III. DES RÉSULTATS POURTANT MINIMES POUR LES ENTREPRISES

Assurément, le Président de la République a voulu donner une impulsion politique à la simplification au début de son mandat. Le pilotage politique qui a suivi a souffert de discontinuité, et l'organisation administrative a manqué de stabilité, malgré le dynamisme des équipes que vos rapporteurs saluent. Alors qu'elle continue de rencontrer sur le terrain des entreprises saturées de complexité administrative, la délégation s'interroge sur les résultats effectivement obtenus au terme du programme triennal de simplification.

A. UNE DÉMARCHE DE SIMPLIFICATION DYNAMIQUE MAIS POINTILLISTE, PRIVILÉGIANT L'AFFICHAGE

Les trains successifs d'annonces de mesures de simplification ont objectivement permis d'entretenir un mouvement de simplification ou, du moins, une communication régulière à ce sujet : en intégrant les mesures adoptées au CIMAP du 17 juillet 2013 ainsi que d'autres dispositions, notamment les simplifications des normes de construction, le programme de simplification à destination des entreprises compte aujourd'hui 463 mesures. Leur liste est révélatrice de la lourdeur du fardeau administratif qui pèse sur les entreprises : elle fait ressortir les points qui irritent le plus les entreprises et met en lumière à la fois les complexités profondes de notre système juridique et les lourdeurs procédurales qui viennent s'y ajouter et rendre étouffant le quotidien pour les entreprises.

1. La très grande hétérogénéité des mesures de simplification annoncées pour les entreprises

Les quelques centaines de mesures de simplification annoncées sont de nature et de portée très variées et forment une mosaïque improbable. Certaines consistent en réclamations de portée générale (ne pas surtransposer, appliquer la règle du 1 pour 1, réaliser des tests PME en amont de toute nouvelle réglementation), qui s'apparentent à des voeux pieux 68 ( * ) . D'autres proposent des avancées concrètes, même ponctuelles. Il en est aussi qui apparaissent abusivement rangées sous la bannière de la simplification.

Plutôt que de présenter de manière exhaustive la myriade de mesures annoncées, vos rapporteurs préfèrent dégager quelques grandes rubriques permettant de se faire une idée de la palette de ces 463 mesures ; ce nombre affiché est d'ailleurs en partie exagéré, certaines des mesures comptabilisées de manière distincte n'étant en fait que la déclinaison en plusieurs vagues d'une seule et même mesure 69 ( * ) .

• Les anti-Kafka : plusieurs mesures de simplification pure sont prévues, qu'il s'agisse de suppressions, d'assouplissements ou d'allègements de procédures -transformations d'agréments ou d'autorisations en déclarations 70 ( * ) , suppression ou réduction des formalités - ou de raccourcissement de délais - en matière contentieuse ou pour l'obtention d'un permis de construire-. Quoique d'enjeu souvent réduit, ces dispositions devraient au moins faire disparaître quelques motifs d'irritation légitimes pour les entreprises, tels que certaines autorisations en double (comme celle de l' Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail -ANSES- sur les projets d'arrêtés ministériels visant à l'autorisation de nouveaux auxiliaires technologiques, qu'elle a préalablement évalués favorablement dans le cadre de la demande d'autorisation d'emploi de ces auxiliaires technologiques) ou certaines formalités impossibles (comme l'obligation de produire un document qui n'existe pas 71 ( * ) ), inapplicables (comme l'obligation pour les débits de boisson de graver la contenance des verres et carafes) ou absurdes (ainsi, l'obligation pour les promoteurs de livrer tout logement neuf avec un évier, qui conduit souvent à la mise au rebut de l'évier préinstallé dès le lendemain de la livraison, pour le remplacer par un équipement choisi par le client). On peut aussi inclure dans cette rubrique toutes les déclinaisons du programme « Dites-le nous une fois », qui doivent permettre à une entreprise d'éviter la transmission des mêmes informations à plusieurs administrations : le marché public simplifié 72 ( * ) , permettant à une entreprise de candidater à un marché public avec son seul numéro SIRET, le dispositif « Aide publique simplifiée » qui doit permettre à toute personne morale d'effectuer une demande d'aide publique également grâce à son numéro SIRET 73 ( * ) .

• Les anecdotiques : si elles concourent effectivement à simplifier la vie des entreprises, quantité de mesures proposées par le Conseil de la simplification sont d'une portée réduite en raison de leur champ étroit d'application. À titre illustratif, on peut citer le remplacement de l'habilitation des personnes amenées à identifier les équidés et camélidés (chevaux, ânes, zèbres, dromadaires, chameaux et lamas) par une déclaration avec inscription sur une liste ou la suppression de l'autorisation des plantations nouvelles de plantes à parfum, aromatiques et médicinales, aujourd'hui nécessaire...

• Les symboliques : la suppression de l'indicateur 040 de la Banque de France, intervenue en septembre 2013, en fait partie. Désormais, les dirigeants ayant fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire ces trois dernières années ne figurent plus au Fiben (fichier bancaire des entreprises), ce qui leur permet de rebondir après un échec en obtenant plus facilement un crédit bancaire. Cette disposition rompt avec la stigmatisation de l'échec et valorise incontestablement l'esprit d'entreprise.

• Les « sans papiers », qui n'entraînent pas toujours des simplifications : plusieurs avancées en la matière constituent de réelles simplifications, comme la dématérialisation des procédures de dédouanement qui résultera de l'interconnexion des systèmes informatiques de diverses administrations 74 ( * ) ou la dématérialisation des procédures de demandes d'autorisation de plantations et de replantations de vignes 75 ( * ) . À ce jour, plus de 200 projets de dématérialisation sont en cours. Du simple formulaire au portail de téléservices, ces projets sont tous comptés comme des simplifications : s'ils le sont assurément pour l'administration, déchargée de la saisie des données reçues des entreprises, ils ne le sont pas toujours pour les entreprises qui restent parfois obligées de transmettre autant d'informations mais par voie dématérialisée.

• Les sécurisantes plutôt que proprement simplificatrices : ce sont souvent des mesures transversales qui ne simplifient pas le fond des règles ou procédures applicables mais qui permettent au moins aux entreprises, au terme de leur mise en oeuvre, d'espérer une plus grande sécurité juridique.

La sécurité juridique devrait effectivement être renforcée par le développement annoncé, dès avril 2014, des « réponses-garanties » 76 ( * ) ou rescrits en matière fiscale ou sociale 77 ( * ) , de l'administration : en cas de doute sur l'application d'une norme à une situation concrète, une entreprise pourra interroger l'administration qui sera tenue de lui délivrer une prise de position formelle et opposable juridiquement, dans la mesure où la situation lui aura été décrite de bonne foi. Un rescrit roulant est aussi annoncé en février 2016 pour le Crédit impôt recherche, afin d'ajuster le rescrit initial en cas de modification par l'entreprise du projet qui avait été décrit à l'administration. Le certificat de projet est également un instrument important de sécurité juridique et de stabilisation du droit, par lequel le préfet de département notifie un engagement à un porteur de projet sur les différentes procédures à respecter et les délais de délivrance des autorisations. Ce certificat a également pour effet de cristalliser le droit applicable au projet pendant 18 mois. Il est actuellement expérimenté, pour une durée de trois ans à compter du 1 er avril 2014, en Aquitaine, Franche-Comté et Champagne-Ardenne et, depuis le 1 er septembre 2014, en Bretagne 78 ( * ) . La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a étendu la possibilité de recourir à cet outil en Ile-de-France, pour les projets d'intérêt économique majeur.

Une autre mesure en cours d'expérimentation pourrait conduire à une amélioration des procédures en matière d'environnement, grâce à une instruction en mode projet et à un encadrement des délais : il s'agit de l'autorisation unique -réunissant l'ensemble des autorisations nécessaires- pour la réalisation d'un projet soumis à autorisation au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Depuis mai 2014, cette autorisation unique est expérimentée pour trois ans et concerne les installations de production d'énergie renouvelable en Basse-Normandie, Bretagne, Midi-Pyrénées, Nord-Pas de Calais, Picardie, et les installations classées soumises à autorisation en Champagne-Ardenne et Franche-Comté 79 ( * ) . Cette expérimentation - comme celle sur l'autorisation unique Installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) relevant de la législation sur l'eau - a abouti à une autorisation environnementale unique, mise en place par une récente ordonnance 80 ( * ) .

Concourant également à améliorer la sécurité juridique, plusieurs autres propositions méritent d'être citées : non rétroactivité fiscale (reposant sur un code de bonne conduite), publication des instructions fiscales à date fixe, compétence d'une seule juridiction sur un litige concernant plusieurs établissements d'une même entreprise afin d'assurer une cohérence des décisions judiciaires...

On peut aussi rattacher à cette catégorie des mesures « sécurisantes », plutôt que simplificatrices à proprement parler, celles proposant de clarifier et harmoniser les pratiques des contrôles administratifs sur les entreprises (améliorer le ciblage des contrôles grâce à l'analyse des risques, privilégier le contrôle sur pièces au contrôle sur place pour les agriculteurs, procéder à une harmonisation nationale de l'interprétation de la réglementation, par corps de contrôle, et améliorer la coordination des contrôles au niveau départemental pour éviter les contrôles rapprochés voire redondants).

• Les trompe-l'oeil : certaines mesures, hâtivement classées parmi celles de simplification, ne sont que des mesures d'habillage de la complexité. Soit elles permettent aux entreprises de mieux s'accommoder de la complexité : c'est le cas des simulateurs , l'un détaillant pour les entreprises les dispositifs d'aide auxquels elles sont éligibles 81 ( * ) , l'autre 82 ( * ) calculant le coût d'une embauche pour les petites et moyennes entreprises car, selon les mots du Conseil de la simplification, « certaines aides ou allègements sont méconnus ou sous-estimés, et en tout état de cause, la complexité de la réglementation fiscale et sociale rend quasiment impossible la réalisation d'une estimation par ses propres moyens ». Le même esprit a conduit à faciliter l'accès à l'intégralité du droit en vigueur sur le site Légifrance. Ou encore à proposer d'élargir le champ d'activités des experts comptables pour leur permettre de proposer divers services à des entreprises où ils n'assurent pas déjà des missions d'ordre comptable. On peut aussi rattacher à cette catégorie les guichets uniques mis en place 83 ( * ) , qui facilitent le contact avec l'administration sans simplifier pour autant ce qui est derrière le guichet.

Soit elles ne font que cacher la complexité derrière une façade de simplicité : il en est ainsi de la simplification du bulletin de paie . Issue des travaux du groupe de travail présidé par M. Jean- Christophe Sciberras, la nouvelle fiche de paie amenée à être progressivement généralisée a déçu les attentes : si elle sera plus lisible pour les salariés, cette fiche de paie maquille une complexité qui tient en France à la diversité des cotisations, des assiettes afférentes et des bénéficiaires des versements à effectuer. Lors de son audition par vos rapporteurs, M. Jean-François Clédel, Président de la commission Simplification du MEDEF, relevait que la simplicité du bulletin de salaire en Allemagne tenait à celle de la loi allemande qui avait posé le principe d'un taux identique pour les cotisations patronales et salariales, laissant aux partenaires sociaux le soin de fixer le niveau de ce taux.

• Les usurpées : on peut en effet s'interroger sur la légitimité qu'il y a à comptabiliser comme mesures de simplification certaines des mesures proposées. D'une part, certaines mesures apportent une contribution discutable en matière de simplification : il en est ainsi de la dématérialisation du bulletin de paie. Aujourd'hui, il n'est possible de remettre un bulletin de paie électronique au salarié qu'avec son accord ; désormais, « grâce à » la loi « travail » 84 ( * ) du 8 août 2016, la remise du bulletin électronique est généralisée, sauf si le salarié s'y oppose ! De même, la proposition consistant à ne pas alourdir le coût engendré par les réponses des entreprises aux enquêtes statistiques obligatoires permettra non pas de simplifier la situation, mais, au mieux, de ne pas la compliquer davantage...

D'autre part, certaines ne sont qu'un retour en arrière par rapport à une complexité introduite par le Gouvernement lui-même au début du quinquennat : il en est ainsi de l'assouplissement des conditions de travail des apprentis, que le Gouvernement avait excessivement contraintes par le décret n° 2013-915 du 11 octobre 2013 -interdisant notamment aux apprentis mineurs les travaux en hauteur - et sur lequel reviennent deux décrets de 2015 85 ( * ) comptés au titre de la simplification !

• Celles à « effet boomerang » : on peut enfin déplorer que certaines mesures de simplification n'aient pas atteint leur but et produit une nouvelle forme de complexité. Parmi celles-ci, on peut citer la mesure « Silence Vaut Accord » (SVA), prévue par la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens. L'adoption de cette règle, en application de la directive « Services » 86 ( * ) de 2006, signifie que le silence gardé pendant un délai de deux mois à compter de la saisine de l'administration compétente 87 ( * ) vaut acceptation de sa part. Elle revient sur un principe en vigueur depuis 1864, selon lequel silence valait rejet et qui souffrait néanmoins de centaines d'exceptions 88 ( * ) . L'exception est devenue la règle, ce qui devrait décourager l'inertie administrative. Applicable à l'État depuis novembre 2014 et aux collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale depuis novembre 2015, ce principe fait toutefois l'objet de nombreuses exceptions: le silence continue de valoir rejet pour 2 400 des 3 600 procédures existantes. Parmi ces 2 400 exceptions, regroupées dans 42 décrets d'application de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, 1 800 correspondent à des cas où une acceptation implicite serait incompatible avec « le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public », les 600 cas restants étant des exceptions réglementaires adoptées par prudence et justifiées par l'objet de la décision (octroi du statut de réfugié, par exemple) ou par des motifs de bonne administration. Ainsi, les exceptions (2 400) sont deux fois plus nombreuses que les cas d'application du principe (1 200), ce qui explique que, comme l'atteste l'enquête Opinionway remise par M. André Marcon, Président de CCI France, à vos rapporteurs, 93 % des chefs d'entreprises ne connaissaient pas en février 2016 l'existence du principe SVA. Cette mesure de simplification, pourtant réclamée depuis de nombreuses années par des entreprises - la CPME 89 ( * ) l'a confirmé lors de son audition par vos rapporteurs -, concourt donc à accroître finalement l'insécurité juridique pour les citoyens mais aussi pour les entreprises 90 ( * ) , même si le Gouvernement fait valoir que deux tiers des 1 800 procédures éligibles relèvent du SVA 91 ( * ) et que leur liste est accessible 92 ( * ) .

La palette de catégories de mesures de simplification annoncées -« anti-Kafka », anecdotiques, symboliques, « sans papiers », sécurisantes, trompe-l'oeil, usurpées ou à effet boomerang- dessine un tableau pointilliste de la politique de simplification menée depuis 2012, qui n'arrive pas à convaincre, entre effets d'annonce et difficultés de mise en oeuvre.

2. Les difficultés d'effectivité des mesures de simplification pourtant annoncées

Un suivi de la mise en oeuvre des mesures de simplification annoncées est assuré par le Secrétariat d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification et par le SGMAP. Comme l'a souligné lors de son audition Mme Laure de la Bretèche, qui dirige le SGMAP, ce dernier travaille aux conditions de cette mise en oeuvre grâce à ses réseaux dans les ministères et à sa connaissance des sujets numériques. La culture de la simplification est déjà bien ancrée au SGMAP, notamment en raison de son rôle dans la simplification au bénéfice des particuliers et de la transversalité de certains programmes de simplification communs aux entreprises et aux particuliers (Silence vaut accord, Dites-le nous une fois...).

Le taux d'effectivité des mesures de simplification pour les entreprises est un indicateur de l'effectivité de leur mise en oeuvre, même s'il retombe naturellement à chaque nouvelle annonce d'un train de mesures. À la veille de l'annonce du dernier train de mesures de simplification fin octobre 2016, le Gouvernement évaluait ainsi à 62 % la part des mesures devenues effectives parmi les 415 annoncées jusque-là . 6 % des mesures avaient été abandonnées, tandis que 32 % étaient indiquées comme « en cours de mise en oeuvre » : cette dernière catégorie recouvre des mesures dont le déploiement requiert du temps (développement d'une solution informatique, élaboration d'un texte de loi...), mais aussi des mesures dont la mise en oeuvre paraît risquée ou des mesures bloquées nécessitant un arbitrage.

Le taux d'effectivité des mesures de simplification annoncées par le Conseil de la simplification est plus bas : sur les 242 mesures qu'il avait annoncées (avant le dernier train d'annonce en octobre 2016), seules 57 % étaient effectives ou partiellement effectives.

L'effectivité des mesures de simplification annoncées est lente et n'apparaît pas évidente ; si certaines de ces mesures peuvent apparaître inopportunes au fil de leur instruction, d'autres peuvent rencontrer de telles résistances qu'elles ne voient pas le jour. Le suivi que publie le Conseil de la simplification n'est pas assez fin pour permettre de connaître les raisons qui conduisent à l'abandon ou au blocage de telle ou telle mesure. D'ailleurs, si un premier bilan a été dressé et publié en octobre 2014 pour donner l'état d'avancement de chacune des 50 mesures annoncées en avril 2014, l'analyse de la mise en oeuvre des mesures annoncées par la suite s'est faite de manière plus agrégée et donc plus opaque. En novembre 2016, le Conseil de la simplification a commencé à diffuser une lettre d'information mensuelle, présentant les dernières simplifications intervenues, mais elle ne fait pas état des retards ou obstacles rencontrés pour la mise en oeuvre de certaines des mesures annoncées.

Un suivi plus complet de l'avancée des mesures de simplification, notamment de celles destinées aux entreprises, est accessible en ligne 93 ( * ) . Vos rapporteurs ont pu noter qu'il arrive que ce site considère comme effectives des mesures qui ne le sont pas ou pas encore : ainsi, il indique comme effective la garantie qu'aucune charge supplémentaire ne sera créée pour les entreprises par toute nouvelle mesure et il le justifie par la mise en place du « comité impact entreprise », ce qui semble pour le moins abusif. Il est aussi regrettable que ce site ne soit pas mis à jour très régulièrement . Par ailleurs, il indique pour certaines mesures qu'elles sont « en cours de cadrage », ce qu'il est difficile d'interpréter mais peut laisser augurer leur abandon : il en est ainsi de la proposition faite par le Conseil de la simplification en octobre 2014 d'accélérer l'obtention de l'autorisation d'exportation des biens à double usage pour se rapprocher des meilleures pratiques internationales 94 ( * ) . Le site du Gouvernement indique que l'expérimentation concernant cette mesure devrait débuter en 2016 avec une généralisation en fin d'année, mais il n'a pas été mis à jour depuis fin 2015 donc aucune information n'a été délivrée depuis plus d'un an sur le déroulement de l'expérimentation et les suites données.

Surtout, vos rapporteurs déplorent qu'il passe sous silence les mesures qui ont été abandonnées : ainsi, alors que le Conseil de la simplification avait proposé en avril 2014 la suppression de certaines obligations déclaratives, en visant expressément la déclaration des honoraires ( DADS-2 ) et les relevés de frais généraux, le site indique que cette mesure est en cours d'expérimentation mais évoque, à l'appui, la suppression d'autres déclarations que celles visées par le Conseil : la déclaration 1330 de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour les entreprises mono-sites, ou encore le regroupement de plusieurs taxes sur l'annexe à la déclaration de TVA 95 ( * ) . Mme Françoise Holder, coprésidente du Conseil de la simplification, a reconnu qu'il s'agissait d'un échec, l'administration compétente ayant obtenu de conserver la déclaration obligatoire annuelle des honoraires versés par chaque entreprise individuelle et société. Comme le relève la Cour des comptes 96 ( * ) , « ces déclarations ont pour objet non d'assurer la gestion courante de l'impôt mais de préparer le contrôle fiscal ». La suppression de la DADS-2 aurait pourtant été cohérente avec le programme « Dites-le nous une fois ».

D'autres mesures annoncées par le Conseil de la simplification ne figurent même plus sur le site pourtant censé assurer leur suivi : ainsi, le Conseil de la simplification pour les entreprises avait annoncé en juin 2015 la suppression de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), en indiquant que cette taxe complexe et à faible rendement « pèse sur des activités productives, n'a aucun effet incitatif » et que sa « suppression n'aura aucune conséquence environnementale ». Or cette mesure, proposée dans le projet de loi de finances pour 2015, n'a pas abouti : finalement, la majorité des députés, notamment Mme Valérie Rabault, rapporteure générale du budget, et d'autres, membres du groupe écologiste, s'y est opposée, avec l'avis favorable du Gouvernement. La volonté politique du Gouvernement de simplification est ici clairement prise en défaut.

Un autre exemple en atteste : l'atelier Aménager-construire avait ainsi proposé en 2014 de supprimer la procédure « unités touristiques nouvelles » (UTN). Cette procédure, qui date de 1985, encadrait le développement des zones de montagne. La question n'étant plus tant aujourd'hui l'aménagement de nouvelles zones que la gestion des structures existantes, il était proposé de faire rentrer cette procédure dans le droit commun de l'urbanisme, en ne maintenant que l'avis de comités consultatifs 97 ( * ) pour réguler l'aménagement du territoire. Le Gouvernement, plutôt que d'utiliser l'habilitation prévue dans la loi dite « Macron », a préféré inscrire cette réforme dans le projet de loi « Montagne » et introduire en fait une nouvelle distinction entre UTN structurantes et UTN locales: dans le texte finalement adopté par le Parlement 98 ( * ) , la procédure est donc maintenue et le droit se trouve compliqué.

Il est certain que la mise en oeuvre des mesures annoncées requiert beaucoup d'énergie et prend du temps ; elle rencontre aussi, comme tout changement, de multiples résistances . Sans doute le défaut d'effectivité de certaines des mesures annoncées est-il parfois imputable à la quantité de décrets à sortir, au manque de véhicules législatifs, ou à une insuffisante instruction de ces mesures en amont... Mais certaines mesures sont abandonnées ou bloquées pour d'autres raisons. M. Alain Devic, qui préside la Section Réglementation et simplification du Conseil national de l'industrie depuis dix ans, a fait observer à vos rapporteurs qu' au-delà de la succession des gouvernements et de la convergence de leurs déclarations volontaristes en matière de simplification , notamment afin de bannir la surtransposition des directives européennes, des blocages systémiques empêchaient tout progrès substantiel.

Mme Laure de La Bretèche, SGMAP, a appelé vos rapporteurs à regarder de près à qui profite la complexité , que ce soit au sein de la sphère politico-administrative, voire parmi les entreprises elles-mêmes dont certaines s'accommodent de cet instrument de protectionnisme déguisé, voire en vivent.

Certains groupes d'intérêt ou certaines professions peuvent en effet entraver la politique de simplification si celle-ci dessert leurs intérêts. Ainsi, plusieurs petites taxes n'ont pu être supprimées, du fait de la résistance des organismes professionnels en bénéficiant. Dans son rapport de juillet 2016, Simplifier la collecte des prélèvements versés par les entreprises , la Cour des comptes met aussi directement en cause les experts-comptables : elle constate la diffusion très limitée du Titre-emploi service entreprise (TESE) qui a été mis en place en 2009 pour simplifier les formalités sociales des entreprises. Le TESE permet à l'employeur d'effectuer les déclarations préalables à l'embauche, d'obtenir les fiches de paie des salariés via une plateforme centralisée et de faire une seule déclaration sociale auprès de tous les organismes de protection sociale et un seul règlement à ces organismes. Comme annoncé par le Conseil de la simplification en avril 2014, la possibilité de recourir au TESE, initialement réservée aux entreprises de moins de 10 salariés (au titre des emplois permanents), a été étendue en juillet 2015 à celles de moins de 20 salariés (tous contrats de travail confondus) ; toutefois, la possibilité d'y recourir au-delà du plafond de 9 salariés au titre des seuls emplois occasionnels a parallèlement été supprimée. Le relèvement à 20 du plafond d'emplois du TESE n'a pas favorisé sa diffusion, qui reste limitée 99 ( * ) . La Cour des comptes relève « qu'en raison de l'opposition des experts-comptables, l'ACOSS n'effectue aucune promotion directe de ce dispositif » 100 ( * ) et, plus loin, « les experts-comptables n'ont pas intérêt à promouvoir le TESE (...) qui desserre l'obligation de fait pour les entreprises de petite taille de recourir aux prestations des experts-comptables ou à celles des éditeurs de logiciels ». Lors de son audition par vos rapporteurs, M. Arnaud Debray, vice-président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables, a fait valoir que, de toute façon, le TESE n'était qu'un titre de paiement simplifié et ne résolvait pas la complexité du code du travail et des conventions collectives ; il a témoigné que les clients des experts comptables qui avaient adopté le TESE y renonçaient le plus souvent après s'être trouvés condamnés par le tribunal des prud'hommes et se tournaient à nouveau vers leur expert-comptable qui joue aussi un rôle de conseil, ce que ne fait pas l'URSSAF. En effet, le recours au TESE ne garantit pas le respect du droit du travail, mais sans doute aurait-il pu connaître un plus grand succès auprès des très petites entreprises 101 ( * ) . Ce dispositif reste d'ailleurs largement méconnu, même par l'Association Nationale des Directeurs des Ressources Humains dont vos rapporteurs ont entendu la Secrétaire générale, Mme Bénédicte Ravache. Ceci a été confirmé par M. André Marcon, Président de CCI France, à travers le sondage Opinionway précité, réalisé en février 2016, qui montre que 77 % des chefs d'entreprise ne connaissent pas le TESE.

La résistance peut aussi provenir du besoin de sécurité : ainsi, le principe du « Silence vaut accord », même s'il rencontre l'adhésion de la majorité des citoyens 102 ( * ) , en heurte certains qui préfèrent un accord écrit. Les investisseurs étrangers y semblent aussi attachés. Lors de son audition, M. André Marcon, président de CCI France, a également pu témoigner de cette résistance que pouvaient opposer les usagers, notamment à l'égard des mesures de suppression.

Non seulement la politique de simplification présente un caractère pointilliste mais elle peine aussi à devenir pleinement effective, et donc à être ressentie par les entreprises.


* 68 Cf. infra.

* 69 Plusieurs mesures de simplification comptent double : l'accélération des délais d'instruction des permis de construire, la procédure d'autorisation environnementale unique, l'extension du périmètre du marché public simplifié...

* 70 Ainsi, au lieu de solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail, après avis du médecin de travail, d'utiliser les locaux professionnels comme lieux de repas, il suffirait de le déclarer...

* 71 Ainsi, les personnes morales candidates à l'agrément en qualité de réviseur coopératif (chargé d'auditer la situation d'une entreprise coopérative) doivent produire une copie de l'extrait du bulletin n°3 de leur casier judiciaire. Or un tel document n'existe pas pour les personnes morales. Le Conseil de la simplification a donc proposé, en octobre 2016, de supprimer cette exigence, ou plus exactement, d'appliquer cette obligation aux personnes physiques et dirigeants sociaux effectuant au nom de la personne morale et pour son compte les opérations de révision.

* 72 Rendu automatique pour tous les marchés à procédure adaptée (MAPA) de l'État en juin 2015, ce dispositif est une étape vers la dématérialisation totale des marchés publics prévue le 1 er octobre 2018 pour l'ensemble des acheteurs publics.

* 73 En expérimentation depuis novembre 2014, le dispositif est progressivement déployé auprès des services de l'État, des organismes publics et des collectivités locales.

* 74 Avec l'entrée en vigueur du nouveau Code des douanes de l'Union européenne, le dédouanement centralisé national (DCN) permet à tout opérateur de déposer l'ensemble de ses déclarations en douane sur un seul bureau, et ce quels que soient les points d'entrée ou de sortie des marchandises.

* 75 Le nouveau service Vitiplantation permet au viticulteur de tracer les contours de sa parcelle sur une carte interactive, et le système récupère automatiquement différentes données, comme la superficie et les appellations auxquelles il peut prétendre, ce qui permet de limiter les opérations de saisie et d'accélérer les procédures pour les exploitations viticoles.

* 76 L'ordonnance du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l'administration, sur l'application d'une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur est entrée en vigueur le 1 er janvier 2016.

* 77 En juin 2015, le Conseil de la simplification annonce que le rescrit social sera étendu et rendu plus accessible :

- il sera étendu à l'ensemble des questions relatives aux cotisations ou contributions sociales ;

- il peut, par ailleurs, être demandé par les avocats et experts comptables pour le compte d'un cotisant ou futur cotisant ;

- il sera ouvert aux organisations professionnelles d'employeurs et aux organisations professionnelles de salariés reconnues représentatives au niveau de la branche professionnelle ;

- les « questions complexes » pourront être transformées en rescrit social : les organismes du recouvrement devront requalifier les interrogations actuellement traitées dans le cadre des «questions complexes » en rescrit, dès lors que la question posée par le cotisant entre dans le champ du rescrit social et est complète au regard du formalisme de cette procédure ;

- il sera opposable lorsqu'il sera rendu public.

* 78 En mars 2015, le Conseil de la simplification comptait 43 certificats de projet déposés et 33 signés.

* 79 Selon le Conseil de la simplification, au 20 mars 2015, 117 dossiers de demande d'autorisation unique ont été déposés et 4 arrêtés d'autorisation ont été délivrés.

* 80 Ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale.

* 81 http://les-aides.fr/, site géré par le réseau des CCI.

* 82 https://embauche.beta.gouv.fr

* 83 Ainsi, le guichet unique pour créer, modifier ou cesser son entreprise mis en place par la Direction générale des entreprises : https://www.guichet-entreprises.fr/

* 84 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 85 Décrets n° 2015-443 relatif à la procédure de dérogation prévue à l'article L. 4153-9 du code du travail pour les jeunes âgés de moins de dix-huit ans et 2015-444 du 17 avril 2015 modifiant les articles D. 4153-30 et D. 4153-31 du code du travail.

* 86 Directive 2006/123/CE du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.

* 87 La détermination de l'autorité compétente peut poser une difficulté à des PME ; si une administration saisie à tort ne transmet pas la demande à celle qui est compétente, la PME peut prendre le silence de l'administration pour un accord tacite.

* 88 400 selon nos collègues MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, dans leur rapport d'information Le silence de l'administration vaut acceptation : rapport d'évaluation de la loi du 12 novembre 2013 , fait au nom de la commission des lois du Sénat n° 629 (2014-2015) du 15 juillet 2015 ; 150 selon Mme Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l'action publique, auditionnée par vos rapporteurs.

* 89 Représentée par Mme Bénédicte CARON, Vice-Présidente en charge des Affaires économiques, juridiques et fiscales.

* 90 Ainsi, le dépôt de marque relève du régime du SVA, mais pas la délivrance de brevet.

* 91 Deux tiers des 350 procédures d'autres opérateurs publics ont également basculé en SVA.

* 92 Liste disponible à l'adresse suivante : http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Silence-vaut-accord-SVA/Procedures-SVA.

* 93 Sur le site simplification.modernisation.gouv.fr/mesures/entreprises/.

* 94 Les délais moyens de traitement des dossiers de demande de licence en France sont actuellement de 29 jours, alors qu'ils ne sont que de 15 jours en Allemagne.

* 95 Taxe sur les excédents de provisions des entreprises d'assurances de dommages, taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires, contribution de solidarité territoriale, ou encore taxe de risque systémique.

* 96 Cf. rapport Simplifier la collecte des prélèvements versés par les entreprises de juillet 2016, p. 55.

* 97 Comité de massif et commission des sites.

* 98 Loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

* 99 Seules 55 000 entreprises en moyenne ont recouru au TESE en 2015, selon la Cour des Comptes.

* 100 Cf. p. 76 du rapport Simplifier la collecte des prélèvements versés par les entreprises , publié en juillet 2016 par la Cour des comptes : dans un avis du 12 juillet 2004, le Conseil de la concurrence, saisi par l'ordre des experts comptables, avait estimé que les URSSAF devaient s'abstenir d'utiliser les fichiers de cotisants pour proposer un tel dispositif, compte tenu des similitudes de sa contribution à la gestion du contrat de travail et de la paie avec les prestations des experts comptables.

* 101 En septembre 2016, le SGMAP a confié à l'institut BVA une étude d'opinions qui atteste du fait que le relèvement à 20 salariés du plafond d'emplois autorisant le recours au TESE a manqué sa cible. Adapté à des contrats basiques, le TESE ne permet pas de saisir des informations plus complexes (clauses particulières, décompte des congés payés, primes d'ancienneté...) or l'inscription au TESE implique de l'utiliser pour tous les salariés de l'entreprise. Il est donc plus adapté à des TPE.

* 102 84 %, selon l'étude BVA réalisée par le SGMAP en août 2016 sur la mise en oeuvre du principe « Silence vaut accord ».

Page mise à jour le

Partager cette page