II. LA LOI DE MODERNISATION DE NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ

Dans le domaine de la santé, seule la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé est en attente de mesures d'application. Au 31 décembre 2016, près d'un an après sa promulgation, son taux d'application s'élève à seulement 64 %. Il convient néanmoins de rappeler que sa mise en oeuvre réclamait 176 mesures réglementaires, soit le nombre le plus élevé de tous les textes étudiés par la commission des affaires sociales depuis cinq ans. Aucun des rapports prévus par le texte, au nombre de 12, n'a été remis au Parlement à ce stade.

A. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROMOTION DE LA SANTÉ ET À LA PRÉVENTION


• Le cadre général de définition et de mise en oeuvre de la politique de santé

L'article 1 er de la loi, qui définit le cadre dans lequel est conduite la politique de santé, est depuis peu entièrement applicable. Cet article prévoit la définition par le Gouvernement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, d'une « stratégie nationale de santé » qui « détermine, de manière pluriannuelle, des domaines d'action prioritaires et des objectifs d'amélioration de la santé et de la protection sociale contre la maladie ». Le principe d'une loi quinquennale précisant les objectifs de santé publique est abandonné.

Le décret n° 2016-1621 du 28 novembre 2016 relatif à la stratégie nationale de santé prévoit principalement que celle-ci est définie par décret pour une durée qui ne peut excéder dix ans et qu'elle est mise en oeuvre par des plans et des programmes opérationnels à portée nationale, définis par arrêté ministériel, ainsi que par les projets régionaux de santé. Il prévoit qu'une consultation publique, organisée selon des modalités fixées par arrêté, doit précéder l'adoption ou la révision de la stratégie nationale de santé. De même, les conditions dans lesquelles la mise en oeuvre de la stratégie est suivie et évaluée sont définies par arrêté.

Les règles ainsi esquissées par le décret en Conseil conservent un caractère général, le texte renvoyant à plusieurs autres mesures réglementaires, décret et arrêtés, le soin de déterminer notamment les domaines d'action prioritaires et les objectifs poursuivis ainsi que les conditions de son adoption et de son suivi.

Les règles relatives au fonctionnement et aux missions de l'union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé, dont la création est rendue possible par ce même article 1er, ont quant à elle fait l'objet du décret en Conseil d'État en date du 26 janvier 2017 58 ( * ) . Celui-ci définit les missions et les modalités d'organisation de l'union au double niveau national et territorial. Il prévoit en particulier la possibilité pour l'union de rendre des avis aux pouvoirs publics et d'élaborer des propositions en matière de santé. Ses ressources sont constituées notamment d'une dotation de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) au titre du fonds national pour la démocratie sanitaire et de subventions publiques.


• L'information et la prévention dans le domaine de la santé des jeunes

La grande majorité des mesures-phares relatives à la promotion de la santé des jeunes sont désormais applicables. Il en va notamment ainsi :

- du décret pris pour l'application de l'article 9 de la loi, afin de prévoir que les personnes admises dans une école de la deuxième chance, les volontaires effectuant un service civique, les apprentis, les stagiaires du service militaire adapté et les personnes sous contrat de professionnalisation sont personnellement informées par tout moyen, lors de leur inscription ou de la signature de leur contrat, par l'établissement ou l'organisme auquel elles sont rattachées, de la possibilité d'effectuer un examen de santé gratuit 59 ( * ) ;

- du décret pris en application de l'article 10 de la loi pour préciser les modalités de délivrance de la contraception d'urgence par les infirmiers aux élèves du second degré et qui tire notamment les conséquences de la suppression par la loi du 26 janvier 2016 de la condition de « détresse caractérisée » auparavant exigée pour accéder à la contraception d'urgence 60 ( * ) ;

- du décret en Conseil d'État pris en application de l'article 12 de la loi pour définir les types et caractéristiques des objets incitant directement à la consommation excessive d'alcool dont la vente et l'offre sont interdites aux mineurs 61 ( * ) . Il s'agit des « jeux, vêtements, accessoires de mode, éléments décoratifs, ustensiles et accessoires pour appareils électroniques dont la présentation, le logo, la dénomination ou le slogan incite directement à la consommation excessive d'alcool par un mineur ». Votre commission relève que les termes utilisés par le décret sont conformes à ce qu'avait annoncé le Gouvernement ;

- de l'arrêté pris en application de l'article 12 qui interdit la mise à disposition en accès libre de boissons sucrées à volonté dans certains lieux ouverts au public, en particulier aux mineurs. L'arrêté interministériel fixe la liste des catégories de boissons concernées 62 ( * ) . Cette liste comprend par exemple les boissons suivantes : les boissons gazeuses et non gazeuses aromatisées, des concentrés comme les sirops de fruits, les boissons à base d'eau, de lait, de céréales, de légumes ou de fruits y compris les boissons pour sportifs ou les boissons énergisantes, les nectars de fruits, les nectars de légumes et produits similaires, dès lors que ces boissons contiennent des sucres ajoutés ou des édulcorants de synthèse.

Votre commission avait été particulièrement favorable à la mise en oeuvre de cette mesure, qui trouvera notamment à s'appliquer dans les établissements scolaires. Convaincue que ce dispositif est susceptible de contribuer à la lutte contre l'obésité, elle se félicite du champ d'application particulièrement large retenu dans cet arrêté.


• Le dispositif d'information complémentaire sur les denrées alimentaires

S'agissant de la disposition permettant le recours par les industriels à un étiquetage nutritionnel complémentaire, le décret prévu à l'article 14 de la loi est également paru 63 ( * ) . Ce dernier précise que de dispositif se conforme à un cahier des charges fixé par arrêté des ministres chargés de la santé, de la consommation et de l'agroalimentaire, après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Ce cahier des charges est déterminé sur la base des conclusions d'une évaluation préalable organisée par ces mêmes ministres. Il est précisé que cette évaluation, qui porte sur plusieurs formes d'expression et s'effectue en conditions réelles d'achat, « contribue à définir le choix de la forme de présentation complémentaire à la déclaration nutritionnelle ». Une évaluation du dispositif finalement retenu doit être réalisée dans un délai de trois ans suivant l'entrée en vigueur de l'arrêté qui fixera le cahier des charges.

Malgré le cadre réglementaire ainsi défini, les conditions de mise en oeuvre de cette mesure, qui ne sont pas sans faire polémique, permettent de douter du fait que les industriels joueront pleinement le jeu. Une expérimentation du dispositif en conditions réelles a débuté en septembre 2016 pour une durée de dix semaines. Elle a été mise en oeuvre dans soixante grandes surfaces tirées au sort, dont vingt supermarchés témoins, en Ile-de-France, en Normandie, dans les Hauts-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes. Quatre types de logos différents sont testés : le « Nutri-score », plébiscité par l'Inserm, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et le Pr Serge Hercberg, président du Programme national nutrition santé (PNNS), et qui repose sur une notation selon cinq couleurs (du vert au rouge) ; le « SENS » (système d'étiquetage nutritionnel simplifié) mis au point par une partie des industriels qui fait intervenir quatre couleurs faisant référence à la fréquence de consommation recommandée ; et deux autres logos qui indiquent les quantités de sucres, gras et sel des produits.

Une évaluation de cette expérimentation devrait être à présent réalisée et votre commission sera particulièrement attentive au dispositif finalement retenu par le Gouvernement, qui permettra de savoir si le dispositif sera réellement appliqué et, surtout, de mesurer son efficacité.


• Les dispositions en matière de santé environnementale

De nombreuses dispositions législatives dans le domaine de la santé environnementale demeurent en revanche inapplicables. Cela concerne :

- la définition par décret en Conseil d'État de valeurs-guides pour l'air intérieur, après avis de l'Anses (article 49) ;

- la définition par décret en Conseil d'État des règles d'hygiène et de conception applicables aux systèmes collectifs de brumisation d'eau que leurs modalités de contrôle, voire d'interdiction (article 51) ;

- la définition par décret en Conseil d'État des modalités selon lesquelles les activités impliquant la diffusion de sons à un niveau sonore élevé sont exercées de façon à protéger l'audition (article 56) ;

- l'élaboration par décret de la liste des espèces végétales et animales dont la prolifération constitue une menace pour la santé humaine et la définition des mesures susceptibles d'être prises pour prévenir leur apparition ou leur prolifération (article 57) ;

- la définition par arrêté des modalités d'interdiction des jouets comportant du bisphénol A au-delà d'une certaine concentration (article 59) ;

- la définition des règles visant à protéger l'audition des utilisateurs d'appareils portables et de dispositifs d'écoute (article 61).


• Les mesures de lutte contre le tabagisme

14 articles de la loi sont consacrés à la lutte contre le tabagisme. Ils sont pour la plupart applicables.

L'article 27, qui portait une des mesures emblématiques du texte, le paquet neutre, est applicable à la suite d'un décret 64 ( * ) paru le 21 mars 2016.

Le décret n° 2019-1117 du 11 août 2016 relatif à la fabrication, à la présentation, à la vente et à l'usage de produits du tabac, des produits du vapotage et des produits à fumer à base de plantes autres que le tabac, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes, pour laquelle une habilitation été donnée au gouvernement par l'article 216 de la loi, apporte également les précisions nécessaires à l'application des articles 22 et 28.

L'article 22 transpose l'article 7 de la directive 2014/40 sur les tabacs interdit la mise sur le marché de produits du tabac contenant des arômes caractérisants ou des additifs. Les États membres avaient jusqu'au 20 mai 2016 pour se mettre en conformité avec cette directive.

L'article 28 proscrit le vapotage dans certains lieux publics.

L'article 135, qui prévoyait une expérimentation de la mise en place d'une consultation spécialisée pour les femmes enceintes fumeuses, est également applicable 65 ( * ) .

En revanche, faute de mesures d'application, deux articles restent inapplicables.

L'article 26 qui oblige les fabricants, les importateurs et les distributeurs de produits du tabac ainsi que les entreprises, les organisations professionnelles ou les associations les représentant à adresser chaque année au ministre chargé de la santé un rapport détaillant l'ensemble des dépenses liées à des activités d'influence ou de représentation d'intérêts nécessite un décret en Conseil d'État. Par la voix de la rapporteure de la commission des affaires sociales, le Sénat avait émis des doutes quant à l'applicabilité de ce dispositif en raison de sa forme, un rapport, de sa complexité et du nombre et de la diversité des acteurs concernés et proposé un dispositif plus simple.

La commission des affaires sociales avait alerté sur les délais nécessaires à la mise en oeuvre des mécanismes de traçabilité des produits du tabac qui nécessite l'adoption de textes par la commission européenne. Elle avait indiqué que des mesures nationales ne pourraient intervenir dans cet intervalle. Dans ces conditions, il est tout à fait compréhensible que l'article 33, qui prévoit le contrôle de la traçabilité par un tiers indépendant soit resté inappliqué.

L'article 23, qui restreint la publicité sur les cigarettes électroniques n'appelait, quant à lui, pas de mesures d'application mais ses dispositions très restrictives, que le Sénat avait très légèrement assouplies, ont fait apparaître la nécessité de mesures correctives. Introduites par l'article 163 de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II » des exceptions à l'interdiction de la publicité ont été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel parce qu'elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale.


• Le droit à l'oubli

Un autre sujet qui avait beaucoup intéressé votre commission et fait l'objet de modifications importantes, notamment au Sénat, est le droit à l'oubli pour les anciens malades du cancer. Le Parlement, à l'initiative du Sénat, avait souhaité aller plus loin que ne le prévoyait le texte initial, notamment en abaissant à 10 ans le délai au terme duquel un ancien malade doit avoir accès au crédit et à l'assurance dans les conditions du droit commun.

Si, pour l'essentiel, la mise en oeuvre de cette mesure repose sur les partenaires de la convention Aeras, on ne peut que regretter que le décret précisant les sanctions encourues par les assureurs qui enfreindraient le droit à l'oubli et celui précisant les conditions d'information des candidats à l'assurance n'aient toujours pas été publiés.


• Le prélèvement d'organes sur personnes décédées

Introduit à l'initiative de l'Assemblée nationale, l'article 192 a modifié les règles relatives à l'expression du consentement ou de l'opposition au prélèvement d'organes après le décès. Ses dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017.

Si le principe du consentement présumé, issu de la loi du 22 décembre 1976 n'a pas été remis en cause, l'obligation faite au médecin de rechercher une éventuelle opposition de la personne décédée a été supprimée, celui-ci doit désormais informer les proches du défunt conformément à des bonnes pratiques arrêtées par le ministre de la santé sur proposition de l'agence de la biomédecine. L'arrêté en question a été publié le 16 août 2016.

Par ailleurs, alors que l'article L. 1232-1 du code de la santé publique prévoyait que l'opposition au prélèvement pouvait être exprimée par tout moyen, la rédaction issue de l'article 192 de la loi de modernisation de notre système de santé précise que ce refus s'exprime « principalement » par l'inscription sur un registre national. Le décret en Conseil d'État n° 2016-118 du 11 août 2016 relatif aux modalités d'expression du refus de prélèvement d'organes après le décès est venu préciser les conditions autres que l'inscription au registre national des refus dans lesquelles l'opposition du défunt peut être prise en compte. L'article R. 1232-4-4 du code de la santé publique, créé par ce décret, indique ainsi que le refus peut être exprimé au travers d'un document écrit indiquant les nom, prénom, date et lieu de naissance de l'intéressé ou, lorsque ce dernier se trouve dans l'impossibilité d'écrire et de signer un tel document, attesté par deux témoins. Il est également précisé qu'un proche de la personne décédée peut faire valoir le refus que cette personne a manifesté de son vivant.

Il ressort de l'ensemble de ces dispositions législatives et règlementaires que le droit applicable ne connaît pas d'évolution fondamentale. Au demeurant, dans la réalité, on ne saurait envisager qu'une équipe médicale refuse de prendre en compte la position des proches d'une personne décédée dans les cas où celle-ci n'aurait pas, de son vivant, clairement manifesté sa position. Ces modifications rédactionnelles pourraient néanmoins avoir pour vertu d'attirer l'attention du public sur la problématique du don d'organe, à condition que retombent les inquiétudes suscitées au moment des débats par le manque de pédagogie qui a entouré leur introduction.


* 58 Décret n° 2017-90 du 26 janvier 2017 relatif à l'union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé.

* 59 Décret n° 2016-1257 du 27 septembre 2016 relatif à l'obligation d'information de certains publics sur l'examen de santé gratuit prévu à l'article L. 321-3 du code de la sécurité sociale modifié.

* 60 Décret n° 2016-683 du 26 mai 2016 relatif à la délivrance de la contraception d'urgence par les infirmiers scolaires.

* 61 Décret n° 2016-1329 du 6 octobre 2016 déterminant les objets incitant directement à la consommation excessive d'alcool dont la vente ou l'offre est interdite aux mineurs.

* 62 Arrêté du 18 janvier 2017 relatif à l'interdiction de la mise à disposition de boissons à volonté, gratuites ou pour un prix forfaitaire, avec ajout de sucres ou d'édulcorants de synthèse.

* 63 Décret n° 2016-980 du 19 juillet 2016 relatif à l'information nutritionnelle complémentaire sur les denrées alimentaires.

* 64 Décret n°2016-334 relatif au paquet neutre des cigarettes et de certains produits du tabac.

* 65 Décret n° 2016-1479 du 4 novembre 2011 relatif aux modalités de l'expérimentation de mise en place systématique d'une consultation et d'un suivi spécialisés destinés à toute femme enceinte consommant régulièrement des produits du tabac.

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