AVANT-PROPOS

« La folie, c'est de faire encore et toujours la même chose et d'attendre des résultats différents. »

(citation attribuée à Albert Einstein)

Madame, Monsieur,

Depuis sa création en décembre 2014, la délégation sénatoriale aux entreprises a rencontré près de 300 chefs d'entreprises français implantés sur l'ensemble de notre territoire et également dans d'autres pays d'Europe.

A l'occasion de tous les déplacements qu'elle a pu faire, votre délégation a entendu les entrepreneurs dénoncer le poids de l'administratif en France, qu'ils ressentent comme l'un des premiers freins au développement des entreprises. Plus cette pression normative pèse sur l'entreprise, plus son espace de liberté se réduit, ce qui nuit à sa créativité, à leur compétitivité et directement à sa croissance. Ce poids se décline en excès de normes, excès de règlementations, instabilité du droit, rigidité de l'administration... Même s'il n'a pas été précisément évalué, le coût de ce fardeau administratif est réel et peut se mesurer en euros mais aussi en emplois.

L'identification-même du corpus de textes en vigueur prête à débat : le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) dénombre 2016 lois, quand le Conseil d'État 1 ( * ) en compte 10 500 ; on observe le même rapport de 1 à 5 pour l'estimation du nombre de décrets en vigueur : 26 198 selon le SGG, 120 000 selon le Conseil d'État. La France compterait en tout 400 000 normes 2 ( * ) , entendues comme des règles qui, du fait de leur origine et de leur caractère général et impersonnel, constituent une source de droits et d'obligations juridiques. Et ce nombre augmente de plus en plus. Selon un récent rapport du Club des Juristes 3 ( * ) , le nombre moyen d'articles contenus dans une loi a presque doublé entre 1990 et 2009 ; certaines lois peuvent atteindre 169 pages au Journal Officiel et entraînent mécaniquement de très nombreux décrets et arrêtés pour leur application.

On retiendra l'estimation avancée par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui date de 2010 mais n'a pas été sérieusement contestée depuis 4 ( * ) : les charges administratives supportées par les entreprises représenteraient 3 % du PIB, soit 60 milliards d'euros. Ce poids pèse surtout sur les petites et moyennes entreprises, qui sont moins bien armées pour suivre les évolutions de la réglementation et pour gérer le risque de ne pas la respecter.

Sur ce critère du poids de la réglementation, la France est classée 115 ème sur 138 pays par le Forum économique mondial 5 ( * ) .

C'est donc un enjeu économique majeur, à la fois en termes de compétitivité et d'attractivité. De nombreux pays européens l'ont bien compris et s'en sont saisi. On peut se demander si la France a pris la mesure de l'enjeu.

La simplification n'est pourtant pas absente des débats et politiques publiques depuis une dizaine d'années, mais de manière quasi incantatoire. Certains soupçonnent la simplification d'entraîner une dérégulation ou, à tout le moins, une instabilité juridique. D'autres font valoir les vertus de la complexité qui constitue une forme de protectionnisme déguisé et est finalement source d'emplois privés et publics. D'autres encore justifient la complexité par la légitimité des diverses attentes sociales et la nécessité de concilier divers intérêts. Et pourtant, la nécessité de simplifier semble s'imposer, ici comme ailleurs, d'autant qu'à son enjeu économique, s'ajoute un enjeu démocratique : nul n'est censé ignorer la loi et pourtant rares sont ceux qui savent les normes applicables. La distance entre la règle et son application ne cesse de croître. Le Président de la République a voulu relever le défi et annoncé, en mars 2013, un « choc de simplification », accueilli avec espoir par les uns, scepticisme par les autres.

Lors de sa réélection en 2014, le président du Sénat, M. Gérard Larcher, a tenu à faire de ce sujet une priorité de son mandat. Le Bureau du Sénat a précisément confié 6 ( * ) à la délégation aux entreprises la mission de proposer des mesures « visant à favoriser l'esprit d'entreprise et à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires ».

C'est pourquoi la délégation sénatoriale aux entreprises a souhaité confier à vos rapporteurs le soin de déterminer comment alléger vraiment le fardeau administratif des entreprises françaises pour améliorer leur compétitivité. D'autres organes du Sénat concourent aussi à promouvoir la simplification des normes et ont pris de récentes initiatives : la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation - notamment en matière d'urbanisme et de construction 7 ( * ) -, la délégation à l'outre-mer 8 ( * ) , la commission des affaires économiques - spécialement en matière agricole 9 ( * ) - et encore la commission des affaires européennes qui achève tout juste un rapport 10 ( * ) sur la simplification du droit européen.

Pour élaborer ce rapport, vos rapporteurs, avec plusieurs membres de la délégation aux entreprises, ont effectué des déplacements en Europe à l'automne 2016 pour comprendre la démarche de simplification menée par plusieurs de nos voisins. Ils ont ensuite entendu à Paris une vingtaine d'acteurs qui sont au coeur du sujet : les représentants des entreprises d'abord - CCI France, la Confédération des PME (CPME), le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), l'association nationale des DRH, le Conseil national de l'industrie - ; ensuite, les représentants de ceux qui accompagnent les entreprises pour gérer la complexité : les avocats et les experts comptables. Puis ils ont auditionné les institutions chargées de la simplification, à commencer par le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, M. Jean-Vincent Placé, la secrétaire générale à la modernisation de l'action publique dont les équipes sont les chevilles ouvrières de la simplification, et la présidente du Conseil de la simplification pour les entreprises, Mme Françoise Holder, conseil qui a été mis en place en 2014. Au sein de l'appareil d'État, qui est entièrement concerné par le sujet de la simplification, ils ont choisi d'entendre les acteurs clés : le Secrétariat général du Gouvernement, par qui passent tous les projets de textes avant leur publication ou leur dépôt sur le bureau des assemblées ; la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie, qui porte le souci de la compétitivité des entreprises ; la mission de simplification des données sociales qui pilote leur dématérialisation progressive avec la généralisation, cette année, de la Déclaration sociale nominative (DSN) à toutes les entreprises. Enfin, ils ont entendu des acteurs bien placés pour analyser la situation française : notre collègue députée Mme Laure de La Raudière, qui a présidé en 2014 une mission d'information sur la simplification législative, la Cour des comptes, qui plaide aussi pour la simplification, notamment en matière de collecte des prélèvements versés par les entreprises, ainsi que France Stratégie, qui a succédé au Centre d'analyse stratégique, ex-Commissariat général du plan, et travaille sur une fiscalité plus simple. Et, pour explorer certaines idées, ils ont auditionné un think tank , l'iFRAP, ainsi qu'un universitaire qui avait adressé à la présidente de la délégation sa thèse de doctorat en droit public, consacrée à l'obligation d'étude d'impact des projets de loi.

Quel bilan peut-on faire, pour les entreprises, du « choc de simplification » annoncé en mars 2013 par le Président de la République ? Comment transformer ce choc en un processus pérenne, au service de la simplification et de la qualité du droit, au bénéfice des entreprises, premières créatrices de richesse ?

C'est à ces questions que ce rapport entend répondre. Il commence par brosser un tableau contrasté des mesures de simplification annoncées par le Gouvernement depuis 2012 et met en doute leur réelle efficacité. Il dresse ensuite un panorama des expériences menées en ce domaine par l'Allemagne, la Suède et les Pays-Bas, sans oublier le Royaume-Uni où la délégation a été sensibilisée au sujet lors d'un déplacement en avril 2015, expériences au regard desquelles il compare la démarche française avant de proposer un profond changement de méthode, sans lequel il ne serait pas raisonnable d'attendre des résultats différents.


* 1 Cf. Sécurité juridique et complexité du droit : rapport public , Conseil d'État, 2006, p. 239.

* 2 Selon le rapport au Premier Ministre de la mission de lutte contre l'inflation normative, de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, mars 2013.

* 3 Sécurité juridique et initiative économique , rapport du groupe de travail présidé par MM. Henri de Castries et Nicolas Molfessis, mai 2015.

* 4 Evaluation effectuée entre 2006 et 2008 et publiée en 2010 dans le rapport de l'OCDE, Mieux légiférer en Europe - France , accessible à cette adresse : https://www.oecd.org/france/45249654.pdf

* 5 Selon le classement Global Competitiveness Report (2015-2016) du Forum économique mondial.

* 6 Par l'arrêté n° 2014-280 du 12 novembre 2014.

* 7 Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier , rapport d'information de MM. François CALVET et Marc DAUNIS, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 720 (2015-2016) - 23 juin 2016.

* 8 Agricultures des outre-mer : pas d'avenir sans acclimatation du cadre normatif, rapport d'information de M. Éric DOLIGÉ, rapporteur coordonnateur, M. Jacques GILLOT et Mme Catherine PROCACCIA, fait au nom de la délégation à l'outre-mer, n° 775 (2015-2016), 7 juillet 2016.

* 9 Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens , rapport d'information de M. Daniel DUBOIS, fait au nom de la commission des affaires économiques, n° 733 (2015-2016) - 29 juin 2016.

* 10 Rapport d'information (2016-2017) n° 387.

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