B. UN GAIN FINANCIER TRÈS INCERTAIN POUR LES ENTREPRISES

Les entreprises que rencontre régulièrement la délégation sur le terrain ne perçoivent pas de simplification de leur fardeau administratif. Ceci est confirmé par le baromètre de la complexité publié par le SGMAP en juillet 2015, annexé à ce rapport, qui témoigne même d'un sentiment de complexité accrue chez les entreprises par rapport à 2013 , date du lancement du choc de simplification.

Le Gouvernement affiche toutefois un bilan largement positif du choc de simplification.

1. Le choc de simplification : un gain douteux pour les entreprises

Un premier chiffrage de l'action du Gouvernement a été avancé par M. Thierry Mandon , alors Secrétaire d'État à la Réforme de l'État et à la Simplification, lors de son intervention au Sénat le 10 juin 2015 , à l'occasion de la question orale avec débat posée par votre délégation sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 qui édicte la règle du « un pour un » pour les nouvelles réglementations visant les entreprises.

À cette occasion, en effet, le ministre avait indiqué que, de septembre 2013 à mai 2015, environ 1 100 textes réglementaires, ordonnances, décrets et arrêtés étaient entrés dans le périmètre visé par la circulaire et que ces textes concernaient pour l'essentiel les entreprises (un tiers provenant du ministère de l'économie, un cinquième du ministère des affaires sociales et un autre cinquième du ministère de l'écologie). Puis, sans pour autant préciser le nombre de normes effectivement supprimées, il a déclaré : « Pour les entreprises, les gains nets sont d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros . La règle du « un pour un » a donc joué en leur faveur ». Après avoir précisé que ce chiffrage reposait sur les fiches d'impact adressées par le ministère auteur du projet au Secrétariat général du Gouvernement et utilisait la méthode reconnue du standard cost model , il a aussitôt tempéré en ces termes la fiabilité de cette estimation : « ce dispositif fonctionne. Il a produit les résultats dont je vous ai fait part, mais la franchise m'oblige à dire que ce n'est qu'un premier pas et qu'il est très insuffisant. » Vos rapporteurs en conviennent, et déplorent que rien ne permette de valider les résultats alors avancés par le Gouvernement.

Dix-huit mois plus tard, le Gouvernement a souhaité valoriser plus visiblement son action à l'issue du programme triennal de simplification : M. Jean-Vincent Placé, Secrétaire d'État à la Réforme de l'État et à la Simplification, a indiqué à vos rapporteurs, lors de son audition le 29 novembre 2016, qu'il avait confié à un cabinet extérieur, EY, le soin de chiffrer le gain que retirent les entreprises de la simplification opérée par le Gouvernement . Le champ de l'étude 103 ( * ) s'est focalisé sur 15 mesures de simplification déjà effectives et jugées les mieux documentées. EY a réalisé son estimation sur la base des études d'impact du Gouvernement, et n'a comptabilisé que les gains des entreprises liés à la simplification des démarches, traduits selon une méthode inspirée du modèle standard des coûts adopté par l'OCDE ( standard cost model ). Comme le précise EY dans une note préalable, « les données chiffrées n'ont pas été auditées, ni établies à partir d'une évaluation ex post des impacts, sur la base d'un échantillon d'entreprises statistiquement représentatif. Leur interprétation devra être considérée avec précaution ».

Ce rapport conclut à une économie potentielle pour les entreprises estimée entre 4,7 et 5,3 milliards d'euros annuellement, qui ne tient pas compte des coûts de transition pesant sur les entreprises pour le déploiement des mesures . Les trois quarts de ce gain (3,7 milliards d'euros) sont imputables à une seule mesure de simplification : la Déclaration sociale nominative (DSN ), dont vos rapporteurs relèvent qu'elle a été lancée en 2011, avec l'institution d'une Mission interministérielle de Maîtrise d'ouvrage stratégique par le ministre des Affaires sociales et le ministre du Budget. Le Gouvernement a beau jeu de s'approprier exclusivement ce gain qui semble substantiel, puisque le projet de DSN a été lancé avant 2012.

La DSN est une transmission unique et dématérialisée, qui se substituera progressivement à la quasi-totalité des déclarations sociales. Son déploiement s'effectue par phases successives ; l'ouverture de la dernière phase (3) de la DSN, prévue au 1 er janvier 2017, lui permet de se substituer à 24 formalités de recouvrement auprès des divers organismes et administrations bénéficiaires des données. La DSN constitue une réelle simplification car toutes ses données -dont le nombre a par ailleurs été réduit 104 ( * ) - sont extraites de la feuille de paie, via les logiciels de paie, et elle évite toute redondance d'information (dans la ligne du programme « Dites-le nous une fois ») : la déclaration arrive chaque mois de l'entreprise, elle est transmise à l'ACOSS, caisse nationale du réseau des Urssaf qui la contrôle et la transmet à la Caisse nationale d'Assurance vieillesse (CNAV) qui la stocke et la répartit entre les partenaires concernés, y compris la Direction générale des Finances publiques (DGFIP).

Le dispositif est généralisé aux entreprises du régime général le 1 er janvier 2017 et le sera à l'ensemble des entreprises françaises le 1 er juillet 2017 105 ( * ) . Une fois le dispositif totalement déployé, les gains estimés pour les entreprises sont évalués par le Gouvernement à :

- 1 jour à 1 semaine par an pour les TPE

- 6 à 36 jours par an pour les PME

- 0,2 à 8 équivalents temps plein (ETP) pour les grandes entreprises.

Les différents acteurs rencontrés par vos rapporteurs confirment que la DSN représentera à terme une simplification majeure . Toutefois, l'économie qu'elle permettra pourrait être encore accrue : des définitions restent à unifier, par exemple celle de la notion de seuil d'effectif, des déclarations très complexes persistent hors du champ de la DSN comme la Déclaration obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés (DOETH)... En outre, l'économie occasionnée par la DSN pourrait être contrebalancée par les coûts qu'elle occasionne : notamment, les entreprises de moins de 10 salariés devront faire une déclaration mensuelle au lieu de trimestrielle, ce qui pourrait renchérir le prix exigé par les experts comptables pour leurs prestations.

Lors de son audition par vos rapporteurs le 29 novembre dernier, M. Luc Allaire, directeur de la Mission interministérielle simplification et normalisation des données sociales, a indiqué que 950 000 entreprises étaient aujourd'hui passées à la DSN, sur une cible de 1,6 à 1,7 million d'entreprises faisant une déclaration sociale. Si 83 % de la collecte URSSAF sur les échéances mensuelles se fait via la DSN, ce taux n'est que de 77 % sur les échéances trimestrielles qui concernent les plus petites entreprises. Parmi ces dernières, 80 000 n'ont ni logiciel de paie ni expert-comptable 106 ( * ) et une enquête menée par le Gouvernement montre que la moitié d'entre elles ne comptent pas en avoir : il conviendra de veiller à ce que ces 40 000 entreprises soient suffisamment accompagnées pour que la généralisation de la DSN ne soit pas finalement pour elles une source de complexité accrue .

Si la DSN représente à elle seule trois quarts des gains dégagés par les entreprises grâce à la politique de simplification, les deux mesures dont l'impact positif est le plus grand sont, selon le Gouvernement:

- la diminution des obligations comptables pour les PME (suppression de l'annexe aux comptes annuels pour les 3,7 millions de micro-entreprises concernées, généralisation des états financiers simplifiés pour près de 170 000 PME...) qui permettrait 400 millions d'euros d'économies par an (chiffrage dont EY indique que la fiabilité est modérée) ;

- l'assouplissement de la réglementation en matière de construction (notamment en matière de local vélo), qui dégagerait 200 millions d'économies par an, en réduisant les coûts de construction pour plus de 550 000 établissements.

L'impact du reste des mesures évaluées par EY semble mineur, aucune n'entraînant un gain supérieur à 15 millions d'euros par an.

En tout état de cause , le chiffrage effectué par EY reste invérifiable . En effet, pour estimer le gain de la suppression d'une obligation ou de l'assouplissement d'une réglementation, il conviendrait d'en avoir estimé le coût auparavant. Or aucun travail d'audit préliminaire n'a été effectué par le Gouvernement. La directrice de la fondation IFRAP, Mme Agnès Verdier-Molinié, l'a déploré devant vos rapporteurs, et a rappelé que ce travail avait été esquissé lors de la mise en place de l'outil d'évaluation OSCAR (outil de simulation de la charge administrative et réglementaire) à compter de 2007 par les pouvoirs publics.

2. Le coût réel du choc parallèle de réglementation

Surtout , vos rapporteurs soulignent que l'essentiel, pour les entreprises, est de mesurer le gain net que leur apporte la simplification : or, si le Gouvernement affiche le montant de 5,3 milliards d'euros par an, il ne prend pas en compte, dans ses calculs, le coût des charges créées parallèlement avec l'adoption de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires. Si les entreprises que rencontre votre délégation ne ressentent pas le « choc de simplification », elles ressentent assurément un « choc de réglementation ».

Depuis 2012, les entreprises voient se succéder des textes qui modifient sans cesse les règles et remettent en cause les différents investissements qu'elles ont pu mener. Comme le disait M. Guillaume Poitrinal, ancien président du Conseil de la simplification, dans une tribune 107 ( * ) , « l'effroyable machine à produire du texte et des autorités a continué de tourner à plein régime. Les lois Duflot, pénibilité, transition énergétique, économie sociale et solidaire... ont ajouté de la complexité ».

Le sujet le plus sensible reste le compte personnel de prévention de la pénibilité créé par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 portant réforme des retraites. Les entreprises estiment ce mécanisme complexe et sujet à contentieux, et considèrent qu'il va déstabiliser tout le travail de prévention réalisé par elles en amont. Lors de son audition par vos rapporteurs, M. Jean-François Clédel, Président de la commission Simplification du MEDEF, a indiqué que l'organisation patronale estimait le coût du compte pénibilité entre 8 et 13 milliards d'euros par an. Si l'on rapproche cette estimation de celle du Gouvernement sur les gains issus de la simplification, on observe que le solde est clairement négatif pour les entreprises. Une seule mesure législative semble à même de réduire à néant l'impact des divers travaux de simplification.

Lors de son audition, M. Clédel a en outre dénoncé la loi « consommation » 108 ( * ) , qui a rendu l'action de groupe applicable à des faits survenus ou à des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, c'est-à-dire à des moments où l'action de groupe n'existait pas encore, la modification du régime fiscal des actions de performance quelques mois après l'adoption d'un régime plus incitatif, la création par la loi « travail » 109 ( * ) du compte personnel formation qui demande une promotion salarié par salarié, la mise en place de la retenue à la source de l'impôt sur le revenu qui reposera sur les entreprises comme tiers collecteurs...

Sans lister complètement les diverses mesures adoptées depuis 2012 qui pèsent ou vont peser sur les entreprises, vos rapporteurs soulignent qu'il est imprudent pour le Gouvernement de susciter de grands espoirs, par une communication excessive autour des gains retirés de la simplification : la déception ressentie par les entreprises est d'autant plus forte que ces gains se trouvent annulés voire débordés par un flux d'obligations nouvelles et coûteuses qui s'imposent aux entreprises.

Tous ceux qui déploient parallèlement tous leurs efforts pour simplifier la vie des entreprises ne peuvent que s'épuiser dans ce contexte.


* 103 Accessible à cette adresse : http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/fichiers-attaches/etude_mesures_simplification_oct2016.pdf

* 104 800 données étaient utiles en 2012, ce nombre a été ramené à 230 aujourd'hui. Les 3 données résiduelles concernant la durée du travail, au lieu de 14 initialement, sont des données élémentaires : quotité travaillée et rémunérée, quotité non travaillée et rémunérée, quotité non travaillée et partiellement rémunérée.

* 105 L'échéance est fixée à 2020 pour les trois fonctions publiques.

* 106 Les URSSAF acceptant encore les déclarations papier, contrairement au fisc.

* 107 In Les Échos , 18 mai 2016 : http://www.lesechos.fr/18/05/2016/LesEchos/22193-038-ECH_la-simplification--un-grand-chantier-qu-il-est-urgent-de-relancer--.htm

* 108 Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

* 109 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

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