restent lettre morte.

En ce qui concerne la règlementation, je pense qu'il est aujourd'hui nécessaire de rassurer les propriétaires. L'hypothèse que des mesures de compensation soient assises sur des servitudes qui grèveraient définitivement les propriétés rendrait très difficile l'accès à ces terrains sur les bases d'un partenariat entre les propriétaires et le concessionnaire ou ses opérateurs. La perspective possible de perte de valeur du terrain entrainerait des résistances et minerait tout le travail de pédagogie que nous avons effectué avec les services de l'État.

M. Philippe Thievent . - L'autoroute A65 est un exemple pour travailler autour de cette dimension. Le territoire concerné est important et hétérogène et les 1400 hectares de mesures de compensation sont à la fois beaucoup, mais représentent in fine, une faible surface. Pour que les mesures soient efficaces, il est donc nécessaire qu'elles soient conçues en synergie avec les autres actions mises en oeuvre dans les territoires. Nous avons, à ce titre, veillé à la complémentarité des mesures de compensation avec les attentes des collectivités territoriales en matière d'espaces naturels sensibles ou de réserves naturelles. On débouche donc sur la question de ce que l'on appelait dans le temps les corridors écologiques, qui sont devenus les trames vertes et bleues à l'issue du Grenelle. Il faut donc évoluer vers la prise en compte de la fonction écologique des milieux car la réglementation actuelle traite des espèces protégées, mais pas de leur fonction écologique et du rôle de la nature. Sous le prisme des actions de l'homme en faveur de la nature, il faut se rendre compte que 90% des services écologiques sont fournis par la nature ordinaire. Si leur rôle d'indicateur n'est pas remis en cause, il faut néanmoins noter que les espèces emblématiques ne sont qu'une « cerise sur le gâteau ».

Un projet, même important, n'aura qu'une portée limitée s'il agit seul, malgré les montants et les efforts significatifs qui pourront être engagés.

La période actuelle est propice aux réflexions sur la manière de restaurer la nature et les mesures compensatoires ne sont qu'un levier parmi d'autres. Il est nécessaire d'avoir une vision globale du problème et que la notion d'équivalence écologique évolue progressivement. Les services de l'État, les experts, les scientifiques devraient, en ce sens, réfléchir aux priorités biogéographiques à une échelle régionale. Ces objectifs devraient, dans un second temps, donner lieu à des actions ad hoc, qu'il s'agisse de mesures de compensation, d'actions volontaires ou de l'utilisation des prérogatives des pouvoirs publics.

L'A65 a été une véritable expérimentation car elle permet de réfléchir de manière très concrète à toutes ces questions-là.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ma question peut paraître provocatrice, mais un aménageur n'aurait-il pas plus intérêt à raisonner en unités d'équivalence écologique auxquelles serait attaché un prix, même élevé auprès d'un opérateur ? Le paiement du prix pour solde de tout compte serait une garantie juridique et économique pour l'aménageur et la sous-traitance des mesures de compensation auprès d'un spécialiste en garantirait l'efficacité en faveur de la biodiversité.

M. Olivier de Guinaumont . - Le mécanisme que vous décrivez est exactement celui de l'archéologie préventive. Une cotisation est payée par le maître d'ouvrage à l'INRAP qui effectue un diagnostic et décide avec la DRAC d'un certain nombre de fouilles. Je pense toutefois qu'en matière de biodiversité il ne faut pas déconnecter un opérateur du maître d'ouvrage car ce dernier a la possibilité de faire des choix techniques qui peuvent être déterminants en matière de biodiversité. Il faut à la fois qu'un organisme apporte de la cohérence aux actions, au sein d'une stratégie planifiée, afin de créer de la valeur écologique et que les acteurs s'investissent dans cette démarche-là.

L'idée d'une possible réévaluation à la baisse des mesures de compensation va en ce sens puisqu'elle pourrait inciter l'aménageur qui dispose des choix techniques relatifs au projet à favoriser des solutions permettant d'éviter ou de réduire les atteintes à la biodiversité. Si ces mesures sont élaborées sans lui et en amont, le système deviendra obligatoirement répressif puisqu'il poussera à vérifier que le maître d'ouvrage les a bien mises en place alors qu'il n'y a pas forcément intérêt. Or je ne crois pas tellement à la contrainte.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Une solution pourrait être de traduire en valeur vénale les atteintes potentielle d'un projet, que le maître d'ouvrage arbitre entre les atteintes et des mesures d'évitement ou de réduction et que le montant correspondant aux atteintes effectives soit finalement versé à un opérateur spécialisé, le cas échéant public, qui mettrait en oeuvre les mesures de compensation de manière efficace. Il ne s'agit pas là exactement d'une taxe puisque l'existence d'une équivalence entre les atteintes et le coût inciterait le maître d'ouvrage à l'évitement. Seriez-vous favorable à un tel système ?

M. Olivier de Guinaumont . - Il faut servir l'objectif final et mettre chacun à sa place. Autant l'aménageur a la main sur les choix techniques qui impacteront plus ou moins l'environnement autant il n'est pas forcément le mieux placé pour mettre en place et gérer les mesures de compensation sur la durée.

Il est nécessaire d'anticiper les mesures de compensation mais confier totalement la mise en oeuvre des mesures de compensation à un organisme financé par les aménageurs donnerait une place centrale à l'État, dans une logique « pollueur - payeur » ou, en l'occurrence « destructeur - payeur ». Comme je vous le dis, je ne suis pas un partisan de la sanction. Je pense qu'il faut un effort commun de tous les acteurs et que cette tâche ne doit pas revenir uniquement à l'État ou uniquement à l'aménageur.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La logique « destructeur - payeur » n'est pas une logique de sanction.

Mme Évelyne Didier . - Je pense que le modèle que M. de Guinaumont nous expose diffère de celui qu'entend notre rapporteur. Il souhaite appuyer la nécessité de régler un maximum de problèmes en aval et concerter largement l'ensemble des acteurs concernés. Cette conception remet, à juste titre, en cause le fait de juxtaposer en silos des spécialistes en fonction de leur coeur de métier puisqu'elle associe une large concertation à des projets lourds et globaux qui influencent la vie des populations à de multiples endroits.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur ce point-là, un consensus existe.

Mme Évelyne Didier . - Monsieur le rapporteur fait référence à l'intervention d'un opérateur spécialisé. Il conviendra d'en préciser les modalités.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cette audition a pour but de poser des questions à nos interlocuteurs. Vous ne connaissez pas encore ma position de rapporteur ! Les débats internes à notre commission interviendront après. Mes questions ont pour but d'éclaircir les pistes posées par M. Olivier de Guinaumont. Lorsqu'il nous expose le fait que la compensation ne relève finalement pas de son métier, se pose la question de l'efficacité des mesures de compensation mises en oeuvre par un maître d'ouvrage. Se pose donc la question de la nécessité d'une autorité publique ad hoc garante de la cohérence globale des mesures de compensation mises en oeuvre sur un territoire et d'un opérateur spécialisé chargé de les mettre efficacement en oeuvre. Cet opérateur pourrait d'ailleurs répondre de l'obligation de résultat prévue par la loi et qui pèse actuellement sur le maître d'ouvrage. L'autorité publique pourrait également avoir pour rôle de calculer le transfert financier du maître d'ouvrage vers l'opérateur spécialisé en fonction des atteintes du projet sur la biodiversité. Le maître d'ouvrage serait donc en mesure de faire des arbitrages sur ses choix techniques en fonction de ce nouveau coût induit.

M. Olivier de Guinaumont . - En ce qui concerne l'obligation de résultat, nous avons pour obligation de remettre en place certaines surfaces. L'objectif est rempli quand les services de l'État, accompagnés d'un certain nombre d'experts, conviennent qu'un habitat a été restauré à hauteur d'une fraction de notre « dette » environnementale. Nous n'avons pas d'obligation de résultat sur la restauration des espèces.

M. Philippe Thievent . - L'objectif de résultat repose sur la qualité des milieux restaurés à l'aune de la physionomie des habitats. Au-delà de l'obligation surfacique, une typologie de milieux doit être atteinte, qu'il s'agisse de milieux propices à telle ou telle espèce de mammifères ou de pelouses sèches, par exemple. Il n'est, en revanche, pas possible d'avoir un engagement de résultat sur le retour des espèces elles-mêmes car certains facteurs nous échappent. L'exemple des visons et des routes départementales cité par Olivier de Guinaumont en est un exemple.

L'objectif de votre commission d'enquête est d'initier des changements afin de pouvoir agir concrètement, efficacement et dans la durée. J'ai toutefois l'impression que la solution esquissée par le rapporteur pour amender le système actuel ferait glisser d'un étalon écologique vers un étalon financier. Il est, en ce sens, difficile d'attribuer un prix à la dégradation d'une zone humide car toutes les zones humides ne sont pas équivalentes puisqu'elles peuvent occuper différentes fonctions écologiques. L'aspect économique est important, c'est le sens du rapport Chevassus-au-Louis, qui préconisait de faire correspondre, dans le cadre de choix amonts, un prix avec l'impact du projet, afin d'opérer des choix.

En revanche, lorsque l'on passe à l'étape de la compensation afin d'opérer des réparations opérationnelles sur le terrain, il convient de trouver des moyens de distinguer entre deux milieux de même nature mais qui n'ont pas forcément les mêmes fonctions écologiques, afin d'opérer des choix. J'entends par fonction écologique, pour une zone humide par exemple, les aspects hydrauliques ou liés à la protection des populations.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il existe une vraie demande des aménageurs pour préciser les règles de la compensation, notamment en matière de coefficients. Il existe également la volonté de s'appuyer sur des professionnels reconnus. L'argent est donc au coeur de la question. Plusieurs hypothèses sont possibles. La première, proche de l'état actuel du droit, est de considérer que l'obligation de restauration des milieux est une obligation de résultat et qu'en conséquence, l'opérateur doit financer à hauteur de ce qui est nécessaire, pendant le nombre d'années nécessaire, pour atteindre ce résultat tant qu'il n'y sera pas arrivé. La deuxième hypothèse est que les atteintes soient pécuniairement évaluées une fois pour toute par une autorité publique et que la somme correspondante soit versée à un opérateur spécialisé en compensation.

La troisième hypothèse correspond au système mis en place pour l'archéologie préventive. Un taux fixe serait appliqué aux sommes mises en oeuvre pour les projets d'aménagement et les fonds ainsi collectés serviraient une stratégie nationale de reconquête.

M. Olivier de Guinaumont . - Une vraie filière est en train de se créer. Elle est animée par l'État, ainsi que par une multitude d'associations. L'amélioration des travers constatés en matière de compensation ne peut se résumer à la création d'une structure publique, mais doit également prendre en compte cette filière. Sur la base de l'expérience de l'A65 et de la contribution volontaire que nous avons mise en oeuvre, j'ai bien peur que la création d'une structure auprès de laquelle serait centralisés les fonds perçus conduirait à la création de beaucoup de papier, mais à peu d'actions concrètes.

Je suis par ailleurs d'accord avec vous. Notre unité de mesure commune est l'argent. Il représente la manière la plus simple de comparer deux choses qui ne sont pas comparables. Je comprends parfaitement le souci de Philippe Thievent de ne pas décorréler les prix des valeurs environnementales, mais il s'agira in fine d'une affaire d'argent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce-que la fourchette de 10-15 % qui correspond, pour un projet, au coût des mesures environnementales, commence à être acceptée par les aménageurs, ou espèrent-ils encore pouvoir faire baisser cette somme ? Quel a, par exemple, été le coût des mesures de compensation mises en oeuvre pour l'A65 ?

M. Olivier de Guinaumont . - Ces informations relèvent du secret des affaires et vous seront communiquées par écrit. Je peux seulement vous dire que cela représente moins de 10% du coût global.

M. Philippe Thievent . - Le parallèle est intéressant à propos de l'exemple de l'INRAP. Il s'avère toutefois que des différences existent puisque la mission de l'INRAP relève du diagnostic et du sauvetage en matière d'archéologie. Il ne s'agit pas tout à fait de la même logique que la discipline de la réparation écologique.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie pour ces réponses.

Audition de M. Patrick Lantrès, président du comité
« TGV réaction citoyenne »
(jeudi 19 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous entendons M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne ». Ce comité regroupe des associations actives sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, qui fait partie des quatre projets sur lesquels nous avons choisi de nous concentrer, avec pour objectif d'étudier la définition et la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et l'effectivité des mesures compensatoires existantes et identifier les obstacles éventuels à la bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Lantrès prête serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Pouvez-vous nous indiquer si vous entretenez des liens d'intérêt avec l'un des quatre projets sur lesquels nous enquêtons ?

M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne » . - Aucun, si ce n'est que j'habite dans une commune traversée par la LGV et que je suis président d'un comité qui a déposé un recours auprès du Conseil d'État pour annuler la mise en oeuvre de cette ligne.

Je tiens à vous remercier de m'avoir proposé d'exposer les vues du comité « TGV réaction citoyenne ». Créé il y a 17 ans, ce comité originellement composé de cinq associations en a réuni jusqu'à 38 au fil des années. Il a été déclaré en préfecture en 2000 et j'en suis président depuis 2003. Voilà donc dix-sept ans que nous travaillons à faire valoir la biodiversité, mais aussi l'humain et le socio-économique. Comme je l'ai mentionné, nous avons déposé un recours en annulation auprès du Conseil d'État.

Le but commun de toutes les associations réunies dans notre comité était initialement de lutter contre le projet de la LGV et de proposer une autre politique de transport. Les années passant et le rouleau compresseur de Réseau ferré de France (RFF) oeuvrant, nous sommes passés du « non » au « non, sauf si... » tout en restant guidés par les principes du développement durable des territoires concernés, avec la confluence des trois piliers, social, écologique et économique.

Le comité a exposé ses vues auprès des ministres, en particulier MM. Bussereau et Perben. Nous avons eu de nombreux entretiens avec M. Raffarin et nous avons défendu nos arguments devant certains députés, maires etc. Nous avons travaillé d'arrache-pied avec toutes les communes concernées. Les associations de notre comité implantées sur la partie nord du projet de LGV ont pu acquérir une forme de renommée, synonyme de professionnalisme.

Nous avons travaillé sur toutes les composantes des impacts environnementaux de la LGV. Même si nous avons acquis une réputation de professionnalisme, nous sommes loin d'être des spécialistes, car la formation professionnelle des présidents d'association n'entretient pas forcément de rapport avec l'environnement. Nous nous sommes donc entourés d'experts.

J'en viens à la mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser sur laquelle vous m'interrogez. Pour la LGV L'Océane, de quoi s'agit-il ? Les aménageurs, et RFF en particulier, sont à mille lieues d'appliquer les principes de la séquence ERC. Les projets sont dans les tuyaux depuis 1992 et le comité ministériel a été créé en 1998. À l'époque, les aménageurs étaient bien loin de ces préoccupations.

Aux différents stades des études - car, vingt ans pour construire une ligne, c'est extrêmement long - au fil de l'avant-projet sommaire (APS) et de l'enquête d'utilité publique (EUP) de 2000 à 2005 pour le tronçon Angoulême-Bordeaux, puis en 2007, pour le tronçon Tours-Angoulême, l'impression des élus et de la population était que tout était joué d'avance. A-t-on cherché à éviter ? Non. À réduire ? Oui, mais au strict minimum et quand cela ne coûtait pas trop cher. À compenser ? Oui, mais au strict minimum légal.

Dans les analyses multicritères - soit 11 critères - pour évaluer des variantes de tracé, même si une majorité de critères était favorable ou assez favorable, qu'il s'agisse de la faune, de la flore, de l'environnement humain, etc., il suffisait que le critère du coût soit défavorable ou très défavorable pour que la variante soit abandonnée. A-t-on cherché à éviter ? Non. Combien de fois ai-je entendu le patron du projet dire en réunion devant le préfet que RFF était là « pour construire des lignes et rien d'autre » ! Lors de notre recours en annulation auprès du Conseil d'État, le rapporteur public a en substance proposé dans ses conclusions que les aménageurs prennent en compte les alternatives possibles au projet mais également l'aménagement de la voie existante plutôt que la construction d'une nouvelle ligne. Même si nous n'avons finalement pas eu gain de cause, je peux en déduire que l'évitement, dans le cadre de cette ligne, n'a pas été mis en oeuvre.

A-t-on cherché à réduire ? Oui. Sur beaucoup de sites l'abaissement du profil en long a été obtenu ou bien des banquettes sous les ponts ont été élargies à destination des animaux. Cependant, toutes ces initiatives s'appuient sur des études purement techniques, voire technocratiques, sans que les experts aillent sur le terrain. En témoigne la gestion des eaux de ruissellement. De nombreux débordements et des inondations ont été constatés, lors de pluies abondantes, il y a deux ou trois ans. Le fait est que RFF n'a pas tenu compte des avertissements répétés des « anciens », qui connaissent le terrain.

S'il y a bien eu des compensations, elles ont d'abord été a minima . Pour moi qui, sans être néophyte en matière de biodiversité, ne suis pas un professionnel, la compensation est un droit à détruire. Ou du moins un moyen de dire « je paie donc j'ai le droit ».

Le dossier de la LGV-SEA est mal parti, car lorsqu'il a été lancé, RFF ne connaissait pas la séquence ERC et était déterminé à faire valoir sa vérité sur le tracé de la ligne. « RFF, c'est l'État dans l'État », ai-je dit à un préfet.

M. Jean-François Longeot, président . - De quelle nature est l'atteinte à la biodiversité ?

M. Patrick Lantrès . - Il suffit de citer l'outarde canepetière, dans une zone de protection spéciale (ZPS) de la Vienne que la ligne devait traverser : les experts de RFF ont fait des comptages uniquement sur la population mâle, en se limitant à un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. Ils n'ont pas tenu compte de la réalité du terrain. L'État a dû nommer des experts pour trouver un accord a minima en prenant en compte la population entière et en élargissant le périmètre de 500 à 1 000 mètres. Sans ces mesures, l'outarde aurait disparu.

Que penser, dans la Vienne, du remplacement d'un arbre arraché par deux arbres replantés quand ces deux arbres le sont à 20, 30 ou 40 kms de la LGV, sous prétexte qu'il n'existe pas suffisamment de terres pour replanter ? Sauf que deux ans après, pour compenser l'arrachage d'arbres effectué sur le site « Center Parc », à une quarantaine de kilomètres du tracé de la ligne, on a trouvé une vaste zone près de la LGV. N'aurait-on pas pu aller jusqu'au bout du processus de compensation au moment où les études ont été réalisées ?

Des spécialistes vous expliqueraient cela mieux que moi, comme Poitou-Charentes Nature par exemple. Ils ont beaucoup travaillé avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons prévu une audition de naturalistes à propos de la LGV. D'après ce que vous nous dites, les premiers experts, mandatés par les maîtres d'ouvrage, se sont contentés de recenser uniquement les mâles de l'espèce sur un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. L'État a dû faire appel à d'autres experts pour exercer son contrôle.

M. Patrick Lantrès . - Il y a été poussé par le tollé des associations.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Où en est-on sur cette affaire de l'outarde ?

M. Patrick Lantrès . - Des spécialistes m'ont assuré que les mesures prises étaient un moindre mal. Bien présomptueux serait l'expert qui pourrait nous dire ce qu'il adviendra dans dix ans. D'autant que le problème a été aggravé par les effets du remembrement foncier.

L'accord sur l'outarde et l'affaire des arbres arrachés et replantés ont constitué les points de tension les plus vifs entre les associations et l'État. On a constaté d'autres carences dans les études préalables au projet, une dizaine d'espèces animales, notamment, n'étant pas comptabilisées. Si ces espèces avaient été répertoriées dès l'origine, le tracé de la ligne aurait peut-être été différent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le maître d'ouvrage a-t-il mandaté un bureau d'études au sujet de ces espèces protégées ?

M. Patrick Lantrès . - Oui. Quand les associations ont constaté qu'une dizaine d'animaux ne figuraient pas dans le dossier d'avant-projet sommaire, le maître d'ouvrage l'a repris. Si l'étude préalable avait été correctement menée, on aurait évité certaines erreurs. Mais il fallait passer à cet endroit-là. Et pas autre part.

Vous m'avez interrogé sur les rapports avec l'État. Heureusement que les DREAL étaient là pour revoir les dossiers. Elles ont effectué un important travail et n'ont pas manqué d'appuyer là où cela faisait mal dans les études plus ou moins bien faites de RFF, qui m'a paru peu soucieux de préserver la biodiversité.

Tel n'est pas le cas du concessionnaire LISEA, qui a rattrapé pas mal d'erreurs de RFF et comblé un bon nombre de ses lacunes. Cela mérite d'être souligné.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On le note, car il est rare qu'un collectif d'opposants dise du bien du maître d'ouvrage !

M. Patrick Lantrès. - LISEA n'est pas exempt de défauts. Nous avons eu d'âpres discussions. Disons, pour résumer, que RFF, c'est : « J'ai raison » et que LISEA, c'est : « On a raison, mais on vous écoute et on se parle ».

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce n'est pas anodin. Pourquoi, selon vous, le concessionnaire a-t-il fait plus attention ? A-t-il juste eu envie de vous être agréable ? A-t-il eu peur d'un éventuel blocage du projet et des pertes financières qui auraient pu résulter d'un retard ? A-t-il eu des craintes pour son image ? Je rappelle qu'un certain nombre d'associations ont intenté un procès à LISEA et que deux filiales de Bouygues et de Vinci ont été condamnées.

M. Patrick Lantrès. - Au risque de me faire des ennemis, je rappelle que chez RFF, on a affaire à des fonctionnaires, dont le raisonnement est borné. Chez LISEA, ce sont des professionnels de la négociation. C'est le jour et la nuit.

Il est possible de parler avec les gens de LISEA. Peut-être est-ce parce qu'ils n'ont pas peur du Comité TGV, quoique... Nous avons bloqué des TGV à plusieurs reprises, nous aurions pu recommencer. Peut-être notre lobbying auprès des élus et de certaines personnes a-t-il porté ses fruits ? Le fait est que LISEA a abordé les problèmes de manière positive. Par ailleurs, RFF devait imposer le projet, tandis que LISEA n'avait plus de questions à se poser à cet égard : elle avait à se débrouiller avec le projet. Peut-être aussi cette société a-t-elle une certaine culture de l'environnement ? Ce projet n'était pas son coup d'essai. Enfin, ayant l'habitude d'être « embêtée » par les associations, peut-être sait-elle les caresser dans le sens du poil ?

RFF a aussi l'habitude de traiter avec les associations, mais les discussions ne sont pas sereines. Pour ma part, j'ai horreur de telles discussions. Même si LISEA n'est pas irréprochable, au moins nous ont-ils écoutés. C'est important.

Je vais maintenant faire le vilain petit canard. J'avoue que cela me contrarie que l'homme soit exclu de la biodiversité. Lorsque j'essaie d'expliquer notre action, je m'entends souvent demander : « Et l'homme dans tout cela ? ».

À aucun moment le public n'a été associé aux décisions, contrairement aux associations. Dans l'étude d'avant-projet sommaire, dans les enquêtes d'utilité publique, lors des réunions organisées à notre demande, à celles des communes, lors des réunions des commissaires enquêteurs, il n'a jamais été question de biodiversité. Ce n'était pas le problème.

En réunion publique, lorsqu'on dit à la population qu'on va lui accorder un double-vitrage et qu'on lui explique par ailleurs que l'on va dépenser telle somme pour acheter de nouveaux terrains pour l'outarde, elle nous répond : « Et nous ? ». Un habitant m'a fait remarquer que les dossiers des enquêtes publiques comprenaient dix à quinze fois plus de pages consacrées aux animaux qu'à l'homme. Comment la population pourrait-elle adhérer à un projet sachant que les dossiers d'enquête publique peuvent compter 2 000 pages et peser 18 kilos ?

Pour notre part, nous faisons de l'information. Pour attirer le public, il faut prendre en compte l'homme dans la biodiversité, de façon officielle.

Prévoir des compensations importantes en cas d'atteinte à la biodiversité est une bonne chose, mais ce n'est pas assez : pourquoi ne pas en prévoir un minimum pour l'homme ? Comment le public peut-il s'intéresser à la préservation de la biodiversité alors qu'on lui demande de se taire, qu'on lui dit que la ligne se fera, mais qu'on n'en fera qu'un minimum pour lui ?

J'ai lu les comptes rendus des travaux de votre commission d'enquête sur la biodiversité. Ils me confortent dans l'idée que l'homme doit être au coeur de la biodiversité. Si je ne me trompe pas, cinq hominidés sont en voie de disparition. Dans l'arbre de vie, l'homme se situe juste à côté. Pourquoi s'intéresserait-on aux hominidés et pas à l'homme ? D'aucuns penseront que je suis hors sujet, mais je ne le suis pas. On n'intéresse l'homme à ces problèmes qu'à la maternelle, où l'on fait faire des herbiers aux enfants. Ensuite, c'est fini !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce que vous dites est intéressant pour une bonne compréhension des mesures de préservation de la biodiversité.

M. Patrick Lantrès. - C'est primordial !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment fonctionne votre collectif ?

M. Patrick Lantrès. - Nous nous sommes partagé les tâches. Il eut été improductif que chaque association travaille autant sur la biodiversité que sur l'homme. Certaines associations travaillent à 80 % sur l'homme et à 20 % sur la biodiversité, d'autres font l'inverse. Il n'y a pas d'associations de protection de la nature au sein du Comité, car ces associations étaient déjà organisées en associations nationales. Il valait mieux que les associations de protection de la nature oeuvrent dans leur domaine en se préoccupant un peu de l'humain et que nous nous intéressions de notre côté surtout à l'humain et un peu à la préservation de la biodiversité et de l'environnement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est intéressant. Dans d'autres dossiers, un collectif réunissait tout le monde. Chez vous, il y a deux groupes, d'un côté les associations de protection de l'environnement, de l'autre le Comité.

M. Patrick Lantrès. - Les associations environnementales oeuvrent sans aucun rapport avec le Comité, et ce pour des raisons pratiques. Il y a une quinzaine d'années, nous étions tous en activité et le Comité nous prenait beaucoup de temps. Nous ne pouvions pas en plus prévoir du travail en commun avec les associations de protection de la nature.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - A quelles associations songez-vous ?

M. Patrick Lantrès. - La Ligue de protection des oiseaux, la SEPANSO, Poitou-Charentes nature sont les plus impliquées sur le dossier. Cette dernière association est d'ailleurs tout à fait prête à vous rencontrer si vous le désirez .

Pour ma part, je vous livre davantage un témoignage qu'une analyse technique. Je le répète, je pense que tant qu'on ne prendra pas l'homme en compte dans la préservation de la biodiversité, même si c'est beaucoup plus lourd à gérer, il y aura un problème.

Je vais faire un parallèle osé : pourquoi les écologistes ne recueillent-ils que 2 % ou 3 % des votes lors des scrutins ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela nous intéresse de le savoir !

M. Patrick Lantrès. - C'est entre autres parce qu'ils s'occupent des animaux, de la préservation de la biodiversité, mais pas de l'homme. Or, il faut prendre en compte l'ensemble. Je sais bien qu'à chaque jour suffit sa peine, mais peut-être votre commission pourrait-elle se pencher sur cette question !

Vous m'avez demandé ce que l'on pouvait faire pour améliorer la séquence « éviter, réduire, compenser ». En France, on a une propension à créer de nouvelles lois sans appliquer celles qui existent. Commençons par appliquer les lois votées !

Ensuite, tout passera par l'évolution des mentalités des aménageurs. Aujourd'hui, ils commencent à s'engager dans la phase «réduire » ; ils compensent également, mais ils sont loin d'avoir intégré la phase « éviter ». J'ai lu le rapport « Corridors en infrastructures, corridors écologiques ? » de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). Il y est annoncé une « volonté et une capacité réelle d'améliorer les pratiques des entreprises ». Cela fait plaisir de lire cela. LISEA fait partie de ce club, pas RFF, sauf erreur de ma part.

Il faut inculquer aux entreprises, aux aménageurs non pas ce qu'est la biodiversité, car ils commencent à le savoir, mais ce qu'est une culture d'entreprise dans le domaine de la biodiversité. La préservation de la biodiversité doit être considérée non pas comme une mesure inflationniste, mais comme un projet d'entreprise. Le jour où les entreprises incluront dans leur projet la défense de la biodiversité, y compris de l'homme, le jour où elles auront une charte réelle, on pourra travailler sur le « éviter ». On n'aura plus tellement besoin de compenser. Le « compenser », c'est le gendarme. Il est facile de compenser, mais il est beaucoup plus difficile d'éviter.

Certes, il est question de préservation de la biodiversité dans les dossiers d'enquête publique. De nombreuses communes ont ainsi été très heureuses d'apprendre que tel ou tel animal vivait sur leur territoire. Certaines d'entre elles ont même nommé des responsables biodiversité. La LGV a de bons côtés... Cela étant dit, globalement, les entreprises n'ont pas cette préoccupation à l'esprit. Là est le problème. Avant de parler de compensation, faisons donc de l'éducation et incitons les entreprises à avoir de réels projets en matière de préservation de la biodiversité.

M. Jean-François Longeot, président . - Nous vous remercions de votre intervention.

Audition de M. Romain Dubois, auteur du rapport « Améliorer la séquence Éviter-Réduire-Compenser », directeur général adjoint
de SNCF Réseau
(jeudi 19 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président. - Après avoir entendu hier M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, nous recevons M. Romain Dubois, directeur général adjoint de SNCF Réseau et auteur d'un rapport intitulé « Améliorer la séquence Éviter - Réduire - Compenser », remis à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer le 3 avril 2015.

Les conclusions de ce rapport intéressent notre commission d'enquête à plus d'un titre puisque je vous rappelle que nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

J'indique à notre intervenant que nous étudions, de manière plus spécifique, quatre projets d'infrastructures, qui chacun mettent en lumière un stade différent de la mise en oeuvre ou du contrôle des mesures de compensation : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant demander à M. Romain Dubois de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Dubois prête serment.

M. Jean-François Longeot, président. - Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Romain Dubois, directeur général adjoint de SNCF Réseau . - Je n'ai aucun lien d'intérêts à titre personnel et plus de liens d'intérêts - si tant est qu'il en ait existé - en qualité de président du groupe de travail sur l'amélioration de la séquence ERC. En tant que directeur général adjoint de SNCF Réseau, mes liens d'intérêts sont les mêmes que ceux exposés hier par Patrick Jeantet, si ce n'est que, s'agissant de la LGV SEA, je n'interviens pas au titre de l'autorité concédante mais plutôt pour le partage de capacités de circulation des trains.

Notre groupe de travail, mis en place à la suite des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, a travaillé à partir d'une lettre de mission dont l'objet, volontairement réduit, était en même temps porteur d'un paradoxe sur lequel je reviendrai. Il s'agissait, pour répondre aux difficultés que rencontrent les maîtres d'ouvrage, de formuler des propositions concrètes et opérationnelles d'amélioration de la séquence ERC, à droit constant. Au-delà de la séquence ERC, nous nous sommes également intéressés à des sujets connexes tels que le bruit, les pollutions ou les atteintes sanitaires. Compte tenu des délais contraints qui nous étaient impartis - trois réunions plénières entre septembre et décembre 2014 - le rapport ne visait pas l'exhaustivité. Il ne recherchait pas non plus à tout prix le consensus et des opinions divergentes ont pu être exprimées en annexe. Pour autant, les six propositions phares issues du rapport n'ont pas été contestées par les membres du groupe de travail. Le paradoxe dont je vous ai parlé tient au fait qu'un grand nombre de représentants au sein du groupe de travail étaient des juristes, qui ont par conséquent dû lutter contre leur volonté de faire davantage de droit pour formuler des propositions à droit constant.

Les travaux se sont bien déroulés. Nous avons examiné des expériences concrètes, en France comme à l'étranger, notamment sur la base d'informations fournies par les ministères de l'écologie - le Commissariat général au développement durable (CGDD) a été très investi - et de l'agriculture.

Notre groupe de travail a poursuivi deux objectifs. En premier lieu, celui de simplifier les procédures applicables, notamment par une meilleure coordination des nombreux régimes d'autorisation ou de déclaration. Nous avons considéré que l'administration pouvait être aidante sur ce point grâce à un meilleur dialogue et à la mise en place de réponses davantage coordonnées et que la séquence ERC ne pouvait pas s'appliquer de la même façon pour les grands et pour les petits projets. Le second objectif était l'efficacité. Nous avons notamment rappelé la hiérarchie entre les trois volets de la séquence ERC, aujourd'hui consacrée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité. Notre sentiment est que les maîtres d'ouvrage ne savent pas suffisamment documenter l'évitement ni communiquer sur la notion d'intérêt public majeur, deux points qui doivent également être portés par la puissance publique. La question a été posée de savoir si le meilleur évitement ne consistait pas finalement à éviter le projet en lui-même mais elle nous a semblé dépasser l'objet du groupe de travail.

Notre première proposition consistait à améliorer le partage de la connaissance pour tous et de regrouper l'ensemble des connaissances au sein d'un centre de ressources unique. Cela suppose notamment que les maîtres d'ouvrage mettent à disposition les données contenues dans leurs études d'impact. Cette proposition d'un centre de ressources a été reprise par le Président de la République fin 2014, dans son discours de conclusion des assises de l'environnement. Le Président a dans le même temps rappelé l'objectif selon lequel un bon projet doit pouvoir aller vite tandis qu'un mauvais projet doit pouvoir s'arrêter - le sentiment général étant parfois inverse. Le CGDD s'est depuis attelé à la tâche de construire ce centre de ressources.

La deuxième proposition était d'améliorer la formation de l'ensemble des parties prenantes sur la séquence ERC, notamment des bureaux d'études. Sur ce point, nous avons repris une proposition formulée en 2010 par Mme Chantal Jouanno, alors ministre de l'environnement, qui était de faire signer par les bureaux d'études une charte d'engagements. Cette proposition a été fortement débattue au sein du groupe de travail. Certains membres voulaient en effet aller plus loin que la signature d'une charte, à travers une certification ou une labellisation. Il m'a paru préférable de s'engager dans un premier temps sur la signature d'une charte avant d'envisager la mise en place de systèmes risquant de générer des difficultés de fonctionnement et des barrières à l'entrée.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur deux des dossiers qu'étudie notre commission d'enquête, des espèces protégées n'ont été découvertes qu'après la réalisation des études d'impact. Est-ce que les moyens mis en oeuvre par les maîtres d'ouvrage auprès des bureaux d'études sont suffisants ? Avez-vous proposé, par exemple de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes de temps suffisamment longues, afin qu'ils aient une vision de l'ensemble des saisons sur un site ?

M. Romain Dubois. - Sur cette question précise, le groupe de travail n'a pas fait de proposition. En revanche, je peux vous parler de notre pratique chez SNCF Réseau. Nous avons fait le choix de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes relativement longues. La difficulté qui découle de ce choix est de ne pas créer de rentes de situations qui empêcheraient les bureaux d'études les moins expérimentés de rentrer sur le marché.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je comprends votre crainte de voir quelques bureaux d'études dominer le marché s'il y avait certification. L'argument me semble moins valable s'agissant simplement du renforcement des moyens alloués aux bureaux d'études et de leurs cahiers des charges.

M. Romain Dubois. - Il y a deux sujets différents en effet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je suis étonné que votre commission n'ait pas cherché à renforcer le cahier des charges des bureaux d'études.

M. Romain Dubois. - J'en prends acte. Le groupe de travail avait bien mesuré la nécessité de disposer d'une certaine profondeur dans le temps mais cela n'a pas été décliné sous forme de proposition.

Notre troisième proposition, qui se retrouve également dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, était de mieux mutualiser les mesures ERC. Cette possibilité est ouverte en droit européen. L'espoir serait d'avoir un nombre plus réduit de régimes d'autorisations et de déclarations.

La quatrième proposition était de rendre plus lisibles les actions des maîtres d'ouvrage, y compris en en faisant un argument de communication. L'application de la séquence ERC peut être valorisée, à la fois en termes de démocratie participative et de communication par les entreprises. S'agissant de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), SNCF Réseau a créé « Carticipe », un outil de participation en ligne qui comprend une carte permettant de voir les évitements et les différents tracés envisagés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je comprends bien mais comment rendre l'action plus lisible s'agissant de l'évitement ? Est-il possible de quantifier ou de valoriser économiquement une mesure d'évitement ou de réduction ?

M. Romain Dubois. - La valorisation économique est compliquée. En revanche, la vision géographique est facile. Sur le tronçon entre Mantes et Evreux de la LNPN, il est très facile de voir que tous les tracés envisagés évitent une zone Natura 2000 : on peut communiquer sur ce point. Autre exemple, la LGV Méditerranée a été tracée de façon à éviter un nid d'aigle sauvage : le surcoût lié à la construction de deux kilomètres supplémentaires est chiffrable. Les choses sont parfois difficiles : déplacer la construction d'un ouvrage d'art pour maintenir la continuité écologique peut engendrer un surcoût mais ce surcoût ne correspond qu'à une partie du coût de la construction de l'ouvrage d'art.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-il raisonnable de construire deux kilomètres de lignes supplémentaires pour protéger un nid d'aigle ? Un raisonnement plus rationnel ne conduirait-il pas à payer le prix de la destruction de ce nid d'aigle, le cas échéant pour permettre aux associations de disposer de moyens supplémentaires pour défendre les aigles ailleurs en France ?

M. Romain Dubois. - La réflexion peut évoluer, en particulier s'agissant des ouvrages existants. Je pense en particulier à la découverte de cigognes sur la ligne Bordeaux-Dax : il n'est pas envisagé de fermer la ligne ni de ne pas rénover la caténaire « midi » ; en revanche, au moment de la rénovation de celle-ci, nous prévoirons des solutions pour faciliter la nidification des cigognes.

Notre cinquième proposition était de développer des éléments méthodologiques sur la compensation. Nous avions en effet constaté que la connaissance scientifique sur les mesures de compensation était encore partielle. Les choses se sont améliorées depuis.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Regardez-vous l'exemple américain ?

M. Romain Dubois. - Nous avons en effet regardé l'expérience américaine, sans pour autant y voir un modèle à reproduire. Les grands maîtres d'ouvrage et les représentants du monde agricole se sont émus du recours trop systématique à la compensation surfacique. Mais il nous a paru nécessaire de prolonger la réflexion sur d'autres modes de compensation avant de proposer des solutions.

La sixième proposition était de permettre la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets et différents maîtres d'ouvrage, notamment pour éviter qu'un maître d'ouvrage ne vienne contredire les actions de compensation menées quelques années auparavant par un autre maître d'ouvrage. L'idée du centre de ressources est à ce titre importante, tout comme la valorisation géographique et cartographique, notamment auprès du public.

Quelques pistes d'approfondissement avaient également été envisagées par le groupe de travail, certaines d'ordre juridique telles que la consolidation en un même endroit du code de tous les éléments de la séquence ERC. Je crois que c'est aujourd'hui le cas s'agissant de la biodiversité. D'autres sujets nous ont semblé mériter un approfondissement : l'application de la séquence ERC au bruit, sujet pour lequel la compensation peut s'avérer difficile ; l'utilisation des friches industrielles, agricoles ou commerciales pour la compensation. Le monde agricole a beaucoup insisté sur le fait que le foncier disponible qui est le plus systématiquement regardé pour la mise en oeuvre de mesures compensatoires est le foncier agricole quand d'autres éléments du foncier, notamment les friches, pourraient être utilisés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Aucune proposition n'a été formulée pour autant ?

M. Romain Dubois. - Des questions demeuraient sur la façon dont devraient être traitées ces friches et il n'était pas évident qu'un consensus pourrait être trouvé sur ce point. Le CGDD continue cependant d'y réfléchir.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Au fil de nos auditions sont déjà apparues un grand nombre de questions que vous n'abordez pas : la question des trames écologiques par exemple, celle de l'équivalence écologique ou encore celle des flux financiers. Quels étaient les points de blocage pour construire des consensus au sein de votre groupe de travail sur ces sujets ? Qu'est-ce qui vous a empêché d'aller plus loin que les propositions que vous énoncez ? Les opérateurs se méfient-ils d'un système qui risque de les amener demain à des coûts financiers plus importants ? Les associations étaient-elles réticentes à s'engager dans des équivalences qui auraient entraîné la mise en oeuvre de mesures compensatoires plus loin qu'à proximité immédiate du projet ? Où sont les difficultés pour trouver les consensus ?

M. Romain Dubois. - Je rappelle tout d'abord que le groupe de travail s'est réuni pendant trois mois seulement, avec une demande de la Ministre de faire quelques propositions concrètes et opérationnelles. Notre groupe de travail s'est donc inscrit dans une séquence de réflexion sur le triptyque « éviter-réduire-compenser » beaucoup plus longue, qui a commencé dans les années 2000 et qui se prolonge encore aujourd'hui. Par ailleurs, au sein du groupe de travail, tous les membres n'avaient pas le même niveau de connaissances sur des questions comme l'équivalence écologique : un certain nombre de séances ont été consacrées à la précision des concepts. J'ajoute que la lettre de mission de la Ministre ciblait spécifiquement les difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage. Enfin, certains sujets n'étaient alors probablement pas assez mûrs : c'est le cas par exemple de la question des garanties financières.

Je le redis, le mandat confié au groupe de travail était de faire des propositions concrètes pour remédier aux difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage pour la mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser ». J'ai l'impression que le groupe de travail a répondu à la commande.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Certaines dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité, comme par exemple la géolocalisation, viennent donc de propositions que vous avez formulées. Cette idée d'aller vers davantage de méthodologie commune, décrite par le Commissariat général au développement durable (CGDD), se retrouve aussi dans vos propositions. Retrouve-t-on d'autres de vos recommandations dans la loi ou dans les travaux actuels ?

M. Romain Dubois. - De toute évidence, oui, sur la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets ou entre différents régimes d'autorisation. Les représentants des maîtres d'ouvrage et des grands gestionnaires d'infrastructures linéaires au sein du groupe de travail étaient RTE et LISEA, au titre du club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). LISEA avait fait valoir les difficultés rencontrées par le maître d'ouvrage. Aujourd'hui en surfacique, on a près de 3 500 hectares de compensation pour la LGV SEA ; mais si l'on avait additionné tous les régimes, sans pouvoir mutualiser les mesures compensatoires, on arrivait, je crois, à entre 22 000 et 25 000 hectares pour une ligne de 300 kms.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avait-on besoin de changer le droit pour cela ?

M. Romain Dubois. - Non, mais les maîtres d'ouvrage avaient du mal à mettre cela en place. Je comprends que la loi pour la reconquête de la biodiversité a finalement permis d'ancrer juridiquement certaines pratiques. Autre exemple, la mise en commun des données, y compris par le biais du Muséum national d'histoire naturelle, ne nécessitait pas forcément de passer par la loi. La loi a pourtant réglé des questions sous-jacentes de propriété de données des maîtres d'ouvrage.

En ce qui concerne la façon de contrôler ou d'apprécier le suivi de ces mesures de réduction et de compensation, nous avions clairement mis en évidence que les maîtres d'ouvrage ne suivaient pas bien eux-mêmes leur projet une fois celui-ci mis en route. Finalement, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ancre cette nécessité de contrôler et de mieux suivre les actions des maîtres d'ouvrage.

Je continue à penser que certaines actions auraient pu exister sans la loi mais celle-ci leur a apporté une traduction plus juridique, et accessoirement plus opposable, qui sécurise l'ensemble des acteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur des points comme la maîtrise foncière ou les obligations de longue durée, vous n'aviez pas non plus de consensus ?

M. Romain Dubois. - Si. Aucun maître d'ouvrage n'a jamais contesté au sein de notre groupe les obligations de longue durée. Mais c'était la façon de le faire qui était compliquée. Nous avons évoqué la question du contrat-type dès lors qu'il s'agit de confier une zone de compensation à un agriculteur, dans la mesure où le risque est alors grand de se retrouver dans un conflit du fort au faible, avec un grand maître d'ouvrage face à un petit agriculteur : le contrat passé pour entretenir une zone de compensation peut en effet être déséquilibré. J'ai le sentiment que ces sujets ont continué à être travaillés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Y a-t-il d'autres points sur lesquels vous voudriez insister, notamment sur la question du contrôle par l'État ?

M. Romain Dubois. - Oui, nous avions regardé comment l'État pouvait améliorer sa réponse. Une des propositions portant sur la formation visait d'ailleurs en premier lieu les agents de l'État. Le sujet de la qualité du dossier d'étude d'impact et de la capacité à discuter avec l'État en amont sur les études d'impact avait également fait consensus dans le groupe de travail. Je vois que l'évolution des missions de l'autorité environnementale a consacré cette ambition. Le rôle de l'autorité environnementale sur les études d'impact ou encore la saisine automatique au lieu d'une saisine au cas par cas sont des pistes que l'on avait tracées.

Il est certain que ce groupe a permis de faire décanter certaines tensions. En 2013 étaient parues les lignes directrices de la doctrine « éviter-réduire-compenser » : au sein du groupe de travail, plusieurs positions se sont affrontées sur la valeur réglementaire ou non de ces lignes directrices. Certains représentants de l'administration considéraient que ces lignes directrices avaient quasiment valeur réglementaire ; les maîtres d'ouvrage considéraient, eux, qu'elles étaient seulement des lignes directrices, qui nécessitaient d'ailleurs d'être déclinées par secteur. Des expérimentations de déclinaisons, pour le secteur des carrières par exemple, ont été envisagées depuis par l'administration.

Ce groupe de travail a représenté un moment, court, où les maîtres d'ouvrage ont admis la nécessité de la séquence « éviter-réduire-compenser » et où l'administration a admis qu'elle pouvait parfois faire preuve de rigidité dans sa capacité à aider les maîtres d'ouvrage, tout cela en présence de parties prenantes soucieuses de la préservation de l'environnement.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quels sont selon vous les points qui mériteraient d'être améliorés à droit non constant ?

M. Romain Dubois. - La définition de la compensation et de ses modalités pourrait être améliorée. Le groupe de travail avait par exemple constaté que d'un expert à l'autre, le traitement d'une mare ou d'une zone humide ne se faisait pas de la même façon, ou que d'une administration à l'autre, la réponse n'était pas la même.

Lorsque l'on compare deux projets, on observe de grandes différences : ainsi, en compensation surfacique, sur SEA, le ratio est de un pour un de compensation puisque l'empreinte foncière du nouveau linéaire est de 3 000 hectares et que l'on aura 3 500 hectares de compensation ; mais sur la ligne nouvelle de contournement de Nîmes-Montpellier, on a plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'hectares de compensation pour une ligne qui fait 90 kilomètres, au motif de la préservation de l'outarde canepetière.

Avec ma casquette de maître d'ouvrage, je vous dirais que cette insécurité dans la réponse opérationnelle de l'administration pose des difficultés.

À droit non constant, la recommandation principale serait une plus grande sécurisation juridique des porteurs de projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous sommes sur une question essentielle. Votre commission ne s'est pas orientée vers un transfert de la responsabilité du résultat vers un opérateur, qui pourrait sécuriser le maître d'ouvrage. J'ai l'impression qu'il y a une ambiguïté. Si l'on raisonne en équivalence écologique, un peu à l'américaine, c'est-à-dire si on définit les équivalences, le maître d'ouvrage regarderait ses coûts, même au niveau de son tracé, et il aurait le droit de faire un chèque, pour parler franchement, à un opérateur qui, lui, assumerait la responsabilité du résultat. Cela sécuriserait le maître d'ouvrage mais on a l'impression qu'il a tout de même peur du montant du chèque et qu'il ne souhaite pas dépasser un ratio de 3 à 5 % du coût du projet pour les mesures compensatoires alors que l'État souhaiterait l'amener à 10 %.

M. Romain Dubois. - Ce serait une sécurisation mais peut-être aussi une déresponsabilisation du maître d'ouvrage. Ce serait un peu comme le droit à polluer avec les crédits CO 2 . Pour en avoir discuté avec Patrick Jeantet, que vous avez auditionné, lui est plutôt favorable à une responsabilité du maître d'ouvrage quitte à avoir un porteur de projet qui assure la continuité. Pourquoi pas l'offre de compensation, mais pas forcément systématiquement. Acheter des unités dans la plaine de Crau si on trace une ligne en Bretagne...

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Là il n'y a pas d'équivalence écologique, ce n'est pas le débat.

Je n'ai pas la réponse à ma question. J'essaye de comprendre. Vous voulez de la sécurisation. Or, la sécurisation la plus simple, c'est le flux financier. Mais on sent malgré tout une résistance. Est-ce parce que vous considérez que vous allez faire du meilleur travail en proximité ? Mais la loi vous astreint aujourd'hui à une obligation de résultat. Transférer la responsabilité vous sécurise donc. Mais vous ne voulez tout de même pas être déresponsabilisés. Je vais poser la question crûment : n'est-ce pas tout simplement parce que les coûts seraient plus importants ? Parce que vous vous retrouveriez dans un rapport de force modifié avec un risque de surcoût et d'inflation ? À l'inverse, si vous restez en proximité, votre risque d'inflation des coûts est lié à la pression foncière. Je n'ai pas de position. Je vous pose simple des questions par rapport à un tel système à l'américaine. Quelle est donc votre proposition de sécurisation ?

M. Romain Dubois. - Je ne suis pas sûr que le frein soit financier. S'il l'était, on aurait déjà commencé à mieux documenter ces coûts. La somme des mesures de l'ensemble de la séquence ERC pour un projet est entre 5 et 10 %. Sur les compensations strictement, le CGDD a calculé le coût à 2,5 % environ. Peut-être que les maîtres d'ouvrage ne sont pas suffisamment mûrs dans leur réflexion aujourd'hui sur ces sujets.

Je reprends ma casquette SNCF Réseau. Nous sommes un maître d'ouvrage aménageur du territoire. Nous sommes en grande proximité avec l'ensemble des élus locaux, notamment les régions, qui sont autorités organisatrices de transports et les métropoles. Nous avons beaucoup d'actions de proximité. Je crois que nous assumons l'idée que nous continuions à être responsabilisés sur ce sujet. Peut-être que si l'équivalence écologique était très encadrée, nous pourrions évoluer dans cette pratique.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous êtes tout de même favorables à ce que l'on aille vers des grilles d'équivalence ?

M. Romain Dubois. - Oui, et nous ne sommes pas non plus fermés à l'idée de l'offre de compensation. Il y a un panel d'outils qui peut être mis à disposition du maître d'ouvrage. La plupart de nos zones de compensation, nous ne les gérons pas nous-mêmes. Nous les avons confiés à un parc naturel ou autre dans le cadre de contrats. Nous n'avons pas la prétention de pouvoir tout faire bien tous seuls.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les coûts de fonctionnement dans la longue durée ne vous inquiètent-ils pas plus que les coûts d'investissement d'ouvrages d'évitement ?

M. Romain Dubois. - La réponse est compliquée. Oui, car en tant qu'établissement public, nous sommes davantage contraints en dépenses de fonctionnement qu'en dépenses d'investissement. On le voit dans le contrat de performance approuvé par le conseil d'administration de SNCF Réseau, le gouvernement a autorisé un effort de régénération sur le réseau structurant, c'est-à-dire des investissements. C'est vrai que les coûts de fonctionnement risquent d'être importants pour un opérateur comme nous.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons interrogé les syndicats agricoles. Il semble clair aujourd'hui qu'il y a une négociation qui n'est pas aboutie sur le coût à l'État. Si un grand nombre d'acteurs agricoles nous disent que s'ils s'engagent dans des mesures environnementales de compensation, la valeur de leurs terrains baisse en conséquence, c'est parce qu'ils n'ont pas le sentiment qu'intégrer cette contrainte leur crée une ressource qui valorise leurs champs. Si, à l'inverse, ils peuvent démontrer qu'ils gagnent quelques milliers d'euros par an par hectare garantis sur 55 ans, leurs terrains gagnent en valorisation.

M. Romain Dubois. - C'est pour cela que le groupe de travail avait beaucoup plaidé, en dehors des propositions que nous avons formulées, pour un contrat-type pour protéger l'agriculteur face au grand maître d'ouvrage.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous une idée du coût de fonctionnement moyen à l'hectare par an ?

M. Romain Dubois. - Non.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est pour nous un point important, même si nous avons conscience que les situations sont différentes.

M. Romain Dubois. - SNCF Réseau pourrait essayer de vous apporter une réponse sur le coût moyen à l'hectare de gestion, de fonctionnement.

Finalement, j'ai été un témoin ponctuel de cette séquence. Deux ans après, j'ai le sentiment que certaines des propositions de notre groupe de travail ont été traduites dans la loi ou que l'administration s'en est emparée. Si notre rapport manque peut-être d'ambition, certaines mesures ont été directement mises en oeuvre. Le Président de la République et la ministre de l'écologie ont demandé à l'administration de s'en saisir. Même sur la question de l'absence de connaissance de ces coûts, identifiée dans nos conclusions, le CGDD a lancé une enquête qui est en cours.

Après, il faut continuer de faire bouger les lignes, stabiliser le droit et les pratiques, inciter les maîtres d'ouvrages à continuer à être responsables une fois l'infrastructure construite. En effet, chez un maître d'ouvrage public, l'équipe-projet qui a construit l'ouvrage n'existe plus six mois après la fin des travaux et la connaissance des enjeux disparaît. Ainsi, confier à un porteur de projet les mesures compensatoires me paraît de bon aloi.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je suis d'accord, on retrouve une partie de vos conclusions dans la loi et dans l'évolution des pratiques.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour votre éclairage. Nous attendons donc un retour de SNCF Réseau sur la question des coûts.

Audition de M. Pierre Dartout, préfet de région, et de M. Patrice Guyot, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Nouvelle-Aquitaine
(mardi 24 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Nous commençons par entendre M. Pierre Dartout, préfet de la région Nouvelle-Aquitaine et M. Patrice Guyot, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Nouvelle-Aquitaine.

En effet, parmi les quatre cas que notre commission d'enquête examine en particulier figurent d'une part, l'autoroute A65, réalisée juste après le Grenelle de l'environnement et objet de mesures compensatoires dont nous souhaitons évaluer le contrôle et le suivi, et d'autre part, le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, pour lequel des mesures compensatoires sont en cours de réalisation.

À travers ces deux exemples, nous souhaitons apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et identifier les difficultés et obstacles éventuels empêchant la bonne application et le bon suivi de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et d'un compte rendu en sera publié.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre Dartout et Patrice Guyot prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, soit l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Pierre Dartout, préfet de la région Nouvelle-Aquitaine . - Je n'ai pas de lien d'intérêt avec les projets que vous avez mentionnés autres que l'autoroute A65 et la LGV Tours-Bordeaux. J'ai été en poste en Loire-Atlantique, mais à une date ancienne.

La mise en oeuvre de la séquence ERC est désormais un principe fondamental qui anime l'action des services de l'État, chargés d'en assurer la diffusion auprès de leurs partenaires : la séquence est mise en oeuvre que le maître d'ouvrage soit l'État, une collectivité territoriale ou un acteur privé. C'est un point important, notamment au regard de la délivrance des autorisations au titre de la loi sur l'eau, des dérogations à l'interdiction de détruire des espèces protégées et, demain, de l'autorisation unique qui simplifiera les procédures sans pour autant en réduire le niveau d'exigence.

Les DREAL suivent attentivement la mise en oeuvre de la compensation des atteintes à la biodiversité, au vu des difficultés que celle-ci peut présenter. Elles s'appuient sur leur très bonne connaissance des procédures, mais aussi des milieux naturels où des installations sont envisagées. Il est important de veiller à ce que les autres partenaires, collectivités territoriales et opérateurs économiques, prennent eux aussi en compte les enjeux environnementaux. L'objectif est de rechercher l'acceptabilité globale du projet par le public concerné et en prenant soin de faire respecter la séance ERC.

Les services de l'État interviennent à toutes les phases de l'élaboration du projet ; et lorsqu'ils ne sont pas le maître d'ouvrage, il convient qu'ils le fassent aussi en amont que possible : ils garantissent la bonne application des textes, mais aident aussi le porteur de projet à identifier les solutions les mieux appropriées.

La bonne connaissance par les services de l'État de l'état initial de l'environnement concerné est une condition essentielle de la mise en oeuvre de la séquence ERC ; elle doit reposer sur des inventaires, des rapports et des études précis, objectifs et approfondis. Dans le cas des infrastructures linéaires notamment, le choix du meilleur fuseau doit également intégrer d'autres critères que la protection de la biodiversité, d'ordre technique, financier, économique et social.

L'application de la réglementation sur les espèces protégées relève normalement du préfet de département, sauf pour certaines espèces menacées, où elle est exercée au niveau ministériel. Le préfet de région que je suis a un rôle de coordination lorsque le projet concerné présente une dimension interdépartementale. En tant que service instructeur, la DREAL veille à la bonne application de la séquence ERC dans la prise des arrêtés de dérogation, notamment à l'interdiction de destruction d'espèces ou d'habitats d'espèces protégées. Au-delà du plan réglementaire, les services de l'État ont aussi une fonction de conseil voire d'assistance à maîtrise d'ouvrage, en veillant à la bonne intégration des enjeux de la biodiversité par les bureaux d'étude sollicités.

Ainsi, dans le projet de LGV Sud-Europe Atlantique (SEA), la DREAL est d'abord intervenue pour l'instruction des demandes de dérogation relatives aux espèces protégées au stade du défrichement et des opérations d'archéologie préventive, puis dans le cadre du projet lui-même, porté par le concessionnaire LISEA.

Quel est le déroulement classique de la procédure ? Au stade de la conception, jusqu'à la déclaration d'utilité publique (DUP), il convient d'intégrer la séquence ERC à travers l'identification des enjeux environnementaux, notamment dans les différentes variantes retenues. Il faut alors mobiliser des acteurs locaux, notamment les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), pour la recherche de solutions foncières de compensation. Dans cette phase, qui dure environ trois ans, le projet n'est pas assez mûr pour la mise en oeuvre précise de mesures d'évitement.

Après la DUP commence la conception détaillée. L'élaboration des dossiers réglementaires intègre la séquence ERC ; les acteurs locaux sont mobilisés pour la recherche de foncier dans le cadre de la compensation. Une fois le dossier déposé auprès du préfet de département, l'instruction est conduite par la direction départementale du territoire (DDT) pour les autorisations prises dans le cadre de la loi sur l'eau, par la DREAL pour les dérogations relatives aux espèces protégées.

Les éventuelles mesures de compensation sont conçues et réalisées indépendamment du chantier routier ou ferroviaire. La durée de conception et de réalisation est sensiblement égale à celle du projet lui-même.

Les relations entre les services déconcentrés et les collectivités ou communes dont les territoires vont accueillir les mesures de compensation commencent avec la recherche du foncier. S'il incombe aux services de l'État de contrôler le respect par le maître d'ouvrage des mesures de compensation prescrites, ils n'ont pas de relations directes avec les collectivités. En revanche, sous maîtrise d'ouvrage de l'État, la mobilisation des collectivités est assurée par un prestataire ensemblier qui assiste le maître d'ouvrage dans la conception, la mise en oeuvre et la gestion des mesures compensatoires.

La première phase de la mise en oeuvre de la compensation est l'évaluation de la dette compensatoire, conduite par les services de l'État sur la base d'éléments méthodologiques et d'expertises scientifiques réalisées par les conservatoires botaniques, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel et le Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Enfin, certains fonctionnaires ont une connaissance approfondie des milieux naturels, en particulier dans notre région.

Il faut ensuite définir les ratios de compensation pour déterminer le montant de la dette compensatoire surfacique ou linéaire. La qualification est reprise dans l'arrêté de dérogation et accompagnée de prescriptions sur les conditions de mise en oeuvre.

Dans la troisième phase, celle de l'exécution de l'arrêté, le porteur de projet présente des propositions de sites et de mesures de compensation. Une attention particulière est portée aux potentialités du site retenu pour l'implantation d'une espèce. Lorsque, dans l'état initial, le milieu offre un habitat pour l'espèce considérée, le site de compensation ne sera retenu que si sa plus-value dans la restauration de l'espèce ou de son habitat naturel est avérée.

À titre d'exemple, le projet de l'autoroute A65 s'est déroulé selon la séquence suivante : définition des mesures de compensation, définition des référentiels habitat cible par espèce ciblée, définition d'une enveloppe cible de surface, prospection foncière sur 8 000 hectares, validation par la DREAL des sites potentiels, choix des gestionnaires de site, évaluation de l'état écologique initial des sites, validation de ceux-ci, élaboration de plans de restauration-gestion sur cinq ans, nouvelle validation par la DREAL et mise en oeuvre, mise en place d'une gouvernance dans le cadre d'un comité de suivi, définition d'indicateurs pour le bon suivi des espèces, et enfin définition des conditions d'un suivi annuel. Le fort investissement des services de l'État a abouti à la définition d'un cadre particulièrement précis pour le porteur de projet dès l'adoption des arrêtés de dérogation.

Des adaptations de la dette compensatoire peuvent être consenties lorsque le porteur de projet fait état de contraintes de disponibilité foncière de nature à perturber la compensation. La qualité de l'animation foncière est essentielle : pour l'A65, l'animateur a su trouver plus de 1 600 hectares de surfaces écologiquement pertinentes. Enfin, il appartient aux services de l'État de suivre l'exécution des mesures de compensation dans le temps.

Les mesures de compensation sont naturellement étudiées projet par projet : c'est la responsabilité de chaque maître d'ouvrage. Les effets cumulés ne sont pris en compte que depuis une date récente, et de manière insuffisante. Un exemple : pour le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) - le projet de LGV Bordeaux-Toulouse, avec un embranchement conduisant à Dax -, l'un des principaux enjeux résidera dans l'articulation avec les mesures de compensation prises dans le cadre du projet de l'A65. Les fuseaux sont en effet très proches.

Les projets d'infrastructures linéaires doivent garantir la mise en oeuvre de la séquence ERC à tous les stades, avec la limite évoquée précédemment pour la phase en amont de la DUP. Le principal enjeu est l'appropriation par tous les acteurs des orientations et modalités de la doctrine ERC. Elle progresse nettement dans les bureaux d'études spécialisés dans l'environnement, moins dans les bureaux plus généralistes ; mais l'effort majeur doit porter sur les collectivités territoriales et les acteurs économiques. Notons que pour certains projets, en particulier les projets d'infrastructures linéaires, il est plus difficile de trouver des zones d'évitement.

Existe-t-il des différences de traitement significatives entre les grands projets et les projets de moindre ampleur ? En droit, tous les projets doivent faire l'objet d'un traitement équivalent au regard du code de l'environnement ; mais dans les faits aussi, il n'y a pas de grand ou de petit projet. Même un « petit » projet peut soulever des questionnements et des contestations. Les paramètres les plus décisifs dans la prise en compte des enjeux relatifs à la biodiversité sont la plasticité du projet, c'est-à-dire la possibilité ou non d'y ménager des adaptations ; lorsque l'État n'est pas maître d'ouvrage, la qualité et l'efficacité de l'accompagnement par ses services en amont et dans le suivi ; le suivi et la disponibilité en moyens humains pour infléchir les mesures d'évitement dans le cadre des grands projets ; et enfin les capacités financières pour absorber les études et mesures de compensation.

La cohérence juridique des mesures de compensation autorisées par les services déconcentrés de l'État sur l'ensemble du territoire national repose sur la définition, par l'autorité environnementale, de directives harmonisées et sur le rapport annuel relatif à l'exercice de l'autorité environnementale établi par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). La cohérence scientifique est notamment assurée grâce à l'expertise et la connaissance du terrain du CNPN, qui nous donnent une vision plus large de la qualité des mesures de compensation mises en oeuvre et de leur cohérence à l'échelon national.

Le contrôle de la mise en oeuvre et de l'efficacité des mesures de compensation nécessite, en particulier dans la phase d'instruction des demandes de dérogation, des moyens humains importants. Les services de l'État procèdent à un contrôle administratif sur pièces, mais aussi à des visites de terrain sur les secteurs les plus sensibles, en collaboration avec les établissements publics chargés de la police de l'environnement - l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) jusqu'à la création de l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Environ 50 % des sites sont visités par les services de l'État. Pour la LGV Tours-Bordeaux, le taux atteint 100 % en Gironde, mais il est bien moindre en Charente-Maritime, en Charente et dans la Vienne, compte tenu de la bonne connaissance des territoires concernés par les services.

Le contrôle nécessite naturellement des effectifs adaptés en nombre et en compétence.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les avez-vous ?

M. Pierre Dartout . - La DREAL de Nouvelle-Aquitaine est issue du regroupement des DREAL des trois régions fusionnées. Dans ce contexte de réforme territoriale et de réduction régulière des moyens de l'État, et en particulier des services déconcentrés, les mutualisations et la spécialisation des DREAL sur des tâches précises doivent nous permettre de mieux conduire nos missions. Pour répondre plus précisément, même si leurs moyens ont été réduits, les DREAL restent des services consistants et à même de travailler pour chacun des douze départements de la région.

Nos services ont relevé plusieurs infractions dans le cadre du projet de LGV, parmi lesquelles la destruction d'habitats naturels à l'occasion du franchissement de cours d'eau aux abords de la Dordogne ; la cause constatée était l'insuffisante matérialisation de la mise en défens du chantier. Nous cherchons à déterminer si les sanctions administratives prévues par la récente loi sur la biodiversité sont applicables aux manquements constatés, en particulier en termes de calendrier.

La planification des zones de compensation en amont des projets a davantage de sens en zone urbaine, où la tension foncière est forte. Les schémas de cohérence territoriale (SCoT), là où ils existent, donnent une visibilité de la consommation des espaces naturels et zones ouvertes à l'urbanisation. À l'inverse, la planification est moins adaptée aux infrastructures linéaires ; la compensation est plutôt conçue, suivant la nature de l'ouvrage, sur la base des principes de proximité écologique et de rétablissement des continuités. Dans ce cas, intégrer les mesures de compensation dès le stade de la DUP raccourcirait les délais de réalisation.

Le projet de LGV Tours-Bordeaux a donné lieu à un travail de restauration ou d'amélioration des continuités écologiques pour l'espèce emblématique qu'est le vison d'Europe. Un dispositif dynamique a été conçu, appuyé sur des compensations surfaciques et linéaires. Ainsi, des passerelles sont ménagées au bord de l'eau à destination des visons.

Une planification de la compensation peut-elle être envisagée à l'échelle régionale ? Il incombe aux porteurs de projet de désigner des tiers en capacité d'assurer la mobilisation des acteurs locaux, la recherche foncière, la conception-réalisation des actions de compensation, voire la gestion compensatoire. Nous n'avons pas encore pu identifier ces tiers : les conservatoires du littoral, par exemple, sont contraints par leur spécialisation territoriale.

Il nous faudra beaucoup de pédagogie pour expliquer les enjeux de la biodiversité. En dépit de son caractère d'intérêt public et des engagements internationaux de notre pays en la matière, la mise en oeuvre des mesures de compensation est parfois mal comprise.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Estimez-vous que les inventaires de la biodiversité ont été conduits de manière satisfaisante sur le tracé de la LGV Tours-Bordeaux ? Ce sont des territoires très étendus. Quel a été le coût de la réalisation de ces inventaires ?

M. Patrice Guyot, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Nouvelle-Aquitaine . - Tout d'abord, je déclare n'avoir aucun lien d'intérêt avec les projets, autres que l'autoroute A65 et la LGV Tours-Bordeaux, que vous avez évoqués en préambule.

J'en viens à votre question. L'emprise du projet de LGV est considérable, si bien qu'identifier en amont l'ensemble des espèces est une tâche difficile. Il est d'ailleurs fréquent que l'on soit amené à revoir les arrêtés portant dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées parce que l'on découvre des espèces en cours de projet - certaines s'installant même sur le chantier pour peu que les mesures de mise en défens soient imparfaites.

Nous avons consacré beaucoup de temps, en revanche, à nous mettre d'accord sur la qualité des dossiers destinés à l'estimation des compensations.

Quant au coût des inventaires associés à ce projet, je ne dispose pas d'estimation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourriez-vous nous faire parvenir cette information par écrit, afin de nous donner une idée de ce que serait un ratio coût-surface raisonnable ?

Le CNPN a rendu, en 2012, un avis négatif, estimant que le projet avait subi d'importantes modifications, pour environ 1 000 hectares, ce qui n'est pas rien, et qu'il ne disposait pas des éléments d'inventaire nouveaux, notamment pour la flore. Comment en est-on venu là ?

M. Patrice Guyot . - Dans la phase d'amont, lorsque l'on en est encore à un fuseau de 1 000 mètres, la surface à prendre en compte, s'agissant d'un projet d'infrastructure de 300 kilomètres de long, est considérable : il est très difficile de disposer d'un panorama exhaustif. Le travail d'inventaire se poursuit à mesure que l'on avance. Depuis les études de projet qui font suite à la DUP jusqu'à la phase de chantier, il faut continuer de l'affiner. C'est pourquoi il est essentiel que le maître d'ouvrage s'entoure des compétences requises, notamment en matière écologique, durant toute la conduite du projet.

Cela dit, le versement du contenu de l'ensemble des études à un registre national, tel que le prévoit la loi pour la reconquête de la biodiversité, améliorera, à terme, notre connaissance naturaliste du terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il faut donc considérer que le dossier soumis au CNPN vient trop tôt. Comment expliquer ce problème de calendrier ?

M. Patrice Guyot . - Il est indispensable, comme je l'ai dit, que le maître d'ouvrage s'entoure des compétences requises. Peut-être y avait-il, sur ce point, une marge d'amélioration.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le rôle de la puissance publique n'aurait-il pas été de l'alerter ?

M. Patrice Guyot . - L'État entretient un dialogue permanent, qui se déroule avec plus ou moins de fluidité, avec le maître d'ouvrage, dès le début du projet. Pour le passage ou CNPN, nous l'accompagnons même, pour améliorer son dossier, et pouvons être amenés à l'appeler à la vigilance sur certains points. À lui, ensuite, d'en tenir compte.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quelles conséquences concrètes avez-vous tirées de cet avis négatif quant à la stratégie de l'État et à l'action du maître d'ouvrage ?

M. Patrice Guyot . - Nous avons eu, sur ce projet, un dialogue très nourri avec le maître d'ouvrage, sur l'exigence de connaissance du terrain, d'identification et de caractérisation précise des surfaces de compensation. Ce travail a été long, car il a fallu, pour parvenir à un ensemble validé de mesures compensatoires, se mettre d'accord sur un cadre commun, afin de parler le même langage sur la nature des dossiers à fournir, ce qui explique une partie des retards constatés dans la mise en oeuvre de ces mesures. Un travail énorme a été conduit, et ce sont pas moins de 195 dossiers qui ont été à ce jour validés.

Il est pour nous important, en dépit du fait que les délais courent, de mener ce dialogue, afin de ne céder en rien sur les critères d'appréciation. À tel point que nous avons, depuis plus de six mois, mis en place une instance conjointe de travail avec COSEA pour mener un dialogue technique approfondi aux fins de validation des surfaces de compensation. Nous sommes à présent dans une phase d'accélération, grâce à la fluidification du dialogue.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour l'hirondelle en Vienne, on sait que le maître d'ouvrage n'a pas respecté l'arrêté préfectoral du 24 février 2012. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Patrice Guyot . - Je vous apporterai, sur ce cas particulier, des précisions écrites.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez compris notre souci des inventaires : si vous pouviez nous préciser concrètement, par écrit, les réponses apportées à l'avis du CNPN, nous vous en serons reconnaissants.

Une autre de nos interrogations concerne la condamnation judiciaire de Cosea et les autres procédures en cours d'instruction. Je n'oublie pas ce que nous a dit M. le Préfet des moyens, mais faut-il en déduire que l'État a failli dans sa capacité de contrôle ? Quels enseignements avez-vous tiré de ces procédures ? Et le maître d'ouvrage a-t-il fait ce qu'il fallait, depuis, pour réparer les dégâts environnementaux et revenir au bon état écologique des sites ?

M. Patrice Guyot. - Comme le disait M. le Préfet, les services amenés à exercer un contrôle - la DREAL, l'ONCFS, bientôt l'AFB - procèdent à leurs contrôles par sondages. Nous ne pouvons être présents sur l'ensemble du chantier, mais certains faits nous sont rapportés par les associations ou par des particuliers mobilisés. On ne peut pas considérer que nous sommes en défaut si une difficulté est constatée, mais il est évident que la répétition de tels constats peut être révélatrice, et nous en tenons compte dans nos rapports avec le maître d'ouvrage, pour qu'il y soit remédié.

Cela dit, nous sommes amenés à arbitrer entre l'instruction des dossiers et le contrôle, étant entendu que nous devons avancer, le plus en amont possible de la mise en service de l'infrastructure, sur la validation des sites de compensation, qui est pour nous une priorité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quid du retour au bon état écologique des sites ?

M. Patrice Guyot . - Je vous apporterai la réponse par écrit.

M. Pierre Dartout . - Je ne considère pas que les condamnations prononcées signent un échec de l'État, dès lors qu'il n'a pas les moyens d'exercer un contrôle sur l'ensemble du terrain, mais il reste que de telles condamnations ont valeur pédagogique : c'est un signal fort adressé au porteur de projet, pour qu'il veille à ce que les opérations de compensation soient établies dans les cadres requis et selon un calendrier satisfaisant.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On entend beaucoup insister, en effet, sur la valeur pédagogique, pour le maître d'ouvrage, d'une condamnation. Considérez-vous que le niveau des amendes - quelques dizaines de milliers d'euros sur chaque dossier - contrebalance les avantages que retire le maître d'ouvrage d'un non-respect des arrêtés ?

M. Pierre Dartout . - Cela pourrait être plus élevé, en effet, si l'on veut être pédagogique.

M. Patrice Guyot. - Au-delà de l'aspect dissuasif de l'amende, compte aussi l'effet d'image. Le maître d'ouvrage est très attaché à mettre en avant la qualité de son chantier en matière de préservation de l'environnement. On a pu le constater sur le chantier de l'A65.

Ce qui est déterminant, c'est la prise en compte, très en amont des travaux, de l'exigence de préservation de l'environnement. Si les bonnes options sont prises dès le départ, tant dans le dimensionnement des équipes que dans le choix des prestataires, durant tout le déroulé du projet, depuis les études jusqu'au chantier, les choses se passent bien. C'est pourquoi nous insistons toujours auprès des maîtres d'ouvrage sur la nécessité de se doter, dès l'amont, des compétences requises, y compris en matière foncière, afin d'identifier le foncier nécessaire à la compensation, avant même le stade de la DUP.

M. Alain Vasselle . - Vous n'avez guère évoqué les fédérations départementales de la chasse ou de la pêche, les chambres d'agriculture, la fédération des exploitants agricoles. Or la réalisation de tels ouvrages a un impact foncier : la concertation a-t-elle bien lieu, en amont, avec tous les acteurs touchés par les mesures de compensation ? On sait les règles qui s'imposent aux collectivités territoriales, en matière d'urbanisme, pour assurer la préservation des terres agricoles. Comment parvenez-vous, pour votre part, à maîtriser l'impact sur le foncier agricole des projets qui vous sont soumis?

M. Patrice Guyot. - La concertation est bien menée en amont, dans toutes les phases préalables. Ainsi que l'a rappelé M. le Préfet, dans la conduite d'un projet d'infrastructure de transport, la concertation a lieu à toutes les étapes : celle, très en amont, de l'étude d'opportunité, qui vise à se prononcer sur le principe même du projet et à définir le fuseau des 1 000 mètres, suivie par celle des études préalables à la DUP, qui vise à définir le fuseau des 300 mètres. Et l'environnement n'est que l'un des multiples paramètres pris en compte.

Dans la maîtrise d'ouvrage sur les projets touchant aux routes du réseau national, qu'assure la DREAL pour le compte du préfet, nous prenons ainsi en compte toute une série de paramètres - présence d'une urbanisation, impact sur le monde agricole, sur la sécurité routière, en termes de temps gagné, coût des différentes options, impact sur le milieu naturel. Tous ces paramètres donnent lieu à des comparatifs, soumis à la concertation, dont il est évidemment tenu compte, à travers les bilans de concertation.

Lorsque l'on en vient à la définition des mesures surfaciques de compensation, ce sont les opérateurs fonciers, qui, intervenant pour le compte du maître d'ouvrage, se trouvent au contact de la profession agricole, des collectivités territoriales et des acteurs de terrain, et ont charge de mener la concertation pour éviter les effets négatifs tels que la spéculation.

Qu'en est-il de l'impact des mesures de compensation sur le milieu agricole ? Ses représentants disent souvent qu'ils sont soumis à une double peine, étant à la fois victimes des prélèvements opérés par l'emprise de l'infrastructure projetée et par la compensation. Mais toutes les surfaces destinées à la compensation ne font pas nécessairement l'objet d'une acquisition : nous avons la faculté de passer des conventions - sur des périodes longues, afin de ne pas mettre en cause la pérennité de la compensation - avec les agriculteurs, lesquels s'engagent à user d'un certain nombre de pratiques respectueuses du milieu naturel et de la biodiversité. C'est un moyen d'éviter de priver le monde agricole de ces surfaces.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Rechercher la compensation à proximité n'est peut-être pas toujours la bonne solution, dès lors que l'on peut trouver, non pas à l'autre bout de la France mais à 20 ou 50 kilomètres, des surfaces dont l'équivalence écologique peut même être meilleure. Estimez-vous que dans certains cas, procéder ainsi eût été plus satisfaisant, en cohérence avec la trame verte et bleue et le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ?

De même, pour éviter ce sentiment de double peine, ne serait-il pas judicieux de réévaluer les faibles sommes allouées dans le cadre du conventionnement ?

M. Alain Vasselle . - Bonne question du rapporteur.

M. Gérard César . - Je remercie nos invités pour leurs réponses. Vous n'avez pas évoqué l'aménagement foncier : n'y aurait-il pas là une solution pour le monde agricole ?

Les SAFER ont-elle les moyens financiers d'intervenir sur la totalité du territoire ? Pour ce qui concerne le monde urbain, avez-vous des relations avec les offices fonciers et sont-ils prêts à intervenir ?

Enfin, l'estimation des domaines vous semble-t-elle suffisante ?

M. Patrice Guyot . - Si nous privilégions la recherche de surfaces de compensation dans la même entité biogéographique, afin d'y limiter au maximum l'impact du projet, il convient néanmoins d'apprécier au cas par cas. Si le choix de la proximité doit se faire au détriment d'une vision à long terme, sans prendre en compte la nécessité d'inclure la compensation dans le cadre d'une trame verte et bleue, mieux vaut l'éviter, car la compensation ne sera pas optimale. Sur des projets d'une telle durée, les effets du changement climatique sont devenus une préoccupation croissante. Car ils commencent à se faire ressentir et peuvent laisser penser que certaines espèces, d'ici quelques décennies, devront migrer. C'est pourquoi il importe d'inscrire les surfaces de compensation dans la trame verte et bleue, qui facilitera ces déplacements. Ceci pour dire que l'inclusion dans un réseau est aussi pour nous un critère, au même titre que la proximité, qui n'en reste pas moins un objectif important : prenons garde, en ouvrant à l'excès la possibilité de retenir des surfaces éloignées, de laisser penser que l'on peut s'exonérer de certaines pratiques vertueuses en acquérant des surfaces ailleurs.

La question de la rémunération du conventionnement rejoint celle des moyens que le maître d'ouvrage doit consacrer, sur la durée, aux mesures de compensation. Ces coûts doivent être intégrés dès la conception du projet, afin que le renouvellement des conventions, qui portent sur une durée de quelque neuf années, quand la concession court sur cinquante ans, ne soit pas mis en cause. Et il y faut, en effet, une juste rémunération : je vous apporterai des précisions sur ce point.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Entre les quelques centaines d'euros attachés aux mesures de type agro-environnementales et l'estimation de 1 000 à 2 000 euros à l'hectare que retiennent les syndicats agricole, la marge est énorme. Où en sont les débats ? Il est pour nous important d'avoir une idée de cette juste rémunération.

M. Patrice Guyot . - L'aménagement foncier intervient bien souvent dans le cadre de la DUP. A ce stade, les mesures de compensation surfacique ne sont pas encore précisément définies, par espèce et par ratio. M. le Préfet a indiqué tout à l'heure que les DUP pourraient aussi porter sur les surfaces de compensation. Si le travail a été bien mené en amont, il est vrai que l'on peut déjà en identifier un certain nombre et prévoir, dans le cadre des opérations foncières liées à l'infrastructure, des aménagements fonciers liés à la compensation.

L'estimation des domaines ? Mon expérience de certains projets routiers m'invite à considérer qu'il faut absolument veiller à se prémunir contre la spéculation. Y compris lorsque nous acquérons à l'amiable, nous y sommes attentifs, pour éviter des effets négatifs sur le monde agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'y insiste, nous avons besoin de comprendre comment on en est venu à un avis négatif du CNPN et à des procédures judiciaires.

Votre grande région accueille deux projets d'envergure. N'avez-vous pas le sentiment que le projet autoroutier a bénéficié de la dynamique du Grenelle - il fallait en faire une vitrine et le maître d'ouvrage était soucieux de se montrer exemplaire - tandis que pour la LGV, quelques années plus tard, une part de cette exigence s'est perdue, si bien que la qualité des travaux s'en ressent et que le maître d'ouvrage est moins allant ? Autrement dit, le contexte politique n'est-il pas aujourd'hui un peu moins favorable à la qualité environnementale des projets ?

M. Pierre Dartout . - Je ne crois pas. Il est vrai que le projet de l'autoroute A65 a été mis en oeuvre au moment du Grenelle, et a certainement servi d'exemple : on ne relève pas de contestation et les comités de suivi se passent dans de bonnes conditions.

Pour la LGV, il est incontestable qu'il y a eu plus de difficultés. Le territoire concerné était-il plus sensible dans un cas que dans l'autre ? Je ne puis l'affirmer, mais j'observe que l'opération a été beaucoup plus délicate et qu'il reste du travail à faire pour s'assurer que toutes les mesures de compensation ont bien été prises.

Je n'ai pas le sentiment que la portée du Grenelle se soit usée. L'État n'est pas seul à exercer sa vigilance : les juridictions, les associations veillent, et restent très inspirées par les principes du Grenelle, qui ont apporté des novations importantes sur lesquelles on ne reviendra pas.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En tant que représentant de l'État, votre approche est-elle également économique ? Considérez-vous que la séquence ERC ne doit pas dépasser tel pourcentage d'un projet, pour ne pas le remettre en cause. Il semble que pour l'État, ce pourcentage se situe entre 10 % et 15 %, tandis que certains opérateurs retiennent plutôt une fourchette de 5 % à 10 %. Ce ratio implicite pèse-t-il dans votre stratégie, lors des discussions avec les opérateurs ?

M. Pierre Dartout . - Ce n'est pas une question de ratio. Quand une décision est prise sur le tracé et les modalités de réalisation d'une infrastructure, un certain nombre de critères sont, comme je l'ai dit, pris en compte : environnementaux, mais aussi financiers, techniques et économiques. Face à un dossier environnemental sensible, comme par exemple une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, notre position doit être équilibrée. Pour justifier une dérogation, il faut que l'intérêt économique soit extrêmement important et que des compensations soient prises.

Il est juste d'ajouter que nous sommes régulièrement confrontés à une double contrainte. La France affiche une ambition forte sur la part de production énergétique issue du renouvelable. Il est donc de notre devoir de faciliter l'éclosion de projets de cette nature - éolienne, solaire, méthanisation. Or, sur certains de ces dossiers, on peut se trouver face à des exigences contradictoires. Je pense aux éoliennes, en nombre restreint dans les anciennes régions Poitou-Charentes et Limousin, et inexistantes dans l'ancienne région Aquitaine. Quand un tel projet se monte, nous sommes parfois pris entre le souci de développer les énergies renouvelables et celui de protéger certaines espèces, comme la chauve-souris. En tant que signataire de l'avis rendu par l'autorité environnementale, je suis très régulièrement confronté à cette situation. Surmonter cette contradiction exige beaucoup de doigté. Y compris pour des projets locaux, plus modestes que ceux dont il est aujourd'hui question. En Gironde, pour le contournement d'un village au nord de Bordeaux par une voie départementale, l'autorisation de dérogation a été annulée par la juridiction administrative, alors qu'il s'agit de réaliser une déviation extrêmement importante pour une partie de la population.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le motif de l'annulation tient-il à l'insuffisance des mesures compensatoires ?

M. Pierre Dartout . - En effet, des mesures compensatoires étaient requises pour la protection d'une espèce de papillon, l'azurée de la sanguisorbe, au Taillan-en-Médoc, un village où beaucoup d'habitants de Bordeaux ont élu domicile pour accéder à un habitat de qualité à un prix acceptable, et qui se trouve confronté à un problème de congestion routière - comme cela est le cas dans bien d'autres agglomérations. La demande d'une voie de contournement est très forte, car nombreux sont les habitants qui travaillent à Bordeaux. La DUP a été assortie, à juste titre, par mon prédécesseur, de plusieurs autorisations, l'une relative à la loi sur l'eau, l'autre portant dérogation à la destruction d'espèces protégées. La première a été confirmée, l'autre infirmée par le tribunal administratif puis par la cour d'appel. Loin de moi l'idée de contester le bien-fondé de la décision de la justice administrative, mais j'observe que nous avons à tenir compte de cette difficulté, qu'une partie de la population comprend mal...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'entends bien la difficulté, mais quelles analyses en tirez-vous ? Doit-on comprendre que les mesures compensatoires ont d'abord été sous-estimées, ce qui a conduit le tribunal à sa décision, ou faut-il penser que nous manquons de l'ingénierie environnementale qui permettrait de répondre à un tel problème, très technique ? A-t-on manqué d'une trame verte et bleue à proximité, pour assurer la compensation ?

Dire que la population est demandeuse d'un projet bloqué par un papillon, sur lequel on lance la vindicte, c'est faire bon marché de tous nos engagements écologiques, depuis le protocole de Nagoya jusqu'à la législation européenne et nationale. D'où ma question.

M. Pierre Dartout . - Je pense, objectivement, que le problème de la compensation a été insuffisamment pris en compte. Je ne conteste pas le bien-fondé des mesures de protection de cette espèce, je dis simplement que nous pouvons nous trouver face à une contradiction, parce que la population peut ne pas comprendre. C'est pourquoi j'ai insisté, tout à l'heure, sur l'exigence de pédagogie.

En l'espèce, l'administration de l'État a suivi la demande d'une collectivité territoriale avec laquelle elle a entretenu un dialogue constant : l'intérêt public et l'urgence de l'opération étaient si évidents que l'on a peut-être sous-estimé les mesures de compensation à prendre. Une nouvelle demande de dérogation va d'ailleurs être introduite.

M. Gérard Bailly . - Je pourrais citer moi aussi de tels exemples, pris dans mon département ; tel champ de panneaux photovoltaïque qui n'a pas pu voir le jour, pour les mêmes raisons. Les maires, la population comprennent mal, alors qu'il nous faut trouver de nouvelles sources d'énergie, qu'un papillon puisse faire obstacle à de tels projets. On veut protéger les terres agricoles, mais quand des terrains sont propices à de telles installations, n'ayant ni vocation agricole ni vocation forestière, et se trouvant à proximité du réseau, comment comprendre qu'on interdise leur utilisation ? Encore pourrait-on le comprendre s'il s'agissait d'une espèce rare, qui ne se retrouve pas ailleurs, mais est-ce bien le cas ? Dispose-t-on d'une cartographie des espèces sur le territoire ? Loin de moi l'idée de contester l'exigence de protection de la biodiversité, mais une espèce comme la chauve-souris, par exemple, se retrouve dans bien des coins de France. Qu'un projet énergétique ou qu'une voie de contournement routier se trouvent bloqués quand on sait que telle espèce existe à 10 ou 15 kilomètres de distance est difficile à admettre.

M. Patrice Guyot . - On dispose d'une connaissance partielle de la localisation des espèces, grâce au réseau des zones naturelles d'intérêt floristique et faunistique, des zones Natura 2000 et des réserves naturelles. Mais dans bien des cas, on trouve des espèces protégées dans des zones qui ne bénéficient pas d'une protection particulière, et que l'on ne découvre parfois, au reste, qu'au moment où l'on prospecte. Sans compter que les choses évoluent assez vite. Ne serait-ce que du fait de la présence d'un chantier : des amphibiens peuvent s'installer dans ses ornières, dans ses mares, d'où l'importance d'une mise en défens efficace.

Approfondir notre connaissance cartographique est important, et c'est d'ailleurs l'un des objectifs de la loi pour la reconquête de la biodiversité, qui prévoit le versement du contenu de l'ensemble des études d'impact à un registre national.

Importent aussi les demandes de l'autorité environnementale qui, dans son avis sur la qualité de l'étude d'impact, peut être amenée à recommander des investigations complémentaires sur les caractéristiques du terrain, pour éviter des problèmes ultérieurs.

La conciliation des enjeux est dans l'ADN de la DREAL. Si bien que lorsque nous voyons mettre en exergue une espèce, au motif qu'elle bloquerait des projets, nous le vivons mal : c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Protéger tel papillon peut sembler anecdotique, mais il faut bien comprendre que c'est préserver tout un écosystème, avec ses interactions. On est d'ailleurs capables de monétiser les services rendus à la collectivité par de tels écosystèmes, et cela représente des sommes considérables.

Pour revenir à votre question, je précise que nous dressons des listes d'espèces, qualifiées selon leur localisation - certaines espèces, très rares dans certaines zones, pouvant l'être beaucoup moins dans d'autres. Mes services apprécient ce caractère patrimonial pour mesurer les enjeux attachés à un projet.

La compensation est une science en construction. Nous progressons en permanence, y compris dans le choix des termes figurant dans nos arrêtés, afin de rendre nos prescriptions contrôlables. Il y a un travail d'acculturation collective à mener, incluant les maîtres d'ouvrage, les collectivités territoriales, les services de l'État, pour progresser dans cet immense chantier. Parfaire nos connaissances grâce aux dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité et à la géolocalisation des surfaces de compensation nous y aidera.

M. Jean-François Longeot, président . - Il me reste à vous remercier, en vous priant de nous faire parvenir les documents complémentaires évoqués.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Lors de son audition, le maître d'ouvrage de l'A65 A'liénor Ingénierie, a parlé d'une enveloppe d'un million et demi d'euros supplémentaires par rapport à l'enveloppe globale de compensation qui devrait être utilisée pour relancer la dynamique de biodiversité, avec le sentiment que l'argent était un peu gaspillé. Votre analyse écrite sur ce point nous serait profitable.

Audition de M. Marc Bouchery, directeur général du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest et de M. Jean-Claude Lemasson, maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, vice-président de Nantes Métropole et élu du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest
(mardi 24 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, en entendant aujourd'hui les représentants du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest. Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécialisées que nous menons sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui constitue l'un des quatre projets principaux étudiés par notre commission d'enquête. Nous nous déplacerons à Notre-Dame-des-Landes, le vendredi 17 février prochain. Nous souhaitons apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui et identifier les difficultés et les obstacles éventuels empêchant une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

Nous allons entendre M. Marc Bouchery, directeur général du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, et M. Jean-Claude Lemasson, élu du syndicat mixte, maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu et vice-président de Nantes Métropole.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes que nous entendons aujourd'hui de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Marc Bouchery et M. Jean-Claude Lemasson prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, à savoir l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau ?

M. Jean-Claude Lemasson, maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu et vice-président de Nantes Métropole . - Je n'entretiens aucun lien particulier avec ces autres projets.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier d'avoir sollicité le syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest (AGO) pour qu'il vous fasse part de son analyse sur le transfert de l'aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes, s'agissant en particulier de l'environnement et de la biodiversité.

Nous vous proposerons un propos introductif à deux voix. Marc Bouchery vous présentera les éléments essentiels du projet ; j'interviendrai sur les aspects liés à l'environnement, à la biodiversité et à l'agriculture.

M. Marc Bouchery, directeur général du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest . - Aucun lien d'intérêt non plus avec les autres projets étudiés par votre commission.

Je m'associe aux remerciements de Jean-Claude Lemasson. Je voudrais, à titre de préambule, dire un mot sur le syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, qui fédère une vingtaine de collectivités de Bretagne et des Pays de la Loire, dont les deux régions - elles sont, parmi les collectivités, les principaux financeurs du projet -, Nantes Métropole, le conseil départemental de Loire-Atlantique et les communautés d'agglomération de Saint-Nazaire et de La Baule.

Le syndicat mixte a quatre missions principales : assurer le suivi du financement des collectivités et préserver leur intérêt dans le cadre du contrat de concession et des conventions de financement qui ont été signées - elles apportent 115,5 millions d'euros dans le projet ; piloter les études sur les dessertes, notamment en transports en commun, du futur aéroport ; accompagner les territoires qui connaîtront, avec la construction de cet aéroport, un afflux de population ; assurer la promotion du projet et l'information des citoyens, c'est-à-dire expliquer pour quelles raisons ce transfert nous semble indispensable, tant sur le plan économique que sur le plan environnemental.

Je commence par un petit retour en arrière sur l'aéroport de Nante-Atlantique, construit dans les années 1930, très proche de la ville, dont la piste se trouve dans l'alignement du centre-ville. Très vite, le développement de l'agglomération, corrélé avec la croissance du trafic aérien, a entraîné des contraintes très fortes liées au survol de la ville. C'est pourquoi, dès 1965, le préfet de Loire-Atlantique, en lien avec les élus du territoire, a lancé la recherche d'un nouveau site et mandaté, en 1967, le service technique des bases aériennes, qui a comparé dix-huit sites et choisi celui de Notre-Dame-des-Landes ; d'où la création de la zone d'aménagement différé en 1974.

Ce site a été confirmé, en 1992, par une étude de la chambre de commerce, puis par la commission particulière du débat public. Cette dernière a demandé, en 2003, une étude complémentaire visant à comparer neuf sites de Bretagne et des Pays de la Loire, qui a confirmé que Notre-Dame-des-Landes est le site le plus adapté. Ceci est rappelé dans le rapport de la commission du dialogue demandé en 2012 par le Premier ministre.

Dans le cadre de la démarche « éviter-réduire-compenser », nous devons montrer comment nous avons cherché à éviter le transfert de l'aéroport en étudiant toutes les solutions alternatives. Il nous faut donc expliquer pourquoi, en définitive, l'aéroport est transféré.

Une étude a été menée sur l'optimisation des aéroports existants, toujours par la commission du dialogue ; plus récemment, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a également rappelé que la commission particulière avait ordonné une tierce expertise des études initiales. Le débat public, qui a eu lieu fin 2002 et début 2003, avait déjà soulevé un certain nombre d'enjeux environnementaux et agricoles, notamment en termes de compensation. Avait été décidée la mise en place d'un plan de gestion agro-environnemental visant à apporter une réponse cohérente et transversale auxdits enjeux, par des mesures liées à la compensation de la destruction des zones humides et des espèces protégées, une indemnisation des exploitants agricoles et une redynamisation de l'agriculture. Ce plan a été d'ailleurs validé le 3 juillet 2006 en comité de pilotage.

Ces questions ont donc été abordées dès le stade du débat public. La commission d'enquête publique, qui a donné, le 13 avril 2007, un avis favorable au projet, avait proposé quatre recommandations, dont la création d'un observatoire unique de l'environnement.

Cette question de l'environnement et de l'impact sur l'eau et la biodiversité a imprégné l'ensemble du projet, via la démarche « éviter-réduire-compenser ». Des études ont été menées pour examiner la possibilité de ne pas réaliser ce projet et la viabilité d'autres sites que Notre-Dame-des-Landes. En outre, toujours au chapitre du volet « éviter », sur les 1 239 hectares de l'emprise aéroportuaire, seuls 537 hectares seront aménagés à la mise en service, et 147 hectares artificialisés, soit à peine plus de 10 % de l'ensemble de la concession, bien loin des 2 000 hectares de terre bétonnés parfois évoqués dans les médias, et ceci malgré la mise en place d'un projet à deux pistes. Le CGEDD avait souligné ce dernier élément ; mais un projet à une piste nécessite la création d'un taxiway en parallèle de la piste, consommateur de surface foncière.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous disposons de nombreux chiffres différents ; le chiffrage ne devrait pourtant pas être matière à polémique. Sur les 1 239 hectares, ne seront artificialisés, au total, une fois la construction achevée, que 537 hectares ?

M. Marc Bouchery . - 537 hectares seront aménagés à la mise en service.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - 702 hectares resteront donc en zone naturelle ?

M. Marc Bouchery . - Sur l'ensemble de la concession, 463 hectares sont dédiés à des compensations environnementales.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce n'est déjà plus 702 hectares !

M. Marc Bouchery. - Les autres surfaces resteront à l'état d'espaces verts ou d'espaces agricoles.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On parle généralement de 800 hectares aménagés, avec modification de l'espace naturel.

M. Marc Bouchery. - Il faut distinguer hectares aménagés et hectares artificialisés. 537 hectares seront aménagés à la mise en service du projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Combien d'hectares à la fin du projet ? Le chiffre généralement donné est de 800 hectares.

M. Marc Bouchery . - Aux 537 hectares initiaux, il faut en ajouter 200 environ.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ceci donnerait, à la fin du projet, 439 hectares non aménagés et à peu près 800 aménagés ?

M. Marc Bouchery . - Un peu moins. Nous pourrons vous communiquer les chiffres précis.

Dans son rapport, le CGEDD tempérait son propos s'agissant de la construction d'une seule piste. Je cite : « Ce dimensionnement paraît suffisant jusqu'au-delà de l'objectif de 9 millions de passagers envisagé par l'enquête publique. Toutefois, réserver autant que possible l'espace pour pouvoir faire évoluer l'infrastructure selon les besoins non identifiés à ce jour est prudent », sachant que tous les aéroports de cette taille, en France, ont aujourd'hui deux pistes.

D'ailleurs, la construction d'une deuxième piste n'a pas tant été décidée pour des raisons de trafic que pour des raisons environnementales : il s'agit d'éviter le survol des bourgs situés dans les principales zones du plan d'exposition au bruit. Ainsi, à Notre-Dame-des-Landes, seules 900 personnes seront concernées par le survol des avions, contre 42 000 actuellement à Nantes-Atlantique, et 80 000, à terme, si l'aéroport est maintenu, avec un avion à basse altitude toutes les 3 minutes aux heures de pointe.

Je précise qu'afin de diminuer ces nuisances, l'aéroport actuel bénéficie d'une dérogation exceptionnelle permettant une approche décalée de 13 degrés, effectuée manuellement, exigeant donc une visibilité de 3 000 mètres, ce qui explique pourquoi les avions vont parfois atterrir à Bordeaux ou à Rennes, lorsque la visibilité est mauvaise. Il s'agit d'un cas unique en France.

Par ailleurs, si l'aéroport était maintenu à Nantes, il faudrait une nouvelle enquête publique pour modifier une trajectoire aérienne inférieure à 2 000 mètres, conformément à la loi - le rapport du CGEDD l'avait très bien mis en évidence - ; en outre, l'extension d'une aérogare doit faire l'objet d'une étude d'impact et d'une enquête publique.

D'ailleurs, ceux qui se plaignaient des nuisances sonores liées à la croissance du trafic à Nantes-Atlantique dans les années 1990 et se battaient pour l'insonorisation des maisons affectées par le survol de l'agglomération nantaise sont parfois les mêmes qui s'opposent aujourd'hui au transfert, alors que le trafic a été multiplié par quatre. Je pense notamment à certains maires qui militaient contre le troisième aéroport parisien et prônaient la décentralisation sur les plateformes régionales, dont Notre-Dame-des-Landes.

J'illustrerai mon propos en citant un rapport intitulé « Analyse des alternatives à la construction d'un troisième aéroport dans le Bassin parisien », datant de juillet 2007, dans lequel Les Amis de la Terre et France Nature Environnement, notamment, écrivaient : « Il n'est certes pas question de trouver dans le projet de Notre-Dame-des-Landes la solution du troisième aéroport parisien. Toutefois, il semble évident que ce projet contribuera d'une manière appréciable à la décentralisation du trafic parisien. Il évitera à des provinciaux une inutile et nuisante correspondance à Paris. »

La ministre écologiste de l'environnement déclarait d'ailleurs elle-même, le 30 octobre 2000 à l'Assemblée nationale, en réponse à un député de Loire-Atlantique : « Vous serez d'accord avec moi pour reconnaître que nous avons un effort particulier à réaliser en faveur du rééquilibrage de la localisation des équipements vers l'ouest de notre pays. C'est pourquoi il a semblé nécessaire, compte tenu des nuisances qui pesaient sur les habitants de Nantes, de déplacer l'aéroport actuel sur le nouveau site de Notre-Dame-des-Landes, à une douzaine de kilomètres au nord de Nantes. »

Vous le voyez, lorsque les opposants affirment qu'aucune étude n'a été effectuée pour éviter le transfert et que la question de l'environnement a été peu traitée, leur lecture du sujet est pour le moins partielle.

M. Jean-Claude Lemasson . - S'agissant des surfaces, l'emprise s'étend sur 1 650 hectares, comprenant à la fois la plateforme et la desserte routière ; 723 hectares aménagés, 176 imperméabilisés - concernant la plateforme proprement dite, ces chiffres s'élèvent respectivement à 545 et à 147 hectares.

En ce qui concerne le volet « éviter » de la stratégie ERC, l'un des sujets, dont on trouve l'écho dans le nom de ma commune, est celui de Grand-Lieu : Nantes-Atlantique est en contact avec la zone Natura 2000 du lac de Grand-Lieu, protégée par la convention internationale de Ramsar relative aux zones humides et deuxième réserve ornithologique de France derrière la Camargue. Il est d'autant plus important de le préciser que les avions en approche, notamment à l'atterrissage, s'ils ne survolent pas la réserve nationale naturelle, survolent bel et bien la réserve régionale naturelle, à moins de 300 mètres. Certains avions, les plus gros porteurs, les A330 par exemple, dont certains commencent à atterrir à Nantes-Atlantique, circulent environ 121 mètres, 400 pieds, au-dessus des marais de Grand-Lieu.

S'agissant de l'évitement, ce sujet est incontournable : comment éviter que nos milieux naturels spécifiques, demain, soient détruits ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Monsieur Lemasson, je vous propose de verser au dossier l'enquête scientifique confirmant la réalité, à Grand-Lieu, des atteintes à la biodiversité liées à l'emprise de l'actuel aéroport. Beaucoup de scientifiques, notamment l'ancien directeur de la réserve, soutiennent que l'impact est nul.

M. Jean-Claude Lemasson . - L'ancien directeur de la réserve, qui le fut pendant 24 ans, a en effet étudié le comportement de la faune aviaire eu égard aux survols de la réserve naturelle nationale. Je répète que les avions ne survolent pas la réserve naturelle nationale, mais bien la réserve naturelle régionale ! Il suffit, pour le constater, d'examiner les trajectoires au-dessus de Grand-Lieu. Je produirai les éléments dont nous disposons, monsieur le rapporteur.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous annexerons volontiers l'étude scientifique au dossier.

M. Jean-Claude Lemasson . - Je vous transmettrai les études de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) sur les trajectoires.

La biodiversité est extrêmement présente à Nantes-Atlantique ; ceci est rappelé dans le rapport du CGEDD de mars 2016 sur les alternatives aéroportuaires. Il est même précisé que « du point de vue des habitats identifiés par la directive 92/43 CE, le secteur de Notre-Dame-des-Landes ne présente que peu d'espaces d'intérêt européen en proportion de la surface inventoriée et en valeur absolue. De ce fait, et dans l'optique de la constitution d'un réseau d'espaces significatifs à l'échelle européenne, l'absence de désignation est cohérente. ». Il est aussi précisé que « le site de Notre-Dame-des-Landes s'avère d'une réelle richesse [...], tant par la présence d'espèces menacées que par la taille des populations », et que « cet espace est sensiblement plus riche que d'autres sites évoqués. »

Les auteurs de ce rapport concluent : « Pour autant, ce n'est pas un ensemble d'exception. Ainsi, dans le périmètre de la réserve naturelle de Grand-Lieu, qui ne comprend qu'une partie du lac et des surfaces terrestres peu étendues, on relève pas moins de 10 espèces végétales protégées et 240 espèces animales protégées. »

« Si la quasi-totalité du plateau de Notre-Dame-des-Landes a finalement été classée en zone humide, il est possible de pressentir qu'il en sera de même pour l'espace qu'il serait nécessaire de maîtriser pour moderniser l'aéroport de Nantes-Atlantique en se rapprochant du lac de Grand-Lieu. » L'extension de Nantes-Atlantique se ferait sur le même type de sol ; les problématiques sont donc similaires.

Les auteurs de ce même rapport précisent que Nantes-Atlantique bénéficie d'une dérogation exceptionnelle. Dans l'attente du transfert, « il faudrait allonger la piste d'une centaine de mètres vers le sud pour construire les dégagements de sécurité de bout de piste. Des surfaces devront être acquises, à hauteur de 32 hectares, essentiellement sur des sols pédologiquement humides. »

Tout ceci conduit à la conclusion suivante : « Parmi les sites envisageables, celui de Notre-Dame-des-Landes apparaît encore aujourd'hui comme un compromis acceptable, malgré des difficultés à ne pas sous-estimer. »

Les éléments mis en lumière dans ce rapport du CGEDD, datant de mars 2016, le sont également dans l'étude réalisée pour la chambre de commerce des Pays de la Loire, en avril 2015, sur les capacités d'extension de Nantes-Atlantique. Cet aéroport est situé dans une zone géographique regroupant de nombreux enjeux environnementaux : zone humide, espèces protégées, zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), réserve naturelle, site classé, site inscrit, espace boisé classé, loi Littoral - cette loi s'applique à l'ensemble du territoire de ma commune - et site Natura 2000. Le projet d'extension de Nantes-Atlantique sera soumis à étude d'impact, au titre de l'article R. 122-2 du code de l'environnement, mais également, par voie de conséquence, à évaluation d'incidences Natura 2000, au titre de l'article R. 414-19 du code de l'environnement.

Les contraintes très fortes sur la biodiversité ont donc, selon nous, été clairement posées ; il est apparu que le bilan environnemental était meilleur avec le transfert de Nantes-Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes, en incluant dans l'addition la construction du nouvel aéroport, la préservation du lac de Grand-Lieu et la diminution des nuisances sonores.

Nous avons été extrêmement soucieux que le projet soit en phase avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne, lui-même approuvé le 18 novembre 2009, ainsi qu'avec le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Vilaine, approuvé le 1 er avril 2003, et le SAGE de l'estuaire de la Loire, approuvé, lui, le 9 septembre 2009. Ces schémas recommandent d'ailleurs la méthode fonctionnelle plutôt que la méthode surfacique. Les choix faits par les deux maîtres d'ouvrage sont conformes à ces schémas, mais aussi en phase avec ce que demande la profession agricole, à savoir que la perte de surface soit la plus faible possible. La réalisation des mesures compensatoires par contractualisation répond ainsi à sa demande de concilier protection de l'environnement et exploitation agricole.

La méthode de compensation n'est pas de la responsabilité des collectivités ; celles-ci ont en revanche le devoir de veiller à ce que les dossiers soient élaborés dans la concertation, selon les règles en vigueur et conformément à la loi.

Rappelons quelques dates clés qui ont jalonné ce parcours : en 2006, deux courriers sont versés au dossier d'enquête publique, l'un, du ministre des transports, confirmant que la conception du tracé de l'infrastructure routière a permis de minimiser les impacts sur le territoire concerné, notamment sur l'habitat d'intérêt communautaire, l'autre, du ministre de l'écologie, rappelant que « le traitement des impacts sur la faune et la flore s'est amélioré tout au long de l'élaboration du projet, avec des études sérieuses et des propositions intéressantes. »

La méthodologie du principe de compensation fonctionnelle s'est ensuite concrétisée par un courrier de la ministre en charge de l'environnement, en décembre 2011. L'instruction des dossiers « loi sur l'eau » a en outre donné lieu à des avis favorables des commissions locales des SAGE Vilaine et Estuaire, avant que la commission d'enquête, au terme de l'enquête publique organisée de juin à août 2012, n'émette elle-même un avis favorable, assorti malgré tout de deux réserves sous forme de conditions : la définition d'un cadre juridique, technique et financier avec la profession agricole - c'est en cours - et la mise en place d'une expertise scientifique sur la méthode de compensation.

Par ailleurs, le Gouvernement, en novembre 2012, a créé une commission du dialogue. À l'issue de ses travaux, auxquels j'ai participé, un comité d'experts scientifiques a été installé ; il a analysé la méthode de compensation des maîtres d'ouvrage sur les zones humides et émis 12 réserves, instruites par la direction des territoires et de la mer, permettant l'introduction de garanties supplémentaires dans les projets d'arrêtés présentés au conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, en novembre 2013. Ledit conseil a lui-même émis un avis favorable.

Le président de ce comité d'experts scientifiques, Ghislain de Marsily, également membre de l'Académie des sciences, a ensuite déclaré, dans Le Monde du 6 février 2016, qu'il n'était pas question de remettre en cause l'accroissement du trafic et le développement économique, ni même de réétudier les qualités du site de Notre-Dame-des-Landes. Je le cite : « La nécessité de déplacer l'actuel aéroport est raisonnable. Il est dangereux, car il oblige à survoler Nantes, et le centre-ville est handicapé par la présence de l'aéroport. »

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous le recevrons et lui poserons nos questions. L'avis scientifique émis en la matière me semble quand même globalement négatif !

M. Marc Bouchery . - L'avis rendu le 5 juillet 2012 par le Conseil national de la protection de la nature était positif.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous parlons de la commission scientifique évoquée par M. Lemasson !

M. Jean-Claude Lemasson . - Elle a en effet émis 12 réserves, ce qui ne vaut pas nécessairement avis défavorable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous lui reposerons la question, mais je vous invite à relire la synthèse !

M. Jean-Claude Lemasson . - Marc Bouchery le disait à l'instant : le Conseil national de la protection de la nature a émis un avis favorable le 5 juillet 2012. Un protocole sur la réalisation des mesures compensatoires a été conclu le 23 décembre 2013 entre l'État, AGO, porteur du projet, et la chambre d'agriculture.

La chambre avait elle-même conclu, dès 2008, un protocole avec la profession, permettant d'accompagner la relocalisation des exploitants ; sur 40 exploitations concernées, plus de 30, soit environ 80 % d'entre eux, ont accepté une relocalisation ou une éviction à l'amiable. La profession agricole a en outre été directement associée à la mise en place d'un périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN), de 17 000 hectares, situé entre l'agglomération nantaise et le site même de l'aéroport, représentant 3 fois la surface de la ville de Nantes et 100 fois la surface artificialisée de l'aéroport.

M. Marc Bouchery . - Je dis quelques mots du volet européen. La Commission européenne s'est prononcée, le 13 septembre 2013, lors de la réunion de la commission des pétitions ; le représentant de la Direction générale de l'environnement, saisi par les opposants et par les partisans du projet d'aéroport, avait rappelé la conformité du projet avec le droit européen, indiquant : « La Commission a fondé son avis en constatant, s'agissant tant de la loi sur l'eau que des directives « Habitats » ou des espèces protégées, qu'aucune infraction n'avait été commise par l'État français. Elle a fondé sa décision sur le respect des législations réglementaires européennes et une évaluation jugée satisfaisante des mesures de compensation. Le site, situé en dehors de toute zone Natura 2000, abrite des espèces protégées, mais qui sont présentes dans beaucoup d'autres endroits en France. Ces espèces seront déplacées avant les travaux, qui ne porteront donc pas atteinte à leur survie. »

Pour les collectivités, ce parcours réglementaire et judiciaire est évidemment essentiel ; il a fondé notre conviction que ce projet était indispensable pour les territoires mais aussi parfaitement conforme aux règles en vigueur, sur le plan national et sur le plan européen. D'ailleurs, l'ensemble des recours intentés par les opposants, au premier rang desquels ceux sur les arrêtés environnementaux relatifs à la loi sur l'eau et aux espèces protégées, jugés par le tribunal administratif de Nantes le 17 juillet 2015 et par la cour d'appel de Nantes le 14 novembre 2016, ont conforté ce projet.

En matière de protection de l'environnement, je rappelle quelques éléments donnés par la cour d'appel. La cour a relevé que les projets en cause étaient certes « susceptibles d'avoir des incidences sur les masses d'eau des bassins versants », mais que les masses d'eau affectées par la plateforme aéroportuaire représentaient 1,83 % de la masse d'eau de l'Isac, 0,98 % de celle du Gesvres et 0,03 % de celle de l'Hocmard ; elle a ainsi estimé, compte tenu de la faible surface des masses d'eau impactées, que les autorisations pouvaient être délivrées sans procédure dérogatoire.

Sur la compatibilité des projets avec le SDAGE du bassin Loire-Bretagne, au vu des rapports de la commission du dialogue de 2012 et de la DGAC et du CGEDD de mars 2016, la cour a rappelé que le réaménagement ne constituait pas « une solution alternative présentant un caractère avéré », ainsi que l'exige le SDAGE. S'agissant de la compatibilité des arrêtés avec deux dispositions du plan de gestion et d'aménagement durable du SAGE du bassin de la Vilaine, la Cour a estimé, après analyse des mesures prises, qu'aucune incompatibilité n'avait été constatée.

Enfin, concernant les arrêtés pris au titre des espèces protégées, la cour a estimé que ce transfert répondait bien à une raison impérative d'intérêt public majeur, sans alternative avérée - nous retrouvons la question de l'évitement - et que si les opérations avaient un impact important sur certaines espèces naturelles protégées, elles n'étaient pas de nature à nuire au maintien de chaque espèce dans son aire de répartition naturelle, laquelle s'apprécie aux échelles locale et supralocale.

Pour les collectivités, ces 178 décisions de justice sont essentielles ; elles fondent la parfaite légalité du projet. Jean-Claude Lemasson l'a dit : la mise en place des mesures compensatoires n'est pas de la responsabilité des collectivités, mais du maître d'ouvrage. Leur suivi semestriel et annuel fera l'objet d'une centralisation dans le cadre d'un observatoire de l'environnement. Un comité scientifique indépendant, créé en 2013, sera chargé d'expertiser les travaux. Les collectivités participeront à ce contrôle au sein du comité de suivi des engagements de l'État.

Pour conclure, je souhaite dire un mot sur le démarrage des travaux. Rien, aujourd'hui, à l'exception du blocage illégal et violent du site, n'empêche le début des travaux, ni sur le plan judiciaire ni sur le plan environnemental. Le périmètre de la concession, dont la superficie s'élève à 1 239 hectares, comprend 463 hectares non aménagés qui pourront accueillir les premières compensations environnementales, soit environ 40 % de l'ensemble de la surface.

En outre, en vertu de la loi biodiversité de 2016, les mesures compensatoires peuvent être mises en oeuvre sur des terrains n'appartenant pas au maître d'ouvrage, lequel doit alors conclure des contrats avec les propriétaires, les locataires ou les exploitants. Contrairement à ce que disent certains opposants, notamment, supposé-je, ceux que vous avez auditionnés, des propriétaires et des exploitants sont d'accord pour dédier une partie de leurs terres à ces compensations environnementales ; mais ceux-ci sont aujourd'hui menacés par les occupants illégaux de la ZAD.

Ces occupants interdisent l'accès au site aux maîtres d'ouvrage ou à leurs sous-traitants, dégradent les instruments de mesure, par exemple les piézomètres, saccagent les bureaux d'études, comme celui de Biotope, agressent les scientifiques, comme ceux de l'université d'Angers le 29 avril 2015. Les mesures de compensation ne peuvent donc être engagées. Une ancienne élue du CéDpa, que vous avez auditionné, appelle, dans un de ses livres sur le projet d'aéroport, « à résister, fût-ce en s'opposant à la loi et aux forces de l'ordre ». Dans un tel contexte, où plus de 200 exactions ont été commises à l'encontre des riverains et des exploitants, où les gens sont rackettés, les juges caillassés, beaucoup d'exploitants attendent que la réalisation du projet s'avère irréversible pour se faire connaître officiellement et dédier une partie de leurs terres aux compensations.

C'est d'ailleurs pourquoi les collectivités demandent, notamment depuis le 26 juin et le référendum décidé par le président de la République, l'évacuation du site et le début des travaux, afin de pouvoir respecter le choix démocratique des citoyens, exécuter les décisions de justice, mais aussi engager les compensations environnementales, qui constituent un préalable au projet et ne peuvent pour le moment être effectuées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Tout d'abord, les instances agricoles départementales soutiennent le projet. Une commission agricole statue sur les questions de surface. Quelle position a-t-elle prise ?

M. Marc Bouchery . - Les chambres d'agriculture participent à la réalisation du projet dans le cadre d'un protocole conclu avec les maîtres d'ouvrage. La concertation est totale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Aucun avis négatif n'a été émis par les commissions où siègent les organisations agricoles ?

M. Marc Bouchery . - Ces organisations ont pris acte du projet et y participent de manière constructive. Vous pouvez interroger leurs instances.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La question financière intéresse particulièrement le syndicat mixte. À quel niveau estimez-vous le montant des mesures compensatoires à Notre-Dame-des-Landes ?

M. Marc Bouchery . - Le chiffre était, à l'origine du projet, de 40 millions d'euros environ. Cela dit, il faut attendre que les travaux commencent et que les premières mesures compensatoires soient mises en place pour pouvoir donner une estimation précise. La réponse à cette question est du ressort des maîtres d'ouvrage davantage que des collectivités.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour les collectivités de Loire-Atlantique, les mesures compensatoires représentent-elles un enjeu financier important ? Sur de nombreux projets d'aménagement, les ratios s'élèvent à 10 ou 15 % des projets - c'est ce que nous a dit l'État. Sachant qu'une renégociation va avoir lieu, les collectivités seraient-elles prêtes à participer plus fortement aux mesures compensatoires, si leur montant devait augmenter ?

M. Jean-Claude Lemasson . - Une identification des unités de compensation a été réalisée, à l'issue d'un travail d'inventaire et de fléchage des hectares destinés à la compensation, dans la concession elle-même mais également au-delà. Le concessionnaire a ensuite calculé la valeur économique d'un tel travail de compensation.

Depuis lors, un certain nombre de dispositions environnementales ont vu le jour, avec la loi biodiversité notamment ; des espèces ont été découvertes sur place, ou le seront - je pense par exemple au campagnol amphibie, qui ne figurait pas sur la carte de la Société nationale de protection de la nature (SNPN), en novembre 2012. Il faudra donc faire évoluer l'enveloppe financière dédiée aux compensations. Sur ce type de projets, il y a lieu de répondre aux règles en vigueur au temps T de l'organisation et de la mise en place ; si la part financière destinée à la compensation doit ensuite augmenter, elle augmentera ! Dans quelle proportion ? Je ne saurais le dire aujourd'hui.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Eu égard au vote de la nouvelle loi pour la reconquête de la biodiversité, avec l'idée d'une obligation de résultats et d'un « zéro perte nette » de biodiversité, sachant que la commission scientifique a émis un avis extrêmement réservé - nous entendrons ses représentants lors d'une autre audition -, ne craignez-vous pas que les collectivités se retrouvent, demain, face à une facture bien plus importante ?

Tant que les résultats ne seront pas à la hauteur de l'enjeu de reconquête de la biodiversité, le montant des investissements nécessaires augmentera. La responsabilité du concessionnaire sera-t-elle seule engagée, ou envisagez-vous que celui-ci puisse se retourner vers vous ? Un risque financier pèse-t-il sur les collectivités ?

M. Marc Bouchery . - Les collectivités investissent sous forme d'avances remboursables, qui sont certes actualisées en fonction des taux d'intérêt, mais forfaitaires et non révisables. Les compensations environnementales n'interviennent pas dans le calcul de la contribution des collectivités.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Un éventuel problème, en termes de compensations, se réglerait donc plutôt entre l'État et le concessionnaire ?

M. Marc Bouchery . - Oui. Il nous importe simplement que les mesures de compensation soient mises en oeuvre conformément à la législation en vigueur.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'insiste : une éventuelle réévaluation, faute de résultats, du montant des mesures compensatoires, ne saurait vous affecter ?

M. Marc Bouchery . - Cette question n'a pas été prise en compte dans la participation des collectivités, laquelle, je le répète, est forfaitaire et non révisable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous parliez du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), que nous avons auditionné, citant l'avis de 2012. Entretemps, un avis négatif a été émis sur le campagnol amphibie. Le CNPN s'est également étonné du non-dépôt d'un certain nombre de demandes dérogatoires concernant les plantes, arguant que tant que cette situation perdurait, les travaux ne pouvaient commencer.

Suivez-vous attentivement ce dossier ? Quel est votre avis ? Certes, des espèces sont sans cesse découvertes ; mais pensez-vous que les inventaires initiaux ont fait l'objet de moyens suffisants ?

M. Marc Bouchery . - Aucun dossier, en France, n'a été aussi étudié, analysé, instruit par des commissions d'experts, que celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il a toujours été validé par les différentes juridictions administratives. Le débat public date de 2002 et 2003 : il n'est pas vieux de 50 ans ! Une durée de 15 ans entre le débat public et la réalisation opérationnelle, c'est assez classique. Ce projet, depuis 2002, a été adapté, chaque fois que nécessaire, à la mise en place de nouvelles dispositions législatives.

M. Jean-Claude Lemasson . - Comme dans tout chantier d'infrastructure d'envergure, nous découvrirons des espèces végétales et animales qui n'existent pas ailleurs ou doivent être protégées, et des dispositions seront prises pour organiser leur protection ou leur déplacement : le circuit de fonctionnement n'est pas verrouillé ! L'appel à projet date d'une dizaine d'années, et le dossier retenu est optimisé sur les plans économique, technique et environnemental, mais toutes les mesures nécessaires ne pouvaient être prévues dès le début. Aussi a-t-il été amendé au fil du temps, et continuera-t-il à l'être.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous êtes en charge des dessertes, et ce projet implique des mesures compensatoires importantes : en tout, 16 000 hectares autour du site seront mobilisés, ce qui suscite une forte résistance du monde agricole. Ne pensez-vous pas qu'il aura un effet stérilisant sur le département, où les élus locaux ne pourront plus trouver de terres pour les mesures compensatoires des projets suivants ?

M. Jean-Claude Lemasson . - C'est le sort de tout projet d'infrastructure majeur. Celui-ci est lié à un projet de liaison ferroviaire, dont le maître d'ouvrage est toutefois différent. Sur les 16 000 hectares que vous évoquez, 8 000 hectares ne pourront pas servir puisque leurs exploitants le refusent. Étant donné les compensations prévues à l'intérieur du périmètre, nous n'avons pas besoin de tant de surface. Tous les projets d'intérêt général doivent pouvoir se réaliser. Heureusement, la réserve de terres est largement suffisante, y compris sur les bassins versants. Et les compensations fonctionnelles peuvent se substituer aux compensations surfaciques.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les propositions financières faites aux agriculteurs vous paraissent-elles suffisantes ? Ne pensez-vous pas que le concessionnaire et l'État devront aller beaucoup plus loin ?

M. Marc Bouchery . - Ce n'est pas à nous d'en juger.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous êtes des élus en lien avec le monde agricole...

M. Marc Bouchery . - Ce n'est pas aux collectivités territoriales de se prononcer sur ce point. L'indemnisation proposée est calculée sur la base de la valeur à neuf des bâtiments - ce qui est bien légitime. Pour la liaison ferroviaire, comment produire une étude d'impact global sans connaître le tracé ni les diagnostics environnementaux ?

M. André Trillard . - Un remembrement est nécessaire, puisque les surfaces mises à disposition d'AGO ne correspondent pas exactement au tracé prévu. Pourquoi l'opération initiée il y a plusieurs années n'a-t-elle pas été conduite à son terme ?

Après sept ans, les titulaires de l'autorisation de construction et d'exploitation ne sont évidemment plus à jour du point de vue de la réglementation. Nous devons certes exiger qu'ils s'y conforment, mais notre droit n'est pas rétroactif !

Certains des agriculteurs que nous avons entendus la semaine dernière ont demandé l'annulation de leur vente parce que le projet a été bloqué pendant plus de cinq ans. Ubuesque : ceux qui sont cause de ce retard s'en présentent aujourd'hui comme les victimes. Déjà 170 jugements ont été rendus dans le même sens. C'est un bon début.

M. Marc Bouchery . - Les 1 247 hectares de l'emprise aéroportuaire sont possédés par AGO, qui pourrait démarrer le chantier s'il était possible d'y accéder...

M. Gérard Bailly . - Sur la quarantaine d'exploitants agricoles présents sur le site, environ trente ont accepté le processus qui leur a été proposé par la chambre d'agriculture. Ont-ils été indemnisés ? Il semble qu'ils attendaient encore des compensations en termes de biodiversité. D'après vous, quels motifs leur reste-t-il de s'opposer au projet ?

Les jugements ont tous donné raison au maître d'ouvrage. Quelles compensations mettra-t-il en place en matière de biodiversité ? Certes, tous les agriculteurs n'ont pas signé, sans doute par peur de représailles...

M. Marc Bouchery . - En effet, plus de trente agriculteurs ont accepté un accord à l'amiable d'éviction et de relocalisation. Ils sont évidemment prioritaires pour retrouver des terres. Sur les quarante que vous évoquiez, quatre s'opposent encore au projet et n'ont pas encaissé les indemnisations, qui sont donc bloquées à la Caisse des dépôts et consignations.

M. Gérard Bailly . - Avaient-ils donné leur accord au protocole de la chambre d'agriculture ?

M. Marc Bouchery . - Je vous suggère de poser la question à la chambre d'agriculture. Parfois, leurs parents avaient vendu les terres, et ils les exploitent dans le cadre d'un bail avec le conseil départemental, repris par le concessionnaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), au sein de laquelle la chambre d'agriculture est représentée, s'est prononcée contre le projet en juillet 2016. Serait-ce aussi par crainte de représailles ?

M. Marc Bouchery . - Certes, les agriculteurs ne se réjouissent pas de perdre des terres agricoles. Mais ils respectent la loi, et ont agi de manière constructive.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En quoi consiste l'accord avec le monde agricole ?

M. Marc Bouchery . - C'est un protocole fixant le montant des indemnisations et reconnaissant un droit prioritaire à la relocalisation à proximité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Et pour les autres agriculteurs du département ?

M. Marc Bouchery . - Des protocoles ont été signés en 2008 et en 2013. La chambre d'agriculture pourra vous les communiquer.

M. Gérard Bailly . - L'indemnisation individuelle est une chose. Mon expérience d'élu local m'a appris qu'en général une compensation est également versée pour financer la modernisation des équipements et préserver l'économie agricole, afin de compenser la perte d'hectares agricoles. Nous poserons la question à la chambre d'agriculture.

M. Jean-Claude Lemasson . - En matière de compensation, nous avons, pour l'heure, 735 unités de compensation, dont 560 au titre de la concession, c'est-à-dire AGO et 175 par la DREAL, au titre du barreau routier en zone humide ; 1 260 unités sont prévues pour les espèces protégées, dont 823 pour AGO et 446 via la DREAL. Ces unités sont localisées dans les mêmes bassins versants et à proximité. AGO devra construire 104 mares - certaines, déjà réalisées, ont été bouchées par les opposants vivant sur le site - et la DREAL, 42. Deux hectares de boisement devront compenser la destruction d'un hectare de landes. La restauration d'habitats naturels devra s'effectuer sur 47 hectares pour AGO, et sur 23 hectares pour la desserte. AGO devra aussi planter 51,8 kilomètres de haies bocagères, et 17,5 kilomètres pour la desserte. Enfin, nous devrons restaurer 1 650 mètres linéaires de cours d'eau.

M. Alain Vasselle . - La compensation sera-t-elle intégrale ou partielle ? Je me rappelle que, si les deux tiers ou les trois quarts d'une exploitation sont touchés par un projet, le concessionnaire doit l'acheter en totalité pour que l'agriculteur puisse en reconstituer une autre, de même surface, dans le département. Cette règle sera-t-elle appliquée ? La chambre d'agriculture a-t-elle annexé au protocole une étude d'impact économique pour la profession agricole ? Y a-t-il, sur ce plan, une compensation intégrale ? Quid des fédérations de chasseurs et de pêcheurs concernées ?

M. Jean-Claude Lemasson . - La compensation est intégrale, mais essentiellement fonctionnelle - ce qui est une méthode innovante. Je suppose que la chambre d'agriculture a réalisé une étude d'impact économique. Il faut effectivement donner à chaque agriculteur touché les moyens de reconstituer à proximité une exploitation équivalente. Je ne sais pas ce qui est prévu pour les chasseurs, mais les discussions avec leur fédération ont abouti - et je ne crois pas qu'il s'agisse d'une zone de pêche. Ces landes n'ont pas été remembrées depuis les années 1960, car le projet était en attente.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'essentiel des compensations seront effectuées sur les 460 hectares qui sont à l'intérieur de l'emprise. Elles consisteront à densifier le réseau de mares et de haies. Nous sommes loin d'une équivalence en termes de surface. Hors du périmètre, combien d'hectares seront mobilisés ?

M. Marc Bouchery . - Il est possible que les 463 hectares situés dans le périmètre suffisent. En tous cas, nous ignorons quelle surface serait mobilisée hors du périmètre.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La maître d'ouvrage ne vous a-t-il pas fourni d'informations plus précises, alors que le chantier peut commencer demain ?

M. Marc Bouchery . - Non.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela ne vous semble-t-il pas étonnant ?

M. Marc Bouchery . - Le maître d'ouvrage appréciera, dans le cadre du comité de suivi, si des surfaces complémentaires sont nécessaires. Si c'est le cas, une négociation s'ouvrira avec les exploitants.

M. Jean-Claude Lemasson . - Ce n'est pas demain que le chantier est censé débuter, mais ... hier ! Voire même avant-hier.

M. André Trillard . - On ne peut pas accéder au site !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous verrons cela le 17 février...

M. Gérard Bailly . - Le projet n'est-il bloqué que par la difficulté d'accès au site, ou également par des procédures en cours ?

M. Marc Bouchery . - Il n'y a plus aucun obstacle administratif. Les derniers recours sur les espèces protégées et la loi sur l'eau, qui n'étaient pas suspensifs, ont été rejetés par le tribunal administratif de Nantes le 17 juillet 2015, puis par la cour d'appel le 14 novembre 2016. Un arrêté complémentaire sur le campagnol amphibie est attaqué mais, là encore, de manière non suspensive.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il manque encore, tout de même, l'avis de l'Union européenne.

M. Marc Bouchery . - Le principe de subsidiarité veut que son absence n'ait pas d'effet suspensif. D'ailleurs, l'Union européenne s'était prononcée plutôt favorablement. Le SCoT de Nantes Saint-Nazaire a été voté le 19 décembre 2016, et sert à résoudre le précontentieux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les 40 millions d'euros prévus correspondent-ils au bon prix de la compensation ?

M. Marc Bouchery . - Je n'ai pas dit qu'il s'agissait du bon prix, mais de l'enveloppe dédiée à ces mesures. Notre convention de financement avec les maîtres d'ouvrage prévoit des avances forfaitaires, non révisables mais actualisables.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Porte-t-elle le détail des mesures de compensation ?

M. Marc Bouchery . - Non.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Alors, à quoi correspondent les 40 millions d'euros ?

M. Marc Bouchery . - A une estimation de la part du budget global qui devrait être consacrée aux mesures compensatoires.

M. André Trillard . - M. Dantec sait bien que l'aéroport est construit par un concessionnaire, et que le syndicat mixte s'occupe des accès. Ce dernier n'a pas à connaître l'accord entre l'État et le concessionnaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourtant, l'information sur le projet fait partie des quatre missions du syndicat mixte. Comment l'exercer sans connaître le détail des mesures de compensation ?

M. Marc Bouchery . - Celles-ci ne relèvent pas des collectivités territoriales, mais bien de l'État et du maître d'ouvrage. À eux de les détailler au public.

M. Gérard Bailly . - Avez-vous une estimation des dépenses déjà engagées, ne serait-ce qu'en frais de justice ? Qui les a assumées ?

M. Marc Bouchery . - Le contrat de concession signé en 2011 porte sur Notre-Dame des Landes, mais aussi sur l'exploitation de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique et de celui de Saint-Nazaire-Montoir. Des investissements ont été effectués par AGO pour adapter ces deux aéroports, en l'absence de progrès à Notre-Dame des Landes. Les collectivités territoriales ont cessé de participer à ces dépenses depuis 2013, puisque ce sont elles qui devront verser les premiers fonds à Notre-Dame des Landes.

M. Jean-Claude Lemasson . - À défaut d'une estimation du coût des mesures de compensation, nous connaissons leur nombre : 104 mares, par exemple. Cela permet d'informer sommairement le grand public sur les mesures prévues à ce jour.

M. André Trillard . - En effet, AGO doit construire l'aéroport, en être concessionnaire pendant 55 ans, gérer celui de Saint-Nazaire - purement industriel - ainsi que, jusqu'à sa fermeture, celui de Nantes-Atlantique. Pour l'heure, cet aéroport voit passer plus de quatre millions de passagers par an. Cela fait au moins une ressource financière !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Merci à vous. Je renouvelle mon souhait de pouvoir obtenir l'analyse scientifique de l'impact de l'aéroport actuel sur le site de Grand-Lieu.

M. Jean-Claude Lemasson . - La réserve naturelle de Grand-Lieu fait l'objet d'un contrat de gestion avec la société nationale de protection de la nature. Les rapports d'activité annuels qui en découlent sont une source d'information, mais je ne suis pas compétent pour déterminer s'ils peuvent être considérés comme autant de rapports scientifiques. En tous cas, le directeur de la réserve a fait état dès 1975 d'un fort risque que des gênes soient occasionnées aux oiseaux par l'accroissement des mouvements et l'extension des pistes de l'aéroport.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci.

Audition de M. Bernard Godinot, directeur de projet, M. David Bécart, directeur environnement et développement durable, et Mme Amandine Szurpicki, responsable des mesures compensatoires de COSEA, concepteur-constructeur de la LGV SEA
(mardi 24 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous recevons pour notre dernière audition de la journée COSEA, concepteur et constructeur de la LGV Sud Europe Atlantique (SEA). Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécialisées que nous menons sur la LGV SEA, l'un des quatre projets étudiés plus particulièrement par notre commission d'enquête. Nous souhaitons, pour chacun de ces projets, analyser en détail la définition, la mise en oeuvre, le contrôle et le suivi des mesures compensatoires des atteintes à la biodiversité. Je précise que nous entendrons la semaine prochaine LISEA, société concessionnaire et maître d'ouvrage de la LGV SEA.

Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo et un compte rendu en sera publié.

M. Bernard Godinot, directeur de projet, M. David Becart, directeur environnement et développement durable, et Mme Amandine Szurpicki, responsable des mesures compensatoires, représentent COSEA auprès de notre commission d'enquête. Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment, en rappelant que tout faux témoignage et toute subornation de témoin sont passibles des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Bernard Godinot et David Bécart et Mme Amandine Szurpicki prêtent successivement serment.

En préalable de votre propos introductif, pouvez-vous nous indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête - A 65, réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau, projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?

M. Bernard Godinot, directeur de projet de COSEA . - Étant salarié de Vinci, j'ai également un lien avec le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes puisque Vinci en est le concessionnaire.

M. David Bécart et Mme Amandine Szurpicki déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts .

M. Bernard Godinot . - Longue de 340 kilomètres dont 38 kilomètres de raccordements, la LGV Tours-Bordeaux s'étend sur 113 communes - de Saint-Avertin en Indre-et-Loire à Ambarès en Gironde - et traverse six départements et deux régions. À partir de juillet 2017, elle assurera une liaison à grande vitesse en continu permettant de relier Paris à Bordeaux en deux heures et cinq minutes, grâce à une vitesse commerciale de 320 kilomètres par heure. Sa construction a nécessité le terrassement de 68 millions de mètres cube, la construction de 500 ouvrages de franchissement dont 19 viaducs et la pose de 1 320 kilomètres de rails. En charge de la conception et de la construction de la LGV, COSEA agit pour le compte de LISEA, qui est la société concessionnaire.

L'action de COSEA concernant l'environnement s'inscrit dans la continuité des procédures menées par SNCF Réseau, notamment des études d'impact du projet présentées dans le cadre des procédures préalables aux déclarations d'utilité publique (DUP) dites SEA 1 et SEA 2. Cette première phase a permis de définir la bande de passage du projet ainsi que les principales caractéristiques techniques de l'infrastructure. C'est à ce moment qu'a été mis en oeuvre, pour l'essentiel, le volet évitement de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC).

Les études de conception et d'avant-projet détaillé ont permis à LISEA et COSEA de travailler en amont à la réduction des impacts du projet, d'abord dans le cadre de l'établissement de leur réponse à l'appel à projets, puis après avoir été retenus. Durant cette deuxième phase, des inventaires et des études complémentaires ont été menés afin de renforcer la connaissance des milieux naturels traversés. La conception des ouvrages a fait l'objet d'un soin particulier afin de maintenir les possibilités de circulation de la faune sauvage - terrestre et aquatique - de part et d'autre de l'infrastructure. Des viaducs ont permis de préserver les fonctionnalités des principaux corridors. De nombreuses études ont également été menées pour assurer la transparence hydraulique de la ligne ainsi que son insertion paysagère et environnementale.

L'exploitation des données d'état initial a conduit à une définition fine des emprises nécessaires à la réalisation de l'infrastructure, dans un objectif permanent de moindre impact. En concertation avec les services de l'État, ces éléments ont permis de faire aboutir les dossiers administratifs de demandes d'autorisations et de dérogations nécessaires à l'engagement des travaux. Début 2012, COSEA a ainsi obtenu pour le compte de LISEA deux arrêtés de dérogation au titre des espèces protégées - un arrêté ministériel et un arrêté inter-préfectoral -, quatre arrêtés au titre de la loi sur l'eau incluant des prescriptions au titre des sites Natura 2000 et six arrêtés départementaux au titre du code forestier. Ces arrêtés ont permis de déterminer les mesures d'évitement encore possibles, les mesures de réduction à mettre en oeuvre au moment de la réalisation des travaux ainsi que les impacts résiduels devant être compensés par COSEA.

Les arrêtés ont évalué la dette surfacique au titre des espèces protégées à 25 000 hectares. En mutualisant les mesures compensatoires, COSEA a pu circonscrire cette dette sur 3 500 hectares. Était également prévue l'élaboration de documents cadres en concertation avec les professions agricole et sylvicole et les associations de protection de la nature ainsi que la validation de chaque site de compensation sur la base de dossiers justifiant de la plus-value écologique apportée. S'agissant du calendrier, les arrêtés prévoient que les sites protégés fassent l'objet d'une protection sur la durée de la concession.

Les arrêtés loi sur l'eau prévoient une compensation surfacique de 600 hectares de zones humides, une compensation linéaire de 44 kilomètres de berges et un calendrier de mise en oeuvre à échéance de la mise en service de la ligne.

Les arrêtés défrichement prévoient quant à eux un boisement compensatoire sur une surface de 1 350 hectares. Ce boisement est aujourd'hui en cours de finalisation.

COSEA a travaillé en concertation et en partenariat avec un large panel d'acteurs locaux : chambres d'agriculture, associations dont la Ligue de protection des oiseaux (LPO), Poitou-Charentes Nature et la Société d'étude, de protection et d'aménagement de la nature en Touraine (SEPANT), centres régionaux de la propriété forestière, sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), fédérations départementales de la pêche et, plus ponctuellement, syndicats de rivières, fédérations de chasse et experts indépendants.

Dans chaque région, un protocole a été construit, en concertation avec les structures partenaires, et signé par l'ensemble des parties prenantes. Des conventions bipartites ont également été signées par chacune des parties prenantes avec COSEA et LISEA : d'une durée de 25 ans, ces conventions permettent de clarifier leurs missions propres et de rémunérer les prestations correspondantes.

Le partenariat avec les acteurs locaux a permis, en premier lieu, de réduire l'impact du projet, en particulier au moment du démarrage des travaux. COSEA a consacré 72 000 jours à la réduction des impacts et mobilisé à cette fin une centaine d'ingénieurs, accompagnés d'une centaine d'experts issus de 20 structures différentes. Les enjeux et les actions de réduction à mettre en oeuvre ont ainsi pu être définis finement. Le bilan dressé par COSEA fin 2015, c'est-à-dire à la fin de la phase de génie civil et de terrassement, permet de constater que l'impact résiduel du projet sur les espèces protégées a pu être diminué de 12 % grâce à la mise en oeuvre des mesures de réduction. S'agissant des zones humides, le taux de réduction atteint 22 %.

En second lieu, le partenariat a été consacré à la mise en oeuvre des différentes étapes de la compensation. La première étape consistait en la définition d'un cadre commun de solutions équilibrées pour chacune des parties prenantes. Des négociations amiables ont été menées s'agissant des 3 500 hectares de dette surfacique, pour leur cession ou leur conventionnement. Des diagnostics écologiques ont été réalisés pour confirmer le potentiel écologique des sites, notamment au regard du critère d'additionnalité. Une fois les plans de gestion des sites élaborés, l'État a apporté sa validation finale.

Le cadrage exigé par les arrêtés a été réalisé de 2012 à 2013. Ce cadrage a notamment donné lieu à la rédaction d'une quarantaine de cahiers des charges relatifs à la restauration de différents milieux naturels, la délimitation des zones de prospection prioritaire, la définition du contenu des diagnostics écologiques, la définition d'une méthodologie d'évaluation des surfaces compensatoires et la préparation de conventions types pour la préparation des mesures. Il s'agit là d'une étape préparatoire essentielle pour répondre au mieux aux exigences de l'administration en matière de compensation mais également pour assurer l'acceptabilité des mesures sur les territoires ainsi que leur mise en oeuvre à grande échelle et sur le long terme. Notons que la doctrine ERC a été formalisée en parallèle de ce travail mené par COSEA.

Chaque année, un comité de suivi, qui regroupe notamment les élus locaux, les associations, les chambres d'agriculture, les services de l'État et trois représentants du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), dresse le bilan des actions menées. Le premier comité s'est tenu le 17 septembre 2012 et le dernier date du 12 décembre 2016. S'y ajoutent des réunions régulières avec les services de l'État.

A ce jour, 1 697 hectares de compensation ont été formellement validés par les services de l'État. En 2017, 79 sites identifiés comme présentant des risques de collision pour le vison et la loutre doivent être aménagés en remplacement de 313 hectares de compensation surfacique. Il s'agit là d'un projet de compensation innovant, lancé avec les associations de protection de la nature et qui a reçu un avis favorable du CNPN fin 2016. L'arrêté ministériel correspondant est attendu pour fin janvier. Par ailleurs, 317 hectares de compensation sont en cours d'instruction par les services de l'État et 1 200 sont en train d'être étudiés par COSEA et ses partenaires. Toutes ces mesures font l'objet de conventions dont la durée varie en fonction du type de milieu concerné. Elles seront maintenues par LISEA et au besoin renouvelées tout au long de la concession.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le but de notre commission d'enquête est de rendre plus fluide la mise en oeuvre de la séquence ERC et vous pourrez, en complément de votre audition, nous fournir par écrit des éléments de réflexion sur la façon dont pourrait être atteint cet objectif global.

J'aurai trois questions plus précises. Quel est le coût des mesures de réduction et de compensation pour le projet dont vous avez la charge et, au sein de cette enveloppe globale, celui des inventaires ? Quelles ont été les suites données à l'avis négatif du CNPN en 2012 ? Quelles conséquences avez-vous tirées de la condamnation intervenue en décembre 2016 sur des difficultés liées au chantier lui-même ?

M. David Bécart, directeur environnement et développement durable de COSEA . - Nous ne pouvons pas vous donner le coût global des inventaires. Pour leur majeure partie, ces inventaires proviennent d'études qui avaient été menées préalablement par RFF pour alimenter les études d'impact SEA 1 et SEA 2. Ces inventaires ont ensuite été complétés sur des points précis.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous malgré tout des ordres de grandeur auxquels vous rattacher lorsque vous négociez avec un bureau d'études par exemple ?

M. David Bécart . - Nous suivons des protocoles qui varient fortement selon le type de milieu et dépendent également d'analyses bibliographiques et cartographiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Existe-t-il aujourd'hui une forte concurrence entre bureaux d'études sur ces questions ? Notre question, in fine , est de savoir s'il faut envisager de labelliser ou certifier les bureaux d'études afin de renforcer la qualité des inventaires initiaux dont nous constatons qu'ils souffrent de manques pour certains.

M. David Bécart . - Les bureaux d'études avec lesquels nous avons travaillé étaient intégrés dans notre groupement d'entreprises. En parallèle, nous avons fait appel à des spécialistes sur certaines questions. Dans ce cas, les protocoles sont suffisamment bien établis pour que les écarts d'offres entre bureaux d'études restent limités.

Mme Amandine Szurpicki, responsable des mesures compensatoires de COSEA . - S'agissant du coût des mesures compensatoires, la fourchette qui vous a été indiquée au cours d'auditions précédentes, de 5 % à 10 % du coût total d'un projet, nous paraît cohérente. En ce qui concerne la LGV, COSEA est en charge de la mise en place des mesures compensatoires tandis que LISEA est responsable de leur maintien et de leur suivi.

S'agissant de la mise en place, les coûts sont très variables selon le type de mesure, en raison de la nature différente des milieux d'intervention. En moyenne, l'animation foncière représente 10 % du coût global de mise en place des mesures de compensation. Les études, au sein desquelles figure la réalisation des inventaires, en représentent 35 %.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous me rappeler le budget total de la concession ?

M. Bernard Godinot . - La conception-construction représente environ 6 milliards d'euros. Le budget de la concession dans son ensemble s'élève à 8 milliards d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si l'on considère que les mesures de compensation représentent environ 5 % de cette enveloppe de 6 milliards d'euros, soit 300 millions d'euros, et que les études représentent 35 % de ces 5 %, cela veut dire que vous y avez consacré plus de 100 millions d'euros ?

Mme Amandine Szurpicki . - L'enveloppe de 5 % correspond à la fois à la mise en place des mesures et à leur maintien dans le temps. Or nous ne calculons les 35 % qu'à partir de l'enveloppe consacrée à la mise en place des mesures.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quel a donc été le budget consacré aux études ?

Mme Amandine Szurpicki . - La mise en place des mesures étant encore en cours, il nous est plus facile de vous donner des moyennes et de vous indiquer que 35 % du budget devrait être consacré aux études.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si 35 % du budget va aux études, cela laisse peu de place pour la mise en oeuvre des mesures en tant que telle. Comment l'expliquer ?

M. Bernard Godinot . - Par définition, nous ne pouvons vous répondre que sur le volet consacré à la mise en place des mesures.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous parlons bien de l'enveloppe de 6 milliards d'euros et, au sein de celle-ci, de 5% à 10 % destinés à la compensation ?

Mme Amandine Szurpicki . - Les 5 % ne se rapportent pas aux 6 milliards d'euros puisqu'ils concernent également le suivi et le maintien des mesures compensatoires sur la durée de la concession.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quand bien même nous parlons de 8 milliards d'euros, si je refais les calculs, j'arrive à un budget d'études aberrant.

Mme Amandine Szurpicki . - Entendons-nous bien : l'enveloppe de 5 % concerne aussi le suivi et le maintien des mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les sommes consacrées aux études n'en demeurent pas moins considérables.

Mme Amandine Szurpicki . - Il faut bien distinguer la phase de mise en place des mesures et celle, plus longue, de leur suivi et de leur maintien, qui s'étendra de la mise en service à la fin de la concession. Nous ne pouvons nous exprimer que sur la mise en place. Au sein des sommes qui, aujourd'hui, sont allouées à la mise en place des mesures, 35 % sont en moyenne consacrés aux études.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourrez-vous nous détailler ces éléments par écrit ?

Mme Amandine Szurpicki . - Les études représentent une part significative du coût de mise en place des mesures de compensation. Les frais liés aux acquisitions de terrains et aux indemnités versées aux propriétaires et exploitants de terrains qui conventionnent avec nous représentent 15 % de ce coût de mise en place et ceux liés aux opérations de restauration, 30 %. Tous ces coûts sont très variables d'un site à l'autre. Enfin, 10 % sont consacrés à l'encadrement et au pilotage de COSEA.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je suppose que vos négociations avec RFF ont porté sur le détail des coûts environnementaux du projet ?

M. Bernard Godinot . - La négociation a été globale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous n'avez donc pas à rendre de compte à RFF sur le détail chiffré des mesures compensatoires que vous mettez en oeuvre ?

M. Bernard Godinot . - L'annexe 3 de notre contrat de conception-construction porte un échéancier sur lequel sont basées nos factures. Un contrôle sur cette base est opéré par le Lender's technical advisor ( LTA ) qui est le conseiller des banquiers.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est donc, comme nous l'avons parfois déjà entendu, le conseiller des banquiers qui contrôle la mise en oeuvre de vos mesures compensatoires.

M. Bernard Godinot. - Vis-à-vis de l'État, des justificatifs sont également envoyés en parallèle au moment des financements opérés par RFF.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Puisque vous possédez les ratios assez précis que vous venez de nous donner, le détail financier des mesures environnementales mises en oeuvre chaque année est-il disponible ?

M. Bernard Godinot. - Le seul document financier détaillé est l'annexe 3 que j'évoquais. Elle prévoit, dès la signature du contrat, les différentes phases d'avancement des travaux qui portent notamment sur ces sujets-là. Je n'ai cependant pas les chiffres qui y sont indiqués en tête à propos des mesures environnementales. Nous vous le transmettrons par écrit.

M. David Bécart. - S'ils ne sont pas financiers, des détails supplémentaires sont néanmoins donnés dans les arrêtés.

M. Gérard Bailly . - Je suppose que les 340 kilomètres de ligne à grande vitesse traversent des champs et des bois. Pourriez-vous nous indiquer les proportions de chacun ? Le passage a-t-il engendré un conflit entre les agriculteurs et les forestiers, chacun d'eux préférant que le tracé passe en priorité chez l'autre ?

Vous précisez avoir reconstitué 1 350 hectares de forêt. Pouvez-vous nous préciser quelle était la taille de l'impact qui a nécessité cette reconstitution afin que nous puissions juger de son ampleur ? Cette reconstitution est-elle passée par de la plantation et, le cas échéant, sur quels terrains ?

En matière d'agriculture, avez-vous procédé au remembrement des parcelles sur l'ensemble des communes traversées ? Contrairement aux autoroutes, les voies de chemin de fer possèdent peu de ponts et il est souvent nécessaire de faire un détour important pour joindre deux parcelles lorsqu'elles ont été séparées par une ligne de TGV.

Dans mon département, nous avons connu des difficultés pour le rétablissement des ponts sur les routes départementales. Il n'est aujourd'hui plus possible de faire passer une moissonneuse-batteuse sur un pont de 4 mètres. Pour la LGV, avez-vous rétabli les ponts en fonction de leurs dimensions initiales ou des nouveaux besoins ? Ces questions peuvent sembler secondaires mais leur prise en compte est la garantie de bonnes conditions de dialogue avec le monde agricole.

Les agriculteurs ont-ils, dans leur ensemble, signé les protocoles d'accord proposés par l'intermédiaire des chambres de l'agriculture ou un certain nombre d'expropriations ont été nécessaires ?

M. David Bécart. - Je ne possède pas en tête le ratio correspondant aux surfaces boisées et aux surfaces cultivées traversées par la ligne. Cette information pourra être transmise par écrit.

Le déboisement qui a donné lieu à la mise en oeuvre de mesures compensatoires correspond à une surface de 1200 hectares. Liées au maintien de la production forestière, ces mesures compensatoires sont à bien distinguer de celles relatives à la biodiversité. Ces 1 350 hectares de mesures compensatoires forestières peuvent prendre place dans tout le département concerné par le déboisement. La contrainte de proximité est donc plus faible que pour les compensations d'atteinte à la biodiversité qui doivent, le plus souvent, être mises en oeuvre dans une bande de 10 à 20 kilomètres de la ligne ferroviaire. Les terrains sont donc plus simples à trouver en matière de compensation forestière. Il s'agit de terrains non boisés, soit parce qu'ils le sont naturellement, soit parce qu'initialement boisés ils ont subi une tempête. Des conventions ont donc été passées afin de les boiser ou les reboiser.

M. Bernard Godinot. - En ce qui concerne le remembrement, une moitié des communes est en inclusion et l'autre est en exclusion. Ces deux options sont laissées aux communes elles-mêmes. Les remembrements par inclusion sont quasiment terminés alors que les remembrements par exclusion nécessitent un peu plus de temps. Il est dans notre intérêt que le processus aille le plus vite possible. Si nous les finançons, je précise néanmoins que les remembrements sont gérés par les conseils départementaux.

En ce qui concerne le rétablissement des ponts, un certain nombre d'engagements avaient été pris par RFF. Nous avons, par la suite, mis en place une concertation avec l'ensemble des maires des 114 communes concernées afin de traiter ce type de sujets et définir les largeurs des ouvrages. Le fruit de cette concertation a donné lieu à des conventions dont 90% sont aujourd'hui signées. Seul le problème de l'application de la taxe des autoroutes aux TGV entraîne quelques résistances.

Les négociations avec le monde agricole ont été initiées par RFF avant que nous en prenions la suite. Des protocoles nous liant avec les chambres de l'agriculture sur les 6 départements ont été signés. Si quelques cas posent problème, ces protocoles sont le plus souvent appliqués.

M. Gérard Bailly . - Lorsqu'une convention est passée avec l'agriculteur, quels types d'actions lui sont proposés pour la mise en oeuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité ? Quel est le niveau du dédommagement qui y est associé ?

Mme Amandine Szurpicky. - Ces mesures sont relativement variées puisqu'il existe une quarantaine de cahiers des charges qui ont été élaborés avec les chambres d'agriculture, les associations de protection de la nature, les représentants des propriétaires forestiers, les conservatoires régionaux, les fédérations de pêche et encore bien d'autres parties prenantes.

Deux grands milieux de type agricole sont à distinguer. Le premier concerne les grandes plaines ouvertes puisque le tracé traverse 3 zones de protection spéciale (ZPS) avec des enjeux prioritaires pour la faune de plaine, dont l'outarde canepetière. Les mesures prévues permettent ici de convertir des terres cultivées ou en gel, en prairies afin de favoriser la nidification des espèces avifaunes. Certains cahiers des charges de type « mosaïque de cultures » allient à la fois productivité agricole et enjeux de biodiversité.

Nous indemnisons les agriculteurs en proportion de la perte qui est engendrée par rapport au maintien d'une agriculture productive classique. Les durées des conventions que nous passons avec les agriculteurs sont limitées dans le temps mais ces contrats peuvent être reconduits.

L'autre grande catégorie de milieux est de type humide, qu'il s'agisse de prairies humides ou de milieux intermédiaires. Les reconversions de cultures en prairies, bien qu'existantes, sont assez rares. La majorité des conventions porte sur l'évolution des pratiques agricoles dites « conventionnelles ». Il peut, par exemple, s'agir de supprimer tout traitement chimique et d'encadrer la fauche d'une prairie pour la rendre compatible avec la présence des espèces visées par les mesures.

M. Gérard Bailly . - Ces cahiers des charges ont-ils été fixés par des spécialistes ?

En matière de compensation forestière, la replantation fait-elle obstacle au paiement des taxes de défrichement ou de déboisement ?

M. David Bécart. - La taxe de déboisement est due en l'absence de solution de compensation, or nos déboisements ont été totalement compensés.

M. Daniel Gremillet . - Du fait de la compensation forestière inhérente au projet, quelle surface initialement agricole est devenue boisée par la suite ?

Avez-vous estimé la perte de biodiversité sur la fonction de production agricole sur ce même périmètre ? Quel est l'équivalent du chiffre d'affaires que représente le transfert des surfaces anciennement agricoles avant de devenir forestières ?

M. David Bécart. - Nous vous transmettrons ces chiffres dès que nous aurons effectué les calculs nécessaires pour les obtenir.

M. Roland Courteau . - Combien y a-t-il de passages pour le franchissement de la faune sauvage existent-ils sur les 340 kilomètres du tracé ? Quelles autres mesures avez-vous prises pour réduire l'impact de cette infrastructure à son égard ?

M. David Bécart. - 850 passages pour la faune sont présents le long du tracé dont certains passages « grande faune » (PGF) qui traversent les infrastructures par le dessus. Parmi ces 850 passages, 19 viaducs améliorent également la transparence de l'ouvrage dans les vallées. Des ouvrages équipés de banquettes ont également été mis en oeuvre pour le franchissement des cours d'eau. Les banquettes sont de petits escaliers latéraux qui permettent le passage de la faune quel que soit le niveau du cours d'eau. Des dalots ou des buses jalonnent l'ensemble de la ligne. Il s'agit d'ouvrages de petite dimension, de section rectangulaire pour les dalots et circulaire pour les buses, qui traversent le remblai de la ligne de part en part afin d'en assurer la transparence pour la petite faune. Un détail de ces 850 ouvrages pourra vous être transmis.

Ces mesures favorisant la transparence ne sont pas les seules mesures de réduction mises en place puisqu'il en existe 3 grandes catégories. La première, à laquelle sont rattachées les mesures déjà évoquées, vise le maintien de corridors de déplacement pour la faune. La deuxième vise à limiter les atteintes aux habitats aux abords de la ligne. Des mesures de réduction sont également appliquées à l'intérieur des emprises temporairement mobilisées et remises en état à l'issue du chantier. Les pistes nécessaires à la construction des viaducs de la ligne en sont un exemple puisque, recouvertes de géotextiles, elles permettent de retrouver le terrain naturel après démontage.

Des mesures de réductions sont également prises pour la protection des spécimens d'une espèce présents sur les emprises au début des travaux. Des arrêtés « espèces protégées » nous permettent de déplacer ces individus vers des zones refuges situées aux abords des emprises. Des protocoles de pêche, en ce qui concerne les batraciens ou les poissons, ont été mis en place. D'autres protocoles spécifiques aux boisements ont, par exemple, permis la fuite progressive du vison d'Europe présent au sud du tracé. Les emprises ont, par la suite, été fermées de manière hermétique pour éviter que les spécimens ne reviennent sur le chantier. Cette précaution nous permet par la suite d'artificialiser les milieux sans porter atteinte aux espèces.

M. Gérard Bailly . - La partie du pays concernée par la ligne Tours-Bordeaux est relativement agricole. Quelle est l'ordre de grandeur des flux financiers nécessaires à la compensation des atteintes à la biodiversité en comparaison de ceux nécessaires à la compensation agricole induite par le projet ? Votre dossier est, en effet, un exemple assez représentatif et nous permettrait d'avoir un point de vue sur ces proportions qui font souvent débat, afin de savoir quel type de compensation prend le dessus sur l'autre.

M. Jean-François Longeot, président . - Il s'agirait pour nous d'un moyen d'information et non de contrôle. Il nous permettrait d'établir les proportions respectives des différents types de compensations agricole, forestière ou en lien avec la biodiversité, qui sont attachées à un projet comme le vôtre.

M. Bernard Godinot. - Ces montants relèvent du secret des entreprises. Nous sommes très prudents quant à leur divulgation car décrocher un chantier de 6 milliards d'euros est un véritable combat.

M. Jean-François Longeot, président . - Je comprends le problème que peut vous poser la divulgation des sommes en cause. Vous pouvez néanmoins nous indiquer leurs proportions sous forme de pourcentages.

M. Daniel Gremillet . - Votre propos me surprend. Je ne comprends pas en quoi relèvent du secret les proportions respectives des différents types de compensations mises en oeuvre sur un territoire donné à l'occasion de la construction d'un ouvrage puisque la mise en oeuvre de ces compensations relève de votre responsabilité.

M. Bernard Godinot. - Ces données prises dans leur ensemble constituent un élément en lien avec le prix que nous sommes susceptibles de proposer à l'occasion d'un appel d'offre. Or le prix est précisément l'élément déterminant d'une réponse à un appel d'offre.

M. Daniel Gremillet . - Je souhaiterais poser deux questions en espérant que leurs réponses ne soient pas, elles, des secrets...

Les délaissés du tracé sont-ils mis à profit pour la conservation de la biodiversité aux abords de la ligne ? Les précautions mises en oeuvre lors des travaux ont-elles également épargné ces délaissés ?

Enfin, on constate fréquemment que les ouvrages d'art, souvent très couteux, mis en oeuvre pour favoriser le passage du grand gibier ont une efficacité relativement limitée au regard du peu d'animaux qui y passent effectivement. Avez-vous des chiffres concernant les dispositifs similaires que vous avez mis en place ?

M. David Bécart. - Lors de l'achat amiable de terrains en vue de la construction de la ligne, il peut ouvrir que des parcelles situées à l'extérieur de l'emprise mais appartenant à un lot soient acquises en même temps que le reste du lot. Nous avons effectivement regardé si ces délaissés pouvaient être des sites de compensation et certains ont pu l'être. Dans certains cas, les mesures mises en place sur les zones temporaires de chantier sont allées au-delà de la seule remise en l'état initial du terrain et ont donné lieu à des mesures compensatoires. Ce processus a pu nous éviter d'utiliser des terres agricoles pour la mise en oeuvre de ces mesures.

Les guides existants sur les grandes infrastructures linéaires préconisent un ouvrage tous les 300 mètres. Il s'agit d'un certain nombre d'ouvrages de référence, qui peuvent être des viaducs ou des ouvrages de plus petite taille et qui nous sont imposés lors de l'instruction des dossiers. Je pense néanmoins qu'il faudrait une approche beaucoup plus qualitative. Nous nous sommes, en ce sens, concertés en amont du projet avec les fédérations de chasse pour déterminer l'emplacement des corridors. Nous y avons ensuite installé des ouvrages adéquats afin qu'ils soient bien utilisés. Les autres ouvrages de transparence sont plus communs et, il est vrai, moins utilisés. LISEA procède au suivi de l'utilisation de ces dispositifs et sera en mesure de vous fournir des informations à ce sujet.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie pour ces informations. Je compte sur l'envoi des développements écrits proposés en réponse à certaines questions qui vous ont été posées.

Audition de M. Laurent Cavrois, président de Ligne à Grande Vitesse Sud Europe Atlantique (LISEA), et M. Thierry Charlemagne, directeur de l'environnement et du développement durable (LISEA)
(mardi 31 janvier 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons nos travaux sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Si notre commission d'enquête a pour but d'apprécier, d'une manière générale, l'efficacité et l'effectivité du système de mesures compensatoires français, nous nous concentrerons ce soir sur le projet de ligne à grande vitesse sud Europe Atlantique, la LGV Tours-Bordeaux, puisque nous en recevons le maître d'ouvrage LISEA, qui s'en est vu confier la concession depuis 2011 et jusqu'en 2061. Nous entendrons M. Laurent Cavrois, président de LISEA et M. Thierry Charlemagne, directeur de l'environnement et du développement durable de LISEA et membre de l'observatoire environnemental de la LGV Tours-Bordeaux.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Laurent Cavrois et Thierry Charlemagne prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Avez-vous des liens d'intérêts avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, à savoir l'autoroute A65, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Laurent Cavrois, président de LISEA . - Je suis salarié de Vinci concessions, le concessionnaire de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. Cependant, je n'ai jamais travaillé sur ce projet et je n'ai aucun lien avec les autres projets que vous avez cités.

M. Thierry Charlemagne, directeur de l'environnement et du développement durable de LISEA . - Je suis salarié de LISEA. Je n'ai aucun lien d'intérêts avec les projets que vous avez mentionnés.

M. Jean-François Longeot, président . - À la suite de votre présentation, notre rapporteur vous posera un certain nombre de questions et les membres de la commission d'enquête vous solliciteront.

M. Laurent Cavrois . - L'objectif initial du projet de ligne à grande vitesse sud Europe Atlantique était de rapprocher deux grandes régions, en mettant les deux villes de Paris et Bordeaux à deux heures l'une de l'autre, tout en organisant le report modal de l'avion et de la voiture sur le train, transport peu émetteur de gaz à effet de serre, dans une ambition environnementale, et en libérant la ligne classique pour développer les transports quotidiens et le fret ferroviaire, dans un souci d'utilité publique.

LISEA a signé un contrat de concession avec SNCF Réseau en juin 2011 après avoir remporté l'appel d'offres organisé par Réseau ferré de France (RFF) en 2008 et en 2009. La société a en charge la responsabilité globale de la ligne, c'est-à-dire qu'elle doit la financer, la concevoir, la mettre en service, la maintenir et l'entretenir pendant cinquante ans, dont six ans consacrés à la construction, donc quarante-quatre ans d'exploitation effective.

Le projet se caractérise par la force de sa dimension environnementale, par le choix d'une maîtrise d'ouvrage privée et par une concession qui inscrit les différents acteurs, LISEA et ses sous-traitants COSEA et MESEA, dans le long terme.

Le projet est de grande ampleur, puisqu'il représente un investissement global de 7,8 milliards d'euros, des subventions publiques à hauteur de 4 milliards et un financement privé monté par LISEA de 3,8 milliards. Il représente aussi 300 kilomètres de lignes et 40 kilomètres de raccordement, et plus de 9 000 personnes mobilisées au pic du chantier, soit sans doute la plus grande concession en Europe. L'emprise définitive de la ligne couvre 4 200 hectares auxquels il faut ajouter 1 000 hectares d'emprise provisoire pour les travaux. La ligne traverse 14 sites Natura 2000 et franchit 90 cours d'eau.

Nous avons choisi de travailler avec les partenaires locaux, les associations de protection de la nature, les chambres d'agriculture, les fédérations de chasse et de pêche, les centres de gestion forestiers, et les services de l'État, pour définir des méthodologies des ouvrages et des manières d'exploiter la ligne adaptées aux territoires qu'elle traverse. Nous avons aussi mobilisé des moyens importants au sein de LISEA et de nos sous-traitants, comme COSEA, en termes d'expertise propre : au plus fort du chantier, plus de cent ingénieurs et techniciens y ont travaillé avec le soutien d'une centaine d'ingénieurs écologues parmi nos partenaires, afin de définir des méthodes constructives, des ouvrages de transparence et un mode d'exploitation visant à diminuer l'empreinte de la ligne sur le territoire et à répondre aux exigences des arrêtés sur les espèces protégées et ceux pris au titre de la loi sur l'eau. Globalement, nous avons réalisé pas moins de 850 ouvrages de transparence écologique.

Pour ce qui est de la séquence éviter - réduire - compenser (ERC), le concédant, RFF, en charge de la définition initiale du projet, a défini le tracé de la ligne et a réalisé les premières études d'impact. C'est donc à lui que la tâche d'éviter est revenue. LISEA a récupéré la maîtrise d'ouvrage en 2011, se chargeant ainsi de réduire et compenser. COSEA a mis en oeuvre la transparence pour le compte de LISEA qui aura la responsabilité opérationnelle directe de la gestion des mesures compensatoires à partir du moment où elles auront été établies.

Ces mesures sont définies dans deux arrêtés au titre des espèces protégées, quatre arrêtés au titre de la loi sur l'eau et six arrêtés au titre du code forestier. Il s'agit de réduire l'impact au cours des travaux et de compenser les impacts résiduels. Le projet a une dette surfacique cumulée de près de 25 000 hectares pour les différentes espèces impactées. COSEA estime que la superficie des mesures compensatoires après mutualisation avoisinera les 3 500 hectares.

La gestion dans le temps des mesures compensatoires incombe à LISEA qui contrôlera la mise en oeuvre des mesures sur le terrain, collaborera avec les acteurs territoriaux, assurera le suivi écologique et définira les mesures correctives qui s'imposeront pendant les 44 ans d'exploitation de la ligne. Les arrêtés fixent des objectifs de résultats, pas de moyens.

L'observatoire environnemental, dont la création était prévue dans le contrat initial et dans les arrêtés, a pour mission d'évaluer les impacts résiduels du projet sur l'environnement et de s'assurer de l'efficacité des mesures compensatoires mises en oeuvre en les corrigeant éventuellement. Il a vocation à être un outil d'aide à destination de ceux qui auraient à prendre des décisions sur les futurs aménagements. Les ouvrages de transparence écologique existent déjà et nous suivons leur efficacité. Le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) a réalisé une étude sur l'insertion paysagère de la ligne. Une étude d'impact environnemental est en cours sur le jumelage de plusieurs infrastructures. Mis en place en 2014, ces suivis seront complétés chaque année. LISEA suivra le déploiement des mesures environnementales et évaluera leur fonctionnalité. Toutes les informations seront disponibles sur le site lisea.fr.

Le projet prend en compte l'environnement comme un élément primordial. LISEA veille à appliquer les engagements pris au titre des arrêtés, avec exigence et professionnalisme. Vous prévoyez une visite sur le terrain. Je serai heureux de vous y accompagner.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En 2012, l'avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) était très critique. Quelles conséquences en avez-vous tiré ? Avez-vous modifié certaines stratégies ou opérations ?

M. Laurent Cavrois . - Les arrêtés sont le fruit d'un travail mené en commun avec les services de l'État et le CNPN. Les avis du CNPN sont toujours sévères ; nous n'avons pas été surpris. Nous en avons tenu compte et nous avons corrigé ce qui devait l'être.

M. Thierry Charlemagne . - Le CNPN a d'abord donné un avis favorable au projet, en marquant certaines réserves au sujet des ouvrages de transparence. Des négociations ont eu lieu entre COSEA, concepteur de la ligne, et les associations pour déterminer quels ouvrages étaient les mieux à même de favoriser la transparence et de répondre aux exigences des arrêtés. Le CNPN a ensuite rendu un avis défavorable sur les réponses qui avaient été données aux réserves précédemment émises. À la suite de cet échange, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le ministère ont proposé des arrêtés qui ont été publiés en décembre 2012.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Au départ, l'avis portait sur 1 000 hectares de terrain qui ne figuraient pas dans le premier projet. Ce n'est pas rien. Il manquait les éléments d'inventaire et les études d'impact pour ces surfaces. Qu'avez-vous fait pour combler ce manque ?

M. Thierry Charlemagne . - La perspective du concessionnaire est forcément plus éloignée du terrain que celle du constructeur. L'avis portait tout d'abord sur les ouvrages de transparence : il s'agissait de savoir s'il fallait allonger les viaducs, remplacer un remblai par un viaduc, etc. En matière d'emprise, les emprises complémentaires nécessaires à la réalisation des travaux ont fait l'objet d'inventaires complémentaires, donnant lieu à une réévaluation de la dette compensatoire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il s'agissait donc des emprises nécessaires à la réalisation des travaux plus que de la ligne elle-même ?

M. Thierry Charlemagne . - L'emprise initiale avait été réduite le plus possible. On a ajouté 1 000 hectares supplémentaires sur 300 kilomètres de ligne, pour des emprises connexes à la ligne, uniquement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si je comprends bien, on a privilégié le tracé de la ligne plutôt que le terrain nécessaire pour stocker le matériel ou les engins de construction. Vinci a quand même été condamné à 110 000 euros d'amende et Bouygues à 60 000 euros. L'avis du CNPN n'a pas été totalement pris en compte, car l'affaire a fini au tribunal. Quelle est la position de LISEA sur ce sujet ?

M. Thierry Charlemagne . - Ces condamnations ne sont pas liées aux emprises complémentaires, mais à des incidents de terrassement et de génie civil en matière d'assainissement provisoire qui datent de 2013 et 2014 et qui concernent trois cours d'eau en Indre-et-Loire. Après de fortes pluies, la rupture de la digue d'un bassin d'assainissement provisoire et des défauts de pompage ont provoqué le rejet de matières en suspension dans les cours d'eau. Ce type d'incident est prévu dans les arrêtés au titre de la loi sur l'eau qui précisent les procédures à suivre, à savoir alerter immédiatement les services de l'État des écarts avec la réglementation. C'est ce qu'a fait COSEA, qui a également lancé des mesures d'urgence pour limiter l'impact de l'incident, avant d'adopter des mesures correctrices pérennes après les avoir fait valider par les services de l'État. La procédure a été rigoureusement suivie. Les services de l'État et des tiers ont considéré que l'impact des rejets était faible ; COSEA ne l'a jamais minimisé.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ces condamnations pénales vous ont-elles conduit à modifier votre approche ? Considérez-vous qu'on a atteint la bonne mesure au sujet des emprises complémentaires ?

M. Laurent Cavrois . - Il n'est en effet jamais agréable d'être condamné au pénal. Le contrat qui nous lie à COSEA stipule que COSEA reprend les obligations du concessionnaire pendant les six ans de construction. Le paiement est au forfait, même si nous conservons un droit de contrôle. Nous avons missionné la société Apave, qui a parcouru l'ensemble du tracé pendant les six ans qu'a duré le projet, et qui a témoigné que les chantiers étaient globalement d'une très bonne tenue. Nous manquons de benchmark sur des projets de lignes comparables, mais nous avons la conviction que ces sujets sont pris très au sérieux par les maîtres d'ouvrage privés, qui subissent une pression très importante des concédants, des financiers, de la société civile et des tribunaux. Nous sommes là pour cinquante ans ; nous avons donc à coeur de tisser une relation de confiance avec l'ensemble des parties prenantes.

M. Thierry Charlemagne . - Les 1 000 hectares d'emprises supplémentaires ont contribué à la dette de l'ensemble de la ligne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela a-t-il réévalué la dette ?

M. Thierry Charlemagne . - Oui

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La compensation représenterait 5 à 8 % d'un projet à 8 milliards, donc de 400 à 650 millions d'euros ?

M. Laurent Cavrois . - Je ne sais pas ce qu'a dit SNCF Réseau. La gestion des mesures compensatoires nous coûte entre 100 et 200 millions d'euros au total - sur les cinquante ans de la concession. Je ne peux pas vous dire ce qu'a coûté à COSEA l'évitement, c'est-à-dire la détermination du tracé, et la réduction, c'est-à-dire les ouvrages de transparence. Il faudrait comparer ce qu'aurait coûté un projet plus direct qui aurait écrasé la biodiversité sur 300 kilomètres, avec le nôtre, plus souple et comprenant des viaducs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Un grand professionnel comme vous ne connaît pas le coût d'un ouvrage de transparence, d'un changement de tracé, sur un total de 8 milliards d'euros près !

M. Laurent Cavrois . - L'assiette est de 6 milliards, auxquels s'ajoutent 2 milliards de frais, notamment financiers. LISEA n'a pas chiffré le coût de la construction, et n'a pas eu accès au chiffrage par le constructeur avec lequel nous avons contracté. Nous avons un contrat forfaitaire avec COSEA, qui doit répondre à l'ensemble des obligations qui incombent au concessionnaire en matière environnementale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qui devrait le savoir ? COSEA ?

M. Laurent Cavrois . - Oui, COSEA est seul capable de le savoir.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous ne sommes pourtant pas si intrusifs ! Vous devez certainement faire des réunions pour chiffrer les contraintes environnementales...

M. Laurent Cavrois . - Le prix du constructeur est une chose qu'on ne négocie pas, ni sur lequel on rentre dans le détail.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est très frustrant. Mais vous nous avez donné au moins un chiffre : entre 100 et 200 millions d'euros sur le fonctionnement, pour 3 000 à 4 000 hectares gérés. Combien d'hectares font l'objet d'acquisitions, et combien font l'objet de contrats de gestion ? Sur cinquante ans, cela fait entre 2 et 4 millions par an soit environ 800 euros par an et par hectare, n'est-ce pas ?

M. Laurent Cavrois . - Il n'y a pas que l'entretien à faire, mais aussi des études de suivi assez lourdes, comme la mise en place de pièges à traces et d'appareils photos. C'est de la dentelle ! Il y a aussi de la gestion : le renouvellement des contrats avec les exploitants agricoles et le contrôle de leur application par ces derniers. Nous avons contractualisé avec les exploitants pour 80 % ; nous avons acheté et faisons gérer par des conservatoires régionaux pour 20 % du total.

COSEA vous l'aura sans doute déjà dit, ces éléments sont cruciaux pour départager les concurrents à un appel d'offre. Nous considérons donc que cela relève du secret commercial. Tous les acteurs du secteur pensent comme nous.

Si vous souhaitez davantage de détails, nous pouvons vous envoyer une contribution écrite et confidentielle ; cela nous permettrait d'être plus transparents sans craindre que cela ne parvienne à nos concurrents.

M. Jean-François Longeot, président . - Cela se fait : vous pouvez transmettre des documents qui ne seront diffusés qu'aux membres de la commission.

M. Thierry Charlemagne . - Les coûts d'étude se concentrent sur la mise en oeuvre des mesures. C'est le coût de suivi qui est le plus élevé : contrôle des exploitants, animation, coordination sur le terrain des nombreux acteurs. Il faut évaluer l'efficacité des mesures initiales, prendre d'éventuelles mesures correctives et modifier, le cas échéant, les conventions existantes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous parlez donc d'un coût de 800 euros à l'hectare. Le monde agricole en demande 1 000 euros.

M. Thierry Charlemagne . - Attention : le coût voire, car la perte de productivité pour l'exploitant n'est pas la même dans des bonnes terres de Charente ou sur des terres moins productives. Nous avons quatre familles de cahiers des charges pour les différents milieux : les zones agricoles, les pelouses calcicoles et les milieux ouverts, les zones humides, les boisements. Sur les terres agricoles, le coût est compris entre 550 et 650 euros par hectare. Les fourchettes sont plus restreintes pour les boisements qui nécessitent mois de mesures mais pour lesquelles le suivi est plus conséquent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela ne vous arrangerait-il pas que l'État fixe des barèmes de contractualisation avec le monde agricole ? Cela vous éviterait une négociation qui n'est pas toujours facile. Si les coûts montent beaucoup, cela peut-il remettre en cause votre modèle économique ? Ou bien considérez-vous que vous avez encore des réserves, et qu'il s'agit d'une somme raisonnable dans le montage global ? Quelle est votre stratégie ?

M. Laurent Cavrois . - Il nous est difficile de répondre. Dans un schéma concessif, il y a deux payeurs : la feuille d'impôt et le billet de train. Personne n'a envie d'augmenter ni l'un, ni l'autre. Ce n'est pas à moi de dire qu'une dépense de 300 millions d'euros resterait raisonnable... Les parties « éviter » et « réduire » sont sans doute plus substantielles.

M. Thierry Charlemagne . - Il ne faut pas réduire l'effort aux seules mesures compensatoires. Le plus couteux est le tracé. Il faudrait prendre l'ensemble du schéma « ERC ».

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avec la diminution de la disponibilité du foncier, anticipez-vous une hausse des coûts ? Quelle est la durée de vos contrats ?

M. Thierry Charlemagne . - Ils sont de cinq à huit ans renouvelables sur cinquante ans pour les terres agricoles, mais peuvent être de vingt-cinq voire cinquante ans pour les boisements.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous procédé à une provision, en anticipant une augmentation du coût ? Les agriculteurs vous voient arriver et vous êtes soumis à une obligation de résultat. Le rapport de force peut vous être défavorable.

M. Laurent Cavrois . - Le problème pour des opérateurs privés est la prévisibilité, plus que le montant : le montant dépend d'une décision politique au niveau national pour la construction de l'infrastructure.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous sommes intéressés par vos propositions pour améliorer et faciliter ce processus.

Enfin, les banques peuvent être très soucieuses aujourd'hui sur ces questions. Supposons que vos mesures ne fonctionnent pas - l'État peut-il vous demander d'en prendre d'autres ? Cela peut-il remettre en cause votre marge ?

M. Laurent Cavrois . - Les banques nous demandent des résultats. Nous sommes inspectés tous les mois par un spécialiste technique multi-activités, qui examine notamment les sujets environnementaux. C'est donc un contrôle important, qui ne se substitue pas au contrôle que nous exerçons vis-à-vis de nos sous-traitants. Les banques veulent que nous résolvions très vite les problèmes qui se font jour.

Mme Évelyne Didier . - En fait, il est nécessaire de clarifier ce qu'est une concession. SNCF Réseau est maître d'ouvrage.

M. Laurent Cavrois . - Non, le maître d'ouvrage est LISEA.

Mme Évelyne Didier . - Vous êtes donc seuls à décider ce que vous faites ?

M. Laurent Cavrois . - En tant que concessionnaires, nous devons répondre au cahier des charges défini dans le contrat de concession signé avec le concédant. La loi désigne LISEA comme maître d'ouvrage.

Mme Évelyne Didier . - Le budget est donc de 7 milliards d'euros, dont 4 milliards issus de subventions de l'État. En retour, celui-ci dispose-t-il d'un contrôle ou de parts dans une société, ou bien cette somme a-t-elle été octroyée sans contrepartie ?

M. Laurent Cavrois . - La contrepartie, c'est l'existence d'une ligne à grande vitesse.

Mme Évelyne Didier . - Répondez par oui ou par non, s'il vous plaît.

M. Laurent Cavrois . -L'État n'a pas de parts dans la société concessionnaire.

Mme Évelyne Didier . - Il n'y a donc pas de contrepartie financière à ces 4 milliards. L'État ne touche donc rien du taux de rentabilité interne (TRI) des concessions...

M. Laurent Cavrois . - ...si ce taux est positif. Le contrat de concession confie un ouvrage à un acteur privé à ses risques et périls...

Mme Évelyne Didier . - Nous le savons, merci. L'État donne donc à fonds perdus plus de la moitié du coût de cette ligne.

M. Laurent Cavrois . - Oui ; en échange de quoi, il disposera d'une ligne qui fonctionne pendant cinquante ans.

Mme Évelyne Didier . - Quelle est la date de début de la concession ?

M. Laurent Cavrois . - Le 6 juin 2011.

Mme Évelyne Didier . - Avec quelle société le contrat a-t-il été passé par SNCF Réseau ?

M. Laurent Cavrois . - Avec LISEA, société dédiée à ce projet dont les actionnaires sont Vinci à 33,4 %, la Caisse des dépôts à 25,4 %, Meridiam à 22 % et Ardian à 19,2 %.

Mme Évelyne Didier . - COSEA est le constructeur ?

M. Laurent Cavrois . - Plus précisément, le concepteur-constructeur.

Mme Évelyne Didier . - Quel est le TRI prévu pour cette concession ?

M. Laurent Cavrois . - C'est confidentiel. Mais nous pouvons vous indiquer ce qu'il y a dans le contrat de concession.

Mme Évelyne Didier . - Il serait de 9 % pour les autoroutes. Je voudrais savoir si le métier de concessionnaire est de plus en plus rentable. Ce contrat est essentiellement financier, or les financiers sont attentifs au risque. Le contrat prévoit-il le tarif d'utilisation des sillons ?

M. Laurent Cavrois . - Le contrat est public et peut être consulté sur Légifrance. Depuis la loi Sapin, toute concession doit avoir une indication tarifaire. Le prix des sillons est donc défini dans le contrat.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous essayons de comprendre : si vous n'atteignez pas les objectifs, assurerez-vous le coût supplémentaire ? Dans ce cas, le TRI baissera et les actionnaires auront un moindre retour sur investissement. Ou bien irez-vous réclamer à l'État une augmentation du tarif ?

M. Laurent Cavrois . - Le coût de gestion des mesures compensatoires fait partie de notre risque.

M. Gérard Bailly . - Quelle est la part des terre agricoles et celle de la forêt ? Quelle est la part de terres que vous avez dû exproprier et celle que vous avez acquise de gré à gré ?

Où en êtes-vous de la mise en place des mesures compensatoires ? La perte de terres agricoles ou de forêt engendre une perte d'activité économique. En plus de l'aide individuelle à tel ou tel exploitant, existe-t-il des mesures compensatoires pour le territoire qui la subit ? Sur quelle surface avez-vous fait de la reforestation ?

M. Thierry Charlemagne . - Je ne connais pas la répartition exacte entre parties agricoles et boisées, mais je sais que ces dernières sont minoritaires et situées surtout en Charente-Maritime et en Gironde ainsi qu'en zones périurbaines, autour de Tours, Poitiers et Angoulême. Quant à la proportion d'expropriations, elle est très faible, de l'ordre de 5 %, et par ailleurs, les emprises sont essentiellement sur des terrains non bâtis. Déjà, 1 700 hectares de mesures compensatoires ont été validés par les services de l'État ; 630 hectares sont en cours d'instruction. Et nous disposons d'un stock de 1 200 hectares identifiés, pour lesquels nous avons demandé aux propriétaires s'ils étaient prêts à conventionner ou vendre leur terrain, et qui sont en cours de diagnostic écologique, sur les quatre saisons.

M. Gérard Bailly . - Et les compensations économiques ?

M. Thierry Charlemagne . - Aucune compensation n'est prévue pour la perte économique agricole mais, sur la majorité des communes, les aménagements fonciers réalisés, s'ils peuvent sembler perturbateurs dans un premier temps, modernisent ensuite considérablement l'outil agricole.

M. Gérard Bailly . - Ces aménagements concernent-ils toute la surface des communes concernées ou se limitent-ils à l'emprise ?

M. Thierry Charlemagne . - Ils sont souvent à l'échelle de la commune, et se répartissent en deux moitiés égales entre inclusion et exclusion de l'emprise. Nous avons aussi 1 350 hectares forestiers boisés à replanter. Comme il s'agit d'une logique de production forestière et non d'une compensation environnementale, nous pouvons nous éloigner un peu de la ligne, jusqu'à 40 kilomètres environ. Enfin, un fonds de solidarité territoriale est à disposition des communes concernées par la ligne pour financer des projets.

M. Gérard Bailly . - Quel est son montant ?

M. Thierry Charlemagne . - Il est géré par la SNCF, et son montant doit être compris entre cinq et dix millions d'euros pour toute la ligne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous restauré des zones humides ?

M. Thierry Charlemagne . - Oui, par exemple en Gironde, à Galgon, sur une douzaine d'hectares. Nous avons retiré les rémanents et les peupliers. Vous pourrez vous en rendre compte lors de votre déplacement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Du coup, vous savez combien cela coûte. Nous cherchons à établir des ratios, mais ne disposons pour l'heure que de chiffres américains : environ 100 000 dollars par hectare. Pourrez-vous nous indiquer ce montant ?

Mme Chantal Jouanno . - Quels sont les services de l'État qui contrôlent l'effectivité et l'efficacité des mesures compensatoires ?

M. Thierry Charlemagne . - Celles relatives aux espèces protégées sont contrôlées par les DREAL, celles qui concernent la loi sur l'eau, par les directions départementales des territoires (DDT). Ces services ont accès à l'outil informatique mis en place par COSEA et qui récapitule toutes les mesures de ce type. Ils peuvent faire des contrôles sur place.

Mme Chantal Jouanno . - Le font-ils ?

M. Thierry Charlemagne . - Pas à ma connaissance. Mais les services de l'État sont toujours présents sur le chantier, surtout lors de la phase de terrassement et de génie civil. C'est aussi le cas de l'ONEMA et de l'ONCFS, ainsi que des associations de protection de la nature avec lesquelles nous avons noué des partenariats. Celles-ci nous conseillent utilement sur les mesures de réduction et d'aménagement, et nous alertent si besoin. Cette logique de partenariat perdure grâce aux mesures de suivi écologique. Le CNPN peut aussi se rendre sur place.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment qualifieriez-vous votre rapport avec ces associations sur le chantier ? Comme nous les auditionnerons, il sera intéressant de comparer avec leur point de vue... Avez-vous des relations constructives ou tendues ? Travaillez-vous avec la Société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), avec Poitou-Charentes environnement ou avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ?

M. Thierry Charlemagne . - COSEA pourra également vous répondre sur ce point. Nous, nous agissons dans la durée. À cet égard, nos relations avec les associations sont utiles, et nous nous félicitons d'avoir choisi de travailler avec des acteurs locaux. C'est du moins le cas dans cinq des six départements où nous intervenons, car dans la Gironde, la SEPANSO n'a pas voulu collaborer avec nous. Aussi avons-nous noué des liens avec le conservatoire d'espaces naturels (CEN) d'Aquitaine. Ces relations ne sont pas un long fleuve tranquille, car les enjeux sont nombreux et, comme nous travaillons dans le long terme, importants. Ce n'est facile ni pour ces associations, ni pour nous. Mais au total, elles sont bénéfiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les associations ont-elles les moyens de suivre de tels chantiers ? Ont-elles suffisamment de militants pour cela ? Ou sont-elles contraintes de se focaliser sur certains sites ?

M. Thierry Charlemagne . - Certes, elles ont parfois du mal. C'est aussi à nous de nous adapter à leurs moyens. Parfois, nous marions à leurs compétences une expertise scientifique. Ainsi, sur l'outarde canepetière ou les oiseaux de plaine, nous travaillons avec le laboratoire de Chizé et, sur le bison d'Europe, avec le Groupe de recherche et d'étude pour la gestion de l'environnement (GREGE), qui est un bureau d'études spécialisé.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Justement ! Les bureaux d'études nous intéressent beaucoup. En avez-vous assez à votre disposition ? Sont-ils suffisamment compétents ? Les choisissez-vous en fonction de leur compétence, de leurs honoraires ? Surtout, sont-ils totalement indépendants de vos actionnaires ?

M. Thierry Charlemagne . - Le groupe Vinci dispose de collaborateurs compétents en génie écologique ou hydraulique. Ainsi, au plus fort du chantier, sur les 9 000 personnes présentes, une centaine de collaborateurs travaillaient sur ces questions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - N'appartenaient-ils pas plutôt à une filiale ?

M. Thierry Charlemagne . - Je ne sais pas exactement. Mais le recours à des bureaux d'études ou à des universitaires, en général, vient répondre à des besoins d'expertise spécifiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Monsieur le président, est-ce la même structure qui s'occupe des travaux et du génie écologique ? Ou y a-t-il des filiales spécialisées au sein du groupe ?

M. Laurent Cavrois . - Sur ce projet, les bureaux d'études auxquels nous avons fait appel étaient absolument indépendants de Vinci et de nos autres actionnaires. La CDC a bien une structure de conseil, mais elle n'a pas travaillé pour nous. Des compétences se développent au sein du groupe Vinci pour répondre aux prescriptions des bureaux d'étude, elles-mêmes inspirées de celles des arrêtés. Nous savons, par exemple, détourner un cours d'eau. Mais si nous avons besoin d'une expertise précise, nous recourons à des bureaux d'étude. Y en a-t-il assez ? Sans doute pas.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est une question importante, car la demande à laquelle ils répondent est assez nouvelle dans notre société. Autour des voies, vous créez des milieux, des corridors, des délaissés. Ces espaces font-ils l'objet d'un entretien et d'un suivi spécifiques, notamment en matière de recours aux phytosanitaires ?.

M. Thierry Charlemagne . - Nous préférons parler d'emprises vertes ou hors clôtures, plutôt que de délaissés, car cette dernière expression est peu valorisante.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous êtes les premiers à employer cette expression devant nous.

M. Thierry Charlemagne . - On peut considérer que l'ensemble de ces espaces contribuent à un même « patrimoine vert ».

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous allez encore plus loin !

M. Thierry Charlemagne . - Nous allons gérer beaucoup d'hectares. Et les normes sur l'usage des phytosanitaires sont strictes, depuis la loi sur l'eau. Cette gestion se fera de manière industrielle. À nous d'être attentifs aux enjeux écologiques sur la longueur de la ligne. Pour travailler sur ces questions, nous participons au Club infrastructures linéaires et biodiversité (CILB).

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous l'auditionnerons.

M. Thierry Charlemagne . - Nous participons à un appel à projets de l'État sur les fonctionnalités écologiques et environnementales des infrastructures linéaires. Un colloque s'est d'ailleurs tenu il y a deux ans sur ce thème. Les corridors longitudinaux peuvent être mis en réseau écologique avec les corridors de déplacement transversaux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Lorsque plusieurs infrastructures sont parallèles, le risque qu'elles constituent une barrière est plus important.

M. Thierry Charlemagne . - Surtout quand de nouvelles constructions sont établies à proximité d'infrastructures plus anciennes. Mais dans ce cas, nous mettons les dernières à niveau des standards environnementaux actuels. Nous avons également étudié la taille critique d'une parcelle entre deux infrastructures parallèles. Trop large, elle est cultivée. Trop étroite, elle s'enfriche rapidement. Entre les deux, elle peut redevenir un terrain favorable à certaines espèces.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous pouvons mettre cette étude en valeur. Un corridor doit donc avoir une taille suffisante - sans pour autant gaspiller de la terre agricole. Voilà une problématique nouvelle.

Notre objectif est de construire le modèle économique de la compensation. Nous attendons donc vos compléments par écrit, notamment sur les questions de coûts. Nous sommes par ailleurs preneurs de vos propositions.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci.

Audition de M. Philippe Barbedienne, directeur de la Fédération des sociétés pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO)
(mercredi 1er février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous commençons nos auditions de cet après-midi par une audition de la Fédération des sociétés pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), que nous avons souhaité entendre dans le cadre de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécialisées que nous menons sur le projet de LGV Sud Europe Atlantique entre Tours et Bordeaux, dont nous souhaitons examiner la mise en oeuvre des mesures compensatoires et qui constitue un des quatre projets principaux de notre commission d'enquête. Je rappelle que nous devrions nous déplacer à Bordeaux, sur ce sujet, le 24 février prochain.

Notre commission d'enquête souhaite pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ». Nous entendons donc M. Philippe Barbedienne, directeur de la SEPANSO. La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Barbedienne prête serment.

Monsieur, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, qui sont, je vous le rappelle, l'autoroute A65, le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes et la réserve de la Crau ?

M. Philippe Barbedienne, directeur de la SEPANSO . - Je n'ai pas de lien d'intérêt particulier, outre le fait que j'aime vraiment ma région et que je suis un passionné de la protection de la nature.

Je souhaitais, à titre liminaire, vous remercier de m'avoir invité. C'est vraiment un honneur et une responsabilité de représenter devant vous la SEPANSO.

Je débuterai mon propos en vous présentant la SEPANSO Aquitaine qui est une fédération régionale d'associations de protection de la nature et de l'environnement, créée en 1969, reconnue d'utilité publique et agréée au titre de la protection de l'environnement. Elle regroupe des sections départementales de la SEPANSO, sur le périmètre de l'ancienne région Aquitaine. Elle-même affiliée à France Nature Environnement, elle a constitué en 2016, avec ses homologues des anciennes régions Poitou-Charentes et Limousin, la Confédération FNE Nouvelle Aquitaine. La SEPANSO Aquitaine est une association environnementale généraliste aux compétences multiples. À ce titre, quand elle émet un avis sur un projet d'infrastructure, c'est autant au regard des impacts directs ou indirects de cette dernière sur les territoires et la biodiversité, qu'au regard de son utilité réelle ou supposée, en termes d'aménagement du territoire.

Au préalable, il convient de rappeler deux choses qui orientent notre perception de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). D'une part, en France, comme sur la planète entière, les milieux naturels régressent à un rythme accéléré face à l'urbanisation, aux infrastructures, aux implantations industrielles et autres zones d'activité. C'est aujourd'hui l'équivalent de la surface moyenne d'un département français qui disparaît dans l'Hexagone tous les sept ans sous le béton. D'autre part, sur les zones naturelles restantes, la biodiversité décline à grande vitesse. Même des espèces autrefois communes et peu menacées, comme le moineau domestique ou l'hirondelle rustique, se raréfient et seules se maintiennent ou prospèrent les plus opportunistes et adaptables. Il faut souligner que ce déclin de la biodiversité est plus rapide encore que la perte d'espaces naturels, car les milieux naturels épargnés par le bétonnage sont la plupart du temps soumis à des pratiques d'agriculture et de sylviculture intensives qui en réduisent considérablement les capacités d'accueil pour les espèces sauvages. Dans la forêt cultivée industriellement ou les terres agricoles exploitées intensivement, il y a moins de biodiversité que dans la forêt naturelle ou dans les champs de l'agriculture telle que la pratiquait nos grands-parents. C'est dans ce contexte que s'inscrit la séquence ERC, censée préserver les espèces protégées, les zones humides et la forêt.

Force est de constater que pour un maître d'ouvrage chargé de produire une infrastructure à moindre coût, la facilité consiste à « éviter d'éviter » et à « réduire les réductions », qui sont autant de séquences trop contraignantes et trop coûteuses. Il reste alors à tenter de compenser tant bien que mal, et si possible en essayant de verdir le projet. Or, qu'il s'agisse de compensations espèces protégées, de compensations zones humides ou de compensations forestières suite à des défrichements, la compensation ne peut qu'être très imparfaite, voire totalement inefficace. Le remède est même parfois pire que le mal. C'est notamment le cas des reboisements compensateurs en monoculture de résineux qui non seulement ne compensent pas la perte de surface forestière, mais conduisent aussi à une perte importante de biodiversité tant épigée qu'endogée.

Concernant la destruction d'espèces protégées ou d'habitats d'espèces, la seule véritable compensation serait de remplacer les milieux naturels et habitats détruits en recréant des milieux similaires aux fonctionnalités semblables à partir de milieux artificiels. Ceci n'est pas possible. Non seulement on n'a jamais vu déconstruire une autoroute ou une LGV pour compenser la construction d'une autre infrastructure, mais même si on voulait le faire, on ne saurait y parvenir, car un sol bouleversé, tassé, compacté à la chaux, couvert de béton ou d'enrobé met un temps infini à se reconstituer. On se contente donc de tenter de compenser une destruction, en plaçant pendant une durée limitée et incertaine, sous une cloche plus ou moins protectrice, des milieux naturels existants et comparables à ceux que l'on a détruits.

À ce compte-là, il est facile de comprendre que la compensation est un marché de dupes. Au mieux, on protège de destructions à venir les milieux désignés comme compensatoires, mais la nature subit toujours une perte. Ce qui a été détruit est perdu.

J'en viens à la perte de la capacité d'accueil. Lorsqu'un territoire naturel est choisi en raison de ses bonnes caractéristiques écologiques pour servir de compensation à la destruction d'individus ou d'habitats d'une espèce protégée sur un milieu comparable, ce territoire avait forcément, avant d'être choisi, une capacité d'accueil limitée occupée par des espèces en équilibre avec le milieu. Les animaux ou les végétaux censés y être accueillis s'y trouvent donc confrontés à une compétition pour l'espace, la nourriture, la lumière avec les premiers occupants. La compensation faite dans ce cadre ne pallie pas la destruction subie là-bas, parce que les densités de faune et de flore se stabilisent à nouveau dans ce milieu et restent en-deçà de l'addition de la faune et la flore des deux milieux auparavant distincts. Au mieux, on peut imaginer compenser un milieu dégradé en améliorant la capacité d'accueil par des travaux de génie écologique. Une telle démarche ne compense jamais pleinement la perte et le résultat est souvent décevant.

Il en est de même concernant les zones humides. Si on compense une destruction par l'acquisition d'une autre zone humide, même plus vaste, on subit toujours la perte de la première zone détruite. Par ailleurs, comme pour les autres milieux naturels, compenser la destruction d'une zone humide existante par la création d'une autre zone humide ne répare pas une perte. Là aussi, une solution médiane plus acceptable serait d'acquérir d'anciennes zones humides déjà drainées et de leur redonner leurs capacités antérieures, mais cette démarche est toujours aléatoire et imparfaite.

Pour la forêt c'est pire, puisque bien des fois, la compensation consiste à reboiser des parcelles déjà forestières, ce qui ne compense pas la perte. Les parcelles de compensation sont la plupart du temps des parcelles à forte naturalité - en Aquitaine, des parcelles de chablis post tempêtes, en cours de reboisement naturel - qui sont alors traitées en sylviculture intensive avec débroussaillage, dessouchage, labour, apports d'engrais et plantation de ligneux, le tout parfois accompagné de traitements herbicides et insecticides. C'est alors la « double peine » pour la nature : non seulement la surface de forêt défrichée est perdue, mais la perte de biodiversité est également sensible sur la zone de compensation.

Je vais à présent répondre aux différentes questions que vous m'avez adressées. Premièrement, quelles sont les principales atteintes à la biodiversité causées par la réalisation de l'A65 et de la LGV Tours-Bordeaux ? Les dommages environnementaux commis peuvent ainsi être énumérés : la fragmentation irréversible des territoires, les pertes d'habitats d'espèces sur l'emprise du chantier, les aménagements annexes comme les voies d'accès et tous les aménagements collatéraux, les destructions directes d'espèces en phase chantier sur l'emprise du projet et au-delà de cette emprise par les effets induits, comme la pollution des ruisseaux, les destructions de faune, de flore et d'habitats par l'exploitation des granulats nécessaires à l'infrastructure, - ce point n'étant généralement pas pris en compte par les études d'impact, tout comme la modification des milieux suite aux aménagements fonciers -, la destruction d'animaux par collision en phase d'exploitation, et enfin, la création de corridors de déplacement pour les espèces invasives et transport de graines. Les derniers travaux ont ainsi donné lieu à l'introduction dans les chantiers de nombreuses espèces invasives qui ont bénéficié de l'ouverture des milieux et du transport de graines dans les engins de travaux publics. Enfin, il convient également d'ajouter les effets indirects des émissions de gaz à effet de serre par les engins de chantier, la fabrication de la chaux et des matériaux, la déforestation et la perte de sol naturel. Ce sont là de nombreuses atteintes à la biodiversité.

Deuxièmement, comment jugez-vous la mise en oeuvre générale de la séquence ERC pour ces deux infrastructures ? Selon vous, quelles ont été les étapes-clefs de la séquence pour chacun des projets ? L'A65 vous semble-t-elle avoir fait l'objet d'efforts particuliers dans le contexte du Grenelle de l'environnement ? Je tiens d'abord à souligner que je m'exprimerai avec beaucoup plus de facilité sur l'A65 qui a eu des répercussions en région Aquitaine sur près de 165 kilomètres. Je me suis d'ailleurs beaucoup impliqué sur ce dossier, et ce davantage que sur celui de la LGV Tours-Bordeaux qui a surtout concerné le nord de la Gironde.

Si l'A65 avait fait l'objet d'efforts particuliers dans le contexte du Grenelle qui devait cesser la construction d'autoroutes nouvelles, elle n'aurait tout simplement pas été construite. Le chantier aurait été évité et la route existante aurait été aménagée sur place et sécurisée à moindre coût, moyennant toutefois quelques contournements de bourgs. Ceci eût été la meilleure façon d'éviter un maximum de dommages environnementaux, avec néanmoins des destructions inévitables d'espèces et d'habitats d'espèces protégées, mais dans des proportions bien moindres qu'en ouvrant une saignée dans les milieux naturels sur 150 km. Pour la SEPANSO, il n'est pas question de refuser des projets utiles mais d'essayer d'éviter des projets inutiles ou surdimensionnés et de réduire l'impact de ceux des projets dont la nécessité n'est pas contestable. L'A65, faiblement fréquentée, a cumulé 126 millions d'euros de pertes lors de ses quatre premières années d'exploitation. Cela tend à démontrer qu'elle ne répondait pas à une nécessité réelle en termes de trafic et ce, alors que la route existante était très facile à aménager à moindre coût, puisqu'elle passait sur des zones peu denses, sur une grande partie du trajet. Il eût été très aisé de la transformer en une quatre voies, voire sur certaines portions, d'y aménager une seule voie de dépassement. Nous n'avons donc jamais considéré ce chantier comme utile.

Tant pour l'A65 que pour la LGV, la séquence ERC a donné l'occasion aux maîtres d'ouvrage de verdir leur image et, dans le cas de l'A65, de mettre les retards dus aux acquisitions foncières sur le compte des mesures environnementales en récupérant par la même occasion un allongement de cinq ans de la durée de concession ainsi qu'une subvention de 90 millions d'euros, avantages venus s'ajouter à la mise à disposition gratuite du contournement d'Aire-sur-l'Adour d'une valeur de 56 millions d'euros. Dans le contexte du Grenelle, on a ainsi élaboré un projet autoroutier peu utile et destructeur, tout en verdissant son image. Dans les faits, les infrastructures sont construites, l'évitement est réduit, la réduction est faible, tandis que les dommages environnementaux sont effectifs et réels.

Troisièmement, comment le public a-t-il participé à la séquence ERC pour ces projets, et à quelles étapes ? Il n'y a pas eu à ma connaissance de participation du public à la séquence ERC de ces projets. En revanche, un représentant de notre association était membre du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et a pu s'y exprimer. Il faut noter que pour l'A65, le dossier « dérogation espèces » a été rejeté par les commissions faune et flore du CNPN. Pour tenter de contourner les oppositions apparues en commissions, le dossier a été présenté une nouvelle fois, mais devant le comité permanent où il a reçu logiquement un avis défavorable unanime, compte tenu du déséquilibre manifeste entre les destructions et les velléités de compensation. Le même dossier de demande de dérogation a ensuite été à nouveau présenté quelques semaines plus tard devant le même comité permanent où il a, comme par miracle, reçu cette fois un avis favorable presque inespéré, à deux voix d'écart, dont celles des représentants du ministère. Le lobbying des bétonneurs avait parfaitement joué. Une personne, membre du cabinet de la secrétaire d'État à l'environnement, avait pris la précaution de convoquer individuellement un certain nombre de membres importants du comité permanent pour leur signifier de façon très persuasive, tout l'intérêt que portait l'État à ce que la poursuite de ce projet soit assorti d'un avis favorable du CNPN ; un avis défavorable étant redouté pour l'image qu'il aurait donné. Seul le représentant de la SEPANSO, sans doute jugé trop rigide, n'a pas été convoqué. D'autres membres dépendant d'organisme d'État, qui avaient précédemment voté « contre », ont eu des empêchements opportuns lors de l'ultime examen par le comité permanent. Et - deux précautions valant mieux qu'une - pour la première fois, le représentant du Ministre présidant ce comité n'était pas un responsable de la direction compétente pour l'eau et la biodiversité, mais un envoyé de la direction des routes. Concernant la LGV Tours-Bordeaux, des responsables de la société concessionnaire ont rencontré la SEPANSO par deux fois pour tenter de l'impliquer dans les inventaires et mesures environnementales. Une telle caution, que nous n'avons pas souhaité apporter, aurait eu pour conséquence de verdir le projet, tout en nous rendant coresponsables des nuisances auprès des riverains impactés.

Quatrièmement, dans leur conception puis leur réalisation, ces deux infrastructures ont-elles fait l'objet de mesures notables d'évitement ou de réduction ? Pas vraiment à ma connaissance. Peut-être la LGV hors Aquitaine, en Poitou-Charentes au passage des territoires à outardes canepetières ou encore plus au nord, mais pour l'A65, les mesures d'évitement, n'ont concerné au moment de la conception que les zones d'occupation humaine en inscrivant le tracé le plus possible dans la nature. Elles n'ont donc concerné les milieux naturels et les espèces protégées que pour mieux les impacter. En matière de réduction, la traversée par l'A65 de la vallée du Ciron, zone Natura 2000, est caricaturale. Loin des regards, elle s'est faite principalement par remblai dans le lit majeur, avec juste un pont généreusement dénommé « viaduc » pour traverser le lit mineur, en réservant quelques mètres de berges. En revanche à Bostens, lieu de contestation du projet, la traversée du ruisseau des Neufs Fontaines s'est faite par un viaduc surdimensionné pour permettre une communication verte sur les efforts consentis pour protéger les écrevisses à pattes blanches, espèce détruite, soit dit en passant, dans d'autres ruisseaux, par ruissellement de boues du chantier à quelques dizaines de kilomètres plus au sud, dans le département des Pyrénées Atlantiques.

Il faut savoir que pour le chantier A65, des défrichements suivis de broyages ont été effectués dans des milieux naturels hébergeant des espèces protégées, y compris en zone Natura 2000, avant que le dossier de demande de dérogation n'ait été constitué. La SEPANSO n'a pu obtenir que la police de la nature vienne dresser un procès-verbal, les agents craignant de s'opposer à la volonté préfectorale. Elle a donc déposé une plainte auprès de la gendarmerie pour destruction d'espèces protégées et destruction d'habitats d'espèces protégées. Le délit était réel, mais la plainte a été classée. Il ne faut manifestement pas s'opposer aux grands projets portés par l'État.

Cinquièmement, les mesures de compensation prescrites par l'administration vous semblent-elles adaptées par rapport aux impacts causés par chacune de ces infrastructures ? Dans la logique d'infrastructures à réaliser à moindre coût, probablement, mais certainement pas dans une logique de conservation pérenne de la biodiversité. Si certaines espèces peuvent reconstituer leurs effectifs naturellement, la destruction des habitats détruits ne peut jamais être parfaitement compensée. Ainsi, la fragmentation des habitats et des espaces naturels, qui présente un impact fort sur la survie de certaines espèces, demeure totalement impossible à compenser. En outre, en ne visant que les surfaces identifiées comme habitats d'espèces protégées, les mesures compensatoires ne concernent pas la nature ordinaire perdue. Les inventaires ne sont jamais exhaustifs et occultent ainsi de nombreuses espèces. En guise d'illustration des travaux de l'A65, de nombreux habitats d'espèces d'oiseaux protégées, notamment les espèces forestières, ont été détruits mais les compensations ont visé essentiellement des espèces de milieux ouverts, dont l'une, l'élanion blanc, est en phase de colonisation dans notre région. De ce fait, les mesures compensatoires visant cet oiseau bien précis ne nous paraissaient pas présenter une nécessité absolue. Autre point faible : la durée des compensations est limitée au mieux à la durée de la concession, alors que les pertes d'habitat, elles, sont définitives.

Sixièmement, la mise en oeuvre des mesures de compensation vous semble-t-elle conforme aux décisions administratives ? Les conditions de maitrise foncière semblent en conformité avec les arrêtés qui, dans leur énoncé pour l'A65 - « sécurisation, restauration et gestion conservatoire selon les exigences des espèces » -, ne définissent pas clairement la part devant faire l'objet d'une maîtrise foncière. Elles sont toutefois bien en-deçà de ce qui était demandé par le CNPN qui souhaitait que la maîtrise foncière soit privilégiée. De toute façon, le conventionnement n'est pas satisfaisant, puisqu'il peut être remis en question par le propriétaire à la recherche d'une autre rentabilité pour ces territoires, et ainsi priver le maître d'ouvrage des terrains pour la compensation. On peut aussi s'interroger sur l'emplacement relativement proche du barycentre d'une majorité des zones de mesures compensatoires de l'A65, qui s'avère plus proche du siège du concessionnaire dans les Pyrénées Atlantiques que du nord du tracé. On aurait pu s'attendre à un meilleur équilibre des compensations.

Septièmement, quelles sont les modalités de suivi sur la durée des mesures de compensation pour ces deux projets ? Les acteurs locaux y sont-ils associés ? Les acteurs locaux sont associés aux comités de suivi des mesures de compensation mais les acteurs locaux ayant des compétences pour apporter leur expertise n'ont pas de moyens humains suffisants pour tout suivre. De plus, les comptes rendus arrivent tardivement, sont notoirement insuffisants et il manque une cartographie précise permettant de suivre la nature et de retracer l'évolution des mesures. Le suivi est ainsi rendu plus difficile pour ceux qui apportent un regard extérieur.

Huitièmement, sur le rôle des services de l'État dans la mise en oeuvre de la séquence ERC, l'État organisateur des grands chantiers à l'intérêt public parfois contestable est obligé d'adopter une attitude schizophrénique en essayant de réparer d'une main ce qu'il a détruit de l'autre. Alors que les services en charge des infrastructures redoublent d'ingéniosité pour faire aboutir les projets destructeurs, les services du même ministère en charge de la biodiversité jouent un rôle essentiel dans la mise en place de la séquence ERC en tentant de limiter, avec les moyens dont ils disposent, les conséquences néfastes de ces chantiers. Cette situation est quelque peu malaisée. Mais si l'on se fie aux résultats et au déclin généralisé de la biodiversité, la doctrine et la « science de la compensation » avancent manifestement moins vite que la capacité humaine de destruction. L'un des principaux points faibles de la doctrine ERC est que les modalités de cette procédure ne sont vraiment abordées et étudiées sérieusement qu'au moment de la constitution du dossier de demande de dérogation, quand les tracés sont déjà figés par les déclarations d'utilité publique (DUP) et qu'il est devenu impossible de proposer de véritables mesures d'évitement. Cette situation n'est pas satisfaisante et constitue un obstacle réel aux mesures compensatoires destinées au succès de la biodiversité. En Gironde, nous avons un exemple caricatural, qui n'est pas lié aux deux dossiers que nous venons d'évoquer, d'une déviation routière conçue sans souci de préserver la biodiversité. Son tracé, retenu en méconnaissance totale des richesses naturelles impactées, a fait l'objet d'une DUP prise après une étude d'impact indigente achevée en 2003. On sait aujourd'hui que ce tracé est le pire de tous ceux qu'on pouvait imaginer car sur 7,8 km, il impacte 79 espèces protégées, dont 19 espèces de chauves-souris - soit une espèce de plus que sur les 165 kilomètres de l'A65 -, une espèce de mammifère très menacée, le vison d'Europe, des amphibiens, reptiles et oiseaux protégés, des espèces et habitats d'espèces d'insectes protégés et l'unique station connue en Gironde d'un papillon protégé menacé, l'azuré de la sanguisorbe. Malgré deux avis défavorables de la commission faune du CNPN, les dérogations ministérielles et préfectorales ont été accordées sans état d'âme. Les mesures d'évitement proposées ont juste consisté à décaler le tracé de quelques mètres à l'intérieur du fuseau faisant l'objet de la DUP, en le rétrécissant. Alors qu'ils étaient alertés depuis des années, l'État et le maître d'ouvrage se sont obstinés à vouloir passer en force. Aujourd'hui, après que les arrêtés de dérogations ont été censurés, d'abord par le tribunal administratif puis par la cour administrative d'appel, on accuse les associations de préférer sauver la vie d'un papillon plutôt que les vies humaines ! Et ce, tandis qu'il eût été parfaitement possible de réaliser cette déviation ailleurs en assurant un réel désenclavement routier. En effet, le tracé litigieux ramènera toute la circulation déviée sur une autre route déjà très encombrée, et ne pourra ainsi offrir le désenclavement recherché.

Neuvièmement, quels enseignements généraux pour la séquence ERC tirez-vous de votre expérience sur l'A65 et la LGV Tours-Bordeaux ? Le premier enseignement tiré de ces expériences assez douloureuses est que l'application actuelle de la séquence ERC ne permettra pas à la France d'enrayer la chute vertigineuse de sa biodiversité. Il nous semble d'abord nécessaire de conduire une analyse objective de l'intérêt général des projets par des experts indépendants. Ne faire que ce qui est utile représenterait déjà un grand pas en avant ! Les grands projets inutiles, qui ne répondent pas à un besoin réel et consomment des crédits importants tout en saccageant les territoires, doivent être bannis. Pour les projets qui répondent vraiment à la notion d'intérêt public majeur, l'évitement devrait être prioritaire. C'est pourquoi la DUP ne devrait intervenir que postérieurement à l'examen du projet par les experts du CNPN. Il conviendrait ensuite de tout mettre en oeuvre pour appliquer aux projets susceptibles de fragmenter et de consommer des territoires une doctrine proche de celle de l'économie circulaire, à savoir : réutiliser et recycler l'existant avant de chercher à détruire plus loin. Dans le cas de compensations, après impossibilité d'éviter et de réduire en totalité, il faut privilégier la maîtrise foncière des terrains de compensation et faire en sorte qu'ils soient protégés pour une durée égale à la durée de vie du projet qui cause les destructions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous remercie de votre présentation. Nos questions porteront essentiellement sur l'A65. Lors de leur première audition, les représentants du ministère ont souligné l'importance d'éviter la fragmentation. Or, les avis scientifiques ne sont pas si clairs sur ce sujet. Mesurez-vous, pour l'A65, des conséquences tangibles liées à l'ouvrage ?

M. Philippe Barbedienne. - Si nous n'avons pas évalué les conséquences de la fragmentation, nous pouvons en revanche constater qu'elle concerne des milieux précieux pour les animaux, comme les refuges du papillon fadet des laîches qui se trouvent principalement en Aquitaine. C'est sur le noyau de leurs refuges que l'autoroute a non seulement tracé son sillon, mais aussi planifié une aire de services couvrant plusieurs dizaines d'hectares. Dans ces conditions que je qualifierais de caricaturales, le fadet des laîches a été très impacté.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - On nous avait pourtant indiqué la création d'un corridor !

M. Philippe Barbedienne. - Un corridor a en effet été créé pour les chiroptères, mais celui-ci est encore moins fréquenté par les chauves-souris que ne l'est l'autoroute par les véhicules ! Je ne vois pas comment la société A'Liénor aurait pu reconstituer les couloirs de circulation des fadets des laîches, puisque les territoires sont fragmentés et contribuent ainsi à leur disparition. La biodiversité s'érode également sur les territoires non artificialisés. De même, la gestion sylvicole dans les landes s'apparente davantage à une pratique industrielle détruisant également les habitats de ces papillons qui sont ainsi détruits à la fois par la sylviculture et l'autoroute.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quel a été votre dialogue avec l'aménageur A'Liénor ? L'A65 apparaît pourtant comme le projet le plus en phase avec les dispositions du Grenelle de l'environnement en matière de compensation. À l'aune ce que vous nous exposez, la partie évitement n'a pas été aussi fructueuse que cela !

M. Philippe Barbedienne. - Le concessionnaire n'est pas responsable de la décision prise de réaliser cette infrastructure. Il ne faut pas lui jeter la pierre, d'autant qu'il a dû subir les conséquences, négatives pour lui, du Grenelle. Cette autoroute n'est ni utile ni fréquentée et reste réservée à une petite minorité qui l'utilise, soit en bénéficiant du défraiement de leur entreprise soit, plus ponctuellement, pour se rendre aux sports d'hiver depuis Bordeaux, en raison de son coût qui reste le plus onéreux en France. Les personnes, qui circulent normalement sur cet axe, prennent l'autre route qui n'est pas sécurisée. Le dialogue ne pouvait être que difficile avec A'Liénor dont l'intérêt était de terminer au plus vite les travaux. Nous ne partageons pas la même vision des choses avec cette société du groupe Eiffage, dont les opérations de verdissement s'apparentent davantage à du greenwashing très largement en dessous de ce que l'on pouvait espérer.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - S'agissant du fadet des laîches, vous évoquez cette aire de services qui se trouve là où elle ne devait surtout pas être. Pourquoi le maître d'ouvrage a-t-il pris une telle décision ? Bien que notre commission d'enquête n'a pas vocation à revenir sur l'opportunité des projets, elle ne peut que s'interroger sur les motivations d'une telle décision.

M. Philippe Barbedienne. - Je ne connais pas les motivations qui ont conduit à placer à cet endroit cette aire de service et je ne peux vous en dire davantage.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Une enveloppe a été consacrée, en dehors des mesures compensatoires, à la redynamisation d'un certain nombre d'espèces. A'Liénor nous a déclaré avoir consacré 1,5 million d'euros à des études n'ayant finalement que peu d'impact sur le terrain. Une association comme la vôtre a-t-elle été associée à la redéfinition du périmètre de ces études ?

M. Philippe Barbedienne. - Nous n'avons pas du tout collaboré à cette étude. Je suis parmi les personnes très sceptiques quant à l'utilité de consacrer une telle somme à cette fin. Une telle dépense s'avère cependant minime pour un groupe qui aura touché au total 90 millions d'euros sur le principe des mesures environnementales.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce point est important pour nous. L'État a ainsi versé 90 millions d'euros  à A'Liénor?

M. Philippe Barbedienne. - Tout en prolongeant sa concession de cinq ans !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Un comité de suivi assure-t-il la traçabilité de l'utilisation de ces fonds ?

M. Philippe Barbedienne. - Pas à ma connaissance. Je ne connais pas le fléchage de ces 90 millions d'euros, mais j'ai participé ponctuellement à certaines réunions de ce comité de suivi. J'ai plutôt l'impression que la rallonge budgétaire, à laquelle vous faisiez précédemment référence, visait surtout à calmer les oppositions les plus véhémentes à ce projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Finalement, quelles sont les mesures compensatoires qui ont été efficaces ?

M. Philippe Barbedienne. - Je n'ai pas forcément la réponse à une telle question. Néanmoins, les destructions, la communication verte ou encore les mensonges ont été efficaces. En effet, alors qu'A'Liénor ne devait pas toucher aux nappes, un décaissement à huit mètres de profondeur dans une zone humide a finalement atteint le toit de la couche du Miocène. Malgré les interdictions, l'eau de ces nappes a été allègrement pompée pendant plusieurs semaines, en prétendant qu'il s'agissait du recueil des eaux de ruissellement. En fait, la roche avait été cassée pour que l'eau puisse remonter ! Jamais A'liénor n'a reconnu avoir trop creusé dans ces zones ! Tout le reste est à l'avenant, mais les services de cette société sont extrêmement forts pour véhiculer une image verte et respectueuse de l'environnement, au point d'obtenir la venue des responsables de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ; ceux-ci ne tarissant pas d'éloge sur cette autoroute présentée comme la plus verte du siècle !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - N'êtes-vous pas en relation avec l'UICN ?

M. Philippe Barbedienne. - Nos associations ont eu une discussion sur ce projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Notre commission entend formuler des propositions relatives aux moyens de suivi. Votre association, qui est pourtant la plus importante du Sud-Ouest en matière de protection de l'environnement, ne dispose malgré tout pas des moyens nécessaires au suivi d'opérations de cette ampleur. Des fonds publics, ou versés dans le cadre de la concession, vous sembleraient-ils légitimes pour assurer le suivi des compensations ?

M. Philippe Barbedienne. - S'il s'agissait d'une commande des pouvoirs publics, nous ferions en sorte d'y répondre, à l'inverse d'une commande qui serait trop proche du concessionnaire. Nous essayons de demeurer à notre place. Ainsi, nous avons décliné l'offre d'association du groupe Vinci à Bordeaux, afin de demeurer libre de nos évaluations et de nos critiques. Nous préférons ainsi rester en dehors de ce type d'association.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les associations protectrices de l'environnement ont-elles, dans leur ensemble, suivi la même stratégie ou ont-elles préféré contractualiser ?

M. Philippe Barbedienne. - Je ne pense pas que notre stratégie ait été unanimement suivie.

Mme Évelyne Didier. - Je vous remercie de votre exposé très clair. Pourquoi a-t-on choisi de construire une infrastructure autoroutière inutile, plutôt que d'aménager la route existante ? Pourquoi le tracé de l'A65 a-t-il été, selon vous, ainsi dessiné ?

M. Philippe Barbedienne. - Cette démarche nous est apparue inexplicable. Lors de la présentation du tracé de cette autoroute à la préfecture de la Gironde, nous nous sommes aperçus que l'aménagement de l'existant représentait également une autre autoroute relevant d'une forme d'aménagement au plus près. On a donné à choisir aux élus entre une autoroute neuve, dont les coûts devaient être supportés par les collectivités, et un autre projet, pris en charge par l'opérateur qui devait en répercuter le coût sur les usagers. Cependant, le contrat de concession prévoyait un retour à l'État et aux collectivités, en cas de faillite du concessionnaire, de la nouvelle autoroute, ainsi que de ses bénéfices et de ses dettes.

Mme Évelyne Didier. - Surtout ses dettes ! Ce choix s'est ainsi opéré en fonction du mode de financement !

M. Philippe Barbedienne. - Dans les campagnes isolées, ce projet a été perçu comme porteur de modernité. Avoir une autoroute y est souvent perçu comme le mode d'accès au même niveau de développement que les grandes métropoles. En toute sincérité, les élus étaient tous favorables à ce projet, avant que ne débutent les consultations relatives à un projet de LGV. À partir de ce moment-là, les élus locaux ont compris et se sont ralliés aux associations. Avant ce débat, les gens étaient persuadés que l'autoroute allait bénéficier aux communes. Or, il n'en a rien été. Nos associations étaient au départ seules à souligner que l'autoroute ne constituait en rien une solution idoine aux problèmes locaux.

Mme Évelyne Didier. - Devons-nous nous interroger sur l'utilité et l'intérêt général, sachant que l'ERC n'est qu'un pis-aller et que la compensation n'est en définitive qu'un leurre ?

M. Philippe Barbedienne. - C'est tout à fait mon propos. L'utilité de l'infrastructure est vraiment l'essentiel et surtout le fait qu'elle ne s'inscrive pas en doublon avec une autre infrastructure qu'il est toujours possible d'améliorer. En amont, il faut penser à l'utilité publique. Sur ces LGV au Sud de Bordeaux - Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax - l'enquête publique a suscité un franc succès auprès des élus et des populations concernés avec 14.000 contributions recueillies dont près de 97% s'inscrivaient à l'encontre de ce projet. La commission d'enquête publique a, elle aussi, émis un avis défavorable à l'encontre de ce projet. Que pensez-vous qu'il arriva ? Le secrétaire d'État aux transports a néanmoins signé la déclaration d'utilité publique. Les enquêtes publiques ont certes une utilité, à la condition que les avis émis ne soient pas occultés par les autorités auxquelles incombe en définitive la décision.

Mme Évelyne Didier. - Il faudrait ainsi vérifier si, dans l'ensemble des projets que nous examinons, les résultats du débat public sont bel et bien pris en considération. C'est toute la question !

M. Rémy Pointereau. - A quoi sert également un référendum si l'on passe par-dessus !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous essayons, quant à nous, de nous limiter aux enjeux de la compensation. C'est là l'objet de notre commission d'enquête.

Mme Évelyne Didier. - Un concessionnaire accepte un contrat s'il peut lui trouver une rentabilité sur la durée de la concession. Savez-vous si des compensations, au cas où le projet s'avère non rentable pour le concessionnaire, figurent dans le contrat ?

M. Philippe Barbedienne. - La compensation en question relève de la clause de déchéance de concession, à savoir que si le projet s'avère non rentable pour le concessionnaire, les infrastructures rentrent dans l'escarcelle de l'État qui en assumera les frais et la gestion. On ne va pas déconstruire une autoroute ! Je ne sais pas si le concessionnaire touche, à proprement parler, une compensation.

Mme Évelyne Didier. - Les mesures de compensation peuvent être mises en oeuvre au début ou à la fin du projet. Un concessionnaire est-il obligé d'aller au terme du contrat qu'il a signé ou redonne-t-il les infrastructures à l'Etat, sans que pour autant les compensations nécessaires n'aient été accordées ?

M. Philippe Barbedienne. - Je pense qu'il s'agit, en l'occurrence, de la seconde solution. Ainsi, le repreneur des infrastructures, qui peut être l'Etat ou une autre société, assumerait également les compensations ; ce qui me paraît logique.

M. Gérard Bailly. - Vous avez semblé douter de l'intérêt de la compensation forestière qui ne représenterait pas, selon vous, la meilleure formule possible en l'état. Quelles sont vos propositions pour que, dans d'autres projets, soit proposée une forme de compensation forestière qui réponde à vos attentes ? Lorsqu'un bassin de vie perd de l'activité économique - que ce soit dans la filière bois ou agricole -, il peut recevoir des compensations. Pensez-vous que ces dernières répondent à leur objectif initial ?

M. Philippe Barbedienne. - Le système connaît certaines limites. Même si l'on veut reboiser, encore faut-il disposer de terrains. Le territoire n'est pas extensible, voire se réduit d'année en année. Une véritable compensation forestière consisterait à ne pas avoir de pertes nettes de surfaces forestières : si l'on défriche un hectare de territoire forestier pour des infrastructures, encore faudrait-il boiser un hectare de territoire qui ne soit pas forestier, alors qu'on reboise actuellement des territoires qui bénéficient déjà d'un statut forestier. Une telle démarche induit une perte sèche de surface forestière ! C'est vraiment un marché de dupes !

M. Gérard Bailly. - Lorsque j'étais rapporteur du projet de loi montagne, j'ai pu auditionner les représentants d'organismes forestiers du Massif central lesquels, constatant que la surface forestière y a doublé en près de 65 ans, ne voient aucun intérêt à ce type de compensation. Une telle remarque constitue une sorte de leitmotiv des élus et des organismes que nous avons reçus. Est-il encore légitime d'exiger la plantation de nouvelles forêts à partir du moment où celles-ci sont en nette augmentation depuis ces dernières décennies ?

M. Philippe Barbedienne. - Au titre de la lutte contre le réchauffement climatique, il est toujours intéressant d'augmenter la surface forestière, du fait des échanges de carbone qu'elle induit.

M. Gérard Bailly. - La forêt peut-elle aussi nourrir les hommes ?

M. Philippe Barbedienne.- Tout à fait. Sur mon territoire, la forêt a nourri de nombreuses personnes en leur offrant du travail, qu'il s'agisse notamment des bûcherons ou encore des débardeurs. Par ailleurs, la désertification des zones agricoles à plus ou moins brève échéance ne permettra pas non plus de nourrir les hommes. D'une part, il faudrait reboiser les zones pour conserver, et non augmenter, la même surface forestière antérieure au défrichement. D'autre part, il faudrait reconstituer une forêt comparable à celle qui a été détruite. Si vous détruisez une zone de forêt feuillue, il faudrait faire en sorte que la zone de compensation puisse aboutir à terme à une zone de forêt feuillue en la laissant vieillir. S'il s'agit d'une pinède industriellement gérée, il n'y a aucun inconvénient à replanter industriellement des pins maritimes sur des terrains labourés, comme on plante des légumes. Si la forêt détruite est multifonctionnelle et intéresse autant les naturalistes que les chasseurs ou les pêcheurs, la moindre des choses est de ne pas la remplacer par une forêt industrielle sans intérêt pour la société. En outre, les agriculteurs subissent ainsi une double peine en perdant un territoire et en se voyant imposer des mesures de gestion compensatoire sur un autre. Je comprends leur réticence. Le problème ne vient pas des compensations, mais des destructions initiales.

M. Gérard Bailly. - L'activité forestière perd de la valeur économique globalement, mais moins rapidement que l'agriculture. La compensation des pertes pour l'activité agricole à l'échelle du territoire vous semble-t-elle équitable ?

M. Philippe Barbedienne. - Notre association n'a pas pour objet d'évaluer de telles compensations. D'un point de vue citoyen, nous sommes sensibles à toutes ces préoccupations. Une infrastructure utile peut apporter de la richesse et répondre à un besoin. A l'inverse, lorsque l'infrastructure est inutile et vient se substituer à d'autres installations qui assuraient les mêmes services, on peut comprendre l'opposition des agriculteurs au sacrifice de leur territoire.

M. Roland Courteau. - Ma question concerne les ouvrages destinés au passage des animaux lesquels, me semble-t-il, peuvent être distants de quatre cent mètres les uns des autres. Un tel intervalle garantit-il leur efficacité ? Seront-ils réellement empruntés par les animaux ?

M. Philippe Barbedienne. - Evitons de conduire des projets inutiles qui causent de nombreux soucis. Il faut réfléchir au cas par cas aux passages qui sont souvent conçus pour la grande faune. En effet, un sanglier ou un renard n'a pas le même comportement qu'un hérisson ou un lapin. Les passages peuvent remplir leur mission correctement pour la grande faune, notamment les passages souterrains lorsqu'il s'agit de véritables viaducs pour traverser une vallée. De tels passages doivent ainsi être suffisamment larges et atteindre plusieurs dizaines de mètres pour mettre les animaux en confiance. Les passages souterrains comme les crapauducs ou les visonducs me paraissent beaucoup plus aléatoires puisque de nombreux animaux redoutent de s'y aventurer. Il faut également prendre en compte les invertébrés du sol, comme la taupe d'Europe, qui éprouvent de nombreuses difficultés à franchir une autoroute. A force de fragmenter l'ensemble du territoire, les espèces continentales risquent d'évoluer comme celles d'un archipel : certaines vont s'éteindre tandis que d'autres vont évoluer.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - A partir du moment où un projet a été décidé, comment les compensations parviennent-elles à réaliser l'objectif de la loi, à savoir une absence totale de perte de biodiversité ?

M. Philippe Barbedienne. - La réalisation de cet objectif s'avère quasiment impossible !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est un principe régulateur que nous avons inscrit dans la loi et il nous incombe de voir comment on peut s'en rapprocher. Si vous étiez l'aménageur de l'A65, que feriez-vous ? Il serait d'ailleurs souhaitable que vous nous consigniez par écrit vos critiques que nous ne manquerons pas d'évoquer à l'occasion de notre prochaine visite du concessionnaire sur le terrain.

M. Philippe Barbedienne. - C'est une mission impossible ! Il fallait obtenir la sécurisation foncière de tous les espaces de compensation et ne pas se contenter de passer des conventions avec les propriétaires puisqu'elles ne sont malheureusement pas pérennes. Une telle démarche s'avère impossible, du fait des impératifs économiques qui sont ceux de l'aménageur.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Qu'auriez-vous fait concrètement sur ce dossier ?

M. Philippe Barbedienne. - J'aborderai plutôt les mesures de réduction que de compensation. En matière de franchissement, j'aurais réalisé un maximum de passages des cours d'eau, suffisamment larges pour que la faune puisse les emprunter sans difficulté, et ainsi plutôt en viaduc, qu'en buse ou en tunnel. J'aurais également rapproché les traversées aériennes tout en leur conférant une largeur suffisante pour rassurer la faune et l'inciter à traverser. Je sais que certains passages suscitent des conflits, en raison notamment de l'envie de certaines personnes d'emprunter les passages supérieurs avec leur véhicule. Il faut multiplier les traversées tant aériennes que souterraines par l'installation de viaducs qui soient suffisamment larges, vastes et ouverts pour que la faune puisse passer ; les petites buses n'étant pas suffisamment attractives pour la majorité des animaux. Certes, je suppose que la société A'Lienor a dû déployer des appareils à empreintes afin de mesurer l'affluence animale de ces passages, mais je pense que ces buses sont moins satisfaisantes que l'absence de barrière.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Que pensez-vous d'ailleurs des politiques de redynamisation, à l'instar de celle visant la réintroduction du vison d'Europe ? Tout le monde a l'air sceptique quant à l'impact du million et demi d'euros que nous avons précédemment évoqué .

M. Philippe Barbedienne. - Avant de redynamiser une espèce en voie de disparition, il faut identifier et éliminer les causes de sa disparition. Ainsi, la disparition des écrevisses à pattes blanches résulte en partie de la pollution des cours d'eau et de l'introduction de pathogènes, comme les écrevisses asiatiques, contre laquelle je ne vois pas de solution. On peut dépenser tout l'or du monde pour réintroduire les écrevisses à pattes blanches, mais tant que ces pathogènes se trouveront dans les cours d'eau, on aboutira à un échec ! De la même manière, la disparition du vison d'Europe n'est pas seulement la conséquence de la perte de territoires, mais aussi de maladies introduites avec le vison d'Amérique et, dans une moindre mesure, du développement du réseau routier. Tant que les causes de la disparition demeurent, il est illusoire d'espérer obtenir un résultat probant pour la réintroduction d'espèces. Qu'on fasse un élevage conservatoire si l'espèce est vouée à disparaître, d'accord, mais l'éradication des causes de la disparition doit être le préalable à sa réintroduction.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - On reste dans cette idée de l'homme tout puissant qui serait capable de tout réparer, alors qu'en termes scientifiques, cette logique de réparation connaît de nombreuses lacunes.

M. Philippe Barbedienne. - C'est en effet très difficile à réaliser. Néanmoins, certaines personnes tirent un certain bénéfice des travaux conduits dans cette logique de réparation. Du point de vue de la nature et de la biodiversité, je pense que d'autres choses sont bien plus importantes à faire ! Nos connaissances de nombreux espaces situés dans la grande région des landes de Gascogne et d'Aquitaine demeurent lacunaires. Ce n'est pas parce que nous en ignorons le contenu qu'elles sont vides ! Nous ne disposons pas, pour le moment du moins, des inventaires de ces espaces dont la faune et la flore sont certainement très riches, et qui demeurent terra incognita .

M. Jérôme Bignon. - On s'aperçoit que ce que nous décidons, comme législateur, pour compléter de façon très volontariste la loi de 1976, peut-être irréalisable. Nos législations, qui vont parfois au-delà des connaissances scientifiques existantes, n'incitent-elles pas, en définitive, les gens au mieux à tricher ? On demande aux gens l'impossible, à savoir la recréation de zones. On se trouve dans une espèce de leurre intellectuel et si j'étais agriculteur, je serais tenté d'hurler ! Ne pourrions-nous pas être plus concrets et plus humbles en la matière ? A l'issue de ces auditions, il me paraît clair que certains objectifs que nous fixons sont proprement irréalistes !

M. Philippe Barbedienne. - Un pessimiste est un optimiste qui a compris. Comme je l'ai dit en préambule, on améliore les mesures en faveur de la protection de la biodiversité, mais on est toujours en retard par rapport aux destructions dont la cadence est plus rapide que celle de leurs réparations. Nous n'arriverons jamais à faire aussi bien que ce qu'il y avait initialement. Compte tenu de la fragilité des milieux naturels, il vaut mieux éviter de réaliser les infrastructures non indispensables. L'économie circulaire en matière d'infrastructures représente très certainement la seule solution d'avenir qu'il nous reste. Réutiliser l'existant est sans doute l'unique solution pour éviter de détruire les réserves naturelles qui nous restent ! Dans le cas de l'A65, la route nationale peut faire jusqu'à quatre voies par endroit et on a rajouté quatre nouvelles voies avec cette nouvelle autoroute ! Pour les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, on a une voie ferrée Bordeaux-Dax qui représente la plus longue ligne droite de France et où ont été battus les records mondiaux de vitesse ferroviaire en 1955, alors qu'on va construire une nouvelle LGV qui fera trente-cinq kilomètres supplémentaires, où les trains n'arriveront pas plus vite que si l'on avait modernisé la ligne existante ! Voilà le paradoxe, sans parler des milliers d'hectares qui seront utilisés pour ce projet.

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur, je vous remercie de votre participation à nos travaux.

Audition de M. Vincent Le Parc, directeur, M. Nicolas Brousse, directeur général adjoint chargé de la maîtrise d'ouvrage du futur aéroport, et Mme Aurélie Rifflart, responsable environnement d'Aéroports du Grand Ouest (AGO)
(mercredi 1er février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous accueillons les représentants d'Aéroports du Grand Ouest (AGO), que nous avons souhaité entendre dans le cadre des auditions spécialisées que nous menons sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l'un des quatre projets pour lesquels notre commission d'enquête étudie la mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). Nous nous rendrons d'ailleurs sur le site de Notre-Dame-des-Landes le vendredi 17 février prochain.

AGO est une filiale de Vinci Airports, chargée de la réalisation de l'aéroport.

Nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant et identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui ne permettent une bonne application de la séquence ERC.

Nous entendons M. Vincent Le Parc, directeur d'Aéroports du Grand Ouest, M. Nicolas Brousse, directeur général adjoint chargé de la maîtrise d'ouvrage du futur aéroport du Grand Ouest, et Mme Aurélie Rifflart, responsable environnement d'Aéroports du Grand Ouest.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Vincent Le Parc et Nicolas Brousse et Mme Aurélie Rifflart prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête.

M. Vincent Le Parc, directeur d'Aéroports du Grand Ouest . - Comme vous l'avez rappelé, Vinci Airports est actionnaire de la société Aéroports du Grand Ouest et, par ailleurs, le groupe Vinci est actionnaire de la société concessionnaire de la ligne Sud-Europe-Atlantique entre Tours et Bordeaux. Je n'ai pas, à titre individuel, de liens d'intérêt avec les autres projets.

M. Nicolas Brousse, directeur général adjoint chargé de la maîtrise d'ouvrage du futur aéroport du Grand Ouest . - Je n'ai pas non plus de liens d'intérêt avec d'autres projets.

Mme Aurélie Rifflart, responsable environnement d'Aéroports du Grand Ouest . - Je n'ai pas non plus de liens d'intérêt avec d'autres projets.

M. Vincent Le Parc . - Nous vous remercions de nous donner l'opportunité de présenter notre démarche volontariste et nos engagements en matière de développement durable dans le cadre du projet du futur aéroport souhaité par l'État. Nous sommes tous les trois représentants de la société Aéroports du Grand Ouest (AGO), société concessionnaire qui intègre l'exploitation de l'aéroport de Saint-Nazaire, la conception et la construction du futur aéroport du grand ouest et l'exploitation de l'aéroport sur le site de Nantes-Atlantique aujourd'hui et sur celui de Notre-Dame-des-Landes demain.

AGO a pleinement intégré la dimension environnementale depuis le début de son implication dans ce projet, c'est-à-dire depuis notre réponse à l'appel d'offres. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'État a retenu notre proposition.

Dès cette offre, nous avons proposé un aéroport à haute qualité environnementale, grâce à une conception simple, efficace et intégrée dans son environnement. Par exemple, nous avons conçu une aérogare à plat, qui minimisera le recours aux équipements énergivores comme les escalateurs ou les ascenseurs ; de même, la toiture de cette aérogare, végétalisée, permettra d'éviter les éclairages artificiels en journée et de rafraîchir les bâtiments naturellement.

Nous avons fait le choix de positionner l'aérogare au milieu des deux pistes prévues dans l'appel d'offres, ce qui permettra, d'une part, de réduire le temps de roulage des avions et, d'autre part, de permettre leur stationnement à proximité immédiate de l'aérogare, limitant ainsi la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre.

Tous ces fondamentaux, prévus dès la conception, feront du futur aéroport du grand ouest le premier aéroport « haute qualité environnementale » en France.

Les partis pris forts qui ont été les nôtres en matière d'environnement, dès l'origine du projet, continuent de nous animer aujourd'hui et ils se retrouvent dans toutes les actions que nous avons pu entreprendre depuis 2011.

Nous respectons pleinement les cadres fixés la loi, en particulier le code de l'environnement. La concrétisation la plus parlante de notre engagement réside dans la prise, le 20 décembre 2013, des arrêtés préfectoraux qui valident toutes les études et les processus administratifs réalisés jusqu'à aujourd'hui.

Je vous rappelle deux dates essentielles : le 9 avril 2009, le lancement de l'appel d'offres intégrant les dossiers des engagements de l'État issus de l'enquête publique ; le 29 décembre 2010, l'attribution du contrat de concession à notre société, qui s'est traduit par une prise d'effet au 1 er janvier 2011.

Dès avril 2009, l'appel d'offres a défini les principales caractéristiques du projet à prendre en compte, en particulier le nombre de pistes, leur implantation et la capacité des installations en nombre de passagers.

C'est donc en tant qu'acteur concessionnaire que nous intervenons aujourd'hui, maître d'ouvrage sur la partie de la plateforme aéroportuaire, aux côtés de deux maîtres d'ouvrage, la direction générale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) des Pays-de-la-Loire pour la desserte routière, et la direction des services de navigation aérienne pour la tour de contrôle.

Enfin, la démarche ERC, est au coeur de notre engagement environnemental.

Pour la partie « éviter », je ne reviendrai pas sur ce qui est de la responsabilité de l'Etat et s'est traduit, après le débat public et l'enquête publique, par la déclaration d'utilité publique (DUP). En revanche, nous préciserons plus en détail comment notre réponse à l'appel d'offres a permis de limiter la surface aménagée et le choix de site de Notre-Dame-des-Landes, des deux pistes et de leur orientation.

L'étape « réduire » consiste à diminuer au maximum l'incidence du projet sur l'environnement, notamment en adaptant nos modes de réalisation et nos calendriers de travaux.

Après avoir mis en oeuvre l'évitement et la réduction, les incidences résiduelles sur la biodiversité doivent être compensées. À cet égard, nous avons fait le choix d'une méthode exigeante, en optant pour une approche fonctionnelle plutôt que surfacique.

En conclusion, nous sommes déjà engagés dans la démarche ERC, alors même que, depuis cinq ans, les accès au site nous sont empêchés ou se font dans des conditions de sécurité précaires pour nos salariés et nos partenaires. Je citerai notamment l'agression, le 26 mai 2014, de l'un de vos partenaires chargé du suivi des cours d'eau, qui a donné lieu à un dépôt de plainte. En dépit de ces difficultés, nous sommes disponibles pour un redémarrage des travaux dès que l'État nous en donnera le calendrier.

M. Nicolas Brousse . - La séquence ERC se base sur un principe essentiel : on passe d'une phase à une autre lorsque tout a été mis en oeuvre pour que la première phase aboutisse.

L'un des facteurs clef du succès de notre démarche ERC est l'association, dès le démarrage du projet, de l'ensemble des services de l'État (police de l'eau, DREAL, Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema)) et de nos bureaux d'études environnementaux (Biotope) pour se donner les meilleures garanties de cohérence et de complétude de nos dossiers, dont l'instruction a débouché sur la prise des arrêtés préfectoraux en décembre 2013.

Ces arrêtés préfectoraux ont été contestés à plusieurs reprises mais à chaque fois confortés par la justice, en particulier le 14 novembre 2016 par la cour administrative d'appel.

L'autre facteur de succès est la démarche coopérative que nous avons eue avec la profession agricole. Nous nous sommes d'abord basés sur le protocole conclu entre l'État et la chambre d'agriculture concernant les libérations d'emprises lorsque des exploitations agricoles s'y trouvaient. Il est à noter que pour 31 exploitations sur 35 présentes sur le site, un accord amiable a pu être trouvé. Un protocole de compensation vise à réguler les relations entre la profession agricole et AGO, dans le cadre de la mise en place de mesures de compensation.

La première et principale mesure d'évitement est le choix du site qui a été réalisé par l'État à partir d'une étude multicritères.

Pour la deuxième partie de la démarche, qui nous incombait, nous avons cherché à optimiser la conception. Dans le cadre des éléments du cahier des charges, nous avons en particulier évité le plus possible la dispersion des équipements sur le site et l'empreinte au sol des installations.

Dans le cadre de l'avant-projet des services de l'État, l'aménagement à l'ouverture prévoyait 762 hectares aménagés, ramenés à 535 dans notre avant-projet sommaire, soit une réduction de plus de 15 %.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le projet fait 535 hectares aménagés, au final ?

M. Nicolas Brousse . - Tout à fait.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Au final ?

M. Nicolas Brousse . - À l'ouverture.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Et au final ?

M. Nicolas Brousse . - Au final, nous sommes à 646 hectares.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Hors desserte ?

M. Nicolas Brousse . - Oui.

Le deuxième volet de la séquence, la réduction, intervient lorsqu'il n'y a plus de mesures d'évitement possible et consiste en la réduction des incidences sur les éléments environnementaux.

À titre d'illustration, j'évoquerai le cours d'eau de l'Épine, situé à l'extrémité est de la piste sud, qui, compte tenu de l'implantation des pistes, aurait vu 100 mètres de son tracé imperméabilisé. Nous avons fait le choix de dériver le cours d'eau.

Nous avons également exclu toute coupe de bois entre le 10 mars et le 15 juillet afin de préserver la nidification des oiseaux, et évité les périodes de reproduction des amphibiens pour les comblements de mares lors des terrassements.

Nous avons également pris des mesures complémentaires d'accompagnement de transferts d'espèces (flûteau nageant, amphibiens, tritons, grands capricornes).

Ces deux phases ont été saluées par la commission locale de l'eau du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) de la Vilaine, dans son avis du 3 juillet 2012, qui s'est dite « satisfaite des réponses apportées dans le dossier pour éviter et réduire les impacts ».

J'en viens au volet compensation des atteintes résiduelles. Cette phase s'appuie sur quatre piliers principaux : un état initial ou inventaire, une méthode, une évaluation du besoin compensatoire et la réponse à ce besoin, et une gouvernance associée.

Notre inventaire s'est appuyé sur une période d'observation et de recensement de l'ensemble des cycles biologiques de la faune et de la flore au cours de l'année 2011 et sur le recours à Biotope, bureau d'études reconnu et familier du milieu bocager de Notre-Dame-des-Landes. Nous avons ainsi recensé dans un premier temps 98 espèces, auxquelles s'est ajouté un peu plus tard le campagnol amphibie, répertorié en 2012 comme espèce protégée.

La commission « Faune » du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a salué notre état initial dans son compte rendu du 28 juin 2012 : « si tous les dossiers d'infrastructures étaient de ce niveau, nous aurions beaucoup moins de raisons de nous plaindre » .

M. Ronan Dantec, rapporteur . - De quel avis parlez-vous ?

M. Nicolas Brousse . - Un compte rendu du 28 juin 2012 de la commission « Faune » du CNPN.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous palet de l'avis négatif donné, en 2015, à vos propositions sur le campagnol amphibie ?

M. Nicolas Brousse . - Non, mais nous pourrons revenir sur cet avis qui est lié au manque de connaissances dont dispose aujourd'hui le monde scientifique sur le campagnol amphibie.

J'en viens à présent à la méthode de compensation fonctionnelle, qui apporte une plus-value écologique d'équivalence par l'analyse des fonctionnalités impactées et donc à restaurer. En outre, s'agissant de la loi sur l'eau, le SDAGE Loire-Bretagne et les SAGE Vilaine et Estuaire de la Loire, préconisent la recréation ou la restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel. À défaut, la méthode surfacique pourrait être utilisée. Je note au passage que le tribunal administratif, le 17 juillet 2015, et la cour administrative d'appel, le 14 novembre 2016, ont confirmé que les arrêtés préfectoraux qui résultent de l'instruction de nos dossiers sont parfaitement compatibles avec le SDAGE.

Par cohérence, nous avons fait le choix d'utiliser une méthode fonctionnelle, à la fois pour la loi sur l'eau et pour les espèces protégées. De plus, la loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016 recommande également l'étude des fonctions écologiques.

La DREAL, maître d'ouvrage de la desserte, a fait le même choix de méthode que nous. Elle s'effectue de la façon suivante : identification des fonctions à restaurer ; détermination d'une matrice de coefficient, fonction du niveau d'intérêt de la fonction atteinte ; attribution de ce coefficient aux espaces atteints ; comptabilisation du nombre d'unités de compensation (UC) à restaurer.

J'en viens à l'évaluation du besoin compensatoire. Nous en sommes à 560 UC pour la loi sur l'eau et 829 pour les espèces protégées, campagnol amphibie inclus. Cette échelle va de 0,25 à 2 UC en fonction du niveau d'intérêt de la fonction atteinte.

Une fois l'évaluation du besoin établie, il faut lui apporter une réponse, qui se caractérise par une restauration et une réhabilitation majoritaire de prairie naturelle, de fonction de zone humide et de capacité d'accueil de biodiversité.

Lors de la compensation, les parcelles agricoles qui feront l'objet de restauration ont vocation à rester agricoles et à rester intégrées aux exploitations dans le cycle agricole.

Nous prévoyons quelques mesures complémentaires sur certains milieux spécifiques : les mares, pour lesquelles une règle de compensation de 2 pour 1 a été retenue dans les arrêtés préfectoraux. Cinquante-cinq mares étant impactées, 110 mares devront être recréées.

Je rappelle que dans un souci d'anticipation des transferts d'amphibiens nous avions réalisé neuf mares en 2012. Quatre ont été détruites. Et deux ne nous sont malheureusement plus accessibles.

Le critère de 1 pour 1 a été retenu pour les haies bocagères. Il y aura donc 62,2 km de haies bocagères à recréer dans le cadre des enveloppes de compensation.

Ces enveloppes de compensation ont été prédéterminées pour permettre la mise en oeuvre des mesures de compensation. Pour ce faire, nous avons tenu compte, avec notre bureau d'études Biotope, des similarités des parcelles réceptives avec les fonctionnalités des parcelles impactées. Elles représentent environ 16 000 hectares, sur lesquels se trouvent 210 exploitations agricoles. 463 hectares sont à l'intérieur de la concession, leur vocation est prévue dans le cahier des charges.

Les arrêtés préfectoraux évoqués par M. Le Parc contiennent un planning de réalisation des mesures compensatoires, un encadrement de la réalisation de ces mesures par des événements clefs - en particulier la réalisation de 20 % des UC avant le démarrage des terrassements généraux et la réalisation de l'intégralité des UC avant l'ouverture de l'aéroport -, une majoration de 10 % liée à un potentiel facteur d'échec dans la réalisation de ces mesures de compensation, et un encadrement des suivis sur la durée complète de la concession pour ce qui nous concerne, et au-delà, puisque les mesures de compensation devront avoir une durée de vie équivalente à la durée de vie de l'ouvrage. Ces contrôles seront assurés, d'une part, par les services de l'État et, d'autre part, par une gouvernance propre au projet, composée de l'Observatoire de l'environnement et du comité scientifique.

J'ajoute que la profession agricole jouera un rôle central dans la détermination des mesures de compensation agricole. Nous avons pris l'initiative, avec la chambre d'agriculture, de signer un protocole, le 23 décembre 2013, fixant les modalités de conventionnement avec les exploitants agricoles, les modalités d'animation du territoire, les relations entre les parties prenantes, l'établissement des diagnostics des parcelles réceptives, les partages des expériences et bonnes pratiques et le montant des indemnités annuelles par hectare et par type de cahier des charges (150 à 1 000 € par hectare et par an).

Un état initial robuste, une méthode à forte ambition environnementale, des arrêtés préfectoraux et une gouvernance associée sont les éléments qui nous permettront d'atteindre nos objectifs.

M. Vincent Le Parc . - En conclusion, notre projet dispose de qualités environnementales qui lui permettent de s'intégrer au mieux dans le site. Nous inscrivons nos actions dans le respect du cahier des charges de l'État et de la réglementation en vigueur.

Nos engagements seront garantis à travers le suivi de l'effectivité et de l'efficacité des mesures de compensation et leur adaptation si nécessaire pendant toute la durée de la concession pour ce qui nous concerne. Ils le seront également grâce au protocole avec la profession agricole spécifique aux mesures compensatoires, et aux instances de gouvernance qui assureront le contrôle et le respect de nos engagements tout au long de la concession.

Je rappelle que depuis 2012 nos collaborateurs n'ont plus accès au site que de manière très restreinte. Malgré cela, nos équipes sont prêtes, dans l'attente du calendrier de l'État.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le site est fléché par l'État depuis très longtemps. Pour autant, avez-vous étudié l'hypothèse, remise sur le devant de la scène par le rapport commandé par Ségolène Royal, d'un aéroport à une seule piste et de l'utilisation de parkings en silos ? Cette solution aurait évidemment très fortement réduit l'emprise nécessaire au projet, ce qui n'est pas négligeable.

M. Vincent Le Parc . - S'agissant des pistes, c'est le cahier des charges de l'appel d'offres qui en a prévu deux. Nous n'avions pas à étudier d'autres hypothèses.

S'agissant des parkings, notre volonté - c'était également la manière dont l'appel d'offres était présenté - était d'intégrer de la manière la plus complète possible l'aéroport et tous ses services dans le paysage ambiant, le bocage. Nous avons pris le parti d'étaler les parkings, de laisser des parties enherbées, y compris pour le stationnement, et de reconstituer un bocage avec des haies bocagères. C'est un véritable parti pris de notre offre, cela fait partie de notre dossier et cela a été jugé par l'État.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quelle est la surface occupée par les parkings ?

M. Vincent Le Parc . - Je n'ai pas la donnée ici, mais nous pourrons vous la communiquer.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez insisté sur le fait que votre méthode était scientifiquement solide. Je rappelle que l'enquête publique demande qu'un collège d'experts indépendants apporte une indispensable caution scientifique de la méthode de compensation retenue. Cela a donné lieu à la mise en place de cette fameuse commission scientifique qui, en avril 2013, a rendu l'avis suivant : « Le collège d'expert considère que cette méthode ne peut pas être validée en l'état et émet les réserves suivantes [...] ».

Il y a douze réserves au total, dont quatre portent sur la méthode de compensation. Sont notamment pointées la non-adéquation de la méthode de compensation avec la disposition 8B2 du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, l'absence de pertinence de l'analyse de la qualité des eaux, et une caractérisation initiale insuffisante de la biodiversité - alors que vous parliez au départ d'une connaissance robuste du terrain. Cette dernière réserve a amené le CNPN à vous demander, en 2013, de réaliser une nouvelle étude sur deux ans qui soit une sorte de « point zéro » de la biodiversité.

Au final, les douze réserves sont assez sévères. Pouvez-vous nous indiquer précisément la manière dont vous avez fait évoluer le projet après l'avis du collège d'experts scientifiques d'avril 2013 ?

M. Vincent Le Parc . - De mémoire, ces douze recommandations ont été formulées par le collège d'experts dans le cadre de l'instruction par la préfecture de nos dossiers relatifs à la loi sur l'eau. Les points soulignés ont été instruits par la préfecture et ont conduit à amender le projet. Le préfet a donc pris en compte ces recommandations dans les arrêtés de 2013.

Mme Aurélie Rifflart . - En effet, suite à ces recommandations, le préfet nous a interrogés et nous avons pu lui apporter plusieurs éléments de réponse. Nous avons notamment réalisé des analyses d'eau, conformes à la directive-cadre sur l'eau pour trente-trois paramètres chimiques et biologiques. Nous avons aussi réalisé des inventaires sur les espèces invasives et les espèces déterminantes zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

Au regard des différentes recommandations, le préfet a souhaité apporter des prescriptions complémentaires aux arrêtés, notamment une majoration de 10 % des unités de compensation pour prendre en compte le facteur d'échec, tel qu'indiqué par le collège des experts scientifiques. Ces prescriptions ont également conduit à définir une traçabilité des unités de compensation, à la fois par bassin versant de masse d'eau et par fonction impactée, afin de répondre à l'incompatibilité avec le SDAGE relevée par les experts. Tout cela a été pris en compte dans les arrêtés préfectoraux.

Nous avons également ajouté, à la demande du préfet, un volet sur un site témoin permettant d'étudier les changements climatiques. L'une des réserves du collège d'experts portait en effet sur la façon dont ces mesures évolueraient pendant les 55 prochaines années compte tenu du changement climatique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous demanderai de nous fournir par écrit le détail sur l'ensemble des recommandations. Vos propositions complémentaires ont-elles été soumises à nouveau au collège d'experts ?

Mme Aurélie Rifflart . - Le préfet n'a pas souhaité soumettre ces éléments au collège d'experts. C'était sa décision.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous lui poserons la question.

Sur l'arrêté de destruction du campagnol amphibie, le CNPN a émis un avis négatif. Même s'il n'est que consultatif, a-t-il entraîné certaines modifications stratégiques ?

Mme Aurélie Rifflart . - Le CNPN parlait du manque de connaissances sur la biologie du campagnol amphibie, qui a suscité un doute quant à l'efficacité des mesures de compensation proposées.

Au regard de ces éléments, le préfet a souhaité intégrer des prescriptions complémentaires sur le suivi des mesures de compensation relatives au campagnol amphibie. Nous avons notamment l'obligation de réaliser une étude génétique des populations de campagnols amphibies et d'évaluer leur densité de population.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Concernant la mise en oeuvre, vous nous confirmez que vous restez bien en phase avec l'arrêté préfectoral, qui prévoit la mise en place de 20 % de mesures environnementales avant le début des terrassements ?

M. Vincent Le Parc . - Bien sûr !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour vous, les modifications et retards intervenus ne changent en rien le calendrier ?

M. Vincent Le Parc . - Dès que nous aurons le calendrier, nous saurons quand les travaux redémarreront. Nous respecterons alors pleinement les arrêtés préfectoraux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela veut-il dire que vous aménagerez d'abord les 450 hectares destinés à recevoir l'essentiel des mesures compensatoires ?

M. Nicolas Brousse . - Pas nécessairement. C'est une option. Aujourd'hui, le phasage du projet est prévu comme suit : sur la plateforme aéroportuaire, les premiers travaux concernent la destruction des bâtis encore présents et la réalisation des investigations complémentaires qui doivent être menées - des études environnementales notamment, mais également des études topographiques. Le temps imparti pour cette première phase est de 24 à 30 mois, car la saisonnalité de redémarrage est, comme nous l'avons évoqué, un point important : la coupe des arbres ne peut pas intervenir n'importe quand, le transfert des amphibiens ne peut avoir lieu qu'en dehors des périodes de reproduction. Nous avons environ 24 à 30 mois pour réaliser la demi-desserte routière qui doit nous servir d'accès chantier.

Quoi qu'il arrive, nous avons donc, au moment du redémarrage, au moins deux à deux ans et demi, pour réaliser les 20 % d'unités de compensation. On peut naturellement penser que les 463 hectares sont un point de démarrage intéressant, mais ce n'est pas le seul.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons interrogé le syndicat mixte sur la localisation des mesures compensatoires qui seront mises en oeuvre en dehors du périmètre. Les opposants que nous avons reçus nous disent en somme que, aujourd'hui, il n'y a pas de conventions signées, ni d'agriculteurs prêts à s'engager. Où en êtes-vous ? Savez-vous où seront localisées les mesures compensatoires en dehors du périmètre ? C'est pour l'instant un manque dans ce dossier.

M. Nicolas Brousse. - Il y a plusieurs éléments de réponse à votre question.

Tout d'abord, nous avons évoqué les enveloppes de compensation : elles sont connues et n'ont pas été déterminées au hasard. Elles ont fait l'objet d'études de prédétermination par nos bureaux d'études prestataires, et sont fondées sur la similarité des milieux mais également sur le potentiel de restauration. En effet, notre méthode fonctionnelle est fondée sur l'apport d'une plus-value sur les parcelles réceptives.

Sur l'ensemble de ces 16 000 hectares, il y a environ 210 exploitations. Depuis le début de l'appel d'offres, une équipe dédiée mène les discussions avec l'ensemble de la profession agricole - la chambre d'agriculture bien sûr, mais également un certain nombre d'exploitants à titre individuel. Le processus initial, qui est le seul dont on puisse juger aujourd'hui, a permis de réaliser la cessation d'activités de 31 exploitations agricoles sur les 35 présentes dans le périmètre destiné à recevoir la majorité des mesures de compensation. Cela vous donne une idée de la coopération de la profession agricole. Des discussions ont lieu, même si elles sont forcément beaucoup plus éparses aujourd'hui qu'elles ont pu l'être il y a quelques années : il n'y a plus de calendrier, les exploitants comme le concessionnaire ne savent donc pas s'ils auront à entrer dans ce processus et si l'aéroport verra finalement le jour. Cela ne nous permet pas aujourd'hui de conclure des conventions. Pour autant, je dirais que c'est une volonté partagée entre la profession agricole et nous. Il y a des discussions, et les 90 % de dossiers traités à l'amiable sont la preuve de la coopération que nous avons pu constater dans la mise en oeuvre des évictions des exploitations sur l'emprise. Des moyens sont mis en oeuvre pour que les parcelles ne perdent pas leur vocation agricole ; elles resteront intégrées à l'exploitation et feront l'objet d'une conversion vers une prairie ou un pâturage. La conversion maintiendra bien entendu l'activité et l'intégrité de l'exploitation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Peut-on avoir au moins une idée de la surface que vous recherchez ? On a bien compris que, pour l'instant, vous n'avez pas contractualisé avec des agriculteurs en particulier, mais quelle surface cherchez-vous ? Est-ce de l'ordre de cinq cents hectares ? Mille hectares ? Deux mille hectares ?

M. Nicolas Brousse. - Aujourd'hui, notre évaluation oscille entre 1 000 et 1 500 hectares nécessaires pour réaliser ces mesures de compensation. C'est un calcul assez complexe, puisque cela va dépendre de l'état de référence de la parcelle réceptive : plus elle présente une valeur modérée, plus son potentiel d'amélioration et de restauration est important. Nous avons également la possibilité de mutualiser les unités de compensation, c'est-à-dire que, sur une même parcelle, nous pouvons apporter à la fois la restauration d'une fonctionnalité type « loi sur l'eau » et d'une fonctionnalité type « espèces protégées ». Tout cela nous donne un coefficient de foisonnement qui nous permet difficilement d'évaluer aujourd'hui la surface exacte. Mais la fourchette est probablement entre 1 000 et 1 500 hectares.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En termes de coûts de fonctionnement, c'est donc un montant de l'ordre de un million d'euros par an pour l'accompagnement du monde agricole en Loire-Atlantique ?

M. Vincent Le Parc . - Nicolas Brousse vient de décrire la méthode complexe qui nous a permis d'évaluer une première fourchette de besoins. Les conventions avec le monde agricole prévoient des compensations financières allant de 150 à 1 000 euros par hectare. Nous estimons la surface nécessaire entre 1 000 et 1 500 hectares. Je vous laisse faire le calcul.

M. Nicolas Brousse. - Le calcul est complexe. La règle de trois est un moyen comme un autre, mais plus la compensation financière sera importante pour le monde agricole, plus il y aura de plus-value écologique, et plus il y aura d'unités de compensation associées. En effet, plus l'hectare sera cher en termes de maintien de la mesure compensatoire, plus les unités de compensation y seront denses. À notre sens, l'évaluation est impossible aujourd'hui ; seules des fourchettes peuvent être évoquées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons besoin, sur l'ensemble des dossiers, d'avoir une idée du coût de la compensation. LISEA nous a dit que la gestion des mesures compensatoires allait coûter entre 100 et 200 millions d'euros sur la durée de la concession. C'est aussi une fourchette. Quelle est votre estimation du coût de fonctionnement des mesures compensatoires sur la durée de la concession ?

M. Vincent Le Parc . - Vous évoquez LISEA : il faut savoir que l'état d'avancement et des connaissances sur la ligne SEA est bien supérieur au nôtre, puisqu'un certain nombre de mesures sont déjà en place. Ils ont des éléments factuels.

Notre offre prévoit un plan de gestion agri-environnemental. Il figure dans la DUP et tout le monde peut le consulter : une enveloppe d'environ 40 millions d'euros d'investissement et 300 000 euros par an de frais de fonctionnement. Notre métier est de réaliser et de gérer des projets au sens global du terme. Sans rentrer dans les détails, rien ne correspond à ce que l'on avait envisagé ; et en même temps, globalement, tout correspond à ce que l'on avait envisagé. Il est difficile d'isoler des postes précis dans un projet en garantissant que celui-ci sera strictement conforme à l'offre.

Aujourd'hui, la base est fixée, il s'agit du plan de gestion agri-environnemental. En raison de la phase dans laquelle se trouve le projet, nous n'avons pas encore conclu la première convention. Il est donc difficile de projeter un chiffre final.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'entends bien cette incertitude. Votre modèle de concession prévoit tout de même 300 000 euros par an pour les frais de fonctionnement. La tension environnementale sur ce projet est aujourd'hui extrêmement forte. Imaginons qu'il faille augmenter les montants du plan agri-environnemental : quel serait l'impact sur l'équilibre ? Admettons que les compensations financières montent à un million d'euros. Cela change-t-il quelque chose, pour vous comme pour les collectivités territoriales, sur le retour à meilleure fortune ? Si le trafic sur la plateforme explose, peuvent-elles retrouver de l'argent ? Si les coûts de fonctionnement augmentent, cela réduit-il leur retour sur investissement ?

M. Vincent Le Parc . - Nicolas Brousse l'a dit, le modèle économique de la concession est complexe. Il y a beaucoup de paramètres : les coûts d'investissement et de fonctionnement en sont une partie ; le retour à meilleure fortune en est une autre. Aujourd'hui, il faut vraiment appréhender la concession comme un tout. On verra au fur et à mesure comment les choses se dérouleront. Vous dites que la pression sur les mesures environnementales est forte ; elle l'était déjà au moment de l'appel d'offres. Lors des discussions avec la chambre d'agriculture, nous avons adapté un certain nombre de montants de la convention. Dans le contrat initial, on parlait de 150 à 1 000 euros à l'hectare ; lors de nos discussions avec la chambre d'agriculture, les sachants du monde agricole nous ont indiqué que ce prix était parfois trop cher, parfois pas assez. Nous avons décidé d'adapter la convention, et il n'est pas question de se retourner vers l'État ou vers les collectivités territoriales pour réclamer quoi que ce soit sur ces sujets-là.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On est bien d'accord que vous ne réclamez pas plus d'argent. Mais est-ce que cela change le taux de rentabilité interne (TRI) du projet, et donc le retour à meilleure fortune des collectivités territoriales ? La question est extrêmement précise.

M. Vincent Le Parc . - Cela dépendra effectivement de l'équilibre global de la concession...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Non, cela ne dépend pas ! La question est simple : le retour à meilleure fortune pour les collectivités territoriales est-il lié, ou non, à l'équilibre global ? S'il faut mettre plus d'argent sur l'environnement, le retour à meilleure fortune pour les collectivités sera moindre.

M. Vincent Le Parc . - Il est lié à l'équilibre global de la concession, oui.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - D'accord. Donc, dans l'hypothèse où il faudrait mettre plus d'argent dans les mesures environnementales, le retour sur investissement des collectivités locales s'éloigne.

M. Vincent Le Parc . - Beaucoup d'autres conditions joueront sur l'évolution, notamment le trafic.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On est bien d'accord. Mais le coût de fonctionnement des mesures compensatoires en fait partie. Votre réponse est très claire, je vous en remercie.

Pouvez-vous nous donner la répartition de l'enveloppe de 40 millions d'euros, dont le syndicat mixte nous a aussi parlé ?

M. Nicolas Brousse. - C'est un plan relativement vaste, il est difficile de vous en détailler l'intégralité. Mais, je le répète, c'est avant tout une enveloppe, déterminée en fonction de l'avant-projet réalisé par les services de l'État en 2006. Cet avant-projet prévoyait plus de sept cents hectares aménagés ; nous ne serons finalement qu'à cinq cents hectares. Il prévoyait une route d'accès pour le bloc est ; cette route n'existera pas.

Soyons simples : cette enveloppe figurait dans la DUP. Elle avait été estimée par les services de l'État, nous avons repris cette donnée dans notre offre. Nous travaillerons bien dans les limites de cette enveloppe, mais avec des choses probablement bien différentes de celles initialement prévues, et qui vont être liées aux arrêtés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le syndicat mixte a insisté sur ce montant de 40 millions d'euros dédié aux mesures environnementales. Si personne n'est capable d'en donner le chiffrage, c'est troublant...

M. Nicolas Brousse. - Ma réponse est relativement similaire à celle du syndicat mixte.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Non. Il était très clair sur les 40 millions d'euros.

M. Nicolas Brousse. - Il y a bien une enveloppe de 40 millions d'euros pour les mesures environnementales.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Très bien. Êtes-vous en mesure aujourd'hui de nous en donner la ventilation ?

M. Vincent Le Parc . - Nous serons en capacité de le faire lorsque les mesures seront totalement définies.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Mais vous devez bien avoir une certaine visibilité de la ventilation de ces 40 millions d'euros, quitte à émettre des réserves sur une ou deux lignes...

M. Vincent Le Parc . - Non. Aujourd'hui, nous avons des enveloppes par thèmes sur le projet. C'est ce qui nous a permis de chiffrer l'équilibre global de la concession.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - À titre d'exemple, à combien estimez-vous un kilomètre de haies ?

Mme Évelyne Didier . - Ce n'est pas comme cela que ça marche...

M. Vincent Le Parc . - Je n'ai pas le détail que vous me demandez, et, effectivement, ce n'est pas du tout comme cela que les choses marchent...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans ce cas, qu'est-ce qui vous permet de dire qu'il y aura 40 millions d'euros ?

M. Vincent Le Parc . - Ce montant de 40 millions d'euros figurait dans l'enquête publique et a été repris dans le dossier d'appel d'offres. C'est le montant du plan agri-environnemental.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'essaie de comprendre...

Mme Évelyne Didier . - Toute la question est de savoir ce qu'est une concession. C'est un modèle économique très particulier. On dit que la concession est un tout. Finalement, pour vous, l'objectif essentiel est le maintien d'un TRI global sur l'ensemble de la concession, TRI qui a été défini lors du contrat avec l'État.

Le maintien de cet équilibre dépend des évolutions au fil du temps. Or, on voit bien que le projet actuel n'est pas encore définitif et que le retour à meilleure fortune, comme les compensations, sont des variables. Des enveloppes thématiques ont été décidées, mais le montant de chaque enveloppe et sa répartition seront définis en fonction de l'équilibre à un moment donné. On ne peut pas les définir définitivement dès le départ. Les enveloppes seront donc définies précisément de telle manière que l'équilibre initial, ce TRI global moyen sur l'ensemble de la concession, soit toujours respecté. C'est l'objectif. Après, les lignes dans lesquelles les budgets sont inscrits peuvent varier en fonction de cet équilibre.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il se trouve que j'ai des chiffres plus précis. La DUP prévoyait environ 9 millions d'euros pour les zones humides, la faune et la flore. Est-on toujours sur ce montant ?

M. Nicolas Brousse . - Ce chiffre de 9 millions a été évalué par les services de l'État au moment de la DUP ; pour nous, cette ligne n'existe pas plus que les autres lignes. À ce stade, cela reste une enveloppe dépourvue de lignes.

M. Vincent Le Parc . - On connaît la nature des choses.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est un dossier sur lequel vous travaillez depuis longtemps. Aujourd'hui, vous n'avez toujours pas de vision financière plus précise ?

M. Nicolas Brousse. - Vous avez raison de le souligner, nous travaillons sur ce dossier depuis un certain temps. Mais la vitesse de progression a fortement ralenti depuis quelques années. En 2012, nous avons créé les neuf premières mares destinées au transfert des amphibiens. Nous sommes aujourd'hui en 2017.

M. Gérard Bailly . - Les agriculteurs que nous avons entendus s'accordent pour dire qu'ils ne sont pas compensés pour les pertes indirectes. Ils estiment qu'outre la compensation financière de l'hectare de terre, que vous avez établie avec la chambre d'agriculture, il devrait y avoir une deuxième compensation. Je voudrais que vous nous donniez votre sentiment.

Ma deuxième question porte sur les campagnols amphibies. Ces animaux sont présents dans cinq ou six régions de France, notamment en Bretagne. Alors je veux bien que l'on se batte pour sauver des espèces en voie de disparition, et de surcroît très localisées, mais est-ce nécessaire quand elles sont présentes sur de nombreux autres territoires ?

J'oserai une dernière question, mais sans doute pourrez-vous difficilement répondre : sur Notre-Dame-des-Landes, peut-on estimer l'ensemble des dépenses réalisées jusqu'à ce jour ? Avez-vous déjà fait cette estimation ?

M. Vincent Le Parc . - Je crois qu'il ne nous revient pas d'entrer dans le débat de savoir si le campagnol amphibie est une espèce nombreuse ou non : le campagnol amphibie est devenu une espèce protégée, il nous incombait d'obtenir une dérogation pour sa destruction et nous l'avons fait.

M. Gérard Bailly . - Donc, vous n'êtes pas obligés de faire de la compensation sur cette espèce ?

M. Vincent Le Parc . - Si, bien sûr ! Des mesures figurent dans l'arrêté. Nous avons obtenu la dérogation avec la totalité des prescriptions à respecter, comme pour les 98 autres espèces.

M. Nicolas Brousse . - Concernant les compensations financières aux agriculteurs, il y a effectivement deux volets. Le premier, purement foncier, est régi par un processus d'expropriation, dont la société concessionnaire ne fixe pas seule les indemnisations. Un protocole régional d'éviction, que j'ai déjà évoqué, prévoit des mesures de compensation pour la cessation d'activité en cas d'éviction totale. Un protocole spécifique au projet de Notre-Dame-des-Landes comporte des mesures supplémentaires, en particulier la possibilité pour un exploitant agricole dont plus de 35 % de l'exploitation se trouvait sur le site de Notre-Dame-des-Landes de demander l'éviction totale, quand bien même les deux tiers de son exploitation se trouvaient à l'extérieur du périmètre.

Le deuxième volet concerne la compensation des pertes indirectes. Le protocole régional prévoit une compensation financière équivalente à trois fois la marge brute à l'hectare ; le protocole « Notre-Dame-des-Landes », qui, je le rappelle, a été établi en concertation avec l'État et la chambre d'agriculture, monte jusqu'à six fois. Trente et une des trente-cinq exploitations ont souhaité traiter à l'amiable, cela nous semble bien démontrer que, manifestement, les conditions financières proposées étaient non pas favorables, mais raisonnables, et acceptables.

M. Vincent Le Parc . - Je conclurai en précisant que c'est bien sous l'égide de la chambre d'agriculture, qui est notre interlocuteur, que s'est noué le dialogue avec l'ensemble de la profession agricole. La libération des emprises s'est, dans l'ensemble, très bien passée. Nous ne doutons pas que les choses se passeront de la même manière avec le protocole sur les mesures de compensation quand le moment sera venu.

M. Gérard Bailly . - Et le montant de la dépense totale ?

M. Vincent Le Parc . - Je n'ai pas ces éléments avec moi.

M. Nicolas Brousse . - Pour les dépenses totales du projet, c'est compliqué.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je souhaite revenir sur l'étude d'impact. Le campagnol n'est pas le meilleur exemple, d'autres plantes ont été retrouvées par des naturalistes. Le CNPN s'étonne de ne pas avoir encore été saisi, même si son avis n'est que consultatif. L'État est en charge de la préparation des demandes dérogatoires, mais vous êtes certainement associés à cette phase préparatoire : où en est-on sur les plantes retrouvées depuis l'étude d'impact ?

M. Nicolas Brousse . - Je suppose que vous faites allusion aux courriers informatifs qui ont été adressés à différentes instances par des associations ou des particuliers, qui décrivent la présence de certaines espèces non répertoriées lors de l'état initial.

À titre liminaire, je précise que les courriers reçus sont purement déclaratifs. Je ne reviendrai pas sur les difficultés d'accès au site auxquelles nous faisons face, mais, sans entrer dans les détails, les zones qui nous sont désignées sont particulièrement compliquées d'accès.

Je reprends le cas du campagnol, qui me semble au contraire être un bon exemple. Les arrêtés préfectoraux prévoient l'hypothèse de la découverte, à l'avancement des travaux, d'espèces qui n'auraient pas pu être identifiées au moment de l'état initial. Un état initial n'est jamais exhaustif, ne serait-ce, par exemple, que parce que les plantes sont parfois observables certaines années, pas d'autres.

Nous avons démontré avec le campagnol que nous savions traiter le cas de l'arrivée d'une nouvelle espèce protégée - qu'elle soit découverte ou nouvellement protégée si elle figurait déjà à notre inventaire -, en prenant une instruction complémentaire et un arrêté modificatif.

Bien évidemment, lorsque nous aurons un accès et un nouveau calendrier, nous vérifierons et procéderons aux investigations ad hoc concernant la ou les espèces potentiellement présentes et elles feront l'objet d'instructions de la même façon que le campagnol amphibie.

Mme Aurélie Rifflart . - Le collectif « Naturalistes en lutte » nous a indiqué la présence de cinq espèces de flore, dont deux ne sont pas protégées - le muguet de mai et la jonquille. Sur les trois autres, la cicendie naine est hors de nos emprises. Il reste donc deux espèces protégées.

Cependant, l'obtention et la rédaction d'un dossier relatif aux espèces protégées nécessitent la réalisation d'études de l'état initial, des inventaires. Pour cela, il faut pouvoir aller sur le terrain dans des conditions acceptables de sécurité. Ces études seront réalisées dès que cela sera possible.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur les autres dossiers, il y a un certain nombre d'actionnaires financiers ou de fonds de gestion. Je ne connais pas votre montage financier : empruntez-vous beaucoup sur ce dossier ?

M. Vincent Le Parc . - Les trois actionnaires d'Aéroports du Grand Ouest sont Vinci Airports, la chambre de commerce et d'industrie de Loire-Atlantique et ETPO, qui est une entreprise de BTP régionale. Il n'y a pas de financiers.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Donc, vous n'avez pas la pression des « vérificateurs » des banques, comme cela peut être le cas sur d'autres dossiers ?

M. Vincent Le Parc . - Pas par l'actionnariat. Du moins, pas plus que par l'actionnariat, même si, évidemment, nos actionnaires sont attentifs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Notre commission d'enquête s'intéresse à plusieurs dossiers, pas seulement à Notre-Dame-des-Landes. Nous avons aujourd'hui le sentiment que l'un des risques pour les grands constructeurs et investisseurs financiers - car Vinci est aussi un investisseur financier ! -, ce sont les retards. Or, par exemple, la découverte de ces deux plantes pourrait entraîner un nouveau blocage du dossier, puisque le CNPN, même si son avis n'est que consultatif, doit être saisi à peine de vice de forme. Pour vous, aujourd'hui, ce type de risque fait-il partie intégrante de la gestion des dossiers ?

M. Vincent Le Parc. - C'est notre métier de réalisateur de grands projets comme celui-ci d'appréhender et gérer globalement ces risques ! Il y a beaucoup de risques, et pas seulement sur l'environnement. La découverte d'espèces supplémentaires en cours de chantier en fait partie, évidemment.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quel est l'impact pour vous de la nouvelle loi sur la biodiversité, qui pose comme une obligation de résultat l'absence de perte nette en matière de biodiversité ? Vous avez deux têtes de bassin versant à reconstituer, ce n'est pas rien : est-ce un risque financier nouveau pour vous ?

Mme Aurélie Rifflart . - Nous avions intégré l'obligation de résultat dès la rédaction de notre dossier, avec la mise en place d'une gouvernance spécifique. Des suivis techniques et scientifiques de nos mesures de compensation vont être réalisés tout au long de la concession. Ces suivis porteront notamment sur les oiseaux, les chauves-souris, les soutiens d'étiage, la biogéochimie... Tout cela est déjà intégré dans les arrêtés. Nous répondons à la loi biodiversité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous n'avez donc pas constitué de provision pour risques sur les questions de biodiversité, comme un matelas que vous auriez gardé sous le coude au cas où les mesures ne fonctionnent pas totalement ?

M. Vincent Le Parc . - Nous gérons notre concession avec tous les risques, celui-là comme les autres. La loi biodiversité ne s'applique pas directement à notre projet, mais, en matière d'obligation de résultat, les arrêtés pris y répondent pleinement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Revenons un instant sur la localisation des mesures compensatoires. Un jour, une ligne TGV est censée passer sur le site. Des questions de fuseau se posent, mais vous devez d'ores et déjà connaître la localisation de la gare. Avez-vous intégré cet élément dans la localisation de vos mesures compensatoires, pour éviter de mettre en oeuvre les mesures de compensation à des endroits qui risqueraient d'être redémolis demain ?

M. Nicolas Brousse . - La réservation du tracé sur l'emprise de la concession est identifiée, bien plus précisément qu'un fuseau d'ailleurs. Elle est souterraine, mais présente une importance pour la mise en oeuvre des travaux de superstructure.

Le périmètre de compensation est plus haut que large : pour la LGV, qui arrivera du nord, nous n'avons aujourd'hui qu'un fuseau, et non pas un tracé. Comme vous l'ont indiqué les représentants de LISEA, ce fuseau est une bande d'environ 300 mètres : à l'échelle des 16 000 hectares du site de Notre-Dame-des-Landes, ce n'est pas un paramètre majeur et dimensionnant pour le moment. Il en sera bien sûr tenu compte au moment de la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quel a été le budget - celui-là, vous le connaissez, il est derrière nous ! - pour l'ensemble des études de recensement ?

M. Vincent Le Parc . - Nous avons effectivement une idée du coût de l'ensemble des prestations réalisées par les bureaux d'études que nous avons missionnés pour les inventaires et les états initiaux.

Mme Aurélie Rifflart . - Pour l'ensemble des prestataires, le coût est de l'ordre de un million d'euros. Mais les missions n'étaient pas spécifiquement ciblées sur les inventaires : ce coût comprend l'ensemble des dossiers et des études.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'ensemble des dossiers liés à la loi sur l'eau et aux espèces protégées ?

M. Nicolas Brousse . - Il s'agit du budget qui vous amène à la prise d'arrêtés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il inclut donc les inventaires et l'ensemble des études.

Mme Aurélie Rifflart . - Les inventaires, les études de bureau pour construire la méthode de compensation, tout ce qui nous a permis d'avoir l'ensemble des documents.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quelle est la part spécifiquement dédiée aux inventaires dans ce montant ?

Mme Aurélie Rifflart . - Je n'ai pas le montant ici.

M. Vincent Le Parc . - Biotope, le principal cabinet qui nous a aidés sur ce dossier, a réalisé à la fois des missions d'inventaire et des missions d'ingénierie. Je ne suis pas sûr que nous disposions d'une ventilation très précise des postes ; ce qui nous intéresse, c'est l'enveloppe globale dédiée à chaque bureau d'études.

Mme Évelyne Didier . - Comme j'ai tenté de le décrire tout à l'heure, le modèle économique de la concession est très particulier, et qui surprend les élus, habitués à travailler sur des chantiers bien définis, avec, éventuellement, des avenants en cas de besoin. Là, l'équilibre se construit au fur et à mesure. Actuellement, la réalisation du contrat est, d'une certaine façon, suspendue. Pensez-vous qu'il aura des avenants ? Le retard induit des frais supplémentaires, qu'il faudra bien compenser ; des avenants permettraient d'augmenter la durée de la concession. Ces réajustements peuvent avoir des incidences, y compris sur la compensation.

M. Vincent le Parc . - Vous parlez de « contrat suspendu » : pour nous, le contrat n'est clairement pas suspendu, et nous en déroulons aujourd'hui l'exécution. Les travaux sur site sont effectivement suspendus, car nous sommes aujourd'hui empêchés.

Sur les questions d'avenant, seul l'État est en mesure de décider comment il veut reprendre le chantier, et dans quelle mesure le projet devra être adapté.

Mme Évelyne Didier . - Bien sûr ! Mais, dans l'économie globale de la concession, des durées sont fixées. Plus il y a d'incertitudes et de reports, plus les coûts initialement évalués risquent d'évoluer. Comment allez-vous maintenir l'équilibre de la concession ?

M. Vincent Le Parc. - Il y aura forcément des réajustements...

Mme Évelyne Didier . - Ce que l'on appelle des avenants ?

M. Vincent Le Parc. - ... notamment parce que le planning évoluera en fonction de la nouvelle date d'aménagement, qui ne sera pas celle prévue dans le contrat initial. Donc, il y aura forcément réajustement.

Mme Évelyne Didier . - Ces réajustements induiront-ils des frais supplémentaires pour l'État ou les collectivités ?

M. Vincent Le Parc . - Ce sera à l'État de voir comment il veut faire évoluer le contrat.

Mme Évelyne Didier . - Avec des années supplémentaires ?

M. Vincent le Parc . - Il y a plusieurs solutions, ce sera à l'État d'indiquer comment il veut faire évoluer les choses.

Mme Évelyne Didier . - Mais il y aura forcément des « plus ». C'est ce que je voulais mettre en avant.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Où en êtes-vous de la mise en place de l'observatoire de l'environnement et des commissions de suivi ?

M. Nicolas Brousse . - L'observatoire de l'environnement a remis son deuxième rapport annuel. Cette gouvernance est donc déjà en place, même si elle est bien entendu relativement légère compte tenu de l'état du projet - je rappelle que l'aéroport devait ouvrir dans quelques mois... Cela va être un peu compliqué, malgré la mobilisation de nos équipes, mais la gouvernance fonctionne.

Mme Aurélie Rifflart . - Une réunion est prévue au mois de mars avec le comité scientifique, en place depuis 2013. Les résultats des suivis scientifiques réalisés sur le terrain sont transmis à l'observatoire, qui les analyse pour établir des indicateurs. Tout cela est soumis au comité scientifique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qui siège au sein du comité scientifique ? des scientifiques ? des associations ?

Mme Aurélie Rifflart . - Il y a des scientifiques, des universitaires, des représentants des services techniques de l'État. Nous vous transmettrons la liste.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les associations ont-elles été invitées ?

Mme Aurélie Rifflart . - Dans le cadre de la gouvernance, aux côtés du comité de suivi des engagements de l'État siégera une commission spécifiquement chargée d'étudier les mesures de compensation. Les associations de protection de l'environnement seront invitées à participer à cette commission, afin qu'elles apportent leur regard particulier sur nos propositions.

M. Nicolas Brousse . - Comme je l'ai déjà évoqué, il y a une bipolarité : concessionnaire/observatoire de l'environnement d'une part ; comité scientifique/services de l'État de l'autre. L'équilibre est créé de cette manière.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Très bien. Nous attendons le détail de vos réponses aux douze réserves de la commission scientifique, et nous réinterrogerons bien entendu l'État pour savoir pourquoi il n'a pas resoumis les nouvelles propositions au collège d'experts.

Je conclurai avec une question ouverte, et ce n'est pas une question piège : vous êtes face à une contestation environnementale extrêmement forte, cela n'a échappé à personne, en tout cas plus que sur les autres dossiers de ce type. Avez-vous le sentiment que le volet environnemental de votre dossier était suffisamment « robuste » ? Vous défendez bec et ongles vos choix environnementaux, c'était l'exercice. Mais n'estimez-vous pas, dans une logique un peu politique, que vous devriez avoir une réponse proactive en retournant voir les contestataires pour leur dire : « On va en faire encore plus » ? J'ai l'impression que vous avez choisi la première solution. Dans le cadre de notre analyse, l'existence ou l'absence de lien et de dialogue avec l'ensemble des acteurs du territoire nous intéresse particulièrement.

M. Nicolas Brousse . - Aurélie Rifflart l'a mentionné, un certain nombre de dispositions, qui sont autant des majorations d'objectifs pour nous, ont été parfaitement intégrées dans le cadre de la prise d'arrêtés. Je rappelle que ces arrêtés sont pris sur la base de l'instruction de nos dossiers, qui ont été validés à maintes reprises à la fois par les services de l'État et par la justice. Je pense que si, aujourd'hui, aucun des recours effectués n'a été jugé recevable par les différentes juridictions, c'est bien que nous avons pris des marges suffisantes sur l'ensemble des domaines. Ces marges nous permettent d'être dans ce que nous appelons le « zéro plus », c'est-à-dire de ménager une marge de confort. La méthode fonctionnelle a été établie, définie, les coefficients d'attribution ont été justifiés, bâtis avec des cabinets environnementaux reconnus - Biotope est une référence, tant en France que sur la scène internationale. Il ne semble pas légitime d'envisager en faire plus.

M. Vincent Le Parc . - Pour conclure, je dirais que, pour moi, la gouvernance mise en place par l'intermédiaire des arrêtés est la meilleure garantie de l'évolution des mesures. Sur la durée de la concession, cette évolution sera inévitable, et la gouvernance mise en place permettra de s'assurer qu'elle se fasse dans le cadre de la loi.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Considérez-vous, comme d'autres concessionnaires que nous avons interrogés, qu'il serait plus logique que la totalité des questions environnementales soit traitée plus en amont ?

On voit bien qu'actuellement l'ensemble des questions relatives au respect des différentes lois sur l'eau, sur les espèces protégées, et à la compensation, se posent après la DUP. Pour un concessionnaire qui a besoin de sécuriser ses opérations, ne serait-il pas plus logique que la totalité du dossier environnemental soit traitée beaucoup plus en amont ?

M. Vincent Le Parc . - C'est un choix global du législateur.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est votre avis d'opérateur que je souhaite.

M. Vincent Le Parc . - Il est clair, dans ce projet particulier, que beaucoup d'éléments de concertation repris dans l'appel d'offres découlaient de l'enquête publique. Nous avons enrichi nos dossiers par notre expertise et nos inventaires, mais tous sont fondés sur les éléments fournis par l'État à la suite de la DUP.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci pour vos explications.

Audition de M. Bruno Gazeau, président, et de Mme Anne-Marie Ghémard, vice-présidente, de la Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT)
(mercredi 1er  février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous accueillons la Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT) que nous avons souhaité entendre dans le cadre de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Notre objectif est de pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC). Pour ce faire, la commission d'enquête analyse plus en détails, mais pas exclusivement, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires de quatre projets : l'A65, la LGV Tours Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

Nous entendons M. Bruno Gazeau, président de la FNAUT et Mme Anne-Marie Ghémard, vice-présidente de la FNAUT.

La réunion est ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et un compte rendu en sera publié. Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Gazeau et Mme Anne-Marie Ghémard prêtent successivement serment.

Madame, Monsieur, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Le questionnaire que nous vous avons adressé n'est qu'indicatif et sert à orienter votre propos liminaire sans toutefois répondre de manière exhaustive en introduction. Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Bruno Gazeau, président de la FNAUT . - Je n'ai aucun lien.

Mme Anne-Marie Ghémard, vice-présidente de la FNAUT . - Je n'ai personnellement aucun lien.

M. Bruno Gazeau . - Je vous remercie de nous recevoir car il n'était pas évident que la FNAUT soit reçue pour parler de sujets qui peuvent vous paraître connexes à ses activités. La FNAUT peut toutefois apporter un éclairage sur des aspects collatéraux sur lesquels elle a acquis une certaine compétence.

La FNAUT est une fédération qui regroupe cent-soixante associations réparties sur le terrain : un tiers sont des associations d'usagers relevant des périmètres urbains ; un autre tiers rassemble des usagers du ferroviaire, notamment des transports de banlieue et d'intercités ; le dernier tiers s'intéresse aux modes de transports doux, comme le vélo ou la marche et comprend également des organisations plus environnementales à vocation généraliste.

La FNAUT exerce deux fonctions. En tant qu'association agréée consommateur, elle défend les usagers en cas de litige en matière de transports. Sur le millier de dossiers reçus chaque année, nous en traitons une centaine et en orientons un grand nombre vers les différents médiateurs prévus par la législation. Au titre de sa seconde fonction, la FNAUT représente les usagers auprès des pouvoirs publics. Nous sommes ainsi auditionnés par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), formulons des avis dans le cadre d'enquêtes publiques et sommes consultés lors de l'élaboration des projets de loi et décrets. Nous participons annuellement à une trentaine de colloques et sommes représentés dans la gouvernance d'une trentaine d'institutions, au rang desquelles la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), la Régie autonome des transports parisiens (RATP), la Régie des transports métropolitains de Marseille (RTM) ou encore l'Association française de normalisation (AFNOR).

Notre fédération connaît cependant quelques difficultés. Ses membres sont bénévoles et, faute d'un défraiement des frais de transports, ne peuvent pas toujours participer aux différentes réunions où ils sont conviés, à l'instar des sessions de la commission d'évaluation des politiques publiques.

Mme Anne-Marie Ghémard . - Vous nous questionnez sur les atteintes à la biodiversité causées par les grandes infrastructures. Nous vous répondrons sur les infrastructures de transport. Pour nous, le principal ennemi de la biodiversité demeure le réchauffement climatique. Nous sommes en accord avec tous les scientifiques, aussi bien du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou encore du Muséum national d'histoire naturelle, sur la base des faits observés sur tous les continents et dans les océans. 25 % des espèces animales et végétales sont menacées d'ici 2050. C'est énorme ! La revue Nature évoque un taux de l'ordre de 15 % à 37 % et le rapport du GIEC de 20 % à 30 %. C'est là une atteinte terrible à la biodiversité. Or les transports sont responsables en France de 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais la loi sur la biodiversité et sa séquence ERC n'évoquent pas les gaz à effet de serre qu'émettent les grandes infrastructures de transport. Il s'agit donc, pour nous, d'une première atteinte à la biodiversité.

L'artificialisation des sols est la seconde atteinte. Elle est provoquée par l'installation et l'exploitation des infrastructures de transport. Rendre les déplacements plus faciles favorise l'allongement des distances et la multiplication de nouvelles implantations, notamment d'habitation, sur les terres agricoles.

La pollution produite par les transports représente le troisième facteur de réchauffement climatique. Si l'on rend les transports plus faciles, on augmente la pollution due aux transports.

M. Bruno Gazeau . - Les statuts de la FNAUT encouragent le développement des infrastructures les plus favorables au développement durable, comme les modes doux et le développement du report modal destiné à éviter l'usage de la voiture. Je voudrais attirer votre attention sur le sort des emprises ferroviaires, dans la perspective des fermetures de lignes induite par la crise que connaît actuellement le rail. Ainsi, de nombreuses emprises ferroviaires peuvent être mises à la disposition des collectivités, même si elles demeurent propriété de l'Etat. Nous avons négocié avec SNCF-Réseau notre consultation systématique sur le déclassement de ces voies pour évaluer l'intérêt de les maintenir comme dessertes ferroviaires. Si tel n'est pas le cas, nous estimons que ces emprises doivent être maintenues dans leur intégralité afin d'être employées par les modes doux. En outre, elles peuvent s'avérer utiles pour l'accueil de la biodiversité, notamment dans les zones péri-urbaines, ne serait-ce que parce que le vent y apporte les graines et que les animaux y trouvent un refuge. Nous dressons ainsi le bilan annuel de ces déclassements. Nous sommes très fermes sur ce point et exerçons, le cas échéant, des recours contre les préfets lorsqu'ils autorisent le morcellement de la voie, une fois son déclassement prononcé. D'ailleurs, nous gagnons chaque fois ces recours !

Mme Anne-Marie Ghémard . - Je vais poursuivre mon propos en évoquant les projets que vous avez étudiés. D'une part, l'autoroute A65, comme toutes les autoroutes, facilite les déplacements automobiles et l'émission des gaz à effets de serre et le réchauffement climatique. Très attendue localement, cette autoroute visait à faciliter les déplacements entre Langon et Pau. Mais aurait-on pu éviter la construction de cette autoroute ? La FNAUT répond oui ! Il eût été possible d'éviter cette autoroute avec la réalisation du grand projet ferroviaire du Sud-Ouest entre Bordeaux, Mont de Marsan et Pau, qui aurait ainsi permis un report modal. On s'est ainsi trompé sur l'ordre des infrastructures à construire.

S'agissant de la LGV Tours-Bordeaux, nous rappelons en premier lieu que le train demeure le moyen de transport collectif le moins polluant avec la marche à pied et le vélo, avec une absence de gaz à effet de serre localement. Une LGV capte les automobilistes et les passagers du transport aérien et terrestre, comme on a pu le constater entre Paris et Lyon. Le bilan global est extrêmement positif. Il faut voir les problèmes globalement. Certes, localement, une LGV représente une coupure comme une autoroute et il faut prévoir des passages pour les animaux, les cyclistes et les piétons. Cette structure entraîne certes une artificialisation des sols, mais avec une largeur en-deçà de dix hectares, moindre que celle d'une autoroute qui réclame entre huit et dix-neuf hectares au kilomètres. Si le bruit des TGV est important, il est discontinu, à la différence de celui des autoroutes. En effet, il est beaucoup moins pénible d'entendre le passage d'un TGV que le bruit de fond permanent d'une autoroute. La LGV entraîne certes une destruction des espaces naturels qui peut cependant être compensée localement. Le plus important demeure ainsi le bilan global qui demeure, quant à lui, nettement positif. Il ne faut donc absolument pas traiter une grande infrastructure LGV comme une infrastructure autoroutière.

Enfin, la FNAUT s'est toujours prononcée contre le projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, puisque le transport aérien est le plus émissif en gaz à effet de serre, s'agissant surtout des court-courriers. En effet, un avion consomme beaucoup plus en phase montante que lors d'un long parcours et les gaz produits à haute altitude sont jusqu'à dix fois plus nocifs que ceux produits au sol. En outre, la mise en service du prolongement du LGV-Atlantique entre Rennes et Nantes est prévue pour le mois de mai 2017. Roissy sera alors à moins de deux heures du centre-ville de Nantes ! Enfin, l'aéroport de Lyon, implanté dans une zone de chalandise deux fois plus peuplée que celle de Nantes, ne parvient pas à être international, faute d'une desserte suffisante en longs courriers. Nantes restera donc un aéroport local, avec des émissions de gaz à effet de serre énormes. Sans évoquer les zones humides, le bilan global de ce projet est très négatif. Sur tous ces grands projets, nous ne sommes pas consultés.

M. Bruno Gazeau . - Je voudrais revenir sur les trois termes qui composent la séquence ERC. « Eviter et réduire » implique pour nous d'encourager le report modal, ce qui est assez peu le cas pour le fret. Le Sénat vient ainsi de voter sur la desserte Lyon-Turin, mais en l'absence de politique très volontariste d'encouragement au report modal des camions vers les voies ferrées, il est inutile de construire un tunnel. Nous sommes exprimés en faveur de ce projet, à la condition de mettre en oeuvre un report modal efficace, à l'instar de ce que font les Suisses ou les Autrichiens.

Sur la séquence compenser, nous demeurons dubitatifs. En effet, la compensation pose question. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air a chiffré à 100 milliards d'euros les dégâts sans qu'aucune compensation n'ait été prévue, tout comme un autre rapport parlementaire sur l'accidentologie chiffrée à quelque 25 milliards d'euros. En outre, d'après deux rapports universitaires, les désordres engendrés par la pollution urbaine pour les personnes âgées et les jeunes enfants représentent respectivement un coût équivalent à celui du « Pass Navigo » par personne. On mesure ainsi à quel point il est nécessaire de compenser de telles pollutions compte tenu des dépenses qu'elles engendrent. En outre, parmi les grands équipements, on continue à réaliser des gares ex-urbanisées, comme à Montpelliers, Nîmes ou encore Valence. Ces gares sont inutiles : elles rallongent les temps de transport pour les usagers, elles accaparent des terres agricoles et ne permettent pas de connecter les réseaux TER et TGV. Travaillons plutôt sur les interconnexions entre les réseaux urbains, péri-urbains et TGV ! Par ailleurs, la pollution par les voitures et le diesel est en général quinze fois supérieure à ce que prévoit la réglementation. Je n'ai pas observé qu'une quelconque compensation ait été demandée aux constructeurs. Enfin, les politiques qui prévoyaient de le faire, comme l'écotaxe, n'ont pas été conduites à leur terme, en dépit d'un vote unanime des deux assemblées. Nous sommes également très dubitatifs sur les modes de calcul de la compensation.

Mme Anne-Marie Ghémard . - Il est certes louable de préserver une zone humide ou une mare, mais que fera-t-on lorsqu'elle sera asséchée par le réchauffement climatique ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comprendre le dialogue en amont a motivé l'organisation de cette audition. Quel est votre sentiment sur l'enchaînement des différentes séquences ? Un lieu de réflexion ou échange d'arguments existe-t-il en amont des projets ?

M. Bruno Gazeau . - Un tel lieu n'existe pas aujourd'hui. Notre parole peut être entendue dans le cadre d'auditions parlementaires ou de colloques, voire de communiqués de presse. Notre association d'usagers des transports peut également être interrogée par des journalistes. Nous avons certes des relations avec la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) qui nous consulte sur la planification des infrastructures, l'organisation du territoire ou encore les financements et les appels à projets, davantage que sur les questions écologiques qui, certes, n'appartiennent pas à notre coeur de métier, mais sur lesquelles nous formulons des préconisations. Notre vision est globale. Nous n'avons pas le sentiment que l'État conduise une politique de mobilité assurant la synthèse entre la route, le ferroviaire et l'aérien. Si l'ARAFER a manifestement un rôle entre la route et le ferroviaire, ma demande est qu'elle devienne une voie de recours en cas d'iniquité entre les modes de transport. En effet, lorsqu'une iniquité entre les modes est constatée, on ne sait vers quelle autorité se tourner. On le constate pour le kérosène, qui n'est pas taxé, avec les sillons ferroviaires, à l'approche des gares selon que vous arrivez en taxi ou avec un chauffeur privé, ou encore avec la construction de zones de co-voiturage sur les autoroutes. Certains modes sont subventionnés tandis que d'autres sont défiscalisés, au gré d'arbitrages dont la logique n'est pas évidente et sans que nous ne soyons au préalable consultés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Au gré de vos contacts, avez-vous le sentiment que l'Etat aménageur, via la DGITM, intègre la biodiversité dans l'élaboration des projets ou, qu'à l'inverse, il découvre les enjeux au moment où les travaux menacent effectivement les zones humides ou naturelles ?

M. Bruno Gazeau . - La biodiversité n'est intégrée ni sur le moment ni en amont, dans la comparaison entre les modes. Notre exemple, qui portait sur le dilemme entre la construction d'une autoroute ou la modernisation d'une voie ferrée, montre que la comparaison n'a jamais été vraiment réalisée. La gestion par l'Etat des types de mobilité n'est ni débattue ni assumée. Les assemblées pourraient d'ailleurs s'emparer d'un tel sujet.

Mme Anne-Marie Ghémard . - Au niveau des transports, on a l'impression que les enjeux ne sont pas pris en compte. Au-delà des grandes déclarations comme le Grenelle de l'environnement ou la COP21, rien ne change, à l'exception de la voiture électrique qui n'a guère tenu ses promesses. On laisse la SNCF avec sa dette et aucune priorité n'est accordée aux modes non émissifs.

M. Bruno Gazeau . - De telles questions peuvent être évoquées par le Conseil national de la transition écologique (CNTE), mais la FNAUT n'y participe pas. L'approche de cet organisme est peut-être trop environnementale et manque de globalité. De ce point de vue, le lien entre le secrétariat d'Etat aux transports et son ministère de tutelle a du mal à concilier les deux approches.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Conciliez-vous votre approche avec celle des autres grandes associations  de protection de l'environnement, afin de pallier au manque de coordination que vous constatez entre les ministères ?

M. Bruno Gazeau . - Avec certaines oui, mais globalement trop peu. Nous sommes des bénévoles et nous ne disposons pas du temps suffisant pour une telle démarche. Nous avons certes des relations avec le Réseau action climat France (RAC) et France Nature Environnement (FNE) aux niveaux à la fois national et local puisque les concertations sont conduites sur les projets locaux. Quant à l'échange d'expressions sur les politiques publiques, on le fait, mais chacun garde un peu son pré carré.

Mme Anne-Marie Ghémard . - Nous sommes la seule association vraiment spécialisée dans les transports.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Justement. En tant qu'association spécialisée dans les transports avec un corpus d'analyses portant notamment sur l'intérêt des usagers et la compétition entre les modes de transport, intégrez-vous la question de la biodiversité dans votre évaluation des grands projets d'infrastructures ? Nous nous interrogeons ainsi sur les questions de transparence, de fragmentation des milieux et de la capacité de réaliser des compensations notamment sur des zones humides. Intégrez-vous de telles notions dans votre culture et conduisez-vous une approche systémique ?

Mme Anne-Marie Ghémard . - Je pense qu'une grande partie de nos associations sont sensibles à la biodiversité et à la préservation des milieux naturels. Notre spécialité reste les transports, mais nous ne nous limitons pas à ce secteur. Nous promouvons l'écomobilité en associant tous les modes et en prenant en compte toutes leurs conséquences sur l'urbanisation et l'environnement.

M. Bruno Gazeau . - Nous réfléchissons davantage en termes de mobilité que de transport. Notre position sur les grands projets diffère de celle des grandes organisations non gouvernementales (ONG) sur les grands projets. Notre approche conjugue des préoccupations écologiques avec l'utilité des transports. Nous sommes favorables au tunnel Lyon-Turin, en raison du transport des camions que ce projet induit, à la ligne TGV Sud-Ouest, mais défavorables à l'aéroport Notre-Dame-des-Landes ainsi qu'à la ligne TGV Poitiers-Limoges. Nous n'avons donc pas de position dogmatique sur les grands projets et les examinons au cas par cas. C'est là l'une de nos divergences avec FNE qui tend à leur être systématiquement hostile.

Mme Anne-Marie Ghémard . - Depuis quarante ans, la FNAUT a su capitaliser des expertises scientifiques, techniques et juridiques, et porter un regard sur les conséquences environnementales des infrastructures de transport. Les autres associations ne disposent pas d'une expertise comparable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pensez-vous, à l'aune de cette expertise sur la séquence de la construction des projets ainsi que sur l'utilité publique, qu'il faille réformer profondément les modalités du débat public sur les grands dossiers et y faire prévaloir tropisme sur la biodiversité, qui est au centre de notre commission d'enquête ?

Mme Anne-Marie Ghémard. - Oui

M. Bruno Gazeau . - Les études d'impact préalable devraient être développées. Les gares ex-urbanisées, qui sont au coeur de nos préoccupations, ne font pas l'objet d'études d'impact préalable, malgré les dégâts considérables que leur implantation entraîne inutilement.

Mme Anne-Marie Ghémard . - C'est l'un des points positifs de la LGV Tours-Bordeaux que de ne pas avoir de gares externalisées puisque les trains passent par raccordement dans les villes. Alors que la question se pose encore en Rhône-Alpes où j'habite : faut-il en effet une gare implantée dans la commune d'Allan, dans les champs de maïs, et située à dix kilomètres de Montélimar ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous des propositions sur l'amélioration des débats publics, des arbitrages et la meilleure intégration de la séquence ERC ? Vous pouvez également compléter ces propositions par écrit.

M. Bruno Gazeau . - La fiscalité plus écologique permet de prendre en compte les externalités, qu'elles soient liées aux pollutions, à l'accidentalité ou encore à la biodiversité, qui doivent être corrigées pour que les choses changent. On le constate en milieu urbain où l'évolution de la législation sur le stationnement va permettre d'obtenir une vision plus globale et intelligente de la mobilité, en faisant payer à son vrai prix la gestion du stock de véhicules dans les villes qui pose un problème majeur de pollution.

M. Jean-François Longeot, président . - Madame, Monsieur, je vous remercie des informations que vous nous avez données.

Audition de MM. Philippe Frin et Michel Mayol, membres du collectif « Naturalistes en lutte »
(mardi 7 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre Dame des Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau. Nos trois premières auditions de cet après-midi seront consacrées au projet spécifique de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes mais devront nous permettre d'appréhender, à travers ce cas particulier, les enjeux plus généraux de l'efficacité et surtout de l'effectivité du système de mesures compensatoires existant. Je le rappelle, notre travail est entièrement centré sur les mesures compensatoires. La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Nous entendons donc tout d'abord le collectif « Naturalistes en lutte », représenté par deux de ses membres : MM. Philippe Frin et Michel Mayol.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Frin et Michel Mayol prêtent successivement serment.

Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Philippe Frin, membre du collectif « Naturalistes en lutte ». - Je n'ai aucun lien avec les projets que vous avez cités.

M. Michel Mayol, membre du collectif « Naturalistes en lutte ». - Je n'ai aucun lien avec les projets que vous avez cités.

M. Jean-François Longeot, président . - Vous avez la parole.

M. Philippe Frin. - Notre collectif de citoyens « Naturalistes en lutte » existe depuis 2012 et rassemble des scientifiques, des amateurs ainsi que des professionnels de l'environnement. Depuis cette date, nous conduisons des expertises et des inventaires sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Nous nous sommes en effet penchés sur les problèmes de compensation à travers ce dossier. Nous allons donc répondre aux différentes questions que vous nous avez adressées dans le cadre de cette audition.

M. Michel Mayol. - Première série de questions : quel regard portez-vous sur la façon dont ont été mises en oeuvre les étapes éviter et réduire de la séquence ERC, pour le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?

La conception de projet doit inclure les données environnementales au même titre que les autres éléments, tant techniques que financiers, y compris au niveau des choix fondamentaux liés au projet. Éviter est la priorité et la compensation doit être appréciée en dernier lieu. Il s'agit ainsi de prendre en compte l'environnement le plus en amont possible, d'autant que l'absence de faisabilité de la compensation peut, dans certains cas, remettre en cause un projet. Ainsi, l'analyse historique du projet de Notre-Dame-des-Landes démontre que les sites alternatifs ont été des faux-semblants. Le projet date des années 1960 et dès les années 1970, les services techniques sont favorables à un site entre Vigneux et Notre-Dame-des-Landes. En 1974, le préfet signe un arrêté délimitant la zone d'aménagement différé (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes sur 1 200 hectares. Cette décision entraîne un gel des exploitations sur les terrains fortement argileux. Tout cela amène à penser que ce projet risque d'induire un impact aggravant sur l'environnement. Le bocage est quasiment intact et nous sommes sur des terrains oligotrophes, qui n'ont pas connu d'intrants et sur lesquels se sont développées des zones humides avec une biodiversité associée. À ceci s'ajoute la problématique des bassins versants. Conformément à la doctrine ERC, l'impact environnemental est fort. Le respect de la loi sur l'eau, conformément au schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), conduit logiquement à conclure à l'infaisabilité de mesures de compensation.

Par ailleurs, la possibilité du réaménagement de l'aéroport Nantes-Atlantique a été écartée sans qu'ait été conduite une étude au préalable. Or, celle-ci a, pendant très longtemps, été demandée par les opposants au projet. En avril 2016, un rapport d'expertise du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a conclu que l'agrandissement et la rénovation de l'aéroport Nantes-Atlantique fournissaient une réponse possible à la hausse du trafic aérien. A minima , même la réduction du projet à la construction d'une seule piste, pour diminuer les incidences sur les milieux naturels, n'a pas été retenue, bien que permettant une exploitation tout à fait satisfaisante du projet d'aéroport. En l'absence de prise en compte de cette première étape, la séquence nous paraît ainsi invalide.

M. Philippe Frin . - Deuxièmement : l'état initial était-il suffisamment exhaustif ? Dans quelle mesure et de quelle façon aurait-il pu être amélioré ? Un état initial dans une étude réglementaire ne vise pas l'exhaustivité, mais doit permettre de bien caractériser les milieux, les fonctions, ainsi que les différentes espèces d'intérêt patrimonial, dont les espèces protégées, présentes sur le site. Cet état initial doit être proportionnel au projet pour être de qualité. Depuis 2012, au gré des expertises et des inventaires que nous avons nous-mêmes conduits sur ce site, nous nous sommes aperçus que l'état initial présentait d'importantes lacunes. Il est en partie faux, comme l'a souligné le Conseil national protection de la nature (CNPN) ainsi que la commission des experts scientifiques qui a demandé deux années d'inventaire supplémentaires pour compléter cet état initial. De notre côté, nous avons également constaté une faible pression d'inventaire. Ainsi, pour cartographier les habitats naturels et les milieux, la prospection a été de 85 hectares par jour, ce qui paraît incompatible avec un travail sérieux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - D'où tirez-vous cette dernière information ?

M. Philippe Frin. - D'une étude de Biotope figurant dans l'étude d'impact et concernant l'inventaire de la végétation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cette étude Biotope précise-t-elle les moyens qui ont été alloués à cette fin ?

M. Philippe Frin. - Tout à fait. Les périodes d'inventaire n'ont pas permis de recenser toutes les espèces protégées, dont certaines plantes qui n'ont pas été visitées à la période automnale et qui n'ont pas été prises en compte dans le projet. Ces inventaires se sont concentrés sur des espèces connues, comme s'il n'y avait plus rien à découvrir sur le site où nous avons découvert de nombreuses espèces dont la présence était jusque-là ignorée. En outre, nous avons constaté l'absence de protocole d'estimation de la densité des populations locales, à l'exception de la grenouille agile. Faute d'une méthode satisfaisante, on ne peut estimer correctement la présence des espèces. Enfin, des erreurs d'interprétation de l'implantation des différentes végétations ont été constatées, ce qui a entraîné une sous-estimation des fonctions de ces différents milieux. Un grand nombre de prairies ont ainsi été classées comme mésophiles et considérées comme ne présentant qu'une faible dimension patrimoniale, alors que des inventaires ont démontré qu'elles étaient d'intérêt européen. À ce propos, les porteurs de projets ont conduit des inventaires complémentaires sur de petites parcelles dans ces prairies, suite notamment aux réserves des experts, qui les ont alors identifiés comme présentant un intérêt européen. Cependant, une telle découverte n'a induit aucune modification de la méthodologie et des modes de calcul compensatoire. Alors que le cabinet Biotope a identifié 24 types d'habitats naturels, dont 6 d'intérêt communautaire, les Naturalistes en lutte en ont, quant à eux, identifié 45, dont 11 d'intérêt communautaire. S'agissant des surfaces d'habitats remarquables qui peuvent présenter un intérêt européen, le cabinet Biotope a identifié 8,5 hectares de prairies oligotrophes, tandis que nous en avons identifié 37. Le calcul est assez flagrant et je pourrais également ajouter que nous avions identifié 6 plantes protégées contre 3 par Biotope. Je vais arrêter là les comparaisons, puisque je vous ai remis un document où figure notre inventaire.

S'agissant des pistes d'amélioration pour la réalisation des états initiaux, nous pensons qu'il faudrait définir des seuils minimums de pression d'inventaire. En effet, les seuils minimums étant exprimés en hectares par jour, une réflexion permettrait de cadrer une pression minimum par milieu. L'établissement de périodes d'inventaire permettrait également d'obtenir des comparaisons et d'éviter une course au moins-disant des bureaux d'études dans leur réponse aux cahiers des charges, en ayant un encadrement plus précis.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Sur ce point bien précis, le cabinet Biotope a conduit ses travaux sur une année complète.

M. Philippe Frin. - L'étude Biotope s'est en fait échelonnée sur plusieurs années, mais ses résultats cumulés représentent une année de suivi. Toutefois, le cabinet n'a pas conduit ses travaux en période automnale, durant laquelle certaines espèces protégées peuvent être observées.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Tout cela est-il écrit ?

M. Philippe Frin. - Oui. Nous vous remettrons ces informations à l'issue de notre audition et ces informations sont également publiées dans la revue Bretagne Vivante. Lorsqu'un bureau d'études répond à un marché, il fixe lui-même la pression d'inventaire à développer. Il conviendrait de s'inspirer de l'arrêté d'octobre 2009 en vigueur pour les zones humides pour cadrer la méthodologie et la délimitation. L'obligation de mise en oeuvre d'un protocole pour définir les effectifs des espèces protégées devrait être précisée, ainsi que la certification des personnels des bureaux d'études pour prévenir certaines erreurs d'interprétation de la végétation dans les relevés phyto-sociologiques qui ont pu être relevées par la commission des experts scientifiques. Il faudrait ainsi encourager la rédaction de cahiers des charges qui pourraient reprendre ces protocoles et améliorer la compréhension des états initiaux. Enfin, il faudrait permettre une contre-expertise indépendante afin de pallier la connaissance superficielle du milieu de certains services instructeurs. À ce propos, la commission d'expertise, qui a été constituée dans le cadre du projet de Notre-Dame-des-Landes, a apporté des éléments probants.

Troisième question : où en est l'action du maître d'ouvrage concernant les espèces protégées découvertes depuis la réalisation de cet état initial ? Nous n'avons pas la réponse. ? Nous avons identifié quatre nouvelles espèces protégées qui ne sont pas incluses dans les dossiers réglementaires et pour lesquelles, à notre connaissance, il n'y a pas eu de demandes de dérogation.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Cette démarche ne concerne que les plantes, puisque le campagnol a été identifié !

M. Philippe Frin. - Il s'agit bien de quatre nouvelles espèces protégées qui n'ont pas été prises en compte par le bureau d'études Biotope. Nous avons sollicité en ce sens la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le préfet, sans retour.

J'en viens à présent à la quatrième question : quelles ont été les difficultés engendrées par les méthodes de définition de compensation ? Le choix d'une méthode de compensation surfacique par le maître d'ouvrage aurait-il été envisageable et, le cas échéant, préférable ? La méthode de compensation a été conçue pour faire aboutir le projet. L'approche de surface, telle que définie dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et dans le SDAGE, aurait conduit à une approche surfacique de l'ordre de 200 % pour les zones humides. On est sur une emprise totale de l'ordre de 1 000 hectares, ce qui implique la restauration d'une zone humide de 2 000 hectares. Un tel chantier est considérable et implique de travailler sur la restauration de l'ensemble des fonctions de ces zones humides. Devant l'impossibilité de trouver une telle surface, une réflexion a été conduite pour définir une méthode permettant de contourner l'évitement qui aurait déjà dû être mis en oeuvre. Lorsqu'on ne peut compenser, on devrait renoncer à un projet trop impactant !

L'approche retenue a été invalidée scientifiquement par la commission des experts. Elle est mixte et expérimentale : à Notre-Dame-des-Landes, l'approche retenue est à la fois fonctionnelle et surfacique. On va hiérarchiser les milieux et déterminer des ratios qui permettront de définir des unités de compensation lesquelles donneront lieu à des mesures de compensation sur d'autres territoires. On va ainsi pouvoir échanger ! Cette méthode est magique puisqu'elle permet de tout compenser, y compris les milieux oligotrophes sans pour autant permettre la restauration des conditions nécessaires à l'habitat des espèces protégées. Ainsi, couper une peupleraie va permettre de gagner des unités de compensation, tout comme convertir une culture en prairie. Au final, restaurer un couvert en herbe sur une culture est certes intéressant, mais ne permettra pas l'implantation d'espèces présentant un intérêt patrimonial ! Cette méthode relève de la manipulation en transformant les surfaces en unités de compensation. Néanmoins, la destruction de 1 000 hectares présentant, conformément à la loi sur l'eau, une fonction hydraulique majeure représente quelque 500 unités de compensation. La méthode a manifestement servi à réduire le besoin compensatoire et à assurer une compensation qui n'aurait pas pu être atteinte sans un tel dispositif. Plus les méthodes tendent à hiérarchiser les milieux et à instaurer des coefficients, plus elles apparaissent incompréhensibles au grand public et incontrôlables sur le terrain, faute d'une mise en relation entre ce qui est détruit et ce qui est restauré. L'avantage premier est de diminuer les surfaces à compenser. En outre, différents points de cette méthode doivent être critiqués : d'une part, la non-prise en compte de certains groupes d'espèces par cette méthode de calcul d'impact résiduel global qui ne prend en compte que trois groupes d'espèces. Ainsi, les mammifères n'ont pas été pris en compte ! D'autre part, l'utilisation de ratios s'est avérée scientifiquement non fondée et malgré son invalidation par la commission scientifique, celle-ci n'a pas été modifiée ! Enfin, la taille des enveloppes de compensation doit être prise en compte. En effet, l'intérêt de Notre-Dame-des-Landes est de disposer d'un site étendu sur 1 600 hectares et situé en tête d'un bassin versant entre la Vilaine et la Loire sur un seul ensemble. Or, les mesures compensatoires vont s'égrener sur plus de 16 000 hectares, ce qui est tout bonnement incohérent ! Plus une zone humide est importante, plus les fonctions présentes vont s'y développer. Multiplier les petites actions sur 16 000 hectares ne va pas permettre de restaurer la capacité fonctionnelle de ce qui a été détruit. Enfin, je ne reviendrai pas sur le fait que les mesures compensatoires reposent sur la voie contractuelle et non sur l'acquisition de terrains.

M. Michel Mayol. - J'en viens à la cinquième question : les réserves et observations formulées en 2013 par la commission de dialogue et par le collège scientifique ont-elles été prises en compte par le maître d'ouvrage ? Si oui, de quelle façon ? Les experts du collège scientifique ont été nommés par le préfet et leur avis était requis par les commissaires-enquêteurs. Je faisais partie de la délégation représentant les Naturalistes en lutte et la fédération France Nature Environnement (FNE) qui a rencontré à Jussieu le collège des experts le 5 mars 2013. Nous avons été écoutés. Ces experts ont rendu un avis, en avril 2013, qui s'avère particulièrement critique sur plusieurs questions soulevées par la commission sénatoriale. Sur les douze réserves, quatre n'ont pas fait l'objet d'une réponse, fût-elle formelle. Sur six qui ont fait l'objet d'une réponse, trois peuvent seulement être considérées comme satisfaisantes. Trois sont sujettes à discussion, quant à leur validation scientifique. Deux réserves me semblent avoir été occultées.

M. Ronan Dantec, rapporteur - En fait, il y a dix réserves précises et deux plus générales. Disposez-vous d'un document qui reprend les réserves une par une ?

M. Michel Mayol. - La réserve n°2 souligne l'excessive complexité de la définition de la méthode compensatoire qui a limité la capacité du public à participer à l'élaboration de la décision publique. La réserve n° 3 porte sur le caractère injustifié de la valeur des coefficients d'équivalence. La réserve n°7 mentionne la non-prise en compte de l'importance des crues. Les crues, comme celles de 2013 à Blain et de l'Isac, n'ont manifestement pas été prises en compte. La réserve n°10 indique également une incertitude quant aux mesures de compensation. Où trouver les surfaces sur les terres agricoles, sachant qu'une mesure de compensation est mise en oeuvre dans l'espace rural ? Les experts demandaient deux ans d'étude supplémentaires pour comprendre le fonctionnement des zones humides. Il n'en a rien été et leur avis n'aura été considéré que parmi les autres avis, dont ceux des différents commissaires enquêteurs, émis à cette occasion. De tels avis ne faisaient ainsi que s'ajouter aux autres avis négatifs exprimés. Comme l'a montré le jugement du tribunal administratif, le raisonnement économique prévaut sur tous les autres motifs. D'évidence, les porteurs de projets et l'autorité administrative sont loin d'avoir levé l'ensemble des réserves du collège des experts. Entre avril et novembre 2013, l'État et l'AGO ont fait travailler plusieurs bureaux d'études pour compléter leurs connaissances sur les insuffisances soulevées par les experts. Ces nouvelles prescriptions et études ne fournissent qu'une réponse marginale par rapport à l'ampleur des griefs des experts.

J'en viens à la sixième question : quel regard portez-vous sur le rôle joué par l'État en tant qu'autorité environnementale sur ce projet ? Cette question est en effet complexe. Le préfet et la DREAL sont juges et parties, et les procédures sont sous la pression des politiques. Il a en effet été impossible aux associations de solliciter les pouvoirs publics pour faire constater que les porteurs de projet n'avaient pas inventorié l'ensemble des espèces protégées présentes sur le site. Les demandes des associations présentes sur le site sont restées lettre morte et aucun agent assermenté ne s'est rendu sur les lieux.

Comme je l'ai précédemment évoqué, l'excessive complexité de la méthode compensatoire a réduit la capacité du public à participer à l'élaboration de la décision. Dans la procédure, deux commissions sont associées : la commission locale de l'eau (CLE) et le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST). Ces avis doivent éclairer la décision de la préfecture. La complexité a été prise en compte lors de deux séances du bureau et de deux réunions plénières de la CLE, qui s'est prononcée favorablement avec un certain nombre de réserves. Lors de la séance du 10 juillet décisive pour l'avis, les trois collèges composant la CLE rassemblaient respectivement 26 des 50 représentants des collectivités territoriales, 14 des 25 usagers et des associations, et 16 des 19 représentants de l'État et de ses établissements publics. Cependant, lors de ses autres séances plénières, la participation de l'État était beaucoup plus faible. Concernant le passage en CODERST, un pré-CODERST, en date du 12 novembre 2013, a pris en compte la complexité du projet. Les documents papier ont été distribués par courrier à ses différents membres et les annexes mentionnées dans le rapport de présentation et les références citées ne correspondaient pas à celles de l'arrêté territorial. L'un des membres du CODERST a souligné qu'il fallait beaucoup trop de temps pour obtenir les informations requises en téléchargeant les documents via le site territorial.fr. Pour preuve, un agent de la préfecture a mis quarante minutes pour le faire ! Le compte-rendu mentionne ce point qui illustre la complexité de la démarche.

M. Philippe Frin. - Nous vous adresserons une réponse écrite aux questions auxquelles nous n'aurons pas le temps de répondre durant cette audition. J'en viendrai donc à votre neuvième et dernière question : vous semble-t-il aujourd'hui possible de parvenir à un consensus sur la définition, la mise en oeuvre, le suivi et le contrôle des mesures de compensation ? Quels sont les principaux points de blocage ? Comment pourraient-ils être surmontés ? Au regard des manquements de ce dossier, qui ne respecte en rien la démarche ERC, il est évident qu'il faut abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Au-delà, la démarche ERC nous semble devoir être améliorée. D'une part, il conviendrait de mieux encadrer l'évitement en définissant des écosystèmes complexes pour lesquels nous ne sommes pas en mesure d'établir des scénarii potentiels de réhabilitation. Au niveau scientifique, il est manifeste que certains milieux, comme les milieux oligotrophes ou encore les tourbières, ne peuvent être restaurés et ainsi qu'il faut abandonner tout projet les impactant. Il serait intéressant qu'une commission scientifique établisse une liste de ces écosystèmes complexes.

Il faudrait, d'autre part, revoir l'appréciation d'intérêt général puisque la séquence sert souvent de caution pour faire passer un projet. Ce n'est pas parce que l'aménageur propose des mesures compensatoires que son projet doit être autorisé ! De telles mesures ne devraient donc pas être négociées lors de l'étape de la déclaration d'utilité publique, afin que l'analyse du bilan avantages-inconvénients ne soit pas faussée. Il faut rappeler que ces discussions et ces négociations se tiennent entre les services instructeurs et les porteurs d'un projet ; ces mesures compensatoires devenant alors des composantes de l'appréciation de l'intérêt général bien qu'elles ne font pas partie, à proprement parler, du projet mais qu'elles influent sur la décision de délivrer une autorisation. Il faut également reconsidérer la notion d'utilité publique. En effet, pour les élus, tous les projets portés par un élu sont d'utilité publique et ainsi justifiés, depuis le plus petit lotissement jusqu'à un aéroport ! Le concept de reconstruire la ville sur la ville, pourtant fondamental en aménagement du territoire pour lutter contre les pertes de biodiversité et complètement ignoré. Ainsi, les zones d'activités continuent à grignoter le territoire sans qu'il n'y ait aucune réflexion en matière d'économie de l'espace ! Il convient aussi d'utiliser des métriques simples dans les méthodes de compensation afin de favoriser le suivi et l'analyse ; le projet de Notre-Dame-des-Landes constitue, à cet égard, une caricature puisqu'il est impossible de mettre un lien entre ce qui est détruit et ce qui est proposé à la compensation. Pour assurer plus d'objectivité, des mesures de suivi devraient être réalisées par des structures indépendantes, sans lien avec le projet. En effet, les bureaux en charge du suivi sont payés, la plupart du temps, par les aménageurs et les porteurs de projets.

Pour conclure, les mesures compensatoires doivent répondre aux impacts résiduels. Si la démarche ERC a bien été appliquée, la compensation ne devrait concerner que de petites surfaces et comprendre des mesures réduites. Nous pensons qu'il est impossible de mettre en oeuvre une politique de reconquête de la biodiversité, car la compensation vise à neutraliser une perte, mais ne permettra jamais d'obtenir un gain. Nous proposons de changer notre modèle de réflexion. On s'organise pour pouvoir détruire en élaborant de véritables usines à gaz à travers ces mesures compensatoires. Dans ce contexte, la compensation se construit de manière incohérente par rapport à l'objectif de reconquête de la biodiversité. D'après les études scientifiques, le risque d'échec pour ces mesures compensatoires demeure très important et elles parviennent, au mieux, à compenser à hauteur de 75 % les zones détruites. Il nous faut nous organiser pour privilégier l'évitement et la réduction et les éventuelles mesures compensatoires doivent s'inscrire dans des scenarii de réhabilitation scientifiquement fondés, en allant chercher des gains sur des territoires fortement dégradés dans les territoires impactés.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Nous n'intervenons pas, dans le cadre de cette commission d'enquête, sur l'opportunité du projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Vous l'avez bien compris. Imaginons qu'il n'y ait pas de contrainte économique et que l'on se place dans un intérêt public majeur absolu, quelles seraient, selon vous, les mesures compensatoires à la hauteur des pertes, quitte à aller chercher d'autres têtes de bassin ?

M. Philippe Frin. - Les milieux concernés par le projet d'aéroport sont oligotrophes et ne peuvent être compensés. Il y a donc une perte nette de biodiversité. Sur un autre site, présentant des zones humides eutrophes, il aurait été possible de développer des scenarii de restauration supprimant des drainages pour restaurer la fonction hydraulique. Le site de Notre-Dame-des-Landes est vraiment exceptionnel, puisque même les talus y sont oligotrophes - l'oligotrophie étant la pauvreté du sol en nutriments accessibles aux plantes - et n'ont quasiment pas connu d'intrants provoquant la phosphorisation des sols. De tels milieux s'avèrent de plus en plus rares en France puisque la plupart des terres agricoles sont soumis à des intrants. En outre, les bassins versants sont extrêmement importants pour la régulation hydraulique. La méthode expérimentale a été développée pour répondre au problème surfacique et fonctionnel posé par ce milieu. On a ainsi élaboré des unités de compensation lesquelles, en soi, ne correspondent à rien.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Accorder des moyens considérables pour la restauration des têtes de bassin situées plus loin, en supprimant par exemple des drainages et en mettant en oeuvre une gestion agronomique visant à l'appauvrissement progressif des terres, vous paraît-il une démarche impossible ?

M. Philippe Frin. - On ne sait pas arrêter le cycle de phosphorisation des sols une fois celui-ci amorcé. Il n'y a donc pas d'éventuel scénario en ce sens pour les milieux oligotrophes.

M. Michel Mayol. - D'après le SDAGE et les SAGE, on est tenu à la reconquête de la qualité de l'eau. Un bassin versant ne saurait être sacrifié au profit d'un autre bassin versant !

M. Ronan Dantec, rapporteur - Avez-vous le sentiment que l'aménagement du site, avec ses pistes, ses parkings et ses bâtiments, a pris en compte les prairies oligotrophes ?

M. Philippe Frin. - Pas du tout, puisque l'état initial n'est pas de qualité. En effet, alors que le cabinet Biotope avait identifié 8,5 hectares de prairies oligotrophes, nous en avons identifié 36 ! La piste nord passe à travers le plus gros ensemble de prairies oligotrophes sur le site, qui étaient qualifiées de prairies mésohydrophiles sur le projet initial. Aucune recherche d'évitement n'a ainsi été conduite, puisque le porteur du projet ne disposait pas de cette information. Si l'état initial est lacunaire, le projet ne saurait être pertinent. Vu l'étalement des parkings, il va falloir drainer et modifier fortement les prairies ! Manifestement, le caractère vert de cet aéroport ne supporte pas la confrontation avec le terrain !

M. Roland Courteau . - J'imagine que le mécanisme de compensation ne prend pas en compte la capacité des sols à stocker le carbone. Chacun sait que le stockage de carbone varie en fonction des sols et de leur usage. Qu'en est-il réellement ?

M. Michel Mayol. - Les sols, sur un territoire tel que Notre-Dame-des-Landes, sont suffisamment riches en humus pour fixer le carbone d'une façon durable, puisque le taux de minéralisation de l'humus est relativement faible. Dans l'agriculture conventionnelle, les sols ont perdu leur faculté de fixer le carbone ; l'affaiblissement du taux d'humus entraînant une hausse de la minéralisation des sols et ne favorisant pas la microfaune du sol. Ainsi, on revient de plus en plus à une gestion du sol destinée à mieux assurer la fixation du carbone.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Avez-vous le sentiment que le traitement des autres projets sur ce territoire est identique ou qu'on met en place des mesures compensatoires plus ambitieuses ?

M. Michel Mayol. - Je suis membre de la CLE et du bureau du SAGE. Nous pensons que les mesures compensatoires sont excessives pour les petites surfaces, mais nous ne disposons pas d'une base de données tenue par l'État qui assurerait la traçabilité des mesures. Les membres de la CLE n'ont pas les moyens de s'assurer qu'une même mesure compensatoire n'est pas utilisée pour plusieurs projets. En matière de gouvernance, il va falloir trouver des solutions.

M. Philippe Frin. - Je rappellerai que notre collectif rassemble des citoyens bénévoles qui ne disposent pas des moyens nécessaires au suivi de la totalité des projets. J'ai travaillé pendant quinze ans dans un bureau d'études, comme d'autres membres de notre collectif, avant de devenir indépendant. Manifestement, les mesures compensatoires entraînent souvent un risque de dégradation des milieux dans lesquels elles sont mises en oeuvre. Ainsi, des petits projets peuvent induire des mesures compensatoires reposant sur des connaissances lacunaires et un manque d'expertise des bureaux d'études, comme la connexion de mares à un ruisseau pour assurer la circulation des amphibiens. Une mesure aussi absurde entraîne l'arrivée de poissons prédateurs et induit des conséquences contraires à l'objectif initialement fixé. Par ailleurs, certaines mesures compensatoires visent à rendre plus humides les prairies afin de les restaurer. Plutôt que de recourir à des prairies déjà drainées, on va ainsi essayer de monter des projets quelque peu bancals, comme le creusement de fossés aux effets eux aussi contre-productifs. Il faut développer un droit de regard et de suivi de ces expériences. Nous sommes dans un monde fini et nous détruisons des éléments particulièrement intéressants tout en proposant des mesures compensatoires expérimentales. Or, l'expérimentation ne garantit nullement un résultat. Certaines mesures compensatoires ne devraient pas être acceptées tant que l'expérimentation n'a pas fourni ses preuves ! Bien souvent, les mesures vont concerner des sites publics plus faciles d'accès pour faire de la compensation, mais qui présentent déjà des fonctions intéressantes au niveau hydraulique ou biologique. Au mieux, le résultat sera superficiel, et on aura pris le risque de causer des dégradations du fait des travaux conduits.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Que pensez-vous de la proposition de la création d'un comité de suivi évoquée dans la septième question ?

M. Philippe Frin. - Pour assurer un suivi, il faut disposer d'un état de référence fiable. Or, l'état de référence de Notre-Dame-des-Landes est en partie faux, ce qui rend illusoire l'organisation d'une telle gouvernance et d'un tel suivi. Pour preuve, dans l'ensemble de la zone prévue, au sein de la ZAD, au titre des mesures compensatoires, aucun grand triton n'avait été recensé. Or, nous en avons trouvé. Il s'agit juste d'un défaut d'état initial et la présence de cette espèce ne témoigne nullement des conséquences bénéfiques de la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Il faut en outre savoir que la zone de compensation interne présente la même valeur que ce qui a été détruit, puisqu'on ne peut prétendre faire oeuvre de compensation dans un milieu aussi riche.

M. Ronan Dantec, rapporteur - Selon vous, la densification des zones humides n'induit pas un gain de diversité ?

M. Philippe Frin. - On va certes pouvoir favoriser une population donnée, en lui permettant d'accroître sa reproduction. Une telle démarche n'est nullement exponentielle, puisque la nature recherche un équilibre. On va ainsi accueillir une faune déjà présente et amorcer une mise en concurrence qui va aboutir à un nouvel équilibre. Or, ce nouvel équilibre va se constituer à partir d'un équilibre précédent et risque ainsi de déstabiliser les populations. Nous préconisons de ne pas mettre en oeuvre de mesures compensatoires sur un milieu déjà riche. La présence d'une espèce protégée s'explique par l'existence d'un milieu biologique qui a mis du temps à se constituer. Aussi, on risque, avec les travaux, de déstabiliser cet équilibre. Certaines mares compensatoires ont déjà été créées à cinq mètres d'autres mares qui accueillaient de grands tritons. Rien ne dit qu'il ne s'agit pas de la même population qui a colonisé ces nouvelles zones ! Si l'on veut obtenir des gains mesurables, il faut mettre en oeuvre les mesures compensatoires dans des milieux dégradés, afin de prévenir les combats d'experts. Ce n'est manifestement pas le cas sur le site de Notre-Dame-des-Landes.

Enfin, nous n'appartenons pas au comité de suivi et n'y avons pas été invités !

M. Ronan Dantec, rapporteur - D'ailleurs, les grandes associations régionales de protection régionale n'ont pas été invitées à ce comité de suivi !

M. Philippe Frin. - A ce stade du dossier et faute d'un état de référence pertinent, il me paraît difficile de conduire un réel suivi. Celui-ci ne saurait consister en un blanc-seing pour les autorités ! Les associations ne vont pas cautionner ce système qui ne permet pas de répondre aux réelles problématiques de cet espace !

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie, Messieurs, de vos explications.

Audition de MM. Dominique Boschet, Guillaume Dalmard et André Taméza, membres de l'association « Des ailes pour l'Ouest »
(mardi 7 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, notre après-midi de travaux consacrés plus spécifiquement au projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes se poursuit avec l'audition de représentants de l'association « Des ailes pour l'Ouest » : M. André Taméza, M. Guillaume Dalmard et M. Dominique Boschet.

Pour rappel, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête afin de tenter d'identifier, de manière générale, les difficultés portant sur la mise en oeuvre, le contrôle et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures ainsi que les difficultés actuelles d'application de la séquence « éviter, réduire, compenser ».

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et un compte rendu en sera publié.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. André Tameza, Guillaume Dalmard et Dominique Boschet, prêtent successivement serment.

Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête : l'autoroute A 65, la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. André Taméza, membre de l'association « Des ailes pour l'Ouest ». - Monsieur le président, au nom de mes collègues, je vous assure que nous n'avons pas de lien particulier avec ces projets.

M. Jean-François Longeot, président. - Très bien, je vous laisse la parole.

M. André Taméza. - Nous tenons tout d'abord à vous remercier d'avoir accepté d'entendre les associations citoyennes favorables au transfert de l'aéroport de Nantes sur le site qui lui est réservé à Notre-Dame-des-Landes. Permettez-nous avant tout de nous présenter.

Pour ma part, je représente le président de l'association « Des ailes pour l'Ouest », M. Alain Mustière, qui n'a pu se rendre disponible aujourd'hui.

M. Dominique Boschet, président de l'ACSAN, membre de l'association « Des ailes pour l'Ouest ». - Je suis quant à moi le président de l'ACSAN, l'association contre le survol de l'agglomération nantaise, membre de la commission consultative de l'environnement de l'aéroport de Nantes-Atlantique.

M. Guillaume Dalmard, membre de l'association « Des ailes pour l'Ouest ». - Je fais partie du comité de direction de l'association « Des ailes pour l'Ouest ».

M. André Taméza. - Nos associations, monsieur le président, ont participé et apporté leurs contributions à toutes les phases de ce dossier, qu'il s'agisse du débat public, de l'enquête publique, de la commission de dialogue. C'est d'ailleurs ce qui nous distingue des associations opposées au transfert de l'aéroport de Nantes que vous avez reçues, puisqu'elles ont toujours refusé le dialogue avec les représentants de l'État, et ce à chaque fois que cela leur était proposé.

Nous avons pris une part active au référendum tenu en juin 2016, dont les résultats sont sans appel puisque le « oui » l'a emporté à plus de 55 %, soit une forte majorité. La population de Loire-Atlantique s'est ainsi largement exprimée, le taux de participation, supérieur à 51 %, étant plus important que celui constaté lors des élections départementales ou régionales.

Nous interviendrons à plusieurs voix, autour des trois axes que vous avez évoqués : éviter, réduire, et compenser (ERC).

Mais avant toute chose, comme nous avons regardé avec attention l'ensemble des auditions précédentes, nous aimerions vous faire part, en introduction, de quelques éléments de contexte.

Le transfert de l'aéroport s'inscrit dans une approche globale concertée d'organisation de notre territoire. Il s'agit de déplacer une activité rejointe par l'urbanisation, pour des raisons tenant tant à l'environnement qu'à la sécurité, sur un site réservé qui permettra son développement.

L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes devrait aujourd'hui être en service. Naturellement, en vingt ans, la réglementation est devenue progressivement plus contraignante, et les maîtres d'ouvrage ont dû s'adapter à ces évolutions. Ils l'ont fait avec succès car les différentes décisions des juridictions administratives ont toujours confirmé que le dossier avait respecté scrupuleusement la législation applicable, et ce à chaque étape.

L'opération de transfert de l'aéroport est assez classique au demeurant. Elle est comparable à celle ayant conduit au transfert de l'aéroport de Lyon, de Bron à Satolas - Saint-Exupéry aujourd'hui. Mais à Nantes, le transfert a été pris en otage par des mouvements radicaux qui ont mené une guérilla juridique dans le but de retarder l'engagement des travaux. Leur objectif est de rendre caduques les expropriations et la déclaration d'utilité publique (DUP). À ce jour, 178 recours ont été rejetés par la justice, ce qui constitue certainement un record pour ce type de dossier. Rien ne s'oppose donc aujourd'hui à l'engagement des travaux, qui auraient pu débuter dès la validation des arrêtés préfectoraux dits « loi sur l'eau » et « espèces protégées ». Je précise à ce stade que la cour administrative d'appel de Nantes a bien rejeté les recours et validé les arrêtés, contrairement à ce qui a été dit lors d'une précédente audition.

Demain, la justice sera peut-être saisie sur la validité des expropriations, ou de la DUP ! Nous pensons pour notre part que le juge serait tout à fait fondé à repousser les échéances au motif que les travaux n'ont pu commencer du fait d'une « insurrection civile ». Ce sont bien les mots qu'il convient d'employer car, si les travaux ne débutent pas, c'est en raison de l'impossibilité d'accéder au site du fait de cette insurrection civile.

M. Jean-François Longeot, président. - Pourriez-vous en venir directement aux questions que nous vous avons adressées en amont de cette audition ? Notre commission n'a pas pour but d'étudier la jurisprudence.

M. André Taméza. - Tout à fait, monsieur le président. Pour conclure cette introduction qui se borne à rappeler le contexte, je dirai que le transfert de l'aéroport vers le site de Notre-Dame-des-Landes est nécessaire, utile et inéluctable. Il ne s'agit plus d'un projet mais d'une opération en cours, dont la réalisation a été suspendue du fait de l'occupation illégale du site.

J'en viens à présent au coeur de notre exposé, selon les trois axes évoqués.

Le premier principe, « éviter », implique de se poser deux questions. Le transfert de l'aéroport actuel est-il nécessaire ? Le choix du site de Notre-Dame-des-Landes est-il pertinent ?

S'agissant de la première question, il ne serait plus possible, aujourd'hui, d'implanter un aéroport sur le site actuel. Il n'est donc pas envisageable de réaménager de manière durable, compte tenu des évolutions que nous connaissons, le site existant pour les raisons essentielles suivantes.

Première raison, la croissance soutenue du trafic, qui atteindra cinq millions de passagers dès 2017. La DUP, dans son hypothèse la plus haute, prévoyait ce niveau de trafic dans huit ans, en 2025.

Deuxième raison, le site actuel est exigu, enclavé dans l'urbanisation, implanté dans un écrin environnemental protégé par les règles européennes les plus contraignantes en matière environnementale : Natura 2000, Ramsar, etc. Tous travaux dans cet espace seraient donc extrêmement difficiles, voire impossibles.

Troisième raison, la piste est proche de l'agglomération nantaise, à moins de quatre kilomètres du centre historique de Nantes et dans l'axe du coeur historique. Je vous invite à consulter la photo en première page du document que nous vous avons remis.

Quatrième raison, l'arrêt définitif du transfert impliquerait la suppression des dérogations obtenues dans la perspective de ce dernier. En effet, l'aéroport bénéficie aujourd'hui de trois dérogations exceptionnelles aux normes internationales en matière d'aviation civile. Ces dérogations avaient été obtenues en raison de l'existence d'un projet de transfert de l'aéroport sur un autre site. Sans entrer dans les détails, il faudrait par exemple réaligner l'approche des avions sur la piste. En effet, la trajectoire d'atterrissage par le nord est actuellement décalée de treize degrés par rapport à la piste, et ce depuis le dépôt par les habitants de la zone, à la fin des années 1990, d'une plainte à l'encontre du bruit généré par des avions volant trop bas et de manière trop fréquente. Il a donc été décidé d'alléger la pression sur le centre-ville, en décalant l'approche « nord-sud » de treize degrés, du centre de la ville vers l'océan. En cas d'arrêt du projet de transfert de l'aéroport, cette dérogation deviendrait caduque et il faudrait réaligner les trajectoires sur la piste, conduisant les avions à survoler des populations aujourd'hui préservées.

M. Jean-François Longeot, président. - En vue de l'élaboration de notre rapport, nous aimerions que vous abordiez plus directement la question des compensations.

M. André Taméza. - J'y arrive, monsieur le président. Mais il me paraît important de souligner quelques points réglementaires qu'il conviendrait de respecter en cas d'arrêt du transfert. Il faudrait donc mettre en place un ILS ( Instrument Landing System ) et survoler de nouveau la ville. Le nombre de nantais exposés aux nuisances passerait donc de 42 000 personnes à 60 000, puis 80 000 à plus long terme. N'oublions pas que toutes ces personnes devraient être consultées dans le cadre d'une enquête publique, et refuseraient sans doute une telle extension.

Cinquième raison, l'obligation de reconstruction de la piste. Comme vous pouvez le voir sur la photo que j'évoquais à l'instant, la piste est bombée, et ne respecte pas les normes de planéité. Il faudrait donc reconstruire la piste et ainsi fermer l'aéroport durant plusieurs mois.

Enfin, sixième raison, il serait nécessaire d'allonger la piste vers le lac de Grand-Lieu. Comme vous pouvez également le voir sur le document que nous vous avons remis, la commune de Saint-Aignan-Grandlieu se situe entre la piste et le lac, à 1 400 mètres de la piste, empêchant presque tout allongement.

Voilà, monsieur le président, les éléments qu'il nous paraissait essentiel de rappeler pour la compréhension de ce dossier.

M. Dominique Boschet. - Si nous avons souhaité aborder ce premier point, « éviter », c'est, d'une part, parce que la question s'est posée au cours des auditions précédentes, et, d'autre part, car dans le triptyque ERC, on ne pense à compenser que lorsque l'on n'a pas pu éviter ni réduire.

La question est aussi celle du choix du site de Notre-Dame-des-Landes. D'autres options étaient-elles possibles ? Pour rappel, ce choix a été fait après une analyse de dix-huit sites pré-identifiés, puis dans un second temps de neuf sites. C'est à l'issue d'une étude approfondie, fondée sur plusieurs critères, que le site de Notre-Dame-des-Landes a été retenu. La densité de population est très faible, la terre agricole peu riche - il s'agit de landes -, et le site bénéficie d'une situation géographique idéale, entre les deux grandes agglomérations de l'Ouest - Nantes et Rennes - et au coeur de sa zone de chalandise, le grand Ouest. Enfin, le site est proche de Nantes, dont l'aéroport est transféré, et peut compter sur une desserte routière proche.

La question est aussi celle du caractère raisonnable d'un tel projet d'un point de vue environnemental, j'en ai bien conscience. Rappelons que 25 % du territoire de la métropole de Nantes relève d'une désignation en zone Natura 2000 ou en site classé. Il n'est évidemment pas question d'envisager l'implantation d'un nouvel aéroport sur ces territoires ! D'ailleurs, la direction de l'environnement de la Commission européenne soulignait devant la commission des pétitions, le 17 septembre 2013, que « Notre-Dame-des-Landes n'est pas dans une zone faisant l'objet de protections de l'Union européenne et n'a pas de raison de l'être » . De plus, la majorité des autres espaces naturels de la métropole relève de la réglementation applicable aux zones humides, car ils se trouvent dans un estuaire, du fait de la définition pédologique de telles zones.

Le site de Notre-Dame-des-Landes n'est de ce point de vue pas différent de tous les autres sites examinés lors des études initiales. Je rappelle d'ailleurs que dans le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), il est indiqué à la page 37 que « dans l'hypothèse de la construction d'un aéroport sur un nouvel emplacement, le site de Notre-Dame-des-Landes paraît encore aujourd'hui, indépendamment des avantages que constituent la maîtrise foncière partielle et la limitation de la périurbanisation, le meilleur site envisageable avec des difficultés à ne pas méconnaître. »

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous avez tout à fait raison d'évoquer les autres sites étudiés pour la construction de cet aéroport. Au terme de l'audition précédente, il apparaît que c'est la présence de prairies humides oligotrophes qui constitue l'enjeu principal de biodiversité. Est-ce que l'on trouve ce type de prairie sur les autres sites ?

M. André Taméza. - Pour l'essentiel, les autres sites étaient situés en Loire-Atlantique, en Maine-et-Loire, en Vendée ou en Ille-et-Vilaine. Comme Dominique Boschet l'a rappelé tout à l'heure, l'estuaire de la Loire bénéficie d'une protection maximum de l'Union européenne mais, en dehors de cet espace, les sols sont de caractère extrêmement semblable. Ainsi de Guémené-Penfao, à quelques kilomètres de Notre-Dame-des-Landes, qui présentait des résultats assez proches de ceux du site retenu à la lecture de la grille multicritères. En revanche, d'autres sites comme Broons, Pannecé ou encore Pouancé, présentaient des résultats bien différents.

Or, bien entendu, les études se fondaient notamment sur les caractéristiques des sols, car on ne peut faire construire un aéroport n'importe où !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Certes, mais permettez-moi d'être plus précis encore. Nous avons appris de l'audition précédente que la Loire-Atlantique abritait peu de prairies oligotrophes. Le site même de Notre-Dame-des-Landes en compte peu. Puisque vous avez étudié les caractéristiques des autres sites, êtes-vous en mesure de nous indiquer s'ils présentaient ce type de sols ?

M. André Taméza. - L'ensemble des sites présentaient des caractéristiques identiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Mais il n'y a que 32 hectares de prairies oligotrophes sur le site de Notre-Dame-des-Landes.

M. André Taméza. - Quand la réalisation d'un projet est bloquée pendant des années, ce n'est pas sans conséquence, je tiens à insister sur ce point. À la fin des années 1990, les critères d'analyse étaient différents d'aujourd'hui. Dominique Boschet a rappelé que la décision avait été prise au regard de critères économiques, démographiques, géographiques, et d'une analyse de la qualité des sols. Aujourd'hui, c'est indéniable, la sensibilité environnementale comme la réglementation en la matière ont évolué. Il est donc probable que si les études étaient réalisées aujourd'hui, elles intégreraient d'autres éléments.

Néanmoins, s'il y a bien un critère qui demeure, c'est la nécessité de faire de ce transfert une réussite sur le plan économique. Il ne fallait donc pas déplacer l'aéroport sur un site trop éloigné de ce qui constituait son trafic mère, qui se situe à Nantes. C'est la raison pour laquelle les choses ont été faites ainsi. La situation était différente, et je me souviens même qu'à cette époque, votre prédécesseur à la mairie de Nantes, M. Jean-Claude Demaure, avait fait procéder à l'installation de capteurs de bruit alors même que le nombre d'avions était trois fois moins important qu'aujourd'hui.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Croyez bien que je ne souhaite pas polémiquer, mais c'est précisément la nature des sols - que M. Boschet qualifie de pauvre - qui constitue une richesse en matière de biodiversité. Ces terres au faible rendement agricole sont les prairies oligotrophes que nous évoquions tout à l'heure. On comprend bien, comme le disait M. Taméza à l'instant, qu'à l'époque où les choix ont été faits, on a souhaité retenir des territoires à faible rendement agricole dont on ne s'aperçoit que maintenant de la valeur environnementale.

M. André Taméza. - Monsieur le rapporteur, il s'agit là de votre interprétation car, comme vous le savez, les caractéristiques actuelles de ces territoires découlent de la mise sous cloche du secteur, constitué en zone d'aménagement différé (ZAD) dans les années 1970. La présence de haies bocagères par exemple s'explique par le simple fait que le territoire a été protégé par la constitution de la ZAD et les atermoiements de l'ensemble des acteurs, dont le conseil général qui s'est interrogé sur la pertinence de poursuivre le projet.

M. Dominique Boschet. - Rappelons également que la procédure de transfert d'un tel équipement prévoit la mise en place de négociations avec l'ensemble des partenaires. Or, s'il convient de prévoir des mesures de compensations pour les zones naturelles, c'est aussi le cas pour les terres agricoles vouées à disparaître. En l'espèce, le principal partenaire est la chambre d'agriculture et il semblait à l'époque évident de ne pas décider de l'implantation d'un nouvel aéroport sur une terre riche, fortement utilisée par les agriculteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous disons donc exactement la même chose !

M. André Taméza. - J'étais persuadé que nous parviendrions à la même conclusion. En conclusion de ce premier chapitre consacré au principe «  éviter », le maintien de l'aéroport sur le site actuel maintiendrait selon nous les nuisances et les servitudes aériennes sur l'agglomération. Cela n'était pas envisageable dans les années 1990, et l'est encore moins aujourd'hui. Par ailleurs, le maintien de l'aéroport sur le site actuel contraindrait la densification urbaine, alors que l'agglomération nantaise, comme d'autres, a tendance à s'étaler. Près de 2 000 hectares peuvent ainsi être consommés annuellement par l'étalement urbain. C'est d'autant plus important que l'ensemble des collectivités cherchent à contenir l'étalement urbain, notamment pour préserver les espaces agricoles. Enfin, le maintien de l'aéroport serait incompatible avec les réglementations actuelles. Au risque de me répéter, le transfert de l'aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes est donc nécessaire et inéluctable.

M. Dominique Boschet. - J'en viens à présent au second principe : « réduire ». Avant de penser à compenser, il faut en effet essayer de limiter les atteintes au niveau du site. Je voudrais souligner que les partenaires de cette opération ont constamment eu la volonté d'intégrer cet équipement dans son environnement, de limiter les impacts et les emprises.

Cette préoccupation s'est traduite non seulement au niveau du site, mais plus largement de l'ensemble de la métropole. Il faut rappeler qu'il s'agit là d'un projet global. À titre d'exemple, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) contient un objectif de réduction de la consommation d'espaces verts et agricoles. De même, les élus ont intégré la diminution chaque année de 10 % de la consommation d'espaces naturels, et le classement en zone agricole pérenne de 72 000 hectares sur l'ensemble du SCoT. Le SCoT contient également des mesures relatives à la remise en exploitation de friches agricoles, ce qui nous semble important alors que plus de 500 hectares ont été remis à la disposition de l'agriculture.

Par ailleurs, le département a procédé à la création du plus grand périmètre de protection d'espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) de France, d'une surface de 17 300 hectares. Vous trouverez la carte de ce PEAN à la page 4 du document que nous vous avons remis. C'est bien pour protéger les espaces naturels et agricoles et éviter l'étalement urbain vers l'aéroport que ce PEAN a été établi.

Enfin, le transfert de l'aéroport aura pour conséquence de lever certaines interdictions prévues par le plan d'exposition au bruit (PEB) de l'agglomération nantaise, permettant de densifier des secteurs les moins habités de la ville de Nantes. À terme, il sera ainsi possible d'accueillir près de 15 000 habitants supplémentaires, selon les estimations fournies par Nantes métropole, à l'intérieur du périphérique et à proximité des transports publics. En d'autres termes, le transfert de l'aéroport permettra de lutter contre l'étalement urbain qui est, nous vous l'avons dit, l'une des principales causes de disparition de terres agricoles et naturelles dans nos campagnes, mais aussi l'une des principales causes d'émissions de gaz à effet de serre. Il y a bien là une préoccupation environnementale, qui s'est bien évidemment traduite sur le site à toutes les phases des opérations, des études préalables à la DUP aux études d'avant-projet. C'est aussi ce qui a conduit, comme vous le verrez à la page 4 du document précité, à prévoir que l'aéroport soit composé de deux pistes de part et d'autre de la plateforme de manière à diminuer au maximum l'impact en termes de terres utilisées pour sa réalisation.

Le rapport du CGEDD établi en 2016 envisageait de réduire l'emprise de la plateforme aéroportuaire en ne réalisant qu'une seule piste. Je me permets de rappeler, à ce sujet, que tous les élus du secteur avaient exigé, lors du débat public de 2003, qu'aucun bourg ou village de la zone ne soit survolé. Dans la mesure où les règles aéronautiques obligent les avions à s'aligner sur la piste quinze kilomètres avant l'atterrissage, la construction d'une seule piste aurait imposé de retenir un site offrant la possibilité d'un alignement de plus de trente kilomètres, sans village ni bourg. C'était impossible. C'est pourquoi il a été décidé de construire deux pistes avec des alignements différents, garantissant que les atterrissages des deux côtés de l'aéroport n'entraînent aucun survol de bourg ou de village. Vous pouvez consulter, dans le document que nous avons remis, le PEB de Notre-Dame-des-Landes, et vous verrez que les communes et les bourgs en noir ne sont pas impactés par ce schéma. La construction de deux pistes présente un double intérêt environnemental. D'une part, elles permettent d'éviter le survol de tout village ou hameau grâce à leur orientation, ce qui réduit considérablement le nombre de personnes impactées par le futur PEB. En effet, seules 900 personnes seront désormais exposées. D'autre part, elles permettent de diminuer les temps d'attente et de roulement des avions, ce qui réduit les consommations. Il y a donc également un intérêt économique à ce projet.

Enfin, j'en viens à la question de la desserte routière. Je vous invite à nouveau à regarder la carte qui se trouve à la page 3 du document. Cette desserte présente l'intérêt de pouvoir rejoindre la route nationale 137 qui relie Rennes à Nantes et la route nationale 165 qui lie Nantes à Vannes, permettant aussi d'éviter aux véhicules de passer par le périphérique nantais. L'État, maître d'ouvrage du barreau routier, a décidé après la DUP de positionner ce barreau au plus près de la limite de la plateforme aéroportuaire, ce qui a permis de réduire les emprises nécessaires de 400 hectares à 210 hectares, conformément d'ailleurs aux demandes formulées par les opposants devant cette commission d'enquête. Comme l'indique le plan en page 5 du même document, 225 hectares ont pu être conservés à l'état agricole ou naturel au sud du barreau routier, et demeurent directement accessibles aux utilisateurs de ces espaces. C'est pourquoi, à nos yeux, sur le volet réduction, cette opération a bien pris en compte l'objectif de diminution des emprises.

M. Jean-François Longeot, président. - Puisque vous l'avez évoqué, quel regard portez-vous sur le rôle de l'État en tant qu'autorité environnementale sur ce projet ?

M. Dominique Boschet. - L'État, à mon sens, a su associer les parties prenantes à toutes les étapes de la construction de cet aéroport, même si certaines associations n'ont pas toujours participé à la concertation.

M. André Taméza. - Monsieur le président, deux éléments me viennent à l'esprit pour illustrer les propos de Dominique Boschet.

D'abord s'agissant des deux pistes, dont vous avez aussi parlé la semaine dernière avec le concessionnaire. Aujourd'hui, l'avion qui part de Nantes à 11h35 vers Roissy effectue un vol de trente-cinq minutes puis, après l'atterrissage, se transforme en bus pour vingt minutes de roulage au sol avant d'atteindre la passerelle. À Notre-Dame-des-Landes, avec deux pistes, on évite ce type de roulage, on économise du kérosène et on réduit les émissions de gaz à effet de serre grâce à un accès direct à l'aérogare.

Ensuite, puisque le barreau routier fait toujours l'objet de préoccupations, je tiens à rappeler qu'à l'origine, il devait se situer au nord de la plateforme, entre Bouvron et Héric, et faisait plus de quinze kilomètres de long. Aujourd'hui, le barreau routier, qui se trouve au sud, ne fait qu'onze kilomètres de long. Quatre kilomètres de moins sur une bande de trois cents mètres, cela fait un certain nombre d'hectares économisés à mettre au crédit de la réduction !

Il est temps à présent d'aborder le dernier principe : « compenser ». Nous n'entrerons pas dans le débat sur les méthodes de compensation, qui ont été précisées par un courrier du ministre en charge de l'environnement en décembre 2011.

Le choix de la méthode fonctionnelle plutôt que surfacique est conforme à la recommandation du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne approuvé le 18 novembre 2009, du SDAGE de la Vilaine, approuvé le 1 er avril 2003 et du SDAGE de l'Estuaire de la Loire, approuvé le 9 septembre 2009. Il est difficile pour nous d'entrer dans le détail de ces dispositions. Nous ne sommes que les représentants d'associations citoyennes « de base » si j'ose dire. Vous avez évoqué ces questions avec les concessionnaires et le ferez sans doute de nouveau avec les représentants de l'État. Ils apporteront les réponses que nous ne pourrons pas vous donner.

Nous avons toutefois noté que l'instruction des dossiers dits « loi sur l'eau » ont bénéficié d'un avis favorable des commissions locales de l'eau (CLE), des SDAGE Vilaine et Estuaire de la Loire, et ont recueilli un avis favorable au terme d'une enquête publique en août 2012. Nous constatons également que le choix de la méthode fonctionnelle s'accorde avec le souhait de la chambre d'agriculture de limiter la perte de surface. La méthode fonctionnelle est plus contraignante, plus exigeante. Nous avons eu le sentiment que cette méthode est plus complexe puisqu'il ne s'agit pas seulement de remplacer une simple surface. Elle est plus contraignante, et certainement plus efficace sur un plan environnemental.

Malgré tout, plusieurs éléments peuvent être mis au crédit des mesures de compensation environnementale. Le financement de ces dernières a été évalué à 40 millions d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - 9 millions !

M. André Taméza. - ... naturellement, qu'il s'agisse des financements, de la mise en oeuvre des compensations et du pilotage, nous demandons que ce qui a été convenu soit respecté. Il y a pour cela un certain nombre de comités de suivi qui veilleront à ce que les engagements soient tenus.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Permettez-moi une question sur ce point. Nous avons bien compris que l'objet de vos associations n'était pas principalement l'aspect scientifique ou la biodiversité. Vous nous l'avez parfaitement expliqué. Actuellement, 9 millions d'euros sont prévus dans la DUP pour la compensation biodiversité. Les 40 millions que vous évoquez couvrent un champ beaucoup plus large. Comme nous l'a effectivement indiqué la société AGO, 9 millions d'euros sont inscrits pour les mesures compensatoires de biodiversité, et 300 000 euros pour le suivi des compensations agricoles.

L'étude d'autres projets - nous nous sommes par exemple rendus sur la plaine de la Crau hier - nous montre que selon les milieux concernés, il faut parfois compter 50 000 euros par hectare à compenser, voire 100 000 euros pour les zones humides. Je reconnais bien volontiers que le calcul est grossier mais, s'agissant de Notre-Dame-des-Landes, le montant des mesures compensatoires pourrait ainsi être, pour le volet environnemental, de 50 à 100 millions d'euros en investissement, et de 1 à 3 millions d'euros en fonctionnement annuel. En tant qu'acteur économique, et alors même que vous jugez ce transfert vital pour l'agglomération, pensez-vous qu'un tel investissement remettrait en cause l'équilibre économique du projet ?

M. André Taméza. - J'ai bien compris que cette question était au coeur de vos préoccupations puisque vous l'avez déjà exprimée lors de réunions précédentes. D'abord, je tiens à souligner que ce n'est pas parce que nous estimons que d'autres acteurs sont plus compétents que nous en la matière que nous ne nous intéressons pas à la préservation de l'environnement et à la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Comme vous le savez, les questions d'environnement, d'aménagement du territoire, de préservation des grands équilibres font partie de la culture de notre région.

S'agissant du coût des mesures compensatoires, il me semble que lorsque l'on parle de grands projets, il est compliqué de tout anticiper. Par exemple, lorsque l'on bâtit un réseau de tramway - vous avez-vous-même, monsieur le rapporteur, voté en faveur de l'extension des lignes du tramway de Nantes - il est facile d'estimer les coûts fixes, comme les rames, les poteaux voire les dallages, mais beaucoup plus compliqué d'évaluer le coût de la restructuration des réseaux ou de l'indemnisation des commerçants.

Concernant Notre-Dame-des-Landes, le budget prévu au terme de l'appel d'offres atteint 561 millions d'euros - en baisse de 20 millions d'euros par rapport au budget initial, ce qui témoigne de la performance de l'appel d'offres. Pour ce qui est des compensations, je suis d'avis de faire confiance - attention à l'effet boomerang - aux personnes chargées de procéder aux évaluations. Aujourd'hui, rien ne permet d'assurer que les évaluations dont nous disposons seront revues, et pourraient remettre en cause le projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ma question était légèrement différente...

M. André Taméza. - Ce n'est pas comparable, j'ai bien entendu.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - En l'espèce, on parle de 9 millions d'euros sur 561 millions d'euros de budget total. Pour d'autres projets, les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité représentent quasiment 10 % du budget. En appliquant ce ratio à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, on atteindrait donc un montant d'une cinquantaine de millions d'euros. Le calcul est grossier, je le reconnais.

Ma question est donc la suivante : en tant que spécialiste des questions économiques, et au vu du caractère vital de ce projet tel que vous l'avez expliqué, n'aurait-on pas dû élever le niveau d'investissement s'agissant de la protection de la biodiversité, et prévoir un budget de fonctionnement et d'accompagnement des mesures compensatoires bien plus important ? Il s'agit en effet d'un point qui nous apparaît assez faible, alors même que le site abrite des zones humides et des milieux rares en plus grande quantité qu'ailleurs.

M. André Taméza. -D'une certaine manière, vous souhaitez obtenir les résultats avant même la mise en oeuvre des mesures issues de la méthode fonctionnelle. Or, je ne crois pas qu'il faille inverser ainsi les choses. La méthode fonctionnelle permettra, si elle est engagée, d'obtenir des résultats qu'il conviendra d'analyser en temps et en heure. Laissons les choses se dérouler - le concessionnaire lui-même vous a indiqué qu'il y avait des fourchettes sur les surfaces - n'anticipons pas, ne comparons pas l'incomparable. Poursuivons la démarche validée par toutes les instances au terme de nombreux contrôles, conforme à la réglementation. C'est ainsi que les projets doivent être menés. J'ai participé à la réalisation de grands projets, y compris à l'étranger, et c'est la seule méthode qui fonctionne. À partir du moment où on définit un cadre et une méthode, et à partir du moment où il y a un management et une organisation, il faut laisser les choses se faire. Puis, en cours de projet et à son terme, évaluer la situation via des instances de concertations, affiner et décider.

M. André Trillard, sénateur. - Je connais la réalité du terrain, tout aussi bien que certains. C'est l'absence de remembrement qui a permis la constitution d'un territoire de biodiversité à Notre-Dame-des-Landes. C'est donc bien le projet qui, paradoxalement, est à l'origine des richesses de biodiversité. En quelque sorte, c'est le diable qui se mord la queue ! Or, aujourd'hui, la rédemption par l'argent n'est pas une bonne solution car ce n'est rien d'autre que de la compromission. L'argent est bien produit quelque part, prélevé à quelqu'un, et destiné à un autre, que l'on ne veut pas nommer.

Ce n'est pas la voie à suivre. Il convient au contraire de rétablir tout ce qui peut l'être en matière environnementale. Or, en matière scientifique, et j'ai autant qualité pour en parler que certains autres, l'obligatoire n'existe pas ; ce sont les moyens qui sont obligatoires ! Le résultat n'est pas obligatoirement bon, il peut ne pas être obligatoirement mauvais ; il peut même être très supérieur à ce que l'on avait imaginé. Je tiens à dire combien j'apprécie les propos de M. Taméza sur la méthode à suivre pour mener à bien des projets. Aujourd'hui, je ne suis pas en train de chercher les voies d'obstruction d'un projet. Je pense d'ailleurs que « Des ailes pour l'Ouest » poursuit la même démarche. Il s'agit simplement de s'assurer du respect de l'ensemble des enjeux. J'ai parfaitement compris les revendications de l'association « Des ailes pour l'Ouest », et je les partage. Il convient de laisser au gestionnaire désigné la possibilité de trouver les moyens de faire aboutir le projet.

Je tiens néanmoins à rappeler que le vrai problème tient au fait que l'on se trouve sur un territoire où le droit a été abandonné depuis un certain nombre d'années.

M. André Taméza. - Cet échange était tout à fait intéressant.

Pour revenir au volet « compensation » proprement dit, et en particulier des mesures de compensations sur le site, il convient de rappeler que si la concession aéroportuaire s'étend sur 1 240 hectares, le périmètre aménagé représente 537 hectares, comme cela vous l'a été confirmé, et les zones imperméabilisées 150 hectares. Le croquis présenté dans le document que nous vous avons remis présente la répartition des différents sites. Alors que l'on a entendu à de très nombreuses reprises que le projet prévoyait de bétonner 2 000 hectares, on ne parle en fait que d'une surface de 150 hectares. Ne pensons pas que tout le monde souhaite tout bétonner ! L'aéroport, ce n'est pas ça. Les matériaux sont de qualité, il répondra aux normes de haute qualité environnementale (HQE) et l'aérogare sera organisée à plat. Il me semble important de ne pas ouvrir de procès d'intention à l'encontre de qui que ce soit.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Comment aboutissez-vous à une surface de 150 hectares ? Même la société AGO nous a annoncé 800 hectares...

M. Dominique Boschet. - 850 hectares, c'est l'aérogare et les deux pistes.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La barreau routier est-il dans les 150 hectares ?

M. André Taméza. - Non, pas le barreau routier, sur lequel on a économisé près de cinq kilomètres, je le rappelle.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Qu'en est-il des parkings par exemple ? Sont-ils compris dans les 150 hectares ? Les parkings seront construits sur une zone qui devra nécessairement être drainée puisque l'on se trouve en zone humide. La question des parkings est importante, notamment pour les chambres de commerce et d'industrie. Pour quelles raisons, selon vous, l'État n'a-t-il pas imposé, comme cela se fait ailleurs en Europe autour d'aéroports, des parkings en silo ? Cela aurait certainement permis d'économiser une surface très conséquente.

M. Dominique Boschet. - Il me semble que le concessionnaire a répondu à cette question lors de son audition. Ils ont souhaité intégrer cet aéroport dans le paysage. C'est la raison pour laquelle ils ont décidé de procéder de cette manière, en réduisant le nombre de places de parking, à la suite de négociations menées dans le cadre de la commission de dialogue.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est le juge administratif qui a imposé la réduction du nombre de places !

M. André Taméza. - N'oublions pas qu'a été fait le pari de l'intégration de cet équipement dans son environnement. Je pense que les gens seront surpris quand l'aéroport sera réalisé. Il y aura beaucoup de « vert », de nombreuses haies bocagères, tandis que l'aérogare sera à plat ; il faudra vraiment arriver dessus pour le voir ! De plus, les toitures seront végétalisées. En fait, mon sentiment est que cet aéroport sera exemplaire, notamment compte tenu des contraintes en matière de biodiversité. Pour Nantes et notre région, il sera un atout.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Au cours de nos auditions, plusieurs intervenants ont préconisé que la question environnementale, et notamment les compensations des atteintes à la biodiversité, soit traitée en amont de l'enquête publique. Cela éviterait d'être confronté à cette question dans un second temps, et à ce que certains qualifient de guérilla juridique. Ne pensez-vous pas, avec le recul, qu'il y a eu là une erreur et que, pour des projets futurs, les choses devraient être faites en amont ?

M. Dominique Boschet. - Sur ce point, je serais tenté de me retourner vers les législateurs que vous êtes. Au fond, il s'agit de permettre à un maître d'ouvrage d'être en capacité de procéder à des analyses et d'effectuer des repères suffisamment précis en amont pour envisager des compensations environnementales à la hauteur de ce qui est nécessaire. De plus, comment gérer l'inscription dans le temps des projets ? Nous l'évoquions tout à l'heure, lorsque la procédure s'étend sur près d'une vingtaine d'années, les évolutions réglementaires, en matière environnementale notamment, obligent le maître d'ouvrage et le concessionnaire à s'adapter. Il faut prendre en compte cette réalité-là.

M. André Taméza. - En effet, les contraintes d'il y a vingt ans n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Pour un dossier de ce type, la réglementation sera à nouveau différente dans dix ans. Il est donc possible que ce que vous proposez soit une solution à l'avenir.

Pour en revenir aux mesures concrètes de compensation, une première opération a eu lieu avec la création de mares et l'implantation d'espèces protégées. Les travaux ont été réalisés mais immédiatement vandalisés par les opposants, ce qui a détruit la faune implantée. Depuis, toute tentative d'intervention d'entreprises ou de bureaux d'études pour le compte du maître d'ouvrage a été rendue impossible du fait d'une opposition basée sur la violence. C'est quand même la réalité de choses ! Vous trouverez dans le document que nous vous avons remis une des lettres d'une entreprise, mais il y en a d'autres ! Vous avez entendu parler de la société Biotope lors des réunions précédentes. Cette entreprise a subi des vols d'ordinateurs et de disques durs. C'est cette situation de guérilla qui explique qu'aujourd'hui, on ne peut pas aller dans le sens que vous évoquez ! Il s'agit quand même d'une situation de guérilla urbaine par moments !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pouvez-vous me confirmer que les inventaires ont été faits avant l'occupation sur le site ? D'après les chiffres dont nous disposons, cela représente près de 75 hectares par jour ?

M. André Taméza. - Oui. Un état initial est toujours réalisé, puis amélioré par d'autres études complémentaires. Vous avez signalé qu'il y avait un certain nombre d'autres espaces classés, notamment pour la faune. Mais, je le répète, il faut pouvoir se rendre sur le site ! Or, pour l'heure, c'est impossible. Tant que les conditions de sécurité ne sont pas réunies, que les bureaux d'études se font casser leurs locaux et voler les disques durs, anéantissant ainsi le travail effectué durant six mois, c'est impossible d'avancer. Il faut d'abord normaliser les choses, peut-être avec l'aide des parlementaires du département.

M. Dominique Boschet. - En guise de conclusion, nous tenons à rappeler que nos associations considèrent que l'opération de transfert en cours, qui a été bloquée par un acharnement juridique et des actions jugées illégales, répond aux trois principes évoqués : « éviter », puisqu'elle permet d'éviter des atteintes à une zone Natura 2000 - le lac de Grand-Lieu - et que le site de Notre-Dame-des-Landes a été jugé pertinent par le CGEDD. ; « réduire », par les optimisations étudiées en préparation de la DUP, par les modifications apportées à l'issue de la commission de dialogue et les nombreuses initiatives des collectivités territoriales, que j'indiquais tout à l'heure, pour insérer cette opération dans le contexte local ; enfin, « compenser », par une méthode qualitative et non quantitative, certes, validée par les SDAGE et diverses décisions de justice dans ce domaine. Nous estimons que cette méthode est bienvenue dans ce département, où la grande majorité des territoires se situent en zone humide.

Nous sommes évidemment très sensibles à la défense de la biodiversité et attentifs aux mesures prises à cet effet, mais il nous semble que d'autres critères de décision doivent être pris en compte pour une opération de ce type: les impacts sur la population, et je vous invite à lire à ce sujet un article de M. Alain Pagano, maître de conférence en écologie à l'Université Angers, mais aussi l'économie, l'urbanisme, l'aménagement du territoire, l'énergie, ... ce sont aussi des éléments à prendre en compte !

En revanche, le battage médiatique et la violence engendrée par ce simple transfert d'un aéroport nous surprend. Ce site est devenu le symbole d'une lutte contre notre société, alors que dans le même temps des opérations beaucoup plus « impactantes » pour l'environnement se déroulent sans problème majeur. On pense notamment aux LGV Le Mans-Rennes et Tours-Bordeaux.

Nous vous soumettons quelques interrogations au plan législatif :

- comment rendre compatibles, sur le plan législatif, la durée longue des études et des démarches pour réaliser de grandes infrastructures et le temps juridique ? À cause des blocages, nous allons bientôt être confrontés à la fin de la durée de la validité de la DUP et des jugements d'expropriation ;

- comment permettre l'accès en sécurité du maître d'ouvrage au site, afin de lui permettre de réaliser les analyses et les études environnementales nécessaires ? Actuellement ce n'est pas possible ;

- comment limiter les effets d'un acharnement juridique et d'un blocage d'opposants par la violence sur une opération ayant reçu toutes les autorisations administratives et juridiques ? Il y a quelques années, on parlait du principe « pollueur-payeur » ; nous avons envie d'utiliser le slogan suivant : « les casseurs et ceux qui les soutiennent doivent être les payeurs » !

M. André Trillard. - Je souhaiterais apporter une précision. Il vient d'être dit que l'aéroport actuel, Nantes-Atlantique, se trouvait en zone Natura 2000. Si ma mémoire est bonne, il se situe également dans une zone relevant de la loi « littoral ». En effet, la loi « littoral » traite du littoral français évidemment, mais aussi des estuaires et de tous les lacs d'une superficie de plus de mille hectares. Or, Grand-Lieu étant en hiver le plus grand lac de France, et le deuxième ou le troisième en été, il entre forcément dans le champ de la loi « littoral ».

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous avez parfaitement raison. C'est d'ailleurs ce qui explique que la surface d'urbanisation libérée par le transfert est réduite : les contraintes posées par les dispositions de la loi « littoral » perdureront !

M. Dominique Boschet. - Pardonnez-moi, mais, lorsque l'on parle de la zone d'urbanisation rendue possible par le transfert, on parle des zones situées à l'intérieur du périphérique, où la surface est importante.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Une centaine d'hectares d'après ce que nous avons compris.

MM. Dominique Boschet et André Taméza. - Non ! C'est le problème des chiffres Monsieur le rapporteur.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'attends donc des précisions par écrit sur les zones libérées pour l'urbanisation !

M. Gérard Bailly, sénateur. - Mon intervention sera brève car, étant élu du Jura, je ne connais pas du tout le secteur. Lorsque l'on parle de mesures de compensation, on évoque à juste titre la faune et la flore, mais on parle peu, à mon sens, de l'humain. Ma question est donc la suivante : la présence de l'aéroport à proximité de la ville de Nantes pose-t-elle des problèmes de nuisances sonores de jour ou de nuit ? Dans le Jura, les riverains de l'aéroport de Dole-Jura, anciennement Dole-Tavaux, sont très sensibles à cette question. Le transfert est-il positif pour les hommes de ce point de vue-là ?

M. Dominique Boschet. - Comme je vous l'indiquais, notre association est membre de la commission consultative de l'environnement de Nantes. À ce titre, nous étudions les dossiers des demandes d'isolation des maisons et, bien évidemment, nous ne sommes pas en mesure de répondre à la totalité des demandes. Il convient quand même de rappeler que le plan d'exposition au bruit concerne actuellement 42 000 personnes au niveau de l'agglomération nantaise. Or, si l'activité de l'aéroport de Nantes-Atlantique était maintenue, le nombre de personnes exposées passerait d'abord à 64 000, puis à 80 000 personnes ! En effet, les mesures évoquées tout à l'heure par André Taméza - le redressement de la trajectoire d'atterrissage par le nord - exposerait davantage le centre-ville de Nantes, beaucoup plus dense. Cela pose donc question en termes de nuisances sonores et environnementales, mais aussi en termes d'urbanisme puisque dans la zone C du PEB, on ne pourrait construire de logements collectifs...ce qui semble absurde.

M. Gérard Bailly, sénateur. - Et s'agissant du nouveau projet ?

M. André Taméza. - Le nouveau projet concerne 825 personnes, sans compter les zadistes qui seront probablement partis au moment de la mise en service de l'aéroport... Dans le dossier de DUP, il est ainsi indiqué que 42 000 personnes sont exposées aujourd'hui, contre plus de 60 000 demain. Le transfert de l'aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes aurait pour conséquences de n'exposer plus que 900, à la louche. De même, 8 447 élèves sont, du fait de leur scolarisation, exposés aux nuisances de l'aéroport actuel, alors qu'aucun établissement scolaire ne se trouve dans le secteur de Notre-Dame-des-Landes. Ces rapports de force répondent à vos questions.

M. Jean-François Longeot, président. - Messieurs, il me reste à vous remercier de votre venue devant nous.

Audition commune de M. Alain Bernier, président de la FNSEA 44, M. Christophe Sablé, secrétaire général de la chambre régionale d'agriculture des Pays de la Loire, M. Dominique Deniaud, président de la section locale de Loire-Atlantique de la Confédération paysanne, M. Cyril Bouligand et M. Daniel Durand, membres du collectif « Copain 44 »
(mardi 7 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité dans le cadre de grands projets d'infrastructures par une table ronde avec les représentants du monde agricole de Loire-Atlantique.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécifiques que nous menons sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête.

Certains d'entre nous se rendront d'ailleurs sur place le vendredi 17 février prochain.

Notre objectif est de décrypter, à travers un certain nombre d'exemples, les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures, et de proposer des solutions pour y remédier.

Je le rappelle, notre travail est entièrement centré sur les mesures compensatoires.

Nous entendons donc M. Alain Bernier, président de la FNSEA 44, M. Christophe Sablé, secrétaire général de la chambre régionale d'agriculture des Pays de la Loire, M. Dominique Deniaud, président de la section locale de Loire-Atlantique de la Confédération paysanne, M. Cyril Bouligand et M. Daniel Durand, membres du collectif « Copain 44 ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alain Bernier, Christophe Sablé, Dominique Deniaud, Cyril Bouligand et Daniel Durand prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Pouvez-vous nous indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : autoroute A65, LGV Tours-Bordeaux et réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

MM. Alain Bernier, Christophe Sablé, Dominique Deniaud, Cyril Bouligand et Daniel Durand déclarent successivement n'avoir aucun lien d'intérêts avec ces autres projets.

M. Jean-François Longeot, président . - Nous vous écoutons.

M. Alain Bernier, président de la FNSEA 44 . - La loi Grenelle, qui rend opposable la séquence éviter-réduire-compenser pour les atteintes à la biodiversité, est postérieure à la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet d'aéroport. Si elle s'était imposée à l'époque au maître d'ouvrage, la réalisation du projet aurait été impossible car il semble difficile d'éviter les impacts d'un tel projet sur le milieu.

L'évitement des impacts est une des composantes du triptyque que l'on peut soupçonner d'être trop rapidement esquivée. Tout le monde raisonne par le prisme des compensations, mais c'est accorder trop peu d'importance à l'évitement et à la réduction des impacts, qui doivent pourtant être primordiaux dans la réflexion entourant les projets. Preuve en est, la commission d'enquête qui se réunit aujourd'hui se penche seulement sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructure.

La position des exploitants et des propriétaires face à cette obligation réglementaire est loin d'être unanime. De la même manière que les avis sont partagés en ce qui concerne le projet d'aéroport en tant que tel, les partisans d'une large compensation des impacts sont au moins aussi nombreux que les opposants.

Pour l'heure, il est difficile d'estimer les impacts du projet d'aéroport, et plus encore les compensations qui en découleront. Faudra-t-il, par exemple, intégrer tous les projets connexes qui ne manqueront pas de s'y greffer ?

Quels que soient l'envergure d'un projet et ses impacts sur l'économie agricole et sur l'environnement, les porteurs du projet doivent mettre en oeuvre une concertation aboutie en amont du processus. La FNSEA 44 plaide pour que la profession agricole soit systématiquement associée et consultée en amont.

La chambre d'agriculture fait l'interface entre les protagonistes du projet d'aéroport du Grand Ouest, au travers d'un comité professionnel ad hoc . À ce titre, la séquence éviter-réduire-compenser a déjà fait l'objet de discussions dans le passé. Nous avions pu, par exemple, pointer l'opacité de la méthode de calcul de la dette environnementale. Début 2013, nous avions d'ailleurs regretté, auprès de la mission agricole et auprès de la commission du dialogue mises en place par le gouvernement, d'avoir été mis devant le fait accompli. Cette étape est pourtant cruciale puisqu'elle détermine la suite du processus.

Il est impératif que la concertation débute dès le stade des réflexions relatives à l'évitement. Encore une fois, la mise en oeuvre de compensations ne doit concerner que les impacts résiduels des projets, après épuisement des phases d'évitement et de réduction.

Enfin, la localisation géographique des compensations est un point fondamental sur lequel la profession agricole doit également être consultée.

Le comité professionnel présidé par la chambre d'agriculture réunit l'ensemble des organisations concernées par le projet. Cette instance permet de fixer les orientations agricoles, en déterminant les priorités et en relayant les attentes de la profession ou d'encadrer les interventions dans le cas où les porteurs de projets sont en relation directe avec les personnes.

Les mesures de compensation environnementale ont un effet évident sur l'activité agricole puisqu'elles en modifient le potentiel économique. Elles ne sont pas forcément incompatibles avec l'agriculture, à condition toutefois d'être mises en oeuvre avec discernement.

Nous demandons une mise en oeuvre de la compensation environnementale exclusivement par fonctionnalité équivalente et nous refusons une approche quantitative : il n'est pas question de faire du 2 pour 1 (2 mares reconstruites pour 1 mare détruite, par exemple).

Puisque les mesures de compensation s'appliquent principalement sur des terres agricoles, les agriculteurs sont inévitablement mis à contribution à des degrés divers selon le type de mesure choisie (création de mares, reprofilage de cours d'eau, plantation de haies ou restauration de prairies). Qu'ils participent à la réalisation des travaux ou qu'ils soient chargés uniquement de la gestion effective des mesures, les agriculteurs ont toutefois deux impératifs préalables : avoir la liberté de s'engager de manière volontaire dans le processus et être indemnisés pour perte de marge et, le cas échéant, pour service rendu.

L'attractivité des indemnisations est un véritable enjeu. Il faut parler d'indemnisation ou de compensation de perte de production et pas de rémunération. L'indemnisation doit compenser à sa juste valeur la perte de potentiel et être suffisamment attractive pour que les agriculteurs s'en saisissent. Mais il faut prendre garde à ce que cette indemnisation ne devienne pas une rente. Pour éviter l'effet d'aubaine et conserver le potentiel productif agricole, nous préconisons un plafonnement pour chaque exploitation. Il n'est pas question de dévoyer le métier d'agriculteur ou de concentrer des mesures environnementales sur des exploitations entières. Il en va de l'avenir de l'agriculture.

Bien souvent, les terres concernées sont celles à fort potentiel agronomique : construire des infrastructures sur des terres saines facilite, en pratique, la conduite d'un projet et présente l'avantage de réduire considérablement la facture du préjudice environnemental. Or ce sont précisément ces terres-là que les agriculteurs voudraient préserver en priorité.

Ce n'est qu'à la condition du double respect de l'environnement et de l'agriculture que les agriculteurs pourront se saisir de l'opportunité d'une compensation environnementale à des fins de valorisation d'espaces délaissés ou d'un moindre intérêt agricole. À cet égard, il serait souhaitable de limiter ces compensations aux seuls agriculteurs pour éviter un effet de rétention par des propriétaires qui pourraient être tentés de valoriser ainsi leurs parcelles, plutôt que de les louer à des agriculteurs. Si l'agriculteur n'est pas propriétaire des parcelles, la convention doit être tripartite (maître d'ouvrage, propriétaire, fermier) afin que l'exploitant en place donne son accord.

L'application de la séquence éviter-réduire-compenser est complexe. L'encadrement des dispositions prises sur le terrain est indispensable pour éviter les éventuelles dérives et garantir l'équité de traitement. La FNSEA 44 ne participe aujourd'hui à aucune instance de suivi des enjeux environnementaux. La profession agricole souhaite être acteur et pas seulement spectateur. Nombre d'habitats et d'espèces sont aujourd'hui en bon état de conservation grâce à l'agriculture.

Par ailleurs, quoiqu'il advienne de ce projet, il faudrait mettre fin à l'occupation illégale des terres.

Enfin, pour avoir une vision globale et mesurer les impacts de l'ensemble des projets prévus dans le département, il serait opportun de faire appel à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).

M. Christophe Sablé, secrétaire général de la chambre régionale d'agriculture des Pays de la Loire . - Comme cela vient d'être dit, la notion éviter-réduire-compenser (ERC) appliquée aux atteintes à l'environnement est un principe qui a été renforcé par le Grenelle de l'environnement en 2007. Or le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le choix de sa localisation datent des années 1970, ce qui est bien antérieur. Si le principe ERC avait été appliqué, ce projet d'aéroport ne serait peut-être pas localisé à cet endroit.

De plus, la séquence ERC pour les atteintes aux zones humides et à la biodiversité vient s'ajouter aux expropriations et est perçue comme une « double peine » par les agriculteurs.

Notre département est attractif, en constant développement, et s'étend sur des espaces agricoles et naturels. Compte tenu de la diversité des espaces (marais, littoral, fleuve, bocage...) et du caractère humide des sols, tout projet d'aménagement génère inévitablement des impacts sur la biodiversité. La chambre d'agriculture a choisi d'apporter des outils et des méthodes pour encadrer cette problématique à l'attention de l'ensemble des exploitants agricoles du département.

En ce qui concerne l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les impacts liés directement aux emprises touchent 40 exploitations, sur 1 239 hectares. Les besoins de compensation cumulés au titre des zones humides et des espèces sont estimés entre 2 000 et 4 000 hectares selon les types de mesures et les ratios de compensation.

Les zones envisagées pour l'application de mesures de compensation environnementales sont estimées à 17 000 hectares environ et concernent potentiellement 262 exploitations agricoles.

Nous sommes arrivés au constat que la concertation agricole n'était généralement pas suffisamment anticipée, tant pour la localisation des projets d'aménagement que pour la définition des impacts.

C'est pourquoi, dès 2012, la chambre d'agriculture a pris l'initiative d'une concertation avec les services de l'État et le département, avec la mise en place d'un comité de pilotage composé de l'ensemble des représentants de la profession agricole. Ces travaux ont débouché sur un accord-cadre départemental qui permet de disposer d'outils-types de mesure de compensation environnementale en zone agricole et de règles d'indemnisation.

D'autres instances existent pour favoriser la discussion entre les maîtres d'ouvrages et la profession agricole. La chambre d'agriculture a, par exemple, mis en place un comité professionnel agricole réunissant les représentants de la chambre d'agriculture, la FNSEA 44, Jeunes agriculteurs (JA 44), la Confédération paysanne, la Coordination rurale, l'association de défense des exploitants concernés par l'aéroport (ADECA), la SAFER, la Propriété rurale, le syndicat des forestiers, et les coopératives d'utilisation du matériel agricole (CUMA). Ce comité professionnel, réuni à maintes reprises depuis sa création, valide toutes les décisions politiques propres au dossier de Notre-Dame-des-Landes. En parallèle, un comité consultatif foncier se réunit tous les deux mois pour examiner plus particulièrement les aspects fonciers (location, vente ou gestion temporaire du foncier agricole). Plusieurs réunions locales et communes avec l'ADECA ont également eu lieu. La chambre d'agriculture est aussi disponible pour accompagner individuellement chaque exploitant qui le souhaite. Enfin, les maîtres d'ouvrages entretiennent des relations directes avec certains exploitants agricoles.

Depuis 2007, nous avons fait un travail conséquent d'élaboration d'outils mis à disposition des exploitants agricoles concernés par le projet d'aéroport. En 2008, des protocoles d'accord ont été conclus sur plusieurs sujets - études préliminaires, topographie, sondages, indemnisation des préjudices subis par les propriétaires fonciers et les exploitants agricoles et contribution agricole du cahier des charges d'appels d'offres - et une convention a été conclue avec l'État pour le suivi général du projet.

En 2013, un accord-cadre pour l'ensemble du département a été signé, assorti d'une convention d'application départementale, d'un protocole spécifique à Notre-Dame-des-Landes pour la mise en oeuvre des mesures de compensation environnementale, et d'un accord préalable à la mise en oeuvre d'un fonds de revitalisation économique autour du projet d'aéroport.

Les mesures de compensation environnementale qui figurent dans les différents protocoles portent principalement sur la recréation de mares, la remise en fonction de zones humides, la conversion de parcelles exploitées en rotation avec des prairies de longue durée, la mise en place de bandes enherbées et la plantation de haies bocagères.

Dans ces protocoles, les agriculteurs sont libres de contractualiser ou non avec les maîtres d'ouvrages. Ils ont le choix, soit de réaliser certaines mesures compensatoires par eux-mêmes, soit de les faire réaliser par des prestataires extérieurs. Les mesures de compensation modifient profondément les parcelles en limitant fortement leur potentiel de production. Une généralisation de la mise en oeuvre de mesures de compensation pourrait modifier sensiblement les systèmes d'exploitation, allant même jusqu'à remettre en cause certaines filières sur un territoire.

Les exploitants sont indemnisés annuellement - et non rémunérés - selon les pertes de marge engendrées par la mise en oeuvre et l'entretien des mesures de compensation environnementale. Pour éviter l'écueil de l'effet de rente, il existe des mesures de plafonnement des niveaux d'indemnisation.

Pour Notre-Dame-des-Landes, le maître d'ouvrage propose un système de bonus pour rendre le dispositif plus attractif. Il appartient alors à chaque agriculteur de faire son calcul en fonction de la rentabilité de son exploitation et de la compatibilité avec son système de production.

Sans un effort de pédagogie envers les exploitants agricoles, la compensation environnementale est d'abord perçue comme une contrainte car elle limite le potentiel de production. Le même effort pédagogique doit être fait envers les maîtres d'ouvrages et les bureaux d'études en environnement, pour leur permettre de mieux appréhender la réalité agricole.

L'agriculture et l'élevage entretiennent les espaces, assurent la conservation des milieux fragiles et produisent de la biodiversité. Certaines expériences nous démontrent que l'on peut trouver un consensus avec les exploitants agricoles dès lors que l'on applique le principe ERC à la fois pour l'environnement et pour l'agriculture.

Les conventions proposées sont amiables et contractuelles, pour des durées allant de 5 à 10 ans renouvelables. Elles sont bipartites, ou tripartites si elles concernent également les propriétaires. Ces mesures compensatoires ont été déclinées à partir d'un cas-type, celui de la déviation de la RN 171 à Bouvron ; ce dossier, essentiellement suivi par la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL), a permis de compenser la destruction de 16 hectares de zones humides ou portant des éléments de biodiversité à compenser et 9 exploitants ont contractualisé pour mettre en oeuvre ces mesures.

Nous n'avons pas connaissance de l'existence d'une instance de concertation au niveau départemental qui pourrait permettre d'avoir une vue d'ensemble des mesures engagées. Il serait important qu'un tel lieu existe.

Enfin, il faudrait résoudre le problème de l'occupation illégale des terres qui concerne 221 hectares.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La CDPENAF pourrait-elle être un lieu de concertation ?

M. Christophe Sablé . - Oui, peut-être.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Aujourd'hui, elle n'est pas utilisée en ce sens ?

M. Christophe Sablé . - Non, pas pour ce qui concerne les transferts de terres agricoles productives vers des mesures de compensation environnementale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ne permet-il pas non plus d'avoir une analyse avec les élus ?

M. Christophe Sablé . - Pour le cas spécifique de Notre-Dame-des-Landes, il y a régulièrement des concertations avec le milieu agricole dans le cadre du SCoT Nantes-Saint-Nazaire.

La zone de l'aéroport est classée en zone humide dans les SCoT et les plans locaux d'urbanisme (PLU), mais notre territoire a la particularité d'avoir des nappes perchées. Or, si l'on suivait à la lettre la définition technique d'une zone humide, 70 à 75 % du département serait classé en zone humide. Le choix des zones à aménager dans les SCoT et les PLU se retrouverait alors dans les meilleures terres agricoles. C'est une difficulté à laquelle nous sommes confrontés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Merci.

M. Daniel Durand, membre du collectif « Copain 44 » . - Nous vous remercions de votre invitation.

COPAIN - qui signifie « collectif d'organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes » - a été créé en 2011 pour défendre les terres agricoles et nourricières. S'y regroupent nombre d'organisations, dont la Confédération paysanne, le groupement des agriculteurs biologiques (GAB), les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM), Terroir 44, Accueil paysans et Manger bio.

La profession agricole est devenue minoritaire dans notre société, puisqu'elle représente moins de 3 % de la population. Nous nous inquiétons de la raréfaction des terres nourricières au profit de multiples projets d'aménagement.

Certes, le trafic de l'aéroport Nantes-Atlantique est devenu conséquent (5 millions de voyageurs par an), mais, dans le même temps, on constate une augmentation significative de la population, donc de bouches à nourrir.

Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'agriculture française devra nourrir 72 millions d'habitants en 2050, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2010. Or la superficie agricole par habitant a diminué de 56 % depuis 1960 (100 ares par habitant en 1960, contre 46 aujourd'hui). Si l'on compare nos besoins alimentaires à notre capacité de production agricole, il manque aujourd'hui à la France 400 000 hectares. Notre pays n'est pas autosuffisant, ce qui devrait être pris en compte dans les divers projets d'aménagement du territoire. L'artificialisation des terres est quatre fois plus rapide que la démographie.

À la lumière de cet état des lieux, qui n'est pas exhaustif, nous considérons que, même si l'intention de la compensation reste noble, nous devons résolument concentrer nos efforts sur l'évitement et la réduction.

Si l'on veut aménager, il faut optimiser l'existant, densifier là où c'est possible, réquisitionner toutes les surfaces déjà artificialisées, comme les friches industrielles non réhabilitées.

M. Cyril Bouligand, membre du collectif « Copain 44 » . - Pour étayer notre argumentaire nous allons citer les études de plusieurs instances : la mission agricole et le collège d'experts scientifiques, le ministère de l'écologie et la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Tous ces travaux ont été menés après 2012, longtemps après le débat et l'enquête publique. Ils existent uniquement parce qu'une partie de la population s'est élevée contre un projet. Ceci démontre que tout n'a pas été mis en oeuvre en amont pour éviter ou réduire.

Pour que la séquence ERC réponde à la problématique d'économie de terres, il faut que la phase éviter soit réalisée consciencieusement. Nous doutons que cela ait été le cas pour Notre-Dame-des-Landes. Aucune étude indépendante demandée par l'État n'a été réalisée pour aménager Nantes-Atlantique. Or, la DGAC et le ministère de l'écologie ont reconnu sa faisabilité.

Pour rappel, le projet de départ faisait 1 250 hectares ; il est passé à 1 650 hectares en 2006, ce qui a eu pour conséquence directe la destruction de 400 hectares de terres, mais aussi d'une ferme et d'un village qui ont été rayés de la carte.

Les travaux de l'atelier citoyen, composé de pilotes, d'architectes, de retraités des travaux publics ayant travaillé à l'entretien de la piste, ont prouvé qu'il était possible de rénover Nantes-Atlantique à moindre frais. L'option du maintien de Nantes-Atlantique a toujours été écartée depuis le débat public et la dimension environnementale n'a été traitée qu'en dernier lieu.

Nous pensons que ce projet sert les intérêts immobiliers de la ville de Nantes et n'a pas de réelle motivation aéronautique. Le directeur de Vinci aviation déclarait en juillet 2012 au journal l'Express : « ce n'est pas une question d'aéronautique, mais d'aménagement du territoire » .

Pour en venir à la phase réduire, nous doutons là aussi que tout ait été fait pour réduire l'emprise et la consommation de terres agricole. Ainsi, la mission agricole mise en place lors de la commission de dialogue en 2012 reconnaît : « la mission est favorable à une réduction de la surface dédiée à l'activité économique. En ce qui concerne les parkings, les modifications du projet permettraient de gagner de 8 à 17 ha selon les hypothèses » .

Pour le barreau routier, la mission constate que « l'emprise aurait pu être minimisée d'une part par une meilleure articulation avec le projet d'infrastructure aéroportuaire, d'autre part par une conception plus économe en espace de la plateforme routière ». Le tracé a été réalisé selon une logique de constructeur pour limiter les volumes de remblai et déblai . Cela se traduit par une largeur d'emprise de 70 mètres qui est surdimensionnée et un espace entre le barreau routier et la plate-forme de 120 hectares. La mission agricole reconnaît également que « ce n'est qu'à compter de l'enquête publique de 2006 que la question agricole a commencé à peser dans la gestion du dossier avec un volet agricole substantiel au titre des engagements de 1'État » .

Nous voyons bien que la problématique de destruction de terres agricoles et de biodiversité passe au second plan.

Les agriculteurs sur le terrain ne veulent pas partir. Les fermes les plus impactées ont refusé l'accord à l'amiable, ce qui représente 450 hectares sur les 1 250 hectares des surfaces cultivées. Cette opposition est renforcée par la crainte des répercussions des mesures compensatoires.

Avec un projet de cette ampleur c'est toute une région agricole qui va être dévastée. La mission agricole citée plus haut le reconnait : « l'incertitude sur les tracés et sur les échéances de réalisation ne permet aucune visibilité sur le devenir des structures agricoles et handicape une réflexion anticipative pour l'adaptation des exploitations à leur futur environnement» .

Ni le collectif Copain, ni les organisations qui le composent n'ont jamais été invités à travailler sur le protocole de mesures compensatoires. Nous n'avons donc pas connaissance des dispositifs de contractualisation proposés par AGO et la DREAL.

Les porteurs de projets ont délimité un territoire de 16 000 hectares pour réaliser leurs compensations environnementales. Sur cette emprise liée aux deux bassins versant, de nombreux agriculteurs, qui représentent 8 000 hectares, se sont engagés à ne pas contractualiser avec AGO ou la DREAL. De fait, il sera difficile pour les porteurs de projet de trouver les surfaces nécessaires.

La mission agricole conforte nos dires : « En appliquant un coefficient de 1,17 ha/UC, on obtient donc une superficie minimale nécessaire à la compensation comprise entre 1 150 ha et 1 350 ha. L'hypothèse [...] selon laquelle on pourra reconstituer exactement les mêmes milieux que ceux rencontrés sur le site de l'aéroport est très optimiste. On pourrait ajouter que la reconstitution d'un milieu ne va pas de soi et que des marges d'erreur et d'échec doivent aussi être prises en compte. Pour être plus réaliste quant à l'estimation des superficies nécessaires, la mission fait l'hypothèse in fine que le coefficient pourrait se situer entre 1,5 et 2 hectares par UC à compenser. Dans ces conditions, les superficies nécessaires à la compensation des zones humides et des espèces protégées à l'extérieur de l'emprise aéroportuaire pourraient être comprises entre 1 700 ha et 2 500 ha. Cette estimation a pour conséquence un taux de contractualisation de 10 % à 15,5 % des superficies de l'enveloppe de compensation qui totalise 15 968 ha. Ces taux sont supérieurs au taux de contractualisation des mesures agro-environnementales déployées au sein de la zone [...]. Ce constat conduit à estimer que la mise en oeuvre de toutes les MCE au sein de l'enveloppe envisagée sera difficile [...]. » Cette analyse de la commission agricole n'a, de plus, pas pris en compte les 8 000 hectares dont j'ai parlé plus haut.

M. Daniel Durand . - Pour conclure, le collectif Copain tient à redire que la compensation est un leurre par rapport aux enjeux d'avenir de notre société.

Chaque hectare de terre représente un potentiel de biodiversité, d'alimentation, d'épuration de l'eau, d'économie et de tissu social. Nous vivons un véritable paradoxe, puisque nous savons que nous sommes déjà en déficit de foncier et que notre plus grand défi est de parvenir à nourrir tout le monde ; dans le même temps, la société demande à l'agriculture une alimentation plus saine, des pratiques plus respectueuses de l'environnement, ce qui implique des rendements moindres.

Autre paradoxe, nombreux sont ceux qui prônent les vertus de la relocalisation, et pourtant on continue à aménager pour favoriser encore plus d'exportation et plus de mondialisation. Là encore, c'est incompréhensible.

Nous nous considérons davantage comme des lanceurs d'alerte que comme des résistants. Nous sommes force de proposition et de progrès. Nous pensons qu'à tout projet peuvent être apportées des solutions plus vertueuses. Nous aimerions être associés à la réflexion.

M. Dominique Deniaud, président de la section locale de Loire-Atlantique de la Confédération paysanne . - La superficie de la France est de 55 millions d'hectares. En 1960, 35 millions d'hectares étaient dédiés à l'agriculture ; il n'y en avait plus que 28 millions en 2010. Si l'on se réfère au rythme de ces dernières années, l'agriculture devrait avoir encore perdu entre 2 et 3 millions d'hectares en 2050. Ces données, qui sont publiques et vérifiables, nous interrogent.

Je souscris globalement à ce qui a été dit précédemment sur la séquence ERC. Pour avoir déjà participé à un certain nombre d'auditions ou d'échanges au sein de diverses instances, j'ai constaté que la séquence éviter a souvent été partielle, voire inexistante, et que ni les agriculteurs, ni les citoyens n'ont été associés à ce processus. On est alors en droit de se demander quand et comment les décisions ont été prises. C'est une question à laquelle il faudra répondre tôt ou tard.

La population agricole ne peut comprendre que l'on ait besoin d'une emprise de 1 650 hectares - même si une partie concerne le barreau routier et une autre partie l'infrastructure - alors que certaines plateformes aéroportuaires de plus grande capacité n'utilisent que 350 à 500 hectares.

L'impact sur les exploitations a été mesuré pour les infrastructures aéroportuaires et le barreau routier. En revanche, pour les infrastructures attenantes, telles les lignes train-tram, la LGV, les parcs d'activités qui pourraient se développer, nous n'avons aucune donnée sur l'avenir. Nous avions soulevé ces questions au sein du SCoT Nantes-Saint-Nazaire, qui a été rejeté en commission départementale de consommation des espaces agricoles par l'ensemble des syndicats agricoles, avec un avis très réservé de la chambre d'agriculture. Nos questions sont restées sans réponse. Là encore, il faudra pouvoir y répondre.

La vie d'une exploitation agricole est largement conditionnée à l'absence de coupure dans son territoire. Les facilités de circulation, la densité du nombre d'exploitations présentes sur un territoire, permettent la vie collective - les CUMA, par exemple - et favorisent la présence nombreuse d'agriculteurs sur une même zone. Pour qu'une activité agricole perdure, il faut du foncier disponible, des paysans, mais aussi des conditions favorables. Or, si ces trois éléments ne sont pas réunis, cela ne fonctionne pas. J'en veux pour preuve la zone aéroportuaire actuelle, au sud de Nantes : là encore, il y a beaucoup d'hectares en friche et les exploitations ont énormément de difficultés à se maintenir sur le territoire.

Ce projet d'aéroport ne peut pas être accepté collectivement par les agriculteurs. Certains ont conclu individuellement des protocoles d'accord. Pour qu'un projet puisse progresser, on ne peut pas avoir que des intérêts particuliers qui s'ajoutent. La réussite d'un tel projet passe par une convergence globale et pas par l'empilement d'intérêts particuliers.

En dehors des conventions de mise à disposition temporaire du foncier, les relations entre les paysans locaux et le maître d'ouvrage sont quasi-inexistantes. Le sont-elles car le projet « s'éternise » ? D'une manière générale, le bon sens paysan conduit la profession à ne pas adhérer aux mesures de compensation. Au risque de vous paraître sévère, je dirais que lorsque l'on a compensé des terres, il faut les déclasser en termes de production. On part d'une surface qui a un certain potentiel et on la pénalise artificiellement, ce qui est difficilement acceptable par la profession agricole et qui n'a pas grand sens.

Les compensations financières restent assez imprécises à ce jour, même si nous avons obtenu quelques éléments lors de l'audition des représentants d'AGO. Un maître d'ouvrage qui souhaite compenser l'impact d'une infrastructure y mettra évidemment l'argent nécessaire. Il est évident que si les montants sont faibles, peu de personnes seront intéressées et que des sommes très attractives induiront des solutions individuelles, ce qui pose le problème de la marchandisation. C'est ce qui s'est produit avec la politique agricole commune (PAC) : des personnes en fin de carrière ont préféré ne pas prendre leur retraite et conserver leur foncier en y maintenant une activité réduite, entrant ainsi dans une agriculture de rente. Il y a là un vrai danger.

L'agriculture devra faire face à des besoins alimentaires croissants. Pour répondre à ces besoins, deux éléments sont à prendre en compte : le nombre d'hectares cultivés et leur rendement. C'est bien la multiplication de ces deux facteurs qui détermine notre capacité à nourrir la population. Nous, paysans, disons clairement à la société que nous ne pourrons pas produire plus d'alimentation avec moins d'hectares, et parfois moins de rendement - comme c'est le cas pour certaines cultures céréalières, dont la production régresse en raison de la réduction des phytosanitaires et des engrais minéraux. Cette équation est impossible à résoudre.

J'attire aussi votre attention sur la difficulté des élus à faire le lien entre les enjeux nationaux et internationaux pour la préservation de l'eau et des terres agricoles, d'une part, et leur concrétisation dans des projets locaux, d'autre part : cette connexion-là s'établit très difficilement et il y a un véritable travail à mener.

Enfin, à Notre-Dame-des-Landes, il est encore temps d'éviter les impacts, tant que les travaux n'ont pas démarré.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez bien compris que cette commission d'enquête ne revient pas sur la légitimité globale du projet, mais s'intéresse à la faisabilité des mesures compensatoires.

La séquence ERC date de 1976, elle aurait donc pu être intégrée en amont du projet. Vos propos liminaires ont été complets sur la séquence « éviter », je n'y reviendrai donc pas.

Les chiffres que vous avez donnés sur le volet « compensation » sont similaires à ceux fournis par AGO, à savoir environ 1 300 hectares de compensation et une fourchette de prix allant de 1 100 à 1 500 euros par hectare.

On nous a dit qu'il n'y avait pas d'agriculteurs prêts à s'engager. Le syndicat mixte a mis en cause la pression sur les exploitants ; parallèlement, AGO nous indique que, tant qu'ils n'ont pas de visibilité sur le calendrier des travaux, ils ne cherchent pas à contractualiser dans le cadre du protocole d'accord avec la chambre d'agriculture.

Ma première question est très simple : pensez-vous possible de trouver les 1 300 hectares nécessaires à la compensation dans les 16 000 hectares du périmètre ? Et l'enveloppe de 300 000 euros pour l'ensemble des compensations financières - ce qui équivaut à environ 250 euros de l'hectare - vous semble-t-elle raisonnable ?

M. Cyril Bouligand . - La mission agricole a indiqué que la surface nécessaire était plutôt de 2 000 à 2 500 hectares. Cela double tout de même la surface envisagée...

Suite à l'enquête au titre de la loi sur l'eau, des contrats auraient été proposés. Nous avons interrogé les paysans, et, au final, ceux qui refusaient de contractualiser avec AGO et la DREAL ne détenaient pas moins de 8 000 hectares. Je pense que le projet n'est pas du tout accepté par la profession agricole. Par conséquent les porteurs de projets auront du mal à trouver l'intégralité des surfaces de compensation rien qu'en contractualisant. Cela étant, il n'y a pas eu, à ma connaissance, de pressions particulières ; je crois que le refus s'inscrit plutôt dans une logique paysanne de ne pas cautionner un projet qui ne nous semble pas d'utilité publique. Je connais bien ce territoire, puisque je suis moi-même un paysan habitant dans le périmètre des 16 000 hectares, et ni mes voisins ni moi n'avons été contactés par AGO ou la DREAL pour signer un contrat. Je crois que nous n'en sommes pas encore là.

M. Christophe Sablé . - La décision de faire ou de ne pas faire le projet n'a pas été prise : les porteurs de projet ne peuvent donc pas entrer dans une démarche de contractualisation. Or, sans ces démarches préalables, il est compliqué d'envisager la faisabilité des mesures compensatoires.

Nous avons cependant un exemple réussi de mise en oeuvre du protocole départemental, car celui-ci a été utilisé sur la déviation de Bouvron. Force est de constater que l'acceptabilité du projet par la population pèse fortement dans la mise en place des mesures compensatoires. La déviation de Bouvron était un projet bien accepté, et nous n'avons eu aucune difficulté à trouver des agriculteurs prêts à s'engager dans les mesures de compensation environnementales. Aujourd'hui, tant la capacité d'accusation du projet de la part des acteurs que l'absence de décision définitive sur la réalisation ou non du projet compliquent la gestion des choses sur le terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Imaginons que la moitié des agriculteurs qui refusent de contractualiser aujourd'hui change d'avis. Consacrer 15 % à 20 % de surface agricole à des mesures compensatoires vous semble-t-il raisonnable ? Est-ce trop important pour permettre aux exploitants de conserver une finalité productive ?

M. Alain Bernier . - L'agriculture est un secteur économique important. La première mission d'un agriculteur est de produire pour nourrir les hommes. C'est ce qu'il y a de plus noble, et c'est pour cela que les jeunes choisissent d'exercer ce métier. Jamais, quand un agriculteur choisit de faire ce métier, il ne lui vient à l'esprit qu'il sera peut-être obligé de mettre un jour ses terres en compensation environnementale. Nous l'avons tous dit, le principal outil de travail de l'agriculture, c'est la terre. Or, notre département, comme d'autres, perd tous les ans du foncier. En Loire-Atlantique, cette perte est d'environ 1 500 hectares par an, ce qui est particulièrement pénalisant pour l'agriculture.

En ce qui concerne les éventuelles pressions sur les agriculteurs, je ne peux pas vous répondre. J'ignore si c'est la raison pour laquelle certains refusent de s'engager. Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que les agriculteurs ne choisissent pas leur métier pour faire de la compensation. Ils le font parce qu'ils aiment les animaux ; ils le font parce qu'ils aiment cultiver la terre, et parce qu'ils veulent, tout simplement, nourrir les gens. Je reste persuadé que les compensations environnementales seront subies par une grande partie du monde agricole, même si des agriculteurs se disent qu'après tout, si leurs hectares sont rémunérés, ils peuvent engager certaines parcelles en compensation.

À nouveau, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, je ne peux pas vous dire s'il y a eu des pressions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous cherchons à savoir s'il est réaliste de penser trouver les 1 300 hectares nécessaires à la compensation dans le périmètre des 16 000 hectares.

M. Alain Bernier . - Cela dépend de plusieurs facteurs : l'attractivité des contrats, l'état d'esprit et l'âge des agriculteurs, le projet du département pour l'agriculture. Je rappelle que la Loire-Atlantique est un département aux entreprises agro-alimentaires extrêmement dynamiques ; il y a sur le territoire de grosses coopératives, de grosses laiteries, qui ont besoin d'être soutenues par un fort potentiel de production. Mais c'est à nos élus de donner une vision à l'agriculture : veut-on garder un potentiel de production en Loire-Atlantique ou plutôt utiliser nos terres agricoles pour les compensations environnementales ? Là est la question.

Je vous répète que, quand un agriculteur choisit ce métier - et j'en fais partie ! - ce n'est pas pour faire des compensations environnementales.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela veut-il dire qu'une enveloppe globale de 300 000 euros par an vous semble sous-dimensionnée ? Qu'il va falloir monter les prix pour convaincre un certain nombre d'agriculteurs de s'engager ?

M. Alain Bernier . - Pour moi, ce sera difficile. Je pense que l'enveloppe n'est pas assez importante. Après, il faut que les agriculteurs décident de s'engager, et cela ne dépend pas uniquement du montant de la compensation.

M. Christophe Sablé . - Je souhaite faire une remarque sur le foncier autour du projet et à l'intérieur de l'emprise de la DUP. Vous n'êtes pas sans savoir qu'entre la surface de travaux et la surface d'emprise, il y a un écart. Indirectement, il y a donc un potentiel pour le concessionnaire aujourd'hui de mettre en oeuvre, dans cet espace très rapproché du projet, une partie des mesures de compensation. C'est d'ailleurs un point qui n'a pas échappé à la profession agricole.

Aujourd'hui, on assiste à un véritable jeu de rôle : une certaine pression de la part du porteur de projet qui se demande s'il laisse des terres agricoles dans l'emprise prévue, ou si, au contraire, il ne fait que de la compensation environnementale - c'est possible aussi, et tous les scénarios sont imaginables. Vous avez demandé si l'enveloppe de 300 000 euros était suffisante ou non, si un montant supérieur permettrait d'attirer plus d'agriculteurs vers les mesures de compensation. C'est l'un des scénarios envisageables mais ce n'est pas le seul.

M. André Trillard . - Pourquoi 1 600 hectares ? La raison est très simple. Le projet initial prévoyait l'achat de toutes les zones classées 1 et 2 du plan d'exposition au bruit, pour éviter des complications supplémentaires. Ce qui ne veut pas dire qu'il est impossible d'envisager des mesures environnementales dans une partie de ce territoire. Ce n'est pas du tout exclu.

Vous nous dites : « Nous ne sommes pas d'accord ». L'arrêté de zone d'aménagement différé (ZAD) remonte à 1974, c'est-à-dire que la décision a été prise il y a exactement 43 ans. On ne rebat pas les cartes parce que l'on est à la fois le bloqueur et la victime !

Concernant le foncier en Loire-Atlantique, une chose m'a toujours surpris : pourquoi ce département a-t-il la terre la moins chère de France ? Je ne peux parler que de ce que je connais, mais dans ma commune, le prix moyen à l'hectare est d'environ 1 400 euros. Cela étonne beaucoup les agriculteurs des autres départements. Peut-être a-t-on créé la tentation en baissant les prix ? Je m'interroge.

Par ailleurs, je ne comprends pas où nous en sommes des opérations de remembrement prévues sur cette zone. Vous avez évoqué les circulations des agriculteurs : permettre aux exploitations de fonctionner normalement est bien l'objectif de ces opérations foncières ! Tout cela est bloqué.

M. Dominique Deniaud . - Je vais d'abord revenir sur la question financière.

Il est clair que, aujourd'hui, la profession agricole vit une situation économique compliquée. La Mutualité sociale agricole (MSA) a annoncé que plus de 40 % des paysans déclareraient pour 2016 un revenu annuel inférieur à 4 280 euros, ce qui veut dire qu'ils disposent de moins de 380 euros mensuels pour vivre. Si, face à cela, vous proposez des contrats qui peuvent générer de 250 à 1 000 euros à l'hectare, le débat ne peut être ni serein, ni intellectuellement honnête. Je tenais à souligner ces deux échelles, car elles créent de vraies difficultés.

Un porteur de projet peut se dire que s'il ne trouve pas les terrains nécessaires en proposant un prix de 250 euros à l'hectare, il peut toujours passer à 350 euros, puis à 500 euros, puis à 1 000 euros de l'hectare... Il finira toujours par trouver des terrains ! Et lorsque l'on voit l'enveloppe de départ, on peut très bien imaginer que la différence entre ce montant global de 300 000 euros et la somme qui sera réellement déboursée pour acquérir les terrains sera payée par les usagers. Reste que l'on n'a pas répondu politiquement à cette question.

Concernant les prix des terres agricoles, la Loire-Atlantique présente la particularité d'avoir un foncier qui, encore aujourd'hui, reste relativement abordable - je ne dis pas bas, je dis abordable. C'est sans doute l'histoire d'un grand nombre de luttes syndicales, qui ont pu être partagées par différentes tendances politiques, et qui ont conduit à un renforcement du poids des agriculteurs et des fermiers face à leurs propriétaires. Je pense que ce rapport de force permet des choses assez intéressantes dans notre département. Néanmoins, la valeur des terres agricoles correspond aussi parfois à leur potentiel : les terres de la Mayenne, du bassin parisien ou du Nord ont des potentiels bien différents ! N'oublions pas non plus que plus les prix de transaction des terrains sont élevés, plus l'installation est difficile pour les jeunes agriculteurs, même s'ils ne sont pas forcément acheteurs. Les dynamiques d'installation que l'on observe dans les régions où le foncier est abordable sont bien différentes de celles constatées dans les régions où les potentiels de terre sont très importants.

Je ne suis pas d'accord sur le fait que les prix bas auraient une incidence sur les choix d'installation des infrastructures. Malheureusement, dans certaines zones du département, les prix évoluent de manière très importante dans certaines zones ; pas de celle d'où vous venez, effectivement, mais on se rend compte que, dans un périmètre d'une trentaine de kilomètres autour des deux villes importantes du département, les choses commencent malheureusement à changer de façon inquiétante.

M. Christophe Sablé . - Concernant l'aménagement foncier autour du projet d'aéroport - parce qu'il y a bien un aménagement foncier engagé, notamment sur la commune de Notre-Dame-des-Landes - nous sommes aujourd'hui dans une phase de statu quo . Comme personne ne sait si le projet sera ou non réalisé, la restructuration des exploitations n'avance pas, que ce soit au niveau des propriétaires ou des fermiers. Et la raison est simple : le conseil départemental, qui est chargé de cet aménagement foncier, ne prend pas le risque de continuer à faire des aménagements coûteux sans savoir ni sur quel périmètre agir, ni si, au final, cela va servir. Aujourd'hui, on aménage le foncier à l'extérieur de l'emprise, sans savoir ce que deviendra l'intérieur du périmètre. Pour autant, même sans aménagement physique, la démarche continue : la chambre d'agriculture a engagé une restructuration des exploitations agricoles par échange de terres entre agriculteurs. Le propriétaire reste le même, mais les fermiers ou agriculteurs loueurs ont changé. Cela permet de restructurer les exploitations.

L'aéroport est une infrastructure linéaire, qui crée une coupure et nous oblige à restructurer le paysage agricole. Il existe des schémas collectifs, des CUMA, des groupes de travail entre agriculteurs : les choses bougent ! Quant à la séquence ERC, nous aimerions avoir une vision complète de toutes les infrastructures qui viendront, à terme, se greffer autour de l'aéroport, pour éviter que demain, une voie ferrée ne passe là où des mesures de compensation environnementales ont été mises en oeuvre. Ce serait quand même le comble !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela ne nous a pas échappé !

La carte du périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) est assez étonnante. On aurait pu penser que l'idée était d'avoir un PEAN qui englobe l'aéroport. Or, ce PEAN n'inclut ni le nord de l'emprise, ni la ville de Treillières, qui est pourtant un maillon important entre la métropole et l'aéroport.

M. Christophe Sablé . - Treillières a refusé d'entrer dans le PEAN.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Justement, ne craignez-vous pas qu'une partie des activités drainées par l'aéroport s'installent demain sur ces communes, que ce soit au nord ou à Treillières ? Avez-vous des discussions à ce sujet ?

M. Dominique Deniaud . - J'étais présent, aux côtés de deux de vos collègues, dont le président de la chambre d'agriculture, M. Jacques Lemaître, à la réunion du CDPENAF qui a rendu un avis en juillet dernier.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avis négatif du monde agricole.

M. Dominique Deniaud . - C'était un avis défavorable, émis suite à un vote demandé par la FNSEA 44. Je le précise, parce que c'est vraiment important : il y a eu un vote.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous préciser quelle était la question posée ?

M. Dominique Deniaud . - Il s'agissait de donner un avis général sur le SCoT, avant d'entrer dans la phase d'enquête publique et de validation par les élus.

L'avis de la CDPENAF n'a pas influencé le cours de la procédure, puisqu'il n'est que consultatif, mais il a permis à la profession agricole et aux associations environnementalistes - l'INAO a émis des réserves, les fédérations de pêche et de chasse ont émis des avis négatifs - de dire, unanimement : « Il y a un problème ». Cet avis unanime doit poser question, je l'ai d'ailleurs souligné auprès des élus.

Les questions posées avec ce SCoT étaient très précises. L'une portait notamment sur la déduction des surfaces qui seront nécessaires demain pour des infrastructures complémentaires, comme la liaison train-tram ou des zones d'activités. Ces emprises sont-elles connues, et sont-elles déduites dans le document d'urbanisme ? La réponse est très claire : c'est non. Les emprises ne sont pas encore déduites. Or, on sait aujourd'hui que si ce projet venait à voir le jour, il y aurait forcément au minimum une liaison tram-train et une interconnexion avec la LGV. Ces infrastructures n'ont pas été intégrées au SCoT Nantes - Saint-Nazaire.

Pourtant, j'ai posé cette question de la déduction des emprises futures aux élus qui ont validé le projet de SCoT le 19 décembre ; je l'ai posée à mon maire ; je l'ai posée à deux autres maires, en leur disant : « Concrètement, savez-vous si les surfaces sont déduites ou pas ? ». On m'a répondu : « Bien sûr qu'elles sont déduites ! Il est évident que si le projet aéroportuaire figure dans le SCoT, les fuseaux sont déduits. » Et quand on leur dit que ce n'est pas le cas, ils nous répondent que l'on se trompe... Je crois qu'il y a un réel problème de connaissance du dossier. Je le comprends, c'est un dossier de 1 300 pages ! Nous n'avons épluché que le volet agricole, mais nous y avons trouvé des choses inacceptables. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les élus puissent avoir les éléments ? Je suis un peu provocateur, mais le problème est de taille !

Lorsqu'un représentant de la FNSEA a demandé au maire de Saint-Jean-de-Boiseau, qui est responsable de l'élaboration du SCoT, quelles étaient les zones d'activités prévues autour de Notre-Dame-des-Landes, la réponse a été : « Il n'y a pas de zone d'activité prévue autour de la zone aéroportuaire ». Cela est inscrit au compte rendu et facilement vérifiable. Je peux vous dire que le silence s'est fait dans la salle. Peut-être qu'il n'y a aucun projet à 5 ans, mais tout le monde sait très bien qu'à moyen terme, des zones se développeront. Il y a un vrai problème de transparence, et c'est une des raisons ayant conduit le CDPENAF à émettre cet avis défavorable.

Je trouve que le PEAN est une initiative intéressante de protection des terres agricoles. Nous avons cependant été plusieurs à souligner au président du conseil départemental, M. Philippe Grosvalet, que trois conditions étaient nécessaires à la survie de l'activité agricole : il faut du foncier, des paysans et une politique. Le foncier, dans cette zone du PEAN, nous l'aurons ; les paysans, nous ne les aurons que s'il y a une vraie politique. Concrètement, le PEAN est un triangle délimité à gauche par la route de Vannes, à droite la route de Rennes, et au sud par l'agglomération nantaise. Dans 50 ans, quand il y aura des zones d'activités à gauche de la route de Vannes et à droite de la route de Rennes, vous n'aurez plus de paysans au milieu. Et ce ne seront alors plus les 1 650 hectares du projet qui seront perdus, mais bien la totalité des 15 000 hectares. Vous n'aurez plus d'activité agricole, car il ne sera pas possible de travailler correctement dans cette zone. Tous les impacts conditionnés vont faire évoluer notre département de façon extrêmement dangereuse, il faut bien garder cela à l'esprit.

M. André Trillard . - Je voudrais préciser les choses : les élus de la ville de Treillières n'étaient pas opposés au PEAN - le débat a été vif dans la commune et, suite au décès du maire, les habitants ont refusé d'entrer dans le périmètre de protection. En effet, pour changer la constructibilité de terrains situés dans le PEAN, pas moins de trois signatures ministérielles sont nécessaires.... Ce n'est pas forcément évident à obtenir. Rester en dehors du PEAN offre donc une certaine tranquillité.

En ce qui concerne les terres disponibles pour la compensation, il y a une zone dont personne ne parle : entre Saint Etienne de Montluc et les territoires du Grand port de Nantes, il y a 27 000 hectares qui appartiennent à un même propriétaire et qui ne semblent pas en très bon état. Mais on ne mélange pas l'agriculture et la compensation écologique ! Cette question n'a jamais été ouverte.

Un autre sujet n'a pas été abordé : actuellement, en Loire-Atlantique, un certain nombre de territoires, dont le parc de Brière, sont confrontés à de nombreux problèmes à cause de la jussie. Les agriculteurs savent très bien de quoi je parle. Ces territoires ont du potentiel, il faut continuer la réflexion.

Je rappelle également que la Loire-Atlantique compte 1 380 000 habitants cette année. C'est plus que le Val-de-Marne, il faut en tenir compte. Peut-être est-ce dû à l'attractivité des côtes... Quant aux zones industrielles, je pense que vous avez raison de vous interroger sur leur future localisation. Regardez le long de la route allant d'Atlantis à la Roche-Bernard : il n'y a que cela, des zones d'activités ! Elles sont pleines, et parfois de manière assez surprenante. La zone de Malville-La Croix Blanche, par exemple, compte à elle seule plus de 2 000 salariés : ce n'est pas rien, et je tenais à vous le dire ! Le développement de Notre-Dame-des-Landes ne s'effectuera pas forcément sur la zone de l'aéroport : les territoires dont on parle se situent bien souvent à moins de 3 kilomètres de là.

M. Gérard Bailly . - L'objet de notre commission d'enquête n'est pas tant l'étude précise d'un projet que celle de la réussite et de la faisabilité des mesures mises en oeuvre : il faut savoir que faire à l'avenir. C'est la raison pour laquelle les témoignages sont intéressants.

J'ai deux questions précises. Vous avez beaucoup parlé d'hectares de terres agricoles et de la fonction nourricière de la profession. Ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant de parler de la diminution du volume productif plutôt que de la perte d'hectares ?

Avant de continuer, j'aimerais des éléments concrets : aujourd'hui, dans le cahier des charges, comment se traduit pour un exploitant la mise en compensation d'un hectare de terrain sur lequel il produit du blé ? Ce qui m'intéresse, c'est ce qui change dans le mode d'exploitation de l'agriculteur lorsqu'il a décidé de mettre ces hectares en compensation. Est-ce que cela va diminuer les volumes de production ? C'est le point de départ pour estimer la productivité future...

M. Christophe Sablé . - Les différentes mesures mises en place concernent essentiellement la préservation du bocage, la recréation de mares et le transfert de zones de cultures vers des prairies naturelles afin d'améliorer la biodiversité. Les compensations économiques dépendent, elles, du degré d'implication dans les parcelles considérées et du niveau des mesures mises en oeuvre. Il existe un cahier des charges pour chaque mesure, qui a été validé par différentes commissions nationales.

Je partage tout à fait votre point de vue sur l'estimation des volumes productifs. Les mesures de compensation environnementale sont un premier volet ; parallèlement, nous avons mis en place un fonds de compensation économique dédié à la revitalisation de l'agriculture que les porteurs de projet abondent. Ce fonds permet de mettre en place des projets visant à revitaliser un périmètre sur lequel on a mesuré une perte économique, que celle-ci soit due à la perte de surface ou à la diminution de la productivité. Le fonds, contractualisé avec AGO, dispose d'environ 1,3 million d'euros qui devront aider à compenser la perte de compétitivité des agriculteurs engagés dans la compensation.

M. Gérard Bailly . - Ce fonds permettra-t-il la modernisation des exploitations, l'agrandissement des bâtiments ? De cela aussi dépend la dynamique de l'agriculture...

M. Christophe Sablé . - À travers ce fonds, notre objectif est bien d'engager des projets collectifs pour gagner en compétitivité économique. On ne s'interdit ni le drainage, ni l'irrigation, ni la méthanisation, ni la valorisation de la biomasse, ni la création de filières courtes.

L'aéroport va créer de l'activité, attirer des gens qui seront autant de consommateurs potentiels : à nous de trouver comment mettre en valeur les produits locaux et comment garder la valeur ajoutée sur nos territoires. Nous avons une liste de projets dont la faisabilité peut être rapidement étudiée ; le fonds de revitalisation est une manière, pour les porteurs de projet, d'aider à recréer la dynamique que l'infrastructure a pu dégrader et à conserver la valeur ajoutée qui existait sur le territoire.

M. Gérard Bailly . - Au vu de cette perte économique pour les territoires, estimez-vous que le montant de la compensation est acceptable ?

M. Christophe Sablé . - C'est assez compliqué. Mon tour de France sur cette question a mis en évidence de grandes disparités : certains départements estiment des euros au mètre carré, d'autres privilégient les négociations à l'amiable avec les porteurs de projets... Faut-il légiférer et donner une ligne de conduite ? Le fonds de compensation économique mis en place en 2016 nous donne un premier aperçu. Mais pour que de tels fonds soient bénéfiques à l'agriculture, il faut qu'il reste suffisamment d'agriculteurs pour les activer.

M. Gérard Bailly . - Je voulais ces précisions, car aujourd'hui, nous constatons déjà des conflits entre la terre et la forêt. En tant que rapporteur de la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, j'ai pu vérifier les difficultés qui se présentent dès lors, par exemple, que l'on souhaite défricher. Sur de telles opérations, nous payons des taxes considérables ! Nos collègues du Massif central disaient qu'en 65 ans, la forêt a doublé sur leurs territoires.

En tant qu'agriculteur, je partage complètement votre point de vue : notre principale fonction est de nourrir les hommes. Prendre des terres pour la compensation semble une anomalie en termes de production agricole... Je crains que la productivité sur votre bassin, après le projet, soit moindre. Cependant, le territoire a aussi besoin de ces infrastructures ; l'agriculture pâtira de la situation si elle se met en travers de tous les projets de développement du territoire. Ces projets sont importants pour les habitants.

Je ne suis pas forcément d'accord avec mon collègue Ronan Dantec : j'estime que, dans nos réflexions, le potentiel agricole des terres doit être pris en compte autant que la biodiversité et les besoins des futurs projets. Il faut arrêter de prendre sans arrêt des terres agricoles, car cela diminue chaque fois le volume de production. C'est un point capital pour l'avenir. Nous avons tous, dans nos départements, des friches - d'anciens bâtiments industriels notamment - sur lesquelles il n'y a plus rien pour des tas de raisons, comme la présence d'amiante... Pourquoi ne pas les rendre à nouveau en état d'accueillir des habitations, plutôt que de consommer des terres agricoles ? Je me souviens d'un temps pas si lointain où l'on exigeait de chaque grande surface en bordure de ville qu'elle offre à ses clients un grand parking. On gaspillait le foncier. Aujourd'hui, nous critiquons ces espaces... C'est toujours un peu comme cela en France, un balancier... C'est pour cela que nous devons trouver un juste milieu entre la préservation des terres agricoles et le développement des infrastructures de transport, comme les lignes de TGV, les autoroutes et les aéroports. Mais prenons en compte la productivité agricole, je crois que cela est capital.

M. Alain Bernier . - Je voulais répondre précisément à votre question sur l'acceptabilité de la perte économique. Vous avez développé et apporté plusieurs arguments, mais en tant que président de la FNSEA 44, ma réponse est claire : c'est non. Une perte économique n'est jamais acceptable ! Pas plus pour un agriculteur que pour un autre chef d'entreprise !

L'outil de travail des agriculteurs, c'est le foncier, et c'est la raison pour laquelle le monde agricole est particulièrement fragile. Le foncier se fait plus rare, il est très recherché et cela complique considérablement notre métier.

Concernant le développement de nos zones artisanales et industrielles, j'estime également qu'il y a du gaspillage. Monsieur Trillard parlait tout à l'heure des différentes zones présentes le long de la RN 165 ; il est vrai que de plus en plus de zones industrielles et commerciales, souvent concurrentes, voient le jour entre Nantes et Vannes. On observe la construction de bâtiments, de magasins en tous genres, et quelques années plus tard, on constate que bon nombre de ces enseignes sont fermées. Il y a donc un vrai problème de gaspillage dans l'aménagement du territoire de notre département. Chaque collectivité veut sa zone, sa grande surface, son magasin : mais cela devient problématique, car, nécessairement, cela consomme du foncier ! Les espaces verts intégrés dans les différentes zones constituent aussi un gaspillage : comme si le salarié, lorsqu'il part au travail à 5 heures du matin et qu'il fait noir, regardait les pelouses et les tulipes sur les parterres... je n'en suis pas persuadé !

M. Dominique Deniaud . - Je souhaitais revenir sur trois points.

Tout d'abord, je souscris totalement à votre vision des choses sur la question des volumes produits. Pour maintenir le même volume productif malgré la réduction du nombre d'hectares, il faudra inévitablement intensifier la production à d'autres endroits. La question est donc de savoir comment intensifier, pourquoi le faire, et si cela est acceptable pour les agriculteurs.

Vous avez également évoqué les parkings immenses des grandes surfaces. Tout le monde connaît la photo du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes : je vous invite à regarder de près le parking, et vous vous rendrez compte de l'étendue du gaspillage. Cette photo nous a toujours choqués, parce que l'on nous a dit : « C'est un aéroport vert ». Et nous avons répondu : « Il est vert parce que sa couleur est verte, et parce qu'il est au ras du sol ». AGO a souligné, dans son audition, que le choix de ne pas construire de parkings en silos émanait d'une volonté de ne pas troubler le paysage. Ils ont oublié de dire aussi que cela coûtait moins cher... Mais je trouve que cette photo résume bien la situation, car c'est la photo d'un projet tel qu'on aurait pu le concevoir avant de savoir qu'un jour, nous manquerions de terres agricoles. Maintenant que nous le savons, nous ne pouvons plus faire des projets comme cela, ce n'est pas sérieux.

Enfin, il ne faut pas oublier que l'objectif initial de la séquence ERC était de dissuader la consommation foncière. Si cela fonctionne pour les petits projets, c'est parce que les mesures de compensation doivent être mises en place préalablement à la réalisation de l'aménagement. Les communes sont donc attentives au positionnement géographique de leur projet et à sa taille. Sur des projets à grande échelle comme ceux qui vous intéressent, on se rend compte que l'on se contente de promesses. On promet que l'on fera quelque chose pour la compensation, mais rien n'est mis en place avant la réalisation de l'infrastructure. Cela veut dire que l'on n'est pas dissuasif sur le plan de la technique. Par ailleurs, est-on suffisamment dissuasif sur le plan financier ? Nous avons partagé notre inquiétude sur la financiarisation des mesures de compensation et les conséquences de l'agriculture de rente pour le système. Néanmoins, on pourrait très bien imaginer des compensations financières extrêmement dissuasives pour les porteurs de projets ; un fonds comme celui évoqué tout à l'heure avec des apports réellement conséquents, dont une partie reviendrait à la profession agricole pour compenser les pertes, et une autre partie serait mise au service du développement. Aujourd'hui, qu'est-ce que 300 000 euros au regard du coût global du projet d'infrastructure ? Ce n'est rien du tout !

M. Christophe Sablé . - Je souhaite faire également une remarque sur l'esprit de la séquence ERC. Les mesures de la phase éviter sont une base, à laquelle viennent ensuite s'ajouter d'autres mesures de compensation pour les zones humides ou à fort intérêt écologique.

Pour autant, il ne faut pas que l'on développe systématiquement les infrastructures sur les bonnes terres agricoles, au simple prétexte qu'elles ne sont pas en zone humide. Si on continue dans cette voie, on ne s'en sortira jamais ! Il faut à la fois éviter que les infrastructures soient installées sur des zones humides et les bonnes terres agricoles, et éviter que les compensations environnementales soient mises en place sur ces mêmes terres : il y a un équilibre savant à trouver. Je rejoins l'analyse de M. Bailly : il faut absolument regarder l'impact économique global des projets sur la production agricole, qu'elle soit en zone humide ou en zone favorable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez parlé tout à l'heure de drainage. Or, la zone de compensation se trouve sur deux têtes de bassins versants, ce qui pose beaucoup de questions sur la faisabilité des mesures compensatoires. Ne pensez-vous pas que l'État - qui a depuis la loi biodiversité une obligation de résultat - sera extrêmement attentif à ce que ce d'autres contraintes ne soient pas ajoutées à cette zone, par exemple à ce que le drainage n'y soit pas autorisé ? La pression de l'État et de la DREAL sur ces questions est-elle de plus en plus forte ?

M. Christophe Sablé . - L'État et la DREAL ne seront probablement pas tout à fait d'accord avec les propositions de la profession. Cependant, nous savons également que, demain, la gestion de l'eau sera l'un des enjeux majeurs, pour le changement climatique mais aussi la productivité des exploitations agricoles. Et quand je dis la gestion de l'eau, c'est la gestion des excès comme des manques.

Le drainage est une technique très décriée ; pourtant, aucune des raisons avancées par les détracteurs n'est avérée. En Loire-Atlantique, la ferme expérimentale d'Arvalis, la Jaillière, mène depuis plus de 30 ans des études sur deux parcelles quasi identiques, l'une drainée et l'autre non. Au final, la parcelle drainée s'est révélée plus efficace, à la fois dans l'écoulement des eaux et dans le filtrage des minéraux et des produits phytosanitaires. Les a priori sur le drainage ne sont pas scientifiquement prouvés. Tant que l'on s'en tiendra à ces idées préconçues, nous n'avancerons pas !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ma question ne visait pas à lancer un débat sur le drainage. L'État a une obligation de résultat sur les mesures compensatoires, la pression sera très forte pour que les mesures mises en place portent leurs fruits. Je ne vois pas l'État accepter des drainages importants sur ces territoires, en tête de bassin, car il me semble qu'il y aurait là une contradiction.

AGO nous a indiqué qu'ils raisonnaient sur une additionnalité des mesures compensatoires. Sur l'ensemble des exploitations concernées par ces mesures, des « points zéro » de la biodiversité seraient réalisés pour évaluer les gains possibles. C'est un travail considérable si l'on considère les 16 000 hectares de la zone de compensation. À votre connaissance, ce travail a-t-il déjà été engagé ?

M. Cyril Bouligand . - Je vis dans la zone des 16 000 hectares, et ni moi ni mes voisins n'avons entendu parler de ces études ou vu AGO.

Il faut garder à l'esprit que les 16 000 hectares autour de Notre-Dame-des-Landes qui doivent accueillir les mesures de compensation sont très similaires aux terres du projet. Autrement dit, cela veut dire qu'ils feront des compensations sur des zones qui ressemblent à Notre-Dame-des-Landes, dont une partie est humide, pas drainée, et ne pourra être utilisée pour la compensation qu'avec des coefficients très faibles. Au final, on ne peut pas compter sur 16 000 hectares pour ces mesures compensatoires.

Pour répondre à M. Bailly, le collectif « Copain 44 » n'estime pas nécessaire de continuer à artificialiser les sols en raison du dynamisme de la Loire-Atlantique et de son développement économique. Aujourd'hui, on n'a plus le droit de continuer à détruire des terres agricoles. Alors oui, la Loire-Atlantique est très dynamique, mais les infrastructures bénéficient aussi aux autres territoires ; nous sommes plutôt dans une démarche de relocalisation de la production et de la consommation. Nous voulons continuer à pouvoir produire pour les nantais et les ligériens : pour cela, il nous faut des terres. Si demain, nous n'avons plus ces terres, nous serons obligés d'importer les produits depuis d'autres régions, et il faudra forcément plus de routes, plus d'aéroports. À nous d'engager cette relocalisation du territoire français dans son ensemble, et pas uniquement à l'échelle d'un département.

M. Gérard Bailly . - . Vous avez parlé tout à l'heure d'hectares en friches au sud de Nantes, qui ne sont pas exploités pour des raisons inexpliquées. J'aimerais avoir des explications.

S'agissant des terres agricoles, j'ai échangé cet après-midi avec le rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans le cadre de l'examen sur la proposition de loi relative aux territoires littoraux sur l'implantation des champs photovoltaïques. Il faut tout faire pour éviter qu'ils ne soient installés sur de bonnes terres agricoles. Cela vaut de façon générale en matière d'urbanisation.

M. Christophe Sablé . - S'agissant des terres en friche, la réponse est assez compliquée. Leur utilisation dépend de plusieurs facteurs : d'abord, de leur potentiel agricole ; ensuite, de leur positionnement géographique, de leur accessibilité ; enfin, du positionnement du propriétaire. En effet, certains propriétaires font de la rétention foncière dans l'idée que leurs terres pourraient devenir constructibles. Dans une telle hypothèse, ils ne veulent pas risquer d'être empêchés par la présence d'un agriculteur.

La reconquête des friches n'est pas chose aisée. Je prends l'exemple de mon secteur, qui est plutôt littoral : nous essayons de reconquérir des friches, mais celles-ci sont en site classé. Du coup, il nous est impossible d'y construire les bâtiments nécessaires à l'installation d'un maraîcher ou d'un éleveur. Plusieurs couches de classements environnementaux se superposent et, d'un objectif initial de protection, on aboutit à la destruction de ces espaces puisqu'il n'est plus possible d'y faire quoi que ce soit. C'est la raison pour laquelle tant de friches se développent.

M. Gérard Bailly . - Il faut y faire du photovoltaïque !

M. Christophe Sablé . - Je n'en suis pas persuadé.

Près de 80 % des terres en Loire-Atlantique sont en fermage, il y a donc un attachement très fort à la propriété. Les propriétaires fonciers préfèrent louer plutôt que vendre, ne serait-ce qu'en raison de la spéculation foncière. Celle-ci est d'ailleurs renforcée par le fort développement du territoire, qui le rend attractif et mènera, à terme, à repousser les limites de la constructibilité des terres.

Mais cette attractivité est également un atout, parce qu'il est évident qu'il est plus facile de mettre en place des circuits courts, de produire et de manger local, en Loire-Atlantique, avec 1,2 million d'habitants, que dans la Creuse ou en Lozère !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les durées de contractualisation des mesures compensatoires sont très faibles aujourd'hui, presque étonnantes au vu de la durée globale de la concession. Est-ce une volonté de la profession agricole de ne pas se retrouver liée sur des temps longs ? Que se passe-t-il au bout de 5 ans ? L'exploitant a l'obligation de maintenir son volume de mesures compensatoires. Cela veut-il dire que tous les 5 ans, les prix vont augmenter car il sera de plus en plus difficile de trouver des agriculteurs prêts à s'engager ?

M. Christophe Sablé . - Cette durée de contractualisation est celle utilisée pour les mesures de compensation agri-environnementales dans les zones Natura 2000. Nous avons choisi de la conserver. Les protocoles font état de contrats pouvant aller de 5 à 10 ans. Nous avons préféré des contrats de 5 ans car cette durée courte donne plus de liberté aux agriculteurs en leur offrant la capacité de renouveler, ou non, ces mesures, et de rebondir. Mais la concession est prévue pour 55 ans, et rien n'empêche les agriculteurs qui le souhaitent de s'engager pour vingt ou trente ans. Le maître d'oeuvre aurait certainement préféré une contractualisation à 55 ans ; pas nous.

M. Alain Bernier . - Je pense également que cinq ans, cela est suffisant. Il faut penser à la transmission des exploitations : ce n'est pas parce qu'un agriculteur, à un moment donné, a choisi les compensations environnementales, que son successeur va, lui aussi, vouloir s'engager dans un tel contrat.

Ensuite, la durée de cinq ans permet également de revoir la rémunération des mesures compensatoires à la hausse. Il ne faut pas se leurrer : en cinq ans, tout change, et il sera nécessaire de revoir régulièrement les compensations financières. En tant qu'éleveurs, nous aimerions que la viande soit payée plus chère d'année en année. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Pour les compensations économiques et environnementales, il faut absolument prévoir cette hausse.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si les prix sont revus onze fois à la hausse, cela va finir par coûter cher en fonctionnement !

M. André Trillard . - Simple point de précision : 55 ans, c'est la durée de la concession avec Vinci, pas la durée de vie de l'aéroport ! À la fin de la concession, l'aéroport redevient propriété publique. Ne parlons donc pas d'un aéroport qui dure 55 ans, mais d'un projet d'aéroport qui mérite des mesures de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je ne me projette pas à plus de 55 ans la durée prévue pour les mesures compensatoires.

M. André Trillard . - C'est peut-être le problème...

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie pour ces échanges.

Audition de M. Fabien Raynaud, président de la 6ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État
(mardi 7 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous finissons nos auditions de cet après-midi par l'audition de M. Fabien Raynaud, président de la 6 e chambre de la section du contentieux du Conseil d'État.

En effet, notre commission d'enquête travaille sur l'application, la mise en oeuvre, mais aussi le suivi et le contrôle des mesures compensatoires découlant des grands projets d'infrastructures et sur les difficultés aujourd'hui rencontrées pour la bonne mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser.

Nous avons pris pour cela quatre exemples : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours Bordeaux, le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ainsi que la réserve d'actifs naturels de La Crau.

Nous avons conscience que ce sujet constitue un champ nouveau pour le juge administratif, qui a à connaître de plus en plus de contentieux en droit de l'environnement sur ces sujets.

Nous avons également conscience que le juge administratif n'est pas à proprement parler un « acteur » des politiques de biodiversité mais il nous a semblé important d'avoir votre éclairage sur l'état de la jurisprudence administrative en la matière.

C'est pour cela que nous entendons ce soir un représentant du Conseil d'État.

Je vous informe que la commission d'enquête a souhaité que notre réunion soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fabien Raynaud prête serment.

Monsieur, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez éventuellement avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Fabien Raynaud, président de la 6 e chambre de la section du contentieux du Conseil d'État. - Je n'ai aucun lien d'intérêt avec ces projets.

M. Jean-François Longeot, président . - Vous avez la parole.

M. Fabien Raynaud. - Je tenais tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à témoigner devant votre commission d'enquête. À titre liminaire, et comme le vice-président du Conseil d'État vous l'a indiqué par courrier, je ne m'exprime pas aujourd'hui comme un acteur de l'environnement ni comme un agent responsable d'une politique publique, mais comme juge administratif chargé d'appliquer les textes en vigueur dans ce domaine. Je ne peux donc apporter mon éclairage qu'au regard de la jurisprudence que nous élaborons au Conseil d'État en général, en particulier à la 6 e chambre que je préside depuis seulement novembre 2016 et qui est chargée du contentieux sur l'environnement et d'une partie du contentieux en matière d'urbanisme.

Les mesures de compensation des atteintes à l'environnement, notamment à la biodiversité, sont entrées dans notre droit positif avec la loi du 10 juillet 1976 et les textes pris pour son application, comme le décret du 12 octobre 1977, dont l'article 2 prévoyait que l'étude d'impact d'un projet susceptible d'avoir un effet sur l'environnement devait notamment comprendre les mesures envisagées par le maître d'ouvrage pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement. Il s'agissait alors d'une innovation importante de notre droit, en reconnaissant que des projets d'urbanisme pouvaient avoir des effets significatifs sur l'environnement et en inscrivant l'obligation de prévoir un regard spécifique sur ce triptyque éviter-réduire-compenser (ERC) dans les études d'impact.

Dans un premier temps, le juge administratif a veillé au respect de ces obligations sous un angle procédural. Il s'agissait de vérifier que l'étude d'impact comprenait bien des mesures pour éviter, réduire et compenser, telles qu'exigées par les textes en vigueur. La jurisprudence se structure dans les années 1980 et 1990, avec un premier arrêt de section en 1983. Ces décisions rappellent l'obligation procédurale d'intégrer la séquence ERC dans les études d'impact. Dans les années 1990, une série de décisions optent pour une approche plus qualitative, en appréciant le caractère suffisant de ce volet dans les études d'impact.

Depuis les années 2000, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact eu égard à ce triptyque continue régulièrement à être soulevé mais il est plus rare qu'auparavant qu'il conduise à une annulation, pour plusieurs raisons : les études d'impact sont désormais beaucoup plus fournies sur ce triptyque ERC, les critiques se diversifient sur les études d'impact et ne portent plus uniquement sur cette séquence, et le Conseil d'État a relevé son niveau d'exigence en considérant que les inexactitudes, les insuffisances ou les omissions dans une étude d'impact ne peuvent constituer un vice de procédure de la décision prise sur la base de cette étude d'impact que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative, depuis sa décision Société Ocréal du 14 octobre 2011. Cette évolution permet d'éviter des annulations mécaniques, en les limitant aux cas dans lesquels les insuffisances en question ont eu un impact avéré sur la décision. Ce moyen reste souvent soulevé. Un exemple récent : la décision Association de sauvegarde du Trégor du 5 décembre 2016 dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir contre un décret autorisant l'exploitation de sables calcaires.

Dans un second temps, le juge administratif a intégré le triptyque ERC dans son contrôle de fond. Cela fait notamment suite à un renforcement des textes, notamment la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, les évolutions législatives et réglementaires ayant suivi l'adoption de la Charte de l'environnement et le grenelle de l'environnement. Le cadre européen a par ailleurs été renforcé pendant cette même période. Le principe d'action préventive et de correction est désormais prévu à la base de notre droit de l'environnement, à l'article L.110-1 du code de l'environnement. C'est également le cas pour le code rural et de la pêche maritime, à l'article L. 200-1.

Dès 1998, le Conseil d'État a ainsi jugé que l'administration avait pu légalement refuser d'autoriser l'exploitation d'une carrière, au motif que « les mesures proposées par la société pétitionnaire pour prévenir, supprimer, réduire ou compenser les atteintes que l'exploitation de la carrière pouvait porter à la salubrité publique et à l'environnement n'étaient pas suffisantes pour réduire les inconvénients à un niveau raisonnable. »

En 2006, le Conseil d'État a jugé que le principe de prévention des atteintes à l'environnement, qui peut être proche dans son contenu du triptyque ERC, était invocable dans le cours d'un recours pour excès de pouvoir contre un acte réglementaire, en l'occurrence un décret du 10 janvier2003 autorisant l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) à modifier le centre de stockage de déchets radioactifs dans la Manche. Mais il a précisé à cette occasion que le juge administratif n'exerçait dans ce domaine qu'un contrôle restreint, fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation.

Le juge administratif a appliqué ce cadre à plusieurs reprises, notamment dans une décision Amis de la Terre du 26 mars 2008 sur un arrêté inter-préfectoral portant approbation du plan de protection de l'atmosphère de l'Ile-de-France, une décision Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne du 23 février 2009 à propos de la réintroduction des ours, ou encore une décision de l'assemblée du contentieux du 12 juillet 2013 contre le décret du 22 septembre 2010 relatif à la pêche à l'anguille.

Le contrôle de fond des mesures destinées à éviter, réduire et compenser s'est surtout exercé dans le cadre des recours contre les déclarations d'utilité publique (DUP), et ce dès les années 1980, avec notamment une décision Commune de Thiais du 13 janvier 1984 sur l'autoroute A86. Je citerai également une décision Fédération SEPANSO du 21 mai 2008 contre le décret du 18 décembre 2006 portant déclaration d'utilité publique sur l'A65, dans laquelle le Conseil d'État s'est fondé sur les mesures envisagées pour compenser les atteintes à l'environnement afin de rejeter le recours pour excès de pouvoir. Sur cette même affaire, le commissaire du Gouvernement concluait quant à lui à l'annulation du décret, considérant que l'étude d'impact était insuffisante et que le contenu des mesures proposées était lui-même insuffisant.

Un autre exemple célèbre : la décision Association interdépartementale et intercommunale pour la protection des sites du Verdon du 10 juillet 2006 dans laquelle le Conseil d'État a annulé un arrêté de décembre 2005 des ministres chargés des transports et de l'industrie portant déclaration d'utilité publique pour des lignes à haute tension dans les gorges du Verdon, considérant que les atteintes à l'environnement étaient trop importantes. La compensation n'était pas directement mentionnée mais le sujet était sous-jacent.

Enfin, sur la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le Conseil d'État n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur des recours, a fortiori car nous intervenons surtout en cassation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Concernant la loi biodiversité, nous nous interrogeons sur l'obligation de résultats, et sur la façon dont le juge administratif va la mesurer et la juger. Lorsque le juge administratif sera saisi, restera-t-il plutôt dans une logique de moyens, en exigeant des mesures complémentaires ? Ira-t-il jusqu'à la suspension des projets ?

M. Fabien Raynaud. - En tant que président de chambre, je ne peux pas prendre parti sur des questions sur lesquelles nous devrons nous prononcer plus tard. Ces exigences vont poser des questions nouvelles au juge administratif, c'est certain. Nous sommes habitués au recours pour excès de pouvoir, donc à un contrôle pour lequel le juge se place à la date à laquelle la décision a été prise.

L'obligation de contrôle dans le temps va poser des questions nouvelles, qu'il faudra bien résoudre. Je ne sais pas dire à ce jour comment le juge assurera l'effectivité de la loi, mais il le fera. Le juge administratif utilise au maximum la palette d'outils mis à disposition par le législateur, notamment avec le mécanisme des référés et des injonctions. Le juge administratif n'hésite plus à faire une forme d'hybridation entre le recours pour excès de pouvoir et le recours de plein contentieux.

La 6 e chambre du Conseil d'État a, parmi ses compétences, le contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pour lequel le juge administratif est depuis longtemps un juge du plein contentieux, qui doit apprécier au fil de l'eau le durcissement de la législation, au moment où il statue, notamment pour les installations autorisées par le passé sous un régime moins sévère. Tout en considérant, encore très récemment, que lorsque le juge examine l'autorisation au regard de l'environnement, il se place à la date à laquelle il statue et tient compte du durcissement, mais pour la décision d'urbanisme, il se place à la date d'autorisation, pour tenir compte des droits acquis du titulaire de l'autorisation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les juges administratifs sont-ils suffisamment formés pour trancher ces questions environnementales ?

M. Fabien Raynaud. - Je serai prudent sur un jugement global de la juridiction administrative, mais c'est un sujet que nous pratiquons depuis longtemps, même si la législation a fait monter le niveau d'exigence.

Le juge administratif dispose de nouveaux moyens d'enquête comme le recours à l'expertise ou l' amicus curiae, plus ponctuel mais qui permet de verser au dossier l'appréciation d'un organisme extérieur, comme cela a récemment été fait pour l'affaire Lambert en faisant appel à l'Ordre des médecins, à l'Académie de médecine, à l'auteur de la loi qu'il fallait appliquer, Monsieur Leonetti. Le mécanisme des enquêtes à la barre tend aussi à se développer, en permettant de convoquer les parties et de les entendre lors d'auditions publiques afin de poser des questions très précises. Cela permet de compléter très utilement la procédure écrite, habituellement au coeur de l'activité du juge administratif. Cela peut être une solution pour renforcer notre capacité à maîtriser les enjeux environnementaux, dans des affaires particulièrement importantes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le juge administratif a-t-il tendance à se positionner différemment selon la taille des projets, en particulier sur des grands projets pour lesquels d'autres intérêts publics peuvent primer ?

M. Fabien Raynaud. - Je ne crois pas. Les grands projets sont généralement ceux qui font aussi l'objet de l'effort le plus important en termes de qualité environnementale. Je ne dirai pas que le juge administratif fait preuve de plus de retenues sur les grands projets. Il arrive que la jurisprudence progresse en posant un principe sans l'appliquer au cas d'espèce ; cela était fréquent au XIX e siècle et cela peut encore arriver.

Le juge administratif est par ailleurs de plus en plus attentif à la sécurité juridique dans ses décisions et notamment aux évolutions de sa jurisprudence. Je pense à la possibilité de limiter la portée dans le temps d'une nouvelle jurisprudence, ou de préciser les effets dans le temps d'une décision d'annulation.

La difficulté des affaires que vous mentionnez, c'est qu'il s'agit de contentieux triangulaires, voire davantage. De nos jours, ces contentieux environnementaux sont sans doute les contentieux administratifs qui concernent le plus de personnes. Le juge doit en tenir compte lorsqu'il statue.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il y a beaucoup d'avis consultatifs dans la chaîne de décision, comme celui du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) ou de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Si l'on se dispense d'une telle consultation, cela crée un vice de forme. Si l'on passe outre un avis consultatif défavorable, la procédure continue mais est-ce que le juge administratif en tient compte dans son appréciation?

M. Fabien Raynaud. - En termes de procédure, dès lors que les avis consultatifs ont été rendus, il n'y a pas de difficulté. Les procédures d'avis conforme restent rares. Sur le fond, un avis négatif est bien sûr un élément du dossier, notamment quand il est très développé. Il n'aura pas d'effet mécanique sur la décision du juge mais il aura un réel poids. Je reste prudent car je ne suis président que depuis peu, mais la qualité des avis progresse vraiment, notamment les analyses des DREAL.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En termes de calendrier, certains avis environnementaux interviennent en aval de l'enquête publique, et peuvent engendrer des contentieux en tiroirs. Considérez-vous comme d'autres personnes entendues qu'il y a un empilement et un séquençage compliqué ? Ne gagnerait-on pas à restructurer les procédures environnementales plus en amont ?

M. Fabien Raynaud. - Je me garderai bien de donner un avis sur les choix du législateur, mais en tant que juge administratif, nous nous interrogeons sur la meilleure manière d'assurer l'effectivité des textes, en évitant des annulations qui arriveraient très tard par rapport à des insuffisances intervenues très tôt dans la procédure. Nous essayons de rechercher des équilibres pour éviter de telles décisions incompréhensibles et un peu exaspérantes. Tout ce que le législateur décidera de faire en ce sens facilitera notre tâche, afin d'éviter des situations peu satisfaisantes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur la LGV Tours-Bordeaux, il y a eu une condamnation d'une entreprise pour non-respect de certaines mesures de prudence lors des travaux. On peut avoir le sentiment que l'entreprise y a gagné, en privilégiant l'amende. Même si s'agit d'une décision pénale, le montant des amendes encourues ne vous semble-t-il pas désincitatif pour les maîtres d'ouvrage ?

M. Fabien Raynaud. - Vous comprendrez bien qu'il ne me revient pas d'apprécier une décision prise par une juridiction de l'autre ordre.

M. Jérôme Bignon . - Même si vous refusez, à juste titre, de nous donner des conseils, cela nous éclaire sur notre activité de législateur. Lorsque j'étais député, j'avais co-écrit avec François Sauvadet un rapport intitulé « L'insoutenable application de la loi ».

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si vous avez des suggestions d'analyses ou de réflexions produites sur ces sujets, nous sommes très preneurs.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci à vous.

Audition de M. Renaud Lagrave, vice-président chargé des infrastructures, des transports et de la mobilité du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine
(mercredi 8 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Notre première audition de l'après-midi est consacrée aux deux projets de l'A65 et de la LGV Tours-Bordeaux puisque nous recevons un représentant du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, M. Renaud Lagrave, vice-président chargé des infrastructures, des transports et de la mobilité. Il remplace M. Alain Rousset, président du conseil régional, qui nous avait été annoncé dans un premier temps.

À travers ces deux cas spécifiques de l'A65 et de la LGV, je rappelle que nous cherchons à appréhender les enjeux plus généraux de l'efficacité et surtout de l'effectivité du système de mesures compensatoires français.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Monsieur, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Renaud Lagrave prête serment.

M. Jean-François Longeot, président . - À la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Renaud Lagrave, vice-président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. - Je ne possède pas de lien d'intérêt avec les projets évoqués.

Je vous prie de bien vouloir excuser Monsieur le président Alain Rousset qui m'a demandé de bien vouloir représenter l'exécutif de notre collectivité en tant que vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine en charge des infrastructures. Au titre de mon mandat de conseiller régional je suis par ailleurs président du Parc naturel régional des Landes de Gascogne et président du groupement d'intérêt public (GIP) Littoral aquitain. Je suis également conseiller municipal de Mont-de-Marsan et vice-président du Conservatoire du littoral.

À travers les réponses aux questions transmises, je vais tenter de présenter le point de vue de la région de Nouvelle-Aquitaine sur les deux dossiers de l'autoroute A65 et la LGV Tours-Bordeaux. Ils sont, en effet, déterminants pour la structuration de l'ancienne région Aquitaine et, a fortiori , de la nouvelle région. Il apparait néanmoins que la plupart des travaux que nous avons menés récemment ne prend en compte que l'ancien périmètre de la région et que les exemples que je fournirai dans mes réponses la concerneront donc principalement.

Nous sommes attachés à ces deux infrastructures. Les deux projets ont d'ailleurs été défendus par le président Alain Rousset, mais également par tous les exécutifs de la région Aquitaine depuis 1998. J'ai, à titre personnel, la chance d'emprunter quasi-quotidiennement l'A65 pour me rendre à Bordeaux depuis Mont-de-Marsan. Je suppose que le travail de cette commission d'enquête a pour objet, au travers des infrastructures qu'elle étudie, de se projeter dans l'avenir. Cela tombe bien car nous avons des propositions à formuler. Nous pensons, en effet, qu'un certain nombre d'outils qui ont été mis en place en Aquitaine seront peut-être utiles ailleurs s'ils sont transposés dans tout vecteur propre à faire avancer ces questions.

Vous souhaitez tout d'abord savoir si les collectivités territoriales ont, dans leur ensemble, une bonne connaissance de ce qu'est le principe de la compensation des atteintes à la biodiversité, notamment depuis la loi du 8 août dernier pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ?

Une grande majorité de collectivités a, avant toute chose, compris qu'une concertation devait être préalable à la compensation. Ce principe a guidé notre action depuis plus de vingt ans. Nous avons en permanence gardé en tête l'idée d'obtenir l'infrastructure, certes, mais avons aussi cherché à nous projeter dans l'avenir. Les collectivités se sont emparées des outils créés par le législateur, comme les trames vertes et bleues depuis 1998 ou l'ensemble des schémas mis en oeuvre à l'échelle de la région depuis 2007, qu'il s'agisse par exemple des schémas énergie ou des schémas éoliens. Je fais ici également référence aux nouvelles compétences qui nous ont été confiées par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) de 2014 ou, plus récemment, par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

Nous avons, depuis lors, tenté d'assumer le rôle de chef de file de la région en matière de biodiversité, tel qu'il est désormais prévu par la loi. Les investissements en lien avec ce statut sont aujourd'hui palpables dans les comptes administratifs des régions, notamment ceux de Nouvelle-Aquitaine pour laquelle cela représente 650 millions d'euros par an. Il convient d'ajouter à cela la gestion des fonds européens dont beaucoup sont en lien avec la biodiversité.

L'Aquitaine n'a pas attendu ces lois pour mettre en oeuvre un certain nombre de projets. L'exécutif de notre région mène, depuis quelques années, une politique particulièrement volontariste en matière de transition énergétique, de transition écologique et de maintien du patrimoine naturel au travers d'outils qui peuvent être au service de la compensation. Ces outils résultent notamment d'une prise de conscience de certains élus. La région Aquitaine a bénéficié du seul rapport d'échelle régionale portant sur le changement climatique porté par Hervé Le Treut dans le cadre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Notre région compte également cinq parcs naturels régionaux, deux sont en création, ainsi que deux parcs naturels marins, qui sont aujourd'hui des territoires d'expérimentation. Je considère que la question du littoral est centrale. Comme indiqué précédemment, je suis d'ailleurs président du GIP Littoral aquitain, organisme unique en France qui, quarante ans après la mission interministérielle pour l'aménagement de la côte aquitaine (MIACA), participe activement à l'aménagement, à la protection et à la gestion des risques liés à l'accroissement démographique, avec l'ensemble des acteurs concernés. Notre région est en effet une des premières en matière d'attractivité démographique, notamment sur son littoral. Voici encore la preuve que les réflexions que nous menons autour des infrastructures que nous jugeons nécessaires se font dans une logique d'anticipation qui prend aussi en compte les enjeux de biodiversité. En ce sens, nous avons annoncé la semaine dernière la création d'un « GIEC biodiversité » en Nouvelle-Aquitaine, qui réunit un certain nombre de scientifiques.

La prise en compte des sujets de la biodiversité et de l'environnement est donc acquise dans notre région. Le parc naturel régional des Landes de Gascogne me donne l'occasion de travailler avec des élus de petites communes qui n'ont pas forcément le même niveau de connaissance en la matière que les élus des autres échelons de collectivités. Cela montre qu'un large travail de pédagogie reste encore à mener. Il a été entrepris avec l'ensemble des outils que sont le GIP, les parcs et l'Agence française pour la biodiversité.

Votre deuxième question porte sur les rapports entretenus par notre région avec l'administration déconcentrée de l'État au sujet des mesures d'évitement, de réduction et de compensation mises en oeuvre sur notre territoire, notamment en ce qui concerne l'autoroute A65 et la ligne grande vitesse entre Tours et Bordeaux.

La région a davantage été un spectateur qu'acteur en ce qui concerne le projet de l'A65. L'investissement nécessaire était d'origine privée et nous avons seulement été ponctuellement invités à participer à un certain nombre de comités de pilotage sans toutefois être directement concernés.

La situation est différente pour la LGV Tours-Bordeaux. Parmi les cinquante-quatre collectivités qui ont concouru au financement de cette ligne, la région Aquitaine a contribué à hauteur de 330 millions d'euros. Nous avons veillé, au sein des comités de pilotage, dont le dernier en date s'est tenu récemment, à ce que les engagements pris par le concessionnaire soient tenus. Il me semble, à ce titre, que les choses sont faites ou en voie de l'être.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a donc été très peu associé sur le projet de l'A65 ? Maire de Mont-de-Marsan, je suppose qu'il s'agit d'un dossier que vous connaissez bien.

M. Renaud Lagrave. - Bien que de Mont-de-Marsan, je ne siégeais pas dans les comités de pilotage de l'A65 ! Je ne suis, en outre, élu que depuis 2010 et cela ne fait qu'une année que je suis en charge du suivi des infrastructures. Je peux en revanche vous indiquer qu'en ce qui concerne les comités de pilotage de l'A65, nous étions invités à participer à un certain nombre de réunions techniques. Notre implication n'était donc en rien comparable à ce qu'elle a été pour la LGV.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cette question est motivée par le fait qu'il semblerait qu'une aire de l'autoroute A65 ait pris place à Captieux sur un site accueillant un papillon endémique protégé. Il semble donc que la pression des élus locaux pour disposer de cette aire de services ait été prise en compte au détriment de la protection de la biodiversité. Comment la région s'est-elle positionnée sur ce point précis ?

M. Renaud Lagrave. - Je ne connais pas ce point précis du dossier. Si des positions ont été prises, je peux, sans mettre en doute votre constat, vous indiquer que l'aire de Captieux a une utilité réellement avérée. Je sais que des cas similaires se sont présentés sur d'autres territoires, comme à Bostens, près de Mont-de-Marsan. Des mesures ont été prises et des études nous montrent aujourd'hui que des espèces sont finalement revenues après six années d'existence de l'A65.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Malgré l'utilité de cette aire, son existence induit des coûts de compensation beaucoup plus importants que si elle avait été déplacée de quelques kilomètres.

M. Renaud Lagrave. - Son emplacement actuel revêt un caractère véritablement stratégique. Les élus locaux vous le diraient. Y sont liés des enjeux d'emplois, d'infrastructures et de transport. Cette aire est, par exemple, tournée vers Toulouse.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'emplacement de cette aire fait néanmoins débat et montre que les enjeux de biodiversité ne passent pas en premier dans les priorités attachées au projet. Pourrez-vous nous indiquer ultérieurement si la région soutenait la solution de l'emplacement actuel ou si elle était plutôt favorable à une alternative ?

M. Renaud Lagrave. - Oui, je retrouverai la position de la région à ce sujet. J'en viens à votre troisième question : « Quelles spécificités de traitement administratif touchent les projets à cheval sur plusieurs régions ? ».

Je précise, à ce titre, qu'aucune difficulté particulière n'a été rencontrée en ce qui concerne les dossiers évoqués, même si les régions que regroupe aujourd'hui la Nouvelle-Aquitaine n'avaient in fine pas le même point de vue sur ces deux infrastructures. L'État a véritablement joué son rôle à travers les préfets coordonnateurs. Des dossiers plus récents dans le cadre de contrats de plan État-Région nous montrent que les préfets coordonnateurs sont indispensables à la coopération interrégionale, même avec les très grandes régions actuelles. La question est différente quand cinquante-quatre collectivités sont liées à un même projet d'infrastructure. Il serait, à l'avenir, nécessaire de ne plus avoir recours à ce type de montage ingouvernable et ingérable comme on le voit encore aujourd'hui.

Vous souhaitez ensuite savoir si d'après moi les différentes mesures de compensation prises en Nouvelle-Aquitaine sont étudiées au cas par cas ou répondent, au contraire, à une stratégie globale qui les rend cohérentes à l'échelle de la région et si des schémas de cohérence ad hoc devraient-ils être mis en place.

Comme indiqué en introduction, les anciennes régions Aquitaine et Poitou-Charentes avaient travaillé sur un certain nombre de schémas dont des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Nous avons aujourd'hui la nécessité de lancer le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) qui va regrouper les anciens et les nouveaux schémas régionaux. Nous souhaitons faire de ce nouveau schéma un moyen d'anticipation aux côtés des territoires visés par les infrastructures de demain. Ce SRADDET va néanmoins s'appuyer sur certains outils déjà existants comme les chartes de de nos parcs naturels, ou le plan de développement durable du littoral aquitain qui a été adopté il y a 7 ans. Nous allons également nous appuyer sur certains de nos territoires qui possèdent des schémas de cohérence territoriale (SCoT) ou des chartes lorsqu'ils sont organisés en pays. Nous possédons, en outre, beaucoup de territoires de mobilité qui vont nous permettre de travailler sur un certain nombre de volets puisque certains d'entre eux ont été labélisés « territoire à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV) ou par l'intermédiaire d'agendas 21. Si les deux années dont nous disposons paraissent courtes, il faudra néanmoins parvenir à intégrer ces données dans le SRADDET.

Une « DATAR » régionale a été créée en Nouvelle-Aquitaine pour apporter un appui à certains territoires en manque d'ingénierie dans certains domaines, notamment ceux que nous évoquons aujourd'hui.

Je pense que le SRADDET est un outil qui va nous permettre de travailler avec les territoires, avec les élus, avec le monde associatif ainsi que l'ensemble des acteurs qui souhaitent façonner notre nouvelle région. Cette région connait une démographie particulièrement dynamique depuis un certain nombre d'années. Cet accroissement de population équivaut à la création d'une nouvelle ville de 10 000 habitants par an. On observe une forte littoralisation de ces habitants sur la façade Atlantique. Une grande partie de ces nouveaux habitants vient travailler dans notre région et seule une partie plus faible y vient prendre sa retraite.

Le SRADDET sera également mis à contribution pour l'anticipation des risques littoraux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous aimerions comprendre comment il serait possible de lier les éventuels besoins de compensation et le SRADDET ou la trame verte et bleue. Est-ce que vos travaux sur le SRADDET vous ont amené à identifier des enjeux locaux spécifiques liés à la compensation ? Disposez-vous d'une méthode ou d'exemples précis ?

M. Renaud Lagrave. - Le sujet qui apparaît à travers celui du SRADDET ou de nos débats actuels est celui du foncier. Qu'il s'agisse de foncier destiné à l'agriculture, au logement, ou aux activités économiques. Nous bâtissons une stratégie à ce sujet. Dans l'hypothèse où nous devrions construire deux nouveaux lycées pour répondre à une demande locale, il faudra prévoir du foncier pour leur construction mais également pour la compensation qui sera rendue nécessaire.

Je suis favorable à ce que la ligne Tours-Bordeaux soit prolongée jusqu'à la frontière espagnole afin de constituer un véritable axe Atlantique d'échelle européenne. Sa construction entrainera la mise en oeuvre de mesures de compensation. Il s'agit d'une évidence.

Le SRADDET doit prendre en compte l'ensemble des paramètres pour dire ce que l'on construit et où on le construit au regard des enjeux démographiques déjà évoqués et des infrastructures de transport, d'éducation ou des lieux culturels qui seront nécessaires demain. À Luxey, dans les Landes, des pins ont été plantés pour compenser la construction d'une salle culturelle.

Au lendemain de la tempête Klaus, le président Alain Rousset s'est engagé à ce que les dégâts causés à la forêt des Landes donnent lieu à ce qu'elle soit replantée à l'identique, coupant court aux aspirations de certains qui auraient souhaité changer la destination de ces surfaces.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Un surcout de 10 à 15 % pour des infrastructures jugées nécessaires vous semble-t-il raisonnable afin de financer les mesures en faveur de la biodiversité ? Les projets qui nous intéressent en Nouvelle-Aquitaine semblent faire état de sommes bien moindres.

M. Renaud Lagrave. - À partir du moment où existe la volonté de réaliser des infrastructures, il faut évidemment compenser. Nous menons des politiques volontaristes et ne reculons pas lorsqu'il est nécessaire de mettre en oeuvre les mesures de compensation induites par les infrastructures que nous souhaitons. Dans les domaines que nous maîtrisons, nous avons toujours fait ainsi, quel que soit le dossier. Aquitaine Carbone créée il y a plusieurs années et qui vise, entre autres, la reforestation, est encore une preuve de ce volontarisme.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le législateur a aujourd'hui rendu obligatoire l'absence de perte nette de biodiversité ainsi que l'obligation de résultat sur les mesures de compensation. Les coûts supportés par un concessionnaire pour répondre à ces obligations vont in fine être supportés par l'État et les collectivités locales du fait de l'impact à la baisse que le concessionnaire subira sur son taux de retour sur investissement. Êtes-vous donc prêt à accepter de supporter un surcoût de 50 à 100 millions d'euros pour une infrastructure importante, dans le contexte actuel de raréfaction des deniers publics ? Allez-vous compenser a minima par mesure d'économie voire chercher à éviter la réalisation de certains projets ? L'obligation est relativement nouvelle et les sommes en jeu loin d'être négligeables. La ligne ferroviaire actuelle pour aller à Mont-de-Marsan n'est-elle pas, par exemple, suffisante ?

M. Renaud Lagrave. - La question du prix des infrastructures est plus large que celle des seuls coûts affectés aux mesures environnementales. Une étude d'opportunité qui prendrait en compte le coût d'une infrastructure comme critère majeur disqualifierait assurément l'ensemble des projets qui lui seraient soumis ! Si on avait commencé par analyser le prix de la LGV Tours-Bordeaux, elle n'existerait pas au 2 juillet prochain ! L'utilité de l'infrastructure et non son coût doit être regardée en premier lieu. Je considère, à ce titre, que l'A65 a une utilité structurante pour notre région.

En ce qui concerne le financement de projets d'infrastructures, la région Nouvelle-Aquitaine avait répondu favorablement à la création de l'écotaxe. Nous sommes, en outre, favorables à l'expérimentation d'une vignette « transport ». Il me semble difficile de proposer plus.

Nous avons signé pour 750 millions d'euros de travaux dans le cadre des contrats de plan État-région pour le ferroviaire en Nouvelle-Aquitaine. Cette somme est de 2,5 milliards d'euros en ce qui concerne le dernier mandat au conseil régional de l'ancienne région Aquitaine. La ligne Tours-Bordeaux représente 330 millions d'euros d'investissement de notre région. Lorsque des opérateurs viennent nous voir pour nous annoncer la fermeture de lignes faute de moyens, la question du financement des infrastructures ferroviaires et routières se pose de manière concrète. Certains choisissent de substituer des bus à ces lignes. Nous refusons de le faire et nous battons pour trouver des financements à destination des infrastructures ferroviaires car nous considérons qu'elles sont plus respectueuses de l'environnement. Nos lignes existantes ont parfois plus de cent ans sans que des travaux de fond ne soient intervenus depuis leur ouverture.

Nous reconnaissons cependant ne pas avoir les moyens que notre politique nécessite et réclamons des financements afin d'assurer notamment la jonction LGV vers l'Espagne. Ces financements nécessitent la création d'une écotaxe, mais également des financements européens pour lesquels un dossier à récemment été déposé à la Commission européenne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous répondez donc que vous êtes prêts à assumer sans trop de difficultés les surcoûts environnementaux attachés aux projets d'infrastructures malgré l'importance des sommes engagées ?

M. Renaud Lagrave. - Nous l'avons déjà assumé lorsqu'il s'est agi de faire un certain nombre de travaux avec des collectivités locales. Le site des Neuf fontaines de Bostens que j'évoquais en est l'exemple. Hors contributions « 1% », la région et le département ont contribué à hauteur de quelques dizaines de milliers d'euros en ce sens. Il est important que l'évitement soit un préalable. Je souhaite d'ailleurs que le futur tracé du grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) au sud de Bordeaux évite un maximum de difficultés liées à la biodiversité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il est ressorti de nos auditions précédentes que des associations n'avaient pas les moyens nécessaires de suivre des comités de suivi réguliers. Pensez-vous que les associations locales sont en mesure d'effectuer un tel suivi ? En tant que chef de file en matière de biodiversité, la région pourrait-elle soutenir ces associations afin qu'elles jouent ce rôle ?

M. Renaud Lagrave. - Il me semble que les agences régionales pour la biodiversité sont là pour cela. Nous en avons créé une en Aquitaine dans ce but. Elle est également présente pour épauler les élus locaux qui sont confrontés à l'ensemble de ces questions sans être forcément formés ou sensibilisés en amont, à l'échelle de leurs territoires et notamment en milieu rural. Ces connaissances sont importantes pour apprécier les arguments techniques formulés par les techniciens spécialistes. D'autres outils tels que notre GIP ou les parcs naturels régionaux, jouent aussi ce rôle.

Cette remarque me conduit à votre sixième question : « L'article 163-1 du code de l'environnement précise désormais que les opérateurs de compensation peuvent être des personnes publiques. Pensez-vous que l'exemple du département des Yvelines sera suivi par des régions qui souhaiteraient se doter d'un opérateur de compensation des atteintes à la biodiversité ? ».

Je pense que nous possédons un certain nombre d'outils qui nous permettent de mettre en oeuvre des mesures de compensation. Nous avons des projets de réserves naturelles dont les dossiers sont en cours de traitement. Il conviendra donc d'en tenir compte afin d'améliorer la gestion du foncier. Le mitage largement visible à l'échelle de notre massif forestier est une question également importante. Je citerai aussi la réalisation d'atlas de la biodiversité qui ont été réalisés dans notre région et qui nous semblent répondre à des enjeux majeurs.

Tous ces outils sont nécessaires pour assumer le rôle de chef de file de notre région en matière de biodiversité. Le SRADDET est une chance pour définir les objectifs de notre territoire, la manière de les atteindre ainsi que les moyens que nous sommes prêts à engager en conséquence, notamment pour compenser.

Il est important de ne pas attendre les infrastructures pour commencer à compenser. La maîtrise du foncier est aussi stratégique. Il pourrait être intéressant qu'un établissement public acquière du foncier au fur et à mesure des opportunités qui se présentent et le mette en réserve afin de le soustraire à d'autres destinations immédiates. Ces réserves à destination de la compensation pourraient être planifiées en fonction de paramètres permettant d'anticiper les infrastructures elles-mêmes, comme la démographie pour les lycées, par exemple. Je suis persuadé que cette anticipation est possible et il conviendrait de l'intégrer au SRADDET.

Je pense ici avoir répondu à la septième question qui était : « Pensez-vous que le développement des mesures de compensation permet utilement et concrètement à votre région de concilier ses besoins d'infrastructures avec la nécessité de préserver son environnement ? ».

Au sujet des infrastructures, je précise que nos infrastructures en littoral sont extrêmement vieillissantes puisque datant de la MIACA précédemment évoquée. Nous souhaitons aujourd'hui réimaginer nos stations en tenant compte de leur aménagement durable et de la biodiversité.

Enfin, la huitième question était la suivante : « Quelles sont d'après vous les limites du cadre juridique de la séquence « éviter, réduire, compenser » ? La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages vous semble-t-elle l'avoir amélioré ? Avez-vous des propositions juridiques ou pratiques pour le faire encore évoluer ? ».

Notre réponse passe par le choix que nous avons fait d'une agence régionale de la biodiversité. Il faut aussi donner la possibilité aux services déconcentrés de l'État ou à la région d'expliquer ce qui ne se fait pas. Je veux ici évoquer l'absence de destruction de certaines constructions illégales sur notre littoral en bord de mer, par exemple. Si, dans le cas que je vise, le jugement n'a pas conduit à la démolition, je pense néanmoins que l'État aurait dû poursuivre la personne à l'origine de cette construction illégale. Nous avons besoin de garde-fous pour protéger l'environnement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quelles sont les formes de votre collaboration avec l'État ?

Mme Évelyne Didier . - Dans le fil du travail effectué par les anciennes régions qui la composent, la Nouvelle-Aquitaine semble exemplaire dans son engagement ! Par les contacts que vous avez avec nos homologues au sein de l'Association des régions de France (ARF), pensez-vous que votre état d'esprit est partagé par d'autres régions ou est-ce encore une pensée en devenir ?

M. Renaud Lagrave. - Si l'on met de côté les parcs naturels qui existent partout en France, je pense que nous sommes les seuls à avoir développé une telle batterie d'outils et que nos orientations ne sont pas forcément partagées. D'autres régions n'ont pas forcément choisi de promouvoir le ferroviaire ou de mettre en place une agence régionale de la biodiversité. Outre les outils déjà présentés, nous disposons également d'un observatoire de la côte aquitaine qui a une vingtaine d'années. Ils sont le reflet de choix assez uniques qui ont parfois été faits il y a un certain temps. Nous sommes, par exemple, une des premières régions de France en matière d'énergies renouvelables.

L'attractivité de notre région est en grande partie due à son espace. Il nous faut conserver cette spécificité. Cela passe par des réflexions sur le foncier et les infrastructures et les questions de développement qui sont au coeur de nos choix stratégiques.

En ce qui concerne nos relations avec l'État, nous souhaitons de sa part qu'il exerce sa fonction de contrôle mais comprenons que nous ne pouvons pas tout attendre de lui et qu'il faut se prendre en main. Il y a quelques années, des représentants d'un ministère étaient venus m'informer de la mise en place d'une directive d'aménagement sur le littoral aquitain alors que notre GIP Littoral existait depuis six ans et que l'État en était membre. Conscient que nos travaux sont perfectibles, je leur ai néanmoins indiqué que nous travaillons sur le terrain en tant qu'élus ou associations et qu'il convient d'écouter notre point de vue en conséquence. Nous entretenons donc de bonnes relations avec l'État, même si je pense qu'il doit être réarmé notamment sur les questions environnementales. Si cela n'était possible, nous accepterions de prendre le relais. Nous avons néanmoins besoin de structures de dialogue et de discussion en région. L'exemple du travail sur la relocalisation d'activités due à l'érosion du littoral mené par notre GIP en est un exemple. Si nous possédons des outils avec un observatoire ad hoc à même de faire des prévisions, nous constatons néanmoins le besoin d'un État-stratège. La compensation relève à peu près de la même logique puisqu'il nous faut participer mais surtout anticiper les questions qui y sont relatives et qui vont se poser dans l'avenir, notamment pour les infrastructures. Car nous avons une idée de la manière dont les choses vont se dérouler et nous disposons de schémas à cet effet. Je pense que ces enjeux peuvent avoir le SRADDET pour vecteur mais la création d'un outil spécifique est une question à approfondir.

Mme Évelyne Didier . - Vous pensez donc que les projets d'infrastructure s'insèrent dans une région et que c'est donc à l'échelle de cette région, qu'il convient de penser leur compensation et non projet par projet ?

M. Renaud Lagrave. - Il y aura plus d'attachement à ces questions de la part des élus locaux, quelle que soit leur collectivité et son échelle, si le problème est analysé sous l'angle de la proximité et que ces élus se retrouvent autour d'une table pour en discuter. Les gens seront volontaristes. Aquitaine carbone a vu des collectivités et des entreprises se mobiliser spontanément dans le sens de son action. L'anticipation est, elle aussi, nécessaire car elle permet de traiter plus efficacement les problèmes que lorsqu'on est contraint de réagir au dernier moment. Certaines infrastructures sont issues de projets qui mettent une dizaine d'années à aboutir. Cela laisse le temps d'être efficace. La mise en place d'un fonds régional à l'initiative des agences régionales de la biodiversité abondé par les collectivités pour des projets de faible ampleur comme une extension de zones économiques ou artisanales entrainerait, il me semble, une adhésion large de la part des petites communes ou intercommunalités. Une telle initiative ferait sortir ces sujets du monde des techniciens et rendrait les élus plus concernés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment abonder ce fonds ? Vous aurez du mal à donner un prix aux papillons ou à l'outarde canepetière. Pensez-vous à une taxe d'aménagement ?

M. Renaud Lagrave. - C'est une possibilité. Cela pourrait également être une partie de la taxe carbone que j'évoquais.

Mme Évelyne Didier . - Et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ?

M. Renaud Lagrave. - Pourquoi pas ? Même si je pense qu'il ne s'agit pas de la meilleure solution et que beaucoup d'autres moyens sont possibles. Des versements directs et volontaires depuis le budget d'une commune ou d'une autre collectivité, par exemple.

Mme Évelyne Didier . - Et un apport de terres ?

M. Renaud Lagrave. - C'est une autre solution possible. Un parallèle pourrait être fait avec les cotisations sociales pour les personnes physiques. Les verser ne signifie pas forcément que l'on va bénéficier de la prestation qui en résulte.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il ressort de nos auditions, notamment celle des représentants de l'État, que le coût environnemental d'un grand projet est de l'ordre de 10 à 15%. Avez-vous l'impression que si les fonds correspondants pour l'A65 ou la LGV Tours-Bordeaux avaient été mis à la disposition de votre agence régionale pour la biodiversité une utilisation plus efficace en aurait été faite en faveur de la biodiversité ?

M. Renaud Lagrave. - Je pense que oui mais je n'ai pas les compétences pour répondre à cette question. La gestion de la compensation pourrait être mise en place à l'échelle de la région avec l'agence régionale pour la biodiversité comme un intermédiaire durable de compensation qui serait, par exemple, alimenté par une cotisation annuelle volontaire ou obligatoire des acteurs concernés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'État joue-t-il son rôle de contrôle ? Car le système ne peut fonctionner sans lui.

M. Renaud Lagrave. - J'ai volontairement choisi quelques cas qui peuvent conduire à ce que la question se pose ! Un opérateur présent sur le parc naturel régional des Landes de Gascogne voulait, par exemple, doubler la surface de sa porcherie alors que ce n'était pas compatible avec la charte de ce parc. Un grand nombre d'élus locaux ont protesté mais l'extension a été autorisée sous certaines conditions, malgré notre avis.

Les schémas à la disposition des collectivités sont, il est vrai, tous vérifiés par l'État. Son contrôle s'opère donc, mais pas de manière homogène et pas toujours à bon escient. Je pense que les nouveaux moyens, notamment humains, donnés à l'État en région devraient lui permettre d'exercer un contrôle plus efficace sur l'ensemble des dossiers portés par les collectivités. À l'inverse, je ne suis pas persuadé que l'ensemble du personnel dédié au développement économique dans les services déconcentrés de l'État en région soit encore nécessaire après certains transferts de compétences. Des rééquilibrages pourraient donc être envisagés en faveur des thématiques environnementales.

Mme Évelyne Didier . - L'Agence française pour la biodiversité (AFB) va sans doute compenser en partie ce déséquilibre.

M. Renaud Lagrave. - Certes, mais la région ne dispose pas du pouvoir de police.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'AFB disposera du pouvoir de police de l'eau.

M. Renaud Lagrave. - C'est vrai, mais va-t-elle pouvoir compter sur des moyens humains suffisants sur le territoire ? Je constate, par exemple, que les gardes du littoral que je rencontre sont de moins en moins nombreux. Il en va de même pour la forêt.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous recevrons dans quelques jours les représentants de l'AFB et pourrons ainsi leur poser la question. Nous vous remercions.

Audition de M. Henri-Michel Comet, préfet de région, et M. Philippe Viroulaud, directeur général adjoint de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) des Pays de la Loire
(mercredi 8 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons nos auditions cet après-midi en revenant sur le projet spécifique de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, puisque nous recevons M. Henri-Michel Comet, préfet de la région des Pays de la Loire et M. Philippe Viroulaud, directeur général adjoint de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), des Pays de la Loire.

Vous êtes accompagnés de M. Stéphan de Ribou, sous-préfet chargé de mission auprès du préfet de région des Pays de la Loire.

Ce projet figure parmi les quatre projets spécifiques que notre commission d'enquête étudie pour tenter de voir quelles sont les difficultés actuelles de l'application de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) et de la mise en oeuvre ainsi que du contrôle et du suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures.

Tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Henri-Michel Comet et Philippe Viroulaud prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Pouvez-vous nous indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, à savoir l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de La Crau ?

M. Henri-Michel Comet, préfet de région . - Nous n'en avons aucun.

L'élaboration du projet de transfert de l'aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes a été minutieuse. Chacune des solutions a été discutée et pesée au regard de cinq enjeux : le développement aéroportuaire international, l'aménagement du territoire national, la protection des populations contre les risques et les nuisances, la préservation de l'environnement et celle de l'agriculture.

En matière de préservation de l'environnement, le projet a été conçu au fil des années en tenant compte scrupuleusement de l'évolution des connaissances scientifiques et du renforcement de la réglementation.

Je vais montrer combien la volonté d'éviter, de réduire et de compenser a été ambitieuse dans l'élaboration du projet. La démarche de compensation retenue pour ce projet a été novatrice.

L'impératif ERC a été respecté de manière précise. Tout d'abord, le choix du site de transfert : ce choix est adossé à une première étude menée dans les années 1960 et qui a examiné neuf sites pour finalement retenir celui de Notre-Dame-des-Landes en 1970. Une nouvelle étude a été menée en 1992, comparant seize sites, et elle a confirmé le site de Notre-Dame-des-Landes. La décision a été prise en 2000 et une nouvelle étude a été actualisée en 2002 afin d'être présentée à la concertation lors du débat public en 2003. Au cours de ce débat, une étude complémentaire indépendante a été réalisée à la demande de la commission nationale du débat public. Cette étude multicritères, qui prenait en compte l'environnement, a de nouveau retenu le site de Notre-Dame-des-Landes. Enfin, dans son rapport de mars 2016, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), stipule : « Dans l'hypothèse de la construction d'un aéroport sur un nouvel emplacement, le site de Notre-Dame-des-Landes paraît, encore aujourd'hui, indépendamment des avantages que constituent la maîtrise foncière partielle et la limitation de la périurbanisation, le meilleur site envisageable ». Parallèlement à cela, le site de Notre-Dame-des-Landes évite l'ensemble des grands sites écologiques du département que sont le réseau Natura 2000, la Grande Brière, le lac de Grandlieu, l'estuaire de la Loire, mais aussi les espaces naturels à fort intérêt patrimonial qui sont délimités dans le schéma de cohérence territoriale (SCOT) métropolitain Nantes-Saint-Nazaire. Ces espaces couvrent 25 % du territoire du SCOT. Pour mémoire, ce SCOT couvre un peu plus du quart nord-ouest du département et 60 % de la population. C'est dire si l'exigence est élevée.

Enfin, les décisions du Conseil d'État sur la déclaration d'utilité publique (DUP) et de la cour administrative d'appel vont dans le même sens concernant le choix du site.

J'en arrive aux caractéristiques du projet telles qu'elles ont été définies lors des études préalables à la DUP de 2008. Tout d'abord, quels sont les enjeux écologiques de Notre-Dame-des-Landes ? La richesse écologique du bocage n'est pas intrinsèque au territoire, comme cela peut être le cas pour la Brière, pour le lac de Grandlieu ou pour les autres grands sites à proximité. Cette richesse est induite par la création de la zone d'aménagement différé (ZAD) en 1974. La création de la ZAD a en effet conduit à reporter le réaménagement foncier de la commune de Notre-Dame-des-Landes et, en conséquence, à en préserver la biodiversité. En outre, la mosaïque de milieux créée et entretenue par l'homme ne constitue pas un site qualifié de majeur pour la conservation des espèces d'intérêt communautaire, même si elle offre une grande diversité d'espèces caractéristiques de ces milieux. Cette appréciation est formulée par le CGEDD dans son rapport de mars 2016 : « le site de Notre-Dame-des-Landes ne présente pas, du point de vue de la flore, des caractéristiques d'exception » et « le site de Notre-Dame-des-Landes s'avère d'une réelle richesse pour les batraciens, les reptiles, les chauves-souris, tant par la présence d'espèces menacées que par la taille des populations. Pour autant, ce n'est pas un ensemble d'exception ». Ce cadrage général ayant été posé, je souligne malgré tout que la biodiversité a été pleinement appréhendée en 2008 dès les études préalables à la DUP.

Pour ce qui concerne le volet « éviter », il a été décidé de positionner les pistes et la zone des installations ailleurs que sur le secteur nord-est qui présentait la plus grande valeur écologique.

Pour le volet « réduire, », il a été décidé de contenir les surfaces mobilisées, mais aussi de rétablir les continuités écologiques pour la grande et la petite faune et de restaurer les continuités hydrauliques.

Enfin, pour le volet « compenser », il a été décidé de recréer à deux pour un les mares détruites, de replanter à un pour un au moins le linéaire de haies arrachées.

Enfin, les maîtres d'ouvrage - Aéroports du Grand Ouest (AGO) Vinci d'un côté et État-DREAL de l'autre - ont précisé les mesures de compensation. Les enjeux liés aux zones humides ont été pleinement appréhendés. La définition des zones humides date de 2008. Précédemment à cet arrêté ministériel, la caractéristique retenue était uniquement floristique et les zones humides ne concernaient sur le site que 13 % des emprises. Après l'arrêté ministériel de 2008, des critères pédologiques ont été introduits : dès lors, 98 % de l'emprise a été qualifiée de zone humide. Il faut savoir qu'en retenant ces critères, c'est environ 40 % du territoire départemental qui est constitué de zones humides. Le site de Notre-Dame-des-Landes représente ainsi 0,3 % des zones humides du département.

Les maîtres d'ouvrage se sont attachés à caractériser les fonctionnalités des zones humides et à préciser les mesures pour éviter, réduire et compenser.

S'agissant de la caractérisation, la qualité des dossiers portés par les maîtres d'ouvrage a été soulignée par la commission locale de l'eau (CLE) du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) Vilaine dans son avis du 3 juillet 2012 : « la qualité générale du dossier présenté et en particulier la bonne description de l'état initial et des impacts », mais aussi par le rapport du CGEDD, que j'ai déjà cité : « le faible nombre de découvertes supplémentaires est un indice de la qualité de la prospection initiale ».

Cet état initial a permis de caractériser le site avec deux types de zones humides. Les zones humides le long des cours d'eau qui présentent des fonctionnalités hydrauliques représentent environ 30 % des emprises. Les zones humides de plateau, qui couvrent 70 % des emprises, présentent des fonctionnalités moindres.

Je voudrais citer quelques mesures d'évitement proposées par les maîtres d'ouvrage : d'abord, l'optimisation des emprises foncières. Le concessionnaire a réduit à 147 hectares les surfaces imperméabilisées et à 537 hectares les surfaces aménagées. Par ailleurs, le choix par l'autre maître d'ouvrage, à savoir l'État, d'un tracé définitif de la desserte routière situé au plus près de la plate-forme aéroportuaire a permis de préserver un peu plus de 13 % du site. Il faut donc noter une volonté très claire de préserver les emprises foncières.

En outre, des mesures particulières ont été décidées par les maîtres d'ouvrage sur notre insistance, par exemple le calendrier des travaux, afin de tenir compte des espèces vulnérables en période de reproduction et de ne pas détruire les habitats. De même, nous avons voulu restaurer un cours d'eau assez important, l'Épine, afin de rétablir la continuité hydraulique.

Voilà quelques exemples, mais il y en a beaucoup d'autres.

Je veux souligner l'exigence de la démarche environnementale qui a accompagné ce projet depuis l'origine. Non seulement elle a pris en compte, en temps réel, les connaissances scientifiques sur la biodiversité, mais elle a souvent anticipé des contraintes normatives. Cette démarche est à la fois exigeante et anticipatrice par rapport à l'évolution législative de notre pays. Ce projet apporte donc une contribution importante à la politique nationale de préservation de la biodiversité. Son épanouissement nous permettrait de mesurer le dispositif de suivi des mesures de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur la partie « éviter », c'est-à-dire ne pas faire l'aéroport, vous avez en partie répondu. La commission du dialogue mise en place à l'initiative de l'État en 2013 avait demandé une étude approfondie sur l'aéroport Nantes-Atlantique. Pourquoi l'étude n'a-t-elle pas ensuite été lancée, sachant que le CGEDD a également estimé que le premier site pouvait être conservé au regard du trafic ? Pourquoi ne pas avoir suivi les préconisations de la commission de dialogue mise en place par l'État lui-même ?

M. Philippe Viroulaud, directeur général adjoint de la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement des Pays de la Loire . - Les préconisations de la commission du dialogue ont été suivies : la direction générale de l'aviation civile (DGAC) a diligenté en 2013 une étude de réaménagement de Nantes-Atlantique qui a démontré sa faisabilité, mais à des coûts élevés et avec de fortes contraintes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'aurai deux questions sur la séquence « réduire ». Nous avons interrogé le maître d'ouvrage AGO sur les raisons qui l'ont poussé à prévoir des parkings à plat : il nous a répondu que c'était à la demande de l'État. En Europe, la tendance est plutôt de concentrer les bâtiments et de prévoir des parkings en silo. Pourquoi avoir choisi une structure très étalée alors que la logique en silo aurait permis une emprise plus faible ? Le CGEDD a par ailleurs estimé qu'une seule piste suffisait et qu'il serait possible de gagner un tiers de l'emprise : pourquoi l'État n'a-t-il pas intégré cette possibilité ?

M. Philippe Viroulaud . - Concernant les parkings, l'État a privilégié une intégration paysagère : ces parkings ont des formes trapézoïdales irrégulières, avec des noues, qui collent au parcellaire. L'objectif est de faire des parkings paysagers, et certains ne seront qu'enherbés.

J'en viens au choix des deux pistes : tous les aéroports français de taille similaire - Paris, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse - qui accueillent plus de 4 millions de passagers, comportent deux pistes. Pourquoi ? Pour des raisons de facilité d'exploitation, notamment en cas de travaux sur une piste. En outre, le concessionnaire a fait un choix assez réfléchi : ce doublé de piste évite les taxiways. S'il avait retenu la solution à une piste, il aurait fallu prévoir des voies de dégagement : la surface totale serait proche des deux pistes prévues. Le doublé de piste permet aussi de réduire les nuisances pour les communes riveraines.

M. André Trillard . - La commission du dialogue, qui avait été inventée par le préfet de l'époque, m'a reçu en tant que président du conseil général. J'ai demandé au président de la commission quelle était sa légitimité : « aucune », m'a-t-il répondu.

M. Henri-Michel Comet . - Je voudrais souligner un double paradoxe. Pour les parkings, nous avons pris l'option de l'insertion paysagère. À présent, on semble nous dire que nous aurions dû choisir une autre option. Or, au terme de la concertation, le choix de l'intégration paysagère était un critère majeur.

Si nous avons retenu les deux pistes, c'est pour donner une suite favorable au dialogue local que nous avions eu avec les élus pour préserver les communes de certaines nuisances. Le projet a intégré les critères environnementaux qui étaient alors estimés majeurs.

J'en arrive maintenant à l'aspect « compensation ». Pour trois raisons, cette démarche a été novatrice : la définition de la méthode, les modalités de sa mise en oeuvre et, enfin, la fixation des garanties de bonne fin.

La méthode a été élaborée par un panel d'experts : les services de l'État, l'Office national des eaux et des milieux aquatiques (ONEMA), le centre d'études techniques de l'équipement (CETE), l'hydrogéologue du conseil départemental et deux sociétés privées spécialisées dans les domaines de l'eau et de la biodiversité. Cette méthode a donc été élaborée collégialement et a été validée par l'État en 2011. Cette méthode de compensation consiste à recréer, à proximité immédiate du site impacté, des milieux qui présentent des fonctionnalités équivalentes à celles détruites. Ce principe, retenu en 2010, a d'ailleurs été repris par la loi pour la reconquête de la biodiversité votée en 2016. La méthode repose donc sur une évaluation du besoin compensatoire qui est mis en regard de la plus-value environnementale apportée par les mesures compensatoires. Ces démarches ont été menées concomitamment pour les questions liées à l'eau, pour lesquelles le schéma départemental d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Loire-Bretagne, approuvé en 2009 exigeait une approche fonctionnelle et pour les espèces protégées. Nous avons appliqué les mêmes méthodes par souci de cohérence d'ensemble et de mutualisation des connaissances puisqu'il s'agit de conserver un biotope. Cette méthode de compensation fonctionnelle privilégie le vivant, l'écosystème, les valeurs d'usage et l'évolution dans le temps. Cette méthode est différente de la méthode classique dite surfacique, qui est à la fois statique et un peu simplificatrice. Cette méthode, inventée pour Notre-Dame-des-Landes en 2010, retenue par le Parlement en 2016, a une importance majeure.

Les besoins compensatoires liés à la loi sur l'eau s'expriment en unités de compensation calculées pour chaque parcelle ou groupe de parcelles. Ces unités sont affectées d'un coefficient en fonction de leur intérêt variant de 0,25 à 2. Le coefficient dépend de l'intérêt en termes de fonction de la zone humide ou en termes de biodiversité. En multipliant les parcelles par leur coefficient, on arrive à mesurer la valeur de la compensation. Le même processus a été retenu pour les espèces protégées. Cette méthode a été inventée par et pour le projet de Notre-Dame-des-Landes.

Parallèlement à cette méthode, certaines mesures particulières ont été retenues lorsqu'il y avait des enjeux très spécifiques, par exemple lorsqu'il y avait des habitats pour des espèces plus singulières que d'autres ou des lieux très singuliers ; l'ensemble couvre environ 24 hectares.

La mise en oeuvre de cette méthode conduit à un besoin compensatoire de 735 unités de compensation pour les zones humides et de 1 279 unités pour les espèces protégées. En cas de risque d'échec, les arrêtés préfectoraux prévoient la réévaluation de ces besoins compensatoires à hauteur de 10 %.

Les mesures compensatoires privilégient la recréation et la restauration des zones humides de bocage à proximité du site. On cherche donc la fonctionnalité d'un bocage et la proximité. La mise en oeuvre de la méthode conduit à des mesures assez traditionnelles que sont la reconversion de terres arables en prairies naturelles humides, la reconversion de peupleraies en prairies humides, la remise en exploitation sous forme de prairie naturelle humide avec des pratiques de gestion agricole extensives adaptées. Nous nous adossons donc à des méthodes classiques et éprouvées pour la mise en oeuvre. Cela suppose bien sûr d'être dans une démarche conventionnelle, notamment avec les exploitants agricoles. Un protocole a été conclu avec la profession agricole en décembre 2013, qui fixe les modalités de mise en oeuvre de ces mesures afin de respecter et d'atteindre les plus-values écologiques attendues. Il précise les modalités d'indemnisation.

La concertation avec la profession agricole a été engagée très tôt, dès 2011, et s'est achevée en 2013. Nous sommes ainsi parvenus avec la chambre d'agriculture à un accord sur la façon d'appliquer cette méthode dite « fonctionnelle ».

Enfin, si le ratio surfacique global entre les surfaces impactées et les surfaces compensées n'est pas connu à ce stade, les arrêtés prévoient par mesure de précaution, qu'il ne peut pas être inférieur à 1. Des garanties supplémentaires ont été apportées, dont la majoration de 10 % du besoin compensatoire pour prendre en compte un éventuel risque d'échec des mesures visées. Le ratio surfacique global devrait donc, en toute hypothèse, se situer entre 1,2 et 1,5 hectare de compensation pour 1 hectare impacté.

Les marges de manoeuvre sont donc assez considérables.

Par ailleurs, un certain nombre de ces mesures de compensation commençaient à être mises en oeuvre en 2012 et 2013, puisque le concessionnaire avait déjà creusé des mares, avant qu'une violente opposition empêche toute nouvelle action et conduise le comblement de certaines mares.

Enfin, la réalisation de ces mesures compensatoires a été insérée, par le biais des arrêtés préfectoraux, dans un calendrier très précis et échelonné dans le temps, avec plusieurs jalons de contrôle. La totalité des mesures doit être engagée au moment de l'ouverture de la plate-forme et de la desserte routière.

En définitive, les mesures sont complexes à analyser, mais leur mise en oeuvre est finalement assez simple, selon une convention conclue avec des exploitants agricoles.

Concernant les garanties de bonne fin, j'entends les critiques émises sur la difficulté à mettre en oeuvre ces mesures compensatoires. Elles avancent l'absence de localisation précise des mesures, l'absence de maîtrise foncière ou encore les réticences des exploitants agricoles. Je me permets néanmoins de rappeler les cinq garanties qui figurent dans les arrêtés préfectoraux.

La première est l'obligation de résultat, assortie de sanctions imposées aux maîtres d'ouvrages en cas de non-respect.

La deuxième résulte de la fixation d'un calendrier, qui permet de mesurer progressivement la réalisation de ces mesures, au moins de s'assurer qu'elles sont prises avant la mise en oeuvre de travaux irréversibles.

La troisième est le protocole avec la profession agricole, dans son expression consulaire. Ce protocole très précis a été testé très récemment dans le département de la Loire-Atlantique sur une superficie d'une trentaine d'hectares, pour un résultat satisfaisant.

La quatrième garantie vise à répondre à l'insuffisance, nous dit-on, des enveloppes de compensation. Tout est prévu pour élargir en tant que de besoin cette enveloppe. En résumé, nous nous inscrivons dans une démarche au fil de l'eau, insérée dans un calendrier de contrôle.

Enfin, la cinquième garantie est le dispositif de suivi et de contrôle en lui-même, qui suppose l'intervention d'un conseil scientifique en vue de mesurer l'efficacité des mesures de compensation, et d'un observatoire unique pour les deux maîtres d'ouvrages. Ces deux éclairages sont soumis au contrôle du comité de suivi des engagements de l'État et des collectivités dans lequel siègent toutes les parties.

Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer la violence et l'opposition sur site, qui empêchent, par la force ou l'intimidation, toute mise en place de mesures, d'études environnementales ou de travaux.

Je rappellerai ici les agressions subies en mai 2014 par des experts qui effectuaient des relevés piscicoles sur les truites farios, et celles intervenues en avril 2015 à l'égard de représentants de l'université d'Angers qui procédaient à des études écologiques sur le triton marbré : ils ont été poursuivis et dépouillés de leurs effets. Enfin, je l'ai dit, plusieurs mares ont été rebouchées.

La liste des exactions est longue. Elles empêchent la préparation sereine des mesures de compensation et d'avoir, à ce stade, une vision complète du dispositif. À ce propos, un message posté au mois de janvier 2017 qui vise toutes les entreprises dans leur diversité, y compris les entreprises de génie écologique, appelle « à exercer des rapports de force vis-à-vis des institutions agricoles et des agriculteurs qui ont collaboré avec Vinci ».

Ces incidents, qui s'inscrivent dans un climat de violence et d'intimidation, ont conduit les maîtres d'ouvrages à cesser les relations avec les exploitants agricoles destinées à préparer d'éventuelles mesures de compensations, et ce pour éviter les représailles. Il en est de même des entreprises de génie écologique.

En définitive, les deux questions principales ont chacune leur réponse.

La première question est de savoir si la méthode prescrite par les arrêtés préfectoraux permet de compenser effectivement les atteintes à la biodiversité. La méthode est peut-être complexe et les coefficients que j'ai évoqués peuvent être discutés. Pour autant, leur mise en oeuvre est relativement simple et d'ores et déjà conventionnée, sous contrôle d'un comité scientifique et d'un comité technique. Donc, en l'état actuel, la méthode retenue permet effectivement de compenser des atteintes à la biodiversité.

La seconde question est de savoir si les maîtres d'ouvrages pourront réaliser ces mesures. Il faut éviter tout procès d'intention. Mais l'ambiance sur site que j'ai exposée rapidement nous empêche d'aller plus avant dans la réalisation et l'étude de ces mesures de compensation.

Le dispositif normatif est en place, les capacités techniques sont opérationnelles. Par conséquent, rien ne nous permet de dire que les mesures de compensation pour la biodiversité ne seront pas appliquées. À ce stade, l'ensemble du dispositif est totalement crédible.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je souhaite revenir sur la question des unités de compensation. Selon l'arrêté pris par votre prédécesseur le 20 décembre 2013, la valeur écologique initiale de la parcelle constitue la base du diagnostic initial mais n'est pas comptabilisée dans le gain de fonctionnalité escompté. Il existe donc un découplage entre les données qui semble quelque peu contradictoire avec votre présentation.

M. Philippe Viroulaud . - M. le préfet a exposé la méthode, qui repose sur une évaluation du besoin compensatoire résultant des fonctionnalités et des services écologiques rendus par les parcelles impactées. Ce besoin est lui-même compensé, au moyen d'une traçabilité fonctionnelle, sur d'autres parcelles. Cette phrase me laisse également quelque peu perplexe, mais l'esprit de l'arrêté est bien celui que je décris.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Mais avec cet arrêté, une coupure est opérée entre les inventaires, les valeurs initiales et la fonctionnalité. C'est un élément assez étonnant,

M. Henri-Michel Comet . - Cet arrêté a été confirmé par la justice administrative.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je parle de l'article 20.2 relatif à la trajectoire écologique des parcelles et de l'article 20.2.1 relatif au diagnostic initial. Certains avaient déjà attiré votre attention sur ce point à l'époque.

M. Henri-Michel Comet . - Sans doute, mais le juge administratif s'est prononcé.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - S'agissant des prairies oligotrophes, l'un des lieux du site où la biodiversité est a priori la plus forte, l'État a-t-il mis en oeuvre une stratégie spécifique de préservation en termes de réduction ou de compensation ?

M. Philippe Viroulaud . - Les mesures de réduction ont déjà été intégrées dans la conception du projet, puisque les maîtres d'ouvrage ont voulu éviter les atteintes à ces milieux. Par exemple, le rapport du CGEDD souligne que les surfaces impactées sont nettement moindres qu'envisagé initialement.

Globalement, pour ces prairies humides oligotrophes, un peu moins d'un hectare est impacté à la fois par la plate-forme aéroportuaire et par la desserte routière. Ces milieux sont très secs et n'ont connu aucun enrichissement par des produits azotés ou autres. Selon une évaluation du CGEDD, ils concerneraient un peu moins de 60 hectares pour l'ensemble du département de la Loire-Atlantique. Compte tenu de la spécificité du milieu, les maîtres d'ouvrages ont retenu une compensation surfacique, qui consiste à rechercher des terrains d'une superficie huit fois supérieure afin de recréer des milieux équivalents. Le coefficient tient compte des éventuels échecs liés à la particularité de ces milieux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Merci de cette réponse très précise. Les « Naturalistes en lutte » que nous avons auditionnés hier parlent de 32 hectares de prairies oligotrophes, notamment au niveau de la piste 1. Nous ne sommes pas en mesure de trancher la question. L'un des rôles de la commission d'enquête est de dégager les moyens de recréer des dialogues et des solutions, ce qui pose la question de l'inventaire initial. Or les chiffres des naturalistes sont très différents de l'inventaire initial. Selon vous, est-il possible de dépasser cette querelle d'experts ?

M. Henri-Michel Comet . - À titre personnel et dans mes fonctions, je n'ai pas d'appréciation à formuler sur les inventaires. Je peux en revanche indiquer que des organismes extérieurs -le CGEDD ou la CLE du SAGE Vilaine-, dans lesquels figurent des personnes d'horizons variés, estiment qu'ils sont de qualité.

Pour l'heure, nous suivons une démarche très cadrée. Cela étant, les arrêtés préfectoraux prévoient aussi des évolutions. Mais je ne voudrais pas que l'on prenne les choses à l'envers, car tout peut être contesté à l'infini.

Des inventaires de qualité ont été réalisés. Nombre d'experts se sont penchés sur ces questions, notamment celles qui soulèvent à présent de nouvelles interrogations. Le temps fait sans doute son oeuvre.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour terminer sur la question des inventaires, un certain nombre d'espèces ont été découvertes comme le campagnol amphibie. En l'espèce, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a émis un avis négatif sur une autorisation de destruction du campagnol amphibie. Avez-vous décidé de modifier la gestion de ces populations ?

S'agissant des diverses plantes qui ont été trouvées sur site, avez-vous prévu de passer par le CNPN pour les autorisations de destruction ? Ce dernier a précisé que si personne ne lui demandait d'avis sur les arrêtés de destruction de ces plantes, la décision serait entachée d'un vice de forme.

M. Henri-Michel Comet . - Concernant le campagnol amphibie, le CNPN a effectivement émis un avis défavorable. Le contenu de cet avis est important, mais le motif qui le sous-tend l'est encore plus : pour le CNPN, les connaissances étant très insuffisantes, il convient de procéder à des études complémentaires. Nous avons donc repris le motif de l'avis du CNPN et prescrit aux maîtres d'ouvrages d'engager des études complémentaires. Nous sommes même allés plus loin en leur demandant de nous garantir un suivi approfondi pour cette espèce.

Nous sommes prêts à étudier les espèces qui n'ont pas été prises en compte initialement. Pour cela, il conviendrait que la paix et le respect du droit reviennent sur site. Tant que ces conditions ne sont pas réunies, nous ne pouvons pas examiner la situation. Ce préalable est indispensable pour que les arrêtés préfectoraux puissent tenir compte des espèces oubliées avant que les travaux deviennent irréversibles.

Des prescriptions juridiques existent, mais il est matériellement impossible d'aller plus loin aujourd'hui du fait de la situation sur la ZAD, qui ne permet aucune étude de ce genre. Le moment venu, nous nous engagerons sur le sujet.

M. Philippe Viroulaud . - Il existe divers types de prairies oligotrophes dans les arrêtés. Contrairement au chiffre de un hectare que j'avais cité un peu rapidement, il faut en réalité en compter quatre.

M. André Trillard . - On met face à face des scientifiques et des « naturalistes en lutte ». Étant de formation scientifique -l'École d'Alfort est un établissement scientifique- je n'oppose aucune considération politique à un diagnostic préalablement posé. En elle-même, l'expression « naturalistes en lutte » déconsidère tous les diagnostics posés dans ce cadre.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour aller dans votre sens, monsieur Trillard, je vous propose de parler de la commission scientifique qui, comme la commission du dialogue, rassemble un groupe d'éminents experts nationaux, voire internationaux. Je rappellerai la réserve de l'enquête publique : une indispensable caution scientifique de la méthode de compensation retenue à l'échelle du projet sur trois points - validation des principes généraux, des coefficients de compensation et des indicateurs proposés. Ce collège d'experts indépendants a rendu un rapport très sévère, chacun en conviendra, sur la méthode de compensation, avec au moins douze réserves.

Quels ont été les points fondamentaux de la réponse de l'État à ces réserves émises par ce collège d'experts mis en place par l'État lui-même ?

M. Henri-Michel Comet . - Je ne donnerai aucun qualificatif concernant la sévérité de ce rapport. Les douze réserves ont été retenues pour l'essentiel dans les arrêtés préfectoraux. La compensation fonction par fonction a beaucoup compliqué l'exercice mais vise à répondre aux demandes des experts.

Les experts ont estimé que les suivis environnementaux à la charge des maîtres d'ouvrages étaient insuffisants ; nous les avons considérablement augmentés pour toute la période des travaux. Ils ont également estimé qu'un certain nombre d'habitats étaient remarquables et qu'ils méritaient un traitement spécifique ; nous avons donné à ces situations particulières des ratios de compensation dits « surfaciques » exceptionnels.

De même, les échéanciers retenus étaient préconisés par les experts. Ils figurent dans les arrêtés préfectoraux.

Enfin, cette marge de manoeuvre de 10 % de mesures supplémentaires pour compenser un éventuel échec, qui figure dans les arrêtés préfectoraux, permet de tenir compte d'une autre réserve des experts.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Monsieur le préfet, pourquoi n'avez-vous pas soumis cette réponse au même collège d'experts ?

M. Henri-Michel Comet . - Nous avons respecté la loi et la procédure indiquant que des experts pouvaient être sollicités. Nous avons pris nos responsabilités en intégrant presque l'intégralité de leur avis dans les arrêtés préfectoraux. Ces derniers ont ensuite été attaqués devant la justice administrative, qui s'est prononcée. Nous ne sommes pas dans une démarche exclusivement itérative.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Par conséquent, pensez-vous que la demande de la commission de voir un collège d'experts du dialogue indépendants apporter une indispensable caution scientifique de la méthode de compensation retenue à l'échelle du projet a été respectée ?

M. Henri-Michel Comet . - Je n'utilise pas le même vocabulaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez répondu à l'enquête publique et à la loi ; vous avez ajouté l'indispensable caution.

M. Henri-Michel Comet . - Exactement !

M. Gérard Bailly . - La commission d'enquête travaille sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. Elle va donc au-delà de ces quatre projets, mais s'appuie sur eux pour que les compensations interviennent dans les meilleures conditions.

Ma première question porte sur la compensation en faveur des agriculteurs, dont certains ne veulent pas quitter le site impacté. En effet, ils estiment que la compensation n'a pas été complète. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Les investissements importants entraînent des conséquences pour l'économie agricole, notamment la disparition de volumes de production. Pour autant, le milieu agricole ne peut s'opposer aux infrastructures nécessaires. Mais l'économie agricole dans son ensemble, y compris la filière agroalimentaire, a-t-elle bien été prise en considération ? Reçoit-elle des compensations ?

M. Philippe Viroulaud . - La rémunération des agriculteurs a été longuement négociée avec la profession. Le protocole signé avec la profession agricole en 2013 prévoit une indemnité pour perte de marges, pour compenser les pertes de production, et un supplément de rémunération lié à la plus-value environnementale induite par les contraintes qu'ils acceptent, sachant que ce mécanisme est défini sur la base du volontariat, par voie de convention. Un agronome, financé par les maîtres d'ouvrage, appréciera comment mettre en oeuvre les mesures compensatoires sur les parcelles concernées et aidera les exploitants à optimiser le fonctionnement du reste de leur exploitation.

M. Gérard Bailly . - Ma deuxième question concernait le millier d'hectares pour compenser la biodiversité. S'agira-t-il de reconversion de terres céréalières en pâture ? De réduction des intrants ? Ces opérations de biodiversité ont un coût. Il est normal qu'il y ait des résultats. Je suis agriculteur. J'ai connu les primes à l'hectare de la politique agricole commune (PAC). Elles ont été arrêtées, car nous n'en avons pas vu les résultats sur le terrain. Il ne faudrait pas que les contraintes ici exigées aboutissent au même résultat. Ce dernier volet a-t-il été assez travaillé ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Lors de leur audition, hier, les organisations agricoles ont montré très peu d'enthousiasme pour les mesures compensatoires. Un grand nombre d'agriculteurs dans le périmètre des 16.000 hectares les a refusées. La somme de 300 000 euros, prévue pour accompagner le monde agricole, est jugée insuffisante. Comme les conventions sont signées pour cinq ans, cela signifie que tous les cinq ans il faudrait renégocier. Le protocole avec la chambre d'agriculture fixe une fourchette entre 150 euros et 1.000 euros l'hectare. Vu les rapports de force, on sera certainement dans le haut de la fourchette. Cela représente plus d'un million d'euros. Le chiffre de 300 000 euros est-il raisonnable ? N'y a-t-il pas un risque pour le montage financier, notamment à l'égard des collectivités territoriales avec la clause de retour à bonne fortune ?

M. Philippe Viroulaud . - Les mesures compensatoires prévues sont classiques : reconversion de terres arables en prairies naturelles, etc. Ces mesures ont été définies par des experts nationaux. L'État s'est donné les moyens de contrôler leur efficacité. Un système de suivi très précis a été mis en place : un observatoire et un comité de suivi scientifique seront chargés d'évaluer tous les ans les résultats.

M. Henri-Michel Comet . - Vous dites que les agriculteurs sont un peu frileux à l'égard des mesures compensatoires. Mais il faut avoir en tête le contexte : pas plus tard qu'en janvier, les opposants au projet appelaient, sur le site internet de la ZAD, à créer un rapport de forces vis-à-vis des agriculteurs. La sérénité n'est pas là. Il est dès lors difficile d'apprécier la situation.

Je rappelle aussi que notre démarche sur ce projet en matière d'indemnisation a été novatrice. Le législateur s'en est d'ailleurs inspiré par la suite avec, par exemple, la création du fonds de redynamisation agricole dans la loi de modernisation agricole en 2014. En ce qui concerne le montage financier, toutes les projections sont possibles, mais le nombre d'inconnues est très élevé : tous les marchés publics n'ont pas été passés, les besoins en compensation ne sont pas tous connus... Sans compter les évolutions exogènes, comme le trafic aérien. Il est donc, à ce stade, prématuré de se prononcer.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le risque est-il porté par le concessionnaire ou bien par l'État et les collectivités territoriales ? AGO nous a indiqué que si les coûts de fonctionnement augmentaient, le retour à bonne fortune serait moindre pour les collectivités territoriales. Quel est le risque pour l'État ?

M. Henri-Michel Comet . - Le risque financier est porté par les deux maîtres d'ouvrage : le concessionnaire et l'État. Il est prématuré de l'évaluer à ce jour. À ce stade, les collectivités territoriales ont suspendu leur contribution. Nous sommes toujours dans une démarche de retour à meilleure fortune, notion qui, je le rappelle, a été inventée pour ce projet. Une fois encore celui-ci nous a permis de faire progresser notre politique nationale.

M. Alain Vasselle . - N'est-il pas illusoire de penser que nous parviendrons à compenser à l'euro près et que nous pourrons rétablir avec des compensations environnementales ce qui existait ? Je suis inquiet d'entendre que l'on va transformer des terres arables en prairies. Les terres arables ont un potentiel économique très supérieur. On connaît la crise de l'élevage. Si l'on atteint l'objectif de compensation environnementale, qu'en est-il de la compensation économique ? Celle-ci durera-t-elle uniquement cinq ans ou se prolongera-t-elle pendant toute la durée d'exploitation ? Nul ne sait quel sera l'état du marché dans plusieurs années. L'État et les collectivités territoriales risquent de subir des pertes. Finalement, pour financer les compensations, ne risque-t-on pas d'instaurer des taxes prohibitives sur l'aéroport qui nuiront à sa compétitivité ?

M. André Trillard . - Ce territoire est une terre de production laitière et de pâturages. Il n'y a pas eu de remembrement. Lorsque je présidais le conseil général, entre 2001 et 2004, la production était très faible, inférieure à deux millions de litres, soit la production de deux ou trois exploitations. Ensuite, la ZAD a été créée il y a 43 ans : depuis cette date, les agriculteurs ont connaissance du projet d'aéroport. Enfin, lorsque le conseil général a acheté des terres, nous n'avons pas émis de titres de fermage.

M. Henri-Michel Comet . - La loi impose de trouver des mesures compensatoires à proximité. Elles sont clairement définies et chacun sait s'il sera concerné, dans quelles conditions et pour quel montant. Il est vrai que pour respecter la biodiversité nous demandons à certains exploitants d'entrer dans une démarche moins productive. Quoi qu'il en soit, cette zone n'est pas une zone d'agriculture intensive.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-il vrai que le fonds de redynamisation agricole prévoit des opérations de drainage ? Nous allons déjà perdre beaucoup de terres humides avec cette opération et deux têtes de bassins seront fragilisées.

M. Henri-Michel Comet . - Je ne sais pas.

M. Gérard Bailly . - J'avais plutôt compris de l'audition que le drainage n'était pas incompatible avec les mesures environnementales.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce point reste à éclaircir. Quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect des mesures environnementales ?

M. Philippe Viroulaud . - Les sanctions figurent dans les arrêtés. Elles vont jusqu'à l'arrêt des travaux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'État a-t-il une vision claire des mesures compensatoires qu'il devra mettre en oeuvre en matière de génie écologique, notamment pour réaliser le barreau routier ?

M. Philippe Viroulaud . - C'est un problème avec beaucoup d'inconnues. Comme nous n'avons pas engagé, vu le contexte, la discussion sur les mesures compensatoires, nous ne connaissons pas le besoin surfacique nécessaire. Celui-ci dépendra de la plus-value environnementale. On ne connaît pas le coût unitaire par surface puisque nous n'avons pas entamé les négociations. La fourchette d'indemnisation, entre 150 et 1 000 euros l'hectare, figure dans le protocole. Je ne sais pas où sera placé le curseur. Les mesures compensatoires nécessiteront certainement des travaux de génie écologique, ceux-ci dépendront des terrains concernés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La DUP prévoit neuf millions d'euros pour la compensation. Il s'agit de travaux relativement simples. Est-ce une estimation raisonnable ?

M. Henri-Michel Comet . - Nous partageons la même impatience que vous pour estimer les coûts avec précision. Nous ne pourrons toutefois le faire que lorsque la sérénité sera revenue sur le site et que nous pourrons travailler.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous comparons les projets entre eux. Il est surprenant de constater que ce projet, qui concerne de nombreuses zones humides, avec ce que cela implique au regard de la biodiversité, et suscite de fortes crispations écologiques, est celui dans lequel le ratio entre l'investissement et le fonctionnement, pour les atteintes à l'environnement, est le plus faible.

M. Henri-Michel Comet . - Il faut relativiser. Certes, le projet concerne des zones humides, mais près de la moitié du département est en zone humide. En tant que maître d'ouvrage, l'État est aussi impatient que vous de connaître avec précision les coûts. Malheureusement, nous ne pouvons répondre avec certitude à ces questions, car nous sommes empêchés d'agir. Enfin, si l'on compare les projets entre eux, force est de constater que le degré d'exigence en matière environnementale à Notre-Dame-des-Landes est très élevé. Les arrêtés préfectoraux relatifs à préservation de l'environnement et de la biodiversité font plus de 70 pages quand ils font 20 pages pour un projet de ligne à grande vitesse !

M. Rémy Pointereau . - Vous attendez le retour de la sérénité et ne pouvez agir ? Les bras m'en tombent ! Ne sommes-nous pas dans un État de droit ? Il y a eu un référendum. Cela signifie-t-il que n'importe qui peut squatter n'importe où impunément ?

M. Henri-Michel Comet . - L'ampleur du dossier et les risques qu'il présente me conduisent à éviter les comparaisons trop rapides. Le Gouvernement a réaffirmé sa volonté de mener à bien le projet. Toutes les conditions juridiques ne sont pas encore réunies. Il a été demandé au ministre de l'intérieur des propositions pour résoudre la question de la sécurité publique dans les meilleures conditions.

M. Jean-François Longeot, président . - Nous nous éloignons du sujet de notre commission.

M. Gérard Bailly . - Selon vous, l'opposition au projet est-elle due au manque de compensations ?

M. Henri-Michel Comet . - Le travail mené dans ce projet en matière de préservation de la biodiversité a été exemplaire, à tel point que toutes les innovations ont été ensuite reprises par le législateur au niveau national.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les arrêtés sur l'aéroport et le barreau routier prévoient que les travaux irréversibles, comme les terrassements, ne pourront commencer avant que les mesures compensatoires n'aient été mises en place. Cela prendra au moins deux ans. Ce calendrier est-il toujours d'actualité ?

M. Philippe Viroulaud . - Oui. Nous restons dans la logique définie par les deux arrêtés, qui fixent un calendrier.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Disposez-vous déjà d'une grille d'évaluation des mesures compensatoires, par exemple pour les espèces protégées, les aspects physico-chimiques, l'eau ?

M. Philippe Viroulaud . - Les arrêtés préfectoraux, comme les dossiers réalisés conformément aux dispositions de la loi sur l'eau ou sur les espèces protégées, comportent une grille d'évaluation du besoin et du gain compensatoires. Nous réfléchissons aussi à des protocoles types sur un certain nombre de sujets. Ensuite, nous étudierons au cas par cas, exploitation par exploitation, les mesures compensatoires à mettre en oeuvre, selon une méthodologie qui figure dans le protocole.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'État est à la fois maître d'ouvrage et autorité de contrôle. Comment assurez-vous l'indépendance entre les services à compétence environnementale et ceux responsables des travaux ?

M. Henri-Michel Comet . - Je veille d'abord à l'indépendance fonctionnelle des services. Mais même si les services sont dans la même direction, la DREAL, ils restent très différents les uns des autres. Dans tous les cas, la meilleure manière d'assurer leur indépendance est de fixer des priorités d'action : faut-il mettre l'accent sur la biodiversité ? les choix paysagers ? Chacun conserve sa liberté d'appréciation. Les arrêtés préfectoraux de préservation de l'environnement sont trois fois plus volumineux que les arrêtés similaires pris pour d'autres projets. C'est la preuve concrète que les services environnementaux sont indépendants et écoutés, et que le degré d'exigence en matière environnementale est sans équivalent dans ce chantier.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vais me faire l'avocat du diable. Le degré d'exigence très élevé, défini par un État qui veut être exemplaire sur les questions environnementales, ne fragilise-t-il pas ce projet sur le plan économique ? Les sanctions encourues sont très lourdes, pouvant aller jusqu'à la suspension des travaux. La question des délais est très sensible pour les entrepreneurs. Ne risque-t-on pas de voir les recours se multiplier à chaque coup de pelleteuse, pour non-respect de ces exigences ?

M. Henri-Michel Comet . - Je ne suis pas le mieux placé pour juger de la pertinence économique du projet. Il faudrait interroger le concessionnaire. L'État a fait le choix de défendre la biodiversité et a intégré les coûts associés dans ces actions. Un risque juridique récurrent ? Chacun a le droit de saisir la justice. Nous avons défini des exigences ; il conviendra de faire la preuve, à chaque étape, que nous les respectons. Je constate toutefois qu'à ce jour aucun des recours déposés n'a eu gain de cause.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le SCOT de la métropole Nantes Saint-Nazaire fait l'objet d'un contentieux européen. À ce jour, la réponse française n'a d'ailleurs toujours pas été transmise à Bruxelles. La Commission européenne estime qu'il faut prendre en compte les impacts environnementaux cumulés de l'aéroport, du TGV, des zones économiques, etc. Le SCOT prévoit 200 hectares d'emprise pour le ferroviaire - mais SNCF Réseau n'a pas reçu de demande de précision sur les faisceaux -, et 200 hectares pour de nouvelles zones économiques. On voit où passerait le TGV. Mais où seraient situés les 200 hectares de nouvelles zones économiques ?

M. Henri-Michel Comet . - Le SCoT de Nantes Saint-Nazaire prévoit les surfaces nécessaires aux mesures compensatoires telles qu'elles ont été définies dans le dossier. J'en veux pour preuve qu'une zone de développement économique qui était prévue à l'ouest de l'aérodrome n'a finalement pas été retenue. Ensuite, les accès par voie ferrée ne seront réalisés que d'ici une quinzaine d'années, voire plus ! Nous ne sommes pas dans la même temporalité. Il est difficile de prévoir dès maintenant les mesures de compensations.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On aura du mal à trouver des mesures compensatoires pour d'autres projets économiques. Comme la majorité des exploitants dans le périmètre des 16 000 hectares refusent les mesures compensatoires, il faudra élargir le périmètre. Mais un aéroport est destiné à favoriser le développement économique. Il faudra donc de nouvelles mesures compensatoires, sur un espace encore élargi... On voit mal comment cela fonctionnera, sauf si la pression foncière se développe au détriment des exploitants agricoles !

M. Henri-Michel Comet . - Il est difficile de se projeter à si long terme. La pression foncière existe déjà, à cause de l'urbanisation. Je fais confiance à notre système de décision publique pour arbitrer, comme nous l'avons fait avec ce projet d'aéroport, entre des intérêts contradictoires, pour préserver au mieux les intérêts de tous, y compris ceux des exploitants agricoles.

M. Alain Vasselle . - Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors ! Merci à M. Trillard de m'avoir éclairé sur les caractéristiques de ces territoires... Si je comprends bien, tous les problèmes ont été résolus par les moyens financiers, humains et juridiques mis en oeuvre. Notre rapporteur peut arrêter de se poser des questions ! Mais qu'est-ce qui retarde encore ce chantier ?

M. Jean-François Longeot, président . - Voilà une question en forme de conclusion. Je vous remercie.

Audition de M. Henry Frémont, président, M. David Froger, chef du pôle environnement et M. Julien Martinez, chargé de projet environnement de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire
(mercredi 8 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, pour notre dernière audition de la journée, nous revenons au projet de LGV Tours-Bordeaux, en entendant la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire.

Ce projet est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête, dont une délégation se rendra d'ailleurs à Libourne et Bordeaux les 23 et 24 février prochains.

Notre objectif est de décrypter, à travers un certain nombre d'exemples, les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures, et de proposer des solutions pour y remédier.

Je le rappelle, notre travail est entièrement centré sur les mesures compensatoires.

Nous entendons donc M. Henry Fremont, président de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire, M. Julien Martinez, chargé de projet environnement et M. David Froger, chef du pôle environnement.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquêtes, MM. Henry Fremont, David Froger et Julien Martinez prêtent successivement serment.

Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Pouvez-vous nous indiquer tout d'abord les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau. Vous avez la parole.

MM. Henry Fremont, David Froger et Julien Martinez affirment n'avoir aucun lien d'intérêt avec ces projets.

M. Henry Frémont, président de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire. - En préambule à cet entretien, je note que la profession agricole et les agriculteurs sont souvent concernés par la construction d'ouvrages comme la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, et la compensation environnementale qui l'accompagne. Il est paradoxal que l'on vienne démarcher les agriculteurs dans le cadre de ces compensations en nous indiquant que notre profession est impliquée dans les enjeux environnementaux et liés à la biodiversité alors que nous sommes montrés du doigt le reste du temps sur ces mêmes thèmes.

Nous ne sommes pas contre la construction de ces ouvrages mais nous souhaitons que la profession agricole et les agriculteurs soient intégrés aux enjeux qui y sont attachés car nous sommes de loin les premiers touchés. Les terres agricoles sont souvent concernées deux fois : une première fois au titre de l'emprise de l'ouvrage elle-même et une seconde au titre du foncier nécessaire à la mise en oeuvre des mesures de compensation.

En ce qui concerne l'action des maîtres d'ouvrage, nous nous demandons si, au sein de la séquence « éviter, réduire, compenser », les deux premiers éléments sont étudiés avec autant de soin que le dernier. Nous avons l'impression que compenser peut coûter moins cher que d'éviter ou de réduire et que les financements de ces mesures de compensation peuvent servir de vitrine aux maîtres d'ouvrage. Les agriculteurs ont parfois du mal à accepter cela.

Les maîtres d'ouvrage nous expliquent aussi régulièrement que leur utilisation massive de foncier est la conséquence des mesures réglementaires qu'ils doivent respecter et dont on peut parfois se poser la question de l'intérêt.

Nous sommes bien conscients que les projets doivent être réalisés, mais nous souhaitons que la profession agricole et l'ensemble des acteurs concernés soient consultés en amont. Nous souhaitons être acteurs, avec le maître d'ouvrage, l'État et les associations environnementales qui sont en première ligne sur ces sujets.

La compensation agricole a récemment émergé à côté de la compensation environnementale. Dans notre département, nous y travaillons avec l'État afin de fixer les seuils à partir desquels sera compensée une activité qui se met en place au détriment de terres agricoles. Car le foncier est synonyme d'emplois et d'activité économique pour un territoire donné.

Les chambres d'agricultures représentent le monde agricole, ce qui leur confère une légitimité politique. Nous avons également une légitimité technique, qu'elle soit agronomique ou économique. Nous sommes en capacité de dire que tel type de mesures environnementales peut être mis en oeuvre sur tel type d'exploitations agricoles ou de territoires. Nous pouvons également mobiliser les agriculteurs.

Je précise aussi que nous sommes beaucoup plus favorables à une mise en oeuvre de la compensation environnementale par voie contractuelle et par prestations de services plutôt que par prélèvement de foncier qui viendrait se surajouter à celui déjà opéré pour la réalisation de l'infrastructure elle-même.

Je vous propose maintenant de répondre aux huit questions que vous nous avez posées en vue de cette audition.

La première est : « Pensez-vous que le monde agricole a, dans son ensemble, une bonne connaissance de ce qu'est le principe de la compensation des atteintes à la biodiversité, notamment depuis la loi du 8 août dernier pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ? ».

Dans notre département, je pense que la réponse est clairement négative en ce qui concerne l'ensemble de la profession agricole à qui le contexte économique actuel donne d'autres sujets de préoccupation. En revanche, les agriculteurs concernés par un projet se mobilisent et, accompagnés par les structures agricoles, prennent rapidement connaissance du sujet.

La deuxième question porte sur les rapports que nous entretenons avec l'administration déconcentrée de l'État au sujet des mesures d'évitement, de réduction et de compensation mises en oeuvre sur son territoire, notamment en ce qui concerne la ligne grande vitesse entre Tours et Bordeaux.

M. David Froger, chef du pôle environnement. - Nous participons, en ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de compensation de la LGV, à des comités de suivi qui se réunissent en moyenne tous les trois mois et qui regroupent tous les acteurs à l'échelle départementale. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) y suit tout ce qui concerne les espèces protégées et la direction départementale des territoires (DDT) supervise les aspects relatifs au respect de la loi sur l'eau. Ces réunions sont parfois complétées par des visites de terrains qui réunissent l'ensemble des animateurs afin de prendre connaissance de certaines situations particulières.

Nos rapports avec les services déconcentrés de l'État sont, en ce qui concerne notre département, positifs et constructifs afin que les mesures de compensation contractualisées soient bien appliquées pour éviter des refus de dossiers par la DREAL ou la DDT avant la fin de la procédure.

De manière générale, les services de l'État sont attentifs aux préoccupations du milieu agricole et cherchent constamment un bon équilibre entre enjeux agricoles et environnementaux. Cela contribue à une meilleure fluidité de la démarche ainsi qu'au respect des procédures et des principes qui régissent la compensation, comme la proximité, l'équivalence ou la continuité écologique. La qualité de la relation est réelle et contribue à la réussite du dispositif puisque les objectifs liés au conventionnement ont largement été atteints.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En va-t-il de même en ce qui concerne les relations entretenues avec le concessionnaire LISEA ?

M. David Froger. - Notre interlocuteur au quotidien est plutôt COSEA jusqu'à la fin de la construction. Il est présent dans toutes les instances que nous avons évoquées.

M. Henry Frémont. - La troisième question porte sur l'implication des chambres d'agriculture dans le choix, la validation ou le suivi des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité inhérentes aux projets les concernant.

Je ne sais pas si nous devrions être plus impliqués mais notre chambre de l'agriculture l'est déjà particulièrement. Nous disposons de deux ou trois agents qui travaillent sur ce sujet. L'union départementale des syndicats d'exploitants agricoles (UDSEA) d'Indre-et-Loire dispose d'une compétence juridique qu'elle nous propose sur ces thèmes. Toute la profession agricole se réunit car nous connaissons l'impact négatif pour les agriculteurs qu'une mésentente pourrait engendrer. Nous essayons donc d'intervenir en amont auprès de COSEA. Les discussions autour de la compensation se passent plutôt bien mais certains sujets sont un peu plus sensibles, notamment la manière dont cette société intervient sur le territoire lors des travaux. Je parle ici, par exemple, de ponts qui ont été promis mais non-réalisés et qui forcent l'exploitant à un détour important pour rejoindre une parcelle.

Nous avons compris qu'il était vain de chercher à faire front avec une structure aussi importante. Nous savons très bien qu'elle ne respecte pas la loi sur l'eau et personne, même la DDT, ne semble pouvoir rien faire. Il faut donc que nous ayons des débats constructifs pour pouvoir avancer avec eux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Votre phrase n'est pas neutre ! Pouvez-vous l'étayer ?

M. Henry Frémont. - Nous disposons d'assez d'exemples pour justifier ce propos. Tous les fossés sont bétonnés et conduisent à ce que des arrivées d'eau énormes débouchent sur des endroits où elles ne devraient pas être. Il s'agit d'une réalité de terrain contre laquelle on se bat tous les jours. Nous avons fait remonter l'information, organisé des réunions et même tenté de bloquer les sites de COSEA. Cela relève de rapports de force parfois compliqués. Ils ont, dans le même ordre d'idée, érigé des talus avec de la terre arable alors que la mauvaise terre a été déversée dans des champs. Ils font au plus pratique.

Il faut néanmoins reconnaitre que les travaux qu'ils conduisent sont de grande ampleur. Ils représentent des millions de mètres cubes de terre déplacés ainsi que des drainages importants. Des parcelles sont coupées et des exploitations, notamment d'élevage, sont profondément touchées. Les choses ne sont pas simples, a fortiori en fin de travaux, car les équipes ne sont plus forcément sur place pour régler les derniers problèmes que nous leur signalons. Ils ne sont pas non plus prompts à payer les indemnités et des interventions du préfet les rappelant à leurs engagements ont parfois été nécessaires.

Nous devons également reconnaitre que les agriculteurs du département sont particulièrement touchés et ont, en conséquence, une connaissance assez poussée des actions de COSEA qui les conduit à souvent intervenir. Notre chambre d'agriculture a négocié les protocoles d'accord avec COSEA et celles des départements plus au sud nous ont remercié de l'avoir fait car ils n'auraient jamais osé demander autant. Les choses se passent un peu mieux en ce qui concerne les mesures compensatoires puisque COSEA sait qu'il a l'obligation de les mettre en oeuvre.

Nous devons donc nous concerter avec COSEA mais devons également faire se concerter les agriculteurs entre eux. Les premières réunions d'information ont été houleuses. On nous a accusés de nous être rangés du côté de l'aménageur et de ne pas défendre suffisamment la profession agricole. Nous faisons pour le mieux et je pense que les choses se passent finalement plutôt bien. Julien Martinez peut vous expliquer quelles procédures ont été mises en place dans ce but.

M. Julien Martinez, chargé de projet environnement. - Il est intéressant de noter que nous avons pu travailler très en amont, notamment en ce qui concerne les cahiers des charges des mesures proposées aux agriculteurs par contrat. Ces mesures ont, une fois mises en oeuvre, forcément un impact sur le fonctionnement de l'exploitation qui les accueille.

Nous sommes partis de cahiers des charges appliqués en Poitou-Charentes qui ont été ajustés à la marge en fonction des situations rencontrées dans notre département. Ces ajustements ont été techniques mais également juridiques. Nous avons donc reconstruit les modèles de conventions afin de les rendre plus lisibles pour les agriculteurs ou les propriétaires fonciers. Ce travail nous a nécessité trois ou quatre mois mais a été un préalable nécessaire car personne n'a, pour l'heure, remis en cause ces conventions.

Plus tôt nous sommes impliqués et plus nous sommes en mesure de dire quel type de secteur est propice à accueillir les types de mesures prévus par les cahiers des charges. Si ce travail n'est pas fait, les souscriptions sont peu nombreuses et nos animations sont stériles. Nous avons donc en premier lieu travaillé avec les associations naturalistes comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ou la Société d'étude, de protection et d'aménagement de la nature en Touraine (SEPANT). Nous avons choisi avec elles les territoires les plus intéressants du point de vue de la biodiversité puis nous avons pu, dans un second temps, nous diriger vers les agriculteurs que nous savions plus à même de coopérer.

M. David Froger. - Nous avons pour leitmotiv de vouloir être associés le plus tôt possible pour prendre connaissance du maximum de détails qui pourraient potentiellement poser problème. Même s'il est vrai que cela a nécessité du temps, et malgré toutes les difficultés qui ont été signalées, nous constatons que de bons dispositifs de contractualisation environnementale, une bonne animation et des efforts de pédagogie ont conduit à une vision positive de l'ensemble par le public. Nous avons obtenu une grande fluidité dans la mise en oeuvre du conventionnement. La méthode est donc un enjeu premier.

M. Julien Martinez. - Il est également important de travailler avec des associations locales pour ne pas laisser penser que nous sommes au service de l'aménageur ou que nous sommes sa caution. Même si l'on reste sur des mesures volontaires en ce qui concerne la compensation, toute une phase d'acceptation est nécessaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il est intéressant de voir que la contractualisation se passe bien au final. Il nous avait déjà été rapporté qu'il existe parfois une différence de relations avec l'aménageur selon qu'elles concernent les travaux ou les mesures de compensation. Je suppose que si les choses se passent bien c'est parce que financièrement, tout le monde s'y retrouve. Quelles sont les échelles de contractualisation ?

M. Henry Frémont. - Je pense que les relations sont bonnes parce que nous avons des habitudes de travail avec les deux associations que nous avons citées avec lesquelles nous travaillons également sur des sites Natura 2000 depuis vingt ans. Cela facilite beaucoup la conciliation de leur point de vue, ancré sur la biodiversité, et du nôtre, qui porte principalement sur les intérêts du monde agricole. Tout le monde a intégré qu'il est nécessaire de comprendre les problématiques de l'autre afin de bâtir ensemble pour avancer. Il s'agit d'un principe accepté. Les fédérations de chasse et de pêche nous aident également dans certains cas.

Mme Évelyne Didier . - Cela fait plaisir d'entendre cela ! On a parfois l'impression qu'il s'agit d'enjeux contradictoires pour lesquels toute tentative d'entente serait vaine. Vous montrez que le respect mutuel et l'écoute rendent l'entente possible.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les élus locaux participent-ils à cette dynamique ?

M. Henry Frémont. - Ce n'est pas systématique, notamment pour les mesures compensatoires. Mais il est aussi possible qu'ils n'interviennent pas car le système fonctionne déjà en l'état. Leur action est plus nette sur certains autres dossiers locaux comme la déviation de Richelieu où nous avons, avec les associations environnementales, la commune et le conseil départemental, été d'accord pour demander à la DREAL de modifier le projet, en vain pour le moment. Cet exemple nous montre que la conciliation n'aboutit pas toujours.

M. Alain Vasselle . - Quelle forme de compensation la profession agricole souhaite-t-elle privilégier ? S'agit-il d'une compensation économique, d'une compensation environnementale ou les deux ?

Que fait le préfet pour que la profession n'ait pas à souffrir du mauvais comportement du concessionnaire le temps des travaux ?

Quel est l'impact du foncier que doit mobiliser le concessionnaire pour réaliser les mesures de compensation ? Quel est son volume financier ? Quel pourcentage de l'investissement cela représente-t-il ? En avez-vous une idée ?

Lorsqu'un ouvrage tel un aéroport ou une autoroute, est construit, on voit se développer une petite faune à proximité. Elle est notamment constituée de lapins de garenne. L'agriculture a-t-elle à souffrir des dégâts induits par leur prolifération ? Qui, dans ce cas-là, doit vous indemniser ?

M. Henry Frémont. - Pour que les choses fonctionnent, il faut que soient réunies à la fois la compensation économique et la compensation environnementale. Nous serions, à la rigueur, favorables à un peu plus de compensation économique qu'environnementale alors que nos collègues des associations environnementales demanderaient sans doute le contraire. Nous arrivons néanmoins à nous mettre d'accord avec elles sur les actions nécessaires. Il faut reconnaitre que les mesures que nous mettons en place sont souvent inspirées des mesures agro-environnementales (MAE) existant par ailleurs. On ne part pas de zéro. Les MAE en faveur de la biodiversité ont déjà été validées par le ministère de l'environnement ou de l'agriculture, par exemple. Il convient également de noter que la motivation économique n'est pas la seule qui pousse les agriculteurs qui l'ont choisie à mettre en oeuvre des mesures de compensation. Ils possèdent également une fibre environnementale et ont également envie de faire évoluer les choses.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous sommes donc curieux de savoir quelles sont concrètement ces mesures. Sur quoi s'engagent les agriculteurs dans votre département ? Est-ce autour de zones humides, de haies, de l'outarde ? Quel type d'agriculture est majoritairement concerné ?

M. Julien Martinez. - Vous nous interrogez sur la fourchette de rémunération proposée par hectare et par an aux agriculteurs pour accueillir ces mesures et vous souhaitez savoir s'il s'agit d'une piste sérieuse de revenus complémentaires et si ces engagements ont un impact sur la valeur du foncier qui accueille les mesures de compensation.

Nous travaillons principalement sur trois grands types de zones. Il s'agit des zones humides, des zones calcicoles pour l'avifaune de plaine - qui concerne moins l'outarde que l'oedicnème ou le busard - et des zones boisées. Le plus gros volet concerne les zones humides. Il convient également d'indiquer que notre département compte un certain nombre de contrat territoriaux avec notre agence de l'eau. Nous avons donc des zones déjà animées par des MAE en la matière qui ont servi de support aux mesures de compensation environnementale.

La majeure partie des mesures mises en oeuvre par contrats et qui ont trait aux zones humides concernent les prairies de fauche tardive du 15 au 31 juillet voire au 15 septembre sur un tiers de la surface. Le foin n'étant plus de bonne qualité, les agriculteurs vont chercher à en faire du compost, par exemple. Si la fauche est entièrement faite au 15 juillet, la rémunération est de 450 euros par hectare et si la fauche a lieu au 31 juillet sur deux tiers de la surface et au 15 septembre pour le tiers restant, le montant est de 670 euros l'hectare. Il s'agit d'une option financièrement intéressante pour les terres relativement hydromorphes, en délaissé, ou près des bois.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela vient en plus sur des terrains qui accueillent déjà des MAE ?

M. Julien Martinez. - Non, il s'agit de mesures exclusives. Cela concerne des terres qui ne sont pas ou plus en MAE. Il faut reconnaitre que les mesures de compensation sont arrivées à un moment où les MAE avaient « du plomb dans l'aile » dans notre département. L'État a dénoncé certains contrats sur des bassins versants ou des aires de captage, ce qui a entrainé une érosion de la contractualisation chez nous. Il faut le dire. Les mesures de compensation sont arrivées juste après cela, notamment sur les bassins versants de rivières.

M. Henry Frémont. - La culture de la contractualisation autour des MAE est déjà ancienne dans notre département et concerne maintenant plusieurs centaines d'agriculteurs. Il s'agit d'un dispositif compliqué qui engendre des risques de contrôle et un certain formalisme. Les agriculteurs qui le connaissent savent comment cela fonctionne et les risques qu'ils prennent. Le tarif de 670 euros à l'hectare semble important mais la valeur du foin récolté en juillet ou en septembre est nulle. Il ne peut pas nourrir une vache ou une chèvre ! Il ne peut servir qu'au compost ou à faire du méthane et c'est la raison pour laquelle le tarif versé pour la réalisation de la mesure est élevé. Cette mesure présente, sur certaines terres, le mérite d'éviter le retour à la friche ou le fermement.

M. Julien Martinez. - Nous travaillons en amont avec le Conservatoire d'espaces naturels (CEN) sur des peupliers assez anciens près de rivières ou de barrages de castors. Les mesures de compensation ont été ici un remède en transformant les peupleraies en prairies, par exemple.

Des mesures concernent également les prairies pâturées en extensif. Dans un contexte d'érosion de l'élevage dans notre département, elles ont été choisies par certains éleveurs. Le tarif est ici autour de 300 euros par hectare en contrepartie d'interdictions de fertilisation et d'utilisation de produits phytosanitaires.

Certaines mesures prévoient un gel qui, à la différence des prairies, exclut toute récolte mais autorise seulement un broyage. Ces mesures concernent principalement les secteurs d'avifaune de plaine et sont rémunérées 600 euros l'hectare. Elles ne sont pas sans rappeler les mesures en faveur des outardes. Le gel peut être fixe ou tournant et nous essayons parfois de l'intégrer dans la rotation de la ferme. On peut y intégrer de la légumineuse.

Des cultures de navette fourragère sont aussi mises en oeuvre au profit de l'avifaune de plaine. Ces navettes peuvent également être tournantes. Le prix est ici de 548 euros l'hectare.

Les repousses de céréales peuvent être conservées un an ou deux. Si vous récoltez, par exemple, un blé ou une orge, il conviendra de passer un déchaumeur puis laisser les repousses. Il s'agit de mesures tournantes rémunérées 650 euros l'hectare.

Les dernières mesures en lien avec les zones humides consistent en la création de prairies environnementales appelées mégaphorbiaie. On y laisse les hautes herbes des cours d'eau s'y développer avec un broyage tous les deux ou trois ans et une exportation des rejets de ligneux. Il s'agit de la seule modalité qui n'est pas intégrable aux aides de la politique agricole commune (PAC) car on se situe véritablement hors emprise agricole. La rémunération est là de 600 euros à l'hectare sans droit à paiement de base, ce qui peut être moins intéressant pour l'agriculteur. L'activité agricole est ici exclue puisque l'on est dans la création de zones transitoires entre la forêt et la prairie.

Les mesures décrites sont les mesures majeures en termes de surface. Les mesures linéaires restantes sont la création et la gestion de haies, de ripisylves, la création de mares, la gestion d'arbres têtards et la gestion de boisements alluviaux Le linaire de haie est rémunéré 1,90 euro par mètre et par année d'entretien, les travaux de création étant directement pris en charge par COSEA. Ils plantent et entretiennent durant les trois premières années.

M. Henry Frémont. - Pour en revenir à la question relative au rôle du préfet, je pense que ce dernier fait, comme nous tous, ce qu'il peut. Car COSEA a pour technique de changer nos interlocuteurs tous les six mois. En ce qui concerne les problèmes induits par les travaux, nous sommes donc contraints de réexpliquer l'ensemble des situations tous les six mois. Cela ne règle pas le problème mais finit par décourager l'ensemble des acteurs qui sollicitent l'entreprise. Je pense que COSEA est partie dans un grand nombre de contentieux, qu'ils disposent de bons avocats et que certains calculs les poussent à considérer que payer une pénalité revient moins cher que d'entreprendre certains travaux. Ces deux techniques sont relativement efficaces et créent un sentiment de fatalité et de découragement chez certains agriculteurs. Heureusement que d'autres les remotivent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En ce qui concerne les travaux, avez-vous introduit des recours contre COSEA ou laissez-vous ce rôle aux associations ?

M. Henry Frémont. - Nous n'intervenons qu'à l'amiable et n'allons pas jusque-là car nous n'en avons pas les moyens financiers. Nous savons, en outre, que leurs équipes ne seront plus présentes sur le terrain pour entreprendre les travaux nécessaires si une décision de justice devait être rendue, quand bien même elle nous donnerait raison. Cela relève du problème inhérent aux fins de chantiers que j'évoquais précédemment.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ont-ils globalement restauré les milieux impactés ou reste-t-il des endroits endommagés que nous pourrions aller voir lors de notre future visite sur place ?

M. Henry Frémont. - Le plus gros problème est celui déjà évoqué sur le bétonnage des fossés qui amène de l'eau dans des champs où il ne devrait pas y en avoir. Pour répondre à la question de M. Vasselle, un autre problème est relatif à la présence de sangliers et de lapins. COSEA possède des terrains qui ne sont pas entretenus et sont devenus de véritables ronciers où prolifèrent ces espèces alors qu'on ne les y avait jamais vues auparavant. Lorsqu'il s'agit de sangliers, il est possible de se retourner contre la fédération de chasse pour se faire indemniser des dégâts de gibier, mais ce n'est pas possible lorsqu'il s'agit de lapins.

En ce qui concerne l'impact du projet sur le prix du foncier, nous n'en avons pas constaté. Cela peut s'expliquer par le fait que nous mettons tous nos moyens en oeuvre pour éviter que les mesures compensatoires passent par de l'achat de terres. Il faut reconnaitre que la LGV qui traverse le département n'est pas un facteur déterminant de la hausse du prix du foncier.

M. Alain Vasselle . - Ma question était de savoir si vous aviez une idée de ce que représente, pour le concessionnaire, le poids financier de l'acquisition du foncier et des compensations ? Combien cela pèse-t-il dans leur investissement global ? Est-ce significatif ?

M. Henry Frémont. - Je n'en ai aucune idée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour répondre à M. Vasselle, nous avons demandé à COSEA et LISEA, à l'occasion de leurs auditions, de nous fournir des documents relatifs au coût de leurs mesures compensatoires. L'étude de l'ensemble des dossiers sur lesquels nous travaillons nous montre qu'il est difficile d'ouvrir la « boîte noire » !

M. Gérard Bailly . - Le monde agricole a-t-il été concerté au niveau du pré-projet ou de l'enquête en ce qui concerne le tracé du projet ? Le maître d'ouvrage a-t-il, le cas échéant, financé la reconstruction de bâtiments agricoles pour des exploitations que la ligne à scindées ? Quelle est, en outre, la longueur du tracé sur votre département et les surfaces impactées ? Y a-t-il eu un débat entre le monde agricole et le monde forestier, l'un préférant toujours que le tracé passe chez l'autre ? Le remembrement des parcelles a-t-il eu lieu tout au long du tracé ?

L'expérience que j'ai connue en matière de LGV m'évoque le rétablissement des ponts sur les routes départementales. Il n'est aujourd'hui plus possible de faire passer une moissonneuse-batteuse sur un pont de quatre mètres. Avez-vous rétabli les ponts en fonction de leurs dimensions initiales ou des nouveaux besoins ? Il peut sembler s'agir de détails mais leur prise en compte est la garantie de bonnes conditions de dialogue avec le monde agricole.

Enfin, quelle a été la diminution de production de l'économie agricole au sein du département du fait des hectares agricoles qui ont changé de nature ainsi que ceux qui, du fait des mesures de compensation mises en oeuvre, voient leur productivité affectée ? Des indemnités ont-elles été versées pour ce préjudice global ?

M. David Froger. - En ce qui concerne le tracé, la chambre d'agriculture a été consultée à toutes les étapes depuis le débat public dans les années 90. Des avis ont été émis par le président de la chambre mais force est de constater que le tracé d'une ligne LGV est extrêmement rigide et que beaucoup d'autres aspects sont également à prendre en compte. Certaines demandes de la profession ont néanmoins été entendues. La LGV suit par exemple, le tracé de l'autoroute A10 comme nous l'avions demandé. Les différences de nature de ces deux ouvrages a engendré des délaissés entre les deux tracés qui ont, parfois, pu être remis en culture.

La longueur du tracé sur le département représente 52 kilomètres depuis le sud de Tours, lieu de raccordement à la ligne, jusqu'à la limite avec le département de la Vienne. Il faut également ajouter la longueur de quelques raccords au réseau existant.

Je ne dispose pas des chiffres précis mais le tracé passe, dans notre département, en très grande majorité par des terres agricoles contre très peu de forêt. Il s'agit pour elles d'un impact marginal.

En ce qui concerne le remembrement, cinq secteurs d'aménagement foncier ont été définis. Il n'y en a pas dans la partie nord du département car il s'agit d'un milieu périurbain dans lequel il n'existait pas de marge de manoeuvre Dans les autres cas, il y a eu des aménagements fonciers qui sont une forme de compensation agricole. Il y a eu de l'inclusion et de la répartition d'emprise. Les règles de définition du périmètre ont été respectées.

En ce qui concerne les ponts, nous pouvons constater qu'il y a eu une reconstitution des ouvrages ou des continuités de circulation. Nous regrettons néanmoins que les nouveaux ouvrages doivent respecter certaines nouvelles normes qui conduisent à plus de contraintes pour le passage des engins. Le jumelage de la LGV avec l'autoroute engendre des enchainements d'ouvrages conduisant à la reconfiguration de certaines zones qui sont touchées par de nouveaux problèmes de visibilité ou de dos d'âne.

La compensation a pris la forme d'un volet « individuel » à destination directe des exploitants impactés qui ont pu bénéficier des protocoles que nous avions négociés avec RFF. Un fonds de compensation collective a aussi été destiné aux collectivités. Ils ont pu engendrer quelques retours ponctuels vers l'économie agricole mais il ne s'agit pas de la destination première de ce fonds. Il n'y a donc pas eu de compensation collective agricole mais nous espérons que les nouveaux textes changeront cette situation.

L'emprise de l'ouvrage représente 1 000 hectares sur le département. Nous sommes passés d'une estimation de 300 à 400 hectares au début du projet qui, au fur et à mesure de sa définition, a abouti au chiffre final.

M. Gérard Bailly . - Le maître d'ouvrage a-t-il accepté des transferts de sièges d'exploitation ?

M. David Froger. - Pas à ma connaissance. Nous avons essayé de régler les problèmes par de l'aménagement foncier, des rétablissements de voirie ou des indemnisations.

M. Gérard Bailly . - Combien d'hectares sont concernés par les protocoles de compensation que vous nous avez détaillés ?

M. Julien Martinez. - Nous sommes à ce jour à 440 hectares contractualisés. Pour ce qui concerne les mesures surfaciques, la plus représentée est la prairie de fauche avec 250 hectares. Le gel représente, lui, 140 hectares. Il s'agit des cahiers des charges les plus simples à mettre en oeuvre. La création et la gestion de haies déjà existantes représentent un linéaire de 23 kilomètres. Deux kilomètres de ripisylve sont également mis en place. Cela correspond, de mémoire, à 300 000 ou 400 000 euros par an.

Il est difficile d'établir un objectif exprimé en surface car la compensation fonctionne par espèce. Il convient donc d'appairer les espèces touchées avec les surfaces qui compensent les impacts.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il me semble que la dette cumulée par espèce était de 30 000 hectares, ce qui a conduit à 3 000 ou 4 000 hectares après mutualisation. Que représente le montant inhérent aux compensations que vous venez de mentionner par rapport à celui des MAE, connaissant les difficultés liées à leur mise en paiement ?

M. Julien Martinez. - L'idée est, en effet, de mutualiser. COSEA cherche, en ce sens, un agriculteur dont les parcelles pourraient accueillir l'ensemble des espèces concernées. Nous avons, à chaque fois, essayé de concilier la volonté de COSEA et les intérêts de l'agriculteur. Les associations environnementales nous servent également de guide pour dire quel type de surface correspond aux espèces concernées.

En ce qui concerne les MAE, on ne peut, pour le moment pas reprocher à COSEA de ne pas payer dans les temps les mesures de compensation. Les factures arrivent et c'est important pour la confiance des agriculteurs. Ce n'est pas toujours le cas pour les MAE.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Aujourd'hui, est-il possible de dire que COSEA accompagne plus de mesures environnementales que l'État ?

M. Julien Martinez. - Je pense qu'il est, en effet, possible de le dire.

M. Henry Frémont. - Ils paient mieux que l'État, sans que cela ne soit trop difficile...

M. Gérard Bailly . - Comme il a été dit, les agriculteurs ne font pas cela que pour les primes ; ils espèrent voir leurs actions servir à la biodiversité. Quelles modalités d'évaluation à moyen terme sont prévues pour ces mesures afin de savoir s'il convient, ou non, de les reconduire ?

M. David Froger. - Les mesures sont prévues pour une certaine durée au terme de laquelle il y aura forcément une évaluation pour voir si le contrat est reconduit ou si des ajustements doivent être prévus. Un suivi annuel est également prévu pour chaque exploitant. Il sera conduit par la chambre de l'agriculture et les associations environnementales.

Il faut aussi préciser qu'un agriculteur contrôlé sur son dossier relatif à la politique agricole commune (PAC) ou sur les MAE que peut accueillir une partie de son exploitation verra s'effectuer un fléchage de ce contrôle sur les mesures compensatoires dont il a la charge. Tout cela vient en plus du contrôle logique que l'opérateur effectuera sur les mesures qu'il finance.

M. Julien Martinez. - Nous sommes dans le cadre d'un objectif de moyens et pas de résultats. S'il est possible d'estimer qu'une espèce va recoloniser une zone, il n'est pas possible d'en être totalement sûr. Je ne sais pas comment le risque d'échec est pris en compte mais c'est à COSEA d'assurer le suivi.

M. Henry Frémont. - La situation est similaire pour toutes les mesures environnementales. Qu'il s'agisse de MAE ou de mesures de compensation, on s'aperçoit qu'une durée de 5 ans n'est pas assez longue pour avoir un véritable impact positif sur le milieu et on ne dispose souvent pas d'un état initial de la situation qui pourrait servir d'étalon. Ce n'est toutefois pas le cas pour les mesures liées à la LGV. Pour ce qui est de l'outarde, on connait par exemple le nombre d'hectares concernés par les mesures ad hoc , le niveau de l'investissement que cela représente, mais on n'a aucune idée du nombre d'outardes qui vont revenir effectivement. La valeur patrimoniale de cette espèce peut toutefois justifier l'importance des moyens mis en oeuvre.

M. Rémy Pointereau . - Le passage de la LGV entraine une double peine pour les agriculteurs qui perdent une première fois du foncier pour l'emprise de la ligne et une seconde fois pour mettre en place les mesures de compensation environnementale qui sont rendues obligatoires. Quel est le rapport entre le volume cumulé de ces deux types de surface pour le projet de LGV dans votre département ?

Les agriculteurs touchés ont-ils récupéré leurs surfaces agricoles cultivables ?

La compensation environnementale s'est-elle faite à proximité directe de l'emprise ou vous a-t-on proposé des mesures un peu plus éloignées ?

Le tracé de cette autoroute a-t-il favorisé un jumelage avec d'autres infrastructures linéaires ? Pensez-vous que cette solution permet de mieux épargner les terres agricoles ?

Outre les passages routiers évoqués, des passages réservés aux parcelles ont-ils été prévus ?

M. Henry Frémont. - La compensation agricole est une nouveauté pour laquelle la profession s'est battue. On détermine aujourd'hui dans le département les seuils et les catégories d'infrastructures qui pourraient être concernés.

Il faut, de toute manière, considérer que les 1000 hectares qui ont été prélevés sont définitivement perdus pour l'agriculture. Nous avons essayé de trouver des solutions à travers le remembrement, la réserve foncière du département ou de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) pour pallier ce problème, mais force est de constater que certaines exploitations ont été fortement touchées. La compensation agricole sera, on l'espère, une solution en termes de réserve foncière car il s'agit du coeur du problème même si nous savons qu'elle ne créera pas de terres ex nihilo et que le volume de production agricole s'en trouvera in fine affecté quand même.

Vous évoquiez le problème des ouvrages routiers qui ne sont plus forcément adaptés au format de nos engins. Il est vrai qu'il s'agit d'un problème qui nous touche mais dont l'importance est moindre que celle des politiques de voirie dans les bourgs ou dans les villes. On a tendance à oublier les agriculteurs, même au sein de communes rurales !

M. David Froger. - L'avis sur les jumelages d'infrastructures n'est jamais simple à donner pour une chambre d'agriculture car les exploitants qui se situent déjà à proximité de l'autoroute n'apprécient pas forcément que vienne s'y ajouter une LGV. L'idée directrice est d'aller vers une solution de moindre mal qui limite le fractionnement de l'espace agricole. Car une exploitation ne se limite pas à une surface de foncier mais est également une somme de fonctionnalités qu'il faut préserver. Nous avons donc, pour la LGV, en principe souhaité ce jumelage mais nous avons été conscients des inconvénients de cette solution pour certains. Le jumelage entre une LGV et une autoroute connait également des limites techniques car les rayons minima de courbure sont beaucoup plus importants pour une LGV que pour une autoroute, ce qui limite le parallélisme des tracés et crée de facto des délaissés.

En ce qui concerne le foncier, les aménagements ont permis de réduire les impacts subis par chaque exploitation touchée mais n'ont pas compensé les 1000 hectares qui ont définitivement été ôtés à l'activité agricole.

M. Julien Martinez. - En ce qui concerne l'éloignement des mesures de compensation par rapport à la localisation de l'atteinte, il varie selon les espèces. Les mesures concernant les amphibiens vont se faire au droit de la ligne alors que celles en lien avec l'avifaune de plaine peuvent être plus éloignées et ciblées sur les quelques endroits intéressants du département qui peuvent parfois se situer à une vingtaine de kilomètres de la ligne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce que, comme c'est le cas chez vous, un meilleur dialogue entre naturalistes et agriculteurs permet de préserver plus de bonnes terres agricoles près de la ligne et de concentrer les mesures de compensation sur des zones plus intéressantes pour la biodiversité et ayant moins de valeur pour l'agriculture ?

M. Julien Martinez. - C'est typiquement ce que nous avons souhaité et cela n'a été possible que du fait d'une intervention très en amont du projet. Nous avons pu cibler les terres intéressantes pour la biodiversité qui accueillaient déjà parfois des MAE et avons pu nous focaliser sur les terres les moins productives et les agriculteurs les plus volontaires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce que vous ne vous demandez pas s'il était pertinent de destiner autant de moyens à la seule outarde et s'il n'y aurait pas eu mieux à faire en termes de surface et d'impact sur la biodiversité ?

M. Julien Martinez. - Il ne s'agit pas simplement de l'outarde mais également de l'oedicnème et du busard cendré et saint-martin. Nous savons que les espaces que nous avons sélectionnés avec la LPO sont propices à ces trois espèces, même si les effectifs d'outardes sont en chute libre.

M. Alain Vasselle . - Je réagis par deux questions complémentaires à celles de M. Pointereau.

Avez-vous trouvé suffisamment d'agriculteurs volontaires pour mettre en oeuvre la totalité des mesures de compensation requises par l'ouvrage ? Comment procédez-vous si jamais vous n'y parvenez pas ? Les indemnités proposées aux agriculteurs volontaires correspondent-elles réellement à la perte de productivité induite sur leur exploitation ?

Jusqu'à présent, lorsqu'un agriculteur perdait une surface de terre sans que ne puisse y être substituée une parcelle de même surface et de qualité similaire, une indemnité lui était versée. On ne tenait pas compte de la perte de productivité sur le long terme provoquée par la perte de surface. Les mentalités ont elles évolué ? Une compensation dans la durée est-elle prévue ?

M. Henry Frémont. - Les protocoles existants ont été respectés lorsque ces cas de figure ont été rencontrés. Des calculs prenant l'ensemble des paramètres en jeu servent à calculer le montant de la prime d'éviction. Mais il est clair que lorsque les surfaces amputées remettent en jeu la viabilité économique d'une exploitation, la prime d'éviction versée ne suffit pas forcément, a fortiori pour un jeune agriculteur qui s'installe. La compensation agricole ne répond cependant pas à ce problème car elle a pour but de compenser les pertes de surfaces globales à l'échelle d'un département et non à l'échelle d'une exploitation.

M. Julien Martinez. - La perte de productivité due à l'accueil de mesures de compensation est variable selon les situations. Elle peut être quasi-nulle lorsqu'un agriculteur y dédie une ou deux parcelles peu productives. Elle peut aussi être plus importante lorsque plus de terres sont en cause. Il s'agit à chaque fois de cas particuliers qui dépendent aussi de la situation de l'agriculteur en cause, notamment s'il prévoit de bientôt partir à la retraite ou qu'il souhaite cumuler une autre activité. Le seul point commun est que l'accueil de mesures de compensation est à chaque fois un acte volontaire de l'agriculteur.

M. Henry Frémont. - Nous cherchons également à établir un maillage du territoire. Lorsque l'on met en place des MAE en zone Natura 2000, on ne va pas chercher une parcelle de 50 hectares au même endroit mais plutôt plusieurs parcelles différentes afin de créer ce maillage qui est, par exemple, nécessaire à l'outarde.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour quelle durée les contrats sont-ils souscrits ?

M. Julien Martinez. - Ils sont souscrits pour une durée minimale renouvelable qui va de cinq ans pour certaines mesures comme les repousses de céréales à vingt-cinq ans pour d'autres notamment liées aux haies, aux ripisylves ou à du boisement. Les prairies qui bordent les ripisylves ou les haies afin d'obtenir un effet de lisière donnent lieu à un engagement minimum entre huit et dix ans renouvelable par tacite reconduction. Il est aussi possible pour l'agriculteur de s'engager directement pour vingt-cinq ans s'il le souhaite.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous n'êtes donc pas dans la même logique que celle qui a pu nous être présentée pour Notre-Dame-des-Landes. Certains nous ont dit préférer négocier des contrats sur une durée de cinq ans afin de renégocier, passé ce délai, en profitant du fait que l'opérateur aura l'obligation de poursuivre la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

M. Julien Martinez. - Nous avons, de notre côté, négocié une clause d'actualisation des prix de 8 % supplémentaires tous les 5 ans.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Au regard de la situation que vous nous avez décrite, ne peut-on pas dire que la chambre d'agriculture est devenue un véritable opérateur de compensation dans votre département ? Ne pourrait-elle pas en devenir un à part entière ?

M. Henry Frémont. - Ce n'est clairement pas une volonté de notre part même si la CDC Biodiversité a récemment sollicité notre concours, sans que cela n'ait donné suite.

M. Gérard Bailly . - Si la biodiversité est un enjeu, il convient néanmoins de ne pas oublier les hommes. Y a-t-il eu des problèmes avec COSEA en ce qui concerne d'éventuelles nuisances pour les habitations ou les sièges d'exploitation, telles que le bruit par exemple ?

M. David Froger. - Nous ne les oublions pas car les agriculteurs sont ressortissants de notre chambre d'agriculture et, pour certains, directement riverains de l'infrastructure. Il en va de ce sujet comme du tracé. Nous avons beaucoup insisté à tous les niveaux mais avons constaté que l'opérateur s'en tient au minimum réglementaire. Il faut néanmoins reconnaitre que certaines mesures d'atténuation du bruit de la LGV ont pu également limiter les nuisances sonores en provenance d'infrastructures préexistantes.

M. Gérard Bailly . - Malgré la présence de merlons, nous savons que la nuisance sonore persiste.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie Messieurs, non seulement pour la qualité des informations données, mais aussi pour la franchise de vos réponses.

Audition du Conseil national de l'expertise foncière agricole et forestière (CNEFAF) : M. François Paliard, vice-président, M. Alban le Cour Grandmaison, spécialiste des systèmes géographiques, M. Gilles Barreau, expert forestier, M. Thierry Routier, expert foncier et agricole, et M. Philippe Gourmain, président d'Experts forestiers de France (EFF)
(jeudi 9 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur les grands projets d'infrastructures avec l'audition du Conseil national d'expertise foncière et agricole (CNEFAF). Je rappelle que nos travaux s'intéressent en particulier aux conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets - l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau.

Le CNEFAF est une organisation qui gère les professions d'experts fonciers et agricoles et d'experts forestiers. Davantage que sur les projets précédemment évoqués, nous sommes particulièrement intéressés par vos méthodes d'expertise de la bonne application de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC).

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je vous rappelle que tout faux témoigne et toute subordination de témoin est passible de peines inscrites au code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Paliard, Alban le Cour Grandmaison, Gilles Barreau, Thierry Routier et Philippe Gourmain prêtent successivement serment.

Avant que nous commencions, je vous demande de bien vouloir nous préciser les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête.

M. Alban le Cour Grandmaison, spécialiste des systèmes géographiques . -J'ai travaillé sur le projet de TGV Bretagne-Pays de Loire, avec le groupe Eiffage.

M. François Paliard, vice-président du CNEFAF. - Je n'ai aucun lien d'intérêts.

M. Gilles Barreau, expert forestier . - Moi non plus.

M. Thierry Routier, expert foncier et agricole . - Moi non plus.

M. Philippe Gourmain, président d'experts forestiers de France . - Aucun lien d'intérêt non plus de mon côté.

M. François Paliard. - Créé par décret en 2006, le CNEFAF est une structure de type ordinal regroupant l'intégralité des experts fonciers et agricoles et des experts forestiers français. Il a en particulier pour mission d'agréer les nouveaux experts et d'établir la liste nationale des experts fonciers et agricoles, et des experts forestiers. Seules les personnes inscrites sur cette liste nationale peuvent porter le titre d'expert.

Les membres du CNEFAF sont des professionnels compétents, responsables et indépendants. Leurs compétences professionnelles sont vérifiées par le CNEFAF, qui assure par ailleurs pour chaque membre une formation continue obligatoire. Ensuite, les experts sont responsables car ils interviennent à titre personnel et sous leur propre responsabilité. Ils doivent respecter le code des devoirs professionnels et être obligatoirement titulaires d'une assurance responsabilité civile professionnelle. Enfin, l'exercice de la profession est incompatible avec toute fonction susceptible de porter atteinte à son indépendance, et les experts sont soumis au secret professionnel.

Par ailleurs, le législateur a doté le CNEFAF d'un pouvoir disciplinaire lui donnant rang de juridiction administrative, les recours éventuels s'exerçant devant le Conseil d'État.

Les membres du CNEFAF interviennent sous forme d'expertise, de conseil ou d'études, dans un cadre amiable, précontentieux ou judiciaire. Trois domaines sont particulièrement concernés par ces missions : l'expertise forestière, l'expertise foncière, et l'expertise agricole.

Le titre d'expert est ouvert aux diplômés de formations en environnement, car les membres du CNEFAF participent à la prévention des risques d'inondation - ce qui inclut la gestion des massifs forestiers pour la maîtrise des eaux de pluie, l'identification des zones d'expansion de crue, les études de bien fondé de la construction de bassins de rétention - et à la prévention des incendies.

M. Gilles Barreau. - Nous avons écouté certaines des auditions de votre commission d'enquête, et une question est revenue régulièrement : a-t-on assez de personnel ? Est-il suffisamment formé ?

C'est notre coeur de métier. Nous possédons un véritable savoir-faire, qui va de la dissection technique des sujets et de l'analyse des facteurs à la proposition de scenarii en fonction des comparaisons que nous avons pu faire avec des projets existants dans nos bases de données. Notre approche est pluridisciplinaire, et s'intéresse autant aux facteurs environnementaux que techniques et économiques. Nous privilégions d'ailleurs les interactions avec d'autres spécialistes de terrain, comme les écologues et les ingénieurs en génie environnemental.

En tant que gestionnaires de projets, les experts ont deux missions : un rôle d'assistant à maîtrise d'ouvrage, tout d'abord. L'expert favorise la concertation avec les acteurs locaux, assure la coordination des acteurs et propose des unités de compensation. Parallèlement, l'expert joue un rôle dans la maîtrise foncière : il assure l'identification et la gestion des terrains, réalise la négociation et élabore les contrats. La spécialité de nos membres est la gestion des projets sur le long, voire le très long terme : nos domaines de compétences nous prédisposent à travailler sur des temps longs, de 10 à 100 ans.

Nous intervenons à la fois sur des grands projets d'infrastructures comme les projets de LGV, d'autoroutes ou de lignes électriques à haute tension, et sur des projets locaux d'urbanisme. La dichotomie que l'on crée entre ces deux types de projets est en réalité artificielle, car il existe toujours des interactions entre les grands et les petits projets.

Leur connaissance aiguë du terrain et des acteurs locaux permettent aux experts d'adapter au mieux les projets à la société.

M. Thierry Routier . - Nous intervenons dans toutes les phases du projet : en amont, durant la réalisation, et en aval.

Préalablement à la réalisation des projets, nous intervenons avec d'autres acteurs de l'environnement pour identifier les zones à préserver, évaluer les impacts et préjudices environnementaux du projet et déterminer la valeur des terrains. Cela nous permet de proposer et de hiérarchiser des solutions alternatives afin d'éviter un maximum d'impacts, mais également des mesures de réduction et de compensation pour les impacts qui n'auraient pu être évités.

Je prendrai l'exemple d'un projet dont l'enjeu était une évolution du plan local d'urbanisme (PLU) pour permettre de créer un couloir pour les batraciens entre leur zone d'hivernage et leur zone de reproduction. Pour cela, la parcelle d'un particulier, qui avait un potentiel de 4 terrains à bâtir, devait être classée en « zone naturelle ». Ce dossier n'est pas allé jusqu'à l'enquête publique, mais nous avons assisté le maître d'ouvrage dans la recherche de solutions.

Pendant la conduite du projet, nous avons un rôle d'assistant au maître d'ouvrage : nous assurons la coordination des actions de mise en oeuvre des mesures d'évitement, de réduction et de compensation. Cela passe notamment par l'élaboration de grilles d'indemnisation pour les propriétaires fonciers et exploitants agricoles. Nous conduisons également les négociations foncières, élaborons des propositions contractuelles durables, en particulier à travers la rédaction des clauses environnementales figurant dans les baux ruraux, documents qui génèrent parfois des tensions entre preneurs et bailleurs.

M. Alban le Cour Grandmaison . - Cette fois, nous pouvons prendre l'exemple d'un aménagement de la RN 162 entre Laval et Mayenne, lors duquel nous avons assuré les missions de recherche et de sécurisation foncière des terrains destinés à accueillir les mesures compensatoires. Ce projet, qui a fait l'objet d'une collaboration avec un cabinet spécialisé dans le génie écologique, s'est déroulé en trois temps : tout d'abord, l'élaboration d'un système d'information géographique (SIG) pour les mesures compensatoires en faveur des zones humides et des espèces protégées, ainsi que pour certaines mesures de réduction. Ensuite, la recherche de foncier et la réalisation des diagnostics d'exploitation agronomique et écologique de chaque terrain ; celle-ci conduit à la formulation de propositions de compensations. Enfin, l'élaboration du programme des travaux et des plans de gestions, ainsi que la sécurisation effective des terrains - par le biais de conventionnements, de baux emphytéotiques ou d'acquisitions foncières. Nous assurons, tout au long du projet, le suivi des conséquences environnementales et des mesures de compensation mises en oeuvre. Ces actions passent notamment par la collecte et l'archivage de données sur les actions réalisées, ainsi que par la mise à jour régulière du SIG.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir des informations sur l'aspect financier des projets. Pour le réaménagement routier que vous venez de présenter, quelle était l'enveloppe ? Comment était-elle définie ? Devez-vous travailler dans un montant global qui vous est donné par le maître d'ouvrage, ou vous donne-t-on pour consigne une obligation de résultat sans limite budgétaire ?

M. Alban le Cour Grandmaison. - Sur ce projet, nous n'en sommes qu'aux prémices du protocole d'indemnisation, sur lequel nous sommes toujours en phase d'échanges avec la chambre d'agriculture. La base de ces échanges est le protocole régional, ainsi que sa déclinaison départementale. Je n'ai pas d'éléments chiffrés à vous communiquer aujourd'hui.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous nous les donnerez par écrit. Nous avons besoin de disposer d'éléments précis sur les montants des enveloppes et la part qui est dédiée aux mesures compensatoires sur chaque projet.

M. Alban le Cour Grandmaison. - En termes de calendrier, il y a eu une première réunion publique pour présenter le projet ; les discussions sur l'établissement du protocole sont en cours. Les négociations seront conduites durant les prochains 3 à 6 mois. A l'issue de cette période, nous serons en mesure de vous fournir les éléments que vous demandez.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur ce projet, qui est votre client ? L'État ?

M. Alban le Cour Grandmaison. - Oui, c'est la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Que vous ont-ils demandé, en termes financiers ?

M. Alban le Cour Grandmaison. - Aujourd'hui, aucune enveloppe n'est déterminée ; cela est justement l'objet de nos échanges avec la chambre d'agriculture.

M. Gilles Barreau. - Je vais partager mon expérience, qui est peut-être plus ancienne que celle de mes collègues sur ces sujets. Le maître d'ouvrage ne donne jamais une enveloppe d'entrée de jeu, et comme nous sommes des conseils raisonnables, nous évitons l'emballement des chiffres.

Sur tous les dossiers sur lesquels j'ai travaillé, notamment sur l'installation de lignes à très haute tension, les mesures de compensation - défrichement, déplacement de zones humides - représentent moins de 1 % du montant total de l'ouvrage.

Je travaille actuellement sur un projet routier : je n'ai aucune consigne. Cependant, je peux d'ores et déjà vous dire que les mesures compensatoires ne dépasseront pas quelques pourcents du coût global du projet.

Cela étant dit, je pense que nos donneurs d'ordres sont en train de découvrir la réalité du sujet, de l'application de la loi pour la reconquête de la biodiversité. Sur certains projets, comme le déplacement d'une carrière, les donneurs d'ordre sont vraiment debout sur le frein au niveau des dépenses. C'est également notre rôle de leur transmettre notre réalisme sur le dossier, et de les convaincre de l'importance de la présentabilité des dossiers devant les services administratifs qui vont les analyser. C'est tout l'intérêt de notre rôle d'assistance à maître d'ouvrage en amont du projet : il faut identifier et éviter les points durs le plus tôt possible. Après, c'est souvent trop tard.

M. Jérôme Bignon . - Vous êtes experts fonciers. Vous travaillez presque systématiquement avec des écologues.

La compensation vise la perte de foncier. Mais que comporte ce foncier ? C'est parfois de la forêt, parfois des zones humides, parfois des terres agricoles. Il est évident que la compensation et la restauration ne peuvent pas être de même nature sur ces différents terrains. Qui vous aide à apprécier ce paramètre ? À apprécier la restauration des fonctions écosystémiques particulièrement complexes d'une zone humide, par exemple ? La restauration est un exercice difficile, même sur des terres arables dites « classiques », en raison des nécessaires interactions entre les différents écosystèmes.

Ce qui est formidable, c'est que vous nous apportez des éléments concrets. La loi pour la reconquête de la biodiversité nous fait entrer dans un nouveau système, avec une obligation de résultat. Certains ont pointé une totale méconnaissance des interactions que l'on essaie de compenser. Comment fait-on, dans ce cas ?

M. Thierry Routier . - Je peux vous parler d'un exemple à Abbeville, où était prévue la construction d'un immeuble en zone humide. Il s'agissait de rechercher la compensation. Nous avons rencontré les différentes administrations locales, et notamment la mairie d'Abbeville qui nous a proposé un terrain pour la compensation. Je me suis rendu sur place ; le terrain était situé dans les marais de la Somme et j'ai pu constater visuellement qu'il y avait un remblai de gravats de matériaux de destruction inertes déposés sur des zones humides. La surface dudit terrain correspondait à celle du projet. La solution retenue a donc été de débarrasser tous les gravats pour rétablir une zone humide. C'est donc en se déplaçant sur le terrain, en analysant les situations, que l'on peut trouver des modèles de compensation.

Autre exemple de compensation, dans un dossier récent : il a suffi d'installer des supports dans une zone pour permettre aux rapaces de venir nicher dans le secteur.

M. Roland Courteau . - Vous avez dit qu'il fallait repérer les points durs le plus en amont possible pour mieux les éviter, ce qui semble effectivement la sagesse et l'évidence. Pouvez-vous être plus précis sur cette notion de l'amont ?

M. Gilles Barreau . - Lorsque le maître d'ouvrage fait appel à nous dès la naissance du projet, il attend un regard d'expert qui sait reconnaître les points durs comme une zone humide, une lande sèche, une caverne à chauve-souris... Notre approche, notre formation, nous amènent à savoir lire le terrain. On ne lit pas ça sur les cartes ! C'est l'oeil exercé sur le terrain qui est indispensable. Pour expliquer notre fonction, j'ai coutume d'utiliser la métaphore de la pellicule : notre éducation nous amène à avoir une certaine sensibilité qui nous permet de détecter les zones dures. Nous ne sommes pas des écologues spécialistes des espèces rares, mais nous sommes des généralistes qui avons une vision horizontale des problèmes, ce qui nous permet de déceler la lande à truffes, ou la zone de montagne à coq de bruyère, ou encore la lande à drosera, etc...

Monsieur Bignon, lorsque c'est un peu plus compliqué, notre métier est de disséquer un système complexe et de le traduire en équation plus simple. Lors de la « dissection », nous observons les organes, leur importance et leur poids dans l'écosystème. Puis, à partir d'un jeu de critères - quantitatif, pour des mares par exemple, ou linéaire pour des haies - mais aussi qualitatifs, car tous les mètres linéaires de haie n'ont pas la même valeur. C'est ainsi que l'on objective les choses. En 1995, nous avions beaucoup de dossiers sur les arbres d'agrément. Estimer la valeur d'un arbre d'agrément peut paraître très subjectif. Mais après y avoir travaillé, nous avons pu rendre la notion d'agrément relativement objective, avec une approche qui permet de réduire au maximum la marge d'erreur et d'obtenir finalement un consensus sur la valeur de l'objet. Il en est de même en matière d'environnement, mais il faut pour cela déceler, diagnostiquer, quantifier et discuter. Si le principe en lui-même est assez simple, l'approche est toutefois assez complexe et subtile.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez donc aussi des ratios économiques dans votre expertise ? Par exemple, pouvez-vous nous donner votre estimation d'un linéaire de haie ?

M. Gilles Barreau . - En effet, à côté de l'écologie, on place obligatoirement l'économie. Personnellement, je ne sais pas faire une expertise forestière sans associer l'économie, la biodiversité et la notion d'agrément. Si on néglige l'un de ces trois aspects, l'expertise est incomplète. La valeur économique est donc incontournable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous nous donner une fourchette de prix du mètre linéaire de haie, d'une mare ? Nous cherchons à alimenter notre réflexion, et aurions besoin de ces précisions pour pouvoir recouper ce que nous disent les uns et les autres.

M. Philippe Gourmain . - Je suis expert forestier et je préside le syndicat professionnel des experts forestiers, qui compte 130 adhérents : nous gérons un million d'hectares de forêts en France sur 11 millions d'hectares de forêt privée. Nous sommes donc des praticiens de la gestion au quotidien et, à ce titre, mandatés par des propriétaires privés ou des collectivités pour gérer des espaces forestiers tant dans leur dimension écologique qu'économique.

S'agissant des coûts, j'ai l'exemple d'une expertise sur des petits bois qui nous a été commandée par un département : on m'a demandé de dépenser 500 000 euros sur 20 hectares pour la compensation, « même si ce n'est pas rentable, même si ce n'est pas utile » . Ce à quoi j'ai répondu que je ne savais pas faire. Pour une telle somme, il vaut mieux acheter autre chose, mener des actions plus pertinentes d'un point de vue environnemental et dont le ratio efficacité/coût est bien meilleur. Nous avons les compétences techniques et n'hésitons pas à faire appel à des spécialistes sur certains sujets, et nous avons, bien évidemment, le souci du coût.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est bien ce qui est au coeur de nos travaux. Nous devons sortir de l'irrationnel. Lorsque vous dites, par exemple, qu'il faut trois kilomètres de haie, vous avez un prix dans la tête ?

M. Philippe Gourmain . - Oui.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quel est ce prix ?

M. Philippe Gourmain . - Je fais, pour ma part, plutôt du boisement. Un boisement coûte de 3 000 euros pour des résineux, à 6 000 euros pour des feuillus. C'est pourquoi je n'aime pas que l'on me dise qu'il faut dépenser 15 000 euros l'hectare ; il vaut parfois mieux traiter davantage de surface, entreprendre des actions différentes, plutôt que de dépenser 15 000 euros à tout prix.

M. Gilles Barreau . - Il est un peu réducteur de vouloir donner un prix du kilomètre de haie, car l'écart-type est assez grand.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quels sont alors la moyenne et l'écart-type ?

M. Gilles Barreau . - Un kilomètre de haie coûte en moyenne 4 000 euros. Tout dépend de sa composition : une haie avec des très beaux chênes vaudra plus qu'une haie de chênes pubescents. La notion de barème est un peu perverse. Par exemple, pour l'installation de lignes électriques en Normandie, afin de faciliter le travail des ingénieurs, nous avons réalisé un barème établi à partir de quatre critères d'entrée et ponctuellement adapté à la situation de la Normandie.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons bien compris qu'il y a un écart-type et qu'il existe des variantes selon les contraintes... les variations ne sont toutefois pas de un à mille ?

Pouvez-vous également nous renseigner sur le prix d'un hectare de zone humide ?

M. Gilles Barreau . - Tout dépend de ce qu'on a au départ.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En foncier ?

M. Gilles Barreau . - Selon qu'il s'agit d'un terrain agricole, d'une ancienne carrière ou d'une zone humide abimée, les coûts sont différents, mais ils se chiffrent en tous cas en dizaines de milliers d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourrez-vous nous procurer un document de synthèse de l'ensemble des coûts principaux de l'ingénierie environnementale, tenant compte des écarts-types selon la diversité des situations, ce qui nous permettrait de faire des recoupements avec les nombreux chiffres que nous avons entendu ?

M. Jérôme Bignon . - Cet échange est très intéressant. Vous avez dit « quand c'est extrêmement compliqué, il vaut mieux éviter » : est-ce que cela vous arrive ? Par exemple, si un maître d'ouvrage vous demande de créer une zone humide pour compenser, vous arrive-t-il de lui répondre que c'est impossible ou délirant par rapport au coût du projet ? Cela vous arrive-t-il de conseiller l'évitement ?

M. Thierry Routier . - Oui, cela arrive.

M. Jérôme Bignon . - J'ai vu des cas où on ne pensait pas beaucoup à l'évitement et où on intégrait directement au projet un prix de compensation, quel qu'il soit.

M. Gilles Barreau . - Les maîtres d'ouvrage viennent nous voir parce qu'ils ont conscience du problème et, s'ils sollicitent notre conseil, c'est pour en tenir compte. En principe, nous avons une relation régulière avec ces donneurs d'ordres qui savent qu'ils peuvent nous faire confiance. En revanche, ceux qui se sont « plantés » dans une zone humide n'avaient en général pas demandé conseil préalablement...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous rencontré des exemples où, sur des grandes infrastructures, le tracé a bougé au profit de l'évitement, en raison d'un coût trop élevé ? Nous avons le sentiment que, même à 100 000 euros l'hectare, le coût de la compensation est moindre comparé à celui d'une modification de tracé.

M. Jérôme Bignon . - En effet.

M. Gérard Bailly . - Notre rencontre est intéressante en ce qu'elle montre la diversité de votre travail. Comment intervenez-vous plus particulièrement pour ce qui concerne les terrains agricoles productifs ? Avez-vous un rôle auprès des maîtres d'ouvrage pour préserver les bonnes terres agricoles ?

M. Thierry Routier . - Effectivement, nous intervenons sur ce point, car nous sommes des experts généralistes. Lorsque nous travaillons sur des dossiers, nous regardons les aspects économiques, sociaux et environnementaux et ne nous cantonnons pas à la biodiversité. C'est la réunion de ces trois aspects qui permet de réaliser des projets durables et l'ensemble ces paramètres sont intégrés à notre réflexion.

M. Gérard Bailly . - Faites-vous aussi de l'aménagement foncier ?

M. Thierry Routier . - Non.

M. Gilles Barreau . - Oui, cela peut arriver chez les experts forestiers. Pour l'aménagement foncier forestier, nous intervenons pour déterminer les valeurs, ce qui est le coeur de notre métier, en tenant compte des potentialités agronomiques, qu'elles soient agricoles ou forestières.

M. Gérard Bailly . - Est-ce vous qui intervenez pour le choix des terrains destinés à la compensation ?

M. Gilles Barreau . - Nous traduisons ce que l'écologue a décrit et si nous butons sur un problème technique nous faisons appel à un spécialiste.

M. Alain Vasselle . - En définitive, pour qui travaillez-vous : le maître d'ouvrage, l'État, l'exproprié ? Et, si vous êtes sollicité par deux parties, comment faites-vous, pour préserver l'intérêt de chacune d'elles ? Sur quels critères objectifs pouvez-vous traiter les demandes ?

Le coût des haies peut aller de moins de 1 000 à plus de 3 000 euros du kilomètre, selon leur qualité. Comment, dans ces conditions, tient-on compte de la valeur d'avenir d'un bois pour indemniser le propriétaire ? Avez-vous une marge de manoeuvre dans la compensation ou agissez-vous sur instruction de l'État ?

M. Philippe Gourmain . - Pour la partie forestière, nous travaillons toujours en valeur d'avenir. Si une haie est constituée d'arbres de diamètre moyen mais avec des perspectives de croissance et de récoltes futures, nous en tenons évidemment compte, c'est notre métier. Nous employons des méthodes d'actualisation financière intégrant des estimations recettes futures, selon la nature de la haie.

M. François Paliard . - En tant qu'experts, notre déontologie est stricte et exige avant tout l'indépendance. Lorsqu'un donneur d'ordre, quel qu'il soit, nous confie un dossier, nous avons l'obligation de le refuser dès lors qu'il nous met dans la position d'être juge et partie. C'est la base même du métier d'expert forestier et d'expert foncier agricole. L'un des principaux critères du CNEFAF est précisément l'indépendance de l'expert. Cela ne nous empêche en rien d'être indifféremment tantôt du côté de l'expropriant, tantôt de celui de l'exproprié, mais, encore une fois, jamais dans la double position de juge et partie.

En matière agricole, nous tenons évidemment compte de la valeur d'avenir, mais aussi d'autres préjudices comme par exemple les problèmes la suppression des zones d'ombrage des troupeaux. C'est sa bonne connaissance du terrain qui permet à l'expert d'inventorier l'ensemble des aspects à prendre en considération.

M. Alain Vasselle . - Vous savez évaluer la compensation économique, mais comment réussissez-vous à assurer la compensation paysagère et environnementale ? Si on fait disparaître une haie avec des arbres de quarante ans, il est impossible de reproduire une haie de même nature.

M. Gilles Barreau . - Il n'est pas forcément nécessaire de reconstituer à l'identique. Il faut surtout calculer la valeur de ce qui va être détruit et mettre en oeuvre les moyens de le rétablir ailleurs. Par exemple, si une haie a une valeur considérable et que son linéaire est court, on peut reconstituer une haie ailleurs avec un linéaire plus long, en jouant sur la valeur financière ou sur l'indice pour aboutir à une équivalence. Le point que vous soulevez est important, mais ne constitue pas une difficulté technique pour nous.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous sommes hélas pris par le temps et n'avons pas pu aborder avec vous toutes les questions qui nous préoccupent. Cette audition est très intéressante et je vous demanderais de bien vouloir nous apporter, par écrit, les éléments sur les fourchettes financières pour les principales interventions (mares, les zones humides, les espaces forestiers, etc...). Votre expérience vous permettra de détailler ces données, que nous considérerons, pour notre part, avec la prudence nécessaire.

La grande question que nous n'aurons pas le temps de traiter, et qui fait écho à ce que vient de dire notre collègue Alain Vasselle, est celle de la disponibilité du foncier aujourd'hui. Pourrez-vous nous expliquer par écrit votre stratégie vis-à-vis de cet enjeu majeur : faut-il aller chercher des terrains plus intéressants en termes de valeur écologique, même s'ils sont plus éloignés de l'ouvrage ? Est-il possible d'être plus souple sur cette question de la proximité, qui revient de manière récurrente ? Essayez-vous de mettre votre stratégie en cohérence avec une stratégie régionale comme le schéma régional de cohérence écologique (SRCE), le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ou la trame verte et bleue ? Quel est votre sentiment sur la manière dont le monde agricole perçoit la compensation ? Sur le SIG, en quoi la géolocalisation change-t-elle les choses ? Votre guide méthodologique d'expertise va-t-il dans le sens de l'équivalence écologique ? Allez-vous vers des grilles d'équivalence écologique ?

Nous sommes désolés de vous demander de travailler par écrit, mais nous sommes tenus par le temps.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci, Messieurs, de cet échange très intéressant.

Audition de M. Benoît Faucheux, vice-président délégué à la transition énergétique et à l'environnement, du conseil régional Centre-Val de Loire
(jeudi 9 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons nos auditions en revenant sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Nous recevons Benoît Faucheux, vice-président délégué à la transition énergétique et à l'environnement, qui est accompagné de Géraud de Saint Albin, chef du service biodiversité.

Je vous rappelle que ce projet est l'un des quatre projets spécifiques que notre commission d'enquête étudie pour tenter de voir, de manière plus générale, quelles sont les difficultés actuelles de l'application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) et de la mise en oeuvre ainsi que du contrôle et du suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures.

S'agissant de la LGV Tours-Bordeaux, nous nous déplacerons le 24 février sur le tronçon proche de Bordeaux.

Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment en rappelant que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Benoît Faucheux et Géraud de Saint Albin prêtent successivement serment.

A la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

M. Benoît Faucheux, vice-président de la région Centre-Val de Loire, délégué à la transition énergétique et à l'environnement . - Je n'ai pas de liens d'intérêts avec les autres projets étudiés par la commission d'enquête.

M. Géraud de Saint Albin, chef du service biodiversité de la région Centre-Val de Loire . - Je n'ai pas non plus de liens d'intérêts.

M. Benoît Faucheux . - Mon propos portera sur la LGV Sud Europe Atlantique (SEA) mais il sera également plus large.

Dans le questionnaire que vous nous avez fait parvenir, vous nous demandez quels sont nos rapports avec les services de l'État sur la question de la compensation. Actuellement, ils sont inexistants. La région n'a pas été associée à la définition ni au suivi des mesures de compensation concernant la LGV SEA. Cela se comprend dans la mesure où, à l'époque où a été engagé le projet, la région n'était pas encore chef de file sur la question de la biodiversité. Avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et dans un contexte où nous participons activement à la création de la future agence régionale de la biodiversité (ARB), les choses ont changé. Il faut nous interroger sur la façon dont nous allons pouvoir faire vivre ce rôle de chef de file, y compris sur le sujet de la compensation, tout en étant conscients du fait que la biodiversité ne relève pas de la compétence des seules régions et que l'Etat exerce une responsabilité particulière, notamment pour assurer l'application des directives européennes.

Dans un période où l'argent public est de plus en plus rare, il convient de s'interroger sur l'utilité des nouveaux projets d'infrastructures. Quand on s'y attarde un peu, la rénovation et la modernisation des infrastructures existantes est souvent une alternative envisageable. Je pense, dans ma région, au projet de création de LGV Paris/Orléans/Clermont-Ferrand/Lyon. Des élus régionaux travaillent à un scénario alternatif qui consiste à moderniser le réseau existant : le coût des travaux serait bien moins élevé pour un niveau de service sensiblement équivalent et des temps de trajet rallongés de peu. Cette question de l'utilité des nouvelles infrastructures se pose aussi pour des projets de moindre ampleur. La région a longtemps mené une politique de développement des zones d'activité. Aujourd'hui, nous réalisons que ces zones sont sous-occupées. Notre objectif prioritaire est donc, plutôt que de créer de nouvelles zones, d'optimiser l'existant.

Il faut d'abord éviter, réduire au maximum et, en dernier recours, compenser. Sur cette question, le couple région/État doit vivre de façon plus forte qu'il ne l'a fait par le passé. Nous travaillons ensemble sur les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) ainsi que sur les comités régionaux de la biodiversité. Il faut qu'il en soit de même s'agissant de la mise en oeuvre des mesures de compensation, qui doivent être cohérentes avec les stratégies régionales définies en la matière.

Dans la région Centre-Val de Loire, le partenariat État/région fonctionne bien. C'est le cas aujourd'hui avec la création de l'ARB. Cela pourrait l'être aussi sur le sujet de la compensation. Si les mesures de compensation sont placées sous la seule responsabilité de l'État, nous risquons de créer des interférences avec le rôle de chef de file biodiversité des régions.

S'agissant de la LGV SEA, je constate qu'elle a permis de financer un ensemble de mesures de compensation intéressantes mais dont il est difficile de comprendre comment elles s'inscrivent dans le schéma régional de cohérence écologique (SRCE). En outre, le pilotage de ces mesures reste largement dans la main de l'opérateur qui construit l'infrastructure, qui se retrouve alors juge et partie.

Les régions sont désormais en charge de la mise en place d'un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) qui constitue, avec le schéma de développement économique, l'un des deux piliers de l'aménagement du territoire. Il me semble de ce point de vue intéressant d'avoir un pilotage régional permettant d'identifier les infrastructures nécessaires au développement de la région et les enjeux écologiques qui y sont associés.

S'agissant des propositions d'évolutions juridiques que nous pourrions formuler, il me semble notamment nécessaire que, dans la loi, soit ajoutée à la séquence ERC une séquence préliminaire de recherche de projets alternatifs de rénovation et de modernisation des structures existantes. L'évaluation et la comparaison des différents scénarios seraient obligatoires. Ensuite, il me semble utile que le co-pilotage État/région devienne un principe général et que le comité régional de la biodiversité devienne un lieu de dialogue entre les parties prenantes sur le sujet de la compensation, ce qui permettrait d'éviter les accusations d'opacité ou de conflits d'intérêts.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons auditionné hier la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire. Il semble en effet que la région a été peu associée à la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Est-ce que la chambre d'agriculture échange avec la région ? Est-ce qu'on arrive, in fine , à avoir un minimum de cohérence ?

M. Benoît Faucheux . - Je ne suis élu que depuis un an donc mon recul est limité. Pour le moment, je n'ai pas eu d'échanges sur la compensation avec la SNCF ni avec les chambres d'agriculture. Je n'ai pas le sentiment pour autant qu'il y ait de contradictions flagrantes ou de dérives, les associations et les chambres d'agriculture ayant joué leur rôle.

M. Géraud de Saint Albin . - Nous n'avons pas été sollicités sur la LGV SEA. En revanche, nous avons échangé avec les chambres d'agriculture sur le SRCE mais la question de la compensation n'a alors pas été évoquée.

Notre région a été fortement touchée par des projets d'infrastructures. Je pense en particulier à l'A19 et à la LGV. Des changements importants sont donc intervenus, sur des surfaces étendues. Il en est de même s'agissant des mesures compensatoires : 3 500 hectares seront occupés par les mesures liées à la LGV, soit l'équivalent de la surface que gère aujourd'hui le conservatoire des espaces naturels.

Notre politique de conservation des espaces naturels est construite de façon conjointe avec l'Etat. Il n'en est pas de même s'agissant de la séquence ERC.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous mesuré les impacts des infrastructures en termes de fractionnement ?

M. Géraud de Saint Albin . - Les impacts sur la biodiversité des projets d'infrastructures ne sont souvent quantifiables que longtemps après leur réalisation. Si le SRCE nous a permis de bien identifier l'obstacle que constitue aujourd'hui l'A71, nous commençons depuis peu à mesurer les effets de l'A19, notamment en suivant la façon dont sont utilisées les infrastructures de franchissement. Pour la LGV SEA, il est trop tôt pour avoir des éléments.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour les infrastructures anciennes, qui conduit le dialogue pour assurer leur transparence ?

M. Géraud de Saint Albin . - La région est sollicitée. Nous avons récemment été interpellés par courrier sur un ouvrage, suite aux discussions intervenues concernant les trames vertes et bleues et le SRCE. Nous avons également entamé des études, notamment concernant l'impact des grands grillages en Sologne sur le franchissement par les grands gibiers. Nous avons également des discussions avec Cofiroute sur l'A71, qui ont du mal à aboutir, faute de moyens pour aménager cette infrastructure ancienne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le concessionnaire considère qu'il n'a pas à revenir sur ce qui a été construit ?

M. Géraud de Saint Albin . - Le concessionnaire considère que l'État ne lui donne pas les moyens de rendre plus transparentes les infrastructures existantes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il ne se considère donc pas comme étant soumis à une obligation de résultats ?

M. Géraud de Saint Albin . - L'obligation de résultat est avant tout considérée par le concessionnaire au moment de la construction et en fonction de la réglementation applicable à cette date. La mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau pose des questions de ce point de vue puisque certains ouvrages ne sont pas transparents et devront être mis en conformité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce que le concessionnaire considère qu'à partir du moment où il y a une demande nouvelle de l'État, des financements nouveaux doivent être prévus de la part de ce dernier ?

M. Géraud de Saint Albin . - Le concessionnaire estime en effet qu'il n'a pas les crédits pour améliorer la transparence des infrastructures existantes.

M. Benoît Faucheux . - Le concessionnaire estime que ce n'est pas de sa responsabilité mais de celle de la puissance publique. De façon générale se pose la question de la façon dont on peut suivre au niveau régional l'impact des grandes infrastructures et mettre en oeuvre le SRCE. Tout cela est encore récent. En tant qu'élu régional et responsable d'une commission d'associations d'élus qui travaille sur cette question, je constate que les régions ont la volonté politique d'agir mais que leurs moyens demeurent limités. La question de la façon dont doit être répartie la fiscalité écologique mériterait notamment d'être posée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qu'en est-il de l'ARB ?

M. Benoît Faucheux . - Nous travaillons en effet à sa création. Il y a une attente du territoire régional sur le sujet. Nous espérons créer une agence qui, sans mobiliser beaucoup de personnel, aurait avant tout un rôle d'animation et de mise en synergie du réseau existant, pour faire progresser l'observation et la connaissance. Nous avons également un observatoire régional pour la biodiversité qui doit être développé et mieux connecté avec les milieux de la recherche. Nous espérons également avancer sur l'éducation à l'environnement, sur la protection des espèces et sur l'accompagnement des territoires, afin qu'ils prennent davantage en compte la biodiversité dans leurs projets. La biodiversité est un facteur d'attractivité, notamment touristique, des territoires, mais également source de services. Il y a une envie d'agir mais aussi un manque d'ingénierie. L'ARB doit pouvoir permettre aux collectivités de progresser sur ce point et de se poser les bonnes questions en amont de leurs projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour revenir sur les sujets agricoles, nous avons eu le sentiment que les mesures de compensation environnementale venaient parfois suppléer les mesures agro-environnementales (MAE), et que, dans une certaine mesure, la compensation venait financer ce qui était auparavant réalisé au titre des MAE. Est-ce le cas ?

M. Benoît Faucheux . - Un agriculteur doit dégager un revenu et faire fonctionner son exploitation. Nous sommes autorité de gestion du FEADER depuis, donc les MAE sont de notre ressort, et nous sommes par ailleurs chef de file de la biodiversité. Mais n'ayant pas été associés au suivi des mesures de compensation de la LGV, je peux difficilement vous répondre. Il pourrait y avoir des synergies intéressantes. Les MAE portent surtout sur des sites Natura 2000 dans notre région. Elles font l'objet d'assez nombreux retards de paiement, qui sont exaspérants pour toutes les parties prenantes, même s'il s'agit d'un autre sujet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il y a eu certaines difficultés lors de la réalisation des travaux sur la LGV. Pensez-vous que l'ensemble des enjeux environnementaux ne sont pas toujours bien pris en compte lors de cette étape du projet ?

M. Géraud de Saint Albin. - Nous avons également eu connaissance de problèmes, mais c'est un chantier considérable.

M. Benoît Faucheux . - Nous avons été interpellés sur ces sujets. On peut toujours faire mieux. Il y a de nombreuses incitations ou pressions, venant de l'administration et de la société civile, pour améliorer le système. Mais la région n'a pas fait un suivi fin des travaux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur l'outarde, oiseau emblématique de la région, on nous a indiqué que les moyens étaient peut-être disproportionnés par rapport à la situation, et surtout aux résultats obtenus. Avez-vous suivi ce sujet ?

M. Géraud de Saint Albin. - Certains territoires font effectivement l'objet de mesures en faveur de l'outarde sans qu'elle soit présente. Le recul de la population de cette espèce n'est pas irréversible. Si l'outarde revient, elle trouvera alors des espaces qui lui sont favorables. Mais cet exemple témoigne d'un manque de suivi des évolutions, y compris au niveau national. Selon les espèces protégées, les moyens devraient être mieux adaptés. Certaines espèces ne présentent plus d'enjeux. Je pense notamment au lézard des murailles, pour lequel on demande encore des mesures importantes et sans doute disproportionnées, y compris pour des petits projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si la région était mieux associée au projet, elle pourrait proposer d'autres priorités ?

M. Benoît Faucheux . - On peut le penser. En tout état de cause, il nous sera difficile d'exercer notre rôle de chef de file en matière de biodiversité si nous ne sommes pas associés au pilotage de ces mesures.

M. Géraud de Saint Albin. - Si nous sommes associés en amont et en continu, nous pourrons apporter une certaine expertise mais surtout organiser la concertation avec les acteurs locaux, que nous connaissons bien. Le travail que nous faisons sur l'agence régionale pour la biodiversité est une mise en cohérence de la connaissance et des moyens, pour plus d'efficacité. Le suivi dans la durée de la compensation est essentiel, mais encore faut-il que la durée soit adaptée et que l'on tienne compte de l'évolution de l'espèce et du résultat des premières mesures compensatoires, en les révisant, si nécessaire.

M. Gérard Bailly. - Hier, nous avons discuté de la proximité entre la LGV et l'autoroute. Pour vous, est-ce une bonne formule pour la biodiversité et l'aménagement foncier ?

M. Géraud de Saint Albin. - La question se pose également pour le projet de LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL). Le risque est d'isoler géographiquement certains espaces. Nous avons un autre exemple concernant une zone de tir militaire au sud de Tours, qui isole certaines communes dans un no man's land peu accessible.

Il faut prendre en compte tous les enjeux, non seulement les continuités écologiques mais également l'aménagement du territoire. L'élaboration du SRADDET et l'intégration du SRCE devrait nous permettre de travailler sur ce sujet.

M. Gérard Bailly. - Quand une infrastructure traverse déjà le territoire, est-il préférable pour la biodiversité qu'une nouvelle infrastructure linéaire soit réalisée à proximité ou à distance de celle qui existe déjà ?

M. Benoît Faucheux . - Il faut privilégier la mise en transparence des infrastructures existantes, pour éviter la fragmentation des espaces, comme nous le faisons notamment dans le domaine des rivières. Ajouter une nouvelle infrastructure linéaire à côté de celle existante renforce l'effet couperet.

M. Géraud de Saint Albin. - La question ne peut pas se traiter in abstracto , cela dépend des espèces. Nous n'avons pas d'exemple de doublement d'infrastructures en région Centre mais certains exemples en France ont fait l'objet d'études. Nous savons que, pour les rivières, le franchissement peut poser problème à certaines espèces quand l'espace couvert est trop important. En région Centre, on parlait de doubler une autoroute par une LGV. Mais ces infrastructures ont des rayons de courbure différents. Cela aboutissait aussi à isoler des massifs boisés importants entre deux infrastructures.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons entendu des propos assez variables sur ce sujet. Certains intervenants nous ont dit que les espaces qui se retrouvent ainsi enclavés peuvent avoir des gains positifs de biodiversité, tandis que d'autres personnes nous ont indiqué qu'ils deviennent des nids à sangliers et à lapins qui ravagent les territoires alentours.

M. Géraud de Saint Albin. - En région Centre, nous avons un exemple intéressant sur un délaissé de l'autoroute A71. Après des discussions, l'exploitant Cofiroute a pris conscience de l'intérêt de ce terrain, désormais géré par le conservatoire et dont une partie a été restaurée comme zone humide. L'isolement lui est assez bénéfique en termes de biodiversité et la proximité avec l'autoroute n'a pas d'impact sur les espèces présentes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - À l'issue des différentes auditions que nous avons déjà menées, nous avons l'impression qu'un nombre croissant d'acteurs intègrent ces questions de compensation. Avez-vous le sentiment que l'idée d'une mise en cohérence de la compensation progresse, au-delà de l'approche projet par projet ?

M. Benoît Faucheux . - Il y a un mouvement de société dans notre pays. Il y a dix ans, l'aménagement du territoire intégrait très peu ces enjeux. Les différentes parties prenantes ont conscience d'être sur un territoire partagé, notamment pour les bassins versants. Mais ce mouvement d'ensemble est hétérogène et il est sans doute fragile. Il n'est pas toujours évident d'intégrer et de visualiser ces sujets techniques, comme les trames vertes et bleues. Les blocages locaux sont souvent un indice de progression globale. Lorsqu'une personne regrette de ne pas avoir été associée, c'est pour nous très positif, car cela montre que l'enjeu est là et que la personne a envie d'y travailler.

M. Jean-François Longeot, président . - Nous vous remercions.

Audition de M. Rouchdy Kbaier et Mme Claude Brévan, membres de la Commission du dialogue, M. Ghislain de Marsily, président, et Mme Véronique de Crespin de Billy, et MM. Julien Tournebize et Serge Muller, rapporteurs, du collège des experts scientifiques relatif à l'évaluation de la méthode de compensation des incidences sur les zones humides
(jeudi 9 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Pour notre dernière audition de la journée, nous étudions à nouveau le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je vous rappelle que nous nous rendrons sur place, à Notre-Dame-des-Landes et à Nantes, le vendredi 17 février prochain.

Notre objectif est de décrypter les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures et de proposer des solutions pour y remédier. Je rappelle également, nous l'avons dit à plusieurs reprises, que notre travail est entièrement centré sur la question des mesures compensatoires.

Nous recevons Claude Brévan et Rouchdy Kbaier, deux des trois membres de la commission du dialogue, qui avait été mise en place par le Premier ministre en novembre 2012.

Nous recevons également Ghislain de Marsily, président du collège d'experts scientifiques sur la méthode de compensation des incidences sur les zones humides du projet d'aéroport et de desserte routière de Notre-Dame-des-Landes, collège mis en place pour répondre à l'une des deux réserves formulées par la commission d'enquête publique le 24 octobre 2012, à l'issue de l'enquête publique préalable à l'autorisation du projet au titre de la loi sur l'eau. Il est accompagné de trois rapporteurs de ce collège d'experts : Véronique de Crespin de Billy, que nous avons déjà entendue au titre de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), Julien Tournebize et Serge Muller, que nous avons déjà entendu au titre du Conseil national de protection de la nature (CNPN).

Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment en rappelant que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claude Brévan, M. Rouchdy Kbaier, M. Ghislain de Marsily, Mme Véronique de Crespin de Billy, M. Julien Tournebize et M. Serge Muller prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Mesdames, Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Je vous demande d'essayer d'être courts et concis dans vos propos introductifs car vous êtes nombreux et que nous ne disposons que d'une heure et demie.

Pouvez-vous nous indiquer tout d'abord les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

Mme Claude Brévan, M. Rouchdy Kbaier, M. Ghislain de Marsily, Mme Véronique de Crespin de Billy, M. Julien Tournebize et M. Serge Muller indiquent ne pas avoir de liens d'intérêts avec les autres projets étudiés par la commission d'enquête.

Mme Claude Brévan, membre de la commission du dialogue . - La mission confiée à la commission du dialogue en novembre 2012 par le Premier ministre ne visait pas à expertiser les mesures compensatoires mais à rétablir un climat de confiance entre les parties pour renouer le dialogue. Nous devions rencontrer ces parties, comprendre les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, mais également apporter des compléments d'informations. Nous avons rendu notre rapport dans un délai de quatre mois, comme cela nous avait été demandé. Nous étions trois membres : Claude Chéreau, notre président, spécialiste des questions agricoles, aujourd'hui décédé ; Rouchdy Kbaier, spécialiste du droit de l'environnement et du droit européen ; et moi-même, qui avais une compétence plus généraliste, notamment sur les questions d'aménagement, et qui dispose d'une compétence en matière de présidence de débats publics.

Nous avons mené 96 auditions et rencontré entre 200 et 300 personnes. S'y sont ajoutées des réunions à caractère technique avec les administrations centrales et locales. Nous avons entendu autant d'opposants que de partisans du projet d'aéroport. En revanche, nous ne sommes pas allés sur la zone d'aménagement différé (ZAD), notre président ayant estimé que cela risquait d'être difficile et polémique. L'association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport (ACIPA) a jugé inutile de nous rencontrer mais certains de ses membres l'ont fait dans un autre cadre que celui de l'association, ce qui nous a malgré tout permis de les entendre. Nous avons en revanche entendu à plusieurs reprises le syndicat mixte aéroportuaire du grand ouest (SMA) et le comité des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (CédPA), qui était très demandeur de pouvoir s'exprimer au cours de nos auditions.

Toutes nos notes et tous les documents qui nous avaient été remis sont aujourd'hui aux archives de Matignon.

La question du processus de validation du projet a été systématiquement abordée au cours des auditions. Pour les partisans du projet, tout avait été respecté, aucun des recours n'ayant abouti. Les opposants ont au contraire regretté à plusieurs reprises que le projet ait été saucissonné. Ce fractionnement les a selon eux empêchés de s'exprimer de façon globale sur le projet, les sujets qu'ils voulaient aborder étant systématiquement renvoyés à une autre étape. Cela a engendré une grande insatisfaction et le sentiment que le débat public avait été fermé sur un projet déjà décidé : ce n'est plus la question de l'opportunité mais celle des modalités de sa mise en oeuvre qui était abordée.

Les aspects environnementaux n'ont quant à eux été abordés que dans la dernière phase du projet. De la même façon, la question des deux pistes n'a pas été abordée au cours de l'enquête publique, les débats se concentrant sur l'opportunité, ou non, de faire l'aéroport.

Le choix du site a été en revanche l'un des sujets centraux du débat public. Une expertise complémentaire a été diligentée. Elle portait sur neuf sites, examinés à partir de huit critères. Il est d'ailleurs intéressant d'observer que dans la hiérarchie de ces critères, définie à partir d'un questionnaire envoyé aux différentes parties, l'environnement arrivait en cinquième position. A ce moment-là, il n'était donc pas une priorité. Trois prismes ont été utilisés pour examiner les neuf sites : l'aménagement du territoire ; les nuisances ; l'économie. L'enjeu des nuisances phoniques, très significatif, a conduit à éliminer l'un des neuf sites, celui de Montfaucon. Pour les huit autres sites, l'impact sur l'environnement a été considéré comme faible. De ce fait, l'environnement n'a pas été un facteur discriminant pour le choix du site. Ce sont avant tout des critères relatifs à l'aménagement du territoire et aux facilités foncières - une grande partie des terrains était déjà acquise - qui ont conduit au choix du site de Notre-Dame-des-Landes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous me préciser : Notre-Dame-des-Landes présentait-il un enjeu environnemental plus élevé mais moins pris en compte du fait que le critère environnemental n'était pas le plus prégnant ou présentait-il le même enjeu environnemental que les autres sites ? Quel était l'enjeu environnemental pour Notre-Dame-des-Landes ?

Mme Claude Brévan . - L'enjeu environnemental était le même que pour les autres sites. Seul Montfaucon présentait un enjeu environnemental moins élevé mais il n'a pas été retenu en raison des fortes nuisances phoniques qu'il risquait d'entraîner.

Alors même que le sujet de l'environnement était très peu abordé, des contributions très intéressantes ont été fournies. Il s'agit notamment d'une étude de Bretagne vivante, qui donnait une analyse détaillée des milieux naturels et confirmait une étude de Biotope, et conduisait pour autant à considérer que l'environnement était un enjeu limité.

Je me permets de souligner une question plus générale que pose le déroulement des débats publics : lorsque la question de l'environnement est abordée, il est renvoyé à l'étude d'impact qui n'intervient qu'ultérieurement. Par conséquent, lorsqu'un enjeu environnemental majeur apparaît, il n'est regardé qu'après que les populations ont pris position sur la question de l'opportunité du projet. De ce fait, le volet « éviter » de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) n'est abordé que tardivement voire pas du tout. Il y a là une vraie faiblesse des textes.

L'étude d'impact était quant à elle bien plus documentée sur l'environnement. Pour autant, l'administration, le maître d'ouvrage et les partisans du projet, en dehors des deux zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), ont estimé que les enjeux écologiques sur le site étaient parfaitement maîtrisables car n'ayant pas donné lieu à une protection réglementaire particulière. Il était en particulier souligné que la zone se situait en dehors des espaces naturels et remarquables identifiés dans la directive territoriale d'aménagement de l'estuaire de la Loire. Cette dernière ayant elle-même pris en compte le projet de l'aéroport, on entre dans un débat du type de celui de l'oeuf et de la poule...

A l'inverse, la question des paysages a été abondamment abordée au cours des débats publics au point de déboucher sur des choix discutables par certains aspects. Le paysagiste, de grand renom au demeurant, retenu pour le projet, a notamment souhaité recréer un bocage qui ne pouvait être qu'artificiel compte tenu de la proximité des avions - des haies véritables auraient abrité des oiseaux. Sur ce point, c'est donc le paysage qui a prévalu sur la prise en compte de la biodiversité.

Pour notre commission du dialogue, l'origine des difficultés en matière de compensation est liée au fait que l'on n'a pas véritablement essayé de réduire : le projet est ambitieux, il comporte deux pistes, des espaces sont réservés pour des activités économiques et les parkings sont très étendus.

En conclusion, la question de la compensation est intervenue très tardivement dans un processus décisionnel qui avait vraisemblablement minimisé les enjeux liés à la biodiversité. De ce fait, c'est le volet compensation qui a prévalu dans une séquence ERC où les deux premières étapes avaient été peu mises en oeuvre.

M. Rouchdy Kbaier, membre de la commission du dialogue . - Je suis également membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), ce qui m'a notamment amené à travailler régulièrement sur les contentieux européens dont je vais vous faire état.

Claude Brévan a évoqué le fractionnement des procédures relatives aux projets initiaux, c'est-à-dire à l'aéroport, dont AGO est le maître d'ouvrage, et au barreau routier, qui relève de l'Etat. Il est évident si l'on observe la période allant du début des années 2000 à la fin de l'année 2016, au moment de la révision du schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Nantes Saint-Nazaire. Plusieurs étapes se sont succédé : les conclusions du débat public en 2003, l'enquête publique en 2006, le changement de réglementation concernant les zones humides en 2008, puis les enquêtes publiques loi sur l'eau et les demandes de dérogations au titre des espèces protégées en 2012. Toutes ces procédures ont été mises en oeuvre au regard du droit français de l'époque, mais pas forcément au regard du droit européen, ce qui explique aujourd'hui le contentieux en cours à ce niveau. Et ce n'est que tardivement, une fois prise la décision d'installer l'aéroport à un endroit précis, que la question de l'environnement a été considérée. La séquence ERC ne pouvait donc pas être respectée dans son ensemble. S'ajoute à ces éléments le changement de statut de la zone où doivent être construits l'aéroport et le barreau routier, qui n'est intervenu qu'après l'enquête publique. En effet, deux arrêtés ministériels, de 2008 et 2009, ont ajouté un critère pédologique de profondeur conduisant à ce que 98 % de la surface de la ZAD devienne zone humide.

Au final, neuf ans se sont écoulés entre le débat public et les arrêtés loi sur l'eau, six ans entre ces mêmes arrêtés et l'étude d'impact, et quatre ans, toujours entre les arrêtés et la DUP. Le fractionnement des procédures a donc été très préjudiciable à la transparence du projet et à sa sécurité juridique. Pour éviter ce fractionnement, l'ensemble des mesures prises au plan environnemental auraient dû l'être, comme le demandait la commission du dialogue, au regard du droit européen. Les directives européennes ont en effet une acception globalisante de l'évaluation environnementale et depuis vingt ans, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) censure de façon systématique tous les pays qui fractionnent les procédures.

Les questions ont été prises à l'envers et la question écologique et environnementale n'a pas été traitée quand elle aurait dû l'être. Ainsi, l'aéroport a été conçu de façon très étendue, notamment s'agissant des parkings, alors même que l'application de la séquence éviter aurait dû conduire à réduire la surface occupée, notamment par l'utilisation de parkings en silos, comme le recommandait la commission du dialogue. S'agissant des espèces protégées, les questions auraient là aussi dû être traitées le plus tôt possible, dès le stade de l'étude d'impact, afin de tenir compte des directives européennes en la matière. Il en est de même sur un autre sujet qui est celui de l'autorisation environnementale unique, en vigueur depuis la fin du mois de janvier. La jurisprudence de la CJUE et celle du Conseil d'Etat convergent sur ce point.

J'en viens à la question, non plus du fractionnement des procédures mais de celui du projet. Pour l'Union européenne, le projet d'aéroport concerne également la liaison tram/train et la LGV. Les effets cumulatifs des composantes d'un même projet doivent donc être évalués, de même que leur cohérence avec les documents d'urbanisme. C'est sur ces questions que porte le contentieux en cours sur le projet de l'aéroport, la Commission s'appuyant sur la jurisprudence de la CJUE pour évaluer les effets cumulatifs, les interactions entre projets et la cohérence entre les évaluations. In fine , c'est la question de la façon dont sera mise en oeuvre la compensation sur ces différents projets qui est posée.

M. Ghislain de Marsily, président du collège d'experts . - Notre collège était formé d'une douzaine d'experts choisis par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et venant d'horizons divers de façon à couvrir l'ensemble du domaine à étudier : je suis géologue de formation, d'autres étaient hydrologues, naturalistes, biologistes...

Nos travaux ont débuté en décembre 2012 et nous avons rendu notre rapport en avril 2013. La demande formulée par les commissaires enquêteurs intervenus au titre de la loi sur l'eau était, si l'on simplifie, la suivante : « nous ne comprenons rien à la méthode proposée par les maîtres d'ouvrage, donnez-nous votre avis sur sa pertinence et son acceptabilité ».

Nous avons commencé par une visite de terrain, entourés par un nombre de gendarmes quatre fois supérieur à celui des membres de la commission ! Tout s'est passé calmement. Nous avons ensuite tenu une dizaine de réunions et auditionné les maîtres d'ouvrage ainsi que les associations.

L'objectif était que notre rapport puisse être adopté de façon unanime par les membres de la commission.

Au-delà des réponses aux questions qui nous étaient posées par les commissaires enquêteurs, nous avons ajouté un paragraphe de suggestions sur la compensation. Nous avons également pris sur nous de publier dans des revues scientifiques des synthèses de notre travail. Ce dernier a également été présenté à l'académie d'agriculture.

Vous nous interrogez dans le questionnaire qui nous a été transmis sur la façon dont ont été prises en compte par le maître d'ouvrage les réserves que nous avions formulées. Je tiens à préciser que la mission qui nous était confiée avait été fixée par l'Etat et avait une durée limitée. A partir du moment où le rapport était rendu, nous n'avions plus autorité pour suivre le dossier. Pour répondre à votre question, il faudrait donc que nous ayons été sollicités à nouveau par le préfet sur les suites données à notre rapport, ce qui n'a pas été fait. Nous ne pouvons donc vous donner que notre avis personnel.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - A partir du moment où le collège d'experts n'a pas été saisi une seconde fois pour analyser les suites données aux réserves qu'il avait formulées, peut-on considérer que la caution scientifique demandée par les commissaires enquêteurs existe aujourd'hui ?

M. Rouchdy Kbaier. - Les arrêtés préfectoraux ont été pris. Il faut donc regarder les éléments scientifiques et techniques de ces arrêtés, qui font plusieurs dizaines de pages. À titre personnel, je ne suis pas capable de dire si sur le fond, ces arrêtés correspondent...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ma question ne portait pas sur le fond mais sur l'essence même de la demande des commissaires enquêteurs. Est-ce dans l'esprit de la commission du dialogue qu'il n'y ait pas eu d'avis scientifique sur les réponses qui ont été apportées aux réserves ?

M. Rouchdy Kbaier. - Nous ne nous sommes pas posé la question au moment de la rédaction, qui était antérieure aux arrêtés « loi sur l'eau ». Vous voulez savoir si la commission d'enquête loi sur l'eau a terminé son travail ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La logique de la commission du dialogue, comme son nom l'indique, n'aurait-elle pas voulu que le collège d'experts scientifiques soit saisi des réponses apportées par le maître d'ouvrage aux douze réserves qu'il avait émis ?

M. Rouchdy Kbaier. - Dans l'esprit de la commission du dialogue, pour nous, les arrêtés préfectoraux devaient prendre en compte les avis de la commission scientifique.

Mme Claude Brévan. - D'une manière plus générale, à l'issue de ce travail, nous avons présenté notre rapport et nos recommandations lors d'une réunion qui s'est tenue à la préfecture de Nantes, à laquelle les élus et les associations notamment étaient invités. Je me souviens d'une scène surréaliste alors où les uns et les autres évaluaient ce qu'ils retiendraient ou non de nos recommandations. C'était « ça on prend, ça on prend pas ».

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qui ?

Mme Claude Brévan. - État, maître d'ouvrage, élus locaux... Les associations se sont très peu exprimées lors de cette réunion. On considérait donc que l'on avait fait un travail d'écoute, mais que la suite ne nous appartenait pas.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'était à la carte !

Mme Claude Brévan. - Oui.

M. Ghislain de Marsily. - Dans notre rapport, nous avons dit que la méthode de compensation proposée n'était pas adéquate, mais pas qu'il était impossible de compenser. Nous avons dit que la procédure n'était pas bonne, que les états initiaux n'avaient pas été faits de manière suffisamment précise, que des mesures supplémentaires étaient nécessaires, mais cela n'excluait pas qu'en modifiant la méthode on puisse aboutir à une compensation raisonnable.

Il est néanmoins effectivement un peu choquant qu'ayant fait ces recommandations, dont une partie seulement a été suivie, on ne nous ait pas demandé si ce qui avait été fait était suffisant. C'est une lacune, me semble-t-il, qu'il ne nous revenait pas de combler.

J'ai oublié de dire que les trois commissions qui travaillaient ensemble - la commission du dialogue, la commission agricole et les experts scientifiques - se sont réunies avant de finir leurs rapports.

Mais cela n'a pas donné lieu, dans les arrêtés, à la prise en compte de toutes les recommandations que nous avions faites.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous sommes d'accord qu'aujourd'hui, chacun s'exprime à titre personnel sur ce sujet puisque vous ne vous êtes pas reconstitués en tant que commission scientifique.

M. Julien Tournebize, rapporteur du collège d'experts. - Concernant l'état initial, la commission avait qualifié le diagnostic d'insuffisant. Or, le diagnostic initial contribue à la compréhension du fonctionnement hydrologique et biochimique de l'hydrosystème et est donc indispensable à la bonne évaluation des impacts liés à la perturbation du projet et à la bonne évaluation des besoins de compensation.

Concernant les fonctions hydrologiques, l'arrêté de 2008, modifié en 2009, avait effectivement cadré sur les aspects pédologiques et botaniques la caractérisation des zones humides et trois types de zones humides avaient donc été identifiés. Mais nous avons déploré l'absence de suivi hydrologique sur un projet aussi ancien, d'une cinquantaine d'années, et aussi que l'on fasse référence à des mesures éloignées du bassin versant puisque les stations hydrologiques et les suivis piézométriques étaient en dehors du bassin versant. Les maîtres d'ouvrage auraient pu s'appuyer sur des observatoires de recherche et des sites expérimentaux locaux.

Concernant les fonctions biochimiques, les maîtres d'ouvrage avaient présenté des résultats ponctuels, sans débit associé, ce qui est très limité en termes de méthodologie, et qui était restreints à deux ou trois campagnes ponctuelles, c'est-à-dire trois données pour caractériser le fonctionnement biochimique, avec des protocoles peu adaptés au fonctionnement hydrologique du bassin versant.

Concernant les fonctions biologiques, seuls 23 relevés phytosociologiques ont été menés, sur une surface totale de 1 200 hectares. C'est trop peu pour caractériser les habitats, comme le prouve la caractérisation de nouvelles espèces depuis.

Concernant les amphibiens, le travail a été considéré comme bien réalisé, mais il n'y a pas eu de caractérisation des autres espèces aquatiques, notamment des quatre espèces de poissons protégées inventoriées à l'aval, qu'il aurait fallu regarder au droit du projet.

Mme Claude Brévan. - Cette question de la biodiversité d'une manière générale est manifestement apparue comme une question de spécialistes tout au long du processus. En réalité, il n'y a pas d'espèce extrêmement emblématique, très connue, ni de flore spectaculaire, donc le public s'est très peu exprimé sur ce sujet et les élus pas du tout. C'était une affaire de spécialistes : les bureaux d'études et ensuite la commission.

Après avoir passé plusieurs heures sur le dossier loi sur l'eau, j'étais moi-même complètement perdue, malgré ma bonne volonté. C'est dire à quel point ces dossiers sont peu adaptés à une prise en compte par le public et même par la plupart des élus locaux.

M. Ghislain de Marsily. - C'est d'ailleurs une de nos principales recommandations. Les démarches « loi sur l'eau » associent en principe le public : il faut donc que les dossiers qui sont soumis à l'enquête soient compréhensibles par le public. Des méthodes de compensation complexes ne permettent pas au public de se faire un avis. Nous avons ainsi critiqué la complexité de la méthode de compensation.

Par ailleurs, il nous est apparu que le public était en effet beaucoup plus concerné par les questions de paysages que par les questions de préservation de la biodiversité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'ai une question sur l'état initial, puisque nous avons eu deux avis différents de la part de l'État et des Naturalistes en lutte sur la quantité de prairies oligotrophes : est-ce plutôt 4 ou 32 hectares ?

M. Serge Muller, rapporteur du collège d'experts. - Je n'ai pas la réponse précise. Cela dépend comment on caractérise ces prairies oligotrophes. Ce sont des prairies pauvres en aliments nutritifs, où il y a une flore originale. Ce sont des habitats particuliers qui présentent une grande richesse sur le plan florisitique et un certain nombre d'espèces de plus en plus rares en raison de l'intensification agricole. Et c'est bien la destination aéroportuaire du site qui explique l'absence d'intensification et la préservation de ces milieux ici. Entre les prairies oligotrophes-oligotrophes et les prairies oligotrophes-mésotrophes, il faudrait voir dans le détail. Je pourrais vous le dire avec des inventaires et des relevés précis, mais comme vous l'a dit mon collègue, il y a eu 23 relevés seulement. La caractérisation de ces habitats a été faite de manière très grossière par rapport à cela.

Après la remise du rapport, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) avait demandé à ce que des études complémentaires soient faites sur deux ans, de 2013 à 2015. À ma connaissance, elles n'ont pas été faites.

Il faudrait pouvoir faire une étude précise pour pouvoir répondre à votre question.

Mme Véronique de Crespin de Billy, rapporteure du collège d'experts. - Il est vrai que l'on pourrait nous reprocher d'avoir travaillé sur l'état initial alors que cela ne faisait pas partie de notre saisine. Mais l'état initial participe de l'évaluation des impacts et donc du dimensionnement de la compensation. Il était donc pour nous très important que cet état initial soit correctement fait, sans quoi nous ne pouvions juger de la pertinence du dimensionnement de la compensation. Tout au long de notre expertise, nous avons été gênés par cet état initial incomplet pour rendre notre avis sur le dimensionnement de la compensation. Nous savions donc dès le départ que le jeu de données était incomplet, sinon biaisé.

Les fortes lacunes de cet état initial conduisaient à une surestimation potentielle de certaines fonctions, notamment la fonction de soutien d'étiage des zones humides pour les cours d'eau de tête de bassin versant, et une sous-estimation en revanche des autres fonctions remplies par ces zones humides, notamment des fonctions de régulation hydraulique, de régulation des crues et surtout de la fonction biologique. Cette fonction biologique a été évaluée dans le cadre de ce projet au regard de la typicité des habitats humides et de leur occupation par les amphibiens. Il est possible de faire cela, on le voit dans d'autres dossiers : on utilise un groupe d'espèces, que l'on appelle des espèces « parapluies » : en regardant un groupe d'espèces, cela explique le fonctionnement de toutes les autres. Mais on ne peut le faire qu'à condition que ces espèces révèlent bien les besoins physiologiques ou écologiques de toutes les autres espèces présentes (mammifères, oiseaux, insectes, espèces aquatiques, etc). En l'occurrence, le choix des amphibiens nous a paru intéressant mais incomplet parce qu'il ne pouvait représenter les besoins physiologiques des oiseaux, des chiroptères, des insectes et des autres espèces aquatiques. C'était donc pour nous une proposition intéressante, mais qui ne permettait pas d'évaluer l'ensemble des fonctions biologiques du site.

Un autre point manquait selon nous à l'analyse de l'état initial : la mosaïque d'habitats au droit de ce projet ainsi que les connexions entre ces habitats, qui permettent aux fonctions biologiques d'être démultipliées. Ce critère-là n'était malheureusement pas pris en compte dans leur évaluation des fonctions biologiques associées au site.

J'ai été un peu longue mais c'était pour indiquer pourquoi le dimensionnement de la compensation partait dès le départ d'un jeu de données qu'il aurait fallu compléter.

Sur la méthode, à la décharge du maître d'ouvrage, l'exercice était à l'époque compliqué. Il n'existait pas de méthode de dimensionnement de la compensation. Pour ce projet, il appartient à chaque maître d'ouvrage de proposer sa propre méthode. C'est une difficulté pour le maître d'ouvrage mais aussi pour les services instructeurs, pour les établissements publics en charge de l'expertise de ces dossiers, etc. Chaque projet propose une méthode de dimensionnement qui lui est propre, avec des critères qu'il choisit et qui doivent être validés par les services instructeurs, ce qui est relativement complexe.

Nous avons tout de même noté dans notre rapport que les deux maîtres d'ouvrage - DREAL et AGO - pour ce projet-là avaient fait l'effort de proposer une méthode, ce qui n'est pas toujours le cas. Il faut reconnaître que cette volonté d'innovation des maîtres d'ouvrage était à l'époque assez intéressante pour un projet surfacique, en outre sur un grand territoire.

Au-delà de ce constat, nous devions apporter une caution scientifique aux choix qui avaient été faits, or il est apparu très vite que cette méthode était extrêmement complexe, qu'elle démultipliait les coefficients d'ajustement ou de pondération du besoin de compensation, autrement appelé « dette environnementale ». Les critères retenus étaient à chaque fois critiquables et insuffisamment justifiés dans le dossier pour pouvoir être validés. Pour chacun de ces coefficients, il y avait plusieurs classes de qualité et des choix de valeur attribuée. Tant pour la nature de ces coefficients que pour le nombre de classes attribuées et pour les valeurs, on pouvait se poser la question du pourquoi. Nous n'avons pas pu valider ces choix de coefficients d'ajustement ou de pondération.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qui a choisi ces coefficients alors ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - C'est la même méthode proposée par les deux maîtres d'ouvrage dans leurs dossiers loi sur l'eau.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est donc le bureau d'études ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - C'est le bureau d'études. Après, c'est le maître d'ouvrage qui en a la responsabilité.

La critique est facile mais l'exercice est difficile. Il y avait une volonté d'innovation. Néanmoins, les critères utilisés nous ont parfois paru redondants et étaient relativement complexes, tant pour évaluer le besoin de compensation que pour évaluer la réponse.

C'est d'ailleurs là que nous avons été le plus gênés, car pour l'évaluation de la réponse, la méthode prévoyait d'attribuer des coefficients de plus-value fonctionnelle à chaque site de compensation en fonction de sa nature, de son état, et des travaux de génie écologique prévus. Il y a donc une évaluation de la trajectoire potentielle de ces sites compte tenu des travaux envisagés et de la plus-value écologique qui serait ainsi apportée au milieu. Or, ces coefficients de plus-value fonctionnelle n'avaient selon nous pas de justification. Il y a huit classes de coefficients, sachant qu'à chacun est attribué un ratio. Plus le coefficient de plus-value fonctionnelle est élevé, plus le ratio compensatoire est petit. En d'autres termes, plus vous travaillez à restaurer des milieux très dégradés, plus vous pouvez compenser sur des surfaces très petites. Les ratios compensatoires descendaient jusqu'à 0,5, ce qui veut dire que pour un hectare impacté, il est possible de compenser à 0,5 hectare, du moment que la plus-value fonctionnelle est très forte. À l'inverse, certains ratios compensatoires sont très élevés et peuvent aller jusqu'à 4 : si le site est déjà en très bon état, qu'il y a peu de travaux écologiques à effectuer et qu'on est juste dans le cas d'une gestion conservatoire voire d'une sécurisation foncière, la méthode estime que la plus-value fonctionnelle est faible et donc que le ratio compensatoire doit être élevé.

La logique est simple sauf qu'on ne connaît pas les sites et que les travaux de génie écologique, pour autant qu'ils puissent être effectués, concernent essentiellement, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, des prairies oligotrophes. Et sur ce type de prairies on a très peu de retours d'expérience de restauration qui aurait fonctionné. Cela rend les résultats très hypothétiques.

M. Julien Tournebize. - Sur la demande de compensation, j'ajouterai qu'elle était formulée en unités de compensation globale, ce qui conduit à perdre la traçabilité des fonctions.

M. Serge Muller. - Je voudrais ajouter un complément sur les coefficients de compensation. Le coefficient de compensation était attribué aussi bien pour les impacts - pour la destruction de prairies oligotrophes par exemple, le coefficient de compensation était de 2 - que pour la restauration, où le coefficient le plus élevé était de 2.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le préfet nous a annoncé un coefficient de 8 pour les prairies oligotrophes.

Mme Véronique de Crespin de Billy. - La méthode est suffisamment complexe pour qu'on puisse en sortir différents types de ratios.

Il y a en fait deux approches : l'approche fonctionnelle d'une part, pour laquelle les ratios de compensation allaient de 0,5 à 4, l'approche surfacique en parallèle d'autre part, pour les habitats remarquables, avec des ratios différents qui pouvaient aller jusqu'à 10 et pour lesquels nous n'avions pas d'informations sur le type d'habitat pris en compte au-delà de la surface qui était de 23 hectares environ.

Il y avait en fait plusieurs algorithmes de calcul selon que l'on se trouve sur un habitat remarquable ou non. La dette et la réponse de compensation étant exprimées en unités de compensation non métriques, il était en outre très difficile pour nous d'avoir une visibilité sur la surface de compensation nécessaire au projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En quelques mots, auxquelles de vos réserves des réponses ont-elles été apportées ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Par rapport à nos douze réserves, certaines ont été prises en compte par les arrêtés loi sur l'eau et espèces protégées. C'est le cas de la traçabilité des fonctions de zones humides impactées, même si on peut se demander comment elle sera assurée, puisqu'elle est perdue à un moment ou un autre du calcul.

Le risque d'échec a été ajouté dans le dimensionnement par défaut avec un ratio supplémentaire de 10 %. Ils ont donc augmenté leur unité à compenser de 10 %, tant pour la desserte routière que pour l'aéroport.

Il y a un ratio global surfacique qui ne doit pas être inférieur à un. Quelle que soit la méthode fonctionnelle utilisée, on a évalué à plus de 700 hectares les surfaces en zones humides impactées par la desserte et par le projet aéroportuaire, et la compensation devra a minima porter sur les mêmes surfaces.

A également été ajoutée la mise en place de sites témoins pour les suivis et de mesures correctrices spécifiques pour les cours d'eau. Nous avions en effet noté dans notre rapport que la question de l'impact sur les cours d'eau n'était pas traitée alors que 1,6 km de cours d'eau a minima est détruit et plusieurs kilomètres sont fortement impactés.

Néanmoins, au regard des arrêtés, certaines réserves n'ont pas été prises en compte. L'état initial n'a a priori pas été complété. La méthode de dimensionnement de compensation reste inchangée, donc tout aussi complexe. Enfin, il n'y a pas de réponse sur l'impossibilité de compenser l'atteinte à certains habitats humides, notamment les prairies humides oligotrophes, sur la prise en compte du décalage temporel ni sur la difficulté d'appréciation du coefficient de plus-value fonctionnelle.

Vous nous posiez la question également sur le suivi de la mise en oeuvre concrète de ces mesures sur le terrain. Je vous avoue qu'au regard des chiffres des surfaces indiquées qui sont différents, c'est très complexe.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce chiffre a-t-il augmenté ou baissé ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Les chiffres sont différents. Je n'ai pas comparé tous les chiffres mais il y a des différences entre les arrêtés espèces protégées et les arrêtés loi sur l'eau. A priori, les surfaces de zones humides à compenser auraient un peu diminué, mais cela reste à vérifier. En revanche, le nombre d'unités de compensation a augmenté.

Il faut noter qu'on a du mal à savoir si ces surfaces de zones humides intègrent le réseau de haies et de mares ou pas, dans le calcul des unités de compensation. Sur la totalité des surfaces de sites de compensation qu'ils ont déjà sécurisés, à savoir près de 463 hectares, il manquerait plus de 230 hectares a minima à trouver en plus hors emprise du projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous écriviez en avril 2013 : « Après analyse des principes de cette méthode et des résultats de son application à Notre-Dame-des-Landes, le collège d'experts considère que cette méthode ne peut pas être validée en l'état et émet donc les réserves suivantes » . Au vu de l'arrêté, qui a priori est le seul lieu de réponses à vos réserves, considérez-vous, à titre personnel, que ces dernières ont été suffisamment levées pour valider la méthode ?

Mme Véronique de Crespin de Billy. - Je vais répondre à titre très personnel. Une des réserves qui était très forte de notre part concernait l'utilisation d'unités de compensation qui n'ont pas de valeur en hectares. Afin de gagner en lisibilité sur la méthode et sur l'impact sur le territoire, il faudrait passer à une méthode de dimensionnement qui se réfère à des surfaces. Or, je constate que dans l'arrêté loi sur l'eau, on parle toujours d'unités de compensation qui n'ont aucune valeur métrique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est donc plutôt non ?

Mme Véronique de Crespin de Billy . - Je ne peux pas vous dire oui ou non. Je constate qu'il aurait été avantageux de tenir compte de cette réserve-là. Néanmoins il y a eu des progrès.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je souhaiterais juste savoir si vous validez la méthode maintenant à titre individuel.

M. Serge Muller. - Le site que vous allez visiter est très original. C'est en quelque sorte un « château d'eau » sur un plateau d'où partent un certain nombre de sources et de cours d'eau vers le nord et vers le sud. Ce site a été anthropisé mais les activités humaines qui s'y trouvent ont tout de même permis, par des pratiques agricoles extensives, de conserver une grande richesse sur le plan des cortèges faunistiques et floristiques des habitats présents. Il n'y a pas d'espèce endémique mais ce qui fait l'intérêt du site, ce sont les interactions entre les différents milieux. C'est ce qu'on appelle un écocomplexe. Ce site, du fait même de la dégradation de l'intensification alentours, est devenu relativement unique, d'où la difficulté de le compenser.

Par rapport aux critères de l'article 8b.2 du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui parlent de recréation et de restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et de la qualité de la biodiversité, on est loin du compte. Il faudrait un autre site de substitution, or il n'y en a pas à ma connaissance.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Revenons à la méthode. Peut-on la valider aujourd'hui ?

M. Ghislain de Marsily. - Pour moi, les modifications proposées sont favorables, mais elles ne valident pas la méthode.

M. Julien Tournebize. - Il y a un point très important, c'est la traçabilité de la fonctionnalité. Même si c'est indiqué dans l'arrêté, on ne sait pas comment elle sera assurée avec le passage par les unités de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur quelques points précis comme les unités de compensation ou le calcul des coefficients, pourriez-vous nous transmettre quelques exemples précis ?

Je reviens vers la commission du dialogue. Vous montrez bien dans votre rapport que ce projet est ancien et qu'il remonte à une époque où on a fait le choix de terres agricoles à faible productivité pour déterminer le site. Vous insistez sur le fait que c'est davantage la dimension paysagère que l'impact sur la biodiversité qui a été prise en compte. Vous êtes même plutôt sévère sur la façon dont ce projet utilise l'espace. Vous dites aussi que l'on pourrait gagner facilement 200 à 300 hectares, notamment sur les parkings, en privilégiant des parkings silos, qui n'auraient d'ailleurs pas d'impact négatif d'un point de vue paysager.

Sur tout ce que vous avez proposé pour réduire l'emprise du projet, certaines de vos préconisations ont-elles été prises en compte ?

Mme Claude Brévan. - Les quelques 200 à 300 hectares que vous mentionnez que l'on pourrait gagner ne tiennent pas seulement aux parkings. Il faudrait également renoncer à la création de zones d'activités. On voit en effet que ce n'est pas un aéroport destiné à accueillir du fret, que des hôtels suffiraient et que des zones d'activité sont en outre prévues ailleurs. On pourrait ainsi gagner beaucoup de surface. Mais je ne sais pas du tout si cela a été retenu.

Nous avions également recommandé qu'au moins 250 hectares soient gelés durablement le temps de voir si les mesures de compensation sont suffisantes. À ma connaissance, cela n'a pas été acté. Sur le barreau routier, il est également possible de gagner du terrain. Des efforts ont été faits sur ce sujet. Ils ont eu l'idée de dire qu'il devait être une « route apaisée », ce que l'on peut discuter dans la mesure où le site est en rase campagne et que ce concept est plutôt fait pour le péri-urbain. Ainsi, en grignotant un peu de terrain partout, même en gardant les deux pistes, on pourrait diminuer considérablement le territoire utilisé sur le site. Mais je ne sais pas du tout si cela sera fait ou pas.

M. Jérôme Bignon . - M. Serge Muller a dit que ce site était unique. Je comprends donc que fondamentalement, le projet aurait dû définitivement être évité, si l'analyse avait été bien faite au départ.

M. Serge Muller. - Ce site est devenu unique par sa géomorphologie, mais aussi parce que les activités extensives ont permis de maintenir un certain nombre d'espèces et de connectivités, qui, dans d'autres secteurs de l'Ouest de la France qui étaient équivalents au départ, ont disparu. Ce site est relativement unique. Je n'en connais pas d'équivalent et je ne pense pas qu'au titre de la recherche de mesures compensatoires, on ait recherché d'autres sites de même nature. On a cherché des sites de compensation en périphérie ; on a fragmenté de la compensation.

M. Jérôme Bignon . - Non seulement ce site est une zone humide, mais en tant que zone humide, il est unique compte tenu de sa structure géomorphologique, si j'ai bien compris, ce qui rend l'exercice de la compensation très difficile.

M. Julien Tournebize. - Je voudrais préciser que ce site est devenu unique parce qu'il a été préservé depuis cinquante ans pour faire l'aéroport.

M. Jérôme Bignon . - Il est donc victime de sa préservation !

M. Julien Tournebize. - Oui, c'est le paradoxe du site. Il est devenu victime de sa sacralisation. Il est devenu unique parce qu'il reste le dernier témoin d'un système de bocages alors que les sites voisins ont été drainés et remembrés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous parliez des 200 hectares de zone économique qui ne sont pas sur le site. Vous avait-on donné des indications sur leur localisation ?

Mme Claude Brévan. - C'était dans des communes assez proches qui se trouvaient de mémoire le long de la route nationale reliant Rennes à Nantes. Chaque petite commune à proximité avait dans l'esprit l'idée de créer une zone d'activité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ce n'est pas indiqué précisément. Par rapport au contentieux européen, le fait que ces 200 hectares ne soient pas spécifiquement localisés aujourd'hui ne pose-t-il pas un problème ?

M. Rouchdy Kbaier. - Ce projet doit être rapproché des infrastructures linéaires. Il est fractionné dans le temps, avec justement des infrastructures ou autres aménagements hypothétiques. Dans sa mise en demeure vis-à-vis de ce projet, mais aussi vis-à-vis de la directive plan-programme qui est toujours d'actualité, la Commission européenne est extrêmement attentive au fait que le projet qu'on traite en évaluation environnementale soit globalisé. Si ces aménagements devaient être faits, il faudrait en faire l'évaluation environnementale.

Mme Claude Brévan. - Il faut nuancer cela. Car il est très difficile de savoir si ces zones d'activité seraient mises en place. On ne peut pas tout mettre sur le compte de l'aéroport.

M. Rouchdy Kbaier. - Dans l'évaluation d'un document d'urbanisme, il faut évaluer l'impact potentiel voir l'impact cumulé au titre de l'évaluation stratégique, comme le dit la Commission européenne. Dans le SCoT on évalue les impacts globaux et dans le projet on évalue beaucoup plus finement les impacts écologiques. S'il devait y avoir ce type d'aménagement, il faudrait le traiter au titre du document d'urbanisme. Mais encore une fois, le SCoT n'est pas prescriptif.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il y a le périmètre de protection d'espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) au sud. À l'époque, le PEAN prenait tout le sud. Il est aujourd'hui morcelé car la commune du milieu a refusé d'y entrer. Le monde agricole a d'ailleurs montré son inquiétude à ce niveau-là. Mais il n'y a pas le nord. Dans la commission du dialogue, vous est-il apparu que c'était plutôt le nord qui s'apprêtait à recevoir les activités ?

Mme Claude Brévan. - Le nord a montré son souci mais aussi son intérêt face à un développement des communes qui serait lié directement à l'aéroport. Ils considéraient qu'il faudrait prévoir des zones de logement, d'activité et les équipements nécessaires afin d'accompagner ce développement. Leur attitude était complexe.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pensez-vous que le monde agricole est prêt à accueillir une compensation surfacique importante ?

Mme Claude Brévan. - Nous avons reçu la FDSEA et la Coordination rurale. Ils dénonçaient ce qu'ils appellent la « double peine » : l'expropriation pour l'aéroport mais aussi l'expropriation ou des contraintes extrêmement fortes pour les compensations. C'est vrai qu'ils n'étaient pas enthousiastes. Pourtant, le maître d'ouvrage disait que des conventions étaient en cours d'élaboration et que certains agriculteurs étaient partants, ce que nous n'avons pu vérifier. Ils ne montraient pas non plus un grand enthousiasme sur le PEAN, craignant qu'il ne leur impose des contraintes. Ils étaient prudents sur toutes ces procédures.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous ont-ils signifié leur inquiétude, comme ils nous en ont fait part, d'un petit PEAN de 15 000 hectares qui, à terme, avec la contrainte extrêmement forte d'urbanisation entre la métropole et l'aéroport, mettrait en danger un certain nombre d'exploitations agricoles ?

Mme Claude Brévan. - Ils nous ont dit que cela ne leur donnait pas suffisamment de visibilité. Ils étaient très inquiets sur la capacité de ce PEAN à assurer une pérennité réelle à l'échelle voulue.

M. Rouchdy Kbaier. - Un dernier mot. Nous avons interrogé l'État en même temps que le maître d'ouvrage sur la compensation proprement dite. Nous nous sommes inquiétés de l'organisation de la compensation pendant les 55 ans de la concession, mais également de sa sécurité juridique dans le temps. Notre expérience nous amène à penser malheureusement que la compensation n'est pas suivie dans le temps. Il y a une triple incertitude : le montant, l'affectation et la durée de la compensation. La compensation proprement dite doit être effectivement assurée sur la durée de la concession. Et elle doit être imaginée en amont.

M. Ghislain de Marsily. - C'est également un point sur lequel nous avions insisté : la compensation contractuelle telle qu'elle est proposée ne nous paraissait pas garantir sa durabilité dans le temps. C'était une des réserves que nous avions émises sur la méthode de compensation. Il faudrait en effet qu'au démarrage du projet, la surface nécessaire pour construire l'aménagement soit prévue, ainsi que la surface nécessaire pour compenser l'impact négatif de la construction sur l'environnement.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci de votre contribution.

Audition de M. Nacer Meddah, préfet de région, et M. Stéphane Lelièvre, chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de la région Centre-Val de Loire
(mercredi 15 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau.

Cet après-midi, c'est au projet de LGV Tours-Bordeaux que nous allons nous intéresser, puisque nous recevons M. Nacer Meddah, préfet de la région Centre-Val de Loire, et M. Stéphane Lelièvre, chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Nous avons entendu le mois dernier vos homologues, le préfet et le directeur régional de la région Nouvelle Aquitaine. Nous nous rendrons sur le terrain le 24 février prochain.

Notre objectif, je vous le rappelle, est d'identifier, à partir d'exemples concrets, les principaux obstacles qui empêchent aujourd'hui une bonne application de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), et de faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre concrète, l'efficacité et le suivi des mesures compensatoires en France.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo, et elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

MM. Nacer Meddah et Stéphane Lelièvre prêtent successivement serment.

Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. À l'issue de vos réponses, les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Avant de vous donner la parole, pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire si vous avez des liens d'intérêts avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Nacer Meddah, préfet de région. - Aucun, monsieur le président.

M. Stéphane Lelièvre, chargé de mission à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement. - Aucun, monsieur le président.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci. Je vous cède la parole.

M. Nacer Meddah. - À titre d'élément introductif, je tiens à rappeler que le projet de LGV concerne, pour la région Centre-Val de Loire, uniquement le département d'Indre-et-Loire. La ligne traverse ce département sur cinquante-six kilomètres, soit 19 % du linéaire du projet.

La LGV intersecte dans ce département des milieux anthropisés dans la partie nord, et des zones plus sensibles d'un point de vue environnemental dans la partie sud, s'agissant notamment des franchissements des cours d'eau. Elle n'a pas de conséquence sur des sites classés Natura 2000.

Quarante-sept dossiers de compensation ont été instruits, représentant huit hectares d'acquisition et deux cent quatorze hectares de conventionnement.

D'autres dossiers sont par ailleurs en cours d'instruction. La situation de l'Indre-et-Loire est maintenant satisfaisante pour ce qui est du dépôt des dossiers de compensation.

Une des spécificités de ce dossier, sur le volet relatif aux dérogations concernant les espèces protégées, porte sur la mutualisation des mesures compensatoires, à la fois sur le plan inter-espèces entre les réglementations relatives à la loi sur l'eau et aux espèces protégées.

Le montage des dossiers est donc relativement exigeant en termes de technicité afin de garantir la qualité des mesures mises en place et leur proportionnalité par rapport aux enjeux.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Lors de leur audition par notre commission d'enquête, la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles d'Indre-et-Loire ont été relativement sévères s'agissant de la conduite des travaux.

Je cite : « On sait très bien que la société ne respecte pas la loi sur l'eau mais qu'on ne peut rien faire, même la DDT. Ils bétonnent tous les fossés. Du coup, on a des arrivées d'eau énormes. On a plein d'exemples. Ils ont fait des talus avec deux mètres de terre arable et la mauvaise terre a été mise dans les champs à côté. Ils faisaient au plus pratique. C'est compliqué. Il y a un rapport de force, mais on a fait remonter. On a essayé de bloquer les sites de COSEA. On a des parcelles coupées. C'est un gros chantier, donc compliqué pour les exploitations en bordure de chantier. »

C'est un avis assez rude s'agissant de la conduite des travaux. Nous reviendrons ensuite sur la question des compensations, sur laquelle la commission d'enquête était plutôt centrée. Les différentes auditions ont montré que le désordre environnemental porte peut-être d'abord sur la question des travaux.

COSEA et un certain nombre d'autres sociétés intervenant sur le chantier, ont fait l'objet de condamnations pénales dans la région voisine.

Partagez-vous le constat assez sévère de la chambre d'agriculture ?

Quelles ont été les interventions de l'État en amont pour vérifier la manière de conduire les travaux et, en aval, pour dresser un procès-verbal et essayer de restaurer les milieux ?

M. Nacer Meddah. - Je laisserai sur ce point particulier M. Lelièvre, qui connaît exactement les critiques formulées à propos du bétonnage que vous évoquez, vous apporter des éléments pour vous dire si ce constat est partagé ou non, et vous fournir des précisions sur les mesures qui ont pu être prises pour essayer de corriger la situation.

M. Stéphane Lelièvre. - Les services de l'État sont à même de partager le constat dressé par la chambre d'agriculture, qui peut fort heureusement s'expliquer.

Deux difficultés majeures sont apparues en Indre-et-Loire, mais également dans d'autres secteurs, sur la partie sud du tracé. Il s'agit d'une part des difficultés pour assurer les continuités d'accès aux exploitations et les rétablissements en phase de terrassement, mais également du bétonnage des fossés, qui n'avait pas été identifié comme aussi conséquent au début des études.

Ceci s'explique par l'application des référentiels ferroviaires, qui imposent ce bétonnage dans un certain nombre de cas. Ce n'est qu'au moment des études détaillées du projet que ces critères ont pu être mis en oeuvre et que le bétonnage a pu être quantifié.

Un fort bétonnage des fossés peut avoir des conséquences sur l'accélération des eaux de ruissellement et sur les dispositifs de raquettes de diffusion des eaux. Ce problème a été accru par le fait que les années 2013 et 2014 ont été des périodes de fortes précipitations, d'où des quantités d'eau relativement importantes sur les terrains agricoles.

Le constructeur, COSEA, a essayé d'apporter le plus d'éléments de réponse possible à travers la mise en oeuvre de dispositifs provisoires, afin d'empêcher le ravinement des terrains agricoles, et a revu les dispositifs initialement dimensionnés.

M. Nacer Meddah. - Pour répondre encore plus directement à votre interpellation, monsieur le rapporteur, on peut dire qu'il aurait sans nul doute fallu anticiper davantage les impacts du chantier sur l'activité agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-on aujourd'hui dans une situation satisfaisante ? Les difficultés ont-elles été résorbées globalement et constate-t-on un retour à un bon état écologique, ou la question continue-t-elle à se poser en matière de débit des cours d'eau ?

Si les choses ne sont pas réglées, que prévoit l'État pour revenir au bon état écologique ?

M. Nacer Meddah. - On peut aujourd'hui considérer que les corrections ont été apportées. Je répète que l'on ne peut que regretter que les choses ne soient intervenues qu'après coup, la profession agricole ayant vivement réagi par rapport aux difficultés rencontrées. Aujourd'hui, la situation est toutefois satisfaisante.

M. Stéphane Lelièvre. - J'ajoute que, dans le cadre du suivi des engagements de l'État, un comité s'est tenu au mois de décembre. Les élus locaux se sont exprimés sur cette problématique lors des précédents comités. Aujourd'hui, selon les comptes rendus dont je suis destinataire, cette problématique n'est pas réapparue.

M. Nacer Meddah. - Ce comité s'est tenu le 12 décembre dernier. Ces difficultés ont bien existé mais elles ont été résolues.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La DREAL peut-elle décrire la manière dont l'État suit ces projets dans la durée et assure la vérification des mesures de compensation ?

M. Nacer Meddah. - Le comité de suivi interdépartemental se réunit de manière régulière pour faire un point sur le sujet. Il s'agit de réunions techniques entre DREAL et directions départementales des territoires (DDT) afin de s'assurer que les difficultés rencontrées, surtout sur certains cours d'eau, ne se reproduisent pas.

Ce suivi est réalisé en liaison avec le constructeur. On ne considère donc pas que les problèmes sont résolus une fois la ligne achevée. Le travail de veille continue.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La DREAL dépêche-t-elle aussi des moyens humains sur le terrain ou, par l'intermédiaire de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), pour contrôler la mise en oeuvre de la compensation ? Nous devons quantifier les moyens que l'État consacre, de manière raisonnable et rationnelle, au suivi de ce type de projet sur une longue durée.

M. Stéphane Lelièvre. - En premier lieu, il convient de distinguer deux cadres réglementaires, celui de la loi sur l'eau et celui des espèces protégées. La DDT d'Indre-et-Loire instruit tout ce qui concerne les arrêtés relatifs à la loi sur l'eau, la DREAL Centre s'occupant des arrêtés relatifs aux espèces protégées.

S'agissant des moyens humains de la DDT, un agent a été recruté de façon spécifique pour assurer le suivi de ce chantier. Un poste a été créé pour s'occuper des dossiers transversaux liés aux infrastructures dans le cadre de la création de la DREAL Centre, intervenue fin 2009. C'est moi qui assure cette mission. Des moyens spécifiques ont été identifiés au préalable.

Enfin, on s'appuie sur des établissements publics comme l'ONEMA, désormais intégré à l'Agence française pour la biodiversité, et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (OFCFS) pour assurer les contrôles de terrain.

Des visites interservices de l'État sont régulièrement organisées avec le porteur du projet dans le cadre des mesures compensatoires.

M. Nacer Meddah. - Un comité départemental se réunit trois fois dans l'année.

Tous les acteurs concernés - services de l'État et opérateurs - pourront faire régulièrement le point au titre de ces deux lois qui encadrent non seulement les mesures de compensation, mais aussi le bon achèvement du chantier par rapport à ses impacts ultérieurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-ce que ce sont plutôt les agriculteurs qui vous ont alerté quand ils ont eu de l'eau dans les champs, ou l'ONEMA l'avait-elle fait en amont ?

M. Stéphane Lelièvre. - Les deux.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Dans quel ordre ?

M. Stéphane Lelièvre. - Au départ, c'est l'ONEMA qui a attiré l'attention sur le sujet. Cette pratique du bétonnage des fossés a en effet un impact sur l'environnement, du fait de l'accélération des vitesses de ruissellement et des risques de pollution des milieux humides beaucoup plus importants.

Entre-temps, la préfecture a reçu les remarques exprimées par la chambre d'agriculture et les représentants des agriculteurs.

M. Nacer Meddah. - Soyons honnêtes : l'alerte a d'abord été donnée par ceux qui ont rencontré des difficultés dans leur activité économique. Ils ont pu constater sur le terrain les dérèglements des cours d'eau. L'ONEMA n'a pas non plus attendu. Les alertes ont donc été quasiment concomitantes, mais le monde agricole a su se faire très vite entendre auprès de la préfecture d'Indre-et-Loire.

M. Stéphane Lelièvre. - Les études avaient également identifié cette problématique. La DDT a même interpellé la SNCF pour avoir confirmation de l'obligation du bétonnage des fossés. COSEA a remis un plan, et c'est à ce titre que l'ONEMA et la DDT ont été alertés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Comment cela s'est-il réglé ? A-t-on créé d'autres bassins tampons pour éviter les problèmes de débit et de qualité de l'eau ?

M. Stéphane Lelièvre. - COSEA a réalisé des reprises d'aménagement, notamment au niveau des raquettes de diffusion des fossés et des redimensionnements de bassins tampons s'agissant du volet agricole.

Pour ce qui est du volet environnemental, des traitements au droit des rejets sur les cours d'eau ont été mis en oeuvre.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La mise en oeuvre de mesures compensatoires au droit des projets amène parfois à consommer de la terre agricole d'excellente qualité alors qu'elles devraient être déployées un peu plus à distance. L'État a-t-il accompagné le maître d'ouvrage dans la discussion, ou vous êtes-vous sentis contraints par le principe de proximité ?

Comment dialoguez-vous avec le maître d'ouvrage pour choisir les meilleures mesures compensatoires et déterminer les terrains afin d'accompagner ces mesures ? Avez-vous une vision globale du fonctionnement naturel de la région ou du département ?

M. Stéphane Lelièvre. - Il faut distinguer plusieurs phases. La première est la phase d'identification de la dette, avec l'arrêté correspondant à la quantification des mesures compensatoires dues à hauteur de cette dette.

Pour élaborer ces arrêtés, COSEA est entrée en discussion avec les services de l'État en amont de l'attribution du marché de partenariat public-privé. Les premiers échanges sont intervenus fin 2010 et début 2011. Très rapidement, au vu de la dimension de l'infrastructure, il est apparu que la recherche de mesures compensatoire au plus près de l'infrastructure et des impacts potentiels de celle-ci serait très difficile à garantir dans tous les cas de figure.

Pour les arrêtés relatifs aux espèces protégées, une approche par petite région agricole a été mise en oeuvre. La dette est calculée sur cette base, ce qui offre au porteur du projet des marges de manoeuvre, ainsi que des possibilités de recherche et de prospection, et favorise les opportunités.

Dans la phase de mise en oeuvre, les arrêtés prévoyaient la définition de cahiers des charges et de méthodologies de prospection. Il y a eu là encore des échanges avec le porteur du projet. Celui-ci a exposé sa méthodologie, que nous avons amendée et validée, en coordination avec les autres DREAL.

Ceci a bien été mis en oeuvre dans le cahier des charges pour ce qui est de la prise en compte des trames vertes et bleues. Les corridors et les réservoirs de biodiversité ont permis d'identifier les zones de prospection.

De même, les réserves foncières qui avaient pu être dégagées dans le cadre d'aménagements fonciers ont été intégrées dans le cahier des charges. Les spécificités liées aux espèces ont permis de sérier des éloignements plus ou moins lointains par rapport à la trace du projet.

En phase de réalisation, le porteur du projet ne présente pas sa mesure compensatoire de façon sèche, mais explique comment elle s'insère dans le milieu avoisinant, et par rapport aux autres mesures compensatoires qu'il compte mettre en oeuvre sur ce territoire. Il explique également comment il en assure la cohérence.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Estimez-vous avoir une vision à peu près claire des enjeux de biodiversité à l'échelle du département et de la région, ou cela reste-t-il fragile d'un point de vue scientifique ?

M. Nacer Meddah. - Avant la loi pour la reconquête de la biodiversité, il faut bien reconnaître que nous ne disposions pas de vision nationale en la matière. Cette loi constitue une avancée très forte.

Au niveau régional, COSEA n'a pas tout réalisé seule. S'agissant par exemple de l'identification du foncier à des fins de mesures compensatoires, un travail a été réalisé avec le conservatoire des espaces naturels et des associations environnementales. Un repérage a été effectué et les critères ont été partagés. Tout ceci a fait l'objet d'une validation commune.

Il faut aussi reconnaître que toutes les mesures compensatoires ne s'accompagnent pas nécessairement d'acquisitions foncières, des pourcentages ayant été définis, notamment pour les amphibiens et la flore.

Quant aux modes d'acquisition, les services de l'État n'ont pas leur mot à dire. C'est COSEA qui décide du mode d'acquisition.

Nous sommes donc présents à plusieurs moments de la procédure pour un chantier de cette importance. Avec la loi sur la reconquête de la biodiversité, on devrait pouvoir renforcer encore l'approche régionale.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce suivi dans la durée constitue-t-il un nouveau métier ou une nouvelle charge pour l'administration préfectorale ? N'existe-t-il pas des enjeux de formation et de méthodologies de vérification ?

M. Nacer Meddah. - C'est sans doute un métier qui existait, mais qui n'était pas aussi structuré. Il ne concernera pas les seuls services de l'État, mais aussi le conseil régional, les relais régionaux de l'agence de biodiversité étant adossés à la collectivité régionale.

C'est un travail de coordination des services de l'État et du conseil régional, en liaison avec le niveau national, qu'il faut désormais pérenniser alors qu'il se faisait au coup par coup, en fonction des projets. C'est sans doute un métier qu'il convient de consolider.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pensez-vous avoir les moyens humains nécessaires à cette activité dans le contexte actuel de réduction des ressources publiques ?

M. Nacer Meddah. - Ce sont des priorités. Il faudra faire en sorte de redéployer nos moyens et de mutualiser. Je pense que l'on peut organiser ce travail de suivi dans la durée entre services de l'État, agence de biodiversité et région. À nous de faire en sorte qu'il soit le moins coûteux possible pour la collectivité nationale.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je reste prudent à ce stade, mais nous avons eu le sentiment que les mesures compensatoires avaient quelque peu constitué un effet d'aubaine pour le monde agricole d'Indre-et-Loire en raison de la fin d'un certain nombre de mesures agro-environnementales (MAE), alors que la gestion environnementale faisait déjà partie de la culture des agriculteurs...

M. Stéphane Lelièvre. - On peut le dire. Les mesures compensatoires ont effectivement coïncidé avec l'interruption des programmes de développement rural, en 2014. La mise en oeuvre des nouvelles mesures environnementales a pris du retard. Les exploitants ont vu une opportunité à passer convention avec COSEA. Il s'agit de mesures assez proches de celles des fonds européens, mais qui sont bien plus contraignantes en termes de durée, celle-ci étant plus longue. C'est là un premier effet.

A contrario , il ne doit pas y avoir concurrence entre les différentes mesures sur certaines zones de protection spéciale, ou un retard de conventionnement dans le cadre de l'animation du réseau Natura 2000. Certains exploitants ont attendu l'offre de COSEA. Aux services de l'État de veiller à empêcher ceci.

M. Nacer Meddah. - Ainsi qu'ils ont dû vous le dire, ils ne se sont pas plaints de ces mesures.

M. Rémy Pointereau. - Comment le dialogue entre les opérateurs, les élus locaux, l'administration et les agriculteurs s'est-il déroulé ? Y a-t-il eu un échange suffisant ?

En matière de terres agricoles, il existe toujours une perte de surface agricole utile (SAU) pour les agriculteurs. Un travail de fond a-t-il été effectué avec la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) ? C'est souvent l'opérateur qui permet des échanges et facilite les compensations, non seulement en matière de SAU, mais aussi de biodiversité.

M. Nacer Meddah. - Tous les acteurs concernés ont bien été approchés et ont participé. Une véritable concertation a été établie. C'est ce qui explique aussi qu'il existe très peu de revendications sur la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

En revanche, un travail d'anticipation reste à réaliser par le constructeur sur l'impact d'un chantier, les agriculteurs ayant été pénalisés au début du chantier.

M. Rémy Pointereau. - C'est la double ou la triple peine !

M. Nacer Meddah. - En effet. Le constructeur et les services ont fait en sorte de réagir, mais si on avait davantage anticipé, notamment en matière de bétonnage des fossés, sans doute n'y aurait-il pas eu de préjudice pour l'activité agricole.

Par la suite, s'agissant des mesures compensatoires ou de la SAFER, chacun a été associé pour trouver les terres les plus adaptées. Je n'ai personnellement pas eu connaissance d'acteurs concernés laissés sur le bord de la route, ou insuffisamment associés. Je reconnais toutefois que la procédure est encore quelque peu expérimentale. Certains enjeux sont à intégrer en amont, notamment en matière d'impacts sur l'activité agricole.

M. Stéphane Lelièvre. - Dans le cadre de l'élaboration des cahiers des charges destinées à établir des mesures compensatoires, les représentants des chambres d'agriculture, mais aussi les syndicats, ont été associés, afin d'éviter un gel de l'activité agricole et de privilégier un maintien de l'exploitation, tout en apportant une valeur écologique en termes de biodiversité.

Deuxièmement, en Indre-et-Loire, la chambre d'agriculture est l'opérateur en charge de la prospection des sites hébergeant de telles mesures. Cela permet de trouver des opportunités et de partager les projets.

Au mois de janvier, j'étais sur le terrain pour valider un certain nombre de mesures compensatoires. Nous avons rencontré l'exploitant qui nous a dit que s'il le pouvait, il placerait l'ensemble de son exploitation sous ce régime.

M. Rémy Pointereau. - Compte tenu du contexte économique, il a bien raison !

M. Stéphane Lelièvre. - En effet, et c'est à ce titre qu'il le disait.

M. Nacer Meddah. - COSEA y est également sensible et a intégré toutes les préconisations formulées par l'État, en collaborant avec tous les partenaires capables de mener des expertises, notamment pour améliorer la transparence des ouvrages afin de préserver la petite faune ou les zones d'habitat naturel à enjeux. Cinquante-sept ouvrages ont été adaptés en faveur de la petite faune terrestre et semi-aquatique.

COSEA a bien su prendre en compte les améliorations souhaitées. Il existe donc un véritable dialogue. COSEA n'impose pas nécessairement sa loi ni sa lecture de la conduite des travaux. Tous les aménagements qu'il a fallu entreprendre sur les ouvrages ont donc bien été réalisés et pris en compte par COSEA.

M. Gérard Bailly. - Pouvez-vous citer quelques exemples de mesures concernant la biodiversité ? Qu'impliquent-elles en termes de changement de culture ?

En deuxième lieu, la production agricole diminue certes du fait de l'emprise, mais également à cause des mesures en faveur de la biodiversité. Une compensation des pertes économiques est-elle globalement prévue ?

Enfin, la construction d'un TGV entraîne également beaucoup de reconstitutions d'ouvrages. Mon département a ainsi connu certaines difficultés dans ce domaine. En Indre-et-Loire, le maître d'ouvrage a-t-il été attentif à ces problèmes ?

M. Nacer Meddah. - Seuls cinquante kilomètres sont concernés. Je rappelle qu'il y a eu huit hectares d'acquisition et deux cent quatorze hectares de conventionnement. On n'est donc pas dans la même problématique qu'en Nouvelle Aquitaine.

La compensation de l'impact économique n'était jusqu'à présent pas prise en compte. Il faudra certainement l'intégrer.

Quant à la reconstitution des ouvrages, à ma connaissance, sur le tronçon qui nous concerne, il n'en a pas été question.

M. Stéphane Lelièvre. - En Indre-et-Loire, les difficultés rencontrées par les ouvrages ont concerné la phase transitoire, la destruction de certains d'entre eux ayant généré des allongements de parcours temporaires.

Pour le reste, le dimensionnement a été correctement pris en compte par le constructeur.

S'agissant des mesures compensatoires agricoles, des solutions par placette et mosaïque de cultures variées, destinées à compenser le risque de monoculture, défavorable à la biodiversité, ont été mises en oeuvre. Il n'a donc pas été question de gel d'exploitation.

Des fauches tardives sont privilégiées pour permettre la reproduction de certaines espèces et plusieurs hectares ont été mis en défens pour permettre la nidification de certains oiseaux de plaine. La compensation financière est estimée au vu de ces contraintes. C'est COSEA qui a négocié directement avec les exploitants.

M. Gérard Bailly. - Quelle est la durée des contrats ?

M. Stéphane Lelièvre. - Les mesures compensatoires ont vocation à durer cinquante ans.

Toutefois, il est aujourd'hui réglementairement impossible de conventionner avec un exploitant sur cette durée. Ces conventions ont majoritairement des durées de vingt ans mais, dans certains cas, peuvent descendre à dix ans, à charge pour le concessionnaire de renouveler ces conventions.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est ce que nous avait dit la chambre d'agriculteur, ce qui est plutôt long par rapport à d'autres projets. Pour Notre-Dame-des-Landes, on est à cinq ans, par exemple.

Comment les choses vont-elles se passer au moment du renouvellement des conventions ? On sent bien que le monde agricole attend à l'avenir le concessionnaire de pied ferme. Ceci nous a été dit très clairement lors de certaines auditions.

Le concessionnaire anticipe-t-il d'ores et déjà à des négociations plus compliquées lors du renouvellement ? Cela dépend du contexte économique, mais le coût de fonctionnement sera probablement amené à augmenter progressivement pour le concessionnaire en termes de mesures compensatoires.

M. Nacer Meddah. - En toute objectivité, il me semble prématuré de répondre à cette question, mais il faudra faire preuve de vigilance. Les services de l'État et le comité de suivi devront s'assurer qu'il existe un dialogue serein et équilibré entre le monde agricole et le constructeur. Aujourd'hui, à notre connaissance, il n'existe pas de tension particulière.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - L'État peut-il être amené à recourir à des outils plus coercitifs pour réussir à mettre en place des mesures compensatoires ? Selon la loi, le concessionnaire est astreint à une obligation de résultat. Imaginons qu'aucun agriculteur ne soit plus intéressé par les mesures compensatoires : comment les choses se dérouleraient-elles ?

M. Nacer Meddah. - La loi sur la biodiversité donne aux services de l'État des pouvoirs réels. En Indre-et-Loire, nous effectuons de nombreuses visites de sites pour s'assurer que toutes les mesures sont mises en oeuvre.

Les missions interservices de l'eau et de la nature (MISEN), au sein desquelles le parquet est d'ailleurs présent, seront extrêmement utiles et pourront être amenées à décider de mesures coercitives.

La loi nous confie par ailleurs certains pouvoirs si des écarts apparaissent par rapport à ce qu'on est en droit d'attendre.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - S'agissant de l'évitement et de la réduction, avez-vous le sentiment que des efforts plus importants avaient pu être mis en oeuvre en amont ?

M. Nacer Meddah. - Cette procédure ne s'applique pas seulement en amont, mais concerne la totalité des atteintes à l'environnement. Les services de l'État ont donc fait en sorte que ces priorités soient bien intégrées à chaque étape du projet.

Toutes les mesures d'évitement ont été très détaillées dans les différents arrêtés pris par mes prédécesseurs, notamment un arrêté inter-préfectoral du 24 février 2012. Il s'agit des articles 4 à 10. On retrouve les mesures de réduction dans les articles 11 à 16, et les mesures de compensation dans les articles 19 à 21. On continue à s'assurer que cette procédure est mobilisée en permanence.

Pour aller cependant dans votre sens, monsieur le rapporteur, je pense qu'on pourrait conduire un travail d'amélioration sensible - mais nous sommes dans l'expérimentation. Celle-ci présente beaucoup d'intérêt. La procédure ERC a en effet été bien intégrée, mais peut-être pas de manière optimale, notamment en matière d'évitement.

Il y a sans doute là un travail que nous pourrions conduire ensemble. C'est ce qui est en train d'être fait par les services de l'État afin de voir, sur un chantier de cette ampleur, comment affirmer la priorité « évitement ». On peut, sur l'ensemble des trois temps du projet, qui ont été relativement longs - deux ans à trois ans, quatre ans à cinq ans, six ans à huit ans - s'assurer que les priorités sont bien intégrées, et ne pas se contenter de les énumérer dans les arrêtés.

Le travail du comité de suivi est donc essentiel. Le retour d'expérience pourra venir, a posteriori , consolider les recommandations que vous établirez dans votre rapport.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous un exemple d'un évitement ou d'une réduction convenablement réalisé et, à l'inverse, d'un cas où l'on aurait pu faire bien mieux ? Nous avons en effet besoin d'illustrer les choses concrètement.

M. Nacer Meddah. - On peut citer l'optimisation du rétablissement de la VC9 à Sainte-Maure-de-Touraine, qui a évité la destruction de près de six hectares d'habitat favorable au busard Saint-Martin, ou la mise en défens de milieux humides au droit du franchissement de la vallée de l'Indre.

Ce sont là deux exemples concrets de la bonne application des mesures qui ont été prises dans les arrêtés.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions pour ces précisions et pour l'éclairage que vous nous avez apporté cet après-midi.

Audition de Mme Anne Guerrero (SNCF Réseau), M. Joachim Lémeri (Eiffage Concessions), M. Jean-François Lesigne (Réseau de transport d'électricité, RTE), Mme Laetitia Mahenc (Transports infrastructures gaz France, TIGF) et M. Bertrand Seurret, GRT Gaz), membres du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CILB)
(mercredi 15 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant le Club Infrastructures linéaires et biodiversité (CILB), qui a souhaité être entendu par notre commission d'enquête.

Le CILB est un club informel qui regroupe neuf gestionnaires ou représentants de gestionnaires d'infrastructures linéaires autour des questions de préservation de la biodiversité. Il s'agit de l'ASFA, d'Eiffage Concessions, d'ENEDIS, de GRTgaz, de LISEA, de RTE, de SNCF Réseau, de TIGF et de VNF. Nous en avons déjà reçus quelques-uns sur les projets spécifiques que nous examinons.

Vous travaillez notamment sur l'amélioration des connaissances, le travail d'inventaire, la recherche en matière de biodiversité. Vous avez également organisé un séminaire en lien avec l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) : « Corridors d'infrastructures, corridors écologiques ? ».

Nous recevons donc Mme Anne Guerrero de SNCF Réseau, M. Joachim Lemeri de Eiffage Concessions, M. Jean-François Lesigne de RTE, Mme Laetitia Mahenc de TIGF et M. Bertrand Seurret, de GRT Gaz.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Anne Guerrero, M. Joachim Lemeri, M. Jean-François Lesigne, Mme Laetitia Mahenc et M. Bertrand Seurret prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : la LGV Tours-Bordeaux, l'autoroute A65, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

M. Joachim Lémeri, responsable ingénierie durable, Eiffage . - Je travaille pour la direction développement durable du groupe Eiffage qui est actionnaire majoritaire de la société A'liénor concessionnaire de l'autoroute A65. En tant que représentant de direction fonctionnelle, support, pour toutes nos filiales, j'ai joué un rôle ponctuel de conseil interne sur le projet de l'A65, notamment en ce qui concerne la compensation écologique, sans toutefois être impliqué dans les détails du projet qui relèvent de la pleine responsabilité d'A'liénor. Je n'ai, par ailleurs, aucun autre rapport avec les autres projets étudiés par votre commission d'enquête.

Mme Anne Guerrero, direction environnement et développement durable, SNCF Réseau . - Je travaille chez SNCF Réseau qui est concédant du projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Je n'entretiens toutefois aucun lien direct avec ce projet.

M. Jean-François Lesigne, attaché Environnement, RTE . - En charge de l'environnement chez RTE je n'ai pas de liens avec les projets étudiés.

Mme Laetitia Mahenc, responsable Environnement, TIGF . - En charge de l'environnement dans une entreprise qui gère des infrastructures gazières, je n'ai aucun lien avec les projets en cause.

M. Bertrand Seurret, responsable RSE, GRT Gaz . - En charge de la responsabilité sociale et environnementale chez GRT Gaz, je souhaite seulement signaler que nous avons utilisé les services de la réserve d'actifs naturels de la Crau à l'occasion d'un projet il y a quelques années.

M. Jean-François Lesigne . - Je prends maintenant la parole en tant que coordinateur des actions du club. Je tiens en premier lieu à remercier la commission d'enquête d'avoir répondu favorablement à notre demande d'être auditionnés aujourd'hui. Nos propos vont être structurés en trois chapitres : une présentation du CILB, son objet et ses travaux, puis le lien entre infrastructures linéaires et biodiversité, notamment en ce qui concerne la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) ainsi que la trame verte et bleue. Nous aborderons enfin spécifiquement les infrastructures linéaires et la compensation.

Le CILB compte 9 membres qui sont tous des aménageurs et des gestionnaires d'infrastructures linéaires (autoroutes, voies ferrées, voies navigables, lignes électriques et gazoducs) et qui se sont donc regroupés autour du thème de la biodiversité, avec notamment les questions de fragmentation, d'effet « barrière » et d'effet « corridor », découvert plus récemment. Cet effet fait contribuer les infrastructures, leurs dépendances vertes et leurs emprises, aux trames vertes et bleues.

Les impacts de ces infrastructures sont assez différents selon leur nature. Entre un gazoduc et une autoroute, les effets sur la nature ne sont les mêmes. Il en va de même entre des zones artificialisées et imperméabilisées et des zones où la nature est plus préservée. Au-delà de ces différences beaucoup de choses demeurent communes et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de travailler ensemble afin de mettre en commun nos connaissances. Cela nous permet une progression beaucoup plus rapide sur les questions liées à la biodiversité qui sont, finalement, relativement récentes par rapport à l'histoire de nos entreprises.

Le CILB s'est créé au moment du Grenelle de l'environnement, en octobre 2008, en même temps que la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Il s'agit d'un club informel, même si, en 2011, a été signée une charte qui engage les membres à un certain nombre de travaux et à une déontologie commune.

Nos travaux sont divers. Ils comptent, en premier lieu, un investissement dans le comité opérationnel (COMOP) des trames vertes et bleues dès 2008-2009. Nous avons ainsi contribué, grâce à notre expérience, à l'élaboration d'un guide sur les grandes infrastructures de l'État. Notre expérience concernait les aspects « franchissement », mais aussi déjà « l'effet « corridor ».

Nous avons également beaucoup travaillé dans le cadre de la trame verte et bleue en région et des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Nous avons participé aux travaux menés dans toutes les régions ainsi qu'à ceux du comité national.

Le CILB a également mené des travaux avec la FRB puisque plusieurs de nos membres sont présents dans son conseil d'orientation stratégique. On peut citer par exemple un groupe de travail commun au conseil d'orientation stratégique et au comité scientifique de la FRB sur la compensation et dont Joachim Lémeri, ici présent, est coanimateur.

Plusieurs de nos entreprises membres ont, dès 2012, adhéré et donné un plan d'engagements à la stratégie nationale pour la biodiversité.

En ce qui concerne la séquence ERC, nous nous sommes impliqués, au côté du ministère, sur les lignes directrices ERC en 2011-2012, puis lors des états généraux du droit de l'environnement dans le groupe de M. Romain Dubois sur l'amélioration de la séquence ERC en 2014 et 2015.

Le séminaire aux côtés de la section française de l'UICN a été un point d'orgue en 2014. L'UICN France nous a aidés à préparer ce séminaire pendant un an pour poser la question des effets « corridor » après avoir obtenu des confirmations scientifiques venant, par exemple, du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) ou d'autres organismes. Ce séminaire nous a permis de réunir tous nos partenaires sur le terrain, qu'il s'agisse des agriculteurs, des chasseurs, des associations ou des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Le but était de leur demander si les corridors créés par les infrastructures pouvaient être des corridors écologiques, dans quelles conditions ils pouvaient l'être et, le cas échéant, les actions à mettre en oeuvre pour qu'ils le deviennent. Un rapport a découlé de ce séminaire.

Nous procédons également à des échanges entre membres du CILB sur la manière de gérer les dépendances vertes de manière plus favorable à la biodiversité.

Un élément essentiel de notre charte consiste en un partage des données naturalistes. Dès 2011, nous avons eu la volonté de partager avec le MNHN ces données collectées par des cabinets naturalistes à l'occasion des études d'impact. Nous avons, dans le cadre de ce partenariat, utilisé une application appelée CardObs qui a été adaptée en conséquence. Si la loi biodiversité a maintenant imposé ce dispositif, sachez que nous l'avions déjà mis en place et que le système informatique fonctionne, ainsi que les organisations avec les bureaux d'études.

Je souhaite enfin évoquer l'appel à projets de recherche lancé en 2014 avec le programme de recherche « Infrastructures de transports terrestres, écosystèmes et paysages » (ITTECOP) du ministère de l'écologie et la FRB. Le thème central de cet appel à projets concernant l'utilité des infrastructures linéaires pour la biodiversité et l'utilisation de ces corridors. Nous avons, dans ce cadre, pu financer 16 projets de recherche dont 7 thèses et une revue systématique. Ce dernier dispositif porté par le MNHN permet de faire état de la connaissance mondiale sur un sujet donné, en l'occurrence l'effet « corridor » induit par les infrastructures. L'ensemble de ces travaux de recherche devant s'achever en 2017, nous ne disposons pas encore des conclusions. Fort du succès de ce programme, nous venons d'en lancer un similaire pour la période 2017-2020.

M. Bertrand Seurret . - Nous souhaitons insister sur la sensibilisation autour du thème de la biodiversité que l'ensemble de ces travaux a permis pour les entreprises membres du CILB. Cela nous a permis de renforcer significativement le poids de l'évitement dès la planification des projets et également de prendre conscience que la séquence ERC se pose à tout moment d'un projet. Il existe encore des possibilités d'évitement lors des travaux de réalisation des infrastructures avant, le cas échéant, de recourir à des compensations.

En résumé, nos travaux portent sur trois grands domaines. Le premier est le domaine « classique » de la fragmentation des espaces engendrée par une coupure qui a pour cause une infrastructure linéaire. Ce domaine donne lieu à des travaux de recherche ainsi que des expérimentations qui permettent aujourd'hui d'améliorer les techniques et la transparence de nos infrastructures mais aussi de mieux comprendre le comportement de certaines espèces autour de nos infrastructures.

Le deuxième domaine est celui de la contribution possible des infrastructures à un effet de corridor écologique par leurs emprises et dépendances vertes qui favorisent la continuité écologique. Il s'agit d'éléments validés par les scientifiques et des expérimentations sont en cours. On peut noter que parmi les SRCE, certains ont retenu des emprises linéaires pour la trame verte et bleue et le séminaire en lien avec l'UICN a encouragé cette démarche.

Le troisième thème est, enfin, la gestion écologique des dépendances vertes. Nos infrastructures comportent, en effet, toutes à divers degrés, des dépendances vertes. Ce thème est, en particulier relatif à la gestion de ces dépendances en lien avec le plan Écophyto II. Ces dépendances étant plus situées en milieu rural qu'urbain, nos problématiques sont singulières par rapport à celles habituellement rencontrées dans la gestion d'espaces verts.

Mme Laetitia Mahenc. - En notre qualité d'aménageur et à travers nos différents projets, si l'on prend un peu de hauteur par rapport à ce schéma global de protection de la biodiversité comprenant la séquence ERC, les trames vertes et bleues et les études d'impact, nous constatons que le dispositif réglementaire existant est cohérent. Cependant, on s'aperçoit que, lorsqu'on le regarde en détails, toutes les briques que l'on a aujourd'hui à notre disposition n'en sont pas ou même état d'avancement et que nous devons poursuivre le travail de développement et de partage d'un socle commun de connaissances et le développement de compétences liées en ce qui concerne le génie écologique ou toutes les autres filières associées.

Nous faisons le constat qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de référentiel normalisé et opposable en ce qui concerne les méthodologies d'inventaire ce qui peut, le cas échéant, engendrer des disparités entre les projets ou des querelles d'experts. Nous constatons également des différences d'interprétation et d'appréciation, selon les territoires traversés, qui génèrent in fine des disparités à l'échelle nationale. Comme cela a été évoqué, le CILB avait travaillé à la mise en place d'un pool de données à travers le projet CardObs.

La démarche ERC, et notamment ses deux premières étapes, est aujourd'hui étudiée très en amont dans les projets. C'est également à cette étape qu'on nous demande aujourd'hui de sécuriser ou de travailler nos mesures de compensation. La compensation étant déterminée très tôt, il pourrait être intéressant de réévaluer ces mesures, une fois le projet opérationnel, afin de prendre en compte l'impact effectif sur l'environnement. Cette démarche de réévaluation est familière pour les aménageurs gaziers avec les études de danger.

Nous serions également favorables à disposer de schémas territoriaux un peu plus cohérents car nous constatons que les compensations que nous mettons en oeuvre aboutissent à des mesures extrêmement morcelées sur les territoires. Si les espaces naturels à enjeu étaient globalisés à l'échelle de schémas territoriaux prenant également en compte les aspects économiques, ils permettraient d'obtenir des points focaux de compensation ou des zones prioritaires prédéfinies. Cette vision globale permettrait d'aller en amont sur les fonctionnalités des trames vertes et bleues.

M. Joachim Lémeri. - J'aborde maintenant la dernière partie de notre exposé relative au lien entre les infrastructures linéaires de transports et la compensation en tant que telle.

Notre club n'a pas vocation à coordonner les entreprises membres dans la gestion de leurs mesures de compensation et dans le conventionnement qui peut, le cas échéant, être mis en place. Nous sommes un club qui a pour but de partager les bonnes pratiques afin qu'elles soient diffusées dans ces entreprises. Cette expérience nous permet de vous formuler quelques recommandations pour une compensation plus efficace à effort égal à la suite desquelles Anne Guerrero vous présentera certains enseignements clés en matière d'organisation dans nos structures.

En ce qui concerne nos propositions, un premier volet est relatif à la temporalité de la mise en oeuvre de la compensation. Nous pensons qu'il serait opportun de conditionner une partie de la compensation à la réalité des impacts sur le terrain. Aujourd'hui, la dette écologique est calculée en amont sur des impacts évalués, mais n'est jamais révisée en fonction de la réalité des impacts effectifs. Il arrive, dans un certain nombre de cas, que les impacts soient réduits après évaluation, notamment en phase de chantier.

La loi précise que nous devons compenser avant la survenue des impacts, alors qu'en réalité c'est extrêmement compliqué. Les projets sont, en effet, longs et complexes et les autorisations relatives à la biodiversité sont délivrées juste avant le démarrage des chantiers puisqu'il s'agit souvent des derniers visas administratifs. Pour autant, certains exemples concrets nous montrent ces dernières années que certaines compensations peuvent être anticipées. Cela fonctionne très bien par exemple pour les mares de substitution à destination des amphibiens qui sont construites avant la destruction des mares d'origine. Il pourrait être intéressant de cibler ces anticipations sur des habitats prioritaires, relevant, par exemple, du régime Natura 2000 ou sur des espèces prioritaires, comme celles présentes sur les listes rouges UICN, par exemple.

Nous constatons que, d'un point de vue spatial et biogéographique, les mesures de compensation ne sont pas toujours cohérentes avec les schémas globaux de cohérence et de continuité écologique. Nous souhaiterions que cela soit le cas pour éviter un mitage de ces mesures au gré de la disponibilité du foncier. Il faudrait insérer ces données dans une trame. L'UICN avait formulé ce souhait dans son rapport de 2014 à la suite du séminaire que nous avons évoqué afin de passer d'une logique de compensation au cas par cas à l'identification d'un projet cohérent. Il manque, pour cela, un architecte, un opérateur de la trame verte et bleue au niveau local pour organiser le processus. Si les trames vertes et bleues ont été identifiées il n'existe pas pour autant d'opérateur en charge de leurs réalisations et de la cohérence de certains projets, dont la compensation.

Sur le plan naturaliste, nous avons besoin d'objectiver la méthode de définition des équivalences écologiques, qui consiste à comparer les pertes de biodiversité et les gains que la compensation génèrera. Nous sommes, à l'heure actuelle, démunis en termes de doctrine ou de méthode et chaque bureau d'études définit la sienne comme il le souhaite. Nous mentionnons les travaux de l'IRSTEA, soutenu par EDF sur ce sujet. L'idée serait de sortir de la prédominance de la méthode surfacique, pour laquelle la prise en compte d'un facteur de risque conduit à surajouter des surfaces de compensation. Cet ajout est arbitraire d'une part, et on ne réduit pas pour autant la surface en cas de succès des mesures, d'autre part. Une telle réduction pourrait réserver les terrains finalement soustraits à d'autres mesures de compensation. Une optimisation des critères et des ratios pourrait aider à sortir de cette méthode du « tout surfacique ».

La déclaration d'utilité publique (DUP) est un outil intéressant. Notre souhait n'est pas d'y inclure tous les sites de compensation car il est souvent impossible de les définir à ce stade du projet mais il pourrait s'agir d'un vrai levier pour des sites accolés à l'infrastructure. Or c'est aujourd'hui impossible en l'état du droit, ce que nous regrettons, même si nous comprenons bien que l'expropriation ne peut pas systématiquement être utilisée à des fins de compensation environnementale.

Nous nous posons enfin la question de la maîtrise d'ouvrage réelle des mesures de compensation relatives à un projet. Est-ce véritablement à nous de devoir organiser ces mesures alors que nos compétences en la matière sont limitées ? Un transfert organisé par le législateur à un maître d'ouvrage public, comme celui en charge de la trame verte et bleue, pourrait être envisagé. C'est exactement ce qui existe pour le réaménagement foncier et agricole puisque les conseils départementaux possèdent la maîtrise d'ouvrage des aménagements qui compensent les conséquences des impacts d'un projet d'infrastructure sur le parcellaire agricole et forestier. Cette maîtrise d'ouvrage se fait sur la base d'une contribution financière du maître d'ouvrage de l'infrastructure impactant.

Mme Anne Guerrero. - Chaque entreprise met en oeuvre des moyens parfois imaginatifs pour mettre en oeuvre puis gérer les mesures compensatoires ainsi que garantir leur efficacité. Cela représente un travail significatif de la part de nos organisations, à qui cela pose beaucoup de questions. La compensation représente pour nous un projet à part entière au sein du projet global. C'est d'ailleurs une condition si l'on veut mettre en oeuvre un véritable projet de biodiversité et pas seulement juxtaposer des mesures de compensation très parcellisées. La compensation est très contextualisée et les mesures mises en oeuvre pour un projet sont différentes à chaque fois mais il existe tout de même des constantes. Il s'agit des problèmes de maîtrise du foncier, de pérennité des structures, d'évolution de la nature et des concepts portés par les naturalistes ou d'évolution des acteurs et des parties prenantes. Tout cela doit être intégré à un instant donné. On teste pour cela des réponses différentes comme le « tout acquisition » que l'on oppose à la solution mixte « acquisition - conventionnement » ou le recours à un opérateur unique en opposition à la coordination de différents opérateurs. En dépit de certains retours d'expérience, nous expérimentons en réalité encore beaucoup au profit de l'ensemble de la communauté.

Nous tentons d'anticiper de plus en plus les enjeux de biodiversité dans la conduite de nos projets. Cela prend la forme d'inventaires de plus en plus précis et complets. Ils sont réalisés plus tôt et poursuivis sur toute la durée du projet, voire de l'opération. Beaucoup d'accords sont passés avec les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) pour constituer des réserves de foncier afin de sécuriser les besoins en terres dont sont tributaires les mesures compensatoires afin que leur mise en oeuvre intervienne dans les délais requis. Beaucoup de dialogues, de concertations et de partenariats avec l'ensemble des parties prenantes sont organisés le plus tôt possible, qu'il s'agisse des associations naturalistes, de la profession agricole, des fédérations de chasse ou des parcs naturels.

Nous nous demandons finalement si nos organisations sont les plus compétentes en la matière même si nous disposons tous d'experts sur ces sujets-là. Des géographes, écologues, juristes, généralistes de l'environnement nous conseillent et font de la veille afin de capitaliser de l'information. La veille porte notamment sur les évolutions réglementaires fréquentes. Nous disposons donc de certaines compétences mais l'application de la séquence ERC en nécessite de nombreuses. Il convient de réussir à faire travailler de concert des spécialistes en ingénierie écologique, en génie écologique, en agronomie, en ingénierie foncière et en ingénierie financière. Ce n'est pas forcément simple en termes de coordination.

Se pose donc pour nous la question stratégique des compétences à internaliser ou externaliser en matière de mesures compensatoires. La réponse n'est pas encore tranchée et nous y réfléchissons beaucoup. Être en club est, en cela un avantage.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quelles sont, aujourd'hui, les principales conséquences de la fragmentation ?

M. Joachim Lémeri . - La fragmentation est l'enjeu numéro un en ce qui concerne les infrastructures linéaires de transports. Les chiffres le montrent. Je ne les ai pas forcément en tête mais des articles récents traitent du sujet. Cela passe par les collisions avec les spécimens mais principalement par de la fragmentation à proprement parler qui a pour conséquence de créer des isolats de population végétale ou animale de part et d'autre d'une emprise. Il existe cependant des nuances comme le montre le projet de la thèse Copafaune.

Mme Anne Guerrero. - Les gaziers et les électriciens ne sont pas confrontés au même effet que les infrastructures de transport de personnes ou de marchandises. Car les réseaux ferroviaires, routiers et autoroutiers ont un véritable effet fragmentant sur les populations. Beaucoup d'écrits ont porté sur ce phénomène, c'est la raison pour laquelle la revue systématique ne porte pas sur ce sujet. Des solutions existent puisqu'il est possible d'aménager des passages pour la grande faune ou d'autres ouvrages pouvant contribuer à la transparence des infrastructures. Une distinction est faite entre les surfaces imperméabilisées sur lesquelles il y a un trafic important et les infrastructures avec un trafic plus séquentiel et du ballast, comme les voies ferrées, qui laissent passer la microfaune. Nous avons financé deux projets de recherche sur le sujet pour savoir quels types de faune étaient touchés par cet effet. La thèse Copafaune déjà évoquée portait sur un ouvrage autoroutier et un ouvrage ferroviaire et s'est basée sur des méthodes génétiques pour voir si, au bout de 20 ans d'exploitation, il existait des différences génétiques entre les populations de part et d'autre de l'ouvrage. Les conclusions de ce travail peuvent être interprétées dans un sens qui exclurait un effet de barrière au profit d'un effet de filtre pour ces ouvrages. Ces travaux ne portant que sur les tritons, nous avons eu l'envie de les développer de manière plus large au sein du projet TRANSFER. Ce projet du MNHN a porté sur un nombre large d'espèces et a conforté les conclusions de la thèse Copafaune en ce qui concerne les infrastructures ferroviaires qui ne sembleraient pas constituer une véritable barrière pour un grand nombre d'espèces qui les traversent. Le cas des lignes clôturées est, il est vrai, encore un cas particulier.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Soit il existe un effet de barrière dont il convient de tenir compte, soit il n'y en a pas et les enjeux majeurs pour la biodiversité se trouvent ailleurs. S'il s'agit du principal problème, nous ne devons pas tant nous concentrer sur les nouvelles infrastructures que sur le stock existant. Qu'avez-vous prévu pour le stock ?

M. Joachim Lémeri . - La fragmentation se gère essentiellement par des mesures de réduction adaptées à l'ouvrage. Certaines clôtures participent de ce phénomène mais permettent également de maintenir des continuités écologiques. Il existe peu d'actions de compensation quant à cet impact. L'infrastructure ne doit pas être considérée individuellement à un instant donné, mais au sein d'un système et sur le long terme car cet écosystème génère également des effets divers qui sont indissociables de celui propre à l'emprise. C'est l'ensemble qui doit être apprécié.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Faut-il intervenir sur le stock d'anciennes infrastructures ? Selon quelle stratégie ?

M. Jean-François Lesigne . - Le club n'a pas vocation à établir une stratégie pour les entreprises membres. Il est vrai que la question est souvent revenue : à quoi bon s'occuper des 200 kilomètres de ligne électrique que l'on construit et pas aux 100 000 kilomètres de ligne existantes ? Nous savons qu'il existe 400 000 hectares sous les lignes existantes sous lesquels il est possible d'entreprendre. Nous avons, jusqu'alors géré la végétation pour des problèmes techniques. Nous pouvons la gérer pour des problèmes de biodiversité si la collectivité le souhaite.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Partant de l'idée que cette fragmentation est un vrai problème, êtes-vous d'accord sur le fait qu'il ne faut pas ajouter de clôtures là où il n'y en a pas sur les lignes ferroviaires, quitte à en assumer les conséquences ? Intégrez-vous ces risques ?

Mme Anne Guerrero . - Nous les intégrons mais il est difficile d'avoir une stratégie globale. Nous avons des besoins de sécurité clairement identifiés et il serait difficilement audible par nos concitoyens que nous écartions la pose de clôtures pour favoriser la biodiversité au détriment de la sécurité des êtres humains. Nous ne pouvons pas prendre en compte les seuls intérêts naturalistes et devons tenir compte de l'ensemble des acteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La majeure partie de la problématique liée à la fragmentation est-elle liée à cette nécessité de clôturer les infrastructures ferroviaires ? S'agit-il d'un point que vous avez identifié et pour lequel une compensation adéquate est mise en oeuvre ?

Mme Anne Guerrero. - Sur le total du linéaire de voies ferrées qui représente 30 000 kilomètres de lignes en France, la partie clôturée est très faible. Elle ne concerne pratiquement que les LGV, soit 2 000 à 2 500 kilomètres de linéaire. Pour le reste, les clôtures ne sont présentes que dans les zones à forte concentration de gibier. Le réseau existant est donc en grande partie perméable car il n'est pas clôturé mais il ne dispose pas de passages spécifiques pour la faune. Les LGV sont, elles, beaucoup plus récentes, beaucoup moins transparentes, mais dotées de passages pour la faune. Une étude au cas par cas est donc encore nécessaire. Il n'existe pas de solution globale et la recherche doit continuer à progresser car, ne disposant pas de la connaissance, nous nous basons sur les travaux de nos collègues chercheurs pour déterminer nos actions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous rappelle que toute pièce écrite complémentaire sera la bienvenue. La question des corridors créés par les infrastructures linéaires semble complexe. Le monde agricole parait, d'ailleurs, s'en plaindre à cause des lapins et des sangliers qui ravagent les cultures. Le gain en biodiversité semble donc réduit. Possédez-vous des études scientifiques sur cet aspect ?

M. Jean-François Lesigne. - Les études générales sont celles que nous avons évoquées par le biais de l'appel à projets. Nous disposons, aujourd'hui, des inventaires effectués par le Muséum qui ont mis en évidence la rareté des espaces ouverts sauvages à cause du pastoralisme. Or, du fait de la nature de nos infrastructures, nous avons comme contrainte de laisser ouverts les espaces qui deviennent utiles à tout un cortège de faune et de flore pour qui ils sont rares. Ce phénomène est très caractérisé en Ile-de-France alors qu'il est moins vrai ailleurs. L'IRSTEA l'a aussi confirmé pour de grandes plaines agricoles ou en région Aquitaine. La connaissance n'est cependant pas complètement aboutie. Il faut continuer à chercher pour savoir à quel point doit être pris en compte cet effet positif.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je souhaiterais que vous précisiez vos propos concernant la DUP et l'étude d'impact. Je crois comprendre que vous souhaitez que les espaces clé de compensation soient compris dans la DUP pour prévenir toute difficulté foncière. Vous avez moins abordé le rôle de l'étude d'impact et de l'enquête publique. Il pourrait être intéressant que les inventaires et la réflexion autour de la compensation interviennent dès ce moment-là pour ne pas avoir à les réaliser ou à les compléter après. Êtes-vous d'accord avec le principe ?

Mme Laetitia Mahenc. - En tant qu'aménageur gazier, il me semble que c'est déjà le cas puisque dès l'étude d'impact il nous est demandé de certifier que nous avons sécurisé notre espace de compensation. Cela nous engage à avoir réalisé nos inventaires auparavant et avoir échangé avec les administrations pour définir la nature et l'emplacement des mesures de compensation à mettre en place.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La loi vous convient-elle en l'état ? Ce n'est pas forcément le sentiment que nous avions.

M. Joachim Lémeri. - Pour compléter le propos de Laetitia Mahenc, nous avons, de manière certaine, des inventaires de plus en plus détaillés au stade de l'étude d'impact. La grande stratégie de compensation peut-être évoquée au niveau de l'étude d'impact mais les grands projets d'infrastructures requièrent, à ce niveau, un temps de gestation plus long. Bien après l'étude d'impact, un affinage technique va être nécessaire, notamment au regard des procédures relatives à la loi sur l'eau ou aux espèces protégées qui ont lieu quelques mois ou années plus tard.

Il pourrait cependant être intéressant, dès l'étude d'impact, de définir une stratégie de compensation et déterminer des sites clés ou se situant à proximité de l'emprise, mais cela restera plus compliqué pour les grands projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Certains projets que nous analysons sont particulièrement contestés. Leur blocage pendant plusieurs années est un vrai risque pour les financiers. Nous avons malgré tout l'impression que les débats qui ont lieu au moment des arrêtés relatifs à la loi sur l'eau ou aux espèces protégées arrivent trop tard. Ne faut-il pas les avancer au moment de l'étude d'impact ou de l'enquête publique ?

M. Joachim Lémeri. - Ils pourraient effectivement intervenir plus tôt, pas seulement à l'échelle du projet mais à une échelle territoriale. Au niveau des plans-programmes par exemple. Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou les plans locaux d'urbanismes (PLU) pourraient prévoir des contenus plus précis sur l'anticipation de la séquence ERC. Pour le moment, nous ne le voyons pas beaucoup, voire pas du tout !

La réforme en cours qui introduit l'autorisation environnementale unique vise à faire plus et plus tôt. Le rapport Duport précédant ce dispositif spécifiait que les choses étaient un peu plus complexes pour les grands projets de LGV et d'autoroute du fait des temps de gestation allongés que j'évoquais.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourriez-vous nous le préciser par écrit ? J'étais plutôt surpris de vous entendre favorable au transfert de la compensation à un tiers. Plusieurs maîtres d'ouvrage ont affirmé en audition souhaiter garder la maîtrise puisqu'ils sont soumis à une obligation de résultat. Vous ne souhaiteriez donc pas garder la main sur votre stratégie de compensation ?

M. Jean-François Lesigne . - Notre proposition n'est pas formulée à droit constant et sous-entend que l'on transfère la responsabilité de la compensation à la collectivité publique qui la met en oeuvre selon ses projets et son esprit. Il faudrait un architecte avec une vision globale et qui analyserait dans le détail les mesures avant qu'un opérateur ne les mette en place. Il serait, dans ce cas de figure, difficile de transférer la maîtrise des mesures de compensation sans transférer la responsabilité qui est attachée à leur réussite.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Transférez-vous également à l'opérateur une enveloppe financière suffisamment conséquente pour couvrir le risque d'échec face à l'obligation de résultat ? Comment chiffrer ce transfert ?

M. Joachim Lémeri . - Cela revient à se calquer sur le modèle de l'aménagement foncier agricole et forestier (AFAF) où il existe également des risques, notamment liés à la biodiversité. Nous sommes conscients qu'il existe des risques qui devraient être supportés par l'opérateur mais n'avons pas forcément une idée détaillée de comment régler le problème.

Mme Anne Guerrero . - Je ne pense pas qu'il existe une méthode unique. L'importance et la complexité de certaines compensations nécessitent de faire appel à plusieurs types de méthode, de structures, de processus et de solutions.

M. Alain Vasselle . - Est-ce que, dans le cadre des études qui ont été menées sur l'effet « corridor » des infrastructures, on n'a pas oublié de prendre contact avec les personnes de terrain comme les agriculteurs ou les chasseurs ? Ces gens-là connaissent les couloirs de circulation des animaux. S'il est vrai que les infrastructures génèrent des espaces ouverts, il y a un pas à considérer que ce sont ces espaces qui déterminent la position de certains types d'espèces. J'ai constaté, sur mon territoire, que l'autoroute A16 a été une véritable barrière pour la grande faune, malgré les passages aménagés le long de l'infrastructure. Nous avons aujourd'hui de fortes concentrations d'animaux qui ne peuvent pas traverser et qui provoquent des dégâts.

Les nouvelles contraintes générées par la loi sur la biodiversité entrainent des surcoûts pour ceux qui réalisent et exploitent les ouvrages. Peut-on le chiffrer ? De combien est-il, le cas échéant ? Quelles seront les conséquences pour l'usager car c'est lui qui, au bout du compte, paie l'addition ?

M. Rémy Pointereau . - Pour avoir vécu un débat public sur le sujet, il semble parfois que SNCF Réseau possède un avis assez net sur le choix final du tracé qui sera retenu alors que le débat public n'est pas forcément terminé. Le tracé retenu semble être le moins coûteux et le plus rentable, mais pas forcément le plus pertinent en matière d'aménagement du territoire. Essaie-t-on, tout de même, d'aller vers le tracé le moins impactant pour la biodiversité ou les surfaces agricoles ? S'appuie-t-on sur des ouvrages déjà existants pour minimiser les contraintes nouvelles, malgré les délaissés créés par les deltas de rayons de courbure entre certains types d'ouvrages? Ces délaissés ne peuvent-ils d'ailleurs pas être mis à profit en matière de biodiversité ?

Existe-t-il de la souplesse dans l'appréciation du critère de proximité de la compensation ? Car trouver des zones adéquates à côté de l'emprise n'est pas toujours simple.

L'idée de corridor écologique ne risque-t-elle pas de porter atteinte aux terres agricoles ?

La mise sous cloche de la biodiversité existante a un coût très important car la mise en oeuvre de la compensation présente un risque d'échec. Avez-vous néanmoins constaté des retours spontanés de biodiversité au voisinage des infrastructures ?

M. Jérôme Bignon . - Monsieur Vasselle a évoqué les nouvelles contraintes issues de la loi biodiversité d'août dernier, mais la séquence ERC existe depuis bien plus longtemps. Il serait donc intéressant d'analyser les contraintes spécialement issues de cette loi et les réponses que vous comptez y associer.

Je vis dans les Hauts-de-France qui est une région qui comporte énormément de friches dont doit douloureusement s'accommoder la population. Il est particulièrement triste que la compensation se fasse souvent au détriment de bonnes terres agricoles dont le volume diminue alors que ces friches existent. Lorsque le territoire aura été de plus en plus artificialisé, comment fera-t-on pour conserver la richesse et la capacité de production de notre agriculture et, in fine , de notre industrie agroalimentaire ? Plus d'imagination serait nécessaire pour trouver des solutions.

M. Jean-François Longeot, président . - Vous ne disposez que de peu de temps pour répondre mais pourrez nous transmettre tout complément écrit que vous jugerez nécessaire.

Mme Anne Guerrero . - Sur les connaissances de la biodiversité que peuvent avoir les acteurs locaux, je précise que nous y avons bien recours. Un partenariat nous lie à France Nature Environnement (FNE) et a fait l'objet d'un guide qui vous a été remis. Il nous a permis de bien comprendre nos contraintes respectives et de formaliser et structurer nos points de rendez-vous avec les associations naturalistes. Car, seul un repérage administratif des zones sensibles prend place en amont des projets. Il n'existe pas de données « terrain » et nous devons faire appel aux associations naturalistes, aux agriculteurs et aux autres acteurs locaux pour les obtenir, s'ils souhaitent coopérer. Or, ce n'est pas toujours le cas. Un partenariat a récemment été mis en place avec la profession agricole pour faciliter la prise de contact de nos structures régionales avec les agriculteurs. Dans le même ordre d'idée, je vous dévoile aujourd'hui qu'un partenariat de même type va bientôt être signé avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). L'ensemble de ces éléments construit une collaboration forte et concrète qui ne se limite pas aux seuls points de rendez-vous légaux et administratifs.

En ce qui concerne la question posée sur les scénarii qui seraient écrits à l'avance pour les tracés, je vois à quel projet vous faites référence. Il y a quand même eu un débat public qui est, par nature, un débat d'opportunité au moment duquel nous sommes très loin d'avoir fixé des tracés. Nous ne disposons que de scénarii de passage. Ce projet était par nature du domaine de l'aménagement du territoire puisqu'il avait vocation à desservir les territoires concernés sans se contenter de relier deux grandes villes. Les analyses multicritères ne se focalisent pas seulement sur la biodiversité mais également sur les hommes. Cela passe par des domaines aussi variés que les nuisances acoustiques, les risques pour le tissu économique ou le tissu agricole. Le débat public a pour but de faire débattre l'ensemble des parties-prenantes afin d'aboutir à un équilibre entre les impacts locaux et l'utilité publique.

Une réponse sur le jumelage vous sera envoyée par écrit car le sujet est très vaste.

M. Jean-François Lesigne. - D'un point de vue économique, les principaux coûts de maintenance d'une ligne électrique résident dans le gyrobroyage des arbres sur les 20 % du territoire recouverts de forêt ou de zones naturelles. La présence de surfaces agricoles est donc intéressante puisque cette opération n'a plus lieu d'être. Cela évite aussi, pour la biodiversité, que les milieux s'ouvrent puis ne se referment au rythme des défrichages. Nous avons mis en place des projets pour la biodiversité, avec les acteurs locaux. Nous disposons de partenariats avec les parcs ou avec les fédérations de chasse qui se réapproprient ces espaces. Ils bénéficient des fonds initialement destinés au gyrobroyage pour mettre en place de nouveaux aménagements. Nous avons testé ces programmes en collaboration avec notre homologue belge Elia et avons constaté que s'il existe bien un coût d'investissement pour transformer les espaces, leurs coûts de maintenance sont néanmoins beaucoup plus faibles une fois réaménagés. Nous pouvons amortir ces dispositifs sur des durées comprises entre 6 et 20 ans alors que notre activité s'inscrit dans un temps beaucoup plus long. Cela vaut donc le coup, sous réserve de trouver des acteurs locaux dynamiques qui ont envie de reprendre possession de l'espace.

Le réaménagement des friches nécessite de sortir d'une logique de compensation surfacique car la réhabilitation des friches est très coûteuse si on la rapporte aux surfaces en jeu, ce qui décourage les acteurs. Il faudrait donc passer à une méthode de compensation qualitative basée sur l'amélioration d'une batterie de critères déterminés.

Mme Laetitia Mahenc . - Pour répondre à la question sur la possible flexibilité du critère de proximité des mesures de compensation, nous y serions favorables pour plusieurs raisons. Cela participerait d'une logique de se placer dans le cadre de schémas territoriaux globaux préservant la biodiversité. Cela résoudrait aussi nos problèmes de sécurisation foncière. Nos administrations de tutelle nous demandent de compenser au plus près de l'emprise mais le respect de cette exigence est subordonnée à la disponibilité du foncier et au fait que les mesures que nous comptons y mettre en place soient validées. Nous serions donc ouverts à plus de souplesse dans l'appréciation de la proximité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'ajoute cette question à laquelle, faute de temps, je souhaiterais que vous répondiez par écrit. Nous souhaitons savoir quelle part du financement d'un projet peut être raisonnablement dédiée à la séquence ERC du point de vue des aménageurs. Nous avons entendu des pourcentages allant de 2 à 10 %. Rapportés à des projets de plusieurs milliards d'euros, cela aboutit à des sommes très importantes. Seriez-vous favorables à ce que les mesures de compensation soient extraites des coûts globaux des projets, du fait de leur intérêt public, pour faire l'objet d'une présentation détaillée ? Nous avons, en effet, aujourd'hui beaucoup de mal à connaître les sommes réelles qui sont affectées aux mesures de compensation par les grands maîtres d'ouvrage.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie pour vos réponses.

Audition de M. François Pinte, premier vice-président, et Mme Estelle Sandré-Chardonnal, directrice générale en charge des transports et de l'environnement, du conseil régional des Pays de la Loire
(mercredi 15 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, pour notre dernière audition de la journée, nous nous concentrons à nouveau sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Nous recevons en effet M. François Pinte, premier vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, ainsi que Mme Estelle Sandré-Chardonnal, directrice générale adjointe au conseil régional en charge des transports et de l'environnement. Je vous rappelle d'ailleurs que nous nous rendrons sur place le vendredi 17 février prochain et que nous aurons à nouveau l'occasion d'échanger avec les élus locaux au cours d'une table ronde. Nous entendrons également ici, à Paris, un représentant de Nantes Métropole le 1 er mars prochain. Je rappelle que notre objectif est de décrypter les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures, et de proposer des solutions pour y remédier. Je rappelle également, nous l'avons dit à plusieurs reprises : notre travail est entièrement centré sur la question des mesures compensatoires. La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Pinte et Mme Estelle Sandré-Chardonnal prêtent successivement serment.

Monsieur, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Pouvez-vous nous indiquer tout d'abord les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

M. François Pinte, premier vice-président du conseil régional des Pays de la Loire . - Je veux juste préciser que je suis salarié d'une entreprise de ressources humaines qui délègue ou qui a pu déléguer du personnel intérimaire aux grands donneurs d'ordre de travaux publics concernés par l'A65 ou la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, puisqu'elle est référencée chez ces entreprises. Travaux qui, je le précise, sont sous la maitrise d'ouvrage exclusive de l'État. En revanche, je n'ai aucun lien d'intérêt personnel avec ces projets.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous cède la parole.

M. François Pinte . - Vous avez souhaité que la région des Pays de la Loire soit auditionnée dans le cadre de la commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Vous m'avez adressé, avant cette audition, un certain nombre de questions auxquelles je vais m'efforcer de répondre. Je veux en introduction, préciser que la collectivité des Pays de la Loire, qui est membre du syndicat mixte aéroportuaire du Grand-Ouest (SMA), souscrit totalement aux déclarations qui ont pu être faites par son secrétaire général. Les membres du SMA ont une même position, quelle que soit leur couleur politique. Pour rappel, l'ensemble des collectivités représentées et leur exécutif respectif ont été élues sur un soutien transparent au projet de Notre-Dame des Landes. Le projet a reçu par ailleurs un soutien encore plus clair à l'occasion de la consultation populaire du 27 juin 2016, qui a abouti à 55 % pour le oui avec une participation supérieure à la participation aux élections locales traditionnelles. La région des Pays de la Loire constitue la principale collectivité financeur du SMA avec 40,5 millions d'euros sur les 115,5 millions d'euros prévus ; le solde étant assuré par la région Bretagne, Nantes Métropole, le Conseil départemental de Loire-Atlantique, les agglomérations de Saint-Nazaire et de la Baule. Les représentants du SMA ont pu préciser, à l'occasion de leur audition, notre vision commune de la démarche éviter, réduire, compenser (ERC) sur le projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. J'y reviendrai dans quelques instants.

Je souhaite préciser le rôle de la région dans la mise en oeuvre de la séquence ERC. Comme vous le savez, pour les projets d'infrastructures routières, ferroviaires et aéroportuaires, ce sont les maîtres d'ouvrage qui sont chargés de réaliser une étude d'impact et de travailler sur la séquence éviter-réduire-compenser liée à leur projet. L'État a la responsabilité d'instruire dans le cadre de ses procédures réglementaires - loi sur l'eau, dérogations espèces protégées, autorisation de défrichement - les demandes d'autorisation ou de dérogation déposées par les porteurs de projet, et de déterminer dans ce cadre si la séquence ERC a correctement été déclinée. C'est l'État qui délivre ces autorisations. Réglementairement, la région n'est donc pas associée à cette procédure d'instruction des projets. Nous pouvons par contre y être associés dans le cadre de structures porteuses dont nous sommes membres - comme le SMA ou le conseil d'administration du Grand port maritime. Nous sommes également associés pour donner un avis sur cette séquence ERC au travers des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), où nous siégeons et qui donnent des avis sur les projets ayant un impact sur l'eau ou sur les zones humides. Cela a été le cas pour le projet de Notre-Dame-des-Landes, où le SAGE Estuaire de la Loire a donné un avis au titre de la loi sur l'eau. Plus globalement, la région possède des compétences en matière de biodiversité et d'environnement. Ainsi, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) nous a confié un rôle de chef de file en matière de biodiversité. Nous avons également co-élaboré avec l'État entre 2010 et 2015 un schéma régional de cohérence écologique (SRCE). Ce schéma arrêté par le Préfet en octobre 2015, comporte un diagnostic des enjeux liés aux continuités écologiques et l'identification d'une trame verte et bleue à l'échelle régionale. Il s'agit d'un outil d'aménagement durable du territoire pour contribuer à un état de conservation favorable des habitats naturels et au bon état des cours d'eau. Les documents de planification comme les schémas de cohérence territoriale (SCoT) ou les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les projets de l'État et des collectivités territoriales doivent prendre en compte les SRCE. La séquence ERC doit être mise en oeuvre par les maîtres d'ouvrage en prenant en compte cette trame verte et bleue inventoriée dans le SRCE, en veillant à éviter, réduire et compenser toute atteinte à ces continuités écologiques. Ainsi, la région intervient-elle en amont pour définir le cadre et les outils qui permettent, à l'échelle régionale, de travailler sur la séquence ERC projet par projet. Ce SRCE sera d'ailleurs intégré dans le futur schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) que la région va élaborer d'ici mi-2019.

La région, au travers de ses services et de ses élus, dispose de compétences techniques sur la protection de l'environnement et sur la séquence ERC. Nous échangeons régulièrement avec les services déconcentrés de l'État, en particulier de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), sur les sujets relatifs à l'eau, à la biodiversité et aux déchets. Nous avons également développé des partenariats dans le domaine de la protection de la biodiversité, qui nous permettent de favoriser des actions exemplaires et de sensibiliser aux enjeux environnementaux. C'est le cas par exemple de notre partenariat avec le Conservatoire des espaces naturels dont nous avons soutenu l'émergence et dont nous sommes membre. Cette association est sollicitée par l'État ou des maîtres d'ouvrage pour devenir gestionnaire de mesures compensatoires, suite à des aménagements.

Vous me demandez si les collectivités territoriales ont une bonne connaissance de la séquence ERC. Il est difficile de répondre précisément à cette question. Il est probable qu'une région, un département, une agglomération, une intercommunalité ou une commune rurale n'ont pas la même connaissance de cette séquence. Cela dépendra de la taille de la collectivité - dispose-t-elle d'un service avec des ingénieurs spécialisés ? - ainsi que de son vécu : une collectivité qui porte de nombreux projets de développement économiques ou d'aménagement du territoire à toutes les chances de connaitre cette séquence ERC, qu'elle a eu le temps de s'approprier lors de l'émergence d'un projet. Ce vécu introduit un décalage avec des collectivités notamment rurales où les projets sont peu nombreux et certainement moins impactants sur la biodiversité.

Ensuite, sur le cas plus précis du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui intéresse votre commission d'enquête, je souhaite vous apporter des éléments plus précis sur la manière dont la séquence ERC a été travaillée. Nous y avons été étroitement associés dans le cadre du SMA. La région a été en permanence associée, tant par la DREAL que par AGO, à la mise en place de cette séquence ERC. Chaque mois, une revue mensuelle de projet réunit les services de l'État, le maître d'ouvrage et le syndicat mixte, afin de suivre l'ensemble des sujets y compris sur la biodiversité et l'environnement. Il existe de plus un comité de suivi des engagements de l'État et des collectivités territoriales qui associe les élus et qui a pour mission de suivre la méthode de compensation. En outre, la région a toujours veillé à ce que le sujet de la biodiversité et des compensations soient bien pris en compte. D'ailleurs, sur le projet de Notre-Dame-des-Landes, la méthode choisie présente un caractère précurseur, en proposant une compensation fonctionnelle plutôt que surfacique, en privilégiant ainsi la qualité de la fonctionnalité à la compensation par hectares, beaucoup plus impactante pour le monde agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Excusez-moi, mais nous sommes assez étonnés par ce que vous venez de nous dire, puisque le syndicat mixte, que nous avons auditionné, nous a plutôt indiqué qu'il n'était pas associé sur ces questions de compensation de biodiversité qui relèvent, selon lui, de la responsabilité d'AGO. Pouvez-vous nous donner des éléments concrets sur cette association ?

M. François Pinte . - Nous ne sommes pas associés dans la définition, mais dans le suivi. C'est ce qui a fait l'objet de ces revues mensuelles du projet. Cette démarche est avant tout d'ordre informatif et il y a des échanges.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ainsi, sur la compensation de la biodiversité, avez-vous eu des éléments tangibles et réguliers ?

M. François Pinte . - En effet, via le syndicat.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous nous en donner des exemples ?

M. François Pinte .- Nous vous en fournirons par écrit, car je n'ai pas moi-même siégé dans cette commission.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - C'est la responsabilité du maître d'ouvrage que d'étudier la séquence ERC et de proposer les mesures compensatoires. Ce n'est pas à la région de proposer ces mesures. Ce qu'a voulu dire le SMA, c'est que nous sommes associés à des revues mensuelles de projets qui permettent de suivre l'information qui doit être mis en place. Nous avons ainsi suivi le fait que le maître d'ouvrage compte mettre en place telles mesures compensatoires sur tant d'hectares et à tel endroit. Telles sont les informations que nous recevons. Il nous faut être vigilant quant à la juste définition des mesures proposées et à l'éventuel accord du maître d'ouvrage.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le SMA nous a transmis de nombreux éléments, comme le nombre de mares concernées. Vous n'avez pas émis d'avis sur la pertinence des mesures de compensation au niveau du SMA ? Les collectivités n'ont pas demandé un avis quant à la pertinence des mesures de compensation ?

M. François Pinte . - Formel ou réglementaire, non. Mais il y a eu des échanges. Sur la démarche elle-même et la perception de son respect, je pense qu'il est inutile que je revienne sur les deux premiers points « éviter » et « réduire » qui ont été largement détaillés par les représentants du syndicat mixte. Je me concentrerai donc sur la compensation. Nous considérons donc que l'étape « compenser » est bien engagée même si elle n'est évidemment pas achevée. Dès le débat public fin 2002 début 2003, un certain nombre de travaux, notamment sur le plan environnemental, ont été lancés avec la mise en place d'un plan de gestion agro-environnementale visant à apporter une réponse cohérente et transversale aux enjeux environnementaux et agricoles à travers les mesures liées à la compensation des zones humides et des espèces protégées. Ce plan a été validé le 3 juillet 2006 en comité de pilotage. D'ailleurs la commission d'enquête publique, qui a donné un avis favorable le 13 avril 2007, a proposé quatre recommandations dont la création d'un observatoire unique de l'environnement. Nous avons bien évidemment été extrêmement soucieux que le projet soit en phase avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne approuvé le 18 novembre 2009, du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Vilaine, approuvé le 1 er avril 2003, et de l'Estuaire de la Loire, approuvé le 9 septembre 2009, qui en découlent. Ces schémas recommandent d'ailleurs la méthode fonctionnelle plutôt que surfacique et expliquent, en grande partie, les choix faits par les deux maîtres d'ouvrage, qui sont aussi en phase avec la profession agricole qui demande à ce que la perte de surface soit la plus faible possible. La réalisation des mesures compensatoires par contractualisation répond ainsi à sa demande de concilier environnement et exploitation agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur la méthode surfacique, qui est au coeur de notre sujet, le syndicat mixte a-t-il reçu des études scientifiques la validant ? Avez-vous été associés à ce niveau-là et avez-vous reçu des études supplémentaires expliquant l'usage même de cette méthode ?

M. François Pinte . - Nous avons une connaissance des expertises qui ont été conduites, mais non de celles qui ont conduit à opérer un tel choix.

Je voudrais à présent rappeler quelques dates clés qui ont jalonné ce parcours, à commencer par deux courriers en 2006 versés au dossier d'enquête publique ; l'un du ministre des transports confirmant « que la conception du tracé de l'infrastructure routière a permis de minimiser les impacts sur le territoire concerné, notamment sur l'habitat d'intérêt communautaire » , l'autre du ministre de l'écologie « rappelant que le traitement des impacts sur la faune et la flore s'est amélioré tout au long de l'élaboration du projet avec des études sérieuses et des propositions intéressantes » . Ensuite, je rappellerai le principe de compensation fonctionnelle, dont la méthodologie s'est concrétisée par un courrier de la ministre en charge de l'environnement en décembre 2011 ainsi que l'instruction des dossiers « loi sur l'eau », qui ont donné lieu à un avis favorable des commission locale de l'eau (CLE) des SAGE Vilaine et Estuaire, avant l'enquête publique, qui s'est tenue de juin à août 2012, et qui a donné lieu à un avis favorable de la commission d'enquête assorti de deux réserves : la définition d'un cadre juridique technique et financier avec la profession agricole et la mise en place d'une expertise scientifique sur la méthode de compensation. Cette commission du dialogue a ensuite donné lieu à l'installation d'un comité d'experts scientifiques qui a analysé la méthode de compensation sur les zones humides des maitres d'ouvrage et a émis douze réserves à prendre en compte. Ces réserves ont été instruites par la direction des territoires et de la mer et ont permis des garanties supplémentaires dans les projets d'arrêtés qui ont été présentés au comité départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) en novembre 2013, qui a lui-même émis un avis favorable suite à ces compléments.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce point est aussi important. La commission scientifique, que nous avons auditionnée, n'a jamais été réunie une seconde fois après avoir exprimé ses réserves. Je rappelle que cette commission scientifique devait apporter sa caution à la méthode de compensation choisie, qui n'est pas surfacique. Si l'État a répondu à ces douze réserves, la commission n'a jamais été réunie de nouveau. En outre, son président, auditionné, s'est exprimé à titre personnel - puisqu'il ne peut le faire au titre d'une commission qui ne se réunit plus -, ne cautionnait toujours pas la réponse de l'État à ces douze réserves. Comme politique, ne trouvez-vous pas étonnant que sur un tel dossier, qui génère autant de crispations sur notre territoire, la commission scientifique n'ait pas été convoquée à nouveau, afin d'obtenir une caution scientifique au moins formelle ?

M. François Pinte . - Suite aux arrêtés qui ont tous été attaqués en justice, c'est la justice qui a souligné que ces réserves avaient été bien traduites dans les arrêtés pris par la suite. Il ne m'appartient pas de juger si l'État devait réunir à nouveau le comité scientifique. L'État est dans son rôle de prendre en compte les éléments qui sortent de ces comités scientifiques dans ses arrêtés qui n'ont pas été remis en cause par la justice.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Afin d'être clair, le maître d'ouvrage ou l'État, dans le cadre du SMA qui accueille également les collectivités territoriales, a-t-il évoqué l'idée de convoquer à nouveau la commission scientifique ? C'est un point factuel précis. L'État ne vous a-t-il pas demandé, en tant que collectivité, si vous souhaitiez qu'une telle caution soit apportée ?

M. François Pinte . - À ma connaissance, non. Il est important de rappeler que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a donné un avis favorable le 5 juillet 2012 et qu'un protocole sur la réalisation des mesures compensatoires a été conclu le 23 décembre 2013 entre l'État, AGO et la chambre d'agriculture. La chambre d'agriculture a également conclu un protocole avec la profession en 2008 permettant d'accompagner la relocalisation des exploitants. Grâce à ce protocole, plus d'une trentaine d'exploitants sur quarante concernés directement, soit 80 %, ont accepté une relocalisation ou une éviction à l'amiable. Je rappelle également que la profession agricole a été largement associée à la mise en place d'un périmètre de protection des espaces agricoles naturels (PPEAN) de 17 000 hectares entre l'agglomération nantaise et le site de l'aéroport. Cela représente trois fois la ville de Nantes et plus de cent fois la surface artificialisée de l'aéroport. Enfin, la Commission européenne s'est prononcée favorablement sur ce dossier le 13 septembre 2013 lors de la commission des pétitions où le représentant de la direction générale de l'environnement a confirmé la conformité du projet avec le droit européen en déclarant. Je cite : « La commission a fondé son avis en constatant tant sur la loi sur l'eau, sur les directives habitat ou sur les espèces protégées, qu'aucune infraction de l'État français n'avait été constatée (...) Elle a fondé sa décision sur le respect des législations réglementaires européennes et une évaluation jugée satisfaisante des mesures de compensation (...) Le site, situé en dehors de toute zone Natura 2000, abrite des espèces protégées mais qui sont présentes dans beaucoup d'autres endroits en France. Ces espèces seront déplacées avant les travaux qui ne porteront donc pas atteinte à leur survie ».

Pour la région, ce parcours règlementaire et judiciaire que je viens d'évoquer est absolument essentiel et a aussi renforcé notre conviction que ce projet était bien sûr important pour le développement de nos territoires, indispensable sur le plan de l'environnement, mais aussi parfaitement conforme aux règles en vigueur tant sur le plan national qu'européen. Et d'ailleurs, l'ensemble des recours intentés par les opposants ont été rejetés, au premier rang desquels ceux sur les arrêtés relatifs à la loi sur l'eau et aux espèces protégées, tant par le tribunal administratif de Nantes le 17 juillet 2015 que par la Cour d'appel le 14 novembre 2016. Il a alors été souligné que l'impact était réel mais peu impactant sur la totalité des masses d'eau et que « le réaménagement de l'aéroport actuel ne constituait pas une solution alternative présentant un caractère avéré ainsi que l'exige le SDAGE et que ce transfert répondait bien à une raison impérative d'intérêt public majeur, sans alternative avérée, et que les mesures prises n'étaient pas de nature à nuire au maintien de chacune des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle qui s'apprécie aux échelles locales et supra-locales. » Pour la région, ces décisions de justice, qui sont au nombre total de 178 à ce jour, sont essentielles et fondent bien évidemment la parfaite légalité de ce projet. Il appartient au maître d'ouvrage de mettre en place ces mesures de compensation dont les suivis semestriels et annuels sont inscrits dans les arrêtés et centralisés par un observatoire environnemental. Un comité scientifique indépendant, crée en 2013, sera chargé d'expertiser les travaux et vous pouvez compter sur la région pour suivre de près ces mesures au sein du comité de suivi des engagements de l'État et des collectivités territoriales, dont je note d'ailleurs que les associations environnementales sont aussi membres.

Pour conclure, je souhaiterais dire un mot sur le démarrage des travaux car cela concerne également les compensations environnementales, puisque l'impossibilité d'accéder au site ne permet pas de confirmer la présence d'éventuelles nouvelles espèces et de les intégrer dans les procédures administratives qui existent pour de telles découvertes sans bloquer les travaux. Il faut d'abord rappeler que rien n'empêche à ce jour le début des travaux, si ce n'est le blocage de manière totalement illégale et violente du site. Ni sur le plan judiciaire, ni sur un plan environnemental. Je tiens à rappeler également que sur le périmètre de 1 239 hectares de la concession, 463 non aménagés pourront accueillir des compensations environnementales soit près de 40 % de la surface. Enfin, et c'est aussi un des éléments de la loi biodiversité de 2016, les mesures peuvent être mises en oeuvre sur des terrains n'appartenant pas au maître d'ouvrage, qui doit alors conclure des contrats avec les propriétaires, les locataires ou les exploitants. Il faut savoir, contrairement à ce que disent certains opposants, que des propriétaires et des exploitants sont d'accord pour dédier une partie de leurs terres à des compensations. Mais ils sont menacés par les occupants illégaux de la ZAD. Ces occupants, tout comme ils interdisent l'accès au site aux maitres d'ouvrages ou à leurs sous-traitants, dégradent les instruments de mesure comme les piézomètres, rebouchent les mares créées spécifiquement pour la compensation, pillent et saccagent les bureaux d'études chargés des mesures compensatoires, agressent les scientifiques comme ceux de l'université d'Angers le 29 avril 2015, et utilisent ainsi des méthodes sans foi ni loi pour que la règlementation environnementale ne soit pas appliquée. Dans un tel contexte où plus de deux cents exactions ont été commises sur la zone, où beaucoup de riverains, d'exploitants et d'habitants du secteur sont rackettés, où des routes départementales sont privatisées, où une voiture de gendarmerie a été brûlée, où un juge a été « caillassé » et a dû rebrousser chemin, il est évident que beaucoup d'exploitants qui souhaitent contribuer au projet et dédier une partie de leurs terres à ces compensations, attendront que le site soit libéré et que le projet soit irréversible pour se faire connaître officiellement. C'est pourquoi depuis plusieurs mois et notamment depuis le vote du 26 juin décidé par le Président de la République, les collectivités appellent incessamment à l'évacuation du site et au début des travaux afin de respecter le choix démocratique des citoyens, de faire exécuter les décisions de justice, mais aussi de pouvoir réaliser de manière sereine l'ensemble des travaux environnementaux. Et pour parachever de manière remarquable la mise en place de cette démarche, il faut que cette loi soit appliquée. Cette démarche me paraît exemplaire pour d'éventuels futurs projets. Cependant, cette législation, qui est nécessaire, et ces procédures exigeantes, n'auront de sens que si elles permettent au projet d'aboutir car sinon, elles seront perçues uniquement comme des armes à l'encontre des opposants du projet. C'est l'aboutissement du projet qui vérifiera le bien-fondé de cette démarche.

Vous me demandez si la région doit être davantage impliquée dans le choix, la validation et le suivi des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. Je vous indiquerai que la région a été parfaitement associée au projet d'infrastructures d'ampleur régionale qu'est celui de Notre-Dame-des-Landes. Toutefois, je ne pense pas que la région ait vocation à se substituer aux prérogatives régaliennes en matière d'instruction réglementaire et de contrôle de la séquence ERC et des mesures compensatoires. Par contre, la région, forte de son nouveau rôle de chef de file sur la biodiversité et de son rôle d'élaboration du SRADDET, a vocation à amplifier son implication pour poser le cadre régional et les grandes orientations dans lesquelles s'inscriront les projets.

Ainsi, la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016 nous demande d'élaborer une stratégie régionale de biodiversité (SRB) et de mettre en place une gouvernance régionale avec l'État. Nous nous sommes déjà saisis de ce sujet, et nous prévoyons de réunir en juin prochain un premier comité régional de la biodiversité (CRB), que nous co-présiderons avec l'État. Ce comité sera consulté sur l'élaboration de notre SRB. Dans ce cadre, nous pourrons travailler ensemble avec nos partenaires pour bâtir une complémentarité entre prérogatives régaliennes et rôle de chef de file de la région, que nous appréhendons davantage comme un rôle d'animation, de valorisation d'initiatives exemplaires, de sensibilisation des collectivités aux enjeux de la préservation de la biodiversité et de soutien au développement des connaissances en lien avec un réseau de partenaires scientifiques et techniques comme le Conservatoire d'espaces naturels (CEN), le Conservatoire botanique de Brest ou encore la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Nous devons également définir un partenariat avec la nouvelle Agence française pour la biodiversité (AFB), mise en place depuis le 1 er janvier 2017 par l'État, et qui dispose d'une antenne inter-régionale Bretagne-Pays de la Loire. Il est encore trop tôt pour pouvoir vous exposer dans le détail ce que comprendra cette stratégie, mais je peux d'ores et déjà vous dire que notre approche dans l'élaboration du SRADDET, que nous prévoyons d'adopter pour mi-2019, ne sera pas d'imposer une couche de contraintes supplémentaires aux collectivités et aux porteurs de projets, qui s'imposerait notamment aux documents d'urbanisme, mais plutôt de développer des orientations favorables à la biodiversité sur lesquelles les territoires pourront s'appuyer. Nous avons prévu un dispositif de concertation large sur le SRADDET. Cette réflexion collégiale abordera ainsi les pistes d'amélioration en matière d'évitement, de réduction et de compensation des impacts sur la biodiversité. Nous pourrons également éventuellement étudier, dans le cadre de notre stratégie régionale, des actions du type de celle mise en place dans les Yvelines, concernant un opérateur de compensation des atteintes à la biodiversité. La constitution d'une sorte de « banque » des surfaces de compensation peut être intéressante au niveau régional, mais il existe des points de vigilance sur la question de la pression foncière ou encore du risque de financiarisation de la biodiversité.

L'article L.163-1 du code de l'environnement permet à des personnes publiques d'être opérateurs de compensation depuis la loi sur la biodiversité de 2016. Le département des Yvelines propose une offre de compensation environnementale aux porteurs de projets publics et privés devant compenser les impacts de leurs aménagements sur les milieux naturels. Ce service vise à assurer pour le compte des maîtres d'ouvrages, la maîtrise foncière, la gestion et le suivi des mesures compensatoires sur le long terme, au travers d'une démarche de mutualisation et de cohérence territoriale. Après une expérimentation sur la vallée de la Seine, le département souhaite désormais créer un opérateur de compensation des atteintes à la biodiversité, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), avec une dotation affichée d'un million d'euros.

La région des Pays de la Loire possède de nombreux acteurs mobilisés pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans les projets d'aménagement. Pour la plupart associatives - comme la LPO ou encore les centres permanents d'initiative pour l'environnement - ces structures accompagnent l'aménagement de sites naturels de compensation ainsi que les maîtres d'ouvrages sur les étapes « éviter » et « réduire ». Le CEN des Pays de la Loire, créé en avril 2015, peut également intervenir dans le respect de la Charte éthique nationale des CEN en matière de compensation écologique. Cette question est d'ailleurs identifiée dans son plan d'actions quinquennal qui fait actuellement l'objet d'un examen dans le cadre de son agrément. Ainsi, il n'est pas certain que la région souhaitera se doter d'une structure unique sur cette question.

Enfin, vous me demandez si la loi biodiversité pourrait être améliorée sur la séquence ERC. La loi est toute récente. Il est un peu prématuré de se poser aujourd'hui cette question ! L'enjeu est sans doute avant tout de la mettre en oeuvre. Nous avons du travail pour mettre en place une gouvernance régionale de la biodiversité, en lien notamment avec la nouvelle AFB, et élaborer une stratégie régionale de biodiversité. Toutefois, certains points concernant les mesures de compensation posent aujourd'hui question, et il pourrait être pertinent, d'une part, de permettre la mise en oeuvre de mesures compensatoires sur des espaces non situés en proximité immédiate mais aux fonctionnalités similaires, à l'échelle de la région, et notamment des sites dont les fonctions écologiques n'ont pas été modifiées. On pourrait, d'autre part, favoriser une gestion agricole durable plutôt que conservatoire de ces mesures compensatoires. Voilà les éléments que je souhaitais vous apporter.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'aurai quelques questions. En 2015, vous avez adopté votre trame verte et bleue et votre SRCE. Or, durant nos auditions, il nous a été dit que l'aéroport respectait des continuités écologiques. Quelle est ainsi l'articulation entre la trame, laquelle, par définition, crée de la continuité écologique et a été votée par la région et le projet d'aéroport ?

M. François Pinte . - La difficulté, qui ne vous aura pas échappée Monsieur le rapporteur, réside dans le changement, entretemps, de l'exécutif régional, en décembre 2016. Sur ce calendrier précis et ces échanges, je pourrai vous apporter les informations précises à l'issue de cette réunion.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Puisque les services techniques n'ont pas changé, il serait intéressant que, par écrit, vous nous précisiez comment cette articulation a pu être opérée avec la préservation écologique dont nous ont parlé les maîtres d'ouvrage.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - Votre question porte-t-elle sur la prise en compte du projet d'aéroport lors de l'élaboration du SRCE ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cette démarche va dans les deux sens. Nous avons été surpris d'entendre, de la part des maîtres d'ouvrage, la confirmation du respect de la continuité écologique via le SRCE. Il nous faut donc comprendre comment cette articulation est réussie. Est-ce que l'aéroport a également intégré un schéma de cohérence ? Nous sommes bien au coeur des prérogatives régionales.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - Le SRCE définit la trame verte et bleue et identifie les corridors de continuité écologique. En ce sens, les projets doivent prendre en compte les éléments du SRCE lors de leur déclinaison de la séquence ERC. Le SRCE a été approuvé fin mai 2015. Puisque ce projet n'existait pas, il était difficile d'y faire référence !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Certes, mais puisque les maîtres d'ouvrage nous ont déclaré avoir respecté les trames écologiques, on doit les retrouver dans la trame verte et bleue !

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - Ils ont en effet pris connaissance des corridors identifiés au travers notamment de cartographies réalisées et en ont tenu compte au moment de la séquence ERC sur le projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous vous saurions gré de nous fournir une analyse écrite de cette cohérence dans les deux sens afin de nous éclairer sur les modalités de l'inclusion de l'aéroport dans une trame verte et bleue régionale. Tous nos interlocuteurs ont d'ailleurs insisté sur l'importance de cette trame pour la définition des stratégies de compensation. Je vais revenir sur la partie « réduire ». Nos auditions ont principalement porté sur la partie « éviter » qui n'était pas au coeur du projet initial d'ailleurs contemporain de la loi de 1976. Sur la partie réduction, la commission du dialogue, que nous avons auditionnée, avait émis des propositions de réduction de l'emprise du projet aéroportuaire, en soulignant que les parkings auraient pu être construits en silo et qu'il n'était pas nécessaire d'y créer de faux bocages. Comment la région, dont vous nous avez confirmé l'implication au sein du SMA sur la partie biodiversité, s'est saisie de ces propositions et, à la suite du rapport de trois inspecteurs généraux, de la proposition de réduire l'emprise ?

M. François Pinte . - Ce sont les maîtres d'ouvrage qui ont eu cette responsabilité et AGO a bel et bien confirmé le cahier des charges. Nous avons pu constater que la partie réduction avait été respectée et intégrée dans la réflexion, y compris dans le plan de la plateforme. En effet, sur les 1 239 hectares de l'emprise aéroportuaire, seuls 537 hectares ont été aménagés à la mise en service, 186 pour la desserte routière et seulement 147 hectares seront artificialisés, soit bien moins que les deux mille hectares bétonnés avancés par les opposants au projet !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous connaissons ces chiffres de l'emprise qui font l'unanimité. Ma question porte sur l'après-projet, suite aux propositions de la commission du dialogue instituée par l'État et du rapport des trois inspecteurs généraux, demandé également par l'État, visant la réduction de l'emprise telle que vous l'avez évoquée. La région a-t-elle été plutôt en soutien de ces propositions de réduction ou considérez-vous comme suffisant le projet initial, ce qui revient ipso facto à la proposition du maître d'ouvrage et de l'État ?

M. François Pinte . - La région a été solidaire, à l'époque, de la décision de l'État.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur l'aspect financier, les chiffres qui nous ont été donnés mentionnent une enveloppe d'environ 300 000 euros pour la partie convention avec le monde agricole, pour une surface globale de 1 200 hectares de conventionnement. Considérez-vous cette somme comme raisonnable ? Rapportée à l'hectare, elle s'avère faible par rapport au protocole d'accord avec la chambre d'agriculture. Les collectivités étant potentiellement intéressées par un retour à bonne fortune, si les coûts de compensation venaient à augmenter, les montants induits par ce retour diminueraient, conformément au fonctionnement de la concession. En tant que collectivité, considérez-vous qu'il vaut mieux en rester à l'enveloppe annoncée ou, à l'inverse, en raison des tensions, qu'il est préférable de dégager plus de moyens ?

M. François Pinte . - Les collectivités ont en effet investi à hauteur de 115,5 millions d'euros, dont 40 millions d'euros pour la région, dans le cadre d'avances remboursables qui sont forfaitaires et non révisables. Le financement des collectivités représente 20 % du financement global - ce qui est, somme toute, modeste pour ce type de projet. C'est au maître d'ouvrage, qui assure la moitié du financement, de gérer cela. La mise en place des mesures de compensation est de sa responsabilité et les collectivités ont à chaque fois réaffirmé, au sein du SMA, qu'elles ne financeront aucun surcoût supplémentaire. AGO a présenté une fourchette assez large par rapport aux compensations, ce qui est bien naturel. Simplement, AGO me semble également assumer, dans son étude globale, le fait de pouvoir se donner cette largesse de fourchette afin d'apporter, le cas échéant, une compensation plus importante. AGO dispose de recettes dont certains bénéfices sont fléchés sur le futur aéroport et pourront également permettre, dans une enveloppe globale, ces compensations. En outre, le trafic, en perpétuelle augmentation, avec cinq millions de passagers au premier semestre 2017, laisse augurer des moyens financiers au concessionnaire pour mieux compenser les agriculteurs sur la partie environnementale. C'est pourquoi, le syndicat n'est pas aujourd'hui inquiet quant au dépassement des montants annoncés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Restons sur l'investissement. Vous nous avez dit que la collectivité était étroitement associée aux mesures de compensation environnementale. Nous n'arrivons pas à obtenir le détail des coûts afférents aux mesures qui elles, sont extrêmement détaillées. Au niveau de la région, dans le syndicat mixte, vous n'avez jamais demandé des précisions sur les coûts d'investissement liés aux mesures environnementales ? C'est un peu pour nous une boîte noire !

M. François Pinte . - AGO est bien plus à même de répondre à votre question !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans le syndicat mixte, vous êtes pourtant en capacité de demander au maître d'ouvrage un certain nombre d'éléments. Vous nous avez également indiqué être particulièrement soucieux quant aux questions de compensation environnementale. Malgré cela, vous ne disposez pas d'un chiffrage précis des coûts d'investissement liés aux mesures compensatoires ?

M. François Pinte . - Je ne dispose pas de tels chiffres aujourd'hui.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'aurai une dernière question. Conformément aux lois NOTRe et MAPTAM que nous avons votées, votre compétence est également économique. Le document fourni à Bruxelles, où le contentieux reste ouvert, mentionne deux cents hectares de zone économique qui doivent être installés en périphérie de l'aéroport. Or, nous ne disposons pas de leur exacte localisation ! En vertu du schéma de développement économique régional qui vous incombe et qui répond à une attente des autorités européennes, avez-vous une idée de leur situation ?

M. François Pinte . - Entre Nantes et l'aéroport.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pas au nord ? Vous êtes plus précis que ce que nous avons entendu précédemment.

M. François Pinte. - Je vous confirmerai ultérieurement ce point.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans le schéma de développement économique, il va pourtant vous falloir indiquer cette zone économique ! Vous n'avez donc pas, pour l'heure, de vision bien précise de sa localisation ?

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - Le schéma a été adopté par la région à la fin 2016. Je ne suis pas certaine que le schéma ait alors précisé la localisation de ces zones.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est là une vraie question pour nous puisque, dans le contentieux européen, l'Europe nous demande de fournir une évaluation globale du projet quant à ses impacts environnementaux, sachant que ce territoire comprend de nombreuses zones humides. Or, nous ne parvenons à connaître ni le faisceau de la future LGV, ni la localisation des deux cents hectares de la future zone économique. Ces deux éléments ne figurent-ils pas dans le schéma de développement économique de la région pour 2016 ?

M. François Pinte . - Je vous propose de vous confirmer officiellement par écrit notre réponse.

M. Gérard Bailly . - Notre commission porte sur la réalité des compensations des atteintes à la biodiversité constatées dans les grands projets d'infrastructures. Au niveau du conseil régional, qui a connu un changement de majorité l'année passée, ce sujet-là a-t-il suscité l'opposition de certains élus, qui connaissent bien le terrain et considèrent que les mesures de compensation arrêtées ne répondaient pas aux enjeux ? Par ailleurs, au-delà des questions liées à la biodiversité, nous avons entendu des opposants qui ne souhaitaient pas quitter le terrain, faute de compensations, selon eux, insuffisantes, du point de vue économique. Au niveau de ce bassin économique agricole, on peut s'attendre à une diminution globale de la production, en raison des emprises et des modifications de culture entraînées par le projet. L'économie agricole - comme les coopératives, les industriels du secteur agroalimentaire ou encore les exploitations - n'est-elle pas trop touchée par le projet de Notre-Dame-des-Landes ?

M. François Pinte . - Évidemment, les élus d'Europe-écologie-les-Verts se sont élevés contre ce projet, à l'inverse de l'ensemble des autres élus - qu'ils soient socialistes, centristes ou Les Républicains - qui ont fait bloc, quelles que soient d'ailleurs les majorités, pour la conduite de ce projet conforté par 178 décisions de justice et ce, au sein non seulement du conseil régional, du syndicat mixte ou encore de Nantes Métropole ou du département. Toutes les étapes ont bel et bien été respectées. Ces lois sont nécessaires et exigeantes, mais elles ont été respectées. Plusieurs voeux ont été émis, au sein du Conseil régional, sous l'ancienne et l'actuelle majorité, pour soutenir le projet d'aéroport et demander le début des travaux.

M. Gérard Bailly . - On peut être pour le projet sans pour autant compenser à la hauteur des enjeux !

M. François Pinte . - Ce n'est pas l'avis d'une grande majorité d'élus qui pensent que la compensation a été à la hauteur. Vous évoquiez les compensations économiques en faveur des agriculteurs. Nous sommes sortis du protocole d'éviction, en vigueur jusque-là dans les Pays de Loire, en adoptant un protocole dérogatoire apportant des dispositions plus larges. Ainsi, dans le cas d'une éviction totale, lorsque plus de 35 % des terres se trouvent sur le site retenu pour le projet d'aéroport, le calcul de la marge brute à l'hectare est passé, de manière dérogatoire, de trois à six pour la compensation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle 31 exploitants sur 35 concernés ont accepté cette compensation économique. Aujourd'hui, c'est d'ailleurs la compensation environnementale qui doit avancer et je ne doute pas qu'on parvienne à un accord avec les agriculteurs. Cependant, la situation d'aujourd'hui n'est pas apaisée et de nombreux agriculteurs préfèrent ne pas avancer davantage, de peur de prendre des risques, mêmes personnels, susceptibles de les mettre, avec leur famille, en difficulté.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons auditionné la chambre d'agriculture et les deux syndicats - FNSEA et la Confédération paysanne - qui étaient unanimes dans leur refus de la compensation. En effet, ils ne souhaitaient pas de compensation très importante en raison des contractualisations à cinq ans sur une durée totale de cinquante-cinq ans avec obligation de résultats pour le maître d'ouvrage qui laissent la porte ouverte à des renégociations quinquennales. C'est pourquoi, la somme de 300 000 euros allouée à la compensation, dans le contexte de résistance du monde agricole que nous connaissons et compte tenu de la superficie du projet, ne nous paraît pas raisonnable. Elle est manifestement sous-évaluée. Tel était aussi le sens de la question de mon collègue Gérard Bailly. N'avez-vous donc pas le sentiment que nous sommes partis d'un chiffre très bas, avec des conséquences financières très lourdes impliquant des coûts de fonctionnement annuels. Si l'on considère les chiffres fournis par le protocole avec la chambre d'agriculture, on va plutôt atteindre une somme de cinquante millions d'euros sur les coûts finaux induits par la compensation. Un tel chiffrage change ainsi radicalement le modèle économique de la concession !

M. François Pinte . - L'enveloppe globale de compensation environnementale représente quarante millions d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Non, car dans ce cadre-là, neuf millions d'euros sont consacrés, dans la déclaration d'utilité publique (DUP), à la compensation de la biodiversité. Je vous parle de fonctionnement et non d'investissement !

M. François Pinte . - AGO, dans sa globalité, analyse ce type de risque sur un tel projet qui comprend des zones à risques et des zones plus positives. Si elle considère devoir faire des efforts en termes de compensation supplémentaire, elle aura la capacité de le faire, à la fois par les bénéfices qu'elle cible sur Notre-Dame-des-Landes et la croissance du nombre de ses passagers, vecteur de la croissance de la rentabilité économique de l'aéroport. C'est à elle d'apprécier ce risque comme elle l'a fait dès le début. Cette appréciation s'inscrivant dans les procédures usuelles en matière de risque global.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous êtes bel et bien associé à ce risque qui pourrait remettre en cause le principe de retour à bonne fortune !

M. François Pinte . - Nous considérons qu'aujourd'hui ce risque comme limité.

M. Gérard Bailly . - Accepter la construction d'infrastructures n'est jamais chose aisée pour les agriculteurs, qui s'y résignent finalement ! La réaction des responsables agricoles eût été identique quelle que soit l'implantation de ce nouvel aéroport !

M. François Pinte . - Ce projet est connu depuis des années et personne ne peut prétendre l'ignorer. Il est toujours difficile de quitter sa terre ! Le climat est tel que certains peuvent se reposer des questions qu'ils ne se sont pas posées au moment où ils ont donné leur accord. Il faut bien qu'un projet aboutisse à un moment donné !

M. Gérard Bailly . - Les procédures auxquelles ce projet a donné lieu se sont révélées très onéreuses. En avez-vous le chiffrage ? Le maître d'ouvrage devrait le savoir !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous attendons toujours sa réponse écrite !

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - J'ai une réponse à votre précédente question qui portait sur le périmètre de protection des espaces agricoles et naturels (PEAN) qui existe et a été adopté. On le trouve sur le site internet du département de la Loire-Atlantique. Avec 17 300 hectares de terres protégées, ce PEAN est le plus grand de France. Sa localisation est précisée par une cartographie. Il devrait s'étendre entre les communes de Cens, Gesvres et Erdre et jouxter Nantes-métropole. Le département constitue avec ses partenaires ce périmètre qui sera au nord de l'agglomération nantaise et l'aéroport.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Or, la commune de Treillières, située au milieu du tracé du PEAN, n'a pas souhaité le rejoindre. On se retrouve donc avec deux morceaux de PEAN ! En audition, pour votre information, la profession agricole a douté de la possibilité de maintenir de l'agriculture pérenne sur ces espaces, du fait du refus de cette commune d'entrer dans le PEAN.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal . - Je souhaitais répondre à votre question sur la localisation des deux cents hectares entre l'aéroport et Nantes !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si vous pouviez nous indiquer comment s'articule la trame verte et bleue et l'aéroport, en amont et en aval l'un de l'autre, nous en serions grandement satisfaits !

M. François Pinte . - Nous vous apporterons une réponse écrite sur cette question.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie de votre intervention.

Audition de MM. Benoît Biteau, président du conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes, Frédéric Breton, directeur du conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire, et Emmanuel Michau, administrateur de Réserves naturelles de France
(jeudi 23 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête relative aux mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en recevant de manière conjointe Réserves naturelles de France et la Fédération (CRNF) des conservatoires d'espaces naturels (CFEN).

Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Notre objectif est d'identifier, à partir d'exemples concrets, les principaux obstacles qui empêchent aujourd'hui une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) et de faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre concrète, l'efficacité et le suivi des mesures compensatoires en France.

Nous entendons cet après-midi Emmanuel Michau, administrateur de Réserves naturelles de France, Benoît Biteau, président du conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes et Frédéric Breton, directeur du conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire.

Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment en rappelant que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Emmanuel Michau, Benoît Biteau et Frédéric Breton prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - A la suite de vos propos introductifs, Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Frédéric Breton, directeur du conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire . - Le conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire a une relation contractuelle avec COSEA, concessionnaire de la LGV Sud-Europe-Atlantique (SEA) pour le portage des mesures compensatoires. Il s'agit du seul lien d'intérêts du conservatoire avec les quatre projets que vous avez cités.

M. Emmanuel Michau, administrateur de Réserves naturelles de France . - Je n'ai pas de liens d'intérêts à titre personnel. La réserve naturelle de la Crau a un lien d'intérêts avec l'opération de réserves d'actifs naturels de Cossure.

M. Benoît Biteau, président du conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes . - Le conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes est uniquement concerné par la LGV SEA en tant qu'opérateur de mesures compensatoires, en partenariat avec LISEA et COSEA.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous donne la parole, notamment pour répondre aux questions que nous vous avons adressées.

M. Frédéric Breton . - Les réponses que nous allons apporter aujourd'hui au questionnaire que vous nous avez transmis seront complétées par l'envoi d'une note rédigée par le réseau des conservatoires d'espaces naturels. Certaines des réponses contenues dans cette note sont confidentielles : nous souhaitons que vous disposiez de la meilleure vision possible des points forts et des points faibles de la mise en place des mesures compensatoires sans pour autant mettre en péril notre relation contractuelle avec le maître d'ouvrage.

Votre première question concerne l'implication du réseau des conservatoires d'espaces naturels dans les mesures compensatoires. Elle s'exerce à deux niveaux. Le premier est celui de l'élaboration des doctrines et des lois. Nous avons défendu plusieurs amendements lors de l'examen de la loi relative à la biodiversité dont certains ont été retenus. Ce texte représente une avancée considérable du point de vue de la compensation qui est désormais obligatoire, après quarante années où s'est appliquée la règle du « si possible ».

Nous avons édicté une charte éthique sur la mise en oeuvre de la compensation. Afin de ne pas être juge et partie, nous n'intervenons pas au stade de l'évaluation des impacts et de la dette compensatoire, mais uniquement dans la mise en oeuvre des mesures compensatoires, une fois qu'elles ont été validées par l'Etat et les autorités scientifiques. Cette mise en oeuvre s'effectue principalement à travers le portage foncier et la restauration puis l'entretien des zones de compensation dans la durée, plutôt que par la conservation de zones qui sont déjà en bon état fonctionnel. Nous pouvons refuser de mettre en oeuvre des mesures de compensation lorsque nous estimons qu'elles ne correspondent pas aux principes contenus dans notre charte éthique.

M. Emmanuel Michau . - Les réserves naturelles sont, par nature, moins concernées par les grands aménagements. Pour autant, elles sont régulièrement concernées par d'autres types de travaux qui impliquent des compensations - entretien de barrages hydro-électriques, pistes forestières, digues de protection contre la mer notamment. Leurs gestionnaires sont alors associés à la mise en oeuvre de la séquence ERC et dialoguent avec le maître d'ouvrage.

Le plus souvent, les réserves naturelles sont indirectement concernées pour des espaces externes à l'espace protégé. A ce titre, elles sont consultées par l'autorité administrative en tant qu'expert.

Les réserves naturelles peuvent également être bénéficiaires de mesures compensatoires liées aux infrastructures. Ces mesures compensatoires peuvent conduire à renforcer les mesures de protection sur des espaces qui ont un lien de fonctionnalité avec les réserves naturelles.

M. Frédéric Breton . - Nous intervenons au stade de la mise en oeuvre des mesures compensatoires. 26 conservatoires sur les 29 existants interviennent dans le portage de mesures compensatoires. Tous les types d'infrastructures sont concernés, depuis les parcs éoliens jusqu'aux infrastructures linéaires de transports. L'essentiel des missions porte sur le portage du foncier, la restauration et la gestion des sites de compensation.

A la date du 1 er septembre 2016, le cumul des surfaces acquises au titre de la compensation représentait 1 270 hectares. Les conventionnements, censés être plus ponctuels car moins pérennes, portaient sur une surface de 2 880 hectares. Au total, les sites de compensation représentent en moyenne moins de 10 % du bilan foncier des conservatoires. Un conservatoire est engagé à hauteur de 30 %. Les personnels mobilisés pour la mise en oeuvre des mesures compensatoires peuvent représenter jusqu'à 10 % des équipes des conservatoires.

Les conservatoires ont parfois refusé de mettre en oeuvre les compensations, pour l'essentiel lorsqu'il n'y avait pas de maîtrise foncière ou lorsque les moyens proposés étaient jugés insuffisants pour assurer la restauration et l'entretien dans la durée des zones concernées.

M. Emmanuel Michau . - Les réserves naturelles sont très souvent mandatées par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour la mise en oeuvre des mesures de compensation. Cette notion de « mandatement » est importante pour situer notre responsabilité.

M. Frédéric Breton . - L'expérience de nos conservatoires ne nous permet pas de dégager d'appréciation générale sur la façon dont nous sommes associés au choix des sites de compensation. Les choses se font au cas par cas : dans certaines situations, les sites sont déjà définis dans l'arrêté ; dans d'autres cas, c'est le porteur des mesures qui propose les sites, qui sont ensuite validés par l'autorité environnementale.

Le critère de proximité est relativement important. Un ouvrage a un impact local sur la biodiversité : il détruit un écosystème ou induit une perte de fonctionnalité ; il conduit à la disparition ou à la fragmentation de certaines populations d'espèces. La compensation doit donc se faire à proximité de l'ouvrage afin de préserver les espèces et d'agir sur des milieux écologiques présentant des caractéristiques relativement comparables. De plus, compenser à proximité permet d'éviter d'avoir des territoires qui seraient été entièrement sacrifiés en raison des aménagements qui y sont réalisés.

M. Emmanuel Michau . - La territorialisation est également importante pour nous. S'y ajoute le besoin de cohérence avec les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Il serait à ce titre intéressant que les conservatoires et les réserves naturelles, en raison de leur couverture territoriale et biologique, puissent proposer des réseaux de sites agréés de compensation.

Certaines mesures compensatoires peuvent également venir conforter les politiques menées par des réserves naturelles, au moins dans leurs périmètres de protection. La réserve des marais d'Yves est par exemple directement impactée par la création d'ouvrages de protection contre la mer : des mesures compensatoires plutôt fonctionnelles ont été proposées par le gestionnaire sachant que la reconstitution de surfaces analogues est difficile dans ces milieux qui sont très particuliers - marais à halophytes.

M. Frédéric Breton . - S'agissant de la maîtrise foncière, le réseau des conservatoires estime essentiel d'assurer la pérennité de la compensation. Tant que cette garantie de pérennité est assurée, toute structure capable de porter du foncier doit pouvoir mettre en oeuvre des mesures compensatoires. Le réseau des conservatoires a pour principe d'inscrire l'inaliénabilité des terrains dans les actes des sites qu'il acquiert. Il porte également un fonds de dotation auxquels peuvent être versés des sites de mesures compensatoires et travaille à la création d'une fondation reconnue d'utilité publique qui pourrait accueillir des sites de compensation provenant de porteurs de projets publics.

La pérennité doit être appréciée au regard de la durée de l'impact sur le territoire. Les enjeux ne sont donc pas les mêmes pour un parc éolien, qui peut être démonté au bout de vingt ans, et pour une infrastructure linéaire de transports, qui a priori ne sera jamais abandonnée.

M. Emmanuel Michau . - L'acquisition et le bail emphytéotique sont les outils les plus adaptés pour assurer la pérennité. La création de servitudes foncières inscrites aux hypothèques est également prévue par les textes, sans que soit nécessaire l'existence d'un fonds servant.

Il convient de ne pas sous-estimer les difficultés et les délais liés à l'acquisition foncière, parfois difficilement compatibles avec la mise en oeuvre de la compensation. On pourrait réfléchir à l'inscription automatique des zones de compensation dans les zones de préemption espaces naturels sensibles (ENS), qui offrent ensuite certaines garanties d'inaliénabilité.

M. Frédéric Breton . - Pour être efficace, la compensation doit respecter les principes de cohérence écologique, de proximité géographique et d'acceptabilité locale. Dans ce but, il pourrait être utile de travailler, à une échelle territoriale cohérente, à des schémas de planification permettant de croiser les projets d'aménagements envisagés sur plusieurs années et les sites de compensation qui pourraient être mobilisés. Cette planification viendrait à l'appui de la concertation avec les acteurs locaux et permettrait d'anticiper de futures acquisitions foncières.

Le devenir des mesures de compensation est une question cruciale. Rien n'étant prévu une fois écoulée la durée fixée par les arrêtés, des sites de compensation pourraient être radicalement transformés, ce qui entraînerait la perte du gain de biodiversité obtenu au préalable. De plus, aucun mécanisme de cession ne semble mis en oeuvre pour garantir la vocation environnementale des terrains concernés.

M. Emmanuel Michau . - La question de la poursuite des mesures de gestion est importante. Une partie des crédits destinés aux mesures de compensation pourrait venir alimenter une fondation qui permettrait d'asseoir de façon pérenne les mesures de gestion.

S'agissant de la pérennité du foncier, il serait possible de réfléchir à la cession des territoires aux conservatoires du littoral lorsqu'ils sont compétents, aux départements ou aux communes par un aménagement des textes sur les ENS, voire aux conservatoires d'espaces naturels.

M. Frédéric Breton . - S'agissant des réserves d'actifs naturels et des sites naturels de compensation, l'expérience de la Crau est intéressante tout en présentant certaines limites. Les aspects positifs sont : l'anticipation des gains de biodiversité, qui interviennent avant impact ; la mise en oeuvre des mesures compensatoires à grande échelle, ce qui permet de renforcer leur effet ; la création d'une offre dans des zones où les tensions foncières sont importantes ; l'existence d'un seul porteur de mesures compensatoires, estimé compétent, ce qui facilite la relation avec le maître d'ouvrage mais aussi le contrôle.

En revanche - et ces remarques s'appliquent à la compensation de façon plus générale -, la notion d'intérêt public, sur laquelle s'appuient certaines dérogations, est parfois dévoyée : l'argument de la création d'emplois est par exemple souvent avancé, sans faire l'objet de contrôles a posteriori . La compensation par l'offre peut également générer des risques de contournement des étapes éviter et réduire au lieu de rester résiduelle. Existent également des incertitudes liées aux durées et aux surfaces d'engagement.

M. Emmanuel Michau . - Nous craignons nous aussi que l'existence de sites de compensation agréés ne conduise à négliger les étapes éviter et réduire.

M. Frédéric Breton . - S'agissant de l'A 65, le conservatoire des espaces naturels d'Aquitaine est intervenu uniquement en tant que prestataire de CDC Biodiversité, qui porte les mesures compensatoires. Il ne dispose pas à ce jour d'une vision globale du projet et de l'impact effectif des mesures compensatoires.

Concernant le projet d'aéroport de Notre-Dames-des-Landes, nous pouvons vous indiquer qu'il s'agit d'un projet important sur une vaste surface, qui rend complexe l'appréciation des fonctionnalités écologiques et des communautés d'espèces à compenser. Cette complexité est renforcée par le fait qu'il s'agit d'une zone source pour la fonctionnalité des écosystèmes, tant du point de vue hydro-écologique que du point de vue de la biodiversité.

Nous disposons de davantage d'informations sur la LGV SEA, qui s'étend sur trois régions et concerne donc trois conservatoires différents, qui portent les mesures compensatoires. Ces dernières sont définies par des arrêtés au contenu relativement sibyllin : sont définis une dette cumulée de 24 180 hectares ainsi que des objectifs de sécurisation foncière de 20 % pour la faune et 50 % pour la flore, soit un objectif d'acquisition à l'échelle de la ligne de 78 hectares pour la flore et 4 800 hectares pour la faune. Les bilans qui nous ont été présentés nous permettent d'estimer que la fourchette de réalisation pour les acquisitions est comprise entre 550 et 797 hectares, soit entre 11 % et 15 % de la surface à acquérir, avec de fortes disparités entre régions naturelles. Le conventionnement pourrait atteindre 2 660 hectares, soit 13 % de la dette fixée dans les arrêtés.

Un dispositif partenarial a été mis en place par LISEA et COSEA dans le but d'associer largement les acteurs territoriaux, ce qui est positif mais risque aussi de faire perdre à ces derniers leur regard critique sur la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

Nous estimons par ailleurs que les arrêtés ne sont pas suffisamment précis quant à l'obligation de résultats. Nous regrettons également que les mesures foncières soient limitées à la durée de la concession et que le conventionnement soit la solution privilégiée.

Au final, le maître d'ouvrage répond aux objectifs et mobilise les moyens nécessaires, notamment humains. Pour autant, les exigences applicables au maître d'ouvrage retardent la mise en oeuvre de mesures qui étaient enserrées dans un calendrier de cinq ans et sont intervenues en parallèle de la construction de l'ouvrage alors qu'elles auraient dû lui être préalables.

M. Emmanuel Michau . - S'agissant de Notre-Dame-des-Landes, j'ajouterai que l'avis des experts sur la quasi-impossibilité de compenser des milieux humides oligotrophes situés en zone source interroge sur le projet.

M. Frédéric Breton . - L'une de nos principales propositions consiste à séparer plus nettement les phases de diagnostic et de définition relatives à l'évitement et à la réduction de la compensation de l'impact résiduel. Celle-ci doit être calibrée en amont de la déclaration d'utilité publique (DUP) et inscrite dans cette dernière, ce qui faciliterait sa réalisation. Une telle mesure pourrait être vécue par la profession agricole comme une confiscation supplémentaire d'espaces agricoles. Il faut cependant savoir que les principaux bénéficiaires de la gestion des espaces restaurés par les conservatoires d'espaces naturels sont des exploitants agricoles.

M. Emmanuel Michau . - Nous insistons sur l'anticipation, qui doit aussi permettre de consulter des experts. Il serait également important de disposer d'une définition fiable de ce qu'est l'intérêt public majeur, parfois difficile à apprécier pour l'autorité administrative. Les protocoles scientifiques d'acquisition des données naturalistes ne sont pas toujours appliqués avec le même soin, les mêmes moyens et la même pression sur les variantes envisagées. Il serait également important que l'ensemble des mesures qui composent la séquence ERC soient reprises in extenso dans les arrêtés et attestées et préparées avant le dépôt du projet. Les mesures doivent s'appliquer sur la durée de vie du projet, ce qui pose la question des infrastructures pérennes.

Les comités de suivi ont un rôle important à jouer pour ces grandes infrastructures et pourraient être complétés par un rapport annuel ou bisannuel aux comités régionaux de protection de la nature (CRPN).

L'établissement d'éléments de doctrine pour les autorités administratives doit être poursuivi. La DREAL Bourgogne-Franche Comté a une action intéressante en la matière. La doctrine doit se doubler d'outils techniques permettant une meilleure cohérence des méthodes d'action et de suivi, sans nuire pour autant à l'inventivité. L'Agence française pour la biodiversité (AFB) pourrait porter ces éléments en lien avec les DREAL. Dans ce domaine, les réseaux d'espaces naturels peuvent également avoir un rôle d'appui.

Des méthodes claires d'approche de la notion d'additionnalité écologique et de mutualisation de la compensation entre espèces et habitats mériteraient également d'être établies.

Nous constatons un effet pervers des mesures compensatoires qui se traduit parfois par une frilosité des collectivités pour s'engager sur les autres politiques de protection - réserves naturelles, arrêtés de biotope notamment - dans la mesure où elles souhaitent se réserver des marges de manoeuvre pour des mesures compensatoires. En tant que directeur du parc national de la Vanoise, j'ai vu des communes gestionnaires de stations de ski refuser d'adhérer à la charte du parc national en raison des contraintes qui pesaient déjà sur elles pour la mise en oeuvre de mesures compensatoires. Dans certains cas, il devient plus recevable de favoriser des mesures de gestion et de restauration de certains sites déjà protégés mais ne disposant pas de gestion plutôt que de systématiquement rechercher de nouveaux sites à protéger.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous avez parlé de la logique de planification et de l'importance d'avoir une stratégie globale sur la biodiversité dans laquelle s'insèrent les mesures de compensation. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques dans certaines régions ?

M. Frédéric Breton . - S'agissant de la région Centre-Val de Loire, le SRCE a été approuvé et validé. En revanche, je n'ai pas connaissance d'un travail de planification spécifique sur la question de la compensation.

M. Benoît Biteau . - Je peux apporter mon éclairage de conseiller régional. Nous n'avons pas effectué de comparaisons qui nous permettraient d'identifier des régions plus avancées que d'autres. Il est sûr cependant que les réflexions sont conduites. En Nouvelle Aquitaine, la réflexion sur l'anticipation des mesures compensatoires est menée avec les acteurs naturels du foncier que sont le Conservatoire du littoral, la Safer ou les établissements publics fonciers (EPF). Les conservatoires des espaces naturels y sont étroitement associés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous nous avez parlé tout à l'heure de la DREAL Bourgogne-Franche Comté, je me demandais s'il y avait d'autres exemples.

M. Emmanuel Michau . - En Rhône-Alpes, et plus particulièrement dans le département de l'Isère, un travail d'identification a été réalisé. La corrélation avec les mécanismes de compensation n'est pas forcément faite mais les territoires où elle pourrait s'appliquer en priorité sont identifiés, grâce au SRCE.

Les gestionnaires d'espaces naturels, qu'il s'agisse des conservatoires ou des réserves, ont un rôle important à jouer, notamment pour proposer des sites susceptibles d'être agréés.

M. Jérôme Bignon . - Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Nous parlons de proximité et envisageons dans le même temps d'identifier des sites de compensation liés à des aménagements dont nous ne savons pas où ils se situeront.

M. Ronan Dantec , rapporteur . - Avec une cohérence malgré tout, par exemple s'agissant des espaces de montagne.

M. Emmanuel Michau . - Le SRCE permet souvent d'identifier des espaces de proximité qui peuvent être intéressants. Quand je parle de sites agréés de compensation, je fais référence à la capacité qu'ont les gestionnaires d'espaces naturels à proposer un réseau de milieux suffisamment variés pour porter, dans certains cas et non pas de façon systématique, des mesures compensatoires.

M. Benoît Biteau . - La question posée par Jérôme Bignon est centrale. Il ne faut pas tomber dans le travers de sites de compensations dédiés, conduisant à une forme de financiarisation de la biodiversité et n'apportant pas nécessairement les réponses attendues en termes de compensation au niveau local.

Pour la LGV SEA, CDC Biodiversité a proposé de la compensation avec de l'outarde en plaine de Crau. Or, non seulement les deux espèces d'outardes sont éloignées géographiquement mais elles n'ont rien à voir dans leurs caractéristiques - les populations d'outardes que l'on trouve en Poitou-Charentes sont des outardes migratrices, ce qui n'est pas le cas des outardes de la plaine de Crau. Il faut donc être très vigilant.

En revanche, lorsqu'un projet est en gestation, on doit pouvoir commencer à identifier des zones foncières pouvant être supports de compensation. Cela permettrait d'évacuer la difficulté à avancer aussi vite sur la compensation que sur la réalisation des travaux. Dans la mesure où la compensation est aujourd'hui admise comme incontournable, on doit pouvoir exiger, si elle a été anticipée le plus tôt possible, que l'ensemble des mesures compensatoires ait été mis en oeuvre avant la fin des travaux. Cela est loin d'être le cas pour la LGV SEA et nous sommes très inquiets quant à la possibilité de finaliser les mesures compensatoires une fois les travaux terminés et les trains mis en circulation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Notre principale préoccupation est de savoir si les mesures compensatoires sont vraiment efficaces. Nous essayons de mesurer la fragmentation des milieux. L'expérience dont vous disposez en termes de gestion de milieux assez différents vous permet-elle de mesurer cette fragmentation et à d'identifier des enjeux en termes de rétablissements de corridors et les risques qu'entraîneraient des barrières supplémentaires ?

M. Frédéric Breton . - C'est là qu'on mesure tout l'intérêt de la géolocalisation des mesures de compensation. Sans celle-ci, il n'est pas possible de disposer du recul suffisant concernant l'effet correctif potentiel des mesures de compensation sur la fragmentation des milieux.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sans aller jusque-là, avez-vous le sentiment aujourd'hui d'un impact fort de fragmentation des milieux ?

M. Frédéric Breton . - La fragmentation créée par la LGV sur les petites régions agricoles est en effet observable en Indre-et-Loire. Les mesures compensatoires ont à ce titre un effet pervers puisque leurs effets sont appréciés, non pas à l'échelle de ces petites régions agricoles, mais à l'échelle de la ligne, avec la possibilité d'effectuer des mutualisations. Les arrêtés permettent dès lors au maître d'ouvrage de regrouper les compensations sur un territoire donné, par exemple au sud de la région Poitou-Charentes et pas en Indre-et-Loire. Pour les populations de ce département, l'impact additionnel est alors nul et l'objectif de compensation n'est pas atteint.

M. Benoît Biteau . - Pour sortir de cette difficulté, il pourrait être utile de mettre fin au cloisonnement des compensations. La compensation agricole et la compensation environnementale sont intimement liées et pourraient être conciliées afin de mutualiser les mesures : les espaces de compensation agricole pourraient aussi être utilisés pour la compensation environnementale et inversement. Les fragmentations s'en trouveraient atténuées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous identifié des sites présentant un intérêt pour la compensation - sites militaires par exemple - qui ne sont ni agricoles ni en bon état de restauration écologique ?

M. Benoît Biteau . - L'identification d'espaces de compensation n'est pas dans le coeur de métier des conservatoires...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous pouvez malgré tout avoir une vision sur les sites qui seraient intéressants de ce point de vue.

M. Benoît Biteau . - Certes. Mais cela ne veut pas dire que toute l'activité des conservatoires passe par la compensation. Dès lors qu'existe un enjeu patrimonial de préservation de la biodiversité, le conservatoire est directement impliqué. A titre d'exemple, nous gérons avec l'armée plusieurs milliers d'hectares de sites militaires en Poitou-Charentes. Attention à ne pas faire entrer tous les sites présentant un intérêt patrimonial dans une logique de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La question de l'additionnalité est bien entendu centrale à nos yeux. Nous étudions l'exemple de la Crau, qui fait l'objet d'un relatif consensus. Est-ce qu'il existe ailleurs en France un stock de surfaces extrêmement dégradées qui pourrait faire l'objet de mesures de compensation du même type ou cet exemple n'est-il pas vraiment reproductible ?

M. Emmanuel Michau . - Certaines zones humides situées derrière le lac d'Annecy ne font pas l'objet de mesures de protection spécifiques et pourraient être restaurées afin d'améliorer leur fonctionnalité. Voilà un exemple.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pensez-vous que l'Agence française pour la biodiversité (AFB) soit l'opérateur idoine pour avoir une vision sur ces zones et définir une stratégie nationale ?

M. Frédéric Breton . - L'AFB peut jouer un rôle qui doit être envisagé en lien avec celui des agences régionales de biodiversité (ARB) créées dans certaines régions. En Centre-Val de Loire, l'ARB a notamment pour objectif de réunir l'ensemble des acteurs qui connaissent le territoire et qui ont une vision des enjeux de biodiversité à l'échelle de celui-ci. Parvenir à avoir une vision anticipée des territoires qui présentent un potentiel en termes de restauration serait en effet utile pour la mise en oeuvre des mesures compensatoire. S'agissant de la LGV, nous avons passé un an et demi à rechercher des sites de compensation, ce qui ne serait pas arrivé si nous avions déjà eu une bonne vision du territoire.

M. Daniel Gremillet . - Nous partageons tous les mêmes objectifs concernant la séquence ERC. On constate souvent que les délaissés liés à la réalisation d'un ouvrage pourraient abriter des mesures compensatoires. Je ne partage cependant pas votre propos lorsque vous indiquez que l'agriculture peut tirer un avantage des mesures compensatoires : la construction des ouvrages et les mesures de compensation font perdre de la terre agricole et par conséquent, des capacités de production et du chiffre d'affaires.

En revanche, je partage l'idée selon laquelle on pourrait réfléchir à délocaliser certaines mesures de compensation pour les mettre en oeuvre sur des territoires présentant un intérêt particulier sans être situés pour autant à proximité immédiate des infrastructures construites. Un équilibre doit être trouvé.

Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur des échecs dont vous avez parlé dans les négociations, notamment sur les notions de valeur ?

M. Jérôme Bignon . - Je rappelle que l'AFB est une agence « pour » la biodiversité, contrairement aux ARB. Cela a son importance : le « pour » n'est pas exclusif et implique l'intervention d'autres acteurs.

Il serait intéressant, avec l'aide des ARB, d'avoir un inventaire des territoires qui mériteraient d'être restaurés au titre de la compensation. Nous n'avons pas cet état des lieux. Certains sites militaires ou des phares et balises sont dans un état très dégradé. Regardons la réalité en face, cela permettra de progresser.

M. Benoît Biteau . - Je partage ce qu'a dit Jérôme Bignon. Nous travaillons sur ces questions même si les choses sont encore perfectibles.

En réponse à Daniel Grémillet, je ne remets pas du tout en cause le fait que la construction des ouvrages fait disparaître des surfaces agricoles. Le monde agricole n'en est pas moins notre principal partenaire pour gérer les espaces de compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La question derrière est celle de la proximité : pourquoi faire de la compensation à proximité de l'ouvrage sur des terres agricoles très productives lorsqu'il est possible de trouver, un peu plus loin, des terres présentant un potentiel de restauration plus important ?

M. Daniel Gremillet . - La question est essentielle. Dès lors qu'on utilise une terre agricole pour faire de la compensation, on leur fait perdre une partie de leur valeur ajoutée. C'est l'agriculture qui paye à chaque fois.

M. Benoît Biteau . - J'insiste sur le fait que nos premiers interlocuteurs sont les agriculteurs. Par ailleurs, si l'on prend l'exemple de l'outarde, elle a besoin de terres céréalières productives pour se développer : on ne peut donc pas faire de mesures compensatoires à destination des outardes sans avoir des plaines céréalières productives à proximité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourriez-vous nous transmettre par écrit des éléments sur les coûts de restauration des milieux ?

M. Jean-François Longeot, président . - Merci pour votre participation à cette audition. Je lève la séance.

Audition de M. Daniel Gilardot, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de la Vienne, M. Gustave Talbot, président de Poitou-Charentes Nature, et M. Jean-Louis Jollivet, vice-président de Vienne Nature
(jeudi 23 février 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant trois associations dans le cadre de nos auditions sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux : Poitou-Charentes Nature, Vienne Nature et la ligue de protection des oiseaux (LPO) de la Vienne. Je rappelle à ce sujet qu'une délégation de notre commission se rendra sur place dès ce soir et toute la journée de demain. Notre commission d'enquête, à travers quatre projets d'infrastructures qui en sont chacun à un stade différent de mise en oeuvre de leurs mesures compensatoires, s'est donné pour objectif d'identifier les points de difficulté et les obstacles à une bonne mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). Elle souhaite pouvoir faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre des mesures compensatoires ainsi que leur suivi dans la durée. Nous recevons donc  MM. Gustave Talbot, président de Poitou-Charentes Nature, Jean-Louis Jollivet, vice-président de Vienne Nature, ainsi que Daniel Gilardot, président de la LPO de la Vienne.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié. Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Gustave Talbot, Jean-Louis Jollivet et Daniel Gilardot prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Messieurs, après vos propos introductifs, je cèderai la parole à M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, ainsi qu'aux autres membres de la commission. Vous avez reçu un questionnaire indicatif, auquel vous ne pourrez répondre ici de manière exhaustive mais pour lequel nous apprécierions d'avoir vos réponses par écrit.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

MM. Gustave Talbot, Jean-Louis Jollivet et Daniel Gilardot déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts avec les autres projets étudiés par la commission d'enquête.

M. Gustave Talbot, président de Poitou-Charentes Nature . - Poitou-Charentes Nature (PCN) est une fédération qui coordonne, harmonise et aide une douzaine d'associations dans les quatre départements de Poitou-Charentes. Ces associations, généralement de niveau départemental, peuvent être généralistes ou naturalistes. Six d'entre elles travaillent sur la LGV. Notre fédération est une structure légère composée de quatre salariés, tandis que les associations adhérentes représentent, quant à elles, quelque quatre-vingt salariés qui sont aujourd'hui reconnus comme experts. Nous sommes affiliés à France nature environnement (FNE) et avons créé avec nos homologues du Limousin et d'Aquitaine une confédération qui est l'interlocuteur de la nouvelle région Nouvelle Aquitaine. Parmi nos dizaines de milliers de bénévoles, quelques milliers sont très actifs et transmettent leurs observations en ligne. À partir de ces données, nous conduisons des études dans le cadre de contrats d'objectifs, nous menons des actions d'éducation à l'environnement et à la nature auprès du grand public et des scolaires et nous travaillons à la protection physique des espèces sur le terrain, notamment lorsqu'elles sont touchées par des grands projets tels que la LGV.

PCN ne s'est pas opposée à la construction de la LGV. Elle a cependant posé trois conditions : limiter les nuisances sonores pour les habitations, respecter la nature sauvage et développer le fret sur l'ancienne ligne. La notion d'éviter n'a pas été prise en compte par Réseaux ferrés de France (RFF) dans sa première approche. RFF a ensuite choisi Vinci comme concessionnaire lequel a créé des filiales - LISEA et COSEA. Après une longue réflexion de nos associations, nous avons choisi de conventionner avec ces deux filiales, de manière à cadrer le travail de nos experts sur les séquences réduire et compenser.

Les actions des associations dans ce cadre consistaient notamment à suivre le chantier, à proposer des mesures de mise en défens, à conduire des pêches de sauvegarde ainsi que des mesures de griffage. PCN est quant à elle chargée de la coordination et de l'harmonisation du travail des associations. Elle est l'interlocuteur direct des services de COSEA et de LISEA. Divers organismes interviennent par ailleurs dans ce processus : les chambres d'agriculture, le comité régional de la propriété forestière, les fédérations de chasse et de pêche, ainsi que le conservatoire régional des espaces naturels (CREN). Ces procédures, lourdes, ont entraîné des retards : la LGV devrait être mise en service début juillet alors que 1 200 hectares ne font toujours pas l'objet de mesures compensatoires agréées.

Lors de la transmission du dossier, nous avons eu plusieurs surprises. Première surprise : l'étude d'impact initiale était extrêmement légère et nos données collectées depuis des décennies ont permis de compléter ce point zéro. Seconde surprise : les engagements de l'État en matière de compensation étaient également ténus, puisqu'ils ne dépassaient pas une centaine d'hectares. Il nous a fallu solliciter directement le ministère de l'environnement et, grâce à l'appui du directeur des transports de l'époque, trois experts scientifiques reconnus ont été nommés. Ceux-ci ont alors démontré que les mesures proposées ne permettaient pas d'assurer le sauvetage d'espèces telles que le busard, l'oedicnème criard, ainsi que la dernière population migratrice d'outardes canepetières. D'autres espèces sont aussi concernées comme le vison d'Europe, le sonneur à ventre jaune ou encore l'écrevisse à pattes blanches. Cet aspect n'était pas bien pris en compte et le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a également suivi cette situation de très près. Les arrêtés préfectoraux avaient fixé 25 000 hectares de dette compensatoire. La mutualisation des mesures a conduit à retenir 3 500 hectares de surfaces dédiées aux mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous commençons, au gré des activités de notre commission d'enquête, à avoir une vision claire du projet. Je vous remercie plutôt d'insister sur les difficultés qui vous semblent manifestes.

M. Gustave Talbot . - Première difficulté : les mesures conservatoires ont été beaucoup trop tardives car elles auraient dû être définies avant même l'enquête publique. Nous avons contesté la déclaration d'utilité publique (DUP) auprès du Conseil d'État, sans succès aucun comme vous pouvez l'imaginer. Seconde difficulté : les mises en défens étaient relativement ténues, même si les filiales de Vinci ont déployé des responsables environnement qui correspondaient avec nos associations. La qualité du travail était extrêmement variable en fonction des personnels concernés. Certes, nous sommes en relation avec l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), en charge de la police de l'eau, et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), responsable de la police de la faune sauvage. Nous avons été particulièrement vigilants aux passages petite et grande faune et, plus généralement, à l'ensemble des ouvrages permettant d'assurer la transparence de la ligne. Nous avons veillé à ce que le choix des sites destinés aux mesures compensatoires garantisse une plus-value écologique, avec un succès mitigé puisque des mesures ont été mises en oeuvre sur des sites déjà favorables à la biodiversité. Je citerai une anecdote. Quelques espèces - comme le triton de blasius ou l'ail rose - ont été découvertes durant le chantier et ont conduit à l'arrêt des bulldozers. Le préfet a dû déclarer que l'économique n'a pas à primer l'environnement. Les travaux ont également eu des conséquences négatives sur les mises en défens et conduit à la destruction de zones humides. Un bâtiment, qui abritait des hirondelles en reproduction, a été détruit sans que nous ne le sachions ; des rivières ont été polluées par des écroulements de terre dans leur lit ou encore de mauvais stockages d'arbres abritant des insectes xylophages ont été conduits. Le suivi, qui relève de la responsabilité de LISEA, a déjà commencé pour certaines mesures, notamment la création de mares. Sur ce point, je vous indique que la création de mares a parfois été imparfaite puisqu'elle n'était pas précédée d'une pêche de sauvegarde. Des espèces ont également été introduites dans des mares existantes, ce qui ne présente aucun intérêt.

Des suivis sont également engagés concernant l'avifaune de plaine et sont supervisés par l'antenne du CNRS de Chizé dirigée par M. Vincent Bretagnolle. La transparence des ouvrages fait elle aussi l'objet d'un suivi avec le repérage, par photos, piégeages ou empreintes des espèces.

Dans l'état actuel des choses, nous ne sommes pas en état d'évaluer l'efficience des mesures. Il nous faudrait plus de temps pour le faire, puisque la biodiversité ne s'installe pas aussi vite dans un paysage nouveau.

M. Jean-Louis Jollivet, vice-président de Vienne Nature . - J'interviens au nom de Vienne Nature, dont j'ai été le président durant un certain nombre d'années. J'ai également le privilège d'avoir suivi le dossier depuis 1992 qui, à l'époque, ne mentionnait pas un mot sur la biodiversité, sur les milieux naturels, ou sur la séquence ERC, qui date pourtant de 1976. Cette lacune originaire a sans doute marqué toute l'histoire de cette ligne. Je ne reviendrai pas sur les innombrables ratés évoqués par mon collègue. Je demanderai aux sénateurs de faire preuve de patience pour évaluer, dans dix ans, les effets de ce projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . -Nous concluons nos travaux le 10 avril prochain !

M. Jean-Louis Jollivet . - En ce qui me concerne, je me contenterai de pointer les difficultés qui nous ont marqué et de formuler des propositions d'amélioration du cadre juridique et réglementaire. Les difficultés sont ainsi de deux ordres : COSEA, maître d'ouvrage, n'a jamais eu la volonté politique de réussir sur le plan environnemental et a géré le chantier, pour le citer, « l'oeil sur la montre ». Les « valses-hésitations » autour des règlements environnementaux ont été très mal vécues par les salariés, s'agissant notamment de la séquence ERC accusée d'avoir provoqué, au gré des espèces découvertes, des arrêts de chantier. Du côté de l'État, nous avons eu affaire à un double langage mal vécu également : alors que les services déployés sur le terrain étaient extrêmement vigilants et disponibles, ils n'étaient pas suivis par leur hiérarchie. COSEA a, de ce fait, été encouragé à outrepasser les arrêtés préfectoraux qu'il était supposé respecter. L'obstacle principal avec le maître d'ouvrage a tourné autour de la conception même de la compensation : à nos yeux, elle devait apporter une plus-value à l'existant, en application du principe d'additionalité ; confronté à des difficultés d'acquisition dans la grande plaine céréalière où se trouvent notamment les outardes, le maître d'ouvrage a privilégié des mesures compensatoires réduites à la conservation de milieux naturels en état, mais menacés par l'extension des cultures céréalières, comme le bocage de Chaunay dans la Vienne. La question reste ouverte et il faudrait que la réglementation soit plus précise. En effet, une mesure de simple conservation d'un étang peut-elle être assimilée à une mesure compensatoire ? À cet égard, RFF et COSEA ont vécu comme excessive la compensation de l'outarde sur 700 hectares, tandis que nous la vivions comme insuffisante. Il y a là un problème de méthodologie pour évaluer de manière très précise où se situe l'impact.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La discussion de l'équivalence va être centrale dans notre rapport. Au final, vous avez trouvé un compromis, mais sur quels éléments ? Comment étaient justifiées les demandes des uns et des autres ?

M. Jean-Louis Jollivet . - Une expertise scientifique a été menée : il s'agit là d'un processus qui à mes yeux devrait être généralisé. Les trois chercheurs ont été unanimes pour constater une erreur dans l'appréciation de l'impact. Au lieu des 65 hectares initialement fixés, ils ont demandé un périmètre de 1 500 à 2 000 hectares. Nous avions un diagnostic radicalement différent de celui de RFF qui considérait qu'il n'avait pas à payer pour l'agriculture industrielle qui, à ses yeux, avait créé des dégâts bien plus importants sur l'outarde. Les opérateurs sont sans doute arrivés au mauvais moment, alors que l'outarde était sur le point de s'éteindre. Les mesures compensatoires sont devenues, de ce fait, le dernier outil pour tenter de sauver l'espèce. L'impact de la LGV n'était peut-être pas décisif, mais il entraînait bien un surcroit de cloisonnement. Le fait que les mesures compensatoires aient posé autant de problèmes résulte du manque d'anticipation. On a débuté le projet sans réserve foncière et sans que l'évaluation même du volume de compensation et des sites de compensation figure dans la DUP. Nous avons été frappés par le fait que la DUP ne permet pas de réaliser les mesures compensatoires. Ainsi, on exproprie sur l'emprise alors que les mesures compensatoires se situent, par définition, hors emprise. On est prisonnier du marché du foncier et de la bonne volonté d'éventuels vendeurs, tandis que les chambres d'agriculture ne sont pas toujours convaincues de l'intérêt à acquérir et préfèrent le conventionnement. Pour nous, c'est l'acquisition qui sécurise les mesures compensatoires et non la contractualisation. Il faut que le cadre juridique anticipe la compensation dès le niveau de l'avant-projet sommaire, c'est-à-dire de la DUP, et que les mesures compensatoires soient strictement évaluées en volume et localisées, induisant, du même coup, une obligation de réserve foncière.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - S'agissant de l'outarde, nous avons là un exemple de médiation scientifique réussie. Il y a eu discussion scientifique jusqu'à un accord.

M. Jean-Louis Jollivet . - La discussion très difficile a abouti à un compromis autour de 700 hectares à partir des projections scientifiques de l'ordre de 1 500 à 2 000 hectares.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Mais toujours avec les scientifiques ?

M. Jean-Louis Jollivet . - Oui, mais ils n'étaient pas d'accord sur la surface retenue de 700 hectares. Nous avons accepté ce compromis comme association.

M. Daniel Gilardot, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de la Vienne . - Nous avons pu aller très loin sur l'expertise de l'outarde puisque cette espèce fait l'objet d'un plan national de sauvegarde. En effet, nous suivions cette espèce depuis longtemps et connaissions bien ses différentes implantations. Nous mesurions ainsi d'autant plus facilement les risques qu'entrainerait une perte ou un cloisonnement de territoire. Cette démarche scientifique nous a permis d'obtenir des chiffres inattaquables et d'esquisser les conséquences du projet sur cette population en disparition.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'État soutenait cette démarche de médiation ?

M. Jean-Louis Jollivet . - Le directeur des infrastructures au ministère était convaincu qu'il y avait eu une erreur d'appréciation et a fait preuve d'une sincère neutralité. Les trois experts ont été acceptés par les deux parties et cette démarche a permis d'avancer. Cette démarche constitue, à nos yeux, un précédent important qui gagnerait à être suivi et nous a permis d'avancer.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous avons, à cette date, deux exemples de collège scientifique : celui de Notre-Dame-des-Landes où l'État n'a pas cherché le compromis avec le collège scientifique et le vôtre, que vous nous avez présenté et dans lequel l'État n'a pas suivi la même logique.

M. Jean-Louis Jollivet . - Nous pourrons vous retracer les étapes de cette démarche qui a été très longue et délicate.

Nous proposons que soit fixé dans la DUP un pourcentage de mesures compensatoires à faire par acquisition. En effet, nous avons perdu du temps à marchander pour fixer un minimum de 20 %. En tant qu'association, nous estimons qu'il faudrait aller au-delà. Il faudrait également se tenir à un calendrier impératif. Le retard a été pris dès le début. Dès le premier coup de pelle sur le chantier, 50 % des mesures compensatoires étaient déjà en retard. Les retards se sont ensuite cumulés. Le calendrier devrait comprendre des pénalités de retard, à l'instar de ce qui prévaut dans tous les chantiers.

Il nous semble également essentiel que les mesures compensatoires soient soumises à un ratio pour valoriser leur plus-value réelle. Il est anormal que dix hectares de zone humide restaurés représentent le même poids que dix hectares de zone humide en bon fonctionnement qui sont achetés, sans que soit conduite une quelconque forme de compensation. Il faut donc définir un coefficient de plus-value qui distingue la création de milieux, y compris à partir de friches industrielles dépolluées ou de zones économiques abandonnées. Dans notre région, beaucoup de ces zones ne sont pas viabilisées et peuvent par conséquent être réhabilitées en zones naturelles. Les pelouses qui verdissent ces zones économiques représentent par ailleurs un gaspillage de terres autant pour l'agriculture que pour les zones naturelles !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous des exemples de restauration de zones humides ou d'autres biotopes dans le cadre de ce projet ?

M. Jean-Louis Jollivet . - Une mesure compensatoire liée au déboisement du périmètre de Center-Park du Nord Vienne répond à ces critères. On reconstitue un foisonnement alluvial en compensation de la destruction d'une forêt sans grande valeur écologique. La plus-value écologique est réelle et le fait que la mesure soit mise en oeuvre à 50 kilomètres de la zone détruite ne gêne personne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La construction de la LGV a-t-elle entraîné la reconstruction de zones humides ?

M. Jean-Louis Jollivet . - Dans le bocage de Chaunay, qui est coupé par la LGV, des zones humides ont été achetées et gérées par le conservatoire des espaces naturels. Elles n'étaient pas toutes en bon état et très menacées par l'extension des cultures céréalières. Leur entretien va permettre leur sauvegarde. On est cependant dans une démarche qui mêle la conservation à la restauration.

M. Gustave Talbot . - Près de 150 mares ont été ajoutées pour compenser ce qui a été détruit.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les mares nous intéressent beaucoup et nous en avons visité quelques-unes.

M. Gustave Talbot . - Je vais revenir sur la compensation qui concernait initialement près de 25 000 hectares. De notre point de vue, les arrêtés préfectoraux étaient beaucoup trop imprécis pour que nous disposions d'arguments. Les 3 500 hectares finaux ont été fixés quasiment au doigt mouillé. Cela rendait le débat extrêmement difficile avec COSEA et nous avons fini par nous ranger à l'avis de la DREAL.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est donc la DREAL qui joue le rôle d'arbitre avec deux propositions ?

M. Gustave Talbot . - Tout à fait !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les 150 mares ont-elles été créées ex nihilo ou plutôt dans des endroits où d'autres mares existaient déjà ?

M. Gustave Talbot . - Généralement, les mares ont été créés là où d'autres ont été détruites et où l'on trouvait donc un potentiel d'amphibiens pour les recoloniser. Certaines mares doivent parfois être reconstruites, faute de pouvoir contenir l'eau. La difficulté est que les pêches de sauvegarde n'ont pas toujours été conduites au moment de la destruction des mares.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les endroits où ces mares ont été créées ne comprenaient pas de mares initialement ?

M. Gustave Talbot . - En effet, les mares n'ont pas été créées là où il y en avait déjà beaucoup. Le travail conduit était plutôt correct.

M. Jean-Louis Jollivet . - Nous avons été gênés par le fractionnement du projet en deux enquêtes publiques, ce qui a conduit à une situation ubuesque, avec une enquête pour le trajet Tours-Angoulême, alors que la DUP pour le projet Angoulême-Bordeaux était déjà signée. Une telle démarche frappait de caducité toute analyse possible du dossier, puisque l'affaire était réglée ! Il serait utile que la loi prévienne le découpage en parties distinctes de projets uniques et empêche que les promesses contenues par l'enquête publique ne soient jamais tenues par le maître d'ouvrage. Nombreux sont les gens - y compris parmi nos associations - qui ont été séduits par l'engagement d'utiliser les sillons dégagés sur la ligne ferrée historique pour assurer le ferroutage. Ce projet nous tenait à coeur et était de nature à améliorer la situation. Nous attendons toujours sa réalisation ! J'aimerais que le législateur trouve le moyen d'amener les porteurs de projet à ne pas promettre n'importe quoi, afin d'éviter que l'opinion publique ne soit induite en erreur. En conclusion, je dirai que le bilan n'est guère encourageant, depuis quarante ans que la séquence ERC est inscrite dans la loi. Même si nous sommes confiants quant à l'apport de la loi sur la biodiversité de 2016, l'effet de barrière et de fractionnement, dans le cadre d'un projet linéaire d'infrastructures de transport, n'est pas compensable. Il serait ainsi utile de limiter les grandes infrastructures de ce type au strict nécessaire et ainsi de privilégier la rénovation de l'existant. Nous disposons d'un capital de lignes qui peuvent être restaurées et modernisées, alors que la LGV présente un ensemble de problèmes insurmontables, non seulement par rapport à la biodiversité, mais aussi à l'habitat humain. Au lieu d'opposer la nature au cadre de vie, il conviendrait plutôt de promouvoir le paysage comme une interface viable entre les deux. La coupure liée aux infrastructures linéaires de transport ne saurait être compensée, ce qui devrait pousser à la réflexion, bien en amont, quant à la nécessité d'un tel chantier.

M. Gérard Bailly . - Nous avons vécu une situation analogue avec la ligne Paris-Belfort. Il faut reconnaître que les habitants du Territoire de Belfort, qui mettaient alors plus de 4h30 à rejoindre Paris, ainsi que l'ensemble de son bassin économique auraient éprouvé davantage de difficultés s'il n'y avait pas eu cette ligne à grande vitesse. Je suis naturellement pour la biodiversité, mais aussi pour les humains qui doivent se déplacer. Aussi, je ne souhaiterais pas que l'on condamne les modes de transport. Vous nous avez rappelé qu'une autoroute coupait tout autant la biodiversité qu'une ligne TGV ; ce à quoi, je souscris, puisque dans mon département, le Jura, nous avons à la fois une LGV et une autoroute ! Mais sur l'A39, inaugurée en 1998, beaucoup de choses ont été réalisées pour en limiter l'impact ! Par ailleurs, vous évoquez un nombre conséquent d'hectares pour les mesures de compensation. En quoi ces dernières consistent-elles ? Sont-elles fixées parcelle par parcelle et s'agit-il de fauches tardives, ou encore de remises en herbe ? Les agriculteurs ne semblent guère, à la lueur de vos propos, désireux de s'engager dans la compensation. Quelle est, selon vous, la raison d'un tel frein ?

M. Gustave Talbot . - Nos associations ne sont pas systématiquement opposées aux infrastructures de transport. Nous réagissons cependant lorsque l'environnement est mal voire n'est pas du tout pris en compte !

M. Gérard Bailly . - Je ne dénie pas ce que vous venez de dire !

M. Gustave Talbot . - Je prendrai l'exemple de l'A83, qui vient de Vendée et rejoint l'A10. On utilise de l'argent public pour essayer d'enrayer le déclin des espèces tout en construisant des ouvrages qui leur sont néfastes. Bien que cette autoroute, construite dans les années 1980, se situe sur une zone de protection spéciale, nous avons obtenu seulement trois hectares de compensation, une aire d'autoroute a été baptisée d'après l'outarde canepetière !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Y a-t-il toujours des outardes ?

M. Gustave Talbot . - Non, hélas. Par ailleurs, les chambres d'agriculture identifient les agriculteurs qui peuvent souscrire aux mesures. Ce n'est pas que les agriculteurs soient opposés aux mesures en tant que telles. Comme nous avions du retard dans la mise en oeuvre des mesures compensatoires, les agriculteurs n'ont pu être sollicités à temps. Il n'y a pas d'opposition de principe des agriculteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les représentants de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire, que nous avons auditionnés, nous ont paru assez allants sur le projet !

M. Daniel Gilardot . - Comme l'outarde relève d'un plan national de sauvegarde, les agriculteurs avaient déjà été sollicités pour mettre en place ces mesures agro-environnementales. Notre région est la dernière à accueillir ces espèces et les mesures sont d'ores et déjà bien connues et acceptées par les agriculteurs.

M. Gustave Talbot . - Ces surfaces ne sont pas soustraites à la production agricole. En revanche, des contraintes existent, comme des fauches tardives ou la suppression en luzerne de certaines fauches. Mais les agriculteurs sont indemnisés pour la perte de production qui s'ensuit.

M. Daniel Gremillet . - Dans votre propos, vous avez évoqué la lenteur et la complexité de l'accession à la propriété pour les terres devant faire l'objet de mesures compensatoires. On perd, me semble-t-il, du temps, compte tenu de l'objectif que vous poursuivez et de l'arsenal existant en droit du fermage. On pourrait gagner du temps en associant les agriculteurs qui sont propriétaires dans le secteur concerné dans l'atteinte de l'objectif, sans passer par l'expropriation, qui demeure conflictuelle. Un partenariat plus volontariste permettrait d'atteindre l'objectif commun, dès lors que des personnes sont prêtes localement à reconnaître l'intérêt de cette sauvegarde !

M. Gustave Talbot . - Je ne connais pas un seul exemple d'expropriation en matière de mesures compensatoires !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La loi ne permet pas l'expropriation en matière de mesures compensatoires.

M. Daniel Gremillet . - Je rebondissais par rapport à vos propos !

M. Gustave Talbot . - Pourquoi considérons-nous le pourcentage d'acquisitions comme insuffisant ? Un site acquis va être géré et suivi dans la durée d'exploitation de la ligne, à l'inverse de ce qui se produit dans le cadre d'une convention. Nous avons quarante cahiers des charges différents en fonction des espèces et les conventions ont une durée de huit ans renouvelable. Il faut cinquante années pour asseoir les espèces !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Où en est-on de la mise en oeuvre des mesures compensatoires sur la LGV ? Je vous remercie également de vos remarques qui ne figuraient pas dans vos contributions initiales, comme celle préconisant que l'arbitrage final entre deux propositions incombe à la DREAL afin d'assurer un compromis. Ce type de mécanisme nous intéresse vraiment pour le rapport final. Par ailleurs, on a bien compris que la séquence éviter n'était pas sur la table et que la séquence réduire n'a pas entraîné de grande modification du tracé. Si les 700 hectares retenus pour l'outarde avaient été mis sur la table plus en amont, le tracé aurait-il bougé ? Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait eu de réduction conduisant à modifier le tracé. Reste donc la compensation. Manifestement, des mesures de compensation non négligeables ont été mises en oeuvre, même si tout n'est pas réalisé à ce stade. Les atteintes à l'environnement générées par les travaux restent dans une forme d'angle-mort de la compensation alors qu'elles ont généré un certain nombre de contentieux, y compris au pénal. Comment voyez-vous la situation aujourd'hui ? Le dialogue est-il suffisant pour que la totalité des mesures de compensation soit mise en place ? Craignez-vous de voir disparaître vos interlocuteurs une fois le chantier terminé ?

M. Jean-Louis Jollivet . - La disparition prochaine de COSEA nous inquiète, puisque cet opérateur n'a pas encore mis en oeuvre toutes les mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - LISEA ne va pas les reprendre derrière COSEA ? On note votre inquiétude, car LISEA est censé exister dans la durée.

M. Jean-Louis Jollivet . - Ce sont deux groupes d'entreprises différents. Il me semble que les erreurs de COSEA ne contraignent pas LISEA.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Subsiste tout de même une obligation de résultat global ! LISEA est tenu sur le résultat final et reprend le fonctionnement.

M. Gustave Talbot . - Lors de la dernière réunion du comité de suivi à la préfecture de Bordeaux en décembre dernier, à laquelle participait notamment le CNPN, il nous a été indiqué que COSEA ne saurait disparaître tant que les mesures compensatoires n'auront pas été toutes réalisées. Sur les 3 500 hectares concernés par cette démarche, il en manque 1 600 qui ne sont pas totalement fixés. Ces mesures compensatoires ne seront pas totalement réalisées à l'horizon de la mise en service de la ligne. Il nous a ainsi été assuré que COSEA durerait tant que son travail ne serait pas abouti.

M. Daniel Gilardot . - La LPO Vienne oeuvre depuis de nombreuses années sur ce secteur qu'elle connaît donc bien. Nous n'étions pas favorables à la construction de cette ligne et nous avions jugé que la question du fret aurait dû être regardée plus sérieusement dans le cadre de l'évitement. Or, la LGV a été conçue sans prêter attention au fret. Aujourd'hui, l'autoroute A10 est saturée par les poids lourds et va devoir être portée à trois voies. La route nationale 10 est elle aussi totalement saturée. Comme nous sommes légalistes, nous avons accepté la DUP. Nous avons d'emblée, sous l'égide de PCN, accepté de travailler de concert afin de réduire au maximum l'impact en fonction des connaissances et de notre travail sur le terrain. Pour nous, l'outarde canepetière est un point non négociable, car le Poitou-Charentes a la responsabilité de la dernière population d'outardes canepetières migratrices, avec trois cent mâles de cette population. Les outardes de la Crau sont différentes, puisqu'elles ne migrent pas. Il s'agit de deux populations radicalement distinctes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - S'agit-il de la seule population de cette espèce migratoire en France ?

M. Daniel Gilardot . - En Europe même ! Il s'agit bel et bien des derniers représentants de cette population d'outardes migratrices ! Nous travaillons dans le cadre d'un plan national qui est aussi demandé par l'Union européenne. Ce point a très nettement influé sur les négociations. Pour nous, la partie compensation a été vue trop tardivement et, sans la nomination d'experts, nous n'aurions pas pu trouver un consensus sur les surfaces. La mise en place de la compensation s'est heurtée à la confrontation entre la logique du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) et celle de l'environnement. Elle a également pâti de la méconnaissance de ce qu'était une espèce protégée. Les personnes du BTP ne connaissent pas forcément la réglementation en la matière et on ne peut impunément détruire une espèce protégée. Nous avons constaté que la conception des aménageurs - qui ne souhaitaient pas que le chantier prenne du retard - s'avérait distincte de celle de la DREAL qui défend la loi. À cet égard, il serait salutaire que la loi affirme une doctrine forte de façon à ce que la défense des espèces protégées soit réellement primordiale.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qu'entendez-vous par doctrine ? Les personnes auditionnées cet après-midi nous ont signalé que l'équivalence ne s'inscrivait pas dans un cadre scientifique suffisant. Le séquençage doit-il être pris en compte, à l'instar de ce qui se passe dans le cadre de l'aménagement de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes où l'État s'engage à réaliser 20 % des mesures compensatoires avant la réalisation des travaux ? Dans d'autres cas, la construction de la LGV a entraîné un certain nombre de destructions, avant que ne soient prises des mesures compensatoires.

M. Daniel Gilardot . - J'avais été choqué d'entendre certains représentants de l'État prenaient des positions allant à l'encontre de la protection des espèces en privilégiant la conduite du chantier coûte que coûte. L'État devrait parler d'une seule voix afin d'éviter de semer le doute dans la population. Pour qu'il y ait une compensation réelle, il faudrait évaluer, bien en amont du projet, les actions de compensation de manière à ce que les constructeurs puissent les intégrer dans leurs coûts. Ce n'était pas le cas pour la LGV puisque les surfaces à compenser ont été décidées après l'attribution du marché. Il faudrait retenir ce point lors des travaux futurs et que la DUP comprenne une estimation beaucoup fine de la compensation que les travaux doivent induire. L'acquisition permettrait d'obtenir plus de souplesse et de bénéficier d'un horizon plus dégagé. Je n'imagine pas qu'un conservatoire achète pour revendre, une fois l'objet de la compensation atteint, ce qui serait catastrophique ! La mutualisation des mesures de compensation obéit à des considérations financières certaines, mais ne répond pas forcément aux besoins de la biodiversité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Trouvez-vous que nous avons trop concentré ? La ligne LGV prenant dix hectares au kilomètre et les 3 500 hectares doivent être proches d'un coefficient 1, au final. Celui-ci vous paraît-il insuffisant ?

M. Daniel Gilardot . - La compensation d'un hectare pour un hectare n'est pas, en tant que telle, la question, bien qu'une telle démarche revienne à nier les fonctions biologiques des différents secteurs concernés. On verra, dans le suivi des zones compensées, si elles peuvent absorber les espèces dont les surfaces ont été détruites.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pensez-vous, à cet égard, que les zones choisies pour la compensation sont globalement pertinentes ? Les mesures ont-elles été prises au bon endroit ? Avec un périmètre plus ou moins large et avec un meilleur dialogue en amont, aurait-on amélioré la localisation de la compensation ?

M. Daniel Gilardot . - On s'est attaché à demeurer dans les aires biogéographiques que traverse la ligne et à compenser au plus près. Pour autant, certaines zones ne peuvent être compensées, comme une forêt séculaire. Lorsqu'on parle de plus-value de la compensation, on a tendance à surcompenser dans des zones présentant déjà une valeur écologique importante et où se trouvaient déjà les espèces. Au final, on ne compense pas grand-chose et on n'apporte rien en termes de biodiversité. On surprotège certains secteurs, voilà tout !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En prenant l'exemple de l'outarde et de ses 700 hectares de compensation, on n'a tout de même pas détruit 700 hectares d'habitat de cette espèce !

M. Gustave Talbot . - Bien plus que cela ! D'après les experts, l'influence des modifications se fait sentir à un kilomètre, de part et d'autre, de la ligne. Cela représente, au final, des milliers d'hectares sur lesquels les outardes ne viennent plus s'installer.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La compensation a été finalement plus ramassée en surface, mais l'outarde devrait être mieux traitée ? Je schématise, mais c'est à peu près cela ?

M. Gustave Talbot . - C'est un peu cela !

M. Daniel Gilardot . - Le chantier arrive à son terme sans que la compensation n'ait abouti. Avec les retards initiaux que nous avons connus, il nous paraît difficile d'arriver à ce terme ! Dans les autorisations de chantier concédées par l'État, je suppose que l'aménageur est contraint d'aller au bout de ses engagements.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les associations savent faire également. Il y a des obligations de résultat et le maître d'ouvrage a bien compris le risque pénal encouru.

M. Gustave Talbot . - Je souhaitais souligner l'intérêt, pour une association comme la nôtre, d'avoir entamé la démarche auprès du directeur des transports du ministère pour que la compensation soit beaucoup plus importante pour l'outarde notamment. Les arrêtés préfectoraux devraient être plus précis, car les besoins biologiques de certaines espèces ne sont pas compatibles entre eux et ne peuvent être mutualisés.

M. Alain Vasselle . - Je voudrais réagir sur une partie des propos tenus par Daniel Gilardot, qui a regretté que l'évaluation de l'impact d'un ouvrage d'art sur les espèces ne soit pas conduit plus en amont afin d'évaluer, plus facilement, les besoins en matière de compensation. Cela m'apparaît en contradiction avec ce qui nous a été dit lors des précédentes auditions où la participation des associations, bien en amont des projets, m'a été confirmée. Je constate que ce n'est pas le cas pour tout le monde ! Daniel Gilardot nous a également parlé de la menace sur une espèce entière que faisait courir le passage de l'autoroute A10. Or j'ai constaté, dans mon propre département au moment de la traversée de l'autoroute A16, une prolifération de certaines espèces qui avaient disparu pratiquement de nos territoires, comme le lapin de garenne et la perdrix grise qui est venue occuper les parties herbées jouxtant les voies. Les aspects ne sont donc pas négatifs pour toutes les espèces ! Toutes choses comparables, comment peut-on expliquer que certaines infrastructures soient plus favorables à certaines espèces qu'à d'autres ? Enfin, je constate, en matière de plus-value pour les compensations, que la faune, comme le perdreau, le lièvre ou encore le chevreuil, se déplace vers des zones plus tranquilles. De telles zones connaissent ainsi une plus grande densité et contribuent à une sorte d'équilibre par rapport à ce qui aura été perdu dans d'autres territoires.

M. Daniel Gilardot . - Lorsque vous évoquez le lapin, vous avez en tête les territoires qu'on désigne comme les délaissés. Dans notre département, la situation est quelque peu différente puisque le lapin connaît un déclin très fort. Vous avez également évoqué la perdrix grise laquelle, à l'instar de l'outarde, a besoin de zones avec des insectes pour assurer sa reproduction. L'outarde canepetière a tendance à s'éloigner des grandes infrastructures. Avec trois cent mâles restant au niveau mondial et la perspective de la diminution de son aire de répartition, il était urgent de recréer des zones susceptibles de lui permettre d'assurer sa reproduction et de se préparer aux futures migrations. Cet oiseau, du fait de sa taille conséquente, a besoin de beaucoup de protéines et ne peut élever sa progéniture qu'avec des criquets ou des orthoptères. Il lui faut donc un milieu spécifique pour qu'il parvienne à effectuer un cycle complet avant de repartir en migration avec les autres oiseaux de l'année.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les délaissés peuvent être, dans certains cas, colonisés par les lépidoptères et d'autres espèces intéressantes. Ces espaces peuvent également devenir des refuges à sangliers qui se nourrissent dans les champs limitrophes. Cette question est assurément complexe.

M. Alain Vasselle . - Et sur l'association en amont des projets ?

M. Daniel Gilardot . - Comme l'a retracé Jean-Louis Jollivet, seuls 70 hectares de compensation étaient au départ mentionnés et ce n'est qu'à l'issue des interventions réitérées de nos associations, qui ont pu faire valoir l'existence de destructions importantes et souligner la légitimité de compensations adéquates, que les surfaces ont évolué.

M. Jean-Louis Jollivet . - La concertation nationale, à l'époque de la SNCF, n'a pas eu lieu. La Commission nationale du débat public a en effet dispensé ce projet de débat public. Avec RFF, nous avons certes pu parler, mais nos propos n'ont pas été pris en compte. Il nous a fallu attendre le concessionnaire COSEA et notre convention pour qu'une coopération voie effectivement le jour. Qui est responsable du refus d'évitement ? RFF décline à cet égard toute responsabilité, évoquant l'obligation de la prise en compte d'un fuseau de mille mètres lors de la reprise du projet. Il y a là un renvoi des responsabilités jusqu'à l'origine du projet. Avons-nous réellement modifié le tracé ? Le fuseau de 1 000 mètres n'a jamais bougé, sauf, à la marge, lors de l'entrecroisement entre la LGV et l'autoroute A10, suite aux demandes des municipalités et des associations, pour limiter la taille des délaissés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Qu'est-ce qui a permis, in fine , la collaboration ? COSEA s'est-il retrouvé devant une difficulté à réaliser ou fallait-il éviter des contentieux juridiques récurrents tout en assumant une obligation de résultat ? Comment est-on passé d'une coopération plus que minimale à des conventionnements ?

M. Jean-Louis Jollivet . - Vous donnez la réponse à vos questions ! Effectivement, COSEA a très bien compris qu'avec son manque de connaissance environnementale, il était incapable d'assumer les obligations posées par les deux arrêtés inter-préfectoraux. Cette société avait besoin de nous. De notre côté, nous avions compris notre manque de culture dans le domaine des travaux publics et notre incapacité d'influer sur les restrictions d'impact, tant que nous ne serions pas sur le terrain. En effet, on n'a pas le droit d'aller sur le chantier si l'on n'est pas habilité par l'entreprise. Il nous fallait ainsi passer par une coopération avec celle-ci. Pour porter secours à la nature en danger, nous avons dû mettre de côté certaines de nos convictions et surmonter nos réticences vis-à-vis de l'entreprise. Les deux cultures se sont confrontées et nous avons mutuellement beaucoup appris. Réussir une telle interface « triton-béton » était un pari très difficile et nous ne nous en sommes pas trop mal sortis ! Nous avons ainsi limité les dégâts de manière significative et n'avons pas le sentiment de nous être compromis, bien que nous n'ayons pas de connaissances sur l'évolution à long terme des solutions retenues.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur le projet de l'autoroute Pau-Langon, de l'argent a été mis sur la dynamisation et la réalisation d'études complémentaires sur des éléments inconnus. Avez-vous connaissance d'autres mesures de reconquête de la biodiversité, allant au-delà des compensations surfaciques sur le chantier de la LGV ?

M. Gustave Talbot . - De nouveaux dispositifs ont en effet été inventés. Ainsi, pour le vison, il n'y aura pas que des compensations surfaciques, mais aussi l'aménagement de soixante-dix ouvrages d'art pour éviter, autant que faire se peut, leur mortalité sur les routes. Dans ma présentation, je vous ai indiqué que LISEA et COSEA avaient conventionné avec les acteurs du terrain avec lesquels ils ont voulu d'emblée dialoguer. Il s'agissait d'un choix politique destiné à prévenir d'éventuelles difficultés.

M. Jean-François Longeot, président . - Messieurs, je vous remercie de vos interventions et de vos réponses à nos questions. Je lève la séance.

Audition de MM. Fabien Quétier, directeur d'études, et Mathias Prat, directeur de production, du bureau d'études Biotope
(mercredi 1er mars 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous commençons notre journée d'auditions par celle du bureau d'études Biotope. Dans le cadre de nos travaux sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, nous étudions plus spécifiquement quatre grands projets : l'autoroute A65, la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de Cossure. Notre objectif est de nous appuyer sur ces exemples pour identifier, plus généralement, les principaux obstacles qui empêchent aujourd'hui une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) et pour formuler des propositions visant à améliorer l'efficacité, l'effectivité, le suivi et le contrôle des mesures compensatoires.

Nous avons déjà effectué un grand nombre d'auditions, généralistes puis spécialisées par projet, et nous nous sommes déplacés dans la plaine de la Crau, à Notre-Dame-des-Landes et à Bordeaux. Il nous manquait une approche importante, celle des bureaux d'études qui ont permis l'élaboration des différentes méthodes de compensation utilisées par les maîtres d'ouvrage. Nous recevons M. Fabien Quétier, directeur d'études et M. Mathias Prat, directeur de production, du bureau d'études Biotope. Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Je vais vous demander de prêter serment. Tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Fabien Quétier et Mathias Prat prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Mathias Prat, directeur de production au sein du bureau d'études Biotope . - Nous sommes intervenus sur trois projets. Nous avons réalisé, pour Notre-Dame-des-Landes, entre 2008 et 2014, les volets faune-flore des études d'impacts, les dossiers relatifs à la loi sur l'eau, et le dossier de demande de dérogation pour le Conseil national de la protection de la nature (CNPN).

Nous sommes intervenus sur les phases aval de la LGV Sud Europe Atlantique (SEA), après les autorisations, pour le suivi de chantier et la mise en oeuvre de certaines mesures de réduction et de compensation, notamment sur la grande mulette.

Nous avons travaillé en amont du projet de l'A65 sur les études d'avant-projet sommaire (APS) - inventaires et expertises - et en aval sur la mise en oeuvre des mesures - suivi de chantier et diagnostic des sites de compensation portés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Directeur de production, je suis salarié de Biotope depuis les années 2000. Biotope est un bureau d'études créé en 1993 par trois fondateurs, toujours associés. C'est une entreprise indépendante de l'écologie, constituée intégralement de salariés. Elle réalise 16 millions d'euros de chiffres d'affaires et rassemble 230 personnes sur 17 établissements répartis sur toute la France, y compris à la Réunion, en Guyane et en Martinique, et avec des filiales à l'étranger à Madagascar, en Chine et au Maroc. Le chiffre d'affaires réalisé en outre-mer et à l'international représente 20 % de notre activité. Nous avons une activité d'ingénierie et de conseil, une maison d'éditions scientifiques, une agence de communication sur la biodiversité et développons des projets de recherche-développement, notamment sur la métrique et la quantification de l'information sur le terrain, ainsi que des produits réduisant les incidences des projets d'aménagement sur la biodiversité, notamment dans le domaine éolien.

Depuis les années 2000, Biotope s'implique fortement sur la reconnaissance du métier au sein des ingénieries. Le premier guide de prise en compte de la biodiversité a été rédigé par notre président, Frédéric Melki, pour la direction régionale de l'environnement (Diren) Midi-Pyrénées, première étape de retranscription de l'état de l'art et des bonnes pratiques dans la prise en compte de la biodiversité dans les études d'impact.

Fort de vingt ans d'expérience sur les études d'impact, j'ai pu constater l'évolution de la prise en compte de ces sujets dans les dossiers réglementaires. Là où la partie biodiversité représentait un chapitre, soit dix lignes, d'un projet de zone d'aménagement concertée (ZAC), les dossiers CNPN comptent aujourd'hui jusqu'à deux mille pages, pour un seul projet. Il en est de même pour la compensation : même sur de très grands projets, la compensation se résumait à des mesures de transplantation sur des sites déjà gérés, des opérations expérimentales, du financement de programmes existants...

Nous avons participé à la plupart des guides produits en France : l'actualisation des plans de gestion pour les réserves naturelles, les documents d'objectifs, les guides pour les aménagements par thématique - photovoltaïque, éolien - et les évaluations d'incidences Natura 2000 pour les projets de carrières. J'ai rédigé un guide sur la conservation - la gestion et la restauration - des garrigues et des landes en zone méditerranéenne. Biotope est impliqué tant dans l'aménagement que dans la conservation. La compensation réunit ces deux aspects.

Nous avons aussi rédigé des guides sur la compensation pour la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Réunion et travaillons actuellement sur un guide relatif à la démarche ERC en Guyane. Nous avons réalisé des études d'harmonisation, notamment pour l'ancienne région Languedoc-Roussillon - et la région Occitanie poursuit cette démarche. Récemment, nous avons rédigé un guide avec l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) sur la caractérisation des fonctions des zones humides, afin de promouvoir l'harmonisation des méthodologies et de tirer notre profession vers le haut.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce un guide méthodologique fondé sur la compensation surfacique ?

M. Mathias Prat . - Ce n'est pas du tout notre démarche.

M. Fabien Quétier, directeur d'études au sein du bureau d'études Biotope . - Ce guide répond à l'évolution du contenu des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui prescrivent, si possible, des compensations de nature fonctionnelle plutôt que surfacique. Jusqu'alors, aucun référentiel ne permettait au maître d'ouvrage, aux services instructeurs ou à l'Agence française pour la biodiversité (AFB), ex ONEMA, ou aux bureaux d'études prestataires de concevoir des mesures compensatoires avec une approche fonctionnelle plutôt que surfacique. Nous avons travaillé avec le Muséum, l'ONEMA et l'IRSTEA pour évaluer le niveau de fonctionnalité d'une zone humide avant et après impact, et adopté la même démarche pour le site de compensation. On caractérise ainsi la diminution de fonctionnalité du fait des impacts d'un projet d'aménagement et l'augmentation souhaitée des fonctionnalités du fait des interventions au titre de la compensation, afin de juger si, oui ou non, le niveau de fonctionnalité a été maintenu dans le bassin versant. Nous sommes très attachés à ce type de raisonnement dépassant les faiblesses d'un raisonnement surfacique qui, parfois, aboutit arbitrairement à choisir des ratios surfaciques sans réfléchir au contenu technique des mesures proposées sur telle ou telle surface ; cela rend parfois les engagements des maîtres d'ouvrage entièrement irréalistes dans leur mise en oeuvre et non nécessairement pertinents.

Nous participons à plusieurs instances de réflexion techniques et scientifiques sur des approches fonctionnelles. Nous avons testé ces approches sur les espèces protégés dans différents projets, en raisonnant sur les populations d'espèces, les exigences d'habitat et en qualifiant ces derniers de plus ou moins favorables à l'espèce. Favorabilité et fonctionnalité reviennent au même. Autant que possible, nous promouvons cette mise en miroir des pertes et des gains de fonctionnalité.

Directeur d'études, j'ai rejoint Biotope en 2011 après un passage par la recherche publique. J'interviens en transversal auprès des différentes agences de l'entreprise sur les sujets ERC et notamment la compensation, en France, dans les DOM et à l'étranger. Il se développe donc une communauté de pratiques sur les approches fonctionnelles et organisationnelles pour mettre en oeuvre la compensation : l'accès au foncier, l'organisation du financement, le suivi et le contrôle de la mise en oeuvre.

Biotope a été l'un des premiers bureaux d'études à travailler avec le ministère sur les lignes directrices ERC, et avec des collectivités locales ou les services déconcentrés de l'État pour les adapter à leurs spécificités, comme en Occitanie. Nous avons été auditionnés pour les travaux de modernisation du droit de l'environnement par l'intermédiaire de Syntec Environnement, syndicat des sociétés d'ingénierie. Via Syntec, nous avons participé à l'élaboration de la charte d'engagement des bureaux d'études. Nous avons été un précurseur dans le partage des données naturalistes, mises en oeuvre par la loi d'août 2016, mais que nous avions anticipé avec le Muséum. Nous dialoguons très activement avec le secteur de la recherche pour alimenter notre réflexion avec leurs travaux et leur faire un retour de terrain sur la mobilisation des résultats scientifiques.

Des débats interviennent aussi en dehors de la France. Ainsi, nous avons participé aux travaux de la Commission européenne sur l'initiative d'absence de perte nette de biodiversité ( No Net Loss Inititative ). La France est en avance pour son cadre réglementaire. D'autres pays européens s'interrogent aussi, comme l'Espagne et la Catalogne, ou les pays scandinaves - nous avions réalisé une mission pour le Conseil nordique. Nous collaborons avec l'Agence française de développement (AFD) sur des pays à très forte biodiversité et un haut niveau de menace en raison de leur développement économique et social, afin de mieux appliquer la séquence ERC. Ces pays ont des enjeux et des problématiques de gouvernance très différents de la France, mais une partie des solutions techniques se rejoignent.

Nous nous appuyons sur notre expérience concrète des projets et sur nos initiatives en matière de recherche-développement, grâce à cette approche fonctionnelle. Nous travaillons également sur les méthodes de réparation en nature des dommages accidentels à la biodiversité, notamment en cas de pollution. Certaines solutions techniques - méthodologies et équivalences - sont intéressantes puisqu'elles prennent en compte explicitement la dimension temporelle. Dans les cas de pollution, le milieu peut souvent, au moins en partie, se reconstituer, même s'il faut compenser la perte intermédiaire de biodiversité. Cela s'applique dans le cadre de la loi sur la responsabilité environnementale, malgré le manque de retours d'expérience, et peut faire partie de l'opérationnalisation de la notion de préjudice écologique.

Nous avons conseillé des collectivités territoriales, l'État et des organisations internationales comme l'OCDE sur les autres dimensions de la séquence ERC, et réalisons une veille très active sur les solutions de garantie foncière ou financière pour une bonne mise en oeuvre de la compensation. Nous nous étions positionnés pour monter un projet de compensation par l'offre lors de l'expérimentation nationale en 2011. Nous avions obtenu une lettre d'agrément mais avions finalement refusé de signer une convention avec le ministère car le marché de la compensation n'était pas mûr à l'époque : nous aurions vendu des compensations beaucoup plus coûteuses que les alternatives facilement disponibles - terrains publics ou naturels déjà intéressants pour la biodiversité - pour les aménageurs de l'Hérault. Ils n'avaient donc pas besoin de démontrer le gain de biodiversité ou de s'engager sur très long terme sur la vocation écologique des terrains.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous voulez sortir d'une logique purement surfacique. Quelle approche avez-vous retenue sur Notre-Dame-des-Landes ? Pourquoi refusez-vous l'approche surfacique sur la partie relative aux espèces protégées ?

M. Fabien Quétier . - La surface n'est pas un bon indicateur du niveau de biodiversité : il faut la qualifier. Nous calculons la compensation en travaillant tant sur le nombre d'hectares que sur le type de milieu. En raisonnant sur la catégorisation des surfaces, on perd la notion d'absence de perte nette, qui figure dans la loi de 2016, mais aussi déjà dans la doctrine de 2012 ou les lignes directrices de 2013. Selon certaines interprétations, la directive Habitats demandait que les dérogations ne soient accordées que si l'état de conservation des espèces était maintenu. Une approche purement surfacique de compensation d'une espèce à valeur patrimoniale élevée aboutirait à une compensation avec un ratio élevé - comme de 5 à 10 hectares de compensation pour un hectare impacté - tout en évitant de s'interroger sur ce qui est réalisé concrètement sur ces terrains pour améliorer la capacité d'accueil ou la qualité d'habitat pour les espèces impactées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je ne suis pas sûr de comprendre. Nous avons vu des mesures compensatoires menées sur la LGV ou l'A65, comme une ancienne peupleraie transformée en mégaphorbiaie, avec création de mares : 12 hectares ont été reconstitués mais avec une valeur surfacique de 140 hectares, soit 9,5 hectares pour la bondrée apivore et 10 hectares pour le triton crêté, et cela fonctionne bien. De même, les méthodes de sylviculture ont été modifiées pour que les fadets des laîches se développent mieux ; la méthode surfacique est satisfaisante dans ce cas. Nous avons constaté un meilleur encadrement scientifique de la méthode surfacique.

M. Mathias Prat . - La méthode surfacique suppose des engagements de moyens inscrits dans les arrêtés préfectoraux. Elle prévoit un certain nombre d'hectares à compenser, sans engagement particulier sauf s'il y a un accompagnement très fort des services instructeurs, du monde scientifique ou de l'ingénierie. La méthode miroir ou fonctionnelle intègre les notions de réussite, par objectif de résultat, et le suivi des résultats est intégré dans le développement de la méthode. Celle-ci doit être mesurable à chaque étape du programme de compensation. Actuellement, la pression est telle qu'on peut parvenir à de bons résultats. Biotope travaille sur mille projets par an. La plupart des projets échappent à toute surveillance. Les maîtres d'ouvrage ont des objectifs - inscrits dans les arrêtés - se limitant à des surfaces. Très souvent, il ne se passe rien ensuite, faute de moyens pour évaluer le gain de biodiversité à l'issue de l'opération.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce n'est pas lié à la méthode. Une méthode surfacique bien menée avec un suivi et une obligation de résultats nous semble efficace : le maître d'ouvrage qui se retrouve avec une dette écologique extrêmement importante au départ - 25 000 hectares sur la LGV - peut choisir des terrains avec un fort gain de biodiversité pour regagner jusqu'à 15 à 20 hectares de dette par hectare impacté.

M. Fabien Quétier. - Il y a juste une incompréhension. Ce que vous décrivez n'est pas ce que nous qualifierions d'approche surfacique. Le maître d'ouvrage de la LGV n'a-t-il pas une dette écologique de plutôt 5 000 hectares ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La surface est de 25 000 hectares avant mutualisation.

M. Mathias Prat . - C'est cumulé par espèce.

M. Fabien Quétier . - Ensuite, des arrêtés prescrivent des surfaces à compenser. Pouvez-vous expliquer la relation entre les 140 et les 12 hectares ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est une compensation surfacique par espèce. Mais vous connaissez mieux les systèmes que moi... Pour la bondrée apivore, le coefficient est de un. Si on restaure un espace ouvert favorable à cette espèce, il est aussi favorable au triton... On cumule ainsi les coefficients. Bien appliquée et avec un vrai suivi, cette méthode fonctionne bien.

M. Mathias Prat . - Il y a un travail de mutualisation et de recherche de fonctionnalité à travers cette analyse par milieu. Actuellement, les porteurs de projets en méthode surfacique impactant par exemple des zones humides ou des garrigues - avec un coefficient de 2 - vont rechercher des hectares sans se préoccuper des espèces qui seront couvertes, des milieux et des gains effectués... Il faut différencier les mesures de compensation d'un haut niveau comme pour la LGV SEA, qui intègrent une approche fonctionnelle dans la mise en oeuvre de la méthode surfacique de la majorité des projets, qui restent centrés sur une approche purement fonctionnelle.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour les très grands projets avec des moyens de suivi important cette méthode fonctionne. Si on l'appliquait à Notre-Dame-des-Landes, quelle serait la dette écologique surfacique de ces 1 400 hectares ? Cela a été fait sur tous les autres projets, et vous connaissez très bien ce projet. Vous avez dû comparer les deux méthodes pour arriver à votre proposition...

M. Fabien Quétier . - Nous ne disposons pas de ces chiffres car le maître d'ouvrage n'avait pas retenu cette démarche. C'est extractible depuis les dossiers de demande d'autorisation, puisqu'ils mentionnent les surfaces d'habitat des différentes espèces. En appliquant les mêmes ratios surfaciques que pour la ligne SEA, on arrivera à un chiffre en surface, en fonction du niveau d'impact, mais nous estimons que ce raisonnement n'est pas abouti. Il faut savoir ce qu'on fera ensuite des terrains considérés.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je ne veux pas savoir combien d'hectares doivent être trouvés pour la compensation, mais quelle est la dette surfacique avant de trouver les hectares de compensation qui cumulent la dette. On peut avoir une dette surfacique de 30 000 hectares et disposer de 10 hectares merveilleux de compensation en valant 30 000. Quel est le niveau de dette ?

M. Mathias Prat . - Nous ne disposons pas de ce chiffre, mais nous pourrions obtenir des chiffres similaires. La méthode surfacique part de surfaces d'impact auxquelles sont appliqués des ratios multiplicateurs, et l'on obtient un chiffre élevé. Ensuite, on trouve des sites de compensation sur lesquels on mutualise. Notre méthode intègre cela dès l'amont : nous réalisons de l'analyse fonctionnelle et de la mutualisation. Dans le premier système, il y a des engagements surfaciques avec une approche stricte sur les espèces, mais derrière il y a forcément une approche fonctionnelle de mutualisation. Notre méthode l'intègre directement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cet exercice n'a-t-il pas été réalisé ?

M. Mathias Prat . - Il n'a pas été fait sur Notre-Dame-des-Landes mais il a été réalisé sur la démarche ERC avec la DREAL Languedoc-Roussillon il y a quelques années. Elle a réuni l'ensemble des bureaux d'études de la région, chacun appliquant sa méthode usuelle : méthode surfacique, méthode combinatoire avec un aspect qualitatif, et nous avons appliqué notre méthode miroir. Globalement, il y avait plus de différences sur la façon d'appréhender l'ensemble du processus ERC que sur le résultat des terrains choisis pour faire la compensation, relativement proches. Une méthode surfacique doit être complétée par une vérification fonctionnelle lourde.

M. Fabien Quétier. - Vous évoquez un processus de mutualisation pour ramener des surfaces simplement additionnées à une démarche fonctionnelle, ce que nous faisons par notre approche en miroir. Mais nous le faisons en amont de la demande d'autorisation ; elle est intégrée au dossier de dérogation. Les résultats figurent dans les arrêtés. Plutôt que de laisser ce travail de mutualisation à des phases postérieures liées à la mise en oeuvre, il s'agit de donner les moyens, tant au maître d'ouvrage qu'aux services de l'État, d'avoir toutes les clefs pour comprendre, au moment de l'autorisation, la manière dont la compensation sera concrètement mise en oeuvre. Au-delà du dimensionnement, un des soucis majeurs est le défaut de mise en oeuvre de la compensation.

M. Fabien Quétier . - Nous évoquons des grands projets où l'État et les maîtres d'ouvrage ont les moyens de mettre en oeuvre la compensation. J'entends vos arguments, mais ils ne valent que pour des projets « vitrines » pour lesquels la surveillance de l'État s'exerce pleinement.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous devez avoir un inventaire précis surfacique des différentes espèces protégées concernées ? Nous pouvons faire le calcul à partir de cela.

M. Fabien Quétier . - Oui, nous disposons d'une cartographie des habitats d'espèces sur la zone du projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous allez nous adresser ces documents. Nous essayons de comprendre votre méthode. Tirons le fil et prenons un exemple. Le triton crêté doit être assez présent sur l'ensemble de la zone, mais sur quelle surface ? Ou avez-vous le chiffre du triton palmé ?

M. Fabien Quétier . - Le plus fort enjeu de conservation sur la zone était le triton marbré.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Combien d'hectares de triton marbré sont sur la zone ?

M. André Trillard . - Que faites-vous ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous évaluons la méthode scientifique.

M. André Trillard . - Je me permets d'intervenir. Le « nous » utilisé par le rapporteur est un « nous » de majesté, il ne nous englobe pas tous.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est le rôle du rapporteur.

M. André Trillard . - Nous refaisons une discussion détaillée entre la DREAL et le porteur de projet. Il fallait demander aux représentants de Biotope de venir avec le dossier pour le défendre. Nous sommes en train de réaliser une instruction à charge du projet de Notre-Dame-des-Landes. Je ne peux pas approuver cela, ni l'affirmation du rapporteur sur l'obligation de résultats.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est dans la loi !

M. André Trillard . - Scientifiquement, il est impossible de fixer par la loi une obligation de résultat absolue. On doit fixer l'objectif et les moyens, et revoir et adapter le projet régulièrement pour tendre vers ce résultat. En agriculture, à part Perette qui a cassé depuis longtemps son pot au lait, personne n'imagine que tout se passe comme ce que des politiques de haut niveau ont décidé. La nature s'adapte à sa façon, avec parfois des surprises allant dans un sens parfois inverse - bien meilleur - que ce que l'on avait imaginé. Jugeons l'application des mesures prescrites et l'efficience à des laps de temps raisonnables. On ne peut écarter le fait que des malveillants aient rajouté ou détruit des animaux pour que la démonstration soit encore meilleure... Il fallait demander avant à nos intervenants de venir avec le dossier de Notre-Dame-des-Landes...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous essayons juste de comprendre, à travers un exemple, la méthode d'unités de compensation. Le triton marbré est un bon exemple. Sur combien d'hectares est-il présent ?

M. Fabien Quétier . - Nous ne pensions pas avoir besoin de tous ces chiffres. Je peux juste vous expliquer le raisonnement. Des mares devant être artificialisées sur le projet d'aéroport et la desserte routière ont été identifiées, localisées et inventoriées pour estimer le nombre de tritons effectivement présents. Cela nous donne l'impact. Nous avons de l'habitat pouvant supporter tel effectif de triton marbré qui disparaît. La solution de compensation doit restaurer ou créer de nouvelles mares pouvant accueillir cette même quantité de tritons. Certes, des inconnues subsistent sur notre capacité à prédire combien de tritons seront accueillis dans ces nouvelles mares. Nous avions proposé au maître d'ouvrage, qui l'a accepté, de créer un programme de recherche avec des partenaires scientifiques pour suivre la recolonisation de ces mares et les abondances pour calculer les effectifs de tritons. Vous le voyez, à aucun moment il n'est question de surfaces.

Cette démarche, acceptée par le maître d'ouvrage et les services de l'État, a été en aval prévue dans un partenariat entre le maître d'ouvrage et l'université d'Angers. Je ne sais quelle fut l'application sur le terrain, compte tenu de la situation, mais le raisonnement sur cette espèce à fort enjeu visait les effectifs et non les surfaces. Vous avez une mise en miroir.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Sur le terrain, nous avons été interpellés en voyant une mare creusée par Aéroports du Grand Ouest (AGO) dans un sous-bois forestier - ce triton a un comportement forestier - dans un endroit où il y avait déjà des mares plus anciennes. S'il y a déjà une mare à 6 ou 8 mètres, qu'est-ce qui détermine la population de tritons, le nombre de mares ou le sous-bois ? Si on remet une deuxième mare juste à côté de la première, augmente-t-on la population de tritons ? Selon quelle étude scientifique ? Ne va-t-on pas avoir le même nombre de tritons sur deux mares ? La zone de diffusion du triton crêté est environ de 250 mètres autour d'une mare. Ici, une mare est creusée à moins de 250 mètres d'autres mares. S'il y a un climax sur la prairie, il y aura moins de tritons dans chaque mare, ils seront plus tranquilles mais on ne bougera pas les populations. Il n'y aura donc aucune compensation. Quelle est votre fondement scientifique indiquant que plus on met de mares, plus la population augmente, et que le climax sur le couvert forestier change ?

M. Fabien Quétier . - La démarche scientifique consiste à compter le nombre de tritons. Le programme de recherche utilisait des protocoles de capture, marquage, recapture estimant le nombre de tritons présents. Il faut estimer la population dans la mare initiale, créer la nouvelle mare et la suivre régulièrement pour savoir si la population augmente, et à quel niveau.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous n'aviez pas connaissance d'une étude scientifique prouvant que la multiplication des mares aboutit à la multiplication des tritons ?

M. Fabien Quétier . - La corrélation entre la disponibilité d'habitat favorable pour une espèce et ses effectifs est prouvée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'habitat favorable est-il le couvert forestier ou la mare ?

M. Fabien Quétier . - L'important est l'habitat limitant.

M. Mathias Prat . - Vous avez évoqué la LGV SEA pour laquelle le programme de compensation a pu se déployer dans sa totalité, et pour laquelle tout s'est bien passé. À Notre-Dame-des-Landes, pour l'instant, le programme n'a pas démarré. La mare creusée ne peut pas être considérée comme répondant à un besoin de compensation. Cette opération doit se voir dans sa globalité, dans l'ensemble des fonctionnalités nécessaires au développement de la population de tritons. Cela concerne l'ensemble de ses habitats, et non une seule mare. On ne vous a donc pas présenté un programme de compensation mais le creusement d'une mare.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La mare n'a pas de valeur d'unité de compensation dans votre système ?

M. Mathias Prat . - Pas toute seule. C'est une démarche purement surfacique de détruire une mare et d'en recreuser une. Cela ne marche pas comme cela.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est un consensus entre nous. Nous avons bien compris ce que nous avons vu sur l'A65 et la LGV. Ici, nous avons vu des terrains en bon état écologique, avec déjà un climax. On nous a montré des travaux de génie écologique dans ces territoires en bon état. Quelle valeur d'unité de compensation ajoute-t-on ? On ne raisonne qu'en additionalité... Notre trouble vient de là. Est-ce que cela n'a aucune valeur de compensation si le climax existe déjà ?

M. Mathias Prat . - Seul, cela n'a pas de valeur. Derrière, il faut mettre en place un programme.

M. Fabien Quétier . - L'additionnalité est le principal reproche qu'on pourrait faire aux approches purement surfaciques ne faisant que l'acquisition d'un milieu déjà favorable et le confiant à un gestionnaire sans autre additionnalité qu'une gestion courante. Cela nous semble peu pertinent, d'où notre réflexion fonctionnelle pour identifier de quoi ont besoin ces espèces : de mares pour se reproduire, de milieux terrestres... L'évaluation doit être menée sur un territoire donné et connaître le facteur limitant de l'effectif. Dans certains cas, ce sera les mares ; dans d'autres, le reste de l'habitat. Les propositions à l'époque mixaient les deux cas : le programme visait à créer des mares, à restaurer des mares dégradées et à travailler les espaces alentour pour faire reculer les activités agricoles impactant le plus ces animaux. Il ne suffit pas de creuser une mare et de compenser une mare pour une mare mais d'avoir une réflexion en termes d'habitat pour l'espèce. Le cas de Notre-Dame-des-Landes n'est pas bon pour voir la complétude de cette approche, en raison des décalages dans la mise en oeuvre du programme. Mais dans d'autres cas, cette démarche a été très bien accueillie, tant par les naturalistes, les services de l'État et des collectivités territoriales, que par la profession agricole. Ainsi, pour le contournement entre Nîmes et Montpellier, un raisonnement sur les habitats de l'outarde canepetière a permis de proposer des mesures analogues à des mesures agro-environnementales afin que les agriculteurs convertissent des parcelles pour créer un habitat favorable à l'espèce, alors qu'elles ne l'étaient pas précédemment. Il y a cette notion d'additionnalité. Est-ce ce que vous qualifiez de surfacique ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Non, nous raisonnons tous deux en fonctionnel. Quelle a été votre réaction sur l'avis sévère - avec douze réserves très fortes - du collège d'experts mis en place par l'État pour juger des mesures compensatoires ?

M. Mathias Prat . - Il y a eu trente réserves sur le projet de ligne SEA... Ces réserves sont relativement classiques sur des grands projets complexes avec de nombreuses espèces concernées. Avec douze réserves, nous sommes pratiquement dans la moyenne. Ce grand nombre de recommandations est normal.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Biotope a-t-il rédigé une réponse argumentée sur les douze réserves ?

M. Fabien Quétier . - Le maître d'ouvrage a répondu.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous lui avez probablement rédigé une note technique que vous allez nous transmettre ?

M. Mathias Prat . - Si les engagements sont insuffisants, le maître d'ouvrage les redéfinit, sur un même volume ou un volume plus important. S'il faut redéfinir ou préciser le programme, nous l'accompagnons pour répondre à ces questions.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le collège d'experts remettait en cause l'adéquation de la méthode de compensation, soulignait son excessive complexité, et contestait le choix et le calcul des coefficients de compensation. Sur ce dernier point, vous avez dû rédiger une réponse technique très argumentée sur votre méthode... En disposer nous permettrait de mieux comprendre...

M. Mathias Prat . - Nous avons produit différents documents. Le collège d'experts les a analysés. Nous avons répondu à certains points. Je ne sais pas si nous avons reprécisé la méthode des ratios mais nous vous transmettrons ces documents soumis aux services instructeurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment compensez-vous les prairies oligotrophes mésophiles ?

M. Mathias Prat . - Nous les compensons par des opérations de restauration de prairies afin de les orienter vers des prairies oligotrophes, au sein d'un programme. Nous cherchons des terrains et nous identifions, par un pré-diagnostic, les gains de biodiversité pouvant être réalisés - des peupleraies, des terres agricoles converties en prairies et qui évoluent grâce à des mesures de génie écologique ou hydraulique - afin d'atteindre les objectifs.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment reconstituer des prairies oligotrophes ?

M. Mathias Prat . - Il existe de nombreux habitats où toute la profession, y compris scientifique, manque de retours d'expérience, même si nous maitrisons assez bien la reconstitution de zones humides. Une partie de la compensation peut s'orienter vers de l'expérimentation, mais lorsque c'est trop compliqué, nous ne nous engageons pas sur ce terrain.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie. Pourrez-vous nous transmettre les documents évoqués ?

M. André Trillard . - Pourrez-vous notamment nous transmettre l'évaluation du nombre de tritons marbrés sur ce territoire ? Sont-ils des centaines ou des milliers ? Il faut avoir un point de départ pour évaluer ensuite la compensation. J'espère que le SDAGE évoqué n'est pas celui de Vilaine ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il s'agit du SDAGE du bassin-versant Loire-Bretagne.

M. André Trillard . - La compensation surfacique ne peut pas durer à cette vitesse-là : on ne peut pas dire que trop de surfaces sont utilisées par les constructions, et parler avec détachement de 25 000 hectares. Cela correspond à trois cantons ruraux !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ces hectares se cumulent entre eux, la compensation est moindre au final.

M. André Trillard . - On ne peut continuer sur cette base de surface sans regarder ce qu'on met à l'intérieur. Je m'arrêterai là mais je n'en pense pas moins...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il s'agit de la dette et non de la surface

Audition de MM. Jean-François Asmodé, directeur de l'Office de génie écologique (OGE), Pascal Fournier, directeur du Groupe de recherche et d'étude pour la gestion de l'environnement (GREGE), Stéphane Pradon, directeur adjoint d'Egis environnement, de Mme Rebecca Briot, directrice adjointe et de M. Vincent Guillemot, directeur des études de Dervenn
(mercredi 1er mars 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Nous poursuivons nos auditions des bureaux d'études concernés par la définition et la mise en oeuvre des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures que nous étudions. Nous recevons l'Office de génie écologique (OGE), bureau d'études spécialisé dans l'expertise des milieux naturels qui a notamment participé au complément d'étude environnementale à la suite des remarques du collège d'experts en 2013 sur le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ; le bureau d'études Dervenn, qui a également participé à ce complément d'étude ; le Groupe de recherche et d'étude pour la gestion de l'environnement (GREGE), bureau d'études sur l'environnement spécialisé dans la conservation des mammifères et de leurs habitats, qui a notamment réalisé en 2013-2014 l'étude sur le campagnol amphibie à Notre-Dame-des-Landes et qui a été mobilisé sur l'A65 pour l'inventaire écologique de certaines espèces spécifiques - vison d'Europe, loutre -, la définition des passages à faune, le montage du dossier administratif sur le volet compensation pour les espèces protégées faune et flore, et la vérification de la transparence écologique de l'infrastructure ; et Egis Environnement, mobilisé sur l'A65 et la LGV SEA pour des études préalables et les dossiers de déclaration d'utilité publique.

Nous recevons donc M. Jean-François Asmodé, directeur de l'OGE, M. Pascal Fournier, du GREGE, M. Stéphane Pradon, directeur adjoint de Egis Environnement, Mme Rebecca Briot, directrice adjointe et M. Vincent Guillemot, directeur des études de Dervenn. Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-François Asmodé, Pascal Fournier, Stéphane Pradon, Mme Rebecca Briot et M. Vincent Guillemot prêtent successivement serment.

Vous avez reçu un questionnaire indicatif, pour lequel nous apprécierions d'avoir vos réponses par écrit après cette audition. Pouvez-vous nous indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Jean-François Asmodé, directeur de l'Office de génie écologique (OGE) - Nous avons travaillé sur les contrôles des zones humides prévues pour la compensation sur Notre-Dame-des-Landes et nous avons recherché des terrains pour la compensation, en particulier forestière, sur la LGV SEA.

M. Pascal Fournier, gérant du Groupe de recherches et d'études pour la gestion de l'environnement (GREGE). - Docteur vétérinaire, je dirige le GREGE, bureau d'études spécialisé dans l'étude, le suivi et la conservation des mammifères. Nous sommes intervenus dans trois des projets concernés : l'A65, la LGV SEA et Notre-Dame-des-Landes pour les études sur le campagnol amphibie. Nous avons répondu par écrit. Je n'ai aucun lien avec la réserve d'actifs naturels de la plaine de Crau.

Mme Rebecca Briot, directrice adjointe de Dervenn . - Dervenn est intervenu à deux reprises sur Notre-Dame-des-Landes. Notre pôle travaux y a creusé six mares pour accueillir des transferts d'espèces - certaines ont été comblées depuis - et notre pôle études a réalisé un diagnostic écologique du foncier appartenant à Aéroports du Grand Ouest (AGO) sur la zone orientale du projet pour évaluer leur éligibilité à accueillir des mesures compensatoires.

M. Vincent Guillemot, directeur des études de Dervenn . - Il en est de même pour moi.

M. Stéphane Pradon, directeur adjoint d'Egis environnement . - Egis Environnement est intervenu sur trois de ces projets. Nous avons réalisé l'étude d'impact et le dossier d'enquête d'utilité publique pour la direction départementale de l'équipement de Loire-Atlantique (DDE 44) et l'étude d'impact de l'aérogare pour la société concessionnaire en 2011-2013.

Nous sommes intervenus très en amont du projet A65 pour réaliser l'étude d'impact et le dossier de déclaration d'utilité publique (DUP) pour la DREAL, puis une partie d'ingénierie environnementale et le dossier de demande de dérogation « espèces protégées » sur la base des études écologiques réalisées par des bureaux d'études spécialisées, dans le cadre du partenariat public-privé (PPP) pour le groupement Eiffage. Nous avons également réalisé le bilan loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) environnemental, un an et cinq ans après sa mise en service.

Nous avons participé aux études préliminaires sur la LGV SEA dans les années 2000 avec la SNCF, puis réalisé l'étude d'impact et le dossier DUP entre 2003 et 2005 sur la section Angoulême-Bordeaux. Dans le cadre du PPP avec Vinci, nous avons réalisé une partie de l'ingénierie environnementale et produit les dossiers de demande de dérogation relatifs aux espèces protégées et le dossier de police de l'eau.

M. Stéphane Pradon . - Egis Environnement appartient au groupe Egis, société d'ingénierie regroupant 140 environnementalistes travaillant dans les domaines des infrastructures, de l'industrie, de la ville et du bâtiment. Nous avons un certain nombre de domaines d'expertise environnementale comme le paysage, l'acoustique, la qualité de l'air, les odeurs, les sites et sols pollués, l'écologie et l'ingénierie environnementale.

Nous intervenons à différents stades d'élaboration des projets d'infrastructures, aussi bien dans des phases très en amont comme le débat public, les études préliminaires, les avant-projets sommaires jusqu'à la DUP, où nous pouvons appliquer la séquence ERC. Nous intervenons aussi par de l'ingénierie intégrée, en parallèle avec les équipes techniques de conception de projet.

Nous intervenons dans l'ensemble des dossiers à caractère réglementaire comme l'étude d'impact, la DUP, les dossiers d'autorisation unique regroupant les demandes de dérogation « espèces protégées » et les dossiers au titre de la loi sur l'eau. Nous intervenons aussi dans le cadre de la maîtrise d'oeuvre en études et en phase travaux, avec une partie de management environnemental des travaux, de contrôle environnemental des travaux, et sur la bonne application des prescriptions des arrêtés préfectoraux - loi sur l'eau, espèces protégées... - pendant les phases travaux. Nous intervenons aussi un an et cinq ans après la mise en service pour les bilans environnementaux prévus par la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI).

En fonction des contrats qui nous lient avec nos clients, nous pouvons travailler sur une simple expertise dans un domaine de spécialité - acoustique, écologie, paysage... - ou participer en tant que maître d'oeuvre à l'ingénierie du projet, et donc à l'écoconception de ces projets. Tout dépend du type de contrat nous liant à l'aménageur.

Notre intervention sur la séquence ERC dépend du stade d'avancement dans lequel on intervient. Plus nous intervenons en amont, plus nous serons capables d'appliquer cette démarche et surtout d'éviter des impacts, notamment lors des études préliminaires. À travers des méthodes - vérifiées par plus de quinze ans d'expérience - comme des analyses multicritères environnementaux - sur les critères environnementaux, techniques, socio-économiques -, nous pouvons comparer les scénarios, les fuseaux, les tracés, et éviter les secteurs les plus sensibles d'un point de vue environnemental, comme des sites protégés.

Cette démarche ERC s'applique à toutes les phases du projet, y compris lors des travaux. Nous maîtrisons davantage cette démarche lorsque nous pouvons influencer la conception et l'ingénierie du projet, son tracé et son dimensionnement. Lorsque nous intervenons uniquement en tant que bureau d'études environnementales, nous ne pouvons pas forcément influencer la conception du projet. C'est un processus itératif avec la conception du projet, la concertation de l'ensemble des parties prenantes - élus, associations, scientifiques -, une démarche intégrée mêlant tous ces critères.

Lorsque nous produisons les demandes de dérogation « espèces protégées », comme pour l'A65 et la LGV SEA, nous travaillons soit directement, soit avec des bureaux d'études en lien contractuel avec le maître d'ouvrage, pour synthétiser l'ensemble des enjeux écologiques du projet, apprécier les impacts écologiques, et proposer comment compenser.

Nous avons l'habitude de travailler en synergie avec les services de l'État, comme les directions départementales des territoires (DDT), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), l'Office nationale de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), le Commissariat général au développement durable (CGDD) ou l'autorité environnementale. Nous prônons toujours une concertation préalable avec les services instructeurs, dès le démarrage des études. Nous avons participé à la rédaction de plusieurs guides du ministère sur la séquence ERC ou la prise en compte de l'environnement dans les grands projets d'infrastructures. Ce travail est très riche.

Mme Rebecca Briot . - Dervenn est une entreprise indépendante d'études et de travaux de génie écologique, créée en 2002, située à Rennes, et rassemblant 30 personnes. Notre pôle travaux réalise des opérations de création, restauration et entretien des habitats naturels dans le grand ouest, tandis que notre pôle études intervient sur la séquence ERC pour des maîtres d'ouvrage publics et privés, soit en amont pour les états initiaux en tant que bureau d'études expert écologue, soit en aval pour l'assistance environnementale à maîtrise d'ouvrage et pour la conception opérationnelle de mesures compensatoires, leur mise en oeuvre et leur suivi, en s'appuyant sur un retour d'expérience de quinze ans du pôle travaux sur le génie écologique. Nous intervenons donc peu sur les volets « éviter-réduire », davantage du ressort de bureaux d'études plus généralistes pilotant l'étude d'impact, mais davantage sur le volet « compenser » pour du génie écologique et des mesures opérationnelles.

Nous travaillons sur divers projets de compensation, du petit projet de lotissement aux grosses infrastructures. Depuis 2014, nous pilotons un groupe de travail sur la compensation de la LGV Bretagne-Pays de la Loire pour le compte d'Eiffage-Rail Express, filiale à détenue à 100 % par Eiffage : nous réalisons la définition opérationnelle des mesures, l'obtention des autorisations réglementaires, l'ensemble des études techniques préalables et la mise en oeuvre des travaux sur les 150 sites de compensation avant l'ouverture de la ligne. Notre contrat se poursuit jusqu'en 2036 pour le suivi, l'entretien des mesures compensatoires et l'animation du réseau de locataires agricoles.

Dervenn porte également un projet expérimental de compensation par l'offre depuis 2012, à la suite de l'appel à projet du ministère de l'écologie, pour développer en Bretagne des sites naturels de compensation en lien avec les services déconcentrés de l'État, en insistant sur les usages d'un site et la conciliation des objectifs agricoles ou forestiers et les objectifs écologiques. Nous soutenons notamment le modèle agricole extensif breton qui a modelé nos paysages et la biodiversité.

M. Jean-François Asmodé . - OGE est une société indépendante créée en 1991. À l'époque, le génie écologique laissait perplexe. Une commission s'était réunie au ministère en charge de l'écologie. C'est notre coeur de métier, que nous appliquons dans les projets que nous développons pour nos clients. Plus nous intervenons en amont, plus notre influence sur le projet est importante, en le calant sur les zones de moindre valeur écologique, ce qui permet de réduire son impact.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Y parvenez-vous ? Il nous a semblé que la réduction donnait lieu à moins de victoires que la compensation... Modifier un tracé de route n'est pas chose aisée.

M. Jean-François Asmodé . - Sur le tronçon Le Mans-Tours de l'A28, le blocage a été total. La victoire n'est certes pas garantie à tous les coups, et nous arrivons souvent trop tard. Mais nous intervenons en amont, en aval, et dans le suivi.

Sur les normes, nous sommes dans l'expectative. Nous sommes qualifiés en tant qu'organisme professionnel de qualification de l'ingénierie bâtiment industrie (OPQIBI) : c'est important, mais sans doute insuffisant. Dans d'autres pays comme l'Angleterre, les experts eux-mêmes, et non les structures, sont qualifiés par leurs pairs.

Les contrats que nous signons ne nous imposent qu'une obligation de moyens, non de résultats.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'introduction dans la loi d'une obligation de résultat changera-t-elle vos façons de travailler ?

M. Jean-François Asmodé . - Je l'ignore. La tendance actuelle est d'associer les experts du milieu naturel que nous sommes aux équipes d'ingénierie et de favoriser la co-construction, afin que le projet tienne la route d'un point de vue financier, social et environnemental.

M. Pascal Fournier . - GREGE est composé de cinq personnes, toutes spécialistes des mammifères, notamment les mammifères semi-aquatiques. Nous réalisons des études et inventaires sur ces espèces, sur la base desquels nous proposons ensuite des mesures de conservation. Le volet « mammifères » des projets d'aménagement porte le plus souvent sur les mammifères terrestres, parents pauvres des études réalisées en la matière - nous reviendrons peut-être sur les normes d'inventaires... Nous intervenons donc à la demande des maîtres d'ouvrage ou des bureaux d'études sur les espèces constituant un enjeu important pour le projet mené, comme peut l'être le vison d'Europe, à tous les stades de la séquence ERC : des études préalables aux compléments d'investigation, selon le coût et l'état des projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le vison d'Europe revient en effet souvent dans les grands projets d'infrastructures que nous avons étudiés. Sont-ils une catastrophe pour l'espèce, ou au contraire, grâce aux mesures de compensation, une chance de le préserver ?

M. Pascal Fournier . - Il est difficile de vous répondre. On ne peut sans doute pas parler de désastre. Notre travail relève plus de la réduction que de la compensation, dans le cadre du chantier de la LGV / Sud Europe Atlantique, par exemple. Peu de gens le savent, mais le vison d'Europe est l'un des trois mammifères les plus menacés au niveau européen, sinon mondial, mais personne n'en parle et l'on ne fait pas ce qu'il faut pour le sauvegarder, même si des dispositions réglementaires imposent des études et des mesures dans le cadre de la séquence ERC.

À l'exception du risque de collision propre aux routes, les LGV et les infrastructures routières ont les mêmes effets : surmortalité, cloisonnement des populations et perte d'habitat indirect. Le vison souffre davantage d'une chute de sa population que d'un manque d'habitat, mais toute destruction d'habitat, notamment en zone humide, réduit sa capacité d'accueil. On peut mettre en place des mesures de réduction : dans le cas de l'A65 par exemple, le tracé a pu être modifié, et sur ce chantier comme sur celui de la LGV, le maximum a été fait : tous les cours d'eau, fossés et écoulements sont équipés de passages. Sur les autres infrastructures, on ne se préoccupe que des grands cours d'eau et les fossés ne sont pas équipés. La destruction d'habitat reste inévitable et donne lieu à des mesures compensatoires. Sur la LGV, nous avons proposé avec les associations non pas de compenser la destruction d'habitat au plus près des infrastructures comme c'est l'usage, car cela n'a pas beaucoup de sens pour le vison d'Europe, mais d'agir massivement sur les derniers noyaux de population et de lutter contre la mortalité routière.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le vison d'Europe fait l'objet d'un plan national d'action...

M. Pascal Fournier . - Oui, après le plan national 1999-2003, le plan 2007-2011, nous sommes dans une phase transitoire avant l'entrée dans le troisième plan.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les maîtres d'ouvrage entendent assez bien qu'il faut construire différemment, quitte à reporter le coût supplémentaire sur l'État ou les collectivités. Financer le suivi de long terme du fonctionnement des infrastructures et de leur impact sur l'environnement est plus compliqué. Ne faut-il pas accompagner les aménageurs dans la durée davantage que les inciter à construire ponts, tunnels et autres aménagements lourds en début de chantier ?

M. Pascal Fournier . - De tels aménagements, lourds ou non, sont de toute façon indispensables. Faire un chèque en blanc aux concessionnaires pour les actions de compensation ne me semble pas opportun. De plus, ce n'est pas leur coeur de métier. Nous pouvons les orienter. C'est ce que nous faisons sur la LGV mais c'est un cas particulier. Comment faire pour les espèces présentant un enjeu moindre ? Aidons-les plutôt à construire un projet de compensation adapté à l'espèce considérée. Enfin, le lien entre les bureaux d'études qui participent au projet et ceux qui font des offres de compensation ne pose pas véritablement problème dans la définition de la séquence ERC : ne les séparons pas par principe.

Mme Rebecca Briot . - Permettez-moi d'apporter un retour d'expérience sur le financement dans la durée. Notre contrat sur la LGV Bretagne Pays-de-la-Loire court jusqu'en 2036 ; sur les terrains mis à disposition, des baux ruraux environnementaux sont passés avec les agriculteurs locataires pour un euro symbolique contre le respect du cahier des charges, et des budgets d'entretien, de suivi et d'animation agricole sont prévus. Notre contrat prévoit une obligation de résultat, mais un certain nombre d'aléas ont été chiffrés, par précaution, comme la perte massive d'exploitation ou des mesures non pérennes.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Votre contrat a donc la même durée que la concession ?

Mme Rebecca Briot . - Oui, jusqu'en 2036, date de fin du partenariat public-privé.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - C'est extraordinaire ! Toute entreprise en rêve. Même si cela semble logique du point de vue du suivi.

Nous avons perçu des efforts de génie écologique, et il existe une vraie réflexion scientifique sur certains terrains de compensation. Quel est, toutefois, l'état de la connaissance ? Certes, il manquera toujours des informations, mais le stock dont nous disposons suffit-il pour tenir des stratégies de zéro perte nette, ou fait-on des paris sur l'avenir ?

M. Jean-François Asmodé . - Peu de projets n'affichent aucune perte nette. C'est une ligne de conduite, pas un objectif à atteindre. Si l'on parvient à préserver telle espèce, telle autre est touchée...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Est-ce le cas, même si, grâce à la dynamique économique des grands projets, les moyens financiers d'une large reconquête sont disponibles ?

M. Stéphane Pradon . - Nous avançons certes sur le plan méthodologique depuis une dizaine d'années, mais nous manquons encore cruellement de retours d'expérience. Les mesures compensatoires sont somme toute très récentes et les premiers suivis sont en cours de réalisation. Nous avons travaillé pendant vingt ans sur les suivis après mise en service dans le cadre des bilans socio-économiques et environnementaux prévus par la loi LOTI : la matière, très riche, est restée dans le tiroir d'un maître d'ouvrage ou les armoires des bureaux d'études ou du ministère et n'a jamais été exploitée. Sur la compensation, nous n'en sommes qu'aux débuts : notre recul n'est que de quelques années. Les chantiers de l'A65, des LGV Sud Europe Atlantique et Bretagne Pays-de-la-Loire, du contournement de Montpellier, donnent lieu à des concessions de longue durée et à des engagements compensatoires importants : il faut organiser l'exploitation de ces retours d'expérience.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - À qui cela incombe-t-il ? Au Muséum d'histoire naturelle ? À l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ?

M. Stéphane Pradon . - À mon sens, plutôt l'AFB.

M. Jean-François Asmodé . - Les réunions organisées pour dresser les bilans LOTI des infrastructures de plus de vingt kilomètres rassemblent beaucoup de monde un an après, mais au bout de dix ans, les équipes projet, celles des services de l'État ou des collectivités ont disparu ! Ce sont les bureaux d'études qui conservent la mémoire des projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous des exemples de stratégies de compensation bien conçues il y a dix ans mais qui, faute de suivi, n'ont rien donné ?

M. Jean-François Asmodé . - Oui, en matière d'urbanisme : certains espaces naguère gelés à l'urbanisation sont désormais grignotés par des projets de construction.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Faut-il, dans les plans locaux d'urbanisme, améliorer l'information sur les stratégies de compensation prévues ?

M. Stéphane Pradon . - Oui, cela irait dans le bon sens. Avant 2007 et les arrêtés ministériels sur les espèces protégées, certaines mesures compensatoires prescrites par les arrêtés pris au titre de la loi sur l'eau ou les déclarations d'utilité publique (DUP) ne voyaient jamais le jour, ce qui ne choquait personne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les associations de protection de l'environnement ne portaient-elles pas plainte ? Elles n'ont peut-être pas plus de mémoire que les autres...

M. Stéphane Pradon . - Des bilans LOTI ont même pu en faire mention sans que personne ne réagisse.

M. Jean-François Asmodé . - Les bilans sont longs, requièrent du suivi, de la suite dans les idées... Or notre monde, fait de « zapping », en est dépourvu.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce sera un point important de notre rapport.

Je reviens sur l'aspect scientifique. Nous avons observé la méthodologie sur le terrain : logique surfacique, dette par espèce... Est-ce la bonne méthode ? Vos méthodes diffèrent-elles ?

M. Vincent Guillemot . - Le principe d'équivalence est fondamental : on ne peut remplacer une zone humide par une haie, par exemple. Le principe de fongibilité aussi : la création d'une haie peut servir à une chauve-souris comme à un insecte. Ce principe permet de limiter l'utilisation surfacique de territoires agricoles. Il est difficile de généraliser, toutefois : les unités de compensation ne sont que des cas particuliers.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Certes, mais beaucoup d'aménageurs nous demandent un cadre ! Le principe d'équivalence peut servir de fondement ; il s'agirait alors de définir une dette surfacique, et de prévoir un système de mutualisation. Qu'en pensez-vous ?

M. Pascal Fournier . - Le calcul des ratios qui fondent l'estimation de la dette surfacique fait l'objet de débats, et la définition de la compensation elle-même est complexe : les entrées par espèce conduisent à une dette globalisée, mais comment déduire une centaine d'ouvrages routiers décidés en compensation pour les visons d'une dette calculée en habitats ? De plus, les modalités de calcul varient d'un projet à un autre. Les projeteurs utilisent toutefois tous un montant financier : sans doute faudrait-il donner une valeur financière à tous ces aspects. Autre question : fait-on de la restauration ou de la conservation ? L'objectif zéro perte en dépend.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous cherchons autant à simplifier qu'à élaborer un cadre le moins mauvais possible... La méthode la plus courante consiste à calculer une dette surfacique, à préciser les équivalences et à prévoir une possibilité de mutualisation. Là où il y a débat, un juge de paix est mis en place, comme sur le chantier de la LGV Tours-Bordeaux : à l'annonce des 65 hectares de compensation des menaces pesant sur l'outarde canepetière, les associations avaient hurlé à la disparition de la dernière espèce migratrice du monde. La médiation menée par le Muséum national d'histoire naturelle a porté ce chiffre à 700 hectares. Autre hypothèse : faire valider un accord de tous les acteurs par le Conseil national de protection de la nature (CCNPN), qui éviterait par exemple de dépenser beaucoup d'argent pour sauver la moitié d'un vison sur tel chantier alors que d'autres actions peuvent être conduites ailleurs.

M. Jean-François Asmodé . - Il faut en tout cas un système souple. La nature n'est pas la même dans la plaine de Niort, dans les Causses ou dans les Pyrénées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Certes, mais trop de souplesse multiplie les contentieux. Il faut un cadre et un tiers chargé de veiller au consensus.

M. Vincent Guillemot . - Il faut travailler sur les échelles biogéographiques. M. Asmodé a raison, tous les cas diffèrent : la plaine de Niort, les landes des monts d'Arrhée ou le coeur des Alpes, ce n'est pas la même chose. Mieux vaudrait créer des groupes de travail au niveau régional, validés par les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN), instances scientifiques les plus qualifiées pour cet exercice. Cadrer les choses au niveau national ne peut vouloir dire qu'affermir les notions d'équivalence ou la thématique surfacique. Aux territoires biogéographiques, définis à une échelle suffisamment fine, de préciser les choses.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Même pour les espèces sur liste rouge ?

M. Vincent Guillemot . - Le flûteau nageant, qui fait l'objet d'un plan national d'action, est une espèce végétale aquatique courante en Bretagne, mais plus rare ailleurs. Le CSRPN n'arbitrera donc pas de la même manière une compensation en Bretagne ou dans le Massif Central... Faisons confiance aux territoires, aux associations, aux bureaux d'études locaux, aux CSRPN.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si le CSRPN breton s'était prononcé sur l'escargot de Quimper, le centre d'entraînement du stade brestois aurait-il été construit à Plougastel-Daoulas ?

M. Vincent Guillemot . - Je l'ignore. Sur la sphaigne de la Pylaie, espèce quasiment endémique de la Bretagne et très présente dans les monts d'Arrhée, nous avons travaillé sans doute plus efficacement que si le dossier avait été traité par les experts à l'échelon national.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'enjeu reste de construire des consensus entre scientifiques, naturalistes et aménageurs. Le chantier de la LGV Bretagne Pays de la Loire a montré que nous pouvions y arriver.

M. Vincent Guillemot . - Tout à fait. Eiffage Rail Express a travaillé très en amont avec les services de l'État pour élaborer des esquisses de mesures compensatoires, validées par les services déconcentrés de l'État puis par arrêté préfectoral. Nous avons ensuite précisé le contenu de cadres souples dans les plans projets. Leurs esquisses excédaient même de 10 % le volume des compensations que la loi leur imposait.

M. André Trillard . - Tout cela suppose au préalable une excellente vision de l'existant. Il faut donc bien arrêter le diagnostic à un moment... N'y a-t-il pas là des marges d'amélioration ? La loi doit, sur ce point, être précise. L'évaluation exacte est importante, même sur de très grandes surfaces.

M. Vincent Guillemot . - Absolument. Nous définissons en général de très grands cadres de plusieurs dizaines de kilomètres carrés ; il faut ensuite choisir la variante de moindre impact. Les études ponctuelles de terrain ou bibliographiques devraient être, à ce stade, plus systématiquement remplacées par des études d'inventaire.

M. André Trillard . - C'est plus compliqué lorsque le projet a été autorisé sept ans auparavant...

M. Stéphane Pradon . - Nous ne sommes alors plus dans l'évitement, mais, éventuellement, dans la réduction ou la compensation. L'évitement ne peut se faire qu'au stade de l'étude préliminaire ou de l'avant-projet. Lorsque le projet a été déclaré d'utilité publique et que l'étude d'impact a été réalisée, c'est trop tard.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'étude d'impact et l'enquête publique devraient sans doute être plus précises sur les mesures compensatoires. Qu'y ajouteriez-vous ?

M. Stéphane Pradon . - L'étude d'impact est en général réalisée au stade de l'avant-projet sommaire, ce qui est bien précoce. Ce n'est qu'au stade de l'avant-projet détaillé que l'approche de la compensation se précise, dans la procédure d'autorisation unique valant autorisation au titre de la loi sur l'eau et dérogation à l'interdiction d'atteinte aux espèces protégées. Dans certains pays européens, la déclaration d'utilité publique (DUP) se fait beaucoup plus tard dans la conception du projet. Nos procédures de conception des infrastructures de transport ont quinze ou vingt ans, et ont manifestement évolué beaucoup moins vite que le droit de l'environnement. C'est un vrai problème. Et nos discussions avec les services instructeurs de l'État et les associations le montrent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans un monde idéal, comment ferait-on ?

M. Stéphane Pradon . - L'autorisation environnementale et la réalisation de la déclaration d'utilité publique et de l'étude d'impact seraient concomitantes, au stade de l'avant-projet détaillé, et non au stade de l'avant-projet sommaire.

M. Vincent Guillemot . - J'ajouterais une réglementation des pressions minimales d'inventaire sur les territoires. Les candidats aux marchés publics se voient généralement présenter un cahier des charges léger, et le mécanisme de mise en concurrence conduit à retenir le moins-disant, ce qui n'est pas favorable à l'évitement. Réglementer la pression minimale d'inventaire par hectare et par thématique naturaliste améliorerait la connaissance du terrain et rendrait l'évitement, la réduction et la compensation plus efficaces.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nos propositions feront une place à ces aspects.

M. Pascal Fournier . - Les inventaires restent flous, car des cortèges d'espèces, par exemple, sont oubliés, et les contentieux sont facilités par l'absence de normes assez fines. La notion d'état des populations est trop imprécise. Il faudrait normaliser les niveaux d'investigation et les mesures qui en découlent. Certes, il y a des particularismes géographiques, mais des lignes directrices doivent pouvoir être tracées : la destruction de l'habitat, le cloisonnement, la mortalité routière, renvoient à des choses bien identifiées.

M. André Trillard . - Je maintiens qu'il faut parvenir à évaluer la population, ou sa densité. On peut certes se tromper d'un coefficient 2, mais pas d'un coefficient 50 ou 100... Autre problème : l'impossibilité pour les personnes qui réalisent ces études de travailler sans se faire agresser, comme c'est le cas sur l'un des sites auxquels nous faisons référence... Et je redis qu'il est complexe de faire appliquer des normes nouvelles sur un projet autorisé sept ans auparavant.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le caractère concurrentiel de la procédure, conduisant à retenir le moins-disant, pose en effet problème : le bureau d'études proposant les compensations les moins onéreuses sera avantagé. Ne faudrait-il pas soustraire les coûts de la compensation du système concurrentiel ? Le coût réel de la compensation est une boîte noire, mais on peut l'estimer à 1,5 % ou 2 % du coût total - en tout cas moins des 10 % souvent avancés par les protagonistes.

M. André Trillard . - La dépense n'est pas un objectif en soi, c'est l'efficience qui compte.

M. Pascal Fournier . - La variable déterminante est le niveau d'investigation. On ne sait pas à l'avance quel niveau de compensation sera proposé.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Mais un bureau d'études qui remporte un marché parce que ses inventaires sont peu onéreux tout en conduisant à tripler le coût du projet conserve-t-il longtemps ses clients ?

M. Pascal Fournier . - Vous avez sans doute raison, mais c'est parce que la procédure est insuffisamment normalisée, en conséquence de quoi le moins-disant génère moins de mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le donneur d'ordres attend aussi du bureau d'études qu'il fasse des propositions de compensation bien maîtrisées. La trop grande proximité des bureaux d'études et des concessionnaires n'est-elle pas porteuse de risques ?

M. Vincent Guillemot . - Une compensation mal ficelée sera retoquée par les services de l'État. Le bureau d'études qui abaisse la qualité de ses prestations prend le risque d'être contraint de mettre de nouveau en oeuvre ses mesures compensatoires, le cas échéant avec une pénalité. Chez Dervenn, nous militons pour la compensation par l'offre, c'est-à-dire pour la mise en oeuvre anticipée de mesures compensatoires, adaptées à de potentiels impacts futurs, afin de valoriser des actifs dont l'efficacité sera reconnue par un maître d'ouvrage. Car le problème principal, nous l'avons tous dit, reste l'absence de suivi dans le temps long des mesures mises en oeuvre.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Faut-il faire certifier les bureaux d'études ?

M. Vincent Guillemot . - Les personnes elles-mêmes !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Oui, nous ne l'écartons pas non plus. Ne faut-il pas en outre séparer les bureaux d'études chargés des inventaires de ceux qui émettent les propositions d'offres de compensation ? À défaut, de gros bureaux dotés d'une expérience dans la compensation des menaces pesant sur telle espèce qu'ils connaissent bien orienteront leur inventaire dans ce sens pour proposer une solution clé en mains.

M. Stéphane Pradon . - L'inventaire, le dossier réglementaire et le principe de compensation d'une part, les offres de compensation d'autre part, font généralement l'objet de deux marchés publics distincts, donc de deux procédures d'appel d'offres. Ce ne sont d'ailleurs pas toujours les mêmes bureaux d'études qui répondent à l'un et à l'autre. Le maître d'ouvrage est de toute façon libre de son choix.

La première exigence contractuelle des maîtres d'ouvrage est l'obtention des autorisations, ce qui les conduit parfois à substituer leurs propositions aux nôtres, ou à réécrire telle partie de l'étude d'impact, où son nom n'apparaît pas - ce qui, d'ailleurs, peut poser un problème juridique.

M. André Trillard . - Je n'ai de suspicion sur personne, mais je n'apprécie pas qu'une association se donne pour nom « Naturalistes en lutte » ; scientifique moi-même - je suis vétérinaire -, je désapprouve ce type de mélange entre science et politique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vos offres de compensation tiennent-elles compte des trames vertes et bleues et des schémas régionaux de cohérence écologique ? Pensez-vous enfin que le juge administratif a la capacité de trancher ces contentieux, qui portent sur des questions essentiellement scientifiques ?

M. Jean-François Asmodé . - Notre retour d'expérience est nuancé : le juge nous a donné tantôt raison, tantôt tort...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ne demande-t-on pas au juge d'évaluer des éléments scientifiques, alors qu'il n'en a pas la capacité ?

M. Jean-François Asmodé . - C'est davantage un problème de temps : la nature évolue, le maître d'ouvrage change, en sorte que la photo prise à un instant t , une fois présentée au juge, ne reflète plus la réalité. Il faudrait que le jugement soit rendu plus rapidement.

M. Pascal Fournier . - Des collusions restent possibles entre certaines commissions, leurs représentants scientifiques et les acteurs de terrain. Il faut, là aussi, réussir à assurer une certaine indépendance.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je vous remercie. Vous pourrez compléter vos réponses par écrit.

Audition de M. Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, et M. Stéphane Bois, directeur du pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire
(mercredi 1er mars 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, par l'audition de Nantes Métropole.

Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques, dont celui d'aéroport à Notre Dame des Landes.

Nous nous sommes rendus sur le terrain le 17 février dernier. Il nous a semblé utile de compléter les informations recueillies au cours de ces dernières semaines par des informations plus précises relatives à la révision du schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Nantes-Saint-Nazaire et à son évaluation environnementale. Nous recevons à cette fin M. Fabrice Roussel, vice-président de Nantes-métropole et M. Stéphane Bois, directeur du pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire.

Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Fabrice Roussel et Stéphane Bois prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président . - Avant de vous donner la parole, pouvez-vous nous préciser les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête - l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Fabrice Roussel, vice-président de Nantes-métropole . - Je n'en ai aucun.

M. Stéphane Bois, directeur du pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire . - Moi non plus.

M. Fabrice Roussel . - Merci de nous avoir invités. Je m'exprimerai plutôt en tant que vice-président du pôle métropolitain et limiterai mon propos au rôle d'un SCoT sur les questions de compensation environnementale des projets d'infrastructures. Ce SCoT a fait l'objet de nombreux échanges entre les élus, sur le développement urbain, les déplacements, le développement économique ou la préservation de l'environnement. L'aéroport n'a pas été le sujet majeur de nos discussions.

Le SCoT s'inscrit dans une hiérarchie des normes ; il doit donc respecter la loi et le code de l'urbanisme qui lui sont supérieurs. C'est en outre un mode d'action indirect : sa mise en oeuvre passe par l'articulation avec les documents d'urbanisme de rang inférieur, comme les plans locaux d'urbanisme (PLU), les plans de déplacement urbains (PDU) ou le programme local de l'habitat (PLH). Il ne dit donc pas tout sur l'aménagement du territoire. C'est toutefois un document stratégique, qui fixe des objectifs et des grandes orientations prescriptives, qui doivent être déclinées par des règles d'occupation et d'usage des sols dans des documents d'urbanisme communaux ou intercommunaux. Ces règles doivent naturellement être respectées par les projets d'aménagement, sous la responsabilité de leurs maîtres d'ouvrage respectifs. Les principes fondamentaux de subsidiarité et de compatibilité sont ainsi respectés. Les SCoT sont en outre établis sur la base des prévisions démographiques et économiques, selon un horizon à quinze ans - durée courte, au demeurant, pour les projets de grandes infrastructures.

Le SCoT est composé de l'état initial de l'environnement, du projet d'aménagement et de développement durable, du document d'orientation et d'objectifs et d'une évaluation environnementale. Cette dernière témoigne que, depuis la création de cet outil de planification réglementaire au début des années 2000, le législateur a renforcé la prise en compte de l'environnement dans l'élaboration des SCoT. Cette évaluation s'effectue au moment de l'élaboration du SCoT ; les résultats de l'application des SCoT sont analysés tous les six ans - nous nous mettrons bientôt en ordre de marche pour réaliser ces travaux dans les prochaines années.

Dans le cadre de l'élaboration d'un SCoT, la séquence ERC est appréhendée à des degrés différents. D'abord, les mesures d'évitement qui guident l'élaboration du projet concernent les choix de localisation des extensions urbaines ainsi que les choix et les niveaux de protection des espaces naturels et agricoles. Ensuite, les mesures de réduction consistent à fixer les conditions de réalisation d'une urbanisation compatible avec la gestion de la ressource en eau, l'imperméabilisation, la protection des espaces agricoles, et sont le plus souvent de type générique puisqu'elles sont rendues opérationnelles par les documents locaux d'urbanisme. Ces mesures de réduction peuvent aussi relever des PLU. Les modes de gestion agricole, de traitement de l'eau ou des déchets ne peuvent être que suggérés sous forme de recommandations ou de mesures d'accompagnement.

Les mesures de compensation, exceptionnelles, ne sont proposées que lorsqu'aucune mesure de réduction des incidences négatives n'est envisageable. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) estimait en 2015 que cette notion était délicate à aborder pour les plans, les schémas et les programmes et mettait en garde contre la confusion entre les mesures relatives aux plans et programmes et celles dédiées à chacun des projets, dont les niveaux de précision diffèrent. En matière de compensation, les documents d'urbanisme peuvent identifier le foncier utile via des zonages, des emplacements réservés et les règlements pour les PLU, mais aussi en délimitant des espaces et des sites à protéger. Cela ne suffit toutefois pas nécessairement à assurer la mise en oeuvre des mesures compensatoires relevant des obligations réglementaires de chaque maître d'ouvrage. Il appartient ensuite à l'État, et le cas échéant à la justice, d'apprécier la légalité et la pertinence des mesures proposées au regard du droit opposable.

Le SCoT doit prendre en compte les projets d'infrastructures de l'État et des collectivités territoriales. Nous l'avons fait dans le cas de l'aéroport, mais aussi d'autres projets. Cette prise en compte doit s'effectuer en l'état d'avancement des projets. Le législateur a également prévu une mesure de mise en compatibilité des SCoT pour tout projet déclaré d'utilité publique.

Un SCoT ne peut ni ne doit définir un tracé précis mais s'attache à définir sa vocation, sa nature et les conditions de son insertion dans un projet d'aménagement global. Les services de l'État, dans les guides édités par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), indiquent que l'élaboration d'un document d'urbanisme est l'occasion pour une collectivité de mener une réflexion sur les mesures de compensation utiles qui, lorsqu'elles sont connues et validées par les autres autorités compétentes, font partie de l'état initial de l'environnement.

Le pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire regroupe soixante et une communes et cinq intercommunalités. Un premier SCoT a été adopté en 2007, préalablement au Grenelle de l'environnement et à la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Après avoir procédé à l'analyse de ses résultats, six ans après son adoption, les élus ont décidé de le réviser pour intégrer les nouveaux éléments législatifs et réglementaires.

Le nouveau SCoT a été approuvé fin décembre 2016. Le territoire s'étend sur 190 000 hectares, comprend 840 000 habitants et 80 % d'espaces agricoles et naturels. Les travaux du SCoT ont permis d'identifier la trame verte et bleue et d'identifier les réservoirs de biodiversité et les corridors biologiques ; l'analyse des incidences prévisibles a été réalisée de manière globale et présentée sur quatre secteurs géographiques cohérents : le littoral, l'estuaire de la Loire et ses marais, la métropole nantaise et le plateau bocager du sillon de Bretagne. En matière d'évitement, le SCoT contient des mesures visant à constituer des réserves foncières prévues par le projet stratégique du grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire, en imposant des études environnementales comme le permet le code de l'urbanisme. En matière de compensation, le document d'orientation et d'objectifs du SCoT indique que les mesures compensatoires des projets en cours ou déjà réalisés ne devront pas être obérées par un nouveau projet - ce qui n'est pas spécifique au projet d'aéroport et s'appliquera pour tout nouveau projet d'infrastructure, d'initiative communale ou intercommunale. Tout nouveau projet d'infrastructure devra en outre justifier du maintien des fonctionnalités et des corridors écologiques identifiés par le SCoT, sans remettre en cause, donc, les réservoirs de biodiversité.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Les représentants d'Aéroports du grand ouest (AGO) nous ont dit sous serment que le projet d'aéroport intégrerait la continuité écologique, et le vice-président de la région a beaucoup insisté sur la cohérence qu'il y aurait entre le projet de l'aéroport et le schéma régional de cohérence écologique (SRCE). Comment les cartes annexées au SCoT présentent-elles ces enjeux ? Nous aimerions en disposer.

Dans le cadre du chantier de la LGV Nantes-Rennes, un faisceau passe du côté de Vigneux-de-Bretagne. Avez-vous croisé la carte du faisceau avec celle des zones humides - dont l'inventaire a été achevé ? Le faisceau passera-t-il nécessairement là où elles se trouvent ? Dans l'affirmative, le SCoT prévoit-il où seront réalisées les mesures compensatoires ? Avez-vous enfin une vision cartographique claire des 200 hectares, en-dehors du périmètre de l'aéroport, de zones d'activités économiques visées par la communauté de communes d'Erdre et Gesvres ?

M. Fabrice Roussel . - D'abord, rappelons qu'un SCoT prend en compte les projets de l'État. Ils s'imposent aux élus, même s'ils s'y opposent.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce n'était pas ma question.

M. Fabrice Roussel . - C'est pourtant important à rappeler. Le SCoT tient compte de ces projets, mais ne porte aucune appréciation sur eux. Nous avons repris certains éléments contenus dans l'évaluation environnementale, et en avons ajoutés.

En l'état actuel des choses, nous n'avons pas d'éléments suffisamment précis pour déterminer nous-mêmes quelles seront les conséquences du projet et les compensations environnementales nécessaires, car la concertation relative à la LGV Bretagne-Pays-de-la-Loire n'est pas achevée.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - J'entends bien. Le faisceau fait 300 mètres de large. La ligne à grande vitesse définitive fera environ 100 mètres de large. Si les 300 mètres sont totalement en zone humide, le SCoT doit prévoir des compensations. C'est le rôle du SCoT que d'analyser l'impact qu'aura le faisceau, compte tenu de sa taille, sur l'environnement...

M. Stéphane Bois . - Le SCoT prend en compte les infrastructures au stade où elles en sont, dans son seul rôle de SCoT. Il ne lui appartient pas d'établir le bilan d'investigations poussées sur la caractérisation de certains espaces.

Il lui appartient en revanche de considérer la nature des mesures d'évitement à prendre à l'égard du maître d'ouvrage et de s'assurer qu'il n'y ait pas de concurrence territoriale des mesures compensatoires.

Sur la trame verte et bleue, un schéma régional de cohérence écologique, adopté conjointement par le préfet de Loire-Atlantique et le président de région, identifie un réservoir de biodiversité, surfacique et linéaire, soit l'ensemble du plateau bocager du nord du département, de Sillon-de-Bretagne à Châteaubriant. Le SCoT a précisé cette cartographie à son échelle, au 70 000 e , celle d'un document de cadrage. Ces cartes sont disponibles pour la commission d'enquête et téléchargeables sur le site du pôle métropolitain. Cette trame sera ensuite précisée dans les PLU intercommunaux (PLUI), avec les outils propres à un document d'urbanisme, sur la protection, par exemple, via les espaces boisés classés. D'où l'importance de cette chaîne de documents d'aménagement. Le SCoT n'a donc pas à se prononcer sur des procédures d'arbitrage qui relèvent des maîtres d'ouvrage...

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Soit, mais la question est la suivante : le SCoT a-t-il une carte de synthèse, recoupant le tracé de la LGV et les zones humides, permettant une vision prospective ?

M. Stéphane Bois . - Oui, la carte existe dans l'évaluation environnementale...

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Donc vous avez une idée, selon les faisceaux choisis, de l'impact de la LGV sur les zones humides ?

M. Stéphane Bois . - Oui, mais pas à l'hectare près. La grande majorité du territoire de la Loire-Atlantique est considérée en zone humide, donc tout projet d'infrastructure linéaire en traverse à un moment ou un autre.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - A peu de choses près, l'on connaît donc déjà l'impact sur les zones humides des projets complémentaires, par exemple des 200 hectares de zones d'activité en dehors du périmètre de l'aéroport...

M. Stéphane Bois . - Une telle surface figurait dans le premier SCoT, approuvé en mars 2007, identifiant deux réserves foncières de long terme, de 100 hectares chacune, dont l'une ne pourrait voir le jour que si elle n'obérait pas la réalisation de mesures compensatoires agricoles ou environnementales. Entre le premier et le second SCoT, le projet d'aéroport a évolué, comme cela a été indiqué lors de vos précédentes auditions, ainsi que les enveloppes compensatoires identifiées par les deux maîtres d'ouvrage, de telle sorte que les élus ont supprimé l'une de ces deux réserves foncières. C'est une mesure d'évitement. Il n'y a plus aujourd'hui qu'une seule réserve foncière le long de la RN137, qui fera l'objet d'investigations plus précises.

Un SCoT intègre vingt-deux normes supérieures, dont celles du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). D'où une prise en compte des zones humides, dans le cadre du PLUI, avec une évaluation environnementale beaucoup plus précise qu'à l'échelle d'un SCoT de 189 000 hectares. C'est le législateur qui a voulu de grands SCoT, donc il faut s'appuyer sur le principe de subsidiarité. Cette réserve foncière restante fera donc l'objet d'investigations complémentaires, d'une séquence d'évitement et, si nécessaire, de compensation, dans la logique du PLUI, qui respecte la subsidiarité et la compatibilité.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - J'en viens à la question agricole, avec un syndicat qui attaque le SCoT au motif qu'il ne garantirait pas la pérennité de l'activité agricole. Nous avons senti, en auditionnant ensemble la chambre d'agriculture, la FNSEA et la Confédération paysanne, un monde agricole réticent à accueillir les mesures de compensation environnementale et sceptique face à un périmètre de protection des espaces agricoles et naturels (PEAN) morcelé, d'autant que le fonds de dynamisation prévoit des drainages, sur fond de réduction des zones humides. Quelle est la stratégie à cet égard, à l'échelle du SCoT et du pôle métropolitain ?

M. Fabrice Roussel . - Dans le cadre du SCoT, nous avons émis le souhait de maintenir les 80 000 hectares concernés : c'est un engagement fort. Nous avons travaillé et beaucoup discuté avec les intercommunalités sur la réduction de consommation des espaces agricoles et naturels. Comme il y a un recours, je n'entrerai pas dans le débat technique des compensations, mais nous avons fait en sorte de préserver ces espaces agricoles et naturels. Je ne serai pas si pessimiste sur leur périmètre de protection. Maire d'une commune concernée, je crois que c'est un outil intéressant pour lutter contre la spéculation et pour porter un plan d'action. C'est bénéfique pour notre territoire.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Nous avons eu des témoignages assez différents au cours de nos auditions, sur le niveau d'information des élus sur la stratégie de mesures compensatoires. Quel est-il au juste ?

M. Fabrice Roussel . - Sur le projet en tant que tel, ils ont été informés en plusieurs étapes, notamment au cours des ateliers d'élus que nous avons organisés, ainsi qu'au sein de différentes structures, comme la commission locale de l'eau (CLE) et le syndicat mixte aéroportuaire (SMA). Le pôle métropolitain est un travail de coopération entre cinq intercommunalités. Nous n'avons pas à nous substituer à leurs présidents ni aux élus concernés par ce projet ! Nous avons souhaité un atelier d'élus pour l'élaboration du nouveau SCoT.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Des élus ont manifesté leur inquiétude lors de plusieurs auditions, comme le maire de Notre-Dame-des-Landes qui nous a dit avoir dépensé plusieurs dizaines de milliers d'euros pour compenser un tout petit projet. Des élus ont le sentiment que les mesures compensatoires pour l'aéroport, la LGV, voire les zones économiques structurantes, vont assécher la capacité d'accueil de mesures compensatoires pour ce territoire, pour tous les autres projets.

M. Fabrice Roussel . - Ce n'est pas ainsi que cela se passe dans la réalité. Maire, vice-président de Nantes Métropole, je mets en oeuvre des mesures compensatoires, en respectant le cadre légal, sans que l'aéroport n'impacte en quoi que ce soit les autres projets à cet égard.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il n'y aura donc pas demain un effet ciseau sur la communauté de communes d'Erdre et Gesvres (CCEG) entre mesures compensatoires de l'aéroport et autres projets, notamment des communes limitrophes ?

M. Fabrice Roussel . - Je ne suis pas élu de la CCEG...

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Il s'agit tout de même d'une question du niveau du pôle métropolitain...

M. Fabrice Roussel . - Je n'ai pas d'inquiétude aujourd'hui à ce sujet.

M. Stéphane Bois . - Le SCoT étant désormais intégrateur, conformément à l'engagement national pour l'environnement et à la loi ALUR, les mesures d'évitement qui seront prises seront plus fortes qu'auparavant ; par conséquent, les mesures de réduction devront rester exceptionnelles. Les mesures d'évitement sont prises au regard d'un scan des zones humides présentes dans les zones à urbaniser, afin de repositionner les projets. C'est ce que fait Nantes métropole dans le cadre de son PLU métropolitain, en cours d'élaboration.

M. André Trillard . - Ce que vous avez dit sur la place du SCoT me convient totalement. Le maire de Notre-Dame-des-Landes n'est pas le seul dans le département à rencontrer des difficultés. Des terrains ont été acquis il y a quelques années, alors que ce genre d'études n'avait pas cours, méritant un traitement peut-être un peu différent. Ce problème nous renvoie à la politique foncière menée par des intercommunalités avant la politique du fil de l'eau.

Je rappelle que le SCoT n'a pas le statut de collectivité, mais de lieu de réflexion et que son échelle ne convient pas pour déterminer les virgules. Sur 170 000 hectares, on peut compenser beaucoup et faire beaucoup d'agriculture.

La vocation des collectivités n'est pas de passer leur temps à définir des choses qui ne les regardent pas. Le SCoT est concerné par les mesures environnementales, mais de manière large. C'est au PLUI, que l'on ne peut refuser que jusqu'en 2020, d'intervenir plus précisément. Nous l'avons reporté chez nous parce que nous faisons d'abord le SCoT. La trame sera une compilation des travaux du PLUI.

Enfin, pourquoi Treillières n'est pas dans le PEAN ? À cause de la volonté de faire un PEAN assez drastique, qui a provoqué une révolte, en plus du décès du maire de la commune...Le problème est lié à l'existence même du PEAN. Des fantaisistes sont allés jusqu'à penser que l'on pouvait couper des jardins ou des terrains familiaux pour les remettre à l'agriculture, alors que des dizaines d'hectares périurbains sont en friche.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Tout de même, le SCoT est un outil à la bonne échelle pour un environnement fonctionnel, à la dimension de la trame verte et bleue et des mesures compensatoires. Nous avons tous défendu cette échelle comme pertinente pour une approche environnementale cohérente.

Monsieur le vice-président de Nantes Métropole, environ 300 000 euros sont prévus pour les compensations agricoles, ce qui semble très faible, par rapport au cadre négocié avec la chambre d'agriculture. Si cette somme doit être augmentée, elle réduit le résultat de la concession et le retour à meilleure fortune pour les collectivités, selon AGO. Les contributeurs des collectivités territoriales en sont-ils conscients et l'ont-ils intégré dans leurs prévisions financières ?

M. Fabrice Roussel . - Sur la participation financière des collectivités, il n'est pas question de bouger. Il faut toujours discuter avec les porteurs de projets. Il y aura peut-être des dépenses supplémentaires. Bien des incertitudes demeurent, qui inclinent à la prudence. Le dynamisme de l'aéroport de Nantes entraîne des résultats intéressants pour AGO, donc il y aura sans doute des moyens supplémentaires pour le concessionnaire. Il n'est pas question de prévoir un budget supplémentaire ; nous serons attentifs aux dépenses et aux comptes de l'aéroport.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Y a-t-il une carte qui fasse la synthèse de l'environnement et des infrastructures, qui superpose celles-ci, les fuseaux, la ZAD, les zones économiques, la trame, le schéma de continuité écologique et les inventaires des zones humides ?

M. Stéphane Bois . - Nous avons des cartes par secteur, mais ce que vous décrivez correspond aux compétences du PLUI.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Pouvez-vous nous transmettre l'ensemble des cartes par secteur ?

M. Stéphane Bois . - Oui. Elles font partie des documents de SCoT approuvés par les élus le 19 décembre dernier.

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Merci.

Audition de M. Philippe Martin, président, et M. Christophe Aubel, directeur général, de l'Agence française pour la biodiversité (AFB)
(mercredi 1er mars 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions publiques avec la toute jeune Agence française pour la biodiversité (AFB), dont nous recevons aujourd'hui le président, Philippe Martin, et le directeur général, Christophe Aubel.

Je vous rappelle que notre commission d'enquête, à travers quatre projets d'infrastructures qui en sont chacun à un stade différent de mise en oeuvre de leurs mesures compensatoires, s'est donné pour objectif d'identifier les points de difficulté et les obstacles à une bonne mise en place de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). Nous souhaitons pouvoir faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre des mesures compensatoires ainsi que leur suivi dans la durée.

Les quatre projets d'infrastructures que nous étudions de manière plus spécifique - l'A65, la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de Cossure - nous permettront de nous appuyer sur des exemples concrets pour formuler ces propositions.

Au fil des auditions et des déplacements que nous avons pu faire, le rôle de l'AFB en matière de compensation est revenu à plusieurs reprises, notamment pour le contrôle et le suivi de ces mesures.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Martin et Christophe Aubel prêtent successivement serment.

Messieurs, après votre introduction, je céderai la parole à Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, pour vous interroger, ainsi qu'aux autres membres de la commission, qui vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Philippe Martin, président de l'Agence française pour la biodiversité . -Deux des projets d'infrastructures que vous avez cités concernent la région dont je suis l'élu, à savoir la LGV Tours-Bordeaux, au financement de laquelle participe le département dont je suis le président, et l'A65, pour laquelle je ne suis pas intervenu, mais qui relève d'un territoire dans lequel je suis élu. Je m'abstiendrai donc de tout commentaire sur ces deux projets, sans d'ailleurs qu'il y ait de liens d'intérêts pour ce qui me concerne, laissant la parole à Christophe Aubel. Pour le reste, je n'ai pas de lien d'intérêts.

M. Christophe Aubel, directeur général de l'Agence française pour la biodiversité . - En tant que directeur d'une organisation non gouvernementale, j'ai travaillé auparavant en partenariat avec l'une des parties prenantes du projet de l'A65, mais ce partenariat avait été noué bien après la mise en oeuvre de cette autoroute et des mesures de compensation prévues. Je le signale par transparence.

M. Jean-François Longeot, président . - Vous avez la parole.

M. Philippe Martin . - Je tiens à vous remercier, monsieur le président, monsieur le rapporteur, d'avoir accepté de différer notre audition, afin que je puisse examiner, après avoir pris mes fonctions de président de l'AFB, l'ensemble des dossiers, en vue de répondre de manière la plus complète possible à la commission d'enquête.

Nous interviendrons, avec Christophe Aubel, à deux voix, pour répondre de façon précise aux questions que vous nous avez adressées ou que vous nous poserez. J'ai visionné une partie des captations vidéo des auditions précédentes, et certains de mes propos rejoindront ce qui vous a déjà été dit.

Si, par raccourci, on parle souvent de compensation, on est bien dans l'idée du triptyque ERC. C'est l'ensemble de ces trois phases qui motive notre action à l'égard des éventuels dégâts que pourrait subir la biodiversité. L'ERC repose sur un corpus juridique relativement robuste sur le plan tant national qu'européen.

Sur le plan national, il a été conforté et clarifié par l'adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Mais cette question est largement appréhendée sur le plan européen, et même mondial.

Pour reprendre les propos de Paul Delduc, il y a eu une grande loi sur la nature, la loi de 1976. Avec le recul, on peut dire qu'elle avait été assez audacieuse et innovante, en posant la problématique de la compensation. On peut en revanche regretter une mise en oeuvre relativement lente. Mais le Grenelle de l'environnement a donné un coup d'accélérateur, en offrant de l'ampleur à ce mouvement. Lorsque, en tant que ministre de l'écologie, j'ai présenté au conseil des ministres le projet de loi de reconquête pour la biodiversité, j'ai dit que c'était la première grande loi sur la nature depuis la loi de 1976.

Cette loi a apporté des outils de protection. Pour la première fois probablement, on essaie de mettre en oeuvre un outil non seulement de protection et de réparation, mais également de conciliation. Vous m'entendrez souvent prononcer ce mot, car au coeur de vos débats, je l'ai vu, on trouve l'idée de savoir dans quelle mesure on peut concilier l'action économique et l'action de protection de l'environnement, souvent présentées comme inconciliables justement. L'ERC constitue, à mes yeux, cet outil de conciliation, à la condition bien sûr que les différentes parties soient conciliantes, pour que soit trouvée une position permettant de ne pas occulter le développement économique tout en ayant à coeur la protection de l'environnement.

Cet outil ne dit pas qu'il ne faut pas aménager ou qu'il faut mettre sous cloche en des territoires. Il ne pose pas de principe d'inaction ou d'empêchement de l'action économique. Il permet au fond d'affiner un principe qui rejoint en filigrane l'action que nous voulons mener : quand on aménage, on doit tout simplement prendre en compte la nature. C'est une question de droit, mais aussi de bon sens. Pour ce faire, les fameuses trois étapes sont nécessaires : éviter au maximum les impacts sur la nature, réduire ceux qui demeurent lorsqu'ils sont persistants et, in fine , compenser les impacts dits résiduels.

J'ai d'ailleurs souvent moi-même débattu - je le dis ici, parce que je sais que les membres de votre commission d'enquête ont été animés par ces discussions -, dans le cadre de mes responsabilités ministérielles, avec le ministre de l'industrie et du redressement productif, qui pouvait suggérer que la précaution prise à l'égard de la biodiversité pouvait être un frein au développement économique. C'est quelque chose que l'on connaît.

Si je m'abstrais de la responsabilité qui est la mienne à l'AFB et que je me souviens de celles que j'exerçais en tant qu'élu, j'ai moi-même vécu des retards sur des chantiers ou des équipements dus à la prise en compte de la faune ou de la flore à un moment donné. Je connais donc ce débat. Pour autant, on est véritablement là dans une démarche de développement durable, avec une prise en compte des limites de la biosphère, de ses fragilités, et, bien évidemment, une prise de conscience que la question économique n'est pas sans lien avec l'environnement. Il faut donc traiter cette problématique. Surtout, en tout domaine, qu'il s'agisse du climat ou de la biodiversité, chacun ressent l'urgence à agir et à se doter de règles. D'une certaine façon, la création de l'AFB, première agence dans le monde à se préoccuper de cette question, est probablement aussi le fruit de la prise de conscience de cette nécessité.

Dans ce contexte, quel sera le rôle de l'AFB ?

Cette agence s'est vu confier par la loi que vous avez adoptée des missions dans tous ces domaines. Parfois, on a eu le sentiment que le débat pouvait se focaliser autour de deux idées un peu simples, voire simplistes : ceux qui pensent que compensation signifie droit à détruire et ceux qui estiment que la compensation empêche le développement économique. Il faut que l'on puisse dépasser ces antagonismes, et tel est l'objet de l'ERC. J'en reviens là à la conciliation, qui est une façon de considérer les choses différemment.

La tâche consistant à dépasser, à concilier et à trouver un chemin n'est bien sûr pas facile, elle n'est même pas facile du tout. La pression du développement économique, de l'emploi, du temps court peut parfois l'emporter sur la prise en compte du temps long, dont on sait qu'il est hélas - ou heureusement peut-être ! -, en matière écologique, la règle. La tâche n'est donc pas aisée ; d'où l'intérêt du travail de votre commission d'enquête, monsieur le président, monsieur le rapporteur. Nous attendons nous-mêmes avec beaucoup d'intérêt les résultats de vos travaux, car ceux-ci auront, d'une certaine façon, une résonance dans notre fonctionnement.

L'AFB va se saisir de l'ERC pour fournir aux parties l'aide nécessaire à sa bonne mise en oeuvre, au cas par cas. Selon la technicité du projet et son importance, chaque cas, on le voit, peut être traité différemment. Cela me conduit à répondre à l'une des premières questions que vous nous avez adressées sur le suivi des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité au titre de l'article L. 131-9 du code de l'environnement, ainsi qu'à la question subséquente des moyens financiers et humains dont dispose l'AFB pour la remplir.

La mission de l'AFB sur les mesures de compensation ne part pas de rien. D'une part, elle s'ajoute au suivi des maîtres d'ouvrage au titre des articles L. 122-1 et L. 122-3 du code précité pour vérifier l'efficacité des mesures mises en oeuvre dans le cadre d'un projet. D'autre part, elle complète les autres missions de l'AFB. Je peux d'ores et déjà indiquer qu'un travail important interdirections et interservices, animé par la direction du contrôle des usages, a abouti à trois décisions qui concernent directement l'AFB.

Première décision : mettre à la disposition des agents de l'AFB un guide d'aide à l'expertise des mesures de compensation, qui sera bien évidemment diffusé tant aux maîtres d'ouvrage qu'aux bureaux d'études, avec un volet formation. Notre intérêt commun est de former un nombre de plus en plus important de personnes, avec le même niveau de connaissances, et il y aura des points de vigilance.

Deuxième décision : finaliser un modèle d'arrêté comprenant un chapitre spécifique relatif aux mesures de compensation des atteintes au milieu aquatique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Dans le cadre de ses missions, l'AFB a la possibilité de participer à la finalisation d'arrêtés ?

M. Christophe Aubel . - L'idée est de fournir un guide pour la rédaction des arrêtés. L'un des constats des équipes est que cela ne se passe pas quelquefois très bien parce que le cahier des charges - appelons-le ainsi - de l'arrêté d'autorisation qui liste les points n'est pas forcément bien rédigé pour aider à la mise en oeuvre du triptyque ERC. L'idée est d'avoir un modèle. Il s'agit, non pas de les rédiger, mais de fournir des éléments pour élaborer une sorte d'arrêté-type pour lister les points, afin de faciliter le suivi et le contrôle.

M. Philippe Martin . - Ce modèle a en quelque sorte une vocation documentaire, car c'est un point de faiblesse.

Troisième décision : élaborer un protocole spécifique de contrôle des mesures de compensation, qui sera, lui aussi, mis à la disposition des agents de l'AFB.

Concernant les moyens humains et financiers, la mission est transversale. D'ores et déjà, beaucoup d'agents de l'AFB se préoccupent de ces questions, de près ou de loin. Notre rôle est de centraliser la connaissance, de développer les méthodes d'aide à la conception, à l'instruction et au contrôle des projets d'aménagement du territoire. La mission, avec cette entrée réglementaire et technique parfois un peu forte, sera coordonnée, au sein de l'AFB, par le pôle d'ingénierie et d'appui technique de la direction contrôle des usages avec un équivalent temps plein travaillé (ETPT), complété par un deuxième équivalent temps plein pour s'occuper spécifiquement des mesures de compensation.

Vous nous avez demandé ensuite si la loi avait confié d'autres missions à l'AFB. Nous avons identifié cinq axes de mission dans le cadre de l'ERC.

Premier axe : la connaissance des milieux bien sûr, avec un travail sur la hiérarchisation des enjeux.

Deuxième axe : le financement des travaux de recherche sur les mesures de réduction et de compensation.

Troisième axe : la mise à disposition d'outils d'aide à l'instruction des projets ; nous venons, d'une certaine façon, d'en parler.

Quatrième axe : des actions de prévention. Nous pourrons en parler dans le détail, il s'agit souvent de l'organisation de journées de formation, de sensibilisation, un appui à la réalisation de documents, des appuis techniques par les services instructeurs de l'État via des expertises, en lien avec à la fois la loi sur l'eau et les espèces protégées.

Cinquième et dernier axe : un contrôle, sur le terrain, de la bonne mise en oeuvre des mesures et une mission de veille juridique.

Concernant les actions de formation et de communication - cette question est revenue dans le débat à plusieurs reprises -, l'AFB participe avec des organismes à de très nombreuses formations, des séminaires, des colloques, des journées d'information et de sensibilisation. Son offre de formation est complémentaire de celle du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Les agents de l'AFB interviennent en lien avec le service instructeur de l'État, notamment les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), les maîtres d'ouvrage et les bureaux d'études.

Pour être très précis, en 2017, l'AFB assurera, dans le cadre des missions relatives à la formation et à la communication, au niveau national, au moins une formation généraliste portant sur la séquence ERC et trois formations spécifiques sur les mesures de compensation. Elle contribuera à la mise en place d'une formation des formateurs, qui sera pilotée par le Commissariat général au développement durable (CGDD), ainsi qu'à l'organisation de séminaires concernant un point spécifique, à savoir l'évitement.

À titre indicatif, l'AFB organisera le 28 septembre prochain à Lyon un séminaire avec le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), sur le thème de la compensation des atteintes aux cours d'eau, avec les collectivités territoriales, les maîtres d'ouvrage et les syndicats de rivière.

Nous interviendrons également les 30 et 31 mars prochain dans le cadre d'un colloque organisé par le Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive-CNRS sur un thème qui se rapproche de celui de votre commission d'enquête : les impacts des aménagements sur la biodiversité. Nous participerons enfin à l'organisation, avec le CGDD, d'un séminaire concernant les mesures d'évitement, ainsi qu'à de nombreuses interventions des services territoriaux déployés sur tous les territoires, aux niveaux régional et départemental.

À cet égard, vous avez posé la question de savoir comment s'organise la présence de l'AFB au niveau régional.

Vous le savez, il y a la possibilité, sur la base du volontariat, de créer des agences régionales de biodiversité (ARB). D'ores et déjà, des initiatives ont été prises un peu partout. Il n'existe pas de modèle unique. Nous voulons laisser l'intelligence des territoires s'exprimer pour mettre en place ces agences. Mais les missions de l'AFB à l'échelle territoriale s'exercent à trois niveaux, qui vont un peu dépendre de la difficulté et de la technicité de la demande.

Au niveau départemental, pour ce qui concerne la connaissance des milieux - j'en sais quelque chose -, les départements sont bien armés pour pouvoir répondre à cette question. Au niveau régional, les agences peuvent apporter un appui technique au service instructeur de projets un peu complexes. Au niveau national, l'AFB intervient lorsque l'instructeur est le ministère de l'écologie - on est là dans le cadre de quelques projets à grande échelle et de très grande complexité.

Lorsque vous demandez si la région peut exercer un rôle pilote - une question que nous nous sommes posée -, la réponse est un peu double.

Nous avons le sentiment que, pour les dossiers les plus complexes et pour le pilotage de certaines missions propres à la compensation, comme la définition des mesures et leur mise en oeuvre, cela doit rester au niveau national. Nous voulons éviter des jurisprudences hétérogènes selon les territoires pour des projets qui, pourtant, seraient similaires. Peut-être est-ce une méfiance, mais c'est la raison qui nous a conduits à penser qu'il revient à l'AFB de traiter ces questions pour éviter ces disparités.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ce matin, nous avons eu précisément ce débat avec des bureaux d'études et des défenseurs du rôle des conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN).

Nous sommes dans une recherche, autant que faire se peut, de consensus car celui-ci permet de faire fonctionner les choses sur le terrain - c'est un point sur lequel nous pouvons tous nous rejoindre. La question est de savoir si, concernant un certain nombre d'espèces, il revient au Conseil national de la protection de la nature (CNPN) ou aux CSRPN de trouver un consensus et de prendre des décisions. Pour les espèces rares, cela peut se faire au niveau national, mais des espèces peuvent être très présentes dans certaines régions. Les agences régionales ne sont-elles pas mieux placées pour gérer ?

M. Christophe Aubel . - Ce n'est pas contradictoire avec ce qui vient d'être dit, car il s'agit d'avis techniques des experts. Faire intervenir le CSRPN pour mieux coller au territoire, plutôt que d'avoir une vision nationale, comme vous venez de le dire, concernant une espèce globalement en danger, mais qui peut être perçue différemment à l'échelle des territoires, n'est pas choquant. En revanche, « régionaliser » trop, si je puis dire, induirait des méthodes différentes, et des problèmes pourraient alors se poser. Il n'y a pas de contradiction en soi, me semble-t-il.

M. Philippe Martin . - Les régions doivent jouer un rôle majeur quant au retour d'expérience, c'est-à-dire dresser un constat. Il nous semble très important que les collectivités locales et les maîtres d'ouvrage fassent un retour d'expérience sur la mise en oeuvre des mesures de compensation, peut-être par grands types de milieu - terrestre, aquatique et marin - et assurent le suivi des sites de compensation. Ce suivi est important dans la mesure où les régions pourraient, en raison de leur retour d'expérience, participer à une forme d'inventaire en quelque sorte des sites potentiellement éligibles à la compensation.

Tel est, brièvement décrit, le rôle de l'AFB. Pour tout dire, les membres du conseil d'administration ou nombre d'entre eux sont très intéressés par ces questions : ils se posent les mêmes questions que les membres de votre commission d'enquête sur la façon de faire. C'est à l'évidence un sujet qui peut permettre d'avancer, et l'agence a vocation à jouer un rôle fédérateur sur ces questions.

Je laisse la parole à Christophe Aubel pour répondre aux autres points évoqués dans vos questions.

M. Christophe Aubel . - En complément des propos du président de l'AFB, permettez-moi de faire un bref rappel : l'agence a été créée le 1 er janvier. Nous avons une grande expérience du sujet parce que l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), qui a intégré l'agence, travaillait déjà beaucoup sur la question de la compensation, mais sous un prisme particulier, les milieux humides, avec la loi sur l'eau. Vous avez d'ailleurs auditionné des membres de cette entité : ce qu'ils ont dit vaut aussi pour l'AFB, dans la continuité.

Dans le même temps, l'AFB a des missions nouvelles. Notre agence étant encore en construction, les réflexions que nous vous livrons aujourd'hui sur la façon dont nous nous saisissons de ces nouvelles missions sont susceptibles d'évoluer. Elles le feront peut-être, d'ailleurs, sur la base des conclusions de votre commission, comme l'a souligné notre président, mais aussi sur la base ce que dira notre conseil scientifique. Nous avons déjà évoqué avec eux l'idée qu'il serait peut-être intéressant qu'il réfléchisse au sujet, non pas dans l'absolu - il y a déjà de nombreux avis scientifiques sur la compensation -, mais sur la manière dont nous pourrions intelligemment mettre en oeuvre nos missions. Notre action montera aussi sans doute en puissance parce que le sujet est posé et que l'AFB a plus de missions que n'en avait l'ex-ONEMA.

Je préciserai ce qui a été dit sur les moyens humains.

Nos investissements en moyens humains se déclinent au niveau national : une cinquantaine d'ETPT supplémentaires ont été attribués à l'agence, dont de nombreux dans les parcs marins. Philippe Martin a souligné la présence d'un équivalent temps plein au niveau de la coordination et d'un deuxième prochainement.

Nous essayons de coordonner les services qui assurent sur le terrain le contrôle et le suivi, de façon à avoir une doctrine commune pour les aider à appréhender le sujet et être efficaces ensemble. Pour ce qui concerne la recherche, même si aucun ETPT n'est dévolu spécifiquement à cette question, des personnes, au sein de la direction de la recherche, pilotent des programmes liés notamment à la politique foncière à mettre en oeuvre dans le cadre de la séquence ERC. Ces questions sont examinées par tous nos ETPT recherche.

Au niveau national, on essaie de produire de la doctrine tant interne, pour que nous fassions bien notre travail, qu'externe, pour aider les pouvoirs publics - Philippe Martin a parlé de l'arrêté modèle - ou les maîtres d'ouvrage, pour qu'ils aient des réflexes, des méthodes.

Au niveau régional, les services départementaux de l'AFB, outre leur mission de police - globalement, 50 % de leur temps est consacré à cette mission -, assurent le contrôle et le suivi des mesures compensatoires de projets ou formulent des avis techniques à la demande des autorités instructrices des dossiers - on répond à la demande, on ne se saisit pas directement. Cela représente entre 15 % et 25 % du temps de travail des services départementaux ; ce pourcentage peut varier en fonction de l'importance des projets dans la région concernée. Chaque année, 130 ETPT réalisent le suivi et le contrôle des mesures de compensation, à comparer aux 325 ETPT assurant la police de l'eau, d'une manière générale.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des missions de l'AFB, car elles ont été exposées par notre président. Permettez-moi simplement d'ajouter, concernant la question de la formation et de la sensibilisation, que l'AFB pourrait se saisir à l'avenir de la pédagogie du sujet vis-à-vis du grand public. D'une manière générale, on n'explique pas assez au grand public les politiques de biodiversité et celles-ci en pâtissent. Par exemple, lorsque la séquence ERC est traitée dans la presse, c'est souvent sous un angle quelque peu conflictuel, ce qui est dommage. Il faut donc faire oeuvre de pédagogie en la matière à l'égard du grand public, en rappelant de façon simple ce que signifie la séquence ERC ; nous allons y réfléchir.

M. Philippe Martin . - Sur ce sujet, nous envisageons - cela a été exprimé lors du premier conseil d'administration de l'AFB - de mener une action assez massive de communication sur l'enjeu de la biodiversité d'une manière générale. Avec la mise en place de cette agence, il est un peu compliqué en ce moment de faire des communications sur des sujets de fond, mais nous essayons malgré tout d'avoir une action grand public sur l'enjeu de la biodiversité. Souvent, la biodiversité, et sa préservation, devient un enjeu pour des territoires et des professions qui, parfois, n'étaient pas concernées au début. L'artificialisation des sols interpelle, par exemple, les jeunes agriculteurs.

M. Christophe Aubel . - Les missions génériques de l'AFB contribuent à la séquence ERC. Je pense notamment à la connaissance. La connaissance des milieux humides, des zones humides que nos agents de terrain mettent en évidence dans les territoires est souvent utilisée par les maîtres d'ouvrage pour connaître l'état initial. Leur travail n'est pas quantifié en termes de séquence ERC, mais il permet d'alimenter le système d'information sur l'eau. J'insiste sur ce point parce que notre expérience montre que l'accès à la connaissance au moment de la réalisation des projets est insuffisant. Cela va bouger, puisque la loi pour la reconquête de la biodiversité a introduit des dispositions sur ce sujet, avec le versement des données issues des études d'impact. Si l'on connaît mieux la situation en amont, le projet pourra être mieux mis en place, en planifiant la séquence ERC et en budgétisant les mesures de compensation. Quand on n'a pas suffisamment de connaissances, le porteur de projet a tardivement connaissance de la mise en place de la séquence ERC pour des espèces protégées, par exemple, et n'a pas anticipé le coût.

Vous avez posé la question de l'articulation du travail de l'AFB sur la séquence ERC avec celui qui est exercé par le Commissariat général au développement durable (CGDD).

Des points sont déjà fixés et d'autres sont en cours de construction pour les raisons que j'évoquais précédemment : dans un certain nombre de domaines, nous sommes en train d'établir ce que nous appelons « la ligne de partage » entre le ministère de tutelle et l'AFB. Je rappelle que le CGDD traite de la compensation, toutes thématiques environnementales confondues, alors que l'AFB travaille sur la compensation relative à la biodiversité. Nous venons plutôt en appui à la réflexion qu'ils pilotent, notamment parce qu'ils essaient de mettre en oeuvre la base de données géo-MCE - nous avons participé aux travaux relatifs à cette base de données, qui est très importante.

Je veux mettre cela en perspective avec le rapport de Romain Dubois sur la séquence ERC qui préconisait de mettre en place un centre de ressources ERC. Cela me donne l'occasion de bien insister sur deux points concernant le suivi de la compensation.

Il y a, d'une part, le suivi-contrôle de chaque projet : il faut veiller à ce que les engagements pris soient mis en oeuvre, et c'est le rôle de nos agents de terrain que de contrôler la bonne mise en oeuvre et, éventuellement, de verbaliser en cas de dérives sur la conduite des travaux notamment. Il y a, d'autre part, le suivi-retour d'expérience, un suivi-capitalisation des expériences, un suivi-partage des expériences de façon à ce que nous progressions tous collectivement. C'est, à mon sens, l'intérêt de la base de données géo-MCE qui est en train de se mettre en place, mais qu'il faudra sans doute muscler encore pour qu'elle donne accès à plus de données et qu'elle soit l'embryon du centre de ressources. L'AFB est prête à contribuer à la constitution de ce centre parce que tout le monde y sera gagnant, y compris les porteurs de projets.

M. Philippe Martin . - Il est hautement possible que, dans la feuille de route de l'AFB pour 2017, nous mettions en place des actions en ce sens. Celle-ci devrait être présentée au prochain conseil d'administration, qui aura lieu le 29 mars prochain.

M. Christophe Aubel . - L'article 70 de la loi pour la reconquête de la biodiversité mentionne que l'AFB réalise un inventaire national des sites potentiels de compensation. Nous envisageons d'agir progressivement en réalisant, dans un premier temps, une étude d'opportunité et de faisabilité visant à préciser les conditions d'éligibilité des milieux à la compensation. Une véritable compensation doit permettre un véritable gain pour la nature. Il faut donc raisonner en termes de qualité des milieux et ne pas tomber dans le travers suivant, comme cela peut être le cas quelquefois : alors que certains milieux écologiques fonctionnent très bien, on les choisit comme sites de compensation, sauf qu'il n'y a pas de vrai gain pour la biodiversité.

Il importe également de réfléchir aux méthodes permettant de réaliser les inventaires, en lien avec les parties prenantes. Nous nous inscrivons totalement dans le travail réalisé par le CGDD : nous participons à chaque réunion de ce que l'on appelle « le COPIL ERC », qui a travaillé à l'élaboration de la doctrine ERC, mais qui doit continuer à fonctionner parce que nous avons besoin d'un partage avec les parties prenantes pour avancer sur ces sujets.

Vous nous demandez si un système de labellisation ou de certification des bureaux d'études serait une solution adaptée.

À cet égard, je dirai deux choses qui peuvent paraître contradictoires, mais qui, en réalité, ne le sont pas. Labelliser ou certifier, par défaut, des bureaux d'études, alors qu'aucune méthode ne peut être appliquée concernant l'ERC, ne me paraît pas une bonne idée. C'est pour cette raison que nous essayons de travailler sur des méthodes standard. Je prendrai pour exemple le travail réalisé par l'ONEMA sur le diagnostic des fonctionnalités de zones humides, de façon à avoir un état initial qui permette de quantifier la compensation. Quand on aura des méthodes robustes, on pourra alors entrer dans un système de labellisation ERC des bureaux d'études.

Pour autant, à titre personnel - je veux être clair, nous n'avons pas encore eu ce débat au sein de l'agence -, une labellisation des bureaux d'études sur les inventaires écologiques me semble une idée intéressante. Instaurer une labellisation ERC dans les conditions actuelles serait prématuré, mais je ne voudrais pas que mes propos soient interprétés comme une opposition de principe, car il y a là un véritable enjeu, notamment pour ce qui concerne les questions de connaissance et d'inventaire. La charte mise en place par le CGDD est une première étape qui permettra, le cas échéant, d'aller vers une labellisation, cela reste vrai.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il n'y a pas a priori de désaccord avec les bureaux d'études que nous avons reçus ce matin.

M. Christophe Aubel . - Tant mieux !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ils ne ferment pas la porte à la certification, insistant beaucoup sur la nécessité de normaliser les inventaires - cela va vous donner du travail ! -, car c'est aujourd'hui l'un des points faibles de la séquence ERC.

M. Christophe Aubel . - L'AFB doit sortir des éléments un peu standardisés. Les puristes diront que c'est un peu simplificateur. Mais, à un moment donné, il est préférable de standardiser un peu certaines méthodes plutôt que d'avoir des choses tellement floues que la polémique s'auto-entretient. Si l'on a des méthodes robustes scientifiquement, ce sera bien. Certes, la biodiversité est un sujet complexe, mais, du fait de cette complexité, on n'a jamais d'indicateur parfait ni de méthode parfaite et on se retrouve sans rien. Il faut donc progresser sur ce point, et l'agence doit y contribuer.

Pour répondre à une autre de vos questions, la pérennité des mesures de compensation est une vraie question. Si cinq ou dix ans après la création d'un site de compensation, un autre projet est mis en place, cela pose problème ; c'est évidemment un sujet.

Définissons d'abord ce que l'on entend par « pérenne ». Le temps de certaines actions écologiques ? La durée de concession ? Un temps plus long encore ? Faut-il des éclaircissements juridiques en la matière ? Nous nous posons la question. Quoi qu'il en soit, il serait souhaitable de disposer d'une base de données - celle qui se met en place n'est pas encore assez précise -, pour géolocaliser parfaitement les sites. Dans de nombreux cas, si l'on connaissait les enjeux, on ne développerait pas certains projets ; les aménageurs savent les éviter. On abîme de la biodiversité dans beaucoup de cas par manque de connaissance ; mais on progresse en la matière.

Concernant la question du foncier, j'ai parlé précédemment de notre idée de lancer un appel à manifestation d'intérêt pour la recherche pour voir comment, avec des outils liés au foncier, on pourrait améliorer les choses. Certains disent qu'il faut confier la mission à des conservatoires. Autant pour le conservatoire du littoral, il y a une certaine pluralité de ses propriétés, autant pour les conservatoires d'espaces naturels, il y a encore des progrès à faire. Ils y réfléchissent, je le sais. Mais est-ce la nouvelle solution ?

Un nouvel outil a été introduit par la loi, qu'il va falloir expérimenter : l'obligation réelle environnementale. Est-ce de nature à aider à la pérennité ? Je n'ai pas encore la réponse, mais c'est ce que l'on espère et on doit y travailler. À cet égard, nous copilotons avec le ministère un groupe de réflexion sur les obligations réelles environnementales et nous espérons pouvoir faire des expérimentations de terrain pour voir la pertinence et l'efficience de cet outil.

Vous avez posé la question de la compensation par l'offre. L'établissement a peu d'expérience sur le sujet ; il n'a pas été partie prenante dans l'expérience de la préservation du coussoul. La loi permet la compensation par l'offre, qui doit faire partie du panel d'outils, mais qui ne peut pas être la seule solution. L'un des dangers - ce n'est plus le cas avec le texte de loi - était de penser que si l'on faisait appel à de la compensation par l'offre, acceptée par un opérateur, cela induisait la disparition d'un certain nombre de règles dans l'instruction des dossiers, ce qui nous semblait très dangereux. Si, dans le cadre d'un projet, on fait le choix de la compensation par l'offre, les règles de contrôle de mise en oeuvre doivent être les mêmes que pour les autres. Il ne faudrait pas non plus déresponsabiliser les porteurs de projets. En tout cas, nous espérons être associés de près à la façon dont sera mis en place le contenu de la loi sur ces aspects, notamment concernant la désignation des opérateurs. Pourquoi pas un outil supplémentaire en effet ? Mais il faut le cadrer, comme ce fut le cas pour la compensation prise en charge par le maître d'ouvrage lui-même.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je rebondis sur la question de la préservation du coussoul. L'AFB venant d'être créée, sa doctrine n'est pas, on le comprend bien, totalement figée. Se pose une vraie question pour le coussoul, car il s'agit vraiment de reconquête de manière relativement spectaculaire, même si, au niveau de la flore, on n'y est pas encore. On en est conscient, il ne s'agit pas de reconstruction de milieux totalement à l'identique. Mais, sur ce milieu extrêmement rare, à peu de choses près unique au monde, la compensation locale ne fait pas sens. Il faudrait aujourd'hui conserver la quasi-totalité du coussoul qui reste, et procéder à une reconquête sur d'autres parties du coussoul. Cela signifie financer le coussoul sur un périmètre plus large et autrement. Se pose donc une question tabou - mais nous sommes là pour aborder ces tabous - : peut-on compenser autre chose que du coussoul, avec la remise en cause potentiellement du principe de proximité, sachant aussi que, à l'inverse, d'autres milieux rares ne sont pas compensables ? On ne compensera pas la tourbière, ni les prairies oligotrophes - ou très difficilement. L'AFB réfléchit-elle à des équivalences qui permettraient sur des milieux extraordinairement rares de trouver des souplesses, y compris des flux financiers pour la restauration ?

M. Christophe Aubel . - A ce stade, la réponse est non. On n'a pas vraiment engagé en interne cette réflexion. C'est un vrai sujet. À titre personnel, j'estime que les questions que vous posez sont les bonnes. Sur ce cas très particulier, le travail qui a été fait relève vraiment de la reconquête écologique : par rapport à l'offre, l'opération est intéressante. Là où ils sont intervenus, la biodiversité va mieux, et la situation va progresser encore ; c'est un plus. En revanche - et les polémiques sont nées de là -, si l'on dit que c'est pour compenser des atteintes à ce qui reste de coussoul dans la Crau, il y a un problème, parce que ce n'est pas ce que l'on a fait.

Cela dit, dans le pourtour méditerranéen, pour m'en tenir à une zone de proximité, il y a des atteintes à des espèces protégées sur le type de biodiversité qu'ils sont en train de reconquérir. La compensation pourrait donc servir à cette zone. Il s'agit vraiment d'un cas très spécifique. Le coussoul ne se trouve que dans cette zone en France, voire quasiment en Europe. On est là sur quelque chose de très spécial.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Se pose en filigrane une autre question. L'AFB va aussi hiérarchiser les milieux, comme vous l'avez dit, même si vous n'échapperez pas à une question sur la biodiversité ordinaire, qui est aussi l'une des questions liées à la compensation.

S'agissant de ces milieux extrêmement rares - il y en a quelques-uns en France -, faut-il trouver un mécanisme pour que la compensation ordinaire restaure de la biodiversité extraordinaire ? C'est une question.

M. Christophe Aubel . - Je n'ai pas la réponse. C'est effectivement une question. Il faut intégrer la question de la rareté et approfondir cette réflexion.

C'est effectivement le genre de questions sur lesquelles l'AFB doit se pencher pour lancer des appels à projets de recherche notamment. De façon très honnête, je vous le dis, nous devons mener notre réflexion ; la trajectoire des appels à projets de recherche que soutient ou que soutiendra l'AFB est souvent pluriannuelle. Nous nous trouvons actuellement au terme d'un certain nombre de recherches qui avaient été lancées auparavant par l'ONEMA et qui avaient donc été fléchées vers les milieux humides. On réfléchit à la manière d'infléchir les choses dans le cadre actuel. La question de l'équivalence écologique est majeure, et nous devons progresser sur ce point.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cela renvoie à la question de la souplesse.

À partir du moment où l'on est plus précis sur les équivalences, un point qui semble aujourd'hui assez consensuel, se pose la question de savoir si l'on se donne un peu plus de souplesse sur la proximité. En clair, si je prends l'exemple d'une plaine : fait-on de la proximité au pied de l'ouvrage, au risque de taper de la terre agricole très productive et d'avoir des coûts très élevés pour recréer du milieu, alors qu'à quarante ou cinquante kilomètres on trouvera une terre agricole moins productive et plus riche en biodiversité, où l'impact sera plus fort ? Comment peut-on accompagner une souplesse à ce niveau-là sans que ce soit une manoeuvre de contournement des obligations et sans perte de biodiversité ? C'est une piste sur laquelle il nous faut avancer. Où acter le consensus, puisque cela ne peut se faire que par consensus, voire la médiation en cas de désaccord ? À défaut de pouvoir nous répondre, peut-être pouvez-vous nous donner quelques pistes. Toutes ces questions sont aujourd'hui au coeur de notre réflexion.

M. Christophe Aubel . - Voilà de vastes questions auxquelles je n'ai pas de réponse.

L'un des intérêts de la compensation par l'offre est la proximité temporelle : il y a tout de suite un gain pour la nature puisque le projet est déjà engagé.

Il faut que les choses soient à la fois très encadrées, avec des règles, tout en ayant une certaine souplesse. Sur ce type de sujet - ne serait-ce que parce qu'il est conflictuel -, si les lignes guides sont trop strictes, on ne sortira jamais de la polémique, qui est préjudiciable. Comme l'a rappelé Philippe Martin au début de son intervention, la séquence ERC est tout sauf un outil pour opposer économie et biodiversité. Cet outil a été précisément mis en place pour concilier. Si, aux États-Unis, cela fonctionne plutôt mieux que chez nous, c'est sans doute parce qu'elle est de nature à favoriser la conciliation. Jusqu'à preuve du contraire, les États-Unis sont une puissance économique importante. Si cette séquence était totalement contraire au développement économique, je ne suis pas sûr qu'elle se serait autant développée. Ils ont de véritables résultats en la matière.

Concernant la proximité telle que vous venez de l'évoquer, il faut des méthodes un peu standardisées, qui rappellent un peu ces guides. Oui, on peut s'extraire un peu de la proximité, mais sans aller à l'autre bout de l'hexagone. Je verserai au débat - je ne suis pas certain de le simplifier ! - les questions sociales et d'aménité. Créer une zone humide à cinquante kilomètres de la zone qui était un lieu de loisirs pour un certain nombre d'habitants...

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ou pour la chasse !

M. Christophe Aubel . - Je n'ai pas de problème avec la chasse ; se pose là aussi un vrai sujet. À quatre-vingts kilomètres, on recréera certes un site, mais les habitants ne bénéficieront plus du premier lieu. Tout cela n'est donc pas si simple.

S'agissant du lieu de consensus, il faut d'abord faire progresser les méthodes, mais des instances comme le Comité national ou les comités régionaux de la biodiversité doivent permettre d'avancer sur cette réflexion. L'autorité environnementale a un rôle à jouer pour ce qui concerne les procédures. On le voit bien, lorsque des projets donnent lieu à polémique, c'est parce qu'il y a eu des ratés dans les procédures. L'instauration de l'Autorité environnementale au niveau national a permis de progresser ; elle se met maintenant en place au niveau des territoires. Ceux-ci peuvent aider à sortir des polémiques, en vue de faire évoluer un certain nombre de règles. N'oublions pas non plus la charte de la concertation. Tous ces outils peuvent nous aider, car il me semble que la compensation est quelquefois instrumentalisée. On prend ce prétexte parce que la concertation n'a pas été bien mise en place sur un certain nombre de projets.

M. Raymond Vall . - Je suis impressionné par le fait que vous ayez déjà défini une stratégie politique, alors que l'agence vient d'être mise en place. On peut peut-être s'inquiéter de l'aspect répressif que cette dernière va présenter. Comme en médecine, ne pourrait-on pas, à l'image de la médecine préventive, imaginer une politique à l'égard de ceux qui vivent sur le terrain ? On parle toujours de transition. Mais, on le sait, sans adhésion, il n'y aura pas de transition.

Je suis toujours traumatisé pour la ruralité, qui va au final jouer un grand rôle en la matière. Ne pourrait-on pas imaginer un rapport avec le terrain ? Dans le cadre du volontariat, ne pourrait-on pas, dans les communes, trouver une assermentation, sans revenir au garde champêtre ? Pourquoi ne pas impliquer les territoires, en envisageant une forme de récompense quand ils consacrent du foncier à la préservation de la biodiversité ? On attribue bien des certificats d'économie d'énergie. Pourquoi ne pourrait-on pas trouver une forme de soutien à des initiatives locales, qui seraient évidemment encadrées, mais qui permettraient de valoriser les territoires ruraux, péri-urbains, lesquels joueront un rôle essentiel en termes de respiration, de communion avec les habitants des métropoles ? Ce sont les personnes avec un potentiel fiscal très faible qui devront assumer la préservation de la biodiversité. N'y a-t-il pas là une politique à mener ? Je pense que le président Philippe Martin y a pensé. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions ?

M. Philippe Martin . - Je m'exprimerai brièvement, car je ne veux pas que ce soit un échange Gerso-gersois. Je vous rejoins complètement, je connais d'ailleurs l'engagement qui est le vôtre, dans un territoire où vous vous impliquez depuis fort longtemps sur ces questions de biodiversité. Vous avez même mis en place des outils d'éducation : des collèges arrivent à devenir des enclaves de biodiversité, notamment à Fleurance. Christophe Aubel aura peut-être plus de recul que moi pour vous répondre.

Je comprends bien l'idée. Le but, c'est que l'AFB soit quelque chose de positif ; elle ne doit pas être simplement une instance de police. Elle l'est de fait dans la mesure où elle intègre l'ONEMA, qui, elle-même, a une vocation de police, parfois d'ailleurs contestée sur le terrain. Je connais mieux que quiconque les difficultés rencontrées parfois par le monde agricole sur les questions et les problématiques de l'eau : la police armée peut quelquefois les traumatiser. Avec mes différentes casquettes, comme ministre de l'écologie, comme rapporteur d'un rapport sur la gestion quantitative de l'eau en agriculture visant à essayer de créer ce que l'on a appelé « les projets territoriaux » pour faire en sorte que les personnes entrent dans une logique de conciliation, je connais bien la situation.

M. Christophe Aubel . - Je n'ai pas de difficulté avec cette question.

Hier, lors d'une visite à l'une des équipes de terrain en Bourgogne-Franche-Comté, la responsable d'un service départemental m'a confié qu'elle vit chaque verbalisation comme un échec. Voilà une réflexion intéressante. Les services du terrain vivent cela comme un échec, parce que l'on n'a pas pu ou pas su faire de la prévention.

On parle ici du prisme ERC. L'ONEMA, sur ce sujet, rendait, à la demande des services instructeurs, un certain nombre d'avis techniques et faisait des contrôles : la police est menée sous l'égide du préfet ou du procureur, y compris sur ces aspects. Il ne faut pas confondre le suivi au sens du contrôle, qui existe, et le suivi-centre de ressources. Dans la perspective d'élaborer un centre de ressources ERC, on est là dans l'accompagnement des acteurs et la prévention, pas du tout dans la police. Il faut expliquer pour que tout se passe bien et éviter ensuite de verbaliser. Votre question dépasse le cadre de la séquence ERC.

L'AFB assume ses missions de police, des missions régaliennes, mais celles-ci ne sont pas une fin en soi : c'est l'aboutissement de la mise en oeuvre de toute une chaîne des politiques publiques qui commence par la connaissance et l'explication des textes en vigueur. C'est un élément clé à mes yeux. Il est évident que c'est cet aspect des choses que l'on doit développer.

Il faut valoriser les initiatives positives et développer dans un certain nombre de domaines des labels, des valorisations. L'AFB co-organise le prix de la capitale française de la biodiversité. Évidemment qu'il faut valoriser toutes les actions en ce sens.

Pour en revenir à la séquence ERC, il faut arriver à expliquer suffisamment le sujet pour que les personnes ne la vivent plus comme « un empêcheur de », mais bien comme quelque chose qui contribue à la qualité de vie de nos territoires. C'est pour cette raison que j'ai parlé de la question sociale. À un moment donné, on ne peut pas uniquement raisonner en équivalence écologique pour une zone humide, il faut aussi intégrer les aménités. C'est en agissant ainsi que l'on répondra aux critiques les plus vives.

Oui, l'AFB doit faire émerger le sujet de la biodiversité dans la société : il faut que les gens se l'approprient et, pour ce faire, il faut expliquer ce que c'est, mais il faut aussi le partager, montrer les services rendus et valoriser toutes les bonnes initiatives. Ce sera là l'un des enjeux des ARB ; l'AFB en tant qu'entité nationale ne pourra pas dialoguer avec chacune des 36 000 communes de France. Mais on arrivera via les ARB à mettre en place des dispositifs pour aider les communes qui oeuvrent en faveur de la biodiversité, pour valoriser. Nous lançons un appel à projets sur les atlas de la biodiversité communale ; certains, je le sais, se développent dans le Gers, mais il y en a aussi ailleurs. À mes yeux, c'est typiquement l'outil qui permet une appropriation du public et une valorisation des actions menées. Un atlas de biodiversité communale n'est pas un inventaire de la faune et de la flore, c'est un inventaire des enjeux et opportunités pour le territoire de la biodiversité.

C'est une évidence, l'AFB ne veut surtout pas être, y compris en matière d'ERC, une instance qui ne fait que contrôler. C'est pour cette raison que l'on plaide pour l'élaboration de méthodes : si l'on a de bonnes méthodes pour calibrer la compensation, il y aura, c'est clair, moins de sanctions. On détendra donc un peu l'ambiance générale.

Comme je l'ai dit rapidement précédemment, j'en reviens aux questions de concertation, qui ne dépendront pas que de l'AFB. Je reste convaincu que, dans un certain nombre de cas, quand une polémique se met en place sur des sujets de compensation - je parle là des grands projets -, c'est parce que la concertation n'a pas eu lieu. C'est la concertation, la charte de la concertation, le respect des procédures qui peuvent résoudre ces polémiques. L'AFB peut faciliter les choses en expliquant, mais elle n'a pas la main sur la façon dont on mène la concertation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - On l'a bien compris, l'AFB se veut un outil facilitateur dans la société, c'est une évidence. Mais sera-t-elle aussi parfois en situation de dire que telle chose n'est pas possible : soit les méthodes de compensation ne fonctionnent pas, soit ce n'est pas compensable.

M. Christophe Aubel . - En fait, elle le fait déjà, mais dans le cadre des avis qu'elle rend aux services instructeurs. L'AFB, comme établissement public, ne pourra pas s'exprimer publiquement si on ne lui demande pas de le faire. Mais elle dira vraiment les choses, comme le faisait l'ONEMA, quand les services instructeurs lui demandaient des avis techniques. Des avis sont rendus, et le service instructeur prend ensuite ses responsabilités. Il arrivera peut-être que l'Autorité environnementale sur certains sujets d'aménagement demande au Muséum national d'histoire naturelle (MNHM) de faire une étude complémentaire sur des aspects présentant des lacunes dans le dossier, comme cela s'est déjà produit. L'AFB pourrait être saisie plus tard dans un tel cas. En l'espèce, le Muséum rend son rapport public puisqu'il s'agit d'une commande.

M. Philippe Martin . - On demande des avis à l'AFB de manière classique. Nous aurons bientôt à rendre un avis sur la création d'un parc marin en Martinique. Dans notre esprit, nous avons l'idée d'étendre cette notion d'avis, mais encore faut-il que nous soyons sollicités. À cet égard, quel sera son rôle contraignant ?

Comme l'a dit Christophe Aubel, l'AFB pourra faire part de son avis, avec l'indépendance qui est la sienne dans le cadre d'études complémentaires. L'enjeu pour l'agence est de démontrer son indépendance pour que l'avis soit bien pris en compte.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment fait-on en situation de conflit ? Cette question incontournable nous importe.

Dans le cadre des auditions que nous avons organisées, deux exemples ont été cités sur les quatre projets qui nous occupent. Concernant l'outarde sur la ligne LGV, c'est le Muséum qui a été, au final, juge de paix. Il y avait un désaccord profond sur les mesures compensatoires ; les uns et les autres se sont entendus sur le fait de demander un avis au Muséum, qui, de mémoire, a proposé près de 1 500 hectares : l'accord final porte sur 700 hectares de mesures compensatoires. À votre avis, est-ce une fonction que l'AFB pourrait reprendre ?

M. Christophe Aubel . - Oui, elle pourrait la reprendre, mais pas pour la retirer au Muséum : il faudra se répartir la tâche en fonction des compétences de chacun. Sur certains sujets, le Muséum pourra faire mieux que nous. Sur d'autres, on pourra agir en commun puisque nous allons créer une unité mixte de service, PATRINAT, avec le Muséum sur l'expertise. Souvent, l'avis sera demandé à cette unité mixte. Sur d'autres sujets liés à la loi sur l'eau par exemple, l'AFB, ex-ONEMA, a une expertise propre. Il ne faut surtout pas agir à la place d'un organisme. Mais oui, ce sera possible.

C'est moins médiatique, mais, au quotidien, l'ONEMA était sollicité par les maîtres d'ouvrage qui rencontraient des difficultés pour mettre en place des mesures de compensation : des conseils leur étaient alors donnés.

Nos statuts sont tels qu'il n'est pas possible de nous autosaisir, sauf si le conseil d'administration le décidait un jour. Mais nous répondons aux appels du ministère ou des parties prenantes, la DREAL faisant remonter les demandes.

Je le redis, plus nombreuses seront les doctrines, des bonnes doctrines, avec des validations scientifiques, plus on arrivera à séparer le bon grain de l'ivraie dans un certain nombre de méthodologies. Il faut vraiment parvenir à imposer, par la force de la conviction et de la qualité des études, des méthodes, pour éviter les polémiques. Il faut essayer d'avoir des standards. Concernant les zones humides, on en est très proche grâce au travail réalisé par l'ONEMA.

M. Philippe Martin . - Avouons aussi que l'AFB ne pourra pas régler seule les questions relatives au conflit. La réflexion est plus globale sur la manière de déclencher une démocratie continue, qui n'est ni une démocratie participative ni une démocratie représentative. C'est la capacité pour les citoyens à être informés. L'AFB peut apporter une expertise technique, en donnant des éléments objectifs, qui permettront de susciter le débat. Elle jouera pleinement son rôle, mais elle ne peut pas à elle seule résoudre les conflits dont on parle.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Certes, mais il faut, à un moment donné, qu'une autorité scientifique, qui n'est pas remise en cause, aide à les démêler. On le voit bien, il est nécessaire de construire quelque chose entre l'AFB, intégrant le Muséum et l'ex-ONEMA, mais qui n'a pas été associé sur tous les projets. Les membres de l'ONEMA nous ont clairement dit que personne ne leur avait demandé leur avis sur l'aéroport, alors que l'on est au coeur des zones humides.

M. Philippe Martin . - Absolument !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Cet exemple prouve que tout cela n'est pas systématique.

Par ailleurs, il y a le CNPN, l'Autorité environnementale et l'AFB. Comment ces trois niveaux vont-ils s'articuler ? Peut-être pouvez-vous nous le préciser par écrit. Il faut sortir de la problématique : cela marche ou cela ne marche pas.

M. Christophe Aubel . - Sur ce triptyque - CNPN, Autorité environnementale et AFB -, les avis sont effectivement différents, mais le juge de paix final doit être, selon moi, l'Autorité environnementale. Pour notre part, nous produisons une expertise. L'Autorité environnementale s'en saisit et rend son avis. Je crois vraiment en l'Autorité environnementale dite indépendante, telle que prévue par les directives européennes. Si le dossier fait état d'un manque d'expertise, il lui reviendra - elle l'a déjà fait - de se tourner vers le Muséum ou l'AFB pour demander une expertise complémentaire. Nous rendrons ensuite notre avis : soit on notera que tout est réglementaire, soit on pointera un manque.

Dans vos exemples, vous avez pointé un manque d'avis. Mais il faut qu'à un moment l'Autorité environnementale ait le pouvoir de dire qu'il manque des choses dans le dossier, et c'est ce qui est de nature à apporter un peu de sérénité. Si rien n'est organisé, l'AFB produira son avis, tel autre institut ira chercher un autre avis, et on ne s'en sortira pas. Le CNPN, de son côté, avec son champ d'intervention limité, doit rendre lui aussi son avis. De ce point de vue, le « nouveau CNPN » peut gagner du poids : il peut plus ressembler à une autorité dite indépendante du fait de sa composition et de son mode de fonctionnement, qu'il faut mettre en place.

M. Philippe Martin . - Permettez-moi de compléter le propos, le débat que nous avons ici, nous l'avons eu au sein du premier conseil d'administration, à savoir la question de l'articulation, de l'autorité et de la manière d'avoir une instance incontestable - il n'y a rien de pire que d'essayer de créer une autorité dont on contesterait ensuite l'avis en le jugeant partiel, partial. Toutes les questions que nous reprenons ici - cela prouve qu'elles sont bien au coeur du sujet - ont trait à la coordination et à l'articulation entre des organismes existants et cette nouvelle instance qu'est l'AFB, créée par la loi, en vue de mutualiser.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pouvez-vous nous exposer par écrit l'état de votre réflexion sur cette articulation ? Cela nous aidera grandement.

Nous avons peu parlé de la biodiversité ordinaire, un sujet important. Le nombre d'espèces protégées progresse, même si la progression est légère, alors que la biodiversité ordinaire s'effondre. Il vaut mieux être un grand rapace ou un ardéidé qu'un bouvreuil pivoine, pour faire simple.

M. Christophe Aubel . - Même s'il est protégé !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Certes !

M. Philippe Martin . - En Corse, le gypaète revient, alors que la biodiversité ordinaire est mise à mal !

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment l'intégrez-vous dans votre stratégie ? Au travers de la protection des espèces parapluie, des grandes espèces ciblées dans les mesures de compensation, partez-vous de l'idée selon laquelle la biodiversité ordinaire suivra ? Ou faut-il se poser aujourd'hui différemment la question, en prévoyant plus de compensation pour la perte de la biodiversité très ordinaire ?

M. Christophe Aubel . - Là encore, je vous livre un point de vue personnel.

Actuellement, il y a un cadre juridique. Si, dans les milieux humides, qui présentent une biodiversité ordinaire, des compensations sont prévues, c'est parce que la loi sur l'eau existe. Dans ces milieux, une protection est mise en place, y compris concernant la pérennité. Quand on fait de la compensation de ruisseaux, même si on ne géolocalise pas, on sait que la compensation est souvent pérenne : la protection est mise en place par les directives-cadre sur l'eau sur les cours d'eau, et on sait donc ce qui s'y passe.

Personnellement, j'estime que c'est une bonne approche. Le débat va porter maintenant sur les milieux marins : comment tout cela va-t-il se mettre en place avec la directive ? Je n'ai pas de réponse, mais je sais que pour les milieux marins, on part de plus loin encore en termes d'équivalences, d'état de lieux initial, etc.

Il y a une ambiguïté sur les espèces protégées, mais c'est là un sentiment personnel. Le fait de passer par le CSRPN peut être une bonne chose. En réalité, parmi les espèces protégées en France on peut trouver des espèces très rares comme des espèces communes, et cette catégorie ne règle pas la question des milieux ordinaires. Il faut y réfléchir.

Je me souviens un jour que, lors d'une table ronde, une personne d'une DREAL a fait remonter l'idée que l'on n'est peut-être pas dans le bon scope, en matière de compensation, lorsque des mesures de compensation fortes sont demandées pour un lézard des murailles, une espèce commune, mais protégée par la loi. L'état de conservation des espèces doit être une entrée très importante.

Par ailleurs, je pense qu'il faut effectivement progresser pour ce qui concerne les milieux. Je sais que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) travaille sur une hiérarchie des écosystèmes : c'est une sorte de liste rouge pour les espèces et de liste verte pour les milieux. Il faudra avoir une approche des milieux concernant quelques milieux importants, comme cela peut exister pour les zones humides, en vue d'avoir une connaissance globale.

Actuellement, on s'appuie sur les espèces protégées parce que notre système se fonde sur celles-ci. Mais, dans un certain nombre de cas, il serait souhaitable de raisonner en termes de milieux, qu'il faudrait définir, pour la compensation. Pour autant, pour les espèces en danger, il faut conserver notre système. C'est vrai, les réponses ne sont pas satisfaisantes, sans compter les cas particuliers de la compensation : des espèces protégées s'installent dans des carrières parce que le travail a été bien fait du point de vue de la conduite des travaux, mais elles partent ensuite. Certaines situations sont très compliquées, et cela mériterait un travail assez approfondi. Je suis assez partisan d'une approche par milieu, pour avoir une vision globale plus importante. Cela permet aussi d'avoir un lien avec les territoires et la vie des habitants. Quand on fait de la compensation dans les milieux humides, les gens qui y habitent peuvent aussi comprendre pourquoi on mène telle action de préservation de cet endroit : on est attaché à l'étang, à la prairie humide. Quand on parle des espèces, on est quelquefois plus loin de la vie quotidienne des gens, et cela n'aide peut-être pas à la compréhension : les gens peuvent le vivre plus mal.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous n'avez pas parlé de la trame verte et bleue ni du schéma régional de cohérence écologique.

À un moment, il faut mettre une stratégie fonctionnelle liée à des milieux qui se parlent, des corridors, avec une trame opérationnelle européenne, française, régionale. Je sais que vous en êtes convaincus, même si nous n'en avons pas parlé. Mais cela revient-il à dire qu'on devra essayer de faire cohabiter demain en France une trame d'aménagement, qui est nécessaire, et une trame fonctionnelle de cohérence écologique, avec de la compensation, ce qui peut aussi être l'occasion de rajouter des petits cailloux là où les corridors ont disparu, en recréant de la fonctionnalité, et de la stratégie foncière - on a beaucoup travaillé sur cette question -, avec la question des friches ? On a peu parlé de ce dernier point, alors que l'AFB a déjà travaillé sur le recensement des friches.

L'idée est-elle demain de mettre de la compensation dans cette dynamique pour arriver à une trame de biodiversité cohérente et fonctionnelle à côté d'une trame d'aménagement évidemment fonctionnelle ?

M. Christophe Aubel . - La trame verte et bleue est un élément essentiel, et j'y suis très attaché. L'expérience de l'AFB, c'est celle de l'ONEMA, qui concerne la trame bleue. L'enjeu est d'arriver à concilier les deux trames. Si on ne le fait pas, on ne pourra pas préserver la biodiversité. On peut faire tous les parcs nationaux et toutes les réserves naturelles que l'on veut, on ne répondra pas à l'enjeu s'il ne se passe rien dans l'interstice. Oui, il faut arriver à avoir ce raisonnement un petit peu systémique. Mais si la compensation doit servir à faire une trame verte et bleue, comme je l'ai entendu, au sens de préserver ce qui doit l'être dans le schéma régional de cohérence écologique, je ne suis pas d'accord.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Ma question était plus précise.

M. Christophe Aubel . - Oui, il faut renforcer. J'ai d'ailleurs oublié de dire que, quelquefois, dans le cadre des grands projets d'aménagement, on prend des mesures de compensation importantes, que l'on met en oeuvre et, du fait du passage de l'infrastructure, l'aménagement foncier n'est pas fait en cohérence avec les mesures de compensation. Cela rejoint un peu ce type de raisonnement. Comment avoir une vision globale ?

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pour compléter ma question, je vous demande si, avec votre vision progressivement quasi exhaustive de l'état de la biodiversité en France, y compris des friches, qui auront un rôle stratégique dans la préservation ou la constitution de corridors nécessaires, comme l'a dit Raymond Vall, vous estimez que des terrains vont avoir besoin de reconquête, des terrains que nous ciblons dans une stratégie de compensation parce qu'ils vont jouer un rôle additionnel important ?

M. Christophe Aubel . - Cela fait partie, je l'ai évoqué, de l'inventaire des sites potentiels de compensation que la loi nous demande de réaliser. Il faut réfléchir sur la méthode. Les friches, les milieux un peu dégradés, peuvent être des milieux clés pour la reconquête de la biodiversité : l'inventaire sera intelligent si l'on diagnostique des milieux où la reconquête est vraiment nécessaire et où la compensation peut apporter une vraie plus-value. Cela renvoie par ailleurs au recyclage foncier des friches industrielles, mais c'est là un autre sujet.

M. Raymond Vall . - Je vois dans le rapport de réciprocité entre l'urbain et la partie périphérique quelque chose de très intéressant, un financement possible. En fonction des zones d'aménagement des grands projets d'infrastructures des métropoles, on aurait l'obligation, dans un périmètre de réciprocité, d'un échange de financement concret par compensation.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Je voudrais aborder la question du monde agricole, dont nous avons assez peu parlé mais qui revêt un caractère stratégique.

Des territoires peuvent être de bonne qualité environnementale, avec des enjeux liés à la biodiversité. Si une LGV passe sur ces territoires, il y a compensation. Si le territoire change de vocation agricole, il n'y en a pas. Si la LGV passe dix ans après la transformation d'un système extensif en système intensif, les enjeux en termes de compensation et de biodiversité ne seront plus les mêmes.

Engagez-vous un dialogue avec le monde agricole sur la question de savoir comment on peut aujourd'hui préserver un certain nombre de territoires ? Certes, le système des mesures agro-environnementales (MAE) existe pour les zones Natura 2000, mais la situation est beaucoup plus compliquée pour les autres zones. Comment ressentez-vous l'attitude du monde agricole à l'égard de la compensation ? À cet égard, nous avons eu des sons de cloche extrêmement différents. Quel est votre sentiment sur cette question clé ?

M. Christophe Aubel . - De manière générale, le dialogue avec le monde agricole est évidemment essentiel. Sur les quarante-trois membres, notre conseil d'administration comprend deux représentants du monde agricole. Ils ne sont donc pas les plus mal lotis, et j'en suis ravi parce qu'ils sont des acteurs majeurs.

Oui, nous allons dialoguer et essayer d'être intelligents avec eux. Je ne puis répondre à la question très précise que vous avez posée, car nous n'avons pas du tout entamé le dialogue sous l'angle de la compensation spécifique.

J'entends bien le raisonnement selon lequel la compensation peut être très compliquée pour eux quand elle se fait sur les terres agricoles. Le fait d'avoir instauré dans la loi d'avenir pour l'agriculture une compensation agricole qui soit autre chose que de la compensation écologique crée un peu de confusion. Il faut en discuter avec eux. Mais outre les obligations environnementales, liées au foncier, nous devons être capables de travailler avec eux pour mener des expérimentations.

Je ne comprends pas - mais j'espère parvenir à faire bouger les choses -, qu'il soit plus compliqué de parler biodiversité avec les agriculteurs qu'avec tous les autres acteurs économiques. Nous traitons les mêmes sujets du vivant. Il est vraiment possible de dépasser cela. Je m'y suis employé modestement, car la structure était petite, dans le cadre d'un autre métier. Si, par l'exemple, on parvient à faire des choses ensemble sous forme d'expérimentations, j'en serai ravi. Il y a là une véritable marge de progression, tout cela peut se concilier de différentes façons. Les choses ont bougé. Les représentants du monde agricole présents au sein du conseil d'administration sont aussi allants que les autres dans leur envie d'AFB, si je puis dire. On va donc y arriver.

M. Philippe Martin . - Je connais bien le monde agricole, et je connais aussi les réticences - elles existent tout de même, monsieur le directeur, mais je me félicite de votre optimisme. Les réticences ne portent pas sur l'analyse selon laquelle la biodiversité doit être préservée, parce qu'elle participe à leur action. Mais c'est parfois un petit peu difficile et nous avons des débats au sein du conseil d'administration. C'est effectivement par l'exemple et l'expérimentation que nous pourrons arriver à faire bouger les choses.

Nous avons présenté au Président de la République voilà une semaine les techniques d'agroforesterie, un secteur où le département du Gers est à la pointe : une technique agricole qui, tout en ayant des rendements particulièrement bons, a une vocation de préservation des auxiliaires de culture que sont les insectes, de captation de l'eau pour éviter les ravinements. Cela montre, par l'exemple, que l'on peut parvenir à des techniques différentes. Je ne parle pas de l'agriculture bio, qui est aussi très largement diffusée chez nous. Mais, avec l'agroforesterie, en expliquant qu'un kilo de coeur de bois crée 400 grammes d'eau qui ne sont jamais tombés sur la terre, on en revient à la vocation grand public de l'AFB. Et les agriculteurs font partie du grand public, avec lequel nous devons travailler. Nous devons nous présenter non pas comme une police et une contrainte, mais comme une voie d'évolution de l'agriculture, qui préservera de toutes les façons la biodiversité.

C'est ainsi que je vois ma mission, en instaurant un dialogue très sincère et très objectif, en connaissant les contraintes d'une agriculture qui souffre, par ailleurs, et qui, bien évidemment, va être parfois plus intéressée par les objectifs à court terme qu'à long terme.

Pour autant, le dialogue existe et doit exister.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le directeur général.

Audition de MM. Nicolas Forray, président de la section "Milieu, ressources et risques", Christian Barthod, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et Philippe Ledenvic, président de l'Autorité environnementale (AE)
(mercredi 1er mars 2017)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures par l'audition du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).

Un certain nombre d'entre vous le savent, le CGEDD est chargé de conseiller le Gouvernement, notamment dans les domaines de l'environnement, des transports, du bâtiment et des travaux publics, de la mer, de l'aménagement et du développement durables des territoires. Dans ce cadre, il mène les missions d'expertise, d'audit, d'étude, d'évaluation, d'appui et de coopération internationale que lui confie le Gouvernement.

Il siège également en formation d'autorité environnementale pour émettre des avis et rendre des décisions sur la qualité des évaluations et la prise en compte de l'environnement par les projets et les plans et programmes qui sont soumis à son examen.

C'est sous ces deux aspects que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre aujourd'hui.

Je rappelle que nous travaillons sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.

Mais ces exemples doivent nous permettre d'identifier, de manière plus générale, les principaux obstacles qui empêchent aujourd'hui une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser, et de faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre concrète, l'efficacité et le suivi des mesures compensatoires en France.

Nous entendons donc M. Nicolas Forray, président de la section « Milieu, ressources et risques » du CGEDD, M. Philippe Ledenvic, président de l'Autorité environnementale, M. Christian Barthod, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et membre du CGEDD.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Nicolas Forray, Philippe Ledenvic et Christian Barthod prêtent successivement serment.

Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Nicolas Forray, président de la section « Milieu, ressources et risques » du Conseil général de l'environnement et du développement durable. - Je n'ai pas de lien d'intérêts avec les sociétés ou les investisseurs des quatre projets mentionnés. En revanche, en qualité de directeur de la Direction régionale de l'environnement (DIREN) Centre, puis de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Centre - de mai 2007 à avril 2014 -, j'ai eu à connaître le dossier d'enquête publique « loi sur l'eau » et le début de mise en oeuvre des mesures compensatoires pour l'un d'entre eux. Dans le cadre de mes fonctions au CGEDD, il m'a été demandé, avec deux collègues, d'étudier les alternatives pour le développement aéroportuaire du Grand Ouest, sur une base exclusivement bibliographique.

M. Philippe Ledenvic, président de l'Autorité environnementale. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec les projets mentionnés. Je précise néanmoins que j'occupais la fonction de directeur adjoint du cabinet du ministre de l'écologie au moment de la signature de la déclaration d'utilité publique (DUP) de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Dans le cadre de ces responsabilités, je n'ai pas eu à intervenir sur le dossier.

M. Christian Barthod, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec ces projets.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous donne la parole, messieurs.

M. Nicolas Forray . - Nous interviendrons à deux voix : je traiterai certaines questions, mon collègue Philippe Ledenvic d'autres, et nous pourrons parfois présenter deux points de vue différents, les positions de l'Autorité environnementale et du CGEDD n'étant pas forcément les mêmes.

Les conditions d'intervention du CGEDD, que vous avez fort bien rappelées, monsieur le Président, sont énoncées dans le décret n° 2015-1229 et l'arrêté du 2 octobre 2015.

Nous travaillons exclusivement sur commande de nos ministres - le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ou le ministre du logement et de l'habitat durable -, du Premier ministre et des ministres pour lesquels nous sommes mis à disposition.

Nous ne jouons aucun rôle dans la mise en oeuvre ou dans le contrôle des projets, mais nous pouvons être mobilisés pour évaluer une politique. À titre d'exemple, a été validée, au titre de notre programme d'activités 2017-2018, une mission sur les études d'impact, les mesures compensatoires et la séquence ERC en mer, sujet sur lequel il n'existe pratiquement aucune référence alors que les projets se multiplient.

Nous pouvons donc être saisis sur des sujets généraux, des évaluations ou des projets précis.

Par ailleurs, nous avons une fonction particulière, consistant à rendre un avis sur les bilans au titre de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) effectués trois à cinq ans après la mise en service d'une infrastructure. Ces dispositions sont codifiées aux articles R. []1511-8 à R.[]1511-10 du code des transports, qui précisent que l'avis du CGEDD est obligatoirement publié.

Il nous a notamment été demandé de procéder à l'évaluation du bilan LOTI de l'autoroute A65. Le rapport n'est pas achevé et devrait être publié sous un mois, mais j'ai pu prendre connaissance des éléments - non définitifs - rassemblés par mon collègue travaillant sur le dossier.

Cette évaluation a été étendue, en 1992, au volet environnemental. À ce titre, elle peut intéresser votre commission d'enquête.

En résumé, le CGEDD, dans sa mission générale, intervient essentiellement sur la partie terminale des projets d'infrastructures de transport d'une certaine taille et je peux d'ores et déjà signaler que le volet environnemental n'est pas le point fort de ces bilans LOTI.

M. Philippe Ledenvic . - Le rôle de l'Autorité environnementale est défini dans le code de l'environnement. Il consiste, à partir de l'analyse des études d'impact ou des évaluations environnementales, à déterminer comment l'environnement est pris en compte dans un projet donné, et ce en amont de la consultation publique. Les avis que nous rendons visent à éclairer le débat, à permettre à tous les participants de s'exprimer en connaissance de cause. Il ne s'agit, en aucun cas, d'avis en opportunité, c'est-à-dire d'avis favorables ou défavorables au projet.

L'Autorité environnementale n'est pas une autorité administrative indépendante. Pour autant, elle dispose d'un statut particulier : adossée au CGEDD, elle est régie par des règles propres, visant à garantir l'indépendance totale des avis qu'elle rend.

Les conditions de cette indépendance sont de plusieurs types. Tous les membres de l'Autorité environnementale sont nommés par le ministre en charge de l'écologie, de façon permanente s'agissant des membres issus du CGEDD, pour une durée de trois ans s'agissant des membres associés. Nous effectuons tous des déclarations d'intérêts annuelles. Les missions de rapporteur sont assurées par des membres de la structure. La délibération est collégiale - j'en ai décrit le processus dans la note que je vous ai adressée en amont de cette audition. Depuis ses débuts, l'Autorité environnementale a rendu pratiquement tous ses avis de manière consensuelle, l'avis étant validé au mot et à la virgule près. Certains membres peuvent être amenés à se retirer de la délibération s'il y a un risque de conflit d'intérêts. Sitôt délibérés, les avis sont publiés sur Internet et sont, en conséquence, directement accessibles à tous. Ce n'est qu'à ce moment-là, à l'issue de la délibération, qu'ils sont portés à la connaissance de la vice-présidente du CGEDD, du ministre ou de son cabinet.

Tel est le processus d'ensemble permettant de garantir que les avis de l'Autorité environnementale sont bien élaborés de manière indépendante.

J'attire également votre attention sur la taille modeste de notre structure : nous sommes une vingtaine, dont certains ne travaillent qu'à 50 % pour elle. Pour analyser des dossiers comprenant plusieurs centaines ou milliers de pages, il peut nous arriver de faire appel à des contributions et expertises extérieures, mais l'instruction des dossiers et la mission de rapporteur sont bien assurées par un membre de l'Autorité environnementale.

S'agissant du thème qui vous occupe, je retiendrai trois idées importantes, tout en précisant, à nouveau, que nous intervenons généralement à un moment bien particulier de la procédure, en amont.

Premièrement, on constate très rarement un bon traitement du volet « évitement » dans la démarche ERC. Le plus souvent, les études d'impact justifient a posteriori un choix effectué en amont et n'ayant pas pris cette dimension en compte. Un bon fonctionnement exigerait que celle-ci soit intégrée dès la conception, en tout cas le plus tôt possible.

Deuxièmement, si les avis de l'Autorité environnementale, y compris les avis en opportunité, s'intéressent au caractère satisfaisant, pertinent et fondé des mesures de compensation proposées dans le dossier, celles-ci ne seront définitivement retenues qu'à l'issue du processus d'enquête publique. Or, on voit bien qu'en dépit des efforts réels déployés par les maîtres d'ouvrage pour apporter des réponses satisfaisantes, un écart demeure entre les mesures de compensation retenues en pratique et les critères fixés, notamment dans le cadre de la loi.

Parfois, le volet « compensation » est presque inexistant. Alors qu'on sait faire de la compensation de CO 2 depuis un certain temps, pratiquement aucun dossier ne présente de mesures en ce sens. On se focalise sur la compensation de la biodiversité, qui n'est pourtant pas maltraitée dans les dossiers. Nous pouvons encore progresser dans ce domaine.

Troisièmement, nos avis intéressent les maîtres d'ouvrage car ils leur permettent d'intégrer un regard extérieur à leur propre réflexion et de devancer les questionnements qui leur seront posés sur le contenu de ces avis, durant l'enquête publique ; ils sont également destinés au public et aux commissaires enquêteurs, avec qui nous sommes en contact depuis deux ans et qui peuvent s'en servir durant les enquêtes publiques. En revanche, il est plus difficile d'appréhender les effets réels de nos avis vis-à-vis des autorités décisionnelles, qu'elles soient ministérielles ou préfectorales. Notre visibilité est faible quant aux suites données à ces avis et nous avons parfois le sentiment que c'est à ce niveau que la prise en compte de nos recommandations pose les plus grosses difficultés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Effectivement, j'ai sous les yeux votre avis sur le SCoT de la métropole Nantes Saint-Nazaire, qui englobe le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Vos recommandations sont nombreuses ; vous demandez, par exemple, une cartographie plus précise des zones humides. Au vu des réponses que nous avons obtenues en fin de matinée, au cours d'une autre audition, nous n'avons pas vraiment l'impression que l'on ait progressé sur ces questions de cartographie, ni que votre avis ait été suivi d'effet...

M. Philippe Ledenvic . - Nous émettons un avis simple et, respectant le cadre qui nous est fixé par le code de l'environnement, nous nous interdisons d'intervenir à nouveau, une fois cet avis rendu. Celui-ci vise à éclairer le débat public. Ce qu'il advient ensuite relève du processus démocratique.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Si vos observations n'entraînent aucune modification du projet soumis à l'enquête publique, le CGEDD peut-il envisager de se saisir du dossier ?

M. Nicolas Forray . - Le CGEDD n'agit que sur saisine ministérielle ou dans le cadre d'un programme d'activités portant sur des sujets de fond, comme la séquence ERC en milieu marin que j'ai précédemment mentionnée. Si un ministre nous demandait d'évaluer la prise en compte des avis de l'Autorité environnementale, nous remplirions cette mission. Mais nous ne pouvons pas le faire tant qu'on ne nous le demande pas ! Nous ne nous auto-saisissons que sur des sujets très particuliers.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les avis de l'Autorité environnementale sont-ils lus par d'autres acteurs, comme, par exemple, la Commission européenne ?

M. Philippe Ledenvic . - Les commissaires enquêteurs nous ont indiqué à plusieurs reprises qu'ils appréciaient notre travail, notamment sur les questions environnementales. Ce sont les premiers destinataires de nos avis. Les représentants du grand public les étudient également, ainsi que la Commission européenne dans le cadre de procédures contentieuses ou précontentieuses. Enfin, j'y insiste, ces avis sont disponibles sur Internet, sitôt délibérés : tout le monde peut donc les consulter, et ce sans délai.

M. Nicolas Forray . - J'en reviens aux quatre projets qui vous intéressent.

Le CGEDD a conduit une mission sur le financement de l'autoroute A65 au moment du passage de la concession. L'avis est ancien et ne portait pas sur les questions environnementales. Un bilan LOTI est en cours.

Cinq missions ont été conduites, sur les thématiques du financement, pour la LGV Tours-Bordeaux et son prolongement. Une d'entre elles portait sur le contournement de Saint-Jean-de-Luz, une autre sur les améliorations environnementales à apporter dans le secteur de Bordeaux. Toutes deux remontent à 2010 et 2012 ; elles sont donc relativement anciennes et antérieures aux opérations d'utilité publique.

Aucune demande ne nous a été soumise concernant la plaine de la Crau.

S'agissant de la mission qui nous a été confiée sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il nous a été demandé d'évaluer toutes les alternatives possibles, et ce exclusivement à partir d'une mise en perspective des documents existants, qu'ils aient été rédigés par le maître d'ouvrage, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), la Commission nationale du débat public (CNDP), les partisans du projet ou, au contraire, les associations qui s'y opposent, ainsi que d'autres documents de nature diverse.

Dans ce cadre, nous n'avons pas émis d'avis sur le caractère suffisant ou insuffisant du document d'incidences ou de l'étude d'impact - vous avez d'ailleurs auditionné des membres de la Commission du dialogue, qui a creusé certaines de ces questions. Une commission scientifique ad hoc a expertisé l'étude d'impact et la proposition de méthode d'évaluation de la compensation. Nous avons considéré ces points comme des acquis.

En revanche, j'ai le sentiment que le volet « évitement » n'a pas constitué une étape majeure de la démarche.

L'aéroport de Nantes a été imaginé dans les années 1970. Sa vocation était internationale et il devait accueillir le Concorde, ce qui impliquait qu'il dispose obligatoirement de deux pistes, dont une de 3 600 mètres de long. Quand le projet a été repris, ces deux caractéristiques ont été conservées, sans que la question de l'évitement ne soit posée. Or aucun des avions atterrissant aujourd'hui à Nantes n'a besoin d'une piste de 3 600 mètres de long, étant précisé qu'il en existe une à Brest. De plus, si l'on a avancé des arguments de réduction de l'impact sonore pour justifier le maintien de deux pistes, force est de constater qu'une piste suffit largement à des trafics d'aéroport deux à trois fois plus importants que celui de Nantes.

Pour autant, notre rapport ne conclut rien. Il précise simplement quels seraient les avantages, inconvénients et points d'attention si une modernisation de l'aéroport actuel était décidée, et insiste sur le volet « évitement » en cas de construction d'une nouvelle infrastructure à Notre-Dame-des-Landes, en recommandant une réduction de 40 % de l'emprise.

Cet exemple montre à quel point le « E » de la démarche ERC est insuffisamment pris en compte, même si, encore une fois, il est facile de juger, à l'aune des critères de 2016, des décisions prises dans les années 1970.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous n'entendons pas non plus rentrer dans la problématique de l'opportunité du projet et considérons, comme vous, que l'évitement, en dépit de l'importance de cette question, n'est pas placé au coeur des démarches d'instruction des dossiers. Toutefois, vos propositions pour réduire l'emprise ne se réduisent pas à la question des deux pistes, sur laquelle la position des élus locaux est tranchée. Je pense, par exemple, au parking en silo, mentionné par les représentants de la Commission du dialogue en audition. À notre grande surprise, aucune des propositions, plutôt consensuelles, que vous formulez n'a été reprise. Comment analysez-vous le si faible impact de vos préconisations ?

M. Nicolas Forray . - Nous essayons d'avancer des propositions réalistes et cohérentes, apportant un plus, mais nous ne sommes pas décideurs. Les décisions incombent au Gouvernement, qui prend certainement en compte d'autres paramètres que les nôtres.

M. Philippe Ledenvic . - Votre question renvoie à la notion de temps. Les gens déplorent souvent la longueur des délais nécessaires à la mise en oeuvre de ce type de projets. Mais le principal obstacle à la prise en compte, par les maîtres d'ouvrage, de nos recommandations, c'est qu'ils sont enfermés dans un calendrier de projet contraignant. Ils voudraient bien, mais ils ne peuvent point ! Au-delà du contexte général du dossier - dans quelle mesure un certain nombre d'options, que le maître d'ouvrage est tenu de respecter, ont-elles déjà été arrêtées ? -, se pose donc la question de l'articulation de la démarche ERC avec le calendrier du projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous sommes convaincus que la question environnementale est prise en compte bien trop tard. Sur ce point précis, avez-vous des suggestions d'amélioration ?

M. Philippe Ledenvic. - Je m'interroge sur une sorte d'obligation de moyen pour que le « E » soit enclenché dès la conception du projet. Toute la clé est là : si le maître d'ouvrage se préoccupe de préparer son évaluation environnementale et son étude d'impact environnemental à la fin du processus de conception du projet, c'est déjà trop tard. Je n'ai pas d'idée précise sur la forme que pourrait prendre cette obligation, mais la seule solution repose sur l'enclenchement, le plus en amont possible, de la démarche ERC.

M. Nicolas Forray . - Je m'exprime ici à titre strictement personnel, sans engager le CGEDD, fort de l'expérience que j'ai acquise en menant un certain nombre de missions en urgence, notamment sur le barrage de Sivens.

Selon moi, le problème n'est pas de l'ordre de la procédure. Celle-ci est suffisamment étoffée.

En revanche, il serait souhaitable que les maîtres d'ouvrage définissent les besoins, avant de définir les projets. À un même besoin peuvent répondre plusieurs projets, et toute discussion sur les moyens de satisfaire ce besoin n'est en rien inutile.

Par ailleurs, ressortir un dossier mis en sommeil durant plusieurs années implique de le rouvrir complètement. Le projet du barrage de Sivens, tiré de près de dix ans de sommeil, a été actualisé, mais n'a pas été révisé. Or, le débit moyen de la rivière ayant baissé de 40 % sur trente ans, les conditions de remplissage du barrage n'étaient plus du tout les mêmes. Le monde change, les besoins et les usages évoluent. Il faut en tenir compte.

Enfin, la pratique du bilan est intéressante. Le bilan LOTI couvre un large éventail de grands projets, que l'on pourrait peut-être envisager d'étendre encore. Mais son volet environnemental mérite d'être travaillé autant que d'autres volets, comme l'évolution du trafic, la rentabilité financière ou la dérive des coûts.

M. Philippe Ledenvic . - Je partage parfaitement la remarque concernant la nécessité de définir les objectifs des projets. Nous constatons régulièrement que les études d'impact ne mentionnent pas les objectifs que l'on cherche à atteindre, ni ne démontrent en quoi le projet présenté permet de les atteindre. Le code de l'environnement, dans sa rédaction actuelle, prévoit en outre que le maître d'ouvrage choisit les variantes présentées dans son dossier. Or lors de nos examens, nous imaginons souvent des variantes qui auraient pu répondre au besoin et n'ont manifestement pas été étudiées. Les raisons pour lesquelles ces solutions ont été écartées ne sont pas explicitées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous posez aussi la question de la durée d'instruction de ces grands projets. L'autorisation environnementale unique permettra-t-elle un gain de temps ? Peut-on concevoir une autre forme de construction de la décision, reposant sur moins d'autorisations et plus de procédures suspensives ?

M. Philippe Ledenvic. - L'Autorité environnementale a soutenu le principe de l'autorisation environnementale unique. De nombreux projets donnent lieu à une succession de procédures focalisées sur un seul sujet : l'eau, la pollution de l'air, le bruit, etc. Nous considérons que cette autorisation environnementale unique, qu'elle survienne au moment de la DUP ou après, offre un deuxième moment privilégié pour discuter de l'ensemble du projet. Elle devrait permettre de détecter plus tôt les questions environnementales qui, dans un ensemble, sont susceptibles de poser les problèmes les plus cruciaux.

M. Nicolas Forray . - Sur la question des délais, je ne mettais pas en cause les délais d'instruction. Les vicissitudes d'un projet sont simplement un facteur de vieillissement important.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous vous remercions d'avoir insisté sur le volet de l'évitement. Nous y sommes aussi sensibles et partageons, sur le sujet, vos conclusions. Mais la question de la réduction ne semble guère plus présente. Lorsque l'on examine les arbitrages de l'État sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, on a le sentiment qu'elle n'est pas encore entrée dans la culture des aménageurs.

M. Philippe Ledenvic . - Le volet « réduction » est tout de même plus souvent traité, même s'il ne l'est pas systématiquement, notamment dans les dossiers anciens. On constate généralement que les démarches ont été entamées à ce stade-là. Le saut est assez net.

M. Nicolas Forray . - J'interviens, encore une fois, à titre personnel. Sur les ouvrages hydrauliques, voilà quelques années, on ne regardait pas vraiment les impacts hydrauliques en amont ; désormais, l'exigence de transparence est totale en la matière. De nombreuses mesures de réduction, aujourd'hui implicites, ont été très longuement discutées par le passé et, oui, certaines pratiques sont entrées dans la culture.

Toutefois, on ne peut pas tout réduire. Sur une 2x2 voies, il faut disposer de la place suffisante pour entretenir les accotements. Un travail a été mené sur le rayon de giration des diffuseurs pour essayer de réduire la consommation d'espace, mais cela implique de réduire la vitesse des véhicules pour limiter le danger. Nous sommes là dans des équilibres, qui exigent des arbitrages et évoluent dans le temps.

Cela étant, j'ai le sentiment que la question de la réduction est moins problématique et plus audible que celle de l'évitement.

S'agissant des variantes, dans le cas du barrage de Sivens, il n'a été question que de déplacer le barrage de 200 ou 300 mètres, alors que nous avons pu étudier cinq à six autres solutions techniques, faisant figure de variantes véritables, répondant plus ou moins bien au besoin.

Besoin, variantes : ce sont là des éléments clés sur lesquels nous pouvons progresser, sans conséquence sur le rythme du projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Il reste le troisième volet. Les maîtres d'ouvrage ont compris tout l'enjeu lié à la compensation. Le CGEDD a-t-il travaillé sur les compensations surfaciques ou sur certaines méthodes ?

M. Nicolas Forray . - Aucune inspection générique n'a été menée sur le sujet, mais nous avons pu nous poser certaines questions à l'occasion de l'examen de projets précis.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il nous semble que le système de dette écologique commence à s'imposer, même s'il reste encore des marges d'évolution au niveau du calcul de cette dette. Pensez-vous que le dispositif sera de plus en plus intégré par les maîtres d'ouvrage ?

M. Nicolas Forray. - Ici, nous sortons du domaine scientifique pour aller vers la pratique. Une méthode a été proposée dans le cadre du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. C'était la première fois qu'il fallait compenser de telles surfaces - il était question de 1 600 hectares -, et elle valait ce qu'elle valait.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - En clair, cela signifie que la méthode habituelle de dette surfacique était inopérante...

M. Nicolas Forray. - Pour moi, elle a toujours relevé de la simplification, l'examen sur les fonctionnalités m'apparaissant plus satisfaisant sur le plan intellectuel. Voilà dix ans, on procédait au « doigt mouillé », mais aujourd'hui, par exemple, il existe une méthode commandée par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et préparée par l'université de Montpellier, la méthode MERCIe, qui commence à être utilisée pour déterminer les équivalences sur les zones humides et qu'il faut désormais frotter à la réalité de terrain.

Sur la compensation, les scientifiques n'ont pas tant de solutions que cela. Ils s'inspirent de travaux de recherche anglais et américains, mais ceux-ci n'ont pas toujours trouvé toutes les solutions à des questions qui demeurent complexes.

M. Philippe Ledenvic . - Ce sont bien les équivalences fonctionnelles que nous essayons d'apprécier dans les dossiers, mais il est assez compliqué de dépasser les dires d'experts.

Dans certains cas, nous en venons même à douter de la pertinence des ratios réglementaires. Je me souviens d'un débat sur un projet qui concernait un polder : l'application d'une équivalence surfacique n'avait pas grand sens sur un territoire où il y avait des zones humides partout ! Je pense également à ce cas de figure très fréquent, l'arrachage d'arbres isolés abritant des habitats d'insectes. Ces arbres étant généralement très vieux, toute mesure de compensation doit s'inscrire sur une durée de 80 ans !

Donc il faut approfondir la question au travers de travaux de recherche. Mais passer de la recherche à la déclinaison pratique, puis à la démonstration d'équivalences fonctionnelles, ce que l'on attend théoriquement des études d'impact, exigera du temps. Nous ne disposerons pas d'une méthode indiscutable d'ici cinq ans.

M. Nicolas Forray . - La réhabilitation de certains milieux « jeunes » se mesure en quelques années. Dans le cas du remplacement d'une mare, avec les transferts adéquats, une demi-douzaine d'années suffiront pour obtenir un écosystème de richesse avoisinante. Avec une génération par siècle sur les peuplements boisés, on change d'échelle ! En outre, il faut tenir compte de la vision de l'homme, dont la mémoire se déforme.

M. Christian Barthod. - On finit toujours par une traduction en termes de surfaces, mais derrière celle-ci, il faut garder en tête quatre considérations.

Premier facteur, l'équivalence fonctionnelle. Pour certains milieux, les approximations sont suffisamment opérationnelles pour pouvoir être considérées comme crédibles, mais ce n'est pas le cas pour tous.

Deuxième facteur, le résultat des effets cumulés. En regardant les projets de manière totalement indépendante, on s'interdit de voir les seuils de fragilité à partir desquels un basculement peut se produire. Des projets prévoyant chacun des mesures de réduction ou de compensation, vont se dérouler correctement jusqu'au moment où un phénomène se déclenche dans la population : c'est alors le porteur du projet sur lequel on pressent que le basculement peut se manifester qui supportera la charge la plus importante. Ces effets cumulés sont l'un des aspects les plus complexes à traiter dans les études d'impact, alors que leurs conséquences en termes de compensation peuvent être très fortes.

Troisième facteur, les projets misent sur une réussite garantie de la mesure compensatoire. Or, sur nombre de mesures compensatoires, nous ne disposons pas du suivi et de l'évaluation a posteriori qui nous assurent de cette réussite.

Quatrième facteur, déjà mentionné, le délai. Le fait que la mesure compensatoire ne soit pas opérationnelle instantanément constitue un véritable problème pour certaines populations. J'ai été rapporteur sur plus de 120 dossiers à l'Autorité environnementale, je n'en ai vu que deux qui prévoyaient une mesure compensatoire opérationnelle au moment où le dégât était constaté, alors même que certains guides interprétatifs des directives communautaires encouragent cette concomitance.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - L'obligation de résultat inscrite dans la loi risque-t-elle de modifier l'attitude des maîtres d'ouvrage, y compris celle de l'État ?

M. Philippe Ledenvic. - Il est difficile de répondre, mais ce sont des références que nous pouvons rappeler aux maîtres d'ouvrage. À deux reprises dans des avis rendus en décembre dernier, nous avons évoqué la question de la durée des mesures compensatoires par rapport à celle des atteintes, telle que prévue par la loi biodiversité.

M. Jean-François Longeot, président . - Merci Messieurs pour toutes ces informations.

Audition de Mme Françoise Lavarde, secrétaire générale de la Commission nationale du débat public (CNDP)
(mercredi 1er mars 2017)

M. Jean-François Longeot, président . - Mes chers collègues, nous terminons notre journée d'auditions en entendant la Commission nationale du débat public (CNDP).

Après avoir effectué un grand nombre d'auditions, tant généralistes que spécifiques, sur les projets que nous étudions, ainsi que des déplacements sur le terrain, il nous est en effet apparu que la question de l'information du public, mais aussi, de manière plus large, de l'appropriation de cette question technique de la compensation par la société civile méritait une attention particulière.

Notre objectif est d'identifier les points de difficulté et les obstacles à une bonne mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser, ainsi que de faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre des mesures compensatoires ainsi que leur suivi dans la durée.

Nous recevons donc Mme Françoise Lavarde, secrétaire générale de la CNDP. La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Françoise Lavarde prête serment.

Madame, après votre introduction, je céderai la parole à Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, pour vous interroger, ainsi qu'aux autres membres de la commission, qui vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?

Mme Françoise Lavarde, secrétaire générale de la Commission nationale du débat public (CNDP). - Je n'ai aucun intérêt sur ces quatre projets.

M. Jean-François Longeot, président . - Je vous remercie.

Vous avez la parole.

Mme Françoise Lavarde . - Comme je l'ai indiqué dans le document que je vous ai adressé, la CNDP se trouve très en amont, lorsque le dossier est souvent à l'état d'avant-projet. Nous essayons d'identifier les effets sur l'environnement. Mais il n'y a jamais d'étude d'impact précise à ce stade.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Vous semble-t-il raisonnable que l'impact environnemental de grands projets ne soit pas dans le débat public, qui est pourtant le moment le plus structurant ?

Mme Françoise Lavarde . - Ce reproche est souvent adressé. De deux choses l'une : soit le débat public est organisé sur un projet déjà bien avancé, pour lequel il y a eu d'importants investissements, notamment sur l'étude d'impact, et le grand public a tendance à considérer qu'il ne sert à rien, puisque tout est déjà ficelé ; soit il intervient à un stade préliminaire, par exemple sur une grande question de choix ou de tracé d'infrastructures, et il n'est pas possible de demander une étude d'impact environnementale précise sur chaque option possible.

Il y aurait deux solutions. D'une part, les techniques modernes de numérique pourraient permettre de développer des logiciels de modélisation. Mais ce n'est pas toujours évident. D'autre part, il faudrait mieux valoriser les retours d'expérience des projets d'infrastructures similaires qui ont déjà été réalisés ; il y en a beaucoup. Certes, chaque situation est différente. Mais on peut déjà analyser quels ont été les impacts et les mesures compensatoires de la traversée d'une zone inondable ou d'un bois remarquable ailleurs par exemple. Cela supposerait d'avoir une grande base de données. Peut-être l'Autorité environnementale, dont vous venez d'auditionner le président, a-t-elle les moyens de disposer de telles informations.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Nous connaissons l'impact d'un certain nombre de projets.

Par exemple, nous avions des données précises sur l'impact de l'éolien offshore au large de Saint-Nazaire, mais pas sur son impact environnemental, alors que l'emplacement des futurs équipements était assez bien connu.

N'est-ce pas d'abord un problème culturel que de considérer la dimension environnementale non pas comme un élément du choix, mais comme un problème à traiter après le choix ?

Mme Françoise Lavarde . - Les associations de protection de l'environnement ont effectivement dénoncé la méconnaissance de l'impact sur la faune benthique de l'installation de parcs éoliens - en l'occurrence, je parle d'un autre cas que celui de Saint-Nazaire - tant pendant la phase de construction que pendant celle d'exploitation.

La CNDP, ayant entendu ces attentes, a souhaité qu'une expertise complémentaire puisse être réalisée. Nous avons identifié les laboratoires spécialistes du sujet. Ils nous ont adressé une synthèse de l'ensemble des travaux scientifiques qui existaient à l'époque sur les différents règnes animaux concernés par l'impact des éoliennes. L'étude, très complète, comporte toutes les références scientifiques ; tous les promoteurs de projets peuvent désormais y avoir accès. Je suppose qu'elle pourra être actualisée si nécessaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Quels éléments environnementaux avez-vous introduits dans le débat sur les lignes à grande vitesse en Bretagne-Pays-de-la-Loire, sachant que vous avez tout de même une idée assez précise du tracé ?

Mme Françoise Lavarde . - De bonne mémoire, il y avait quatre tracés possibles. Nous ne pouvions pas demander une étude précise sur chacun d'eux. Mais nous avions identifié des risques d'inondations et des problèmes de zone humide à gérer.

Dans la phase de concertation post -débat public, SNCF Réseau a mis en place un système de simulation où chacun pouvait tester les différentes options. La dimension environnementale faisait partie des facteurs pris en compte. Certaines solutions étaient visiblement impossibles pour des raisons environnementales.

Nous avons donc certaines informations au stade de l'avant-projet. Nous savons que tel tracé devra tenir compte de la présence de zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), ou intégrer la problématique de la loi sur l'eau. En revanche, on ne sait pas forcément si, en fonction du tracé, on trouvera tel ou tel animal.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - SNCF Réseau avait mis en place un modèle intégrant toutes les zones humides ?

Mme Françoise Lavarde . - Pas toutes.

En fait, le modèle informatique permettait aux citoyens de simuler quel tracé serait le meilleur. Le citoyen en choisissait un, et le logiciel intégrait les contraintes environnementales, économiques et sociales, ce qui permettait à chacun de disposer d'un certain nombre d'indicateurs. C'était possible, car on a un certain nombre d'éléments, comme la carte des ZNIEFF ou celle des zones importantes pour la conservation des oiseaux, les ZICO. En revanche, lors du débat public, il est difficile de savoir quelles espèces animales seront concernées, quelle part de ZNIEFF sera retranchée et si l'habitat le plus sensible sera directement impacté : le projet est alors à un niveau relativement général, pour pouvoir examiner toutes les variantes possibles.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En matière de prise en compte de la dimension environnementale dans le débat public, par exemple pour la poursuite d'une LGV, est-on resté au même point qu'il y a dix ou quinze ans - on sait que le projet aura un impact en la matière, mais sans aller plus loin - ou a-t-on tout de même un peu progressé ?

Mme Françoise Lavarde . - Il m'est difficile de vous répondre, puisque je ne travaillais pas à la CNDP à l'époque.

Pour engager le débat public, il faut avoir un document support : le document du maître d'ouvrage, validé par la CNDP préalablement à sa publication. La Commission est évidemment très sensible à la prise en compte du volet environnemental. S'il manque des informations, nous renvoyons la copie au maître d'ouvrage, en lui demandant de la compléter. Cela avait par exemple été le cas pour les lignes Ouest Bretagne.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Comment avez-vous fait pour la consultation relative à Notre-Dame-des-Landes, eu égard à la crispation absolue qu'il y avait sur les aspects environnementaux ?

Mme Françoise Lavarde . - Je ne suis pas la mieux placée pour vous répondre. Le dossier a été traité au fond par le président de la CNDP, M. Christian Leyrit.

Il avait été demandé à la CNDP de faire, non de nouvelles expertises, ce qui aurait été difficile dans les délais impartis, mais une synthèse transparente et équilibrée de l'ensemble des documents alors disponibles. Elle a travaillé très en amont. Le débat public a eu lieu en 2003-2004. Le président et les membres de la CNDP qui ont travaillé sur le dossier se sont évidemment inspirés de toutes les études récentes et des rapports commandés par les ministres, qui mettaient l'accent sur l'aspect environnemental.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - À quels rapports faites-vous référence ?

Mme Françoise Lavarde . - Je pense par exemple à l'étude commandée au Conseil général de l'environnement et du développement durable, le CGEDD.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Elle portait peu sur la biodiversité.

Mme Françoise Lavarde . - Le président Christian Leyrit et sa commission se sont véritablement attachés à réunir toute la matière disponible et l'ensemble des documents existants pour en faire une synthèse.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - La difficulté est de trouver les juges de paix. Des sujets très contentieux finissent parfois chez le juge, auquel on demande une expertise scientifique... qu'il n'a pas forcément non plus. Ce qui marche, c'est quand on arrive à recréer du consensus ; il y a de beaux exemples en la matière.

Quel est le rôle exact de la CNDP ? Éclairer le débat en essayant de créer un consensus scientifique ou se contenter, comme ce fut le cas pour l'aéroport, de mettre les avis favorables dans la colonne de droite et les avis défavorables dans la colonne de gauche ?

Mme Françoise Lavarde . - La CNDP ne doit pas se prononcer sur le fond des projets. Sa mission est d'organiser la participation du public. Le bilan que dresse son président ou le compte rendu que dresse le président de la commission particulière du débat public fait simplement état de l'ensemble des informations qui sont remontées sur le projet.

L'objectif est que le maître d'ouvrage ne puisse pas dire qu'il ne savait pas. Les différentes parties prenantes et le public se prononcent, expriment leurs opinions et argumentent sur un projet. Tous ces éléments sont compilés dans le compte rendu. Le maître d'ouvrage, ainsi que l'ensemble des décideurs ou des collectivités territoriales susceptibles de s'intéresser au projet sont informés qu'il y a une préoccupation environnementale, que telle option posera plus de problèmes que telle autre, etc.

Mais il n'appartient pas à la CNDP de donner des conseils sur le fond ou d'appeler à trouver un compromis.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Pourtant, en 2003, il y avait bien eu un avis sur l'opportunité de l'aéroport.

Mme Françoise Lavarde . - C'est au maître d'ouvrage d'émettre un avis sur l'opportunité du projet, compte tenu de ce qu'il a entendu au cours du débat public.

La CNDP ne se prononce jamais sur le fond du dossier. Les recommandations qu'elle émet concernent les modalités d'association du public, afin qu'il puisse continuer à participer et à donner son avis tout au long du processus.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - En 2003, M. Jean Bergougnoux, président de la commission particulière du débat public, avait émis un avis favorable sur le projet.

Mme Françoise Lavarde . - L'article L. 121-1 du code de l'environnement indique clairement que la CNDP et les commissions particulières du débat public ne se prononcent pas sur le fond du projet. Cela vaudra aussi pour les garants de la concertation préalable.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous le sentiment que les préoccupations relatives à la biodiversité progressent dans le débat public ?

Mme Françoise Lavarde . - Je ne travaille à la CNDP que depuis 2014. Je n'ai donc pas suffisamment de recul pour vous répondre.

Lorsque le président de la commission particulière du débat public organise un débat, il consacre un temps important, environ quatre à six mois, à rencontrer tous les acteurs qu'il a identifiés sur le territoire, souvent en bilatéral, pour repérer les questions importantes. Il peut également faire un atelier préparatoire pour que les citoyens indiquent quels sont, selon eux, les points à traiter dans le débat public. C'est sur cette base qu'il structure le débat public, organise les ateliers thématiques, programme les déplacements et visites de terrain à effectuer.

Le traitement de ces éléments ne se limite plus à quelques grandes réunions. Il s'agit beaucoup plus de dispositifs participatifs diversifiés.

Mon sentiment est que le public est de plus en plus sensibilisé aux questions environnementales depuis une quinzaine d'années ; les présidents des commissions particulières ont vu apparaître ces questions lors des phases préparatoires et sont amenés à mettre en place des ateliers ou des réunions qui y sont spécifiquement consacrés.

M. Alain Vasselle . - J'ai bien noté que la CNDP enregistrait les observations, notamment du public, sans se prononcer sur le fond du dossier.

Mais, pour l'organisation du débat public, connaissant les sujets sensibles susceptibles d'être soulevés, vous entourez-vous de spécialistes et d'experts ? Certains aspects du dossier, notamment les données scientifiques, nécessitent des avis qui ne sont pas forcément ceux du commun des mortels, dont la perception des enjeux est parfois déterminée par ce qui se dit ou s'écrit dans la presse...

Mme Françoise Lavarde . - Un débat public est organisé avec une commission particulière du débat public, dont la composition est plurielle, avec des intervenants ayant des expériences professionnelles et des compétences diverses. Cela a été le cas, par exemple, pour les débats publics sur les problématiques liées au tourisme.

Il arrive que des éléments sur lesquels le maître d'ouvrage ne peut pas répondre apparaissent au cours d'un débat. Or nous devons veiller à faire en sorte que les citoyens obtiennent des réponses à leurs interrogations. La commission particulière du débat public a alors la possibilité de demander à la CNDP d'organiser une expertise complémentaire.

Lors du débat public sur le projet EuropaCity, grand complexe touristique et culturel au nord de Paris, plusieurs études circulaient sur l'impact socioéconomique du projet, notamment en termes d'emploi. Le maître d'ouvrage avait la sienne ; des opposants, qui avaient sollicité d'autres experts, avaient la leur. Il a donc été demandé à un expert indépendant et neutre d'apporter un avis complémentaire.

Lors du débat sur le métro à Toulouse, un certain nombre de participants considéraient que le modèle de simulation utilisé n'était pas adapté au projet et que les hypothèses socioéconomiques retenues étaient fausses. Un groupe d'experts composé, entre autres, de Français spécialistes des transports, mais aussi d'un cabinet ayant l'habitude de travailler en Allemagne a donc été sollicité. Il a remis un rapport concluant que le modèle était adapté et que les hypothèses socioéconomiques n'étaient pas aberrantes.

Lors d'un débat sur un projet d'autoroute, le maître d'ouvrage déclarait ne pas pouvoir aménager sur site et devoir faire une déviation. Les opposants considéraient qu'il était parfaitement possible d'aménager sur site. La CNDP, qui n'a pas de spécialiste en génie civil en son sein, a fait appel à des experts. Ceux-ci ont conclu que la déviation serait inévitable à moyen terme, mais qu'elle n'était peut-être pas indispensable à très court terme. Ils ont donc proposé, constatant qu'il n'était effectivement pas possible d'aménager sur site à un coût raisonnable, d'autres techniques de gestion du trafic, comme la réduction de la vitesse, pour faciliter la circulation et éviter l'engorgement. L'expertise n'a donc pas donné raison ou tort aux uns ou aux autres. Une troisième solution a été proposée au maître d'ouvrage et mise en débat.

M. Alain Vasselle . - Un débat peut être organisé à charge ou à décharge. Pour l'exercice de vos fonctions, recevez-vous une lettre de mission avec des orientations ? Votre objectivité et votre indépendance sont-elles garanties ?

Mme Françoise Lavarde . - En tant que secrétaire générale, je suis chargée de l'administration de la CNDP ; je n'en suis pas membre. C'est une autorité administrative indépendante, conformément à la volonté du législateur.

Autrefois, il y avait une commission administrative qui dépendait d'un ministère ; il fallait savoir si les ministres concernés par le projet étaient ou non d'accord pour qu'un débat public soit organisé.

Depuis 2002, la CNDP, en tant qu'autorité administrative indépendante, est entièrement souveraine. La loi précise les projets dont elle doit être saisie. Le maître d'ouvrage lui envoie le dossier. Les membres décident en séance plénière, en toute indépendance, de la meilleure solution pour associer et organiser la participation du public : débat public, concertation, voire, dans certains cas, constat de l'absence de nécessité d'un débat lorsque les actions prévues par le maître d'ouvrage sont jugées adaptées.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Il est difficile de trouver des consensus pour savoir qui, au niveau scientifique, peut valider des mesures de compensation. Si l'on vous demande une contre-expertise de la stratégie de compensation proposée par le maître d'ouvrage, vers qui aurez-vous spontanément tendance à vous tourner ?

Mme Françoise Lavarde . - Tout dépend du projet. Pour un problème de bois avec des espaces remarquables, j'essaierai de trouver les experts forestiers les plus qualifiés. Sollicitée à propos de l'impact de la construction d'un parc éolien marin sur la faune marine, j'ai trouvé sur internet un réseau de laboratoires en France spécialisés en la matière. Nous cherchons au cas par cas, sans a priori .

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Avez-vous le sentiment que les termes du débat sont aujourd'hui mieux posés sur la séquence « éviter », qui est la véritable dimension du débat public ? Sommes-nous aujourd'hui plus capables de juger de la nécessité d'un projet, y compris en intégrant l'aspect environnemental ?

Mme Françoise Lavarde . - Certes, le maître d'ouvrage a tendance à vouloir mener son projet à bien. Mais il sait aussi que, compte tenu de toute une série d'évolutions législatives, il y a certaines choses qu'il ne pourra pas faire. En plus, le principe éviter-réduire-compenser, ou ERC, est entré dans les esprits.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Faites-vous appel à d'autres expertises lorsque des acteurs remettent en cause l'intérêt d'une nouvelle ligne à grande vitesse, en affirmant que la ligne actuelle peut fonctionner. Comment agissez-vous sur la séquence « éviter » ?

Mme Françoise Lavarde . - Je peux difficilement vous répondre ; je n'ai pas une connaissance suffisante de tous les projets.

Par exemple, sur la LGV PACA, il y avait un gros problème dans la plaine du Var. Pour le moment, le projet est en stand-by . Je ne sais pas du tout comment le maître d'ouvrage le reprendra.

Dans un projet, il y a à la fois la dimension environnementale, et le coût global.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le CGEDD, que l'on ne peut pas accuser de partialité, nous a indiqué que la séquence « éviter » existe peu sur les grands projets décidés par l'État.

Le moment du débat public pourrait être le seul vrai moment pour la faire exister, en examinant les alternatives au projet envisagé, avec les mêmes moyens d'investigation, pour éclairer la décision. Est-ce le cas ? Le débat permet-il d'aller loin dans l'examen des alternatives ?

Mme Françoise Lavarde . - Il m'est difficile de vous répondre.

Des opposants au projet EuropaCity jugeaient totalement aberrant de prendre autant d'hectares agricoles des meilleures terres de la région Île-de-France, les plus productives, pour un tel projet. Or le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région Île-de-France, ou SDAURIF, avait prévu qu'il y aurait de l'urbanisation sur cette partie du triangle de Gonesse. La vraie question débat portait donc sur l'urbanisation, avec ou sans EuropaCity. Or il n'était pas possible d'en discuter lors du débat public sur le projet, puisque la décision d'urbaniser avait été prise dans le cadre du SDAURIF.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Le débat public porte donc plus sur l'accompagnement de projets qui sont sur la table que sur l'examen parallèle de solutions alternatives, ce qui est tout de même la question posée sur l'aspect « éviter » dans les projets d'infrastructure ?

Mme Françoise Lavarde . - Sur les liaisons nouvelles Ouest Bretagne-Pays-de-la-Loire, que vous avez évoquées, il est vite apparu dans le dossier qu'il y avait un problème de zones humides et que certaines options de passage du train n'étaient pas possibles, car on allait se trouver dans le lit majeur du fleuve, avec des problèmes de préservation du milieu et des risques d'inondation.

Quand il y a plusieurs options - en l'occurrence, c'était le cas ; il y avait quatre tracés possibles -, on voit vite que certaines ont un impact environnemental plus fort que d'autres. Dans ce cas d'espèce, le maître d'ouvrage a déclaré que le débat public ne lui permettait pas de choisir entre les quatre tracés. Il s'est donc engagé dans une phase de concertation postérieure au débat public où il a continué à travailler sur les tracés. Je n'ai pas encore vu les résultats du système de simulation, mais il paraît qu'il y a des choses intéressantes. C'est peut-être à ce moment-là que l'aspect « éviter » est le plus ressorti.

M. Ronan Dantec, rapporteur . - Que proposeriez-vous pour améliorer et renforcer le rôle de la CNDP dans la séquence éviter-réduire-compenser ?

Mme Françoise Lavarde . - C'est, me semble-t-il, au président Christian Leyrit de vous répondre.

Après la phase de débat public, où les études précises n'ont pas toutes été faites - on est donc très en amont dans l'élaboration du projet -, il y a toute une phase, qui peut durer quatre ou cinq ans, surtout pour les grands projets, avant d'arriver au dépôt des dossiers pour les demandes d'autorisation.

Pendant cette phase, il y a désormais obligatoirement une concertation post -débat public sous l'égide d'un garant. Celui-ci est une personne neutre, capable d'entendre les attentes exprimées par les différentes parties prenantes et d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur l'existence d'un problème. C'est souvent une personne de confiance pour les associations ou le public, qui ont parfois l'impression que le maître d'ouvrage est très fermé, mais qu'ils pourront faire passer une information ou obtenir une réponse précise en passant par le garant.

C'est donc plutôt dans la phase post -débat public que la CNDP peut avoir un rôle dans la problématique éviter-réduire-compenser.

Tous les acteurs concernés sont encore présents dans la phase de concertation. Il y a encore des réunions publiques et des ateliers. On reste dans une dynamique, mais avec un objectif différent : affiner le projet et voir en quoi les propositions des uns et des autres peuvent permettre de l'améliorer, dans une forme de coconstruction.

M. Alain Vasselle . - La compensation, qui est l'un des principaux objets de cette commission d'enquête, est-elle une nouveauté pour vous ? Est-ce que cela complexifie le débat ? Et comment réagit l'opinion ? Est-elle aussi exigeante que semble le vouloir le législateur ?

Mme Françoise Lavarde . - Je ne suis pas en capacité de répondre à cette question, n'ayant pas eu accès à l'information dans les dossiers que j'ai été amenée à traiter.

La compensation est quelque chose de très ancien.

M. Alain Vasselle . - On n'a donc rien inventé avec la loi sur la biodiversité ?

Mme Françoise Lavarde . - Les choses allaient peut-être moins loin à l'époque, mais je me souviens que, quand un projet d'infrastructure faisait disparaître un hectare de forêt, je demandais qu'on en replante quatre ! Certes, nous n'avions alors pas autant d'informations sur le fonctionnement des écosystèmes... Mais la compensation existait déjà.

Bien entendu, il ne faut pas tomber dans le principe d'endroits sanctuarisés. La biodiversité, c'est un fonctionnement global : la présence humaine est même un facteur essentiel.

M. Jean-François Longeot, président . - Nous vous remercions de votre contribution.

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