B. RÉINTERROGER NOTRE RÉGLEMENTATION EN COMPARANT SA PERFORMANCE AVEC CELLE DES ÉTATS VOISINS AU REGARD DES OBJECTIFS COMMUNS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Le travail mené au sein du Conseil de la simplification en ateliers mixtes réunissant administration et entreprises doit être poursuivi. Pour qu'il produise des fruits plus substantiels, votre délégation propose de l'approfondir par domaines, en commençant par ceux qui seront jugés prioritaires pour l'activité économique, et de l'éclairer avec les expériences passées et européennes.

1. Rendre visibles les diverses sources de complexités et réévaluer leur nécessité

Il convient d'abord d'identifier les diverses couches de complexité , qu'il s'agisse des règles de droit, des procédures administratives mais aussi de la multiplicité des interlocuteurs: il s'agit de réévaluer leur nécessité pour parvenir à des simplifications substantielles, sans négliger pour autant l'impératif de sécurité juridique que nos collègues MM. Michel Delebarre et Christophe-André Frassa 162 ( * ) appellent opportunément à mettre en balance avec la simplification.

Ainsi, la confusion qui entoure l'application du principe « Silence vaut accord » -en France comme d'ailleurs en Allemagne 163 ( * ) où il est surtout utilisé par les Länder - devrait conduire à interroger chaque processus d'autorisation : si une autorisation est importante, il est préférable que la réponse de l'administration soit explicite ; si elle n'est pas importante, la réponse de l'administration peut être implicite mais, en ce cas, autant transformer l'autorisation en simple déclaration ou même la supprimer. Ainsi, une revue des régimes d'autorisation et de déclaration devrait être menée afin d'abroger les autorisations ou déclarations qui apparaissent disproportionnées, sous réserve toutefois que les compensations jugées utiles en termes de sécurité juridique ne privent pas la réforme de son intérêt pour les usagers. Dans sa dernière étude annuelle 164 ( * ) , le Conseil d'État appelle aussi à réduire au strict minimum les procédures administratives, en prêtant attention aux conséquences réelles de leur abrogation.

Une mise à plat de la complexité de l'environnement administratif des entreprises serait utile et devrait être effectuée en partenariat avec elles. Ainsi, dans le domaine social, la collecte des prélèvements versés par les entreprises mériterait d'être simplifiée autour d'un pôle social unique , l'URSSAF, dans la ligne des préconisations avancées par le Cour des comptes en 2016 165 ( * ) . Le maquis des mandats sociaux gagnerait aussi à être élagué : Mme Bénédicte Ravache, Secrétaire générale de l'Association nationale des DRH, a jugé que la « tuyauterie » liée au paritarisme mettait à mal l'efficacité des politiques publiques, notamment de la formation professionnelle, malgré sa récente réforme. Elle a appelé à cartographier l'ensemble des mandats issus du paritarisme qui déterminent de manière opaque le fonctionnement de notre système social. Cette cartographie pourrait être réalisée en s'appuyant sur le Mandascop (MANDAts des organisations syndicales de salariés et d'employeurs : Savoirs, Compétences, Profils), que les partenaires sociaux ont eu besoin d'élaborer en 2012 pour s'y retrouver dans le millefeuille des dizaines de milliers de mandats syndicaux et patronaux et disposer d'un référentiel exhaustif des missions, activités et compétences nécessaires pour exercer les différents mandats.

Ces exemples prouvent la nécessité de rendre visible la complexité du système pour la mesurer et chercher ensuite à la réduire.

Proposition n° 8 : mettre à plat la complexité de l'environnement administratif des entreprises et réévaluer la nécessité des règles et procédures en cause pour parvenir à des simplifications substantielles

2. Comparer la performance des réglementations nationales en Europe au regard d'objectifs partagés

Ce travail partenarial administration/entreprises, consistant à interroger le pourquoi des règles en vigueur, doit mieux s'articuler avec l'échelon européen : à la fois avec Bruxelles, afin de faire le départ entre les obligations européennes et les obligations nationales relevant de la surtransposition, et avec les autres États membres pour comparer la performance de notre réglementation avec celle d'États voisins qui ont le souci de la compétitivité de leurs entreprises tout en partageant des exigences comparables aux nôtres en termes de santé publique, de protection du consommateur, de sécurité industrielle... Votre délégation soutient la suggestion que lui a faite M. Vincent Aussilloux, directeur du département économie de France Stratégie : réunir à Bruxelles les régulateurs nationaux pour comparer objectifs, indicateurs et résultats et pour confronter entre elles les expertises des pays européens.

La confrontation des expertises européennes est tout à fait décisive : en France, le Gouvernement s'en remet sur les sujets sensibles de santé ou d'environnement à des agences, dont l'indépendance est discutable et dont l'expertise n'est pas délivrée au terme d'une démarche collective. Or, sans doute au titre du principe de précaution, le Gouvernement ne remet pas en cause l'avis de ces agences et s'aligne généralement dessus pour règlementer, sans toujours veiller à l'applicabilité de la règle et sans confronter l'avis rendu à celui des agences homologues européennes ou de l'agence européenne quand elle existe, souvent dotée de moyens plus importants que les agences nationales et donc plus en mesure de faire appel à des points de vue divers. M. Alain Devic, Président de la section thématique Réglementation et simplification du Conseil national de l'industrie, l'a amèrement regretté devant vos rapporteurs.

L'exercice de comparaison avec d'autres États européens -à commencer par l'Allemagne- conduirait à définir des objectifs généraux mais aussi opérationnels ainsi que des indicateurs statistiques : ainsi, l'accidentalité des jeunes conducteurs dans les mois suivant l'obtention du permis de conduire pourrait être un indicateur pertinent de l'efficacité des règlementations qui encadrent les auto-écoles, particulièrement en France ; de même, la santé des travailleurs des entreprises françaises est-elle meilleure que celle des employés de l'Éducation nationale qui ne bénéficient pas de la médecine du travail ou que celle des travailleurs d'autres pays européens qui ont des syndicats de salariés tout aussi puissants que les nôtres pour la défendre et n'ont pas non plus de médecine du travail ? Vos rapporteurs estiment nécessaire de se poser de telles questions à l'évocation, par Mme Françoise Holder, présidente du Conseil de la simplification pour les entreprises, du cas de cet entrepreneur qui, ayant embauché des saisonniers mais n'ayant pas pu réaliser la visite médicale d'embauche en raison de l'engorgement de la médecine du travail, a subi une inspection qui a conduit à sa condamnation au paiement d'une amende si élevée qu'il a dû mettre la clef sous la porte.

On peut aussi souligner la spécificité française relative au montant des investissements consacrés aux contrôles de la pollution : selon une étude lancée par la Commission européenne en 2014 sur le coût cumulé de la réglementation européenne pour l'industrie chimique en Europe, dont M. Alain Devic, ancien président de l'Union des industries chimiques, a transmis les résultats à vos rapporteurs, « ce montant en France est supérieur de plus de 30 % à celui constaté en Allemagne (alors que le poids de la chimie allemande est pratiquement le double de celui de la France) et de 300 % à celui constaté dans des pays comme l'Italie ou les Pays-Bas ». De tels éléments chiffrés de comparaison ne peuvent être ignorés et devraient conduire à revoir la fréquence des contrôles de pollution en France.

Plus généralement, il apparaît que la sévérité de notre réglementation n'assure pas nécessairement un niveau plus élevé de sécurité . Ainsi, dans un audit publié en avril 2012 166 ( * ) , le Conseil général de l'environnement et du développement durable a constaté que la législation environnementale applicable aux raffineries était plus sévère en France que dans le reste de l'Europe sans garantir une sécurité meilleure. On peut y lire que, sur le fondement des éléments fournis par la Direction générale de la prévention des risques, l'industrie du raffinage français connaît plus d'accidents que la moyenne européenne : « les raffineries représentent dans l'Union européenne 24 % des accidents déclarés, contre 42 % en France, et les raffineries françaises concourent pour 26 % des accidents en Europe alors qu'elles ne représentent que 10 % des sites ». Ces chiffres accréditent la position défendue par les raffineurs selon laquelle « l'approche réglementaire présente des limites et peut conduire à privilégier la sécurité juridique au détriment de la sécurité physique ou technologique ».

Proposition n° 9 : comparer la performance des réglementations nationales à celle des règlementations des États européens au regard des objectifs communs de santé, de sécurité ou de protection de l'environnement


* 162 Cf. p. 13 de leur rapport d'information n° 395 (2014-2015 ) Droit des entreprises : enjeux d'attractivité internationale, enjeux de souveraineté , fait au nom de la Commission des lois et déposé le 8 avril 2015.

* 163 Son introduction résulte en effet de l'article 13.4 de la directive « Services » 2006/123/CE du 12 décembre 2006 qui dispose que : « En l'absence de réponse dans le délai prévu, éventuellement prolongé, conformément au paragraphe 3, l'autorisation est considérée comme octroyée. Toutefois, un régime différent peut être prévu lorsque cela est justifié par une raison impérieuse d'intérêt général, y compris l'intérêt légitime d'une tierce partie. »

* 164 Ibid. p. 114.

* 165 Dans son rapport public thématique, Simplifier la collecte des prélèvements versés par les entreprises, 2016 .

* 166 Cf. pp. 58-59 de ce rapport accessible à l'adresse suivante: http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000009.pdf

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