C. UN ÉLAN RAPIDEMENT CONTRARIÉ ET DILUÉ

L'ambition affichée au début en matière de simplification pour les entreprises a rapidement été contrariée. Il est symptomatique que la première des mesures annoncées par le Conseil de la simplification pour les entreprises ait été abandonnée dès 2015 .

En effet, dès avril 2014 , ce Conseil annonce , dans son premier train de mesures, qu'aucun coût additionnel ne sera plus supporté par les entreprises en raison de la réglementation. Il indique aussi que l'impact sur les entreprises de tout changement réglementaire ou législatif sera mesuré par des experts indépendants ou des représentants de la communauté des affaires : ainsi, chaque nouveau coût découlant d'une réglementation sera compensé par une réduction au moins équivalente. La mise en oeuvre en est prévue au 1 er janvier 2015.

Cette annonce fait écho à plusieurs circulaires antérieures du Premier Ministre : la première, datée du 17 février 2011 et signée de M. François Fillon, fut la première à faire valoir combien la simplification et la stabilité du cadre réglementaire des entreprises sont un facteur important de leur compétitivité. Elle invite donc chaque ministère à se soumettre à une discipline d'évaluation préalable approfondie dès les premiers stades de la préparation de mesures concernant les collectivités territoriales, mais aussi désormais les entreprises. Elle charge le commissaire à la simplification, désormais placé auprès du Secrétaire général du Gouvernement, d'en apprécier la qualité, d'inviter, le cas échéant, le ministère proposant le texte à compléter l'étude ou à poursuivre la consultation des entreprises concernées, voire de soumettre au cabinet du Premier Ministre la question du bien-fondé du projet de texte. Cette circulaire prévoit aussi que, sur décision du cabinet du Premier Ministre, les études d'impact sont soumises à l'avis de la conférence nationale de l'industrie - devenue en 2013 Conseil national de l'industrie -, de la commission permanente de concertation pour les services - devenue en 2013 Commission nationale des services 64 ( * ) - ou de la commission nationale de concertation des professions libérales.

La seconde circulaire, datée du 17 juillet 2013 , prévoit, dans la ligne des décisions prises lors des CIMAP du 18 décembre 2012 et du 2 avril 2013, de limiter l'inflation normative par l'application de la règle du 1 pour 1 : « un projet de texte réglementaire nouveau créant des charges pour les collectivités territoriales, les entreprises ou le public ne pourra être adopté que s'il s'accompagne, à titre de " gage ", d'une simplification équivalente ». Le pilotage de cette règle est confié au SGG. Même si cette règle n'assure pas à proprement parler une simplification de l'environnement réglementaire, elle vise à empêcher que cet environnement ne se complique encore plus.

Parallèlement, la circulaire précise l'obligation d'évaluation préalable aux projets de textes réglementaires applicables aux entreprises. Cette évaluation doit faire l'objet d'une fiche d'impact synthétique, à rendre publique au moment de la consultation sur le texte ou de sa publication ; elle vérifiera « la mise en oeuvre des bonnes pratiques de réglementation, conformément aux engagements pris par le CIMAP du 2 avril 2013 :

ne pas " sur-transposer " les directives communautaires : toute règle plus exigeante imposée par la France devra être expressément justifiée et validée ;

appliquer le principe de proportionnalité : la rédaction des textes devra laisser des marges de manoeuvre pour la mise en oeuvre ou prévoir des modalités d'adaptation aux situations particulières ;

renforcer la sécurité juridique : de manière désormais systématique, les textes applicables aux entreprises entreront en vigueur à des dates communes (1 er janvier/1 er avril/1 er juillet/1 er octobre) et, pour l'ensemble des textes, un différé minimum devra être laissé afin de permettre à leurs destinataires de s'adapter aux règles nouvelles. »

L'évaluation systématique des textes réglementaires nouveaux, susceptibles de peser sur les entreprises, assortie de la règle de compensation entre création et suppression de charge, pouvait donner l'espoir d'une certaine reprise en main de la production réglementaire à destination des entreprises. Une limite importante tenait néanmoins au fait que les textes d'application directe d'une norme supérieure étaient exonérés de la règle du « 1 pour 1 » , ce qui signifie que les décrets pris en application d'une loi ou d'un texte législatif européen n'avaient pas de contrepartie sous forme de suppression d'autres textes. Or, lors de son audition par vos rapporteurs, M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement, a indiqué que 90 % des textes réglementaires étaient des textes d'application des lois et que le Gouvernement était donc obligé de les prendre.

L'annonce, quelques mois plus tard, de la mesure, par des instances non gouvernementales (experts ou entreprises), de l'impact des textes envisagés laissait augurer une avancée encore plus importante. Comme le souligne le Conseil de la simplification pour les entreprises dans ce document publié en février 2014 65 ( * ) , « actuellement, les études d'impact sont réalisées par les ministères qui rédigent les textes règlementaires. Elles sont soumises pour avis, au titre de la simplification, au Secrétariat général du Gouvernement (SGG). À partir du 1 er janvier 2015, les évaluations d'impact sur les entreprises des nouvelles normes seront soumises à un organisme de contre-expertise. »

Malgré sa confirmation solennelle par le Président de la République lors d'une conférence de presse qu'il a tenue à l'Élysée le 30 octobre 2014, la création de ce « comité impact entreprises » n'aura pas lieu . L'idée fut d'abord repoussée : le 10 juin 2015, lors de son intervention au Sénat à l'occasion de la question orale avec débat posée par votre délégation 66 ( * ) , M. Thierry Mandon, en insistant sur la nécessité d'outils d'évaluation indépendants, annonçait finalement pour le 1 er juillet 2015 la mise en place de ce comité, dont le rôle commençait toutefois à être déjà revu à la baisse puisque le Gouvernement aurait été libre de le saisir ou non de ses projets législatifs. Il aura suffi de l'été 2015 pour que l'idée fût abandonnée puisque, dès septembre 2015, fut finalement retenue une solution dégradée : ainsi , à partir de novembre 2015, est créé un atelier au sein du Conseil de la simplification, pouvant se saisir à sa guise des études d'impact des textes nouveaux s'appliquant aux entreprises : « l'atelier impact entreprises ».

On notera que l'inflexion visiblement survenue à l'été 2015 coïncide avec le changement d'affectation de M. Thierry Mandon , qui, une semaine après sa participation au débat organisé au Sénat sur la simplification pour les entreprises, est devenu secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme Coltilde Valter lui succédant à la tête du secrétariat d'État à la réforme de l'État et à la simplification. C'est aussi à l'été 2015 qu'une réorganisation administrative de l'appareil de simplification est intervenue : après la nomination d'un nouveau Secrétaire général du Gouvernement en avril 2015, la mission «simplification » constituée au sein du SGG a rejoint le SGMAP, désormais seul pilote en matière de simplification du stock de normes, le SGG gardant la compétence pour le flux, notamment via l'étude d'impact des projets de textes.

Lors de sa rencontre avec le bureau de votre délégation en janvier 2016, Mme Clotilde Valter a reconnu que le Conseil de la Simplification souhaitait qu'il existe une structure dédiée, indépendante, pour apprécier l'impact des nouvelles règles sur les entreprises, mais a fait valoir que créer une structure spécifiquement pour les entreprises avait été jugé trop restrictif et aurait nécessairement conduit à la multiplication des structures (l'impact des politiques publiques ne se jugeant pas uniquement au regard de leurs effets sur les entreprises mais aussi sur les particuliers et les administrations publiques), ce qui aurait été préjudiciable à l'efficacité. Elle a donc mis en avant la souplesse de « l'atelier impact entreprise », le Conseil de la Simplification pouvant s'autosaisir dans ce cadre d'un projet de texte.

Le Conseil de la simplification a obtenu que les avis de cet « atelier impact entreprises » sur les projets de loi susceptibles d'avoir une incidence sur la vie économique soient rendus publics sur vie-publique.fr. On peut sur ce site accéder à quatre avis rendus par « l'atelier impact entreprises » sur des projets déjà très engagés et dans une grande discrétion 67 ( * ) . Leur publication et leur dépôt en même temps que les projets de texte visés auraient sans doute eu un autre écho, mais l'atelier « impact entreprises » a trop souvent été saisi de dispositions législatives déjà soumises au Parlement.

Un autre recul notable peut être relevé en 2015 : une nouvelle circulaire du premier ministre, en date du 12 octobre 2015 , a précisé les modalités d'évaluation préalable des normes visant les collectivités territoriales et les entreprises. Cette circulaire systématise l'évaluation des normes pour les collectivités territoriales, mais pas pour les entreprises : s'agissant des entreprises, cette évaluation n'est en effet prévue que si l'impact prévisible des normes est jugé « significatif ». Chaque ministère se voit chargé d'apprécier le caractère significatif de cet impact, même si la circulaire propose comme seuil un impact de 500 000 € pour l'ensemble des entreprises de France et 10 000 € pour une seule entreprise. Il s'agit ici d'un recul du Gouvernement par rapport au principe d'évaluation de l'impact des normes pesant sur les entreprises, établi par la circulaire du 17 juillet 2013. Est ainsi négligé le fait que la multiplication de normes ayant chacune un impact « faible » peut être aussi pénalisante que l'imposition d'une norme unique à impact plus élevé. Enfin, le traitement dissymétrique instauré par cette circulaire entre collectivités territoriales et entreprises interroge votre délégation.

On peut aussi noter qu'une circulaire du Premier ministre du 2 mai 2016 recommande aux services producteurs de normes législatives et réglementaires d'analyser leurs impacts au regard de l'égalité entre tous les jeunes, la justice intergénérationnelle et la non-discrimination quant à l'accès aux droits et aux services publics : votre délégation se demande comment ces nouvelles exigences, certes légitimes, s'articulent avec celles des précédentes circulaires. En tout état de cause, la multiplicité des points de vigilance signalés aux services chargés des études d'impact dilue incontestablement la priorité que l'on aurait pu espérer voir donnée à la simplification pour les entreprises, sur qui reposent la croissance et l'emploi.

Alors que s'achève le programme triennal de simplification annoncé au CIMAP de juillet 2013, votre délégation a souhaité analyser les avancées obtenues en ce domaine pour les entreprises et doit déplorer que les résultats de cette politique, pourtant défendue par le Président de la République lui-même comme une priorité, semblent minimes pour les entreprises.


* 64 Après fusion avec la Commission des comptes des services.

* 65 Cf. http://www.simplifier-entreprise.fr/wp-content/uploads/2014/02/Bilan_Conseil_simplification_141030.pdf

* 66 Cf : https://www.senat.fr/seances/s201506/s20150610/s20150610005.html#Niv1_SOM9

* 67 Ces quatre avis, rendus en avril 2016, portent notamment sur les projets de loi « travail » et « République numérique » et sont annexés au présent rapport.

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