Rapport d'information n° 775 (2015-2016) de MM. Éric DOLIGÉ , Jacques GILLOT et Mme Catherine PROCACCIA , fait au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, déposé le 7 juillet 2016

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N° 775

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer (1) sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l' agriculture des outre-mer ,

Par M. Éric DOLIGÉ,

Rapporteur coordonnateur,

M. Jacques GILLOT
et Mme Catherine PROCACCIA,

Rapporteurs,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; Mme Aline Archimbaud, M. Guillaume Arnell, Mmes Éliane Assassi, Karine Claireaux, MM. Éric Doligé, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Antoine Karam, Thani Mohamed Soilihi, vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mme Odette Herviaux, MM. Robert Laufoaulu, Gilbert Roger, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean Bizet, Mme Agnès Canayer, MM. Joseph Castelli, Jacques Cornano, Mathieu Darnaud, Félix Desplan, Jean-Paul Fournier, Jean-Marc Gabouty, Jacques Gillot, Daniel Gremillet, Mme Gisèle Jourda, MM. Serge Larcher, Nuihau Laurey, Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, MM. Jeanny Lorgeoux, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Stéphane Ravier, Charles Revet, Didier Robert, Abdourahamane Soilihi, Mme Lana Tetuanui, MM. Hilarion Vendegou, Paul Vergès et Michel Vergoz.

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 5 novembre 2015, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer a décidé de mener une étude pluriannuelle sur l'impact des normes dans les outre-mer qui s'inscrit dans un faisceau d'initiatives du Sénat cherchant à remédier à la prolifération normative.

Le premier volet de cette étude, destinée à apporter une perspective ultramarine propre à la question de la simplification et de l'adaptation des normes aux spécificités des territoires, porte sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer . La production agricole végétale et animale, y compris l'aquaculture, présente en effet de forts enjeux économiques et sociaux dans des territoires que l'éloignement de l'Hexagone et l'étroitesse des surfaces disponibles exposent au double défi de la réduction de la dépendance alimentaire et de l'identification de ressources de développement endogène.

Le rapport de M. Éric DOLIGÉ (Loiret - Les Républicains), Mme Catherine PROCACCIA (Val-de-Marne - Les Républicains) et M. Jacques GILLOT (Guadeloupe - Socialiste et républicain), adopté le 7 juillet 2016, parcourt, pas à pas, le labyrinthe de la réglementation européenne et française, repère les défauts des procédures d'homologation et pointe les lacunes du système de contrôle des importations, qui pénalisent les régions ultrapériphériques (RUP) soumises à l'intense concurrence des pays tiers. Des constats dressés, ils ont tiré 20 propositions concrètes relayant les préoccupations exprimées par les acteurs locaux avec l'ambition de sauvegarder et de valoriser les productions agricoles ultramarines.

* * *

Les normes et les procédures applicables à l'agriculture des RUP françaises en matière sanitaire et phytosanitaire trouvent leur origine pour l'essentiel dans des règlements européens, malgré le maintien de compétences nationales importantes dévolues à l'Anses et au ministre de l`agriculture. Les dispositifs sont les mêmes en Europe continentale et dans les RUP sans aucune prise en compte des caractéristiques de l'agriculture en contexte tropical . L'application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées, sans forte pression de maladies et de ravageurs, conduit à une impasse .

Les filières agricoles ultramarines souffrent de la prégnance des usages phytosanitaires orphelins, de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique menacée par des retraits soudains d'autorisation, de l' absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs comme la fourmi manioc, d'un encadrement inadapté des conditions d'utilisation des produits phytosanitaires en climat tropical, de dérogations difficiles à mettre en oeuvre et d' interprétations françaises particulièrement rigoureuses des normes européennes.

Elles doivent également supporter les effets d'une politique commerciale de l'Union européenne très favorable aux pays tiers , tant en termes de conclusion d'accords de libre échange qui mettent en péril les grandes filières exportatrices comme la banne, le sucre et le rhum, qu'en matière de faible degré d'exigence des normes alimentaires imposées aux denrées importées.

I. - Processus d'élaboration et acclimatation des normes

Seuls 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales dans les DOM sont couverts , alors que la moyenne nationale est d' environ 80 % . Au-delà d'un coût du travail très faible, les pays tiers concurrents sont favorisés parce qu'ils disposent d'une palette plus large de produits phytopharmaceutiques autorisés. Par exemple, les producteurs de banane français ne peuvent utiliser que deux produits autorisés et ils procèdent à environ 7 traitements par an. Depuis 2006, ils ont diminué de moitié l'emploi de pesticides, grâce au développement de techniques alternatives. Par comparaison, les concurrents sud-américains peuvent utiliser au moins 50 produits. Le Costa Rica procède à 65 traitements par an et l'Équateur à 40 traitements par an. Pourtant, leurs bananes sont proposées au consommateur européen.

Le problème réside moins dans l'inexistence ou le faible développement de solutions phytopharmaceutiques pour des usages tropicaux que dans l' indisponibilité des produits dans les RUP dès lors que, pour des raisons d'absence de rentabilité économique due à l'étroitesse des marchés ultramarins, les firmes ne souhaitent pas s'engager dans les procédures d'homologation de substances actives au niveau européen et de produits au niveau national. Cette étroitesse des marchés est exacerbée dans le cas des cultures de diversification dont les filières sont particulièrement peu organisées et les surfaces cultivées très réduites.

1. Adapter au climat tropical la définition des conditions d'utilisation (dose, nombre d'applications, cadence, zone non traitées) des produits phytopharmaceutiques au moment de la délivrance de leur autorisation de mise sur le marché (AMM)

2. Prendre en compte systématiquement les outre-mer dans les travaux du comité des normes agricoles , présidé par Pierre-Étienne Bisch et installé en mars 2016, à la fois pour l'analyse des normes existantes et pour la préparation de nouvelles normes

3. Faire obligation aux firmes pétitionnaires, sur demande de l'Anses, de joindre à tout dossier d'AMM d'un produit phytopharmaceutique des analyses portant sur son utilisation sur des cultures tropicales . Dès lors, fusionner sur cette base les deux procédures d'octroi d'AMM et d'extension d'autorisation pour usage mineur sur cultures tropicales

4. Compléter les référentiels pédoclimatiques et d'habitudes alimentaires utilisés par l'Agence européenne de sécurité des aliments, l' EFSA , pour l'évaluation des risques afin de prendre en compte les outre-mer

5. Faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste positive de pays dont les procédures d'homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes et donner la faculté au ministre de l'agriculture saisi par un groupe de producteurs d'autoriser un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage

6. Dispenser d'homologation les phéromones et les extraits végétaux , en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche nationaux en outre-mer. Pendant la phase précédant la révision du règlement européen « pesticides » de 2009 à cet effet, ouvrir un financement public État-région pour soutenir les demandes d'homologation sur des préparations issues des travaux des instituts de recherche nationaux en fonction des priorités des stratégies territoriales agricoles

7. Garantir un traitement spécifique des autorisations de produits phytopharmaceutiques indispensables à la survie de cultures menacées de dévastation

8. Simplifier l'homologation des préparations biostimulantes en les traitant comme des fertilisants, même lorsqu'elles présentent des usages phytosanitaires complémentaires. Clarifier sur ce point les modalités de l'évaluation par l'Anses prévue par le décret du 27 avril 2016 sur les substances naturelles peu préoccupantes et compléter la liste des biostimulants autorisés par des essences employées traditionnellement outre-mer

9. Autoriser pour les RUP à titre dérogatoire la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés

10. Dispenser d'homologation la réutilisation comme matières amendantes et fertilisantes de déchets verts selon des méthodes validées par les instituts de recherche

11. En matière d' aquaculture , différencier les normes portant sur les rejets de matières en suspension selon que celles-ci soient inertes ou vivantes

II. - Contrôle des échanges commerciaux

La politique de l'Union européenne en matière d'échanges commerciaux agricoles avec les pays tiers doit être infléchie. Les denrées des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides, même si elles ont été traitées par des substances interdites, sont acceptées sur les marchés européens, notamment ceux des RUP où elles concurrencent sévèrement les productions locales. Les outre-mer doivent aussi tenter de résister sur leurs marchés traditionnels à l'export, l'Hexagone au premier rang, en endossant un handicap normatif dont l'Union européenne exempte les pays tiers. Pour rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans l'Union européenne doivent intégrer des exigences sur les conditions de production au-delà du respect des LMR . L'Union européenne aurait intérêt à mettre en place une politique plus stricte sur le modèle du Canada et de l'Australie, qui protègent leurs économies de l'entrée des denrées de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Nouvelle-Calédonie.

L'organisation de contrôles à l'importation est complexe, puisqu'ils sont partagés entre trois services différents, les douanes, le service d'inspection du ministère de l'agriculture et la DGCCRF. Cette complexité ne contribue pas à leur efficacité, ni au niveau européen, ni localement. En 2013 , le taux de produits importés depuis des pays tiers dans l'Union européenne qui dépassaient les limites légales de résidus de pesticides était de 5,7 %, soit 4 fois plus que le taux de non-conformité sur les produits européens . La porosité des outre-mer aux importations illicites des pays tiers est avérée : la Guadeloupe vis-à-vis de la Dominique, notamment en exploitant les failles du contrôle à Marie-Galante, la Martinique face à Sainte-Lucie, la Guyane vis-à-vis du Suriname et du Brésil, Mayotte face aux Comores et La Réunion à l'égard de Madagascar. Pourtant, dans les DOM , les effectifs généraux de la douane ont diminué de 4,5 % en 5 ans.

12. Supprimer les tolérances à l'importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l'Union européenne

13. Faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racine s depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l'eau

14. Augmenter les effectifs douaniers en outre-mer et fusionner dans tous les DOM les contrôles des végétaux à l'import en matière de santé des végétaux et de santé humaine en confiant au service d'inspection du ministère de l'agriculture (SIVEP) le contrôle des limites maximales de résidus (LMR) à l'importation

III. - Stratégies de labellisation

Face à la concurrence des pays tiers dont la compétitivité coût est insurpassable, seule une montée en gamme permettra de préserver les parts de marché des producteurs ultramarins. Cette stratégie de la qualité est d'autant plus cruciale que certains pays tiers se lancent parallèlement dans des démarches similaires en bénéficiant de labels sans pour autant respecter les normes européennes. Le bio constitue une voie d'avenir possible pour les agricultures ultramarines. Ces perspectives de développement sont cependant bridées par une réglementation européenne défavorable et par la superposition des normes sur le bio et sur les phytosanitaires, qui avantagent à nouveau les pays tiers par rapport aux RUP. Il faut déplorer que la réglementation européenne sur le bio n'ait jamais été élaborée en tenant compte des agricultures tropicales des RUP, alors que des concurrents comme la République dominicaine et le Brésil ont défini des règles d'agriculture biologique adaptées au climat tropical. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, grâce à leur statut d'autonomie, ont su également élaborer une norme d'agriculture biologique en harmonie avec leur environnement régional océanien.

Paradoxalement, des productions biologiques des pays tiers moins exigeantes du point de vue environnemental et de la santé des agriculteurs que leurs homologues conventionnelles des RUP envahissent le marché européen en profitant d'un étiquetage bio. Le consommateur européen ne peut être que trompé. Rien ne lui permet de savoir que le label bio des pays tiers est moins exigeant, et qu'en particulier les bananes bio de République dominicaine qui couvrent 80 % du marché peuvent être traitées par 14 substances interdites en agriculture conventionnelle dans l'Union européenne.

15. Prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical dans le nouveau règlement européen sur le bio pour assouplir le recours aux semences conventionnelles, autoriser la culture sur claies, raccourcir le délai de conversion et permettre le traitement post-récolte par des produits d'origine naturelle

16. Autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur, pour les exploitations implantées dans les RUP

17. Interdire l'importation sous l'étiquette bio des produits de pays tiers lorsqu'ils ne respectent pas la réglementation européenne et développer l' information du consommateur sur les conditions de production du bio dans les pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les outre-mer

18. Prévoir une aide financière des régions , via des mesures agroenvironnementales territorialisées sur fonds européens, pour soutenir le revenu des agriculteurs pendant le délai de conversion vers le bio

19. Implanter une antenne permanente de l'Institut national de l'origine et de la qualité ( INAO ) en outre-mer

20. Développer le modèle MOSAICA de l'unité ASTRO de l'INRA pour mesurer l'impact de l'évolution des normes réglementaires sur le choix de cultures et de pratiques des agriculteurs ; étendre et transformer ce modèle en outil d'élaboration des stratégies territoriales agricoles et d'aide à la décision.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

S'inscrivant dans un faisceau d'initiatives sénatoriales cherchant à remédier à la prolifération normative, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer a décidé de mener une étude pluriannuelle sur l'impact des normes dans les outre-mer qui comprendra plusieurs volets. Interpellée par certaines aberrations témoignant d'une ignorance des contraintes spécifiques des outre-mer, la délégation a estimé nécessaire d'enrichir la réflexion d'ensemble dans une perspective ultramarine qui, tout en visant la simplification, se préoccupe aussi d'une correcte adaptation.

Le caractère lourdement pénalisant de l'inadéquation du système normatif aux réalités locales est apparu de façon flagrante dans le domaine agricole et a motivé le choix de ce secteur économique comme périmètre du premier volet de l'étude.

La production agricole végétale et animale, y compris l'aquaculture, présente en effet de forts enjeux économiques et sociaux dans des territoires que l'éloignement de l'Hexagone et l'étroitesse des surfaces disponibles exposent au double défi de la réduction de la dépendance alimentaire et de l'identification de ressources de développement endogène. En outre, si l'agriculture présente de réelles singularités d'un territoire à l'autre en termes de diversité des productions ou de degré de structuration des secteurs , elle remplit encore quasiment partout une fonction vivrière importante dans un cadre familial ou coutumier. Les chiffres évaluant la part de l'agriculture dans la création de richesse ou la proportion de la population active employée doivent donc être sérieusement relativisés : leur modestie est inversement proportionnelle au rôle joué par l'activité agricole pour maintenir une répartition démographique équilibrée sur les territoires et garantir des moyens de subsistance complétant des revenus familiaux souvent faibles. Si, du jardin créole ou mahorais aux « abattis brûlis » de Guyane en passant par les terres coutumières de Wallis-et-Futuna, l' autoconsommation reste une réalité très prégnante dans les outre-mer, les productions correspondantes échappent aux exigences normatives d'une exploitation professionnelle qui, généralement bien que dans des proportions variables, fonde le socle économique.

Parfois dotées d'une « colonne vertébrale » constituée par de grandes cultures , comme la banane ou la canne à sucre en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion, ou comme le coprah en Polynésie française, les agricultures ultramarines misent de plus en plus sur la diversification bien que l'émergence de nouvelles filières ne rencontre pas toujours le succès escompté.

Il faut dire que les productions agricoles ultramarines, soumises à des pressions multiples et notamment climatiques , sont également confrontées à une vive concurrence des pays de leur environnement, à l'exportation mais aussi directement sur les marchés locaux. Si les différentiels de compétitivité trouvent essentiellement leur origine dans le coût du travail, le cadre réglementaire sanitaire et phytosanitaire contribue substantiellement à les creuser. Dans des climats majoritairement chauds et humides où les agressions de ravageurs et de germes pathogènes sont démultipliées, la disponibilité de traitements adaptés est souvent une simple question de survie. Or, le spectre des substances actives et des produits phytopharmaceutiques , autorisés pour un usage agricole sur le territoire européen incluant les régions ultrapériphériques (RUP), de même que les conditions d'utilisation admises, n'intègrent pas les spécificités des latitudes tropicales et équatoriales . Les outre-mer peinent à investir le cadre normatif pour que celui-ci réponde à leurs contraintes propres : les procédures d'homologation longues et coûteuses brident les évolutions qui leur seraient favorables.

Par ailleurs, en aval du processus normatif, les dispositifs de contrôle ne sont pas davantage protecteurs : ainsi, à titre d'exemple, ils tolèrent dans des marchandises importées de pays tiers des traces de substances interdites sur son sol par l'Union européenne ; par ailleurs, les mécanismes de vérification aux frontières sont lacunaires et exposent le consommateur ultramarin et la biodiversité des territoires aux risques inhérents aux entrées illicites. Seuls des outre-mer disposant de la maîtrise normative, comme la Nouvelle-Calédonie, paraissent bénéficier d'un corpus normatif et de systèmes de contrôle adaptés à leurs besoins de développement des activités agricoles.

Dans un contexte d'exacerbation de la concurrence du fait notamment de la politique commerciale européenne et de la disparition de certains dispositifs de protection tels que les quotas sucriers en 2017, les autorités nationales compétentes, en particulier le ministère de l'agriculture et l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), doivent accélérer leur prise de conscience de la nécessité d'une meilleure prise en compte normative des spécificités ultramarines , à faire partager aux instances européennes, et d'un allègement des procédures. En parallèle, les autorités locales et les professionnels doivent se mobiliser pour définir des stratégies conquérantes misant sur la qualité et la promotion des performances environnementales. C'est au prix de ces efforts conjugués que les filières agricoles ultramarines pourront être sauvegardées et valorisées. Le présent rapport porte cette ambition par le biais de 20 propositions concrètes relayant les préoccupations exprimées par les acteurs locaux.

I. UNE AGRICULTURE ULTRAMARINE VICTIME DE SES SINGULARITÉS ET DE LA COMPLEXITÉ NORMATIVE DANS LE DOMAINE SANITAIRE ET PHYTOSANITAIRE

A. DE FORTES SINGULARITÉS TERRITORIALES QUI CONSTITUENT AUTANT DE FREINS

1. Des spécificités géographiques et climatiques

Les agricultures des outre-mer se distinguent nettement des productions hexagonales en termes de variétés cultivées, de risques sanitaires et de ressources pour faire face aux crises. Hormis Saint-Pierre-et-Miquelon , toutes les collectivités ultramarines connaissent un climat chaud et humide, tropical ou équatorial, qui se traduit par des températures moyennes plus élevées, des saisons moins marquées, l'absence de période de gel, des précipitations plus importantes qu'en milieu tempéré. Ces facteurs jouent non seulement sur la nature des espèces exploitables, mais aussi sur les modes de culture, parce qu'ils entretiennent la forte pression des ravageurs, des parasites, des maladies, des champignons et des plantes adventices qui se multiplient à des rythmes inconnus en Europe.

Les productions agricoles ultramarines sont, en outre, particulièrement sensibles aux effets du changement climatique qui se traduit sous les latitudes tropicales par un allongement et une intensification des périodes de sécheresse, par une salinisation des nappes phréatiques et la multiplication des épisodes violents (cyclones, tempêtes, submersions). En général, la gestion de la ressource en eau devient cruciale. Les cultures de la banane, de la canne et des agrumes en particulier sont fragilisées par ces évolutions.

La conformation des territoires est souvent difficile en raison de massifs montagneux comme sur la Basse Terre en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie ou de zones très vallonnées comme à Mayotte, sur lesquelles une exploitation agricole est rendue plus difficile. Dans des collectivités exiguës au foncier rare, à l'exception de la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie , la pression sur les surfaces agricoles est accentuée par l'urbanisation et les conflits d'usage.

Les sols des outre-mer présentent également des caractéristiques particulières. Ceux de La Réunion et de la Nouvelle-Calédonie présentent ainsi des concentrations en nickel et en chrome élevées, qui peuvent se retrouver dans certains végétaux. Les sols de Guyane sont, eux, souvent très pauvres en humus et les concessions d'exploitation nécessitent de très importants travaux de défrichement.

En Guadeloupe et en Martinique , il faut également compter avec la pollution rémanente des sols par le chlordécone . Entre 1972 et 1993, ce polluant organique persistant a été épandu sur les bananeraies antillaises. Sa permanence multiséculaire pose des problèmes sanitaires, agronomiques et environnementaux de grande ampleur. Le Sénat s'était penché sur cette question dès la mise en place du premier plan d'action chlordécone en 2008. 1 ( * ) La pollution au chlordécone est localisée essentiellement dans le sud de la Basse Terre et concerne environ 6 500 hectares (ha) en Guadeloupe. Elle est plus diffuse sur le territoire martiniquais, où elle touche environ 14 500 hectares, les surfaces les plus contaminées étant situées dans le nord-est de l'île.

Les plans chlordécone

Le chlordécone est une molécule chimique qui a été utilisée pour lutter contre le charançon dans les plantations de bananiers. L'introduction sur le marché de cette molécule date de 1972 et son interdiction définitive de 1993. La pollution au chlordécone, par son ampleur et sa persistance dans le temps, constitue un enjeu sanitaire, environnemental, agricole, économique et social important en Martinique et en Guadeloupe.

Avant même la mise en place du premier plan interministériel d'action contre la pollution par le chlordécone, des mesures locales avaient été prises pour limiter l'exposition des populations par les eaux d'alimentation (2000) et les produits alimentaires (2003). Deux premiers plans d'action (2008-2010 et 2011-2013), d'un montant dégagé par l'État d'environ 64 millions d'euros, ont facilité la mobilisation des services de l'État et de différents opérateurs (organismes de recherche, laboratoires d'analyse, chambre d'agriculture et organisations agricoles, comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins, agences régionales de santé, ...) au niveau national et régional.

Ces deux plans ont permis des acquis importants en termes de :

- connaissance de la contamination des milieux naturels (caractéristiques de la molécule, caractérisation de la pollution et de son évolution, transferts de la molécule dans les écosystèmes naturels) et de la population (effets sur la santé humaine, études épidémiologiques) ;

- surveillance des eaux de surface, souterraines et marines ;

- contrôle des denrées alimentaires commercialisées ;

- développement de moyens d'analyse en laboratoire ;

- sensibilisation de la population à travers des actions de communication et à travers le programme Jardins familiaux (JAFA).

Ces plans ont également inclus des volets de soutien aux pêcheurs, impactés par les zones d'interdiction de pêche, et aux agriculteurs à travers un programme de diagnostic d'exploitations et le développement d'outils d'aide à la décision. Le volet financier est resté toutefois limité, en l'absence de politique d'indemnisation.

Le bilan des deux premiers plans a conduit à s'orienter vers l'élaboration d'un troisième plan (2014-2020) validé pour un montant global de plus de 30 millions d'euros sur le premier triennal (2014-2016). La surveillance des denrées, la protection des auto-consommateurs, l'enquête sur les habitudes alimentaires, les études épidémiologiques, les recherches sur le volet sanitaire dont la cartographie de la pollution des sols et du littoral sont maintenues.

Dans ce cadre, la DAAF Martinique réalise par exemple chaque année plus de 1 500 analyses de contrôle et de surveillance des denrées alimentaires. Leurs résultats font valoir des produits végétaux globalement indemnes de chlordécone avec 0 % de non-conformité. La situation des produits animaux est moins satisfaisante. Si seulement 6 % des animaux terrestres et 8 % des produits de la pêche sont non conformes, on constate que 50 % de ces produits peuvent être contaminés tout en restant sous la limite maximale de résidus (LMR). La situation est particulièrement sensible dans certains lieux de vente exposés ou lorsque les produits sont particulièrement sujets à concentrer les résidus (oeufs, légumes racine).

Source : Anses

La situation géographique des outre-mer les placent tous à grande distance de l'Europe continentale , qui constitue fréquemment leur principal client et leur principal fournisseur . Les problèmes posés au secteur agricole par l'insularité et l'éloignement sont nombreux.

Le renchérissement de l'ensemble des intrants (fertilisants, semences, produits vétérinaires et phytosanitaires) est patent. Pour des raisons de capacités de stockage et de trésorerie, les fournisseurs et importateurs ultramarins ne peuvent faire que des stocks limités de produits phytosanitaires. En cas d'urgence, l'acheminement des produits par avion en express devient rapidement nécessaire pour pouvoir traiter et ne pas perdre la récolte, ce qui induit des surcoûts importants.

En outre, les outre-mer souffrent d'un déficit de capacités techniques d'analyse et de diagnostic en particulier pour identifier les pathologies dont souffrent les cultures. En cas d'attaques de bioagresseurs, les échantillons doivent être envoyés aux laboratoires de l'Hexagone, ce qui rallonge le délai de réponse. Si le producteur doit trop attendre, il risque de perdre sa production mais s'il n'attend pas le bon diagnostic et traite immédiatement, il risque une application mal ciblée de produits phytopharmaceutiques qui entraînera aussi la perte de sa production.

Par ailleurs, les installations de recyclage des déchets agricoles et d'emballages vides de produits phytopharmaceutiques font cruellement défaut. Même si la chambre d'agriculture de Guadeloupe par exemple travaille sur ce dossier depuis plusieurs années pour mettre en place un éco-organisme de gestion des déchets, la seule solution pour l'instant est la mise en décharge ou l'expédition dans l'Hexagone.

2. Des spécificités de structuration économique

D'après les données fournies par le ministère de l'agriculture à vos rapporteurs, 2 ( * ) les départements d'outre-mer (DOM) recensent quelque 43 000 exploitations qui couvrent globalement 130 000 ha environ, soit une superficie moyenne de 3,3 ha par exploitation. Depuis 1988, la tendance est à la baisse, avec une perte de 53 % du nombre d'exploitations. La surface agricole utile (SAU) diminue de 20 %, ce qui traduit une concentration des exploitations. L'agriculture représente environ 1,7 % du produit intérieur brut des DOM pour une valeur ajoutée évaluée à 735 millions d'euros. Une partie seulement des agriculteurs ultramarins l'est à titre professionnel. L'emploi agricole représente 47 000 emplois annuels à plein temps dont 32 000 actifs familiaux et 8 000 salariés permanents. La tendance est à la baisse.

Ces agrégats cachent de grandes disparités entre cultures et entre territoires. Pour analyser la situation économique des secteurs agricoles ultramarins, il convient de distinguer entre : les grandes cultures d'exportation que sont la banane et la canne à sucre , très bien organisées et structurantes en termes d'aménagement du territoire, de production de valeur et d'emploi, d'une part ; les filières de diversification végétale et animale , dont les marchés sont locaux, les volumes restreints et les interprofessions assez peu structurées, d'autre part. Il y a peu en commun entre de grandes plantations de canne à sucre à La Réunion ou de banane aux Antilles et les petites exploitations de quelques ares à vocation vivrière que l'on trouve fréquemment à Mayotte et en Guyane. Le cas de la Guyane est très singulier car l'agriculture y est en fort développement, tout en restant en-deçà des potentialités du territoire. On y constate une augmentation de 23 % de la SAU, 33 % du nombre d'exploitations et de 44 % de l'emploi agricole depuis 1988.

Si les grandes productions d'exportation, la banane, le sucre et le rhum sont des moteurs essentiels des économies agricoles ultramarines , force est de constater un accroissement significatif du taux de couverture des productions de diversification végétale et animales destinées au marché local.

Source : ministère de l'agriculture

La production de bananes , essentiellement concentrée en Guadeloupe et en Martinique, représente environ 230 000 à 240 000 tonnes par an. Elle est destinée au marché européen où elle représente environ 5 % de l'approvisionnement brut de l'Union européenne. La part de marché reste constante, mais la concurrence des bananes « dollar » d'Amérique latine (Colombie, Équateur, Pérou, République Dominicaine), déjà forte, devrait encore s'accroître avec la conclusion d'accords de libre-échange programmant la réduction, voire la disparition des quotas et des tarifs.

La question des débouchés ne se pose toutefois pas d'abord en termes de volumes écoulés, mais plutôt en valorisation du prix unitaire. Le prix moyen payé au producteur est de l'ordre de 0,45 euro/kg, la banane se négocie avec la grande distribution autour de 0,65 euro/kg et le prix pour le consommateur final est de 1 euro/kg. Comme la consommation ne progresse que très légèrement en France, les producteurs réunis au sein de l'UGPBAN sont à la recherche d'une meilleure valorisation unitaire pour accroître leurs marges.

La filière sucrière , qui existe en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion produit de l'ordre de 275 000 tonnes de sucre par an. En particulier, elle exporte chaque année environ 100 000 tonnes de sucres roux spéciaux, non destinés au raffinage et à plus forte valeur ajoutée. La Réunion couvre à elle seule 40 % du marché européen des sucres spéciaux , un marché aujourd'hui mâture de 250 000 tonnes. Le reste de la production est destiné au raffinage et se trouve en concurrence directe sur le marché mondial avec les 18 millions de tonnes de sucre de betterave produites en Europe chaque année. Dans l'Hexagone, les exploitations de betteraves à sucre ont 20 à 30 fois la taille d'une plantation cannière des DOM, ce qui leur permet de réaliser des économies d'échelle massives à tous les segments de la chaîne de production et de transformation.

À La Réunion, en 2013, le besoin de financement de la production d'une tonne de canne était estimé à 81 euros se décomposant en 39 euros payés par l'industriel (dont 22 euros issus du POSEI), 6 euros de primes diverses, 11 euros de valorisation par la bagasse et 25 euros d'aides à la production et d'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN).

La réforme de l'organisation commune de marché (OCM) du sucre au niveau européen entraînera en 2017 la fin des quotas sucriers qui protégeaient l'écoulement des productions ultramarines. La compétitivité de la filière canne devient un enjeu crucial, alors qu'elle supporte des coûts structurellement plus élevés que ses concurrents directs comme le Swaziland, le Mozambique, Maurice, le Guyana ou le Vietnam. Les risques s'accroissent même sur la niche des sucres spéciaux avec les accords commerciaux que l'Union européenne projette de conclure avec les plus gros producteurs mondiaux, notamment avec le Brésil, l'Inde et l'Australie.

La filière du rhum produit actuellement de l'ordre de 260 000 hectolitres d'alcool pur (HAP) par an. Cette production est stable. La part du rhum agricole est d'environ 40 %. Elle bénéficie d'un régime fiscal spécifique reconduit par l'Union européenne jusqu'en 2020 pour un contingent de 120 000 HAP pour le marché français. Elle subit néanmoins la concurrence des pays tiers sur un marché hexagonal de 150 000 HAP en expansion. De même, sur le marché communautaire qui a augmenté de 200 % en 20 ans pour atteindre 760 000 HAP, la part des rhums des DOM est passée de 51 % en 1986 à 24 % en 2014 pour un volume exporté de 179 755 HAP. Les principales origines concurrentes sur le marché européen sont les États-Unis, Cuba, Trinité-et-Tobago, la République Dominicaine, le Brésil et le Vénézuela.

Par ailleurs, le développement des filières d'élevage en outre-mer est contraint par un certain nombre de handicaps naturels. Il faut citer les incidences négatives du climat tropical sur les rendements des animaux, l'existence de pathologies particulières notamment parasitaires, le prix des produits vétérinaires importés de l'Hexagone, la forte dépendance aux intrants, en particulier pour l'approvisionnement en céréales, aucun DOM n'en produisant. Pour tenir compte de l'insularité et des coûts de fret élevés vers ces territoires, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) subventionne les coûts de transport des céréales ou des reproducteurs importés via des aides spécifiques « Régime Spécifique d'Approvisionnement » et « Importation d'Animaux Vivants »

Les filières de diversification végétale couvrent les fruits et légumes, l'horticulture et les plantes à parfum et médicinales (PAPAM). Elles sont particulièrement fragiles face aux aléas naturels. En outre, les exploitations sont très hétérogènes, en taille comme en moyens disponibles. Elles sont fréquemment enclavées, reliées par des pistes difficilement praticables et sans accès commode à l'eau et à l'électricité. Les marchés accessibles sont restreints, ce qui entretient la fragilité des exploitations et des entreprises de valorisation des produits locaux.

B. UNE PROCÉDURE ET UN SPECTRE NORMATIFS QUI MARGINALISENT LES OUTRE-MER DÉPOURVUS DE LA MAÎTRISE

1. Les RUP : une dépendance normative qui creuse les différentiels de compétitivité sans contrepartie suffisante
a) Une réglementation européenne stricte qui pénalise des producteurs ultramarins laissés dans l'angle mort
(1) L'articulation des responsabilités entre les niveaux européen et national

Les normes applicables à l'agriculture des régions ultrapériphériques (RUP) françaises en matière sanitaire et phytosanitaire trouvent leurs origines pour l'essentiel dans des règlements européens qui, à la différence des directives, ne nécessitent pas de transposition. L'application directe des règlements européens laisse moins de marge de manoeuvre aux États membres en aval. C'est donc plus en amont, dès les consultations pour l'élaboration des normes que la France doit intervenir pour faire prendre en compte par la réglementation européenne les spécificités des outre-mer.

Toutefois, le cadre actuel pour l'emploi agricole de pesticides qui découle du règlement ( CE) n° 1107/2009 abrogeant la directive précédente de 1991 ménage un rôle important aux autorités nationales . Celles-ci exercent des responsabilités essentielles dans l'évaluation des risques, les autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, l'octroi de dérogations, le contrôle et l'information du public .

Il convient de distinguer deux étapes dans l'homologation d'un pesticide, d'abord l'approbation de la substance active au niveau de l'Union européenne , puis l'autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique qui comprend la substance active approuvée au niveau des États membres .

L'approbation européenne de la substance active ne laisse pas hors-jeu les instances nationales. La décision d'approbation relève des pouvoirs exécutifs de la Commission européenne mais elle nécessite un vote des États membres regroupés au sein du Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale. Elle est préparée par la direction générale de la santé qui s'appuie sur l'avis scientifique de l'Agence européenne de sécurité des aliments ( EFSA ), créée en 2002. Cependant, cette dernière s'appuie à son tour sur les travaux des autorités compétentes au niveau national, l' Anses dans le cas de la France.

Globalement, la procédure d'évaluation d'une substance active débute par le dépôt par la société phytosanitaire pétitionnaire d'un dossier de demande d'autorisation auprès de l'autorité compétente d'un État membre, qui est alors désigné comme État membre rapporteur . Dans le cas où la France est désignée comme État membre rapporteur, lorsque le dossier est déclaré recevable, l'Anses dispose d'un délai d'un an pour évaluer le dossier et rendre à l'EFSA un projet de rapport d'évaluation . L'EFSA assure la diffusion de ce projet auprès des agences compétentes des autres États membres. L'EFSA et les autres États membres disposent alors d'un délai de deux mois pour commenter l'évaluation rédigée par l'Anses. Passé ce délai, l'EFSA renvoie tous les commentaires à l'Anses qui les consolide dans un tableau formaté et les transmet à la société phytosanitaire pétitionnaire en l'invitant à répondre aux différentes observations. Une fois renseigné par le demandeur et annoté par l'Anses, le tableau est retourné à l'EFSA qui a la responsabilité de valider ou d'invalider les réponses apportées. Autant que de besoin, l'EFSA peut réunir des experts mandatés par les agences de l'ensemble des États membres pour discuter certains points particuliers.

À l'issue de cette procédure de revue par les pairs, où les différentes agences nationales débattent et évaluent mutuellement leurs conclusions sous la supervision de l'agence européenne , il revient à l' EFSA de rédiger des conclusions . Ce document sert de fondement scientifique à la prise de décision d'approbation ou de non approbation de la substance active . L'EFSA porte la charge de l'évaluation globale du risque mais n'a pas de contact avec la société pétitionnaire et ne réalise elle-même aucune analyse. Elle joue plutôt un rôle d'arbitre, de garantie et d'harmonisation pour trouver le point d'équilibre entre les agences des États membres.

Au niveau européen, l'évaluation de la substance active se limite à une ou plusieurs « utilisations représentatives » 3 ( * ) . La notion de représentativité n'est pas clairement définie dans la règlementation et ne renvoie qu'à la notion vague de culture répandue. En pratique, le choix est laissé à l'initiative de la société pétitionnaire. Comme l'a reconnu l'EFSA lors de son audition du 26 mai 2016, certaines évaluations sont parfois conduites a minima au niveau européen, l'utilisation représentative étant choisie par le demandeur de façon à minimiser l'impact de l'usage de la substance active, tant au niveau de l'environnement que des écosystèmes.

Un produit phytopharmaceutique contenant une substance approuvée par l'Union européenne doit ensuite faire l'objet d'une deuxième procédure pour autoriser sa mise sur le marché . Cette procédure relève de la compétence des autorités nationales . Il faut toutefois distinguer l'évaluation du produit et la décision d'autorisation. Pour l'évaluation du produit , l'Union européenne est divisée en trois zones Nord, Centre et Sud 4 ( * ) . La France appartient à la zone Sud. Les RUP françaises ne forment pas une zone à part et sont considérées comme faisant partie de la zone Sud en tant que parties intégrantes de la France. 5 ( * ) Lorsque la France est désignée comme rapporteur du produit, l'Anses réalise une évaluation pour l'ensemble de la zone Sud. Les décisions d'autorisation de mise sur le marché ( AMM ) sont en revanche prises pays par pays , la décision de la France n'engage pas les autres pays et réciproquement.

Il n'existe donc pas en principe de libre circulation des produits phytopharmaceutiques dans l'Union européenne. Il existe une base de données des substances approuvées et non approuvées au niveau européen accessibles à tous et une base de données des produits phytosanitaires autorisés dans chacun des pays de l'Union est en cours de développement. Au-delà du cadre commun établi par la liste des substances actives approuvées et les procédures, l'harmonisation complète et la reconnaissance de l'équivalence des AMM entre États membres de l'Union demeurent en chantier .

Cette relative disparité peut causer des distorsions de concurrence entre États européens et même entre RUP, puisque l'Espagne ( Canaries) et le Portugal (Madère, Açores) peuvent faire des choix phytopharmaceutiques différents de ceux de la France. Les conséquences pour les RUP françaises demeurent limitées car leurs agricultures n'entrent pas globalement en concurrence frontale avec les productions des Canaries, des Açores et de Madère, en particulier pour des raisons de différences climatiques. Par exemple, la banane des Canaries est d'une variété très particulière essentiellement consommée sur le marché intérieur espagnol et ne s'écoule pas sur les marchés clients des producteurs martiniquais et guadeloupéens.

Depuis le 2 juillet 2015 , c'est l' Anses et non plus le ministre de l'agriculture qui a compétence pour délivrer ou retirer les AMM en France .

La répartition des compétences en matière de normes et de procédures phytosanitaires entre l'Anses et le ministre de l'agriculture

Il appartient à l' Anses de :

- recevoir, instruire et évaluer sur le plan scientifique et technique, dans le cadre des dispositions règlementaires nationales et européennes, les demandes d'AMM des préparations phytosanitaires (produits chimiques et micro-organismes), des macro-organismes utiles aux végétaux, des produits biocides, des matières fertilisantes et des supports de culture ;

- délivrer ou retirer les AMM pour les produits phytopharmaceutiques depuis le 2 juillet 2015 et les permis pour les matières fertilisantes et les supports de culture depuis 1 er août 2015, ainsi que pour leurs adjuvants.

- réaliser des inspections sur la production, la formulation, l'emballage et l'étiquetage des produits phytopharmaceutiques.

Il appartient au ministre de l'agriculture de :

- représenter la France au niveau européen pour l'approbation des substances actives ;

- donner suite aux avis de l'Anses relatifs aux macro-organismes ;

- délivrer des dérogations pour l'utilisation en urgence de produits phytopharmaceutiques pour une période de 120 jours, au titre de l'article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 ;

- apprécier le caractère d'intérêt public d'une demande d'autorisation de produits phytopharmaceutiques pour usage mineur, au titre de l'article 51 du règlement (CE) n° 1107/2009.

Le ministre peut également s'opposer à une décision de l'Anses, ce qui en provoque la suspension et le réexamen au bout d'une période maximale de 230 jours.

Les autorités françaises - agence pour l'évaluation du risque et ministère pour la gestion du risque - sont donc au coeur des procédures européennes, même si leur action est contrainte par la stricte réglementation européenne. La constitution du dossier d'autorisation et les procédures d'évaluation sont en particulier strictement encadrées par le règlement (UE) 283/2013, listant l'ensemble des études à fournir pour faire approuver une substance active et par une notice 2013/C 95/01 décrivant les lignes directrices à suivre pour la réalisation des études réclamées. Le règlement (UE) 284/2013 et la notice 2013/C 95/02 déclinent les mêmes principes pour l'AMM d'un produit phytopharmaceutique.

L'architecture qui résulte de l' imbrication des interventions successives des organes européens et nationaux est complexe, mais l'échelon national demeure pertinent pour soutenir et faciliter l'adaptation des normes et des procédures phytosanitaires aux singularités des agricultures des outre-mer, soit directement par l'exercice des compétences dévolues à l'Anses et au ministre de l'agriculture, soit indirectement en portant une demande d'évolution de la politique de l'Union européenne auprès de la Commission et des autres institutions. Ce besoin d'acclimatation se fait d'autant plus ressentir en la matière que les normes et les procédures sont les mêmes en Europe continentale et dans les RUP, sans que soient prévus de dispositifs spécifiques à leur intention .

Cela s'explique par le souci de garantir la même sécurité alimentaire à tous les consommateurs européens, qu'ils résident outre-mer ou non . Si cet objectif doit rester un principe cardinal exclusif de tout infléchissement, ignorer les contraintes spécifiques des RUP françaises est précisément générateur de risque : aussi faut-il faire évoluer les politiques européennes et nationales.

En premier lieu, l'élaboration du contenu des normes et la construction des procédures ne tiennent pas compte des caractéristiques de l'agriculture en contexte tropical si bien que l'application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées sans forte pression de maladies et de ravageurs conduit à des impasses. En second lieu, les caractéristiques économiques des RUP, en particulier la faible structuration des filières de diversification et la faible taille de leur marché pour les firmes phytopharmaceutiques, les empêchent de mener à leur terme les procédures d'homologation, même pour des substances et des produits qui ne posent pas de problème sanitaire.

(2) Des cultures tropicales pénalisées par un cadre rigide et inadapté

Les filières agricoles des outre-mer souffrent dans leur globalité d'être enfermées dans une impasse phytosanitaire due à la prégnance des usages orphelins, à la fragilité de la couverture phytopharmaceutique, à l'absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs, à une réglementation des conditions d'utilisation des produits inadaptée à une utilisation en climat tropical, à des dérogations difficiles à mettre en oeuvre et à des interprétations françaises particulièrement rigoureuses des normes européennes.

De nombreuses filières agricoles ultramarines sont caractérisées par un faible choix ou par l'absence de produits phytopharmaceutiques homologués et adaptés aux contextes des cultures tropicales outre-mer. Selon le ministère de l'agriculture, seuls 29 % des usages phytosanitaires 6 ( * ) sur cultures tropicales étaient couverts en 2013 , ce qui reste très insuffisant pour garantir la sécurité des récoltes des producteurs et relancer certaines filières. La moyenne nationale qui a récemment baissé avec le tournant de l'agroécologie est d' environ 80 % de couverture.

La lourdeur du cadre réglementaire entraîne l'existence d'usages orphelins. En effet, la démarche d'homologation d'un produit phytopharmaceutique dépend de l'initiative des firmes productrices . Étant donné le coût et la complexité des procédures , ces sociétés décident de l'opportunité de demander une AMM en fonction de leurs espérances de chiffres d'affaires et de bénéfices. Or, les cultures tropicales des RUP françaises constituent des marchés modestes en comparaison aussi bien des grandes cultures d'Europe continentale que des mêmes cultures dans les pays tiers concurrents comme le Brésil par exemple. Le problème réside moins dans l'inexistence ou le faible développement de solutions phytopharmaceutiques pour des usages tropicaux que dans l' indisponibilité des produits dans les RUP dès lors que les firmes ne souhaitent pas s'engager dans les procédures européennes et françaises.

L'étroitesse des marchés ultramarins n'incite pas les opérateurs à engager les démarches nécessaires à l'homologation de produits au niveau national ou de substances actives au niveau européen . De fait, les opérateurs ne s'intéressent pas, ou très peu, aux outre-mer. Cette étroitesse des marchés est exacerbée dans le cas des cultures de diversification dont les filières sont particulièrement peu organisées et les surfaces cultivées très réduites.

Analyse des usages par culture

Source : document IT2 - Préparation du bilan d'étape des actions relatives à la protection des cultures tropicales

L'exemple de l'ananas est certainement le plus évocateur depuis le développement d'un champignon, le phytophthora, qui fait fortement chuter les rendements, dans une des variétés les plus recherchées par le consommateur. Des traitements fongicides réguliers pendant la période de production, tels qu'ils sont pratiqués dans des pays tiers, sont efficaces, mais ils ne sont pas autorisés en France. Par ailleurs, cette culture est victime d'autres usages orphelins et les producteurs ne peuvent que difficilement contenir d'autres bioagresseurs tels que fourmis et cochenilles. C'est pourquoi on note un net recul de cette culture aux Antilles, au profit d'importations.

Les racines et tubercules vivrières souffrent également de l'indisponibilité des solutions chimiques de désherbage qui permettraient aux producteurs de diminuer le poste de dépenses en main d'oeuvre.

Une culture plus importante en termes de volume produits et de valeur des échanges comme la banane bénéficie d'un taux de couverture plus favorable de 60 % et la plupart de leurs usages prioritaires couverts. Toutefois, même dans ces cas plus favorables, la couverture est insuffisante et peut laisser craindre des risques de résistance à force de n'utiliser qu'une gamme très réduite de produits .

Même pour des usages sur le bananier ou la canne à sucre, la complexité de la procédure d'AMM dissuade les firmes phytosanitaires de déposer une demande. Pour minimiser leurs coûts, elles ne se lancent dans l'homologation auprès de l'Anses d'un produit phytopharmaceutique sur cultures tropicales utilisable dans les DOM qu'à une double condition :

- le produit est déjà autorisé sur une autre culture en France ;

- le produit est déjà développé et utilisé sur la même culture tropicale ailleurs dans le monde 7 ( * ) .

La première condition permet d'utiliser l'article 51 du règlement ( CE) 1107/2009 pour solliciter une extension d'autorisation d'un produit disposant déjà d'une AMM en France pour certains usages vers des utilisations mineures sur d'autres cultures. Même la banane et la canne au vu des surfaces cultivées dans les DOM peuvent bénéficier d'un usage secondaire et de faible ampleur d'un produit utilisé sur une culture représentative très répandue dans l'Hexagone. Par exemple, les firmes homologuent des produits sur différentes céréales comme le maïs et le blé et demandent ensuite des extensions d'homologation sur la canne à sucre.

La seconde condition permet de disposer immédiatement d'un corpus de données techniques et scientifiques nécessaires pour monter un dossier d'autorisation. Cependant, certains essais et tests doivent encore être réalisés pour satisfaire les exigences de l'Anses.

Ces procédures d'extension pour usage mineur constituent moins des dérogations souples et fluides pour accélérer le traitement des dossiers que des voies obligées et indispensables sans lesquelles les usages orphelins se multiplieraient au détriment des agricultures ultramarines. Elles constituent donc de vraies nécessités sans lesquelles la réglementation européenne et nationale se révèlerait totalement paralysante . C'est le cas pour la banane comme pour la canne et a fortiori pour les filières de diversification végétale, même s'il demeure plus difficile pour ces dernières de s'organiser pour soutenir une demande d'extension d'usage.

La maîtrise des dégâts provoqués par divers ravageurs ou maladies ne peut pas toujours passer par des solutions alternatives aux produits phytopharmaceutiques, souvent difficiles à mettre en oeuvre. De plus, les procédures d'homologation étant particulièrement longues et complexes, des solutions trouvées sur le terrain et à l'efficacité démontrée ne peuvent être appliquées à temps pour répondre aux besoins urgents des producteurs qui doivent faire face à des retraits de produits pour lesquels les procédures sont beaucoup plus rapides.

Il convient de distinguer la question de la rentabilité des filières et celle de leur existence même : certaines maladies ou ravageurs font de tels dégâts que le retrait ou le non-renouvellement de l'homologation d'un produit phytopharmaceutique efficace, par exemple contre la cercosporiose du bananier ou l'enherbement de la canne, risquerait d'entraîner l'effondrement de la filière.

En effet, la canne est une graminée qui souffre de la concurrence foisonnante des autres graminées de la zone tropicale. À La Réunion , environ 210 espèces de mauvaises herbes ont été recensées. Après un mois sans traitement herbicide, un champ perd en moyenne entre 300 kg et 500 kg de canne à l'hectare par jour, ce qui équivaut à une perte de 10 % du potentiel de production après 15 jours de retard.

C'est pourquoi les producteurs de canne des Antilles et de La Réunion sont particulièrement inquiets de l'évolution du dossier de l' asulox , un herbicide indispensable dont la substance active, l'asulam, s'est vue retiré son autorisation au niveau européen en 2011. La date de fin d'utilisation de l'asulox en France était fixée au 31 décembre 2012 . En cas d'urgence phytosanitaire, l'article 53 du règlement (CE) 1107/2009 permet au ministre de l'agriculture de délivrer des AMM temporaires d'une durée maximale de 120 jours . Étant donné l'impact économique majeur de la filière canne-sucre-rhum dans les DOM, l'asulox a bénéficié de plusieurs AMM dérogatoires uniquement à des fins de désherbage dans les champs de canne, encore dernièrement le 20 mai 2015 et le 3 février 2016. Parallèlement, un dossier de réapprobation de la substance active, l'asulam, a été déposé. Il a été jugé recevable par l'Union européenne et devait être examiné par le Royaume-Uni désigné comme État membre rapporteur, avant le référendum du 23 juin 2016.

Parfois, malheureusement, le ministre de l'agriculture oublie d'étendre correctement, c'est-à-dire par exemple en tenant compte des contraintes saisonnières, les AMM temporaires aux outre-mer, lorsque la même culture existe dans l'Hexagone. Le melon de Guadeloupe en fournit un exemple très récent. Le produit fongicide dénommé Switch à base de cyprodinyl et de fludioxonil bénéficie d'une homologation temporaire de 120 jours jusqu'au 30 août 2016. Le problème est que cette homologation est basée sur les périodes de production métropolitaines (Charente, Vaucluse) et ne couvre pas la période de production antillaise. Ce fongicide ne peut donc pas être utilisé en Guadeloupe, ce qui menace la production melonnière.

La méconnaissance des caractéristiques de la production agricole dans les RUP nuit considérablement à la lutte contre les ravageurs inconnus en Europe continentale. La fourmi manioc est ainsi présente à la Guadeloupe et en Guyane. Cet insecte constitue un problème majeur pour les agriculteurs, voire un frein au développement ou au maintien de certaines cultures. Les petits planteurs sont complètement démunis face à un ravageur qui peut défolier complètement une culture en l'espace de 24 heures : c'est le cas de la patate douce, de l'igname ou des agrumes par exemple. Or, actuellement, les produits disponibles contre la fourmi manioc sont classés comme biocides 8 ( * ) et ne peuvent donc être utilisés sur des cultures de plein champ. C'est une lacune dans la réglementation européenne et nationale qui n'a pas prévu d'usage agricole des moyens de lutte contre la fourmi manioc. Il appartient au ministère de l'agriculture de créer cet usage pour permettre à l'Anses d'autoriser une préparation phytopharmaceutique.

Si la fourmi manioc est un ravageur direct pour les cultures, d'autres espèces de fourmis sont sources de dégâts indirects qui nécessiteraient aussi des usages agricoles manquant à l'heure actuelle : on peut citer le cas des cultures d'ananas, où les fourmis contribuent à maintenir une forte population de cochenilles. Dans les champs de canne à sucre, les fourmis peuvent être des sources de nuisance importantes pour les ouvriers agricoles. À cet égard, le retrait de l'approbation au niveau européen du fipronil , une substance active présente dans des insecticides, est perçu avec inquiétude par les producteurs guadeloupéens auditionnés le 12 mai 2016.

La gestion du dossier du fipronil au niveau européen

Le fipronil a été évalué au niveau européen en 2005-2006, la France étant l'État membre rapporteur. Les usages représentatifs considérés ont été le traitement des semences de maïs et de tournesol. La substance active sera réévaluée dans le cadre du renouvellement des autorisations en 2017, la soumission du projet de rapport d'évaluation préparé par l'Autriche et les Pays-Bas étant prévue fin janvier 2017. L'usage de cette substance active pour la lutte contre la fourmi manioc n'a donc pas été pris en compte au niveau européen et par l'EFSA .

Si un usage agricole du fipronil contre la fourmi manioc était envisagé, il conviendrait de déposer un dossier d'autorisation auprès de l'autorité compétente de l'État membre, comme l'Anses en France. L'EFSA ne sera saisi sur ce dossier que dans la mesure où l'usage revendiqué nécessiterait une modification des LMR pour la culture concernée. Conformément au règlement (CE) 396/2005, cette évaluation se limiterait à une proposition de LMR et à l'évaluation du risque pour les consommateurs. L'impact sur l'environnement (transfert dans les eaux...), l'impact sur les écosystèmes (abeilles, faune aquatique...) ne seraient pas examinés par l'EFSA, ces points devant être pris en compte par l'État membre lors de l'examen du dossier d'autorisation du produit phytopharmaceutique. De même, l'exposition des consommateurs aux résidus de pesticides tenant compte de la spécificité des régimes alimentaires des populations des RUP ne serait pas prise en compte par l'EFSA.

En outre, l'EFSA n'a pas compétence pour l'évaluation de l'utilisation des substances actives dans le cadre d'un usage non-agricole (ex : usage domestique du fipronil pour lutter contre les fourmis...). Ce type d'utilisation relève de la réglementation biocides (règlement (EU) 528/2012) dont l'évaluation est assurée par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

Source : EFSA

Par ailleurs, les conditions d'utilisation des produits phytopharmaceutiques autorisés par l'Anses sont généralement adaptées à un usage en climat tempéré . Dans les DOM, les conditions météorologiques (vent, température, pluviométrie) sont nettement différentes et jouent sur la rémanence des matières actives. Elle est bien souvent inférieure à 8 ou 10 jours en raison d'une évaporation supérieure. Lorsque le nombre d'applications autorisées par saison, calculé dans les conditions « normales » de l'Hexagone est limité, les agriculteurs se retrouvent dans des impasses techniques. En effet, le nombre maximal d'applications est défini sur une période végétative plus courte que celle qui prévaut en contexte tropical alors qu'une réduction des doses couplée avec une augmentation de la fréquence de traitement permettrait d'adapter les conditions d'utilisation aux périodes végétatives plus longues que connaissent les DOM .

De nombreuses restrictions d'utilisation très contraignantes se sont empilées ces dernières années, que cela soit la réduction du nombre d'applications, l'extension des zones non traitées (ZNT) ou l'allongement des délais de traitement avant récolte. Ces restrictions sont en partie dues au manque de données disponibles pour évaluer les risques en milieu tropical , tant au niveau de la France que de l'Union européenne.

Compte tenu du faible nombre de substances autorisées, il semble donc que les productions de banane et de canne dans les RUP françaises soient à la merci du moindre retrait de produits phytosanitaires , et que les autres productions connaissent déjà une impasse phytosanitaire qui précipite leur déclin et grève toute possibilité de développement.

b) Des pays tiers favorisés à la production et à l'exportation
(1) Un différentiel normatif qui renforce la compétitivité des pays tiers

Les pays tiers bénéficient de différentiels de compétitivité considérables par rapport aux RUP, quelle que soit la filière agricole considérée, en raison d'un coût du travail très faible et d'une législation du travail souvent sommaire. D'après le ministère de l'agriculture, la main d'oeuvre représente 27 % des coûts de production des bananeraies françaises et le salaire d'un employé de bananeraie en Afrique (Côte d'Ivoire, Ghana, Cameroun) ou en Amérique latine (Costa Rica, Colombie, Équateur) est 15 fois moins élevé qu'en France. Pour la filière canne, la faible taille des exploitations qui restreint les économies d'échelle est un désavantage net, y compris par rapport aux exploitations betteravières de l'Hexagone. Par comparaison avec le Brésil, les coûts de production de sucre sont trois plus élevés dans les DOM.

L'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique (UGPBAN) a estimé à 150 euros par tonne de banane le surcoût global lié aux normes en incluant les normes sanitaires et environnementales, en matière de protection des salariés (tenues, équipements), de conditionnement et de recyclage des déchets. Les surcoûts liés aux normes phytosanitaires, calculés après déduction des surcoûts de main d'oeuvre, représentent 15 à 20 % du prix de vente.

L'importance des usages phytosanitaires non couverts dans les DOM amplifie les distorsions de concurrence avec les producteurs de cultures tropicales des pays tiers, qui peuvent avoir accès à des itinéraires techniques recourant à des traitements chimiques non disponibles pour les agriculteurs ultramarins. Les cultures des pays tiers concurrents des productions des RUP françaises sont favorisées par la conjonction d'une palette plus large de produits phytopharmaceutiques autorisés et d'une politique commerciale européenne favorable . En outre, lorsqu'il n'existe pas de traitement chimique autorisé pour certaines maladies, la contrainte normative renforce la contrainte salariale, puisque le recours à des traitements manuels comme l'effeuillage contre la cercosporiose revient beaucoup moins cher dans les pays tiers.

D'une part, les producteurs des RUP ne peuvent pas recourir à certains produits librement utilisés dans les pays concurrents voisins, mais pour lesquels aucune demande d'AMM n'a été déposée en France. D'autre part, des autorisations d'usage sont accordées dans les pays tiers pour des substances interdites dans l'Union européenne ou des produits non autorisés en France et les productions ainsi traitées sont exportées vers le marché européen .

Pour traiter la cercosporiose , les producteurs des Antilles ne peuvent utiliser que deux produits autorisés, issus d'un laboratoire suisse et homologués pour dix ans. Ils procèdent à environ 7 traitements par an . Par comparaison, les concurrents africains et sud-américains peuvent utiliser au moins 50 produits . Le Costa Rica procède à un traitement tous les cinq jours, soit 65 applications par an et l'Équateur à 40 traitements par an . En outre, les planteurs de Guadeloupe et de Martinique ne peuvent plus recourir à l'épandage aérien depuis son interdiction en réponse à des contestations locales, qui ne doivent rien à l'intervention de la réglementation européenne. Les traitements terrestres sont plus coûteux que l'épandage aérien autorisé dans tous les pays concurrents, qui ont d'ailleurs racheté le matériel des bananeraies françaises qu'ils utilisent au traitement de leur production bio, notamment en République dominicaine.

Plusieurs produits phytosanitaires ont été retirés d'Europe ou très sévèrement contraints et continuent à être utilisés ailleurs. Au Costa Rica et en Colombie, de nombreux producteurs de bananes destinées à l'exportation continuent d'appliquer trois ou quatre traitements nématicides par an en alternant des produits à base de terbufos, de cadusafos ou d'oxamyl , des nématicides 9 ( * ) qui sont interdits en France depuis plusieurs années. Les producteurs de canne mentionnent ainsi le recours à l'atrazine , qui n'est pas autorisée dans l'Union européenne. Ils invoquent également le cas du diuron , qui est autorisé mais en fixant des limites maximales de résidus à la limite de détection, ce qui implique qu'aucune trace ne doit être retrouvée dans le sucre issu de la canne traitée. Ces produits peu onéreux sont également à large spectre , ce qui est particulièrement avantageux dans la compétition internationale féroce sur le marché du sucre de canne, qui s'accroîtra encore en 2017 avec la fin des quotas sucriers de l'Union européenne. De fait, les planteurs guadeloupéens, martiniquais et réunionnais ne traitent pas leur canne avec ces substances à la différence de leurs concurrents du Brésil, de l'Australie ou de l'Afrique du Sud, grands producteurs de sucre avec lesquels l'Union européenne ouvre des négociations commerciales.

D'autres produits, utilisables sans contrainte dans les pays tiers , sont autorisés en France mais sont soumis à des restrictions d'utilisation importantes. C'est le cas par exemple du diquat , un herbicide restreint à une seule application par an et uniquement la première année de plantation, ou du glufosinate autorisé pour deux applications par an alors qu'il est utilisé à 6 ou 7 applications par an ailleurs. Ces restrictions touchent aussi des produits à plus faible risque compatibles avec l'agriculture biologique : le nombre d'applications autorisées d'huile minérale paraffinique, le banole , sur la banane est très restreint aux Antilles, alors que cette huile est utilisée quasi systématiquement dans les pays tiers.

L'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires dit « accord SPS » a été négocié dans le cadre du cycle de l'Uruguay du GATT. Il est entré en vigueur le 1 er janvier 1995 au moment de la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il prévoit que les membres de l'OMC doivent établir leurs mesures sanitaires et phytosanitaires sur la base des normes et recommandations internationales fixées dans le Codex Alimentarius créé par la FAO et l'OMS, dans la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) et par l' Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Toutefois, dans le domaine sanitaire et phytosanitaire, les règles européennes sont plus strictes que les normes et recommandations internationales, en particulier lorsque les conclusions de l'analyse de risque effectuée par l'Union européenne diffèrent de celles des organismes internationaux. Malgré le travail de rapprochement des normes alimentaires entrepris au sein du Codex alimentarius , de nombreuses différences persistent donc au niveau international en matière de « bonnes pratiques agricoles » (GAP). Ainsi les limites maximales de résidus (LMR) proposées par les États-Unis ou le Canada sont souvent plus élevées que les valeurs européennes . Elles reposent sur des doses d'application plus élevées. Surtout la réglementation nord-américaine permet le même jour d'appliquer une substance active, puis de récolter.

Les filières ultramarines , notamment celles qui sont exportatrices et fortement structurées comme la canne et la banane, ne demandent pas le démantèlement de protections sanitaires française et européenne, même si un allègement des procédures serait bienvenu. Dès lors que la pérennité des cultures est assurée par la garantie d'une couverture phytosanitaire de base , elles sont prêtes à poursuivre les démarches inspirées par l'agroécologie qu'elles ont engagées et désirent plutôt valoriser leurs efforts et leur mieux-disant environnemental auprès du consommateur .

Depuis le scandale du chlordécone, avec le plan « banane durable » de 2009, les planteurs ont entrepris une diminution volontariste de l'utilisation des produits phytosanitaires chimiques . Entre 2006 et 2013, l'emploi des pesticides sur la banane a ainsi diminué de 50 %, grâce au développement de techniques alternatives . Lors de son audition du 17 mars 2016, Mme Olivia Meiffren, consultante du cabinet Blezat Consulting mandaté par les ministères de l'agriculture et de l'outre-mer fin 2013 pour évaluer le plan banane durable sur la période 2007-2013, a ainsi résumé ses résultats :

« Ce plan, qui a bénéficié de gros moyens financiers, est exemplaire dans le sens où il a intégré des actions sur l'ensemble de la filière, de l'amont jusqu'à l'aval. Il y a eu de la recherche et du développement, les producteurs ont été accompagnés, des actions sur la communication et la commercialisation ont été menées. On peut citer la création de l'Institut technique tropical (IT2) ou les 525 000 heures de formation des producteurs et des salariés. C'est un plan intégrateur comme il en existe peu dans les filières agricoles françaises. Fin 2013, les efforts se sont traduits par une forte baisse de l'utilisation des produits phytosanitaires, insecticides et nématicides, et une réduction plus faible sur les herbicides. Nous avons constaté un léger retard de la Guadeloupe par rapport à la Martinique sur la diffusion et le transfert des pratiques mais la dynamique était identique. Des pratiques culturales plus durables ont été relevées comme la lutte « bio » sur certains insectes, l'effeuillage des bananiers pour maîtriser la cercosporiose, la jachère pour assainir les parcelles, l'utilisation de plantes de couverture pour limiter les herbicides ou en matière de conditions de travail dans les exploitations, notamment liées à la certification. Notre étude s'achève sur le constat du retour de la biodiversité dans les exploitations, du maintien de la production et des emplois, avec cependant une baisse certaine bien que modérée du rendement. »

La filière de la canne de La Réunion partage les mêmes orientations, ainsi qu'elle l'a rappelé lors de son audition du 21 mars 2016. Grâce aux solutions variétales développées dans le seul centre européen de sélection de canne à sucre , qui se trouve à La Réunion, et grâce aux efforts menés dans le cadre de la lutte biologique contre le ver blanc et le foreur, la culture de la canne ne requiert plus de fongicide ou d'insecticide . Enfin, les itinéraires techniques des herbicides tendent à faire baisser l'indice de fréquence de traitement (IFT) 10 ( * ) a un peu plus de 3, ce qui est très inférieur à l'indice utilisé dans le maraîchage qui oscille entre 28 et 30.

Pour réduire le différentiel de compétitivité normative qui grève l'économie des outre-mer , il faut à la fois résoudre la question des usages phytosanitaires orphelins qui mettent en péril l'existence des filières agricoles et obtenir une égalité des armes sur les marchés internationaux en relevant les standards applicables aux conditions de production dans les pays tiers . L'écart de coût de main d'oeuvre ne peut pas être résorbé avant un très long terme, c'est donc en imposant à l'entrée du marché européen des normes environnementales et sanitaires de production exigeantes que l'on peut rétablir un certain équilibre entre les DOM et les pays à bas salaires. Plutôt qu'un alignement sur le moins disant, qui serait incompatible avec les légitimes attentes du consommateur européen et des salariés ultramarins, il faut reconnaître et soutenir le travail de réduction des phytopharmaceutiques. Cependant, cette démarche ne peut réussir que si l'on s'assure de la cohérence entre elles des politiques agricole, sanitaire et commerciale . En particulier, les contrôles à l'importation en provenance de pays tiers qui utilisent des substances sans AMM, voire positivement interdites dans l'Union européenne, représentent un enjeu crucial.

(2) Des contrôles des importations en trompe l'oeil

En matière de contrôle des importations, il peut à première vue sembler que le système européen est solide et contraignant pour les pays tiers concurrents des outre-mer.

En vertu de l'accord SPS précité, les pays tiers s'engagent à respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l' Union européenne pour les produits qu'ils exportent vers ce marché. Dans le cadre de l'accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), les pays membres de l'OMC sont aussi tenus de notifier l'adoption de normes agricoles.

Pour l'exportation d'animaux et de produits animaux , chaque pays tiers doit être autorisé par l'Union européenne pour chaque filière . Pour cela, il doit s'engager à mettre en place des plans de surveillance sanitaire en conformité avec les dispositions européennes. De plus, chaque établissement de produits animaux doit être également autorisé par les autorités européennes. L'émission d'un certificat sanitaire par le pays tiers , contrôlé lors de l'importation par les services français, est censée garantir le respect de ces conditions pour chaque lot exporté.

Pour l'exportation de végétaux et de produits végétaux , le respect des normes portant sur la santé humaine repose sur un plan de surveillance à l'importation dans un cadre européen, mis en oeuvre par les autorités françaises . Devant l'impossibilité matérielle de contrôler chaque lot au regard des volumes échangés, il est procédé par sondage selon des analyses de risques par filières d'importation et des prélèvements pour analyse en laboratoire sont réalisés pour contrôler le respect des LMR . Pour un certain nombre de végétaux à risques, qui pourraient être porteurs de maladies ou de parasites nouveaux, un certificat phytosanitaire émis par le pays tiers doit garantir qu'une inspection a été conduite en vue de vérifier la conformité aux normes européennes du lot exporté. Théoriquement, si le pays tiers n'a pas la capacité de délivrer les certificats phytosanitaires, il ne peut exporter vers l'Union européenne.

Cependant, la construction au niveau européen du système de contrôle des importations est faussée par plusieurs biais, qui empêchent de rééquilibrer l'écart de compétitivité normative dont souffrent les RUP et qui créent les conditions d'une concurrence déloyale des pays tiers.

D'une part , tout l'édifice repose sur les limites maximales de résidus (LMR) . Même si les LMR de pesticides applicables pour les produits alimentaires sont les mêmes pour les produits d'origine européenne que pour les produits importés des pays tiers, cela ne permet pas de considérer qu'il existe une équivalence entre les normes de production sur le sol européen et celles qui prévalent dans les pays tiers. Les denrées importées des pays tiers ne sont pas couvertes par les mêmes contraintes et garanties sanitaires et phytosanitaires que celles qui sont produites dans l'Union Européenne, y compris dans les RUP. Le degré d'exigence des normes de production sur le sol européen n'est pas le même que celui des normes de mise sur le marché des produits en provenance des pays tiers . Cette évidence doit être rappelée contre la fiction parfois entretenue par certaines déclarations imprécises tant des services de la Commission européenne que des ministères français, selon lesquelles tous les produits destinés au marché de l'Union européenne doivent respecter les normes européennes.

Il faut en fait distinguer trois niveaux de réglementation selon que la denrée est produite en France, dans l'Union européenne ou dans un pays tiers :

- les denrées d'origine française doivent respecter les LMR, ne pas contenir de résidus de substances actives non autorisées au niveau européen et ne pas avoir été traitées avec un produit phytopharmaceutique n'ayant pas reçu en France d'AMM pour l'usage considéré. Les délivrances d'AMM prennent en compte d'autres critères que la santé du consommateur ; elles considèrent aussi les effets sur les producteurs qui utilisent le produit et les effets sur l'environnement (pollution des sols et des eaux par exemple), difficilement opposables à des pays tiers ;

- les denrées en provenance de pays de l'Union européenne doivent respecter les LMR et ne pas contenir de résidus de substances actives non autorisées ;

- les denrées en provenance de pays tiers n'ont que les LMR à respecter, sans que soient prises en compte les conditions de production. En effet, les pays tiers bénéficient de tolérances à l'importation prévues spécifiquement pour permettre l'entrée de produits agricoles traités avec des substances interdites dans l'Union européenne . Pour toute substance active non approuvée au niveau de l'UE ou non autorisée en France, une LMR par défaut peut être fixée sur demande d'un importateur ou d'un fabricant de produit phytosanitaire. C'est cette LMR par défaut qui est opposée aux produits importés alors que les producteurs ultramarins sont tenus à un strict respect de la réglementation. Même si la LMR est très basse, il existe donc bien des cas où les produits agricoles des pays tiers peuvent être commercialisés auprès des consommateurs de l'Union européenne après avoir subi des traitements phytosanitaires avec des substances interdites en Europe ou en France.

En se bornant uniquement aux contrôles des résidus de pesticides , on constate que les denrées issues des pays tiers présentent un taux de non-conformité supérieur aux productions européennes . D'après les données du ministère de l'agriculture et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ( DGCCRF) , l'analyse des taux de non-conformité observés dans les plans de surveillance des fruits et légumes fait apparaître des taux systématiquement supérieurs pour les produits en provenance des pays tiers : 3,3 % contre 1,6 % en moyenne en 2014 .

Au niveau de toute l'Union européenne , d'après la DG Santé de la Commission européenne, en 2013, 80 967 échantillons de produits agricoles et de produits alimentaires fabriqués ont été analysés pour les résidus de 685 substances distinctes. Le pourcentage des échantillons de produits en provenance de pays tiers qui dépassaient en 2013 les limites légales était de 5,7 %, soit presque 4 fois supérieur à celui constaté sur les produits européens qui s'élevait à 1,4 %. Le taux de non-conformité était encore plus élevé, soit 6,5 % en 2014, pour les pays tiers soumis à des contrôles renforcés en application du règlement (CE) n° 669/2009.

Les difficultés fondamentales qui grèvent la gestion des importations sont amplifiées dans les RUP qui subissent une double concurrence de la part des pays tiers :

- à l'export sur le marché européen sur les produits phare que sont la banane , le sucre et le rhum ;

- sur les marchés locaux des DOM sur les produits issus de filières de diversification végétale et animale.

La porosité des outre-mer aux importations des pays tiers est avérée. Elle contribue à enfermer les économies ultramarines dans un cercle vicieux qui mine leurs capacités de développement endogène et les fait dépendre toujours davantage de subventions. En effet, plus la concurrence sur le marché local est rude et plus les filières de diversification persistent dans leur relative inorganisation et ne peuvent dégager les ressources pour résoudre le problème des usages orphelins, s'engager dans des démarches de labellisation ou d'agriculture bio, si bien que les économies des outre-mer restent éminemment dépendantes des grandes cultures de la banane et de la canne. Or, celles-ci sont elles-mêmes fragilisées par le changement climatique (salinisation, sécheresse, épisodes violents) et surtout touchées de plein fouet par la multiplication des accords de libre-échange de l'Union européenne qui troque les productions agricoles tropicales des RUP contre l'ouverture putative des marchés industriels et de services des pays tiers. La seule réponse de l'Union européenne est alors de prévoir des compensations financières via le POSEI, tant que le contexte budgétaire le permet .

Du point de vue économique comme phytosanitaire, les flux mal contrôlés en provenance de l'environnement régional immédiat peuvent entraîner des conséquences désastreuses. Rien qu'en 2015, au moins trois nouvelles crises phytosanitaires sont apparues qui risquent de provoquer des dégâts dans les DOM : la crise provoquée par la détection de xyllela fastidiosa une bactérie ravageuse de nombreux arbres fruitiers (orangers, citronniers, avocatiers, pruniers) ; la crise en République Dominicaine due à la détection de la mouche méditerranéenne des fruits ( ceratitis capitata ) ; la prégnance en Amérique du Sud de deux maladies des bananiers transmissibles par de la terre contaminée, la fusariose et la maladie moko .

Une mobilisation des autorités françaises et européennes paraît donc nécessaire pour repenser les échanges avec les pays tiers , très favorisés au détriment des RUP.

2. Les collectivités dotées d'un statut d'autonomie : une adaptation qui combine exigence et insertion régionale
a) Saint-Pierre-et-Miquelon

Bien que Saint-Pierre-et-Miquelon constitue une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution, les normes qui s'y appliquent en matière d'agriculture, d'élevage et d'aquaculture (recours aux pesticides et herbicides, intrants, AMM, LMR, vaccinations et conditions d'abattage) sont les normes françaises . L'article L. 273-2 du code rural et de la pêche maritime prévoit en effet que : « la réglementation particulière à Saint-Pierre-et-Miquelon et relative au contrôle sanitaire, vétérinaire et phytosanitaire et au fonctionnement des stations de quarantaine animale est maintenue en vigueur et ne peut être modifiée que sur proposition du conseil général de la collectivité territoriale, dans le respect des accords internationaux conclus en cette matière » .

Aucun impact négatif du cadre réglementaire sur la production n'a été démontré à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les normes françaises ne semblent pas un obstacle à la production locale, à l'exportation ou à la rentabilité des exploitations.

La raison de cette exception parmi les outre-mer soumis à la réglementation nationale tient essentiellement aux particularités géographiques de l'archipel. En effet, Saint-Pierre-et-Miquelon se distingue en étant la seule collectivité ultramarine dont le climat n'est pas tropical. Les conditions météorologiques rigoureuses ne sont pas favorables à l'agriculture intensive, si bien qu'il n'y existe pas de culture céréalière ou légumière, la totalité de la surface agricole utile étant composée de prairies permanentes ou temporaires. Le recours aux produits phytosanitaires est donc très restreint en agriculture. Les contraintes pour la culture sous serre sont les mêmes que dans l'Hexagone. On peut d'ailleurs considérer que la période plus longue de gel et les températures plus basses réduisent significativement la diffusion des maladies par rapport à l'Europe continentale. L'agriculture à Saint-Pierre-et-Miquelon ne souffre donc pas particulièrement des normes sanitaires françaises, et par ricochet européennes, qui lui sont appliquées.

Par ailleurs, les exportations concernent essentiellement les produits de la pêche, et très majoritairement sous la forme surgelée . Les marchés cibles sont la France , le Canada et les États-Unis . Les importations proviennent des mêmes pays . Saint-Pierre-et-Miquelon est donc imbriqué dans un réseau d'échanges commerciaux avec des pays à niveau de normes sanitaires élevé. Ses concurrents sont aussi ses clients, en particulier le Canada, sans qu'il existe de véritable distorsion de concurrence due aux normes. C'est pourquoi le régime français et européen ne constitue pas un handicap ; il est même au contraire adapté pour répondre aux exigences des contrôles à l'importation américains et canadiens.

Du point de vue du droit communautaire, Saint-Pierre-et-Miquelon appartient à la catégorie des pays et territoire d'outre-mer ( PTOM ). Dans ses échanges avec l'Union européenne , cette collectivité est assimilée à un pays tiers . Elle a dû être inscrite sur la liste des pays et territoires autorisés pour pouvoir exporter des produits de la pêche vers l'Union Européenne. En revanche, l' absence de laboratoire capable sur place d'effectuer toutes les analyses requises pour contrôler la qualité des coquillages a fait échouer la demande d'agrément pour l'exportation de mollusques bivalves vivants et d'échinodermes sur le marché européen. De même, Saint-Pierre-et-Miquelon est reconnu comme station de quarantaine agréée par l'Union européenne, ce qui lui permet de figurer sur la liste des pays et territoires en provenance desquels l'importation d'animaux et viandes fraîches est autorisée.

De ce point de vue, les relations commerciales de Saint-Pierre-et-Miquelon avec l'Union européenne ne diffèrent pas sensiblement de celles qui prévalent avec le Canada. La collectivité est en effet reconnue également comme station de quarantaine agréée par le Canada . Elle peut également exporter des produits de la pêche vers le Canada et les États-Unis . Un protocole spécifique a été établi pour pouvoir livrer des buccins vivants, issus de la pêche locale, au Canada.

Depuis 2010, Saint-Pierre-et-Miquelon a engagé des discussions avec le Canada et l'Union Européenne pour se voir autoriser l'exportation de viandes de volaille en conserve vers ces deux marchés. Le dossier est en bonne voie grâce au travail réalisé par les services et les mises aux normes canadiennes des installations par les entreprises. La difficulté majeure ne relève pas en effet de l'application des normes sanitaires françaises et européennes sur l'archipel, mais de la nécessité d'appliquer les normes canadiennes pour une éventuelle exportation nécessaire à l'essor des entreprises locales. La reconnaissance par le Canada du statut zoosanitaire de l'archipel et des conditions de préservation de l'hygiène des viandes est très importante pour le développement économique de l'industrie agroalimentaire du territoire.

Vos rapporteurs ont également examiné avec attention le développement du secteur aquacole de Saint-Pierre-et-Miquelon . L'entreprise EDC, qui porte l'aquaculture locale, développe depuis 2002 l'élevage de coquilles Saint-Jacques ( placopecten magellanicus ) en pleine mer . Après plusieurs années de recherche sur la biologie de l'animal et de mise au point technique, elle maîtrise la production de naissain et l'élevage des animaux au stade de juvéniles, ce qui permet un ensemencement en mer pour achever le grossissement et obtenir un produit de taille satisfaisante selon les critères de mise en marché. Avec le soutien de la collectivité territoriale un plan d'ensemencement en mer débuté en 2005 sur des zones contrôlées est suivi dans la durée, sachant que le cycle d'une coquille en mer est d'environ 5 ans. Le soutien public dans ces phases de recherche et développement reste primordial. L'augmentation régulière des volumes ensemencés doit progressivement aboutir à une quantité significative de récolte. Il reste à finaliser les protocoles de recapture pour obtenir une chaîne de production industrielle viable.

Ce produit haut de gamme à forte valeur ajoutée est destiné à l'export , la consommation locale ne permettant d'écouler que de petits volumes.

Le marché européen et en particulier français est un débouché naturel en coquilles surgelées d'autant que la production hexagonale ne couvre pas la demande, notamment en contre-saison. L'interdiction d'exporter vers l'Union européenne des mollusques bivalves vivants issus de l'aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon, faute de moyens de contrôle suffisants, déjà évoquée, ne constitue pas un obstacle pour la coquille Saint-Jacques pour deux raisons :

- dès lors qu'elles sont ensemencées en mer, au bout de trois ans en milieu naturel , les coquilles entrent dans la catégorie des produits de la pêche qui subissent beaucoup moins de restrictions à l'entrée sur le marché européen que les produits de l'aquaculture stricto sensu ;

- en l'absence de possibilités logistiques sûres et à tarif raisonnable sur le frais vers l'Europe, seule l'exportation de surgelés est économiquement viable .

La proximité de marchés nord-américains constitue également une opportunité. Le marché de Boston est à la fois proche et important en matière de volumes de produits frais mis sur le marché. Les exportations réalisées sur le marché américain n'ont pas posé de difficultés en matière de standards alimentaires et de certificats sanitaires.

D'après M. Benoît Germe, représentant de la société EDC, et Mme Carole Coquio, adjointe au chef du service de l'alimentation à la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, auditionnés par visioconférence le 21 mars 2016, le marché canadien est beaucoup plus protectionniste que le marché américain. D'ailleurs, les vétérinaires européens et canadiens ne reconnaissent pas les tests qui sont utilisés dans leurs pays respectifs pour analyser les phytotoxines. De ce fait, les exportations vers le Canada ne peuvent concerner que les coquilles surgelées, alors que la logistique permettrait de livrer des produits frais sur le marché canadien.

Saint-Pierre-et-Miquelon est donc placé dans la situation inverse des RUP françaises : au lieu de devoir lutter contre des concurrents avantagés par des normes moins exigeantes et une politique commerciale européenne d'ouverture maximale, l'archipel doit au contraire se conformer à des normes différentes mais de niveau équivalent, voire plus sévères pour pénétrer ses marchés cibles nord-américains .

b) La Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie dispose d'une complète autonomie en matière de normes applicables à l'agriculture et de règles sur le contrôle des importations, tant du point de vue du cadre français que de la réglementation européenne. Elle est située loin de l'Hexagone qui ne constitue pas un marché important pour ses productions agricoles. Elle se trouve, en revanche, à proximité de deux pays développés, l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui possèdent d'autres modèles sanitaires que l'Union européenne.

Sur le fondement des articles 4 et 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 qui fixe son statut, la Nouvelle-Calédonie s'est dotée d'une réglementation autonome en matière zoo- et phytosanitaire. Les grands principes de la réglementation ont été posés, même si les textes d'application demandent encore à être perfectionnés.

La Nouvelle-Calédonie s'inscrit dans une recherche de normalisation rigoureuse afin de mieux protéger ses productions agricoles , qui sont essentiellement tournées vers la satisfaction de son marché intérieur . Globalement, en matière de protection des consommateurs et de sécurité alimentaire , le modèle suivi est celui de la France et de l'Union européenne , qui apparaît localement comme celui qui offre la meilleure garantie. À l'inverse, en matière de biosécurité et de protection de la santé des végétaux et des animaux, le modèle suivi pour le contrôle des importations est celui de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie . L'enjeu calédonien est de parvenir à trouver un point d'équilibre entre l'influence européenne et l'insertion régionale.

Les normes zoosanitaires de la Nouvelle-Calédonie sont majoritairement reprises de l'organisation mondiale de la santé animale ( OIE ), dont la Nouvelle-Calédonie est partie depuis 1949. Toutefois, pour certaines maladies qui ne sont pas couvertes par l'OIE, la Nouvelle-Calédonie prend des mesures propres le plus souvent partagées avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. C'est ce qui aboutit à l'interdiction d'importer de la viande de porc crue pour protéger le territoire du syndrome dysgénésique respiratoire porcin, maladie d'élevage en Europe.

En matière de protection des végétaux , la Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas signataire de la Convention Internationale sur la Protection des Végétaux (CIPV), fait partie d'une organisation régionale dédiée , la Pacific Plant Protection Organisation . Les mesures phytosanitaires qu'elle applique peuvent être plus exigeantes que les normes internationales de la CIPV. Par exemple, une norme régionale stricte sur les containers devrait être adoptée prochainement en lien avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, alors qu'au niveau mondial cette norme reste au point mort.

La Nouvelle-Calédonie a fait le choix de construire un système très strict de protection zoo et phytosanitaire aux frontières . Ce système est fortement inspiré des mesures australiennes et néo-zélandaises et concerne les marchandises à risque sanitaire, les vecteurs qui transportent ces marchandises (contenants, navires, aéronefs...), et les lieux par lesquels elles transitent (ports, aéroports, agence postale). Tous les objets susceptibles d'être contaminés accidentellement tels pneus, poteries, meubles en teck, véhicule d'occasion ou engins de chantier sont couverts. Les contrôles s'opèrent sur les flux commerciaux et privés (effets personnels, colis postaux, courrier express). Toutefois, la Nouvelle-Calédonie ne dispose pas des capacités pour projeter ses activités de contrôle hors de son territoire, contrairement à la Nouvelle-Zélande ou l'Australie qui réalisent des inspections dans les pays tiers avant l'exportation vers leur marché.

D'une manière générale, les normes zoo et phytosanitaires de la Nouvelle-Calédonie sont plus strictes que les normes européennes et moins strictes que les normes australiennes . Par rapport à l'Union européenne, la rigueur des normes vétérinaires et phytosanitaires (hors alimentation humaine) vise à protéger le statut sanitaire exceptionnellement bon du territoire. Ainsi, des filières importantes pour l'économie de la Nouvelle-Calédonie comme les porcins, l'aquaculture, le maïs ou les alliacées (ail, oignon, poireau) sont protégées avec soin de l'entrée de parasites et d'agents infectieux répandus en Europe. Sont explicitement empêchées les importations de porcs vivants et de charcuterie, de crustacés vivants et de crevettes crues, de bananes et de papayes, et en général toutes les espèces animales non présentes en Nouvelle-Calédonie .

Le service d'inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire (SIVAP) de Nouvelle-Calédonie, auditionné par visioconférence le 12 mai 2016, a indiqué à vos rapporteurs que le taux d'interception de ravageurs lors des contrôles réalisés sur les plantes ornementales importées 11 ( * ) était très élevé, de l'ordre de 70 à 80 %. Pourtant, les envois sont accompagnés des certificats phytosanitaires censés garantir l'efficacité des traitements phytosanitaires effectués dans le pays de départ. Pour certains imports considérés comme présentant un haut risque sanitaire, la prudence justifie alors l'interdiction d'importation de matériel reproductif, comme les arbres fruitiers, notamment les bananiers.

Ces normes sont moins strictes que celles de l'Australie en matière phytosanitaire. Les Australiens interdisent l'entrée de certaines semences sur leur territoire sans même passer par une quarantaine. L'importation en Australie de plants mères est également très difficile : certains passent un an en quarantaine. La Nouvelle-Calédonie n'est pas encore dotée d'une quarantaine végétale.

En matière de normes de sécurité sanitaire des aliments , ce sont les normes européennes ont été globalement retranscrites en droit local . Les dispositions réglementaires prévoient qu'en l'absence d'une norme calédonienne spécifique ce sont les normes internationales du Codex alimentarius qui s'appliquent par défaut.

Un projet de réglementation est en cours pour permettre la reconnaissance des substances actives autorisées dans l'Union européenne et des AMM des produits phytopharmaceutiques à usage agricole . Un alignement sur les LMR européennes est également prévu. Cette orientation s'explique par les plus faibles capacités propres d'analyse de la Nouvelle-Calédonie.

Se pose cependant la question des usages orphelins car l'Union européenne autorise moins de substances actives que l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Dans ces deux pays, la couverture des besoins des agriculteurs en traitements phytosanitaires est meilleure, car la gamme est à la fois plus large et mieux ciblée pour des usages dans la zone Pacifique Sud. L'adoption des décisions d'homologation européenne à l'exclusion de toute autre poserait des problèmes agronomiques sérieux et empêcherait de traiter les problématiques de ravageurs ou d'adventices propres à la Nouvelle-Calédonie. On peut citer le cas de l'herbe à oignons qui nécessite l'utilisation de l'herbicide Totril sur les cultures d'alliacées, ou celle du papillon piqueur des agrumes ou du puceron de la laitue qui pourrait nécessiter l'emploi de néonicotinoïdes. Les extraits de plantes sont également largement utilisés par les exploitants calédoniens , alors que le cadre européen en rend l'homologation très ardue.

Par conséquent, le cadre réglementaire calédonien doit laisser la possibilité, sur des productions végétales victimes d'usages non pourvus ou fragiles, d'agréer des substances ou d'homologuer des produits sans s'aligner systématiquement sur les décisions de l'Union Européenne. C'est toute la différence avec les RUP qui ne peuvent pas se doter des moyens appropriés pour lutter contre les ravageurs tropicaux.

II. DES SOLUTIONS À PROMOUVOIR POUR SAUVEGARDER ET VALORISER LES FILIÈRES AGRICOLES ULTRAMARINES

A. AMÉLIORER IMPÉRATIVEMENT LA PRISE EN COMPTE DES OUTRE-MER DANS L'ÉLABORATION DES NORMES ET LE CONTRÔLE

1. Une prise de conscience des autorités françaises à pousser plus loin
a) Des progrès récents ciblant les outre-mer

La spécificité de la problématique ultramarine commence à être reconnue au niveau national . Le rapport au Premier ministre de novembre 2014 de notre collègue député Dominique Potier sur les pesticides et l'agroécologie recommandait déjà d'accorder une priorité aux outre-mer, désignés comme « avant-garde tropicale » dans la mise en oeuvre du plan de résorption des impasses phytosanitaires en notant que la réglementation en vigueur ne facilitait pas les indispensables expérimentations. 12 ( * ) Vos rapporteurs ont pu remarquer au cours de leurs auditions que le ministère de l'agriculture, les instituts de recherche nationaux (INRA, Cirad, Irstea) et l'Anses témoignaient d'une volonté commune de remédier aux contraintes normatives qui pèsent disproportionnellement sur les agriculteurs et éleveurs ultramarins.

Des solutions innovantes sont continuellement développées avec la recherche et dans le cadre des plans Ecophyto , afin de proposer des itinéraires techniques efficaces et économes en produits phytopharmaceutiques de synthèse. La problématique des usages orphelins et mineurs est traitée dans les Réseaux d'innovation et de transfert agricole (RITA) des DOM , dont l'action transversale permet de mobiliser les interprofessions et de diffuser les acquis de la recherche via des solutions opérationnelles. Ces structures très souples jouent un rôle d'interface et de transfert très positif entre la recherche et la profession, qui facilite l'appréhension par les producteurs de l'alourdissement constaté des contraintes sanitaires et phytosanitaires. Ainsi les actions du RITA Guadeloupe ont-elles fait l'objet d'une appréciation très positive dans le cadre du projet européen Agrispin destiné à identifier et promouvoir des bonnes pratiques agricoles. En lien étroit avec l'INRA et le Cirad, ce réseau a notamment mené des opérations très pertinentes pour relancer la filière agrumes victime du citrus greening , pour structurer la filière ignames et pour développer la production de miel. Sur la période 2011-2014, il a également travaillé à la réduction de l'impact des effluents d'élevage et à l'établissement d'une plateforme d'évaluation et de transfert d'innovations variétales.

Le ministère de l'agriculture affiche une politique dynamique pour atteindre l'objectif d'un taux de couverture de 49 % des besoins en usages phytosanitaires dans les DOM pour 2017 , ce qui présenterait une progression d'environ 75 %.Une commission des usages orphelins dans les DOM , animée par la DGAL, examine chaque année les usages mal pourvus des cultures tropicales et contribue à la priorisation des dossiers et à la production de données pour les usages mineurs. Le ministère se montre à l'écoute des filières pour la délivrance d'AMM en urgence en cas de crises phytosanitaires et soutient également la collecte des informations indispensables aux extensions pour usages mineurs, en lien avec la profession agricole et les instituts techniques.

À cet effet, un réseau dédié aux cultures tropicales a été mis en place. Il est constitué des Centres Techniques de la Canne et du Sucre (CTCS) de Martinique et Guadeloupe, de l'ARMELFHOR et d'ERCANE à La Réunion. De plus, l'expert en usages mineurs de la direction générale de l'alimentation collabore avec l'Institut technique tropical (IT2) pour synthétiser les informations sur les produits testés. Le lien établi avec les sociétés phytosanitaires détentrices des brevets sur les produits testés permet de préciser avec elles les modalités de demande d'extension d'usages sur les cultures tropicales. Chaque année, des programmes d'expérimentations sont menés pour permettre de proposer de nouvelles extensions.

Par ailleurs, le catalogue des usages mis en oeuvre depuis mars 2015 consacre un fascicule et des usages spécifiques aux cultures tropicales . Le regroupement de certaines cultures au sein d'une seule catégorie d'usage sous la terminologie globale de « cultures tropicales » permet d'améliorer la procédure d'AMM en facilitant les extensions d'usages.

Cette refonte du catalogue des usages a permis de couvrir un certain nombre de cultures orphelines qui n'y figuraient pas et pour lesquelles il était impossible d'homologuer un produit phytopharmaceutique adapté. Le regroupement des cultures dans le catalogue a été effectué en se fondant sur un critère de résidus, en considérant que le niveau de résidus acceptable pour une application à une dose déterminée d'un produit pouvait être extrapolé entre certaines cultures aux caractéristiques similaires, par exemple de la tomate vers l'aubergine ou du blé vers l'épeautre. Auparavant, les données devaient être fournies culture par culture, ce qui était long, coûteux et concrètement hors de portée des filières de diversification. Grâce au catalogue, il est désormais possible de procéder à des extrapolations qui devraient ouvrir de nouvelles solutions aux petites productions fruitières et légumières des outre-mer .

Parallèlement, les professionnels, par l'intermédiaire de l'IT2 , ont mis en place une structure de coordination . Un agent basé en région parisienne est chargé de veiller à la cohérence des programmes d'expérimentation et de suivre des dossiers auprès de l'Anses et la DGAL.

L' Anses participe au mouvement de prise en compte accrue des particularités des agricultures ultramarines. Elle intervient au sein de la commission des usages orphelins des DOM . Elle s'efforce de maintenir des liens étroits avec les acteurs scientifiques et économiques ultramarins en nommant un coordonnateur référent pour les outre-mer qui entretient un dialogue régulier avec les différents instituts de recherche . Les priorités et besoins spécifiques des outre-mer sont également pris en compte dans les fiches de contextualisation techniques et économiques que les ingénieurs filière de l'Anses, et notamment le référent DOM, produisent et qui accompagnent le dossier de demande d'AMM depuis sa mise en évaluation jusqu'à la signature de la décision. Pour la rédaction de cette fiche, des informations sont recueillies auprès des organismes techniques et de développement (Cirad, IT², CTCS, chambre d'agriculture...) et des services de l'État (DGAL, ODEADO).

Comme l'indique M. Jérôme Laville, coordinateur référent pour l'outre-mer de l'Anses : « les dossiers de demande d'homologation, particulièrement pour les cultures tropicales, nous sont connus plusieurs mois avant de nous être officiellement transmis. Nous identifions d'éventuels points de blocage pour l'homologation et entrons en contact avec les filières agricoles, notre point de passage privilégié étant l'Institut technique tropical pour éviter la multiplicité des interlocuteurs. Nous laissons donc l'évaluateur faire son travail scientifique, mais lors du processus de décision, nous pouvons introduire des informations supplémentaires à l'attention de la direction générale sur l'impact économique ou technique de la décision ou sur d'éventuelles mesures qui pourraient l'accompagner. Dans ce processus de contextualisation, je m'appuie sur les compétences des personnes aux commandes et des instituts techniques. La décision étant nationale et s'imposant à tous les territoires, la prise en compte, en amont, des spécificités de chacun est essentielle . » 13 ( * )

Cette démarche a permis notamment de trouver un compromis pour l'utilisation du banole sur le bananier en ajustant les cadences d'application . Les premières évaluations du risque environnemental par l'Anses ne tenaient pas compte de la présence de certains insectes en outre-mer qui étaient inconnus dans l'Hexagone. La profession a soutenu une demande de la société détentrice du produit, sur la base des données de l'institut technique. Le dialogue avec le référent outre-mer de l'Anses a permis ensuite de vérifier la cohérence des propositions et leur possible extension à l'ensemble des territoires français produisant de la banane.

Les travaux de l'Observatoire des résidus de pesticides aux Antilles

L'Observatoire des résidus de pesticides (ORP) a été confié à l'AFSSA puis l'Anses depuis 2003, par décision des ministères chargés de la santé, de l'agriculture, de la consommation et de l'environnement. Ses missions sont les suivantes :

- rassembler, en vue de leur valorisation, les informations et résultats des contrôles et mesures de résidus de pesticides dans différents milieux et produits consommés par l'homme,

- organiser l'exploitation des données existantes pour estimer les niveaux d'exposition des populations aux pesticides,

- identifier les actions de progrès pouvant être mises en place sur les systèmes d'information et notamment la nature et le format des données collectées.

Depuis 2015, l'ORP est intégré au dispositif de phytopharmacovigilance de l'Anses visant à surveiller les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques sur l'homme et l'environnement.

Dans le cadre de l'étude Sapotille publiée en 2012 sur les expositions alimentaires aux résidus de pesticides aux Antilles, la présence de 66 substances prioritaires a pu être étudiée dans 30 types de denrées locales. Huit substances ont été détectées ou quantifiées dans au moins une denrée d'origine végétale : chlorpyriphos, diazinon, indoxacarb, procymidone, difenoconazole, iprodione, méthomyl et trichlorfon. Douze ont été détectées ou quantifiées dans au moins une denrée d'origine animale : buprofezin, carbaryl, diazinon, lambda-cyhalothrine, phorate, phosmet, procymidone, pirimiphos-méthyl, vinclozoline, acrinathrine, propargite, pyrazophos.

À partir de ces données, l'Anses a pu réaliser une évaluation des risques. Dans un scénario d'exposition protecteur, 7 substances présentaient une probabilité non nulle de dépassement de la dose journalière admissible pour au moins une catégorie d'âge : diazinon, diméthoate, dieldrine, endrine, oxydéméton-méthyl, parathion et phorate dont seul le diméthoate était autorisé à l'époque. Parmi les substances interdites figurant dans cette liste figuraient notamment des polluants organiques persistants. En dehors du chlordécone, l'étude Sapotille n'a pas pu mettre en évidence des situations d'exposition des consommateurs aux Antilles sensiblement différentes de celles constatées en métropole.

À partir de cette évaluation des risques et afin de limiter les incertitudes, l'Anses a recommandé de réaliser de nouvelles études de consommation alimentaire aux Antilles afin de pouvoir calculer de façon actualisée et plus robuste les expositions. Cette recommandation a été suivie par la mise en oeuvre de l'étude Kannari dans le cadre du plan chlordécone.

Source : Anses

b) Des marges de consolidation et de simplification
(1) Accroître les marges de manoeuvre techniques des producteurs ultramarins

Des efforts peuvent encore être faits par les autorités nationales , au premier rang lesquelles le ministère de l'agriculture et l'Anses, pour simplifier et adapter le cadre normatif qui s'applique aux agricultures des outre-mer . Ils devront être complétés par une action résolue de la France au niveau européen pour faire évoluer les règlements communautaires qui laissent dans l'ombre les problématiques spécifiques des RUP.

Si vos rapporteurs se félicitent de l'installation en mars 2016 d'un comité des normes agricoles , paritaire entre l'administration et la profession agricole, sous la présidence du préfet Pierre-Etienne Bisch , ils demandent que les outre-mer soient pris en compte systématiquement dans les travaux de ce comité, à la fois pour l'analyse des normes existantes et pour la préparation de nouvelles normes.

Proposition n° 2 14 ( * ) : Prendre en compte systématiquement les outre-mer dans les travaux du comité des normes agricoles, présidé par Pierre-Étienne Bisch et installé en mars 2016, à la fois pour l'analyse des normes existantes et pour la préparation de nouvelles normes

Parmi les conséquences positives prévisibles de la simplification et de l'acclimatation normative , il faut compter le renforcement et la structuration des filières de diversification végétale et animale des outre-mer. Les filières de la banane et de la canne dialoguent déjà intensément avec le ministère de l'agriculture et l'Anses et se sont dotées d'instruments de recherche et de transfert technologiques performants. De même, il convient de soutenir les filières de diversification pour qu'elles puissent à leur tour porter des demandes d'autorisation d'urgence, d'extension d'AMM pour usage mineur et d'homologation de substances peu préoccupantes, déposer des dossiers de subventions solides et s'approprier les résultats de la recherche.

À cet égard, vos rapports soulignent tout l'intérêt que présenterait le développement du modèle MOSAICA . Mis au point par l'unité ASTRO de l' INRA , il permet de mesurer l'impact non seulement de changements techniques et environnementaux mais aussi de l'évolution des normes réglementaires sur les choix de cultures et de pratiques des agriculteurs au niveau de la parcelle, de l'exploitation et du territoire. Dans une deuxième phase, il serait judicieux d'étendre ce modèle construit pour la Guadeloupe vers la Martinique, La Réunion et la Guyane et de le transformer en outil d'aide à la décision.

Proposition n° 20 : Développer le modèle MOSAICA de l'unité ASTRO de l'INRA pour mesurer l'impact de l'évolution des normes réglementaires sur le choix de cultures et de pratiques des agriculteurs ; étendre et transformer ce modèle en outil d'élaboration des stratégies territoriales agricoles et d'aide à la décision

Pour accroître les capacités de recherche, de transfert et d'analyse dans les outre-mer, vos rapporteurs préconisent de créer un institut technique spécifique en Guyane , qui fait pour l'instant défaut. Il jouerait un rôle moteur pour conduire les expérimentations nécessaires aux demandes d'AMM sur des produits utiles aux filières locales de diversification. Par ailleurs, il serait bénéfique d'installer une clinique des plantes dans la zone Antilles-Guyane pour accélérer les diagnostics de phytopathologie et ainsi raccourcir les délais d'intervention et d'octroi autorisations d'urgence.

En matière d'emploi de produits phytopharmaceutiques, vos rapporteurs souhaitent qu'il soit tenu compte de l'extrême fragilité des filières ultramarines confrontées à de nombreux usages orphelins . Pour accélérer le déploiement d'une couverture phytosanitaire adapté, ils préconisent de faire obligation aux firmes pétitionnaires, sur demande de l'Anses, de joindre à tout dossier d'AMM d'un produit phytopharmaceutique des analyses portant sur son utilisation sur des cultures tropicales . Dès lors, seraient fusionnées sur cette base les deux procédures d'octroi d'AMM et d'extension d'AMM pour usage mineur sur cultures tropicales. Cette mesure permettrait de faire bénéficier la firme, et par voie de conséquence les producteurs ultramarins, simultanément de l'AMM et de son extension pour l'usage tropical. Cela réduirait immanquablement les délais et les coûts. Le filtre de l'Anses permettrait de libérer les firmes de cette nouvelle obligation dès lors que le produit phytopharmaceutique ne présente aucun usage pour les cultures tropicales des outre-mer.

Proposition n° 3 : Faire obligation aux firmes pétitionnaires, sur demande de l'Anses, de joindre à tout dossier d'AMM d'un produit phytopharmaceutique des analyses portant sur son utilisation sur des cultures tropicales. Dès lors, fusionner sur cette base les deux procédures d'octroi d'AMM et d'extension d'autorisation pour usage mineur sur cultures tropicales

Il paraît également indispensable d'assurer un traitement spécifique des substances qui sont indispensables à la survie de cultures menacées de dévastation rapide . La France doit rester vigilante sur de nombreux dossiers. En particulier, elle doit veiller au maintien d'une couverture en herbicide pour la culture de la canne et suivre à ce titre attentivement la procédure de renouvellement d'AMM de l'asulox. À titre général, il convient de faciliter les prolongations temporaires d'AMM sur des produits phytopharmaceutiques indispensables pour certaines cultures fragiles comme l'ananas et la mangue en cas de retrait ou de non-renouvellement faute de dépôt de dossier. L'absence de mécanisme de relais peut aboutir à des pertes considérables. Pour être efficace, le ministre de l'agriculture devra ajuster les autorisations de traitement en urgence en distinguant pour une même culture la durée et le calendrier dans l'Hexagone et en outre-mer , en fonction des périodes de récolte, pour s'assurer que les productions ultramarines puissent effectivement en bénéficier.

De même, il faut simplifier et accélérer le recours aux procédures d'autorisations temporaires d'urgence pour permettre aux éleveurs d'utiliser des médicaments vétérinaires développés par des firmes pour des marchés tropicaux, mais pour l'instant non autorisés en Europe. En particulier, des autorisations d'urgence pour des produits de lutte contre les trypanosomoses et la lucilie bouchère seraient bienvenues, d'autant que ces médicaments indispensables sont déjà autorisés au Suriname et au Brésil d'où ils sont importés illégalement en Guyane sans contrôle correct de leur application.

La prise en compte des fléaux tropicaux inconnus dans l'Hexagone paraît essentielle. À cet effet, il faut procéder à l'inscription de la fourmi manioc comme ravageur dans la réglementation pour permettre d'homologuer des pesticides à usage agricole contre ce fléau. L'INRA a fortement investi sur des recherches pour connaître et contrôler cette espèce depuis les années 1980. Aucune solution biologique n'a été trouvée, du fait de l'écologie de cette fourmi, très armée contre les agents de lutte biologique. Des solutions ont alors été proposées à base de lutte chimique ciblée. Elles ont donné satisfaction, mais à ce jour aucune de ces molécules n'est autorisée hormis pour des traitements biocides domestiques, et le problème agricole reste entier.

Dans les avis et les décisions sur le fipronil , tant au niveau national que communautaire, il serait souhaitable de prendre en compte le cas particulier des outre-mer et éventuellement de différencier le champ d'application des mesures d'interdiction, dans la mesure où ce n'est pas la toxicité pour l'homme qui fait débat mais essentiellement les menaces pour les abeilles et les mécanismes de pollinisation. Le fipronil pourrait être utilisé contre la fourmi manioc pour endiguer les dévastations de culture dans des conditions de rémanence plus faible en milieu tropical qu'en climat tempéré. En outre, il faudrait tenir compte spécifiquement des effets de son application sur les espèces particulières d'abeilles sauvages des Antilles, comme la mélipone, dont le comportement diffère des espèces métropolitaines.

Proposition n° 7 : Garantir un traitement spécifique des autorisations de produits phytopharmaceutiques indispensables à la survie de cultures menacées de dévastation

En matière d' AMM , le point essentiel réside dans l' adaptation des LMR et des conditions d'usage aux singularités des outre-mer . Vos rapporteurs estiment que les prescriptions associées à l'AMM doivent être différenciées selon le climat . Les conditions d'utilisation (dose, nombre d'applications, cadence, zones non traitées, délais avant récolte) ne peuvent plus être définies de façon uniforme, car ce sont toujours les producteurs des DOM qui en pâtissent. Il faut tirer toutes les conséquences d'une utilisation en climat tropical des produits phytopharmaceutiques. Cette acclimatation des normes d'usage nécessitera un travail approfondi d'enquête et d'analyse sur le terrain, qui se révèlera bénéfique tant pour mieux protéger les populations locales et l'environnement que pour soutenir les dossiers d'homologation de nouvelles substances et réduire ainsi les usages orphelins.

Proposition n° 1 : Adapter au climat tropical la définition des conditions d'utilisation (dose, nombre d'applications, cadence, zone non traitées) des produits phytopharmaceutiques au moment de la délivrance de leur autorisation de mise sur le marché (AMM)

Par ailleurs, vos rapporteurs recommandent un réexamen attentif de certaines interprétations françaises des normes européennes car elles paraissent maximalistes par rapport à celles autres États membres de l'Union. Pour certains dossiers, en effet, le cadre le plus contraignant est le niveau national.

Par exemple, des préparations comme les biostimulants, qui sont à la frontière entre les fertilisants et les produits phytosanitaires, ne sont pas évaluées de la même manière en fonction des États membres. Ainsi en France, si le biostimulant a un effet sur les mécanismes de défense de la plante contre un bioagresseur, il doit suivre la procédure d'AMM des pesticides du règlement (CE) 1107-2009. Or, d'autres État membres comme l'Espagne ou l'Allemagne les évaluent comme de simples fertilisants et les font bénéficier d'une procédure d'autorisation spécifique beaucoup plus souple.

L'article 50 de la loi d'avenir agricole du 13 octobre 2014, repris au 2 ème alinéa de l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, renvoie au règlement la procédure d'autorisation des substances naturelles à usage biostimulant. Toutefois, la rédaction du décret d'application n° 2016-532 du 27 avril 2016 relatif à la procédure d'autorisation des substances naturelles à usage biostimulant n'est pas dépourvue d'ambiguïtés . L'autorisation des biostimulants naturels nécessite leur inscription sur une liste publiée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture. Mais cette inscription doit faire l'objet d'une évaluation par l'Anses qui atteste de son innocuité pour la santé humaine, la santé animale et l'environnement. Rien ne vient décrire les modalités de cette évaluation. Dans le silence du texte, tant qu'un arrêté ministériel ne l'encadre et ne la précise pas, l'Anses paraît libre d'adopter ses propres procédures. Il n'est pas assuré qu'elle fasse le choix de l'accélération et de la simplification. En outre, une même substance naturelle peut présenter à la fois un usage biostimulant ou fertilisant et un usage phytosanitaire. La question est donc de savoir comment l'Anses évaluera un biostimulant qui présente des effets pesticides en plus de ces effets fertilisants . Si l'Anses continuait à considérer que la possibilité d'un usage phytosanitaire lui impose d'appliquer la procédure propre à l'homologation des pesticides du règlement européen de 2009, le récent décret n'aurait que peu d'effets positifs.

De plus, une première liste de biostimulants naturels a été fixée par le ministre de l'agriculture dans un arrêté concomitant du 27 avril 2016. Mais cette liste ne reprend que les plantes médicinales inscrites à la pharmacopée , qui sont déjà mentionnées dans le code de la santé publique. Aucun recensement spécifique ne paraît prévu pour les outre-mer, pourtant riches de leur diversité d'espèces végétales et de leur savoir-faire traditionnels. Il faudra attendre l'examen par l'Anses des préparations naturelles biostimulantes qui lui seront soumises pour étoffer la liste. Le gain pour les agricultures ultramarines ne semble pas évident. C'est pourquoi vos rapporteurs recommandent de simplifier l'homologation des préparations biostimulantes en les traitant comme des fertilisants, même lorsqu'elles présentent des usages phytosanitaires complémentaires . Il conviendra de clarifier sur ce point les modalités de l'évaluation par l'Anses prévue par le décret du 27 avril 2016. De plus, il sera nécessaire de compléter la liste des biostimulants autorisés par la mention des essences employées traditionnellement outre-mer.

Proposition n° 8 : Simplifier l'homologation des préparations biostimulantes en les traitant comme des fertilisants, même lorsqu'elles présentent des usages phytosanitaires complémentaires. Clarifier sur ce point les modalités de l'évaluation par l'Anses prévue par le décret du 27 avril 2016 sur les substances naturelles peu préoccupantes et compléter la liste des biostimulants autorisés par des essences employées traditionnellement outre-mer

Par ailleurs, certains produits comprenant des substances actives autorisées au niveau européen et utilisables en agriculture biologique ne bénéficient pas d'AMM en France , comme l'huile de neem à base d'azadirachtine extraite des graines de margousier. Ce produit a certes bénéficié d'une autorisation temporaire de 120 jours délivrée en 2014 par le ministre de l'agriculture pour lutter contre les pucerons du pommier. Cependant, aucune demande d'AMM n'a abouti alors que l'huile de neem est un extrait naturel et serait utile aux productions fruitières des outre-mer.

En outre, certaines procédures d'AMM sont bloquées en France alors que les produits proviennent de travaux de recherche de terrain. C'est le cas d'un procédé d'induction florale sur les ananas , afin qu'ils fleurissent tous en même temps pour assurer une production régulière toute l'année. Mis au point par le Cirad dans le cadre du RITA de Guadeloupe, pour pallier le retrait de l'éthrel, il consiste à appliquer du charbon actif enrichi en éthylène au coeur des plants d'ananas afin d'induire une synchronisation des floraisons sur une même parcelle. Cette méthode est largement utilisée dans les pays tiers producteurs d'ananas, mais on considère en France que l'enrichissement à l'éthylène impose de suivre la procédure du règlement (CE) 1107-2009 pour l'homologation des produits phytopharmaceutiques, même s'il s'agit d'un produit de base, non formulé et utilisable en agriculture biologique.

En matière d' aquaculture , l'adaptation des normes aux conditions d'activité en contexte tropical n'est pas encore une réalité. La directive cadre sur l'eau du 23 octobre 2000 qui définit des grands objectifs a été transposée en droit français en 2004, puis précisée par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006. La réglementation française d'application ne fait pas un sort particulier à l'aquaculture ultramarine et calque la limite des rejets sur celle applicable aux piscicultures intensives de truites. Pour les eaux restituées en dehors de vidanges, les rejets ne doivent pas dépasser 2,5 mg/l pour les matières en suspensions (MES) . Les analyses réalisées sur l'ensemble des sites de production de crevettes de Guadeloupe ont montré qu'il n'y avait pas de problème sur les rejets azotés. Par contre, les rejets de MES sont généralement supérieurs du fait de la productivité planctonique plus élevée en conditions tropicales. Toutefois, les MES rejetées en sortie d'étangs de production de crevettes sont constituées essentiellement de phytoplancton vivant, très différent de la matière organique inerte 15 ( * ) observée en sortie de pisciculture de truite. Or, le phytoplancton vivant rejeté à la mer n'aura pas le même impact polluant que de la matière inerte. C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent de différencier les normes de rejet de MES pour permettre l'essor de l'aquaculture ultramarine , dont le potentiel est aujourd'hui bridé.

Proposition n° 11 : En matière d'aquaculture, différencier les normes portant sur les rejets de matières en suspension selon que celles-ci soient inertes ou vivantes

Enfin, vos rapporteurs recommandent de faciliter la réutilisation comme matières amendantes et fertilisantes de déchets verts (broyats et compost) selon des méthodes validées par les instituts de recherche.

Une dispense d'homologation, au profit d'un contrôle a posteriori , paraît judicieuse, mais elle nécessitera une action sur la réglementation européenne. En revanche, sur deux dossiers précis au niveau français, il paraît d'ores et déjà possible de débloquer la valorisation des déchets verts issus de la culture de la canne à La Réunion . Pour cela, le ministère de l'agriculture doit prendre les textes règlementaires nécessaires pour déroger aux teneurs limites en nickel et en chrome en tenant compte de la composition naturelle des sols volcaniques de La Réunion. Le but est d'autoriser l'usage des déchets verts comme matière amendante toutes cultures au titre des normes NF U44-051 « amendements organiques » et NF U44-551 « supports de culture ». En effet, plusieurs études scientifiques ont conclu à l'innocuité des déchets verts de la canne réunionnaise, malgré un dépassement des teneurs limites en nickel et en chrome, car ces éléments sont peu mobiles et peu phytodisponibles dans les sols, si bien qu'ils ne se retrouvent pas dans les plantes cultivées et fertilisées par cette méthode. Parallèlement, il serait pertinent de distinguer entre les écumes de sucrerie de betterave et de jus de canne , afin d'inscrire les écumes de sucrerie de jus de canne dans la norme NF U44-051 « amendements organiques », ce qui permettra de les utiliser comme fertilisants. En l'absence de dérogations réglementaires, la filière de valorisation des matières organiques au bénéfice de l'agriculture réunionnaise est bloquée, alors que 200 000 tonnes de déchets verts pourraient être exploités à la place d'engrais minéraux plus polluants, au lieu d'être retraités.

Proposition n° 10 : Dispenser d'homologation la réutilisation comme matières amendantes et fertilisantes de déchets verts selon des méthodes validées par les instituts de recherche

(2) Renforcer l'efficacité des contrôles à l'importation

La porosité de nos frontières aux importations en provenance des pays tiers témoigne de l'inadaptation de l'organisation française des contrôles aux spécificités de l'outre-mer .

Mayotte via les Comores et Madagascar et la Guyane via le Suriname et le Brésil sont les collectivités les plus touchées, les carences des contrôles se conjuguant avec une immigration massive que l'État ne maîtrise pas. L'introduction en Guyane de produits phytopharmaceutiques interdits en provenance du Suriname en raison de leur toxicité est tout aussi préoccupante que celles de légumes et de fruits traités avec ces produits sur l'autre rive du Maroni.

Le cas de la Guadeloupe est particulièrement emblématique en raison de sa structure archipélagique qui nécessiterait de repenser les implantations, les effectifs et les modes de coopération de la douane, de la DIECCTE et du SIVEP.

Introduits en quantité dans l'archipel guadeloupéen, des oeufs réfrigérés sont importés et achetés par des particuliers n'ayant déclaré aucune activité commerciale pour être revendus au bord des routes en pleine chaleur . Alors que ce problème prend une ampleur inquiétante, aucun contrôle ne semble s'exercer sur ces produits 16 ( * ) . Pourtant, la mise dans le commerce de ces oeufs importés engendre un double problème sanitaire et économique, puisqu'ils viennent concurrencer la production locale.

Plus largement, la Guadeloupe reçoit de grandes quantités de denrées alimentaires en provenance directe de la Dominique, comme la Martinique depuis Sainte-Lucie . Ces deux petits États insulaires de la Caraïbe n'ont pas du tout le même cadre réglementaire et n'ont pas les capacités techniques pour réaliser des analyses de laboratoire nécessaires à un contrôle sanitaire et phytosanitaire satisfaisant en amont. On peut dès lors suspecter que leurs productions ne soient que très modérément conformes à la législation européenne et française. Cela ne les empêche pas d'être acheminées par bateau et livrées directement à des commerçants. Du fait de la proximité entre les îles , des réseaux de connaissance se sont créés et facilitent l'écoulement. Le problème est particulièrement aigu en Guadeloupe, où Marie-Galante sert de plaque tournante informelle . La douane est certes présente à Marie-Galante sous la forme d'une brigade de surveillance qui est compétente pour procéder à un certain nombre de contrôles. En revanche, Marie-Galante ne dispose pas de point de contrôle pour l'entrée des marchandises végétales et animales , qui transitent en pratique par les ports marie-galantais avant de repartir pour Pointe-à-Pitre et Basse-Terre. C'est le maillon le plus faible de la chaîne de contrôle des importations en Guadeloupe, sans omettre les problèmes des Saintes et de la Désirade.

La DGGDI reconnaît que les liaisons entre îles sont à l'origine d'une introduction illégale de produits . Elle met en avant l'action des services douaniers de surveillance qui contrôlent ces importations illégales au travers, notamment, du contrôle des voyageurs, du fret postal ou du fret express. D'après les données communiquées à vos rapporteurs, en 2015, en Guadeloupe, il a été procédé à 171 dessaisissements de voyageurs, dont 85 concernant des produits qui auraient dû faire l'objet de contrôles phytosanitaires et qui ont été détruits. Malheureusement, la faiblesse de ces chiffres en comparaison du nombre de voyageurs qui quotidiennement transitent dans l'archipel, de même que l'expérience de première main de nos collègues sénateurs guadeloupéens, est plutôt le signe d'une carence du contrôle , les mailles du filet méritant d'être drastiquement resserrées.

Les effectifs douaniers dans les DOM devraient être revus à la hausse alors que les postes ont diminué de 4,5 % entre 2011 et 2016, soit 52 équivalents temps plein (ETP) en moins. Seule la Guyane a connu une amélioration relative avec un gain d'environ 5 ETP, tout en disposant d'un effectif plus de deux fois plus faible que celui de la Martinique. La répartition des effectifs entre les DOM ne paraît pas d'ailleurs répondre à l'appréciation actualisée des besoins des territoires, mais davantage à l'inertie historique de la masse salariale.

Les missions de contrôle sanitaire des produits importés en provenance de pays tiers sont actuellement partagées entre le ministère de l'agriculture (DGAL) et le ministère de l'économie et des finances (DGCCRF) . La répartition des responsabilités est très inégale, puisque la DGAL est compétente sur toutes les questions de santé animale et de santé des végétaux , y compris pour l'analyse des sous-produits et de l'alimentation animale d'origine végétale. Seule la compétence en matière de santé publique humaine est partagée , la DGAL contrôlant les denrées d'origine animale et la DGCCRF celles d'origine végétale , ce qui donne la charge du contrôle des LMR de pesticides à cette dernière. Pour le moment, la répartition des missions entre DGAL et DGCCRF conduit à un double contrôle pour les aspects de santé des végétaux et de santé publique sur certains lots de végétaux.

L'organisation du contrôle sanitaire des importations

Les lots importés dans l'Union européenne depuis les pays tiers sont soumis à un contrôle avant leur introduction dans le territoire de l'UE, principalement les ports et aéroports. Ce contrôle s'effectue :

- dans des Postes d'inspection frontaliers (PIF) pour les animaux et produits d'origine animale ;

- dans des Points d'entrée désignés (PED) pour les végétaux, produits végétaux et certains autres produits, comme les vitamines, lorsqu'il s'agit de veiller à la santé humaine et animale ;

- dans des Points d'entrée communautaires (PEC) pour les végétaux, produits végétaux et autres objets, dès qu'il s'agit de veiller à la santé des végétaux.

Les contrôles dans les PIF, PED (santé animale seulement) et PEC sont effectués par des agents relevant du ministère de l'agriculture. Par arrêté du 28 décembre 2009, le ministre en charge de l'agriculture a créé le SIVEP , service à compétence nationale chargé de l'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières . Le SIVEP regroupe l'ensemble des postes frontaliers en charge du contrôle d'importation des animaux, végétaux et de leurs produits, dont les listes sont fixées par un arrêté du 18 mai 2009.

L'objectif de cette nouvelle organisation, rattachée à la Direction générale de l'alimentation (DGAL), est d'assurer un pilotage centralisé des postes frontaliers français dans l'espoir d'améliorer l'efficacité des contrôles vétérinaires et phytosanitaires à l'importation. Le SIVEP emploie environ 85 ETP.

Les contrôles dans les PED (santé humaine) sont effectués par des agents relevant du ministère chargé de l'économie ( DGCCRF ). La DGCCRF exerce ses contrôles sur les denrées alimentaires d'origine végétale et procède uniquement à des contrôles sanitaires , par exemple de résidus de pesticides. Les contrôles phytosanitaires et vétérinaires pour prévenir les risques de transmission de maladies des végétaux ou des animaux relèvent exclusivement du ministère de l'agriculture .

Dans le cadre d'un dispositif de contrôle renforcé à l'importation , il appartient aux opérateurs de notifier au préalable l'arrivée des lots au niveau des points de contrôle. Les agents de la DGCCRF réalisent un contrôle documentaire systématique et par sondage Selon une fréquence fixée au plan communautaire qui varie de 10 % à 100 % des lots, des contrôles physiques sont menés : la marchandise est déchargée, des échantillons sont prélevés et soumis à analyse en laboratoire. À l'issue du contrôle, si la marchandise est jugée conforme, le document commun d'entrée est délivré ; la marchandise ne pourra être libérée par la douane que sous réserve de la présentation de ce document, dûment validé par la DGCCRF.

Activités des points de contrôle

À la différence des contrôles en PIF et PED, les contrôles en PEC s'effectuent non seulement sur les lots provenant des pays tiers mais aussi sur ceux provenant de l'Union européenne. Ils ne concernent pas la sécurité alimentaire.

Source : ministère de l'agriculture (DGAL) - ministère de l'économie et des finances (DGCCRF)

Par ailleurs, la situation n'est pas satisfaisante en ce qui concerne les contrôles renforcés à l'importation assurés par la DGCCRF en amont du contrôle douanier, sur des produits provenant de pays tiers pour lesquels des risques particuliers ont été identifiés à la suite d'une analyse des risques menée au niveau européen . Les denrées alimentaires inscrites sur la liste européenne, comme par exemple les arachides de Madagascar depuis le 1 er avril 2016, sont contrôlées sur des points d'entrée désignés (PED). Dans les DOM, il en existe dans les ports de La Réunion à la Pointe des Galets, de Guadeloupe à Pointe-à-Pitre et de Guyane à Dégrad-des-Cannes. Or, d'après les données communiquées à vos rapporteurs, les flux de marchandises soumises à contrôle renforcé à l'importation dans les PED ultramarins sont négligeables . En 2015, 7 643 lots ont été notifiés dans les PED français dont seulement 6 pour la Guadeloupe, 7 pour la Guyane et 9 pour La Réunion. Sur les lots analysés dans les DOM, aucun n'a été déclaré non-conforme, alors que dans l'Hexagone le taux de non-conformité est de 6 %. Au regard des flux illégaux et des trafics avérés, bien connus de la population locale et reconnus par la douane, ce n'est pas un indice rassurant mais, bien au contraire, cela laisse soupçonner des contournements massifs du dispositif de contrôle, même renforcé.

Pour améliorer l'efficacité des contrôles à l'importation dans les outre-mer , vos rapporteurs préconisent d'agir simultanément sur plusieurs leviers. Il conviendrait ainsi d' :

- augmenter les effectifs de la douane en outre-mer et modifier leur répartition en donnant la priorité aux territoires présentant le plus de risques, notamment la Guyane et Mayotte ;

- ouvrir un point de contrôle supplémentaire à Marie-Galante pour tenir compte de la nature archipélagique de la Guadeloupe et endiguer les flux illégaux depuis la Dominique ;

- unifier les contrôles sanitaires à l'import sur les végétaux au profit du SIVEP du ministère de l'agriculture, les agents de la DGCCRF responsables actuellement du contrôle des résidus de pesticides lui étant transférés. Cette simplification permettra d'harmoniser et d'accélérer les contrôles en les confiant à une seule équipe d'inspecteurs installés sur le point d'entrée sans allers-et-retours avec le chef-lieu où est basée la DGCCRF. Ce système adopté notamment par les Pays-Bas a fait ses preuves dans l'Union européenne et permet d'accroître la fréquence des contrôles.

Proposition n° 14 : Augmenter les effectifs douaniers en outre-mer et fusionner dans tous les DOM les contrôles des végétaux à l'import en matière de santé des végétaux et de santé humaine en confiant au service d'inspection du ministère de l'agriculture (SIVEP) le contrôle des limites maximales de résidus (LMR) à l'importation

2. Un déséquilibre favorable aux pays tiers à compenser au niveau européen
a) Reconnaître les spécificités des RUP dans les évaluations européennes des risques

Si au niveau national une prise de conscience générale et une mobilisation nouvelle commencent à porter quelques fruits, force est de constater que les principaux blocages qui pénalisent les agricultures ultramarines se situent à l'échelon européen . En effet, les RUP demeurent largement invisibles pour les autorités communautaires, qui ne prennent pas en considération leurs contraintes et caractéristiques particulières, ni dans l'élaboration des normes phytosanitaires , ni dans l'évaluation des risques .

En particulier, l'agence européenne qui constitue la clef de voûte du régime européen de sécurité alimentaire, l'EFSA , a clairement admis devant vos rapporteurs que les spécificités des conditions de l'agriculture au sein des départements d'outre-mer français n'étaient pas prises en compte dans ses travaux, le cadre réglementaire contraignant qui s'impose aux évaluations de l'EFSA ne lui en faisant pas obligation. En d'autres termes, les RUP restent dans l'angle mort de l'agence, qui n'est donc absolument pas en mesure d'infléchir ses avis ou de proposer des adaptations en fonction du contexte tropical.

Ainsi, par exemple, le potentiel de contamination des eaux souterraines par une substance active est évalué par l'EFSA en considérant neuf situations pédoclimatiques représentatives des grandes zones de productions agricoles en Europe méridionale, centrale et septentrionale. Le site de Châteaudun dans la Beauce est retenu pour la France. Les conditions spécifiques de sols et de climats en milieu tropical ne sont donc pas considérées malgré d'énormes différences qui jouent sur la diffusion des polluants.

En outre, les évaluations d'exposition des consommateurs aux résidus de pesticides sont basées sur les régimes alimentaires inclus dans le Pesticide Residue Intake Model (PRIMo) de l'EFSA. Sont traités dans ce modèle 22 régimes alimentaires européens pour l'évaluation de l'ingestion chronique et 19 pour l'ingestion aiguë. Aucun régime alimentaire ultramarin n'en fait partie. Les spécificités alimentaires des populations des RUP ne sont donc absolument pas prises en compte, alors qu'elles diffèrent très sensiblement de celles de l'Europe continentale.

Vos rapporteurs demandent que l'EFSA complète les référentiels européens utilisés pour l'évaluation d'une substance active pour inclure :

- parmi les terroirs européens représentatifs, un site implanté en outre-mer ;

- parmi les régimes alimentaires du modèle PRIMo, au moins un régime représentatif des habitudes de consommation des populations ultramarines .

Il reviendra aux autorités françaises compétentes de porter cette demande et de transmettre à l'EFSA les données pertinentes pour le choix du site et la définition du régime alimentaire. Cet effort est essentiel dans la perspective de définir des LMR en dehors des références au seul climat tempéré et pour les seules habitudes alimentaires de l'Europe continentale . Sur l'évaluation des risques pour le consommateur, l'Anses a mené des études de consommation spécifiques aux populations de la zone Caraïbe . Ces études en cours de finalisation pourraient offrir une base très pertinente pour compléter les modèles d'exposition utilisés par l'EFSA pour la fixation des LMR européennes en prenant en compte les habitudes alimentaires des populations antillaises et guyanaises.

Sur demande de la France, l'EFSA pourrait être amenée à émettre un avis spécifique sur l'exposition des populations des RUP à certains risques. Cette faculté n'a encore jamais été utilisée. Vos rapporteurs souhaitent que le Gouvernement français y recoure pour que progressivement l'agence européenne développe de nouvelles pratiques plus attentives aux spécificités des outre-mer. La qualité de la réglementation européenne en aval en sortira améliorée.

Proposition n° 4 : Compléter les référentiels pédoclimatiques et d'habitudes alimentaires utilisés par l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, pour l'évaluation des risques afin de prendre en compte les outre-mer

b) Promouvoir les moyens de biocontrôle

C'est en matière d'encadrement des moyens de lutte biologique appelée aussi biocontrôle que les normes européennes apparaissent les plus pénalisantes , bien que leur faible nocivité en fasse une alternative de choix aux traitements chimiques.

Le ministère de l'agriculture et les interprofessions travaillent activement au développement du biocontrôle en s'appuyant sur la recherche agronomique de pointe menée dans les centres de l'INRA et du Cirad aux Antilles et à La Réunion. Il faut distinguer quatre grands types de moyens de biocontrôle qui peuvent être utilisés de façon raisonnée pour protéger les cultures contre les attaques des bioagresseurs : les macro-organismes (invertébrés, insectes, acariens, nématodes), les micro-organismes (bactéries, virus, champignons), les médiateurs chimiques (phéromones, kairomones, allomones) et les substances naturelles 17 ( * ) .

Le régime juridique de ces différentes solutions de biocontrôle n'est pas homogène. Les macro-organismes utiles aux végétaux bénéficient d'une réglementation spécifique : ils ne sont pas soumis au règlement « pesticides » de 2009, ni à la procédure classique d'AMM . Cependant, l'introduction dans l'environnement exige une évaluation préalable des risques par l'Anses. Les médiateurs chimiques utilisés comme moyen de lutte par confusion sexuelle ou piégeage de masse sont considérés comme des substances actives. Ils sont soumis à la procédure du règlement de 2009 et doivent obtenir une AMM comme n'importe quel produit phytopharmaceutique. La seule exception faite concerne des phéromones utilisées pour du piégeage limité à des fins d'identification et de surveillance des populations de ravageurs. De même, l'utilisation des micro-organismes 18 ( * ) et des substances naturelles est régie par le règlement « pesticides » , même s'ils peuvent bénéficier d'une procédure assouplie lorsqu'ils entrent dans la catégorie des substances de base ou des substances peu préoccupantes.

La question des normes applicables aux phéromones et aux substances naturelles est la plus importante. En effet, certaines phéromones pourraient être utilisées pour compenser les usages phytosanitaires orphelins sur les cultures fruitières et légumières des DOM . L'INRA a développé un moyen de biocontrôle contre le charançon de la patate douce à base de phéromones. Malgré une efficacité certaine, cette méthode ne peut légalement être utilisée par les producteurs en l'absence d'AMM. Pourtant, cette phéromone n'est pas en contact avec la culture et n'est pas dispersée dans l'environnement. Elle présente donc un risque très faible. Malheureusement, la longueur et le coût de la procédure d'homologation sont trop élevés pour intéresser une firme. Les instituts de recherche n'ont ni les moyens financiers, ni la vocation de s'y substituer, si bien que les résultats de la recherche restent lettre morte.

Il en va de même en matière de substances naturelles . Des produits de traitement à base d'extraits d'huiles essentielles , comme en Floride ou en Californie, ont été développés par l'INRA et le Cirad, notamment pour lutter contre le citrus greening qui décime les agrumes. Ces travaux valorisent et affinent des traditions locales, issues d'un savoir-faire ancien, à base d'extraits de plantes. Des décoctions à base d'arbre à pain, d'abricot « péi » ou de feuilles de manguier ont été testées avec succès.

Théoriquement, la réglementation européenne prévoit ce cas. L' article 23 du règlement (CE) 1107/2009 prévoit une procédure accélérée d'évaluation pour les préparations regroupées sous le terme de « substances de base », c'est-à-dire une substance :

- qui n'est pas une substance préoccupante ;

- qui n'est pas intrinsèquement capable de provoquer des effets perturbateurs sur le système endocrinien, des effets neurotoxiques ou des effets immuno-toxiques ;

- dont la destination principale n'est pas d'être utilisée à des fins phytosanitaires, mais qui est néanmoins utile dans la protection phytosanitaire, soit directement, soit dans un produit constitué par la substance et un simple diluant ;

- et qui n'est pas mise sur le marché en tant que produit phytopharmaceutique.

De fait, ce sont essentiellement des substances alimentaires très communes comme l'amidon ou la levure de boulanger qui en font partie. Elles sont approuvées pour une durée illimitée sans nécessité d'une autorisation de mise sur le marché.

Hors de ce champ restreint , l'EFSA évalue des substances naturelles ou biologiques selon une procédure similaire à celle qui s'impose pour les produits chimiques. L'agence européenne a admis, lors de son audition du 26 mai 2016 que « la règlementation européenne n'est probablement pas totalement adaptée à l'évaluation des préparations à base d'extrait de plantes ». L'Anses a, pour sa part, estimé que la fluidité et l'instabilité relatives de la composition des préparations naturelles peu préoccupantes gênaient l'octroi d'AMM. Ainsi que l'a confirmé Mme Chloé Bourgoin, responsable santé végétale à l'Institut technique tropical (IT2) : « le dépôt d'une demande d'homologation pour des plantes qui n'existent que dans les départements d'outre-mer nécessiterait de lourds investissements. De ce fait, personne ne déposera de dossier et on n'aura jamais accès à ces solutions naturelles qui, a priori , ne présentent aucun risque pour la personne qui les applique, le consommateur ou l'environnement. » 19 ( * )

C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent une mesure forte pour dynamiser la lutte biologique contre les ravageurs qui sévissent particulièrement outre-mer : il faut parvenir à dispenser d'homologation tous les moyens de biocontrôle (macro-organismes, micro-organismes, médiateurs chimiques et substances naturelles) développés par les instituts de recherche nationaux comme l'INRA et le Cirad .

L'objectif est d' obtenir une révision du règlement européen de 2009 sur les produits phytopharmaceutiques pour exclure de son champ les moyens de biocontrôle et dispenser en particulier d'AMM les phéromones et les extraits de plantes dès lors qu'ils ont été testés et validés comme instrument de lutte biologique par les instituts agronomiques publics. Une réglementation spécifique est nécessaire pour encourager l'innovation et l'agroécologie en contexte tropical.

Dans la phase de transition , en attendant l'aboutissement de la révision du règlement de 2009, il serait judicieux d' ouvrir un financement public État-régions pour soutenir directement les dossiers d'approbation au niveau européen des moyens de biocontrôle développés par les instituts de recherche nationaux dans les outre-mer. La France par l'intermédiaire de l'Anses devrait s'attacher à être désignée comme État membre rapporteur devant l'EFSA. Puis, au niveau national, l' Anses devrait adopter une procédure allégée : sur le fondement de la caution scientifique des instituts de recherche, on pourrait recourir à un simple enregistrement et dépôt de la substance qui vaudrait homologation.

Cette dispense d'homologation ne signifie pas une absence de contrôle en cours d'utilisation. Il s'agit en revanche d'admettre que les instituts de recherche apportent une crédibilité et une caution suffisante pour une première autorisation, des tests et des analyses pourront être menés pendant l'utilisation des moyens de biocontrôle. L'utilisation pourra être suspendue en cas de risque concret.

Proposition n° 6 : Dispenser d'homologation les phéromones et les extraits végétaux, en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche nationaux en outre-mer. Pendant la phase précédant la révision du règlement européen « pesticides » de 2009 à cet effet, ouvrir un financement public État-région pour soutenir les demandes d'homologation sur des préparations issues des travaux des instituts de recherche nationaux en fonction des priorités des stratégies territoriales agricoles

c) Réviser les conditions d'échanges commerciaux avec les pays tiers

La politique de l'Union européenne en matière d'échanges commerciaux agricoles avec les pays tiers demande à être revue pour compenser l'écart de compétitivité dont souffrent les RUP. Le cadre normatif des contrôles à l'importation nécessite d'être renforcé et adapté pour tenir compte de la fragilité des marchés ultramarins.

Il faut reconnaître une avancée positive avec la refonte du règlement européen de protection des végétaux qui devrait être adoptée en 2016 et entrer en vigueur en 2019 . Les outre-mer importent des végétaux et produits végétaux depuis les pays tiers de leur environnement régional. Certains de ces pays n'exercent qu'un suivi très limité des problématiques de santé des végétaux sur leurs territoires. Des adaptations de la réglementation propres aux RUP sont nécessaires pour éviter l'introduction de parasites et de maladies des plantes qui menaceraient l'environnement et les productions locales, mais qui ne correspondent pas aux problématiques phytosanitaires de l'Europe continentale. La différenciation entre l'Europe continentale et les RUP, sans possibilité de libre circulation des végétaux, est aussi justifiée pour protéger la partie continentale de l'Union européenne contre de nouveaux ravageurs tropicaux.

Lors de son audition du 12 mai 2016, la DG santé de la Commission européenne a indiqué à vos rapporteurs que les RUP seraient exclues du champ d'application du nouveau règlement . Il reviendra aux autorités françaises de définir les modalités des contrôles et de quarantaine et d'établir les listes de référence d'organisme nuisibles, de végétaux et de pays à risques pour chaque DOM. Le ministère de l'agriculture a déjà entamé la rédaction d'un nouvel arrêté spécifique aux DOM , fondé sur une analyse de risque conduite par l'Anses, dont la parution est prévue pour 2017. L'ancien cadre issu d'un arrêté de 1991 était devenu obsolète et compliquait le déroulement des contrôles.

Toutefois, le manque de reconnaissance des outre-mer demeure patent lorsqu'on examine le catalogue européen des variétés . Les semences et plants des principales espèces végétales cultivées en Europe sont soumis à une réglementation harmonisée au niveau communautaire. Plus de deux cents espèces sont concernées par ce cadre réglementaire, qui exige une inscription au catalogue des variétés commercialisées et une certification de la production de semence. Or, un nombre important de plantes cultivées en zone tropicale dans les outre-mer ne figurent pas dans le catalogue , en particulier pour ce qui concerne les espèces fourragères , les plantes de services ou les cultures vivrières traditionnelles . Les lacunes du catalogue empêchent par exemple l'importation de semences de variétés résistantes aux ravageurs tropicaux pour les cultiver en Guyane alors qu'elles le sont au Brésil ou au Suriname. Il conviendrait donc d' intégrer les variétés végétales résistantes au catalogue européen et, pendant une phase transitoire , d' autoriser dans les RUP à titre dérogatoire la culture locale de variétés végétales non inscrites au catalogue européen des variétés.

Proposition n°9 : Autoriser pour les RUP à titre dérogatoire la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés

Par ailleurs, afin de tenir compte de leurs contraintes naturelles et de leur éloignement géographique, la réglementation vétérinaire de l'Union européenne laisse le choix aux RUP d'appliquer les mêmes règles que l'Hexagone ou de bénéficier d'un régime dérogatoire en matière d'importation d'animaux et de produits animaux transformés . Le régime dérogatoire interdit toute réexpédition des produits importés dans les RUP ou de leurs dérivés vers le reste de l'Union : les produits importés doivent être exclusivement destinés à une consommation sur place ou à une réexpédition vers les pays tiers. Depuis 2011, tous les DOM à l'exception de La Réunion ont fait le choix du régime dérogatoire, qui paraît adapté .

Cependant, les avancées positives récentes pour calibrer la prévention des maladies végétales ou animales ne touchent pas au coeur du problème, c'est-à-dire à la compétition économique inégale entre les pays tiers et les outre-mer . De fait, les RUP sont tenues d'accepter sur leurs marchés locaux toutes les productions des pays tiers autorisés par l'Union européenne, dès lors qu'elles respectent les LMR de pesticides. De surcroît, les RUP doivent tenter de résister sur leurs marchés à l'export traditionnels, l'Hexagone au premier rang, en endossant un handicap normatif dont l'Union européenne exempte les pays tiers.

Pour rétablir une concurrence saine et loyale, vos rapporteurs recommandent de faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste positive de pays dont les procédures d'homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes aux procédures européennes . Ensuite , faculté serait donnée au ministre de l'agriculture, saisi par un groupe de producteurs, d'autoriser un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage . Le ministre après avis de l'Anses pourra modifier les LMR et les conditions d'utilisation. Plutôt que d'entrer dans un processus de reconnaissance mutuelle qui nécessiterait de longues négociations multilatérales, cette démarche donne la main à l'Union européenne pour simplifier les homologations et réduire les usages orphelins qui pénalisent massivement les producteurs européens par rapport à leurs concurrents. Des pays comme le Brésil, l'Afrique du Sud ou l'Australie pourraient faire partie de la liste positive, qui serait dressée sur avis de l'EFSA.

Proposition n° 5 : Faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste positive de pays dont les procédures d'homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes et donner la faculté au ministre de l'agriculture saisi par un groupe de producteurs d'autoriser un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage

Symétriquement , il serait utile de faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur productions avec des substances fortement rémanentes dans les sols et l'eau . Un tel dispositif ne ferait que reproduire les interdictions édictées dans les Antilles à la suite de la crise du chlordécone, car ce produit n'est pas le seul qui doive être rigoureusement interdit et contrôlé. Elle permettrait en particulier de répondre à l'inquiétude locale face aux importations massives d'ignames en provenance du Costa Rica. Face aux faiblesses et lacunes des contrôles aux importations, même dans le cadre des contrôles renforcés, des mesures d'interdiction strictes sont plus simples à mettre en oeuvre et plus efficaces.

Proposition n°13 : Faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l'eau

En outre, vos rapporteurs demandent la suppression des tolérances à l'importation accordées par l'Union européenne pour des denrées traitées par une substance active interdite au plan européen . Cette mesure contribuera à restreindre l'avantage comparatif indu dont bénéficie des pays tiers et à les forcer à s'aligner sur les normes européennes de production s'ils souhaitent pénétrer le marché européen.

Les normes de commercialisation dans l'Union européenne doivent intégrer des exigences sur les conditions de production au-delà du respect des LMR. Dans l'hypothèse où les mesures d'interdiction proposées ne seraient pas acceptées par nos partenaires européens, il conviendrait à tout le moins de prévoir un étiquetage spécial pour les denrées des pays tiers signalant au consommateur européen qu'elles ont été traitées avec une substance interdite dans l'Union européenne, même si aucun résidu n'est détectable. La menace d'une interdiction des importations pourrait être utilisée comme un levier dans les négociations commerciales pour inclure dans les accords de libre-échange des clauses contraignantes afin de réduire l'emploi par un pays tiers des substances non autorisées dans l'Union européenne. Il conviendrait notamment d'appliquer des tarifs spécifiques dissuasifs et des quotas étroits sur les productions traitées avec des substances non autorisées.

Proposition n° 12 : Supprimer les tolérances à l'importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l'Union européenne

B. MISER SUR LA QUALITÉ DU PRODUIT POUR ACCROÎTRE LES PERFORMANCES.

1. La labellisation au secours des agricultures ultramarines

Face à la concurrence des pays tiers dont la compétitivité coût est insurpassable, seule une montée en gamme permettra de préserver, voire d'accroître les parts de marché des producteurs ultramarins. Cette stratégie de la qualité est d'autant plus cruciale que certains pays tiers se lancent parallèlement dans des démarches similaires en bénéficiant de labels bio et commerce équitable sans pour autant respecter les normes européennes.

Les filières de la banane et du rhum sont les plus engagées dans le mouvement de labellisation car elles ont la force de frappe commerciale qui fait encore défaut aux filières de diversification.

Ainsi, la filière banane mène de front plusieurs actions visant à s'affirmer aux yeux du consommateur comme un produit de qualité, alors que ce fruit est encore en général considéré comme un produit d'entrée de gamme. À la différence de la pomme, qui est aussi un produit très commun, la banane n'est pas présente dans un grand nombre de variétés gustativement différentes sur les étals. En effet, il n'y a guère que la variété Cavendish qui se conserve suffisamment pour l'export. La labellisation vise donc plutôt à faire reconnaître la qualité environnementale supérieure de la banane antillaise .

Trois démarches parallèles concourent à l'objectif d'assurer à 25 % de la production de banane française l'accès à des marchés plus rémunérateurs que le marché classique.

La première démarche repose sur l'obtention de la certification privée « Global GAP 20 ( * ) », qui porte sur tous les fruits et légumes mais avec des standards variables selon les pays. Elle est requise par certaines enseignes de distribution. Ce référentiel porte sur la mise en oeuvre d'actions environnementales et la mise en place d'une traçabilité et d'un suivi des pratiques dans les exploitations. Environ 80 % de la production française est certifiée. L'UGPBAN a créé une certification propre à la banane de Guadeloupe et de Martinique, le label « BanaGAP » plus exigeant en matière environnementale (gestion de l'eau, réduction des intrants, valorisation des déchets) et de formation des salariés.

En outre, les producteurs ont lancé un label « banane française » qui permet d'identifier clairement le produit par un ruban bleu, blanc, rouge muni d'un code barre pour le passage en caisse. La phase de test menée en 2015 s'est soldée par un gain commercial. Un prix au kilo plus élevé de 0,25 euro pour 1 500 tonnes écoulées a conduit à une hausse de 350 000 euros du chiffre d'affaires. Les consommateurs ont manifesté un intérêt certain pour un produit d'origine française. Les 500 supermarchés participants sous cinq enseignes ont enregistré moins de pertes en magasin que d'ordinaire. Forte de ce succès, la filière vise un taux de couverture par le label « banane française » de 10 à 15 % de la production commercialisée en 2017.

Enfin, la filière de la banane cherche à compléter son dispositif en s'engageant dans le processus d'homologation d'une indication géographique protégée (IGP) . La profession a inscrit la mise en place d'une IGP dans la stratégie de filière 2020 et espère sa mise en place dans les trois ans.

Pour soutenir ce double processus de transformation agroécologique et de valorisation commerciale , le Plan banane durable 2 prévoit de poursuivre la recherche d'alternatives à la compétitivité prix en déployant une stratégie de différenciation de la banane antillaise française à travers les signes de qualité et la recherche de nouvelles variétés . Il conviendra toutefois de veiller à garantir les sources de financement des actions du plan. Le financement dépend désormais des régions car le Plan banane durable 2 est rattaché aux programmes de développement rural de la PAC dont elles sont devenues les autorités de gestion.

La filière rhum de la Martinique a adopté depuis longtemps une stratégie centrée sur les signes de qualité et la protection de l'origine , qui sont devenus ses meilleurs atouts sur un marché mondial extrêmement concurrentiel. Les dernières données disponibles auprès de l'INAO indiquent que 90 % du rhum agricole produit en Martinique est classé en appellation d'origine contrôlée ( AOC ), ce qui contribue fortement à l'image du produit à l'export, notamment vers l'Europe continentale.

En outre, trois indications géographiques (IG) existent depuis le 22 janvier 2015 : rhum des Antilles françaises, rhum de la baie du Galion et rhum des départements français d'outre-mer. La possibilité de classer du rhum en IG est trop récente pour juger de la popularité de ces nouvelles appellations d'origine auprès des professionnels. Cependant, on peut espérer un effet positif sur les volumes puisque la production de rhum agricole qui oscillait entre 50 000 et 70 000 hectolitres d'alcool pur (HAP) avant 1996 varie désormais entre 60 000 et 80 000 HAP. Le classement en AOC du rhum martiniquais en 1996 a véritablement développé la production.

Ainsi que l'a indiqué M. Thierry Fabian, coordinateur des productions ultramarines à l'INAO au cours de son audition du 28 avril 2016 : « Certaines contraintes qui peuvent être vues comme des handicaps, en particulier le fait pour les outre-mer de ne pas se trouver dans les conditions de production standard sur le plan international, peuvent devenir des atouts pour les producteurs qui veulent se différencier de la concurrence. C'est au moment de la construction du cahier des charges de l'AO ou de l'IG que l'on prend conscience de ce retournement. Par exemple, 98 % du rhum mondial est fabriqué à partir de mélasse. Or, le rhum agricole est fait à partir du jus de canne. C'est cette particularité qui est mise en valeur et devient un élément d'identification des rhums antillais sur le marché mondial . »

En dehors du rhum, il convient de citer une IGP sur le melon de la Guadeloupe . Le monoï de Tahiti constitue un cas particulier qui est doublement protégé par une appellation d'origine polynésienne et par une appellation d'origine nationale. Plusieurs autres demandes sont en cours d'instruction : la vanille de La Réunion et le vin de Cilaos en sont au stade de la commission d'enquête, que n'ont pas encore atteint les dossiers de la vanille de Tahiti et du café Bourbon pointu de La Réunion, malgré la réalisation d'études préliminaires. La réflexion est encore moins avancée pour l'ylang-ylang et la vanille de Mayotte, où la culture de la certification n'est pas encore acclimatée, ainsi que pour le café de Guadeloupe, aucun groupement de professionnels n'ayant sollicité l'INAO, même si ces projets sont soutenus par les DAAF régionales.

Les missions de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO)

L'INAO est un établissement public administratif sous tutelle du ministre de l'agriculture. Il a été créé par le décret-loi du 30 juillet 1935 dans un contexte de grave crise viticole. Par délégation du ministre de l'agriculture, l'institut conduit la politique nationale en matière de qualité de la production alimentaire . À ce titre, il gère les signes officiels de qualité et d'origine qui se déclinent en quatre types :

- les appellations d'origine contrôlée (AOC) qui deviennent des appellations d'origine protégée (AOP) dans le cadre européen ;

- les indications géographiques protégées (IGP) ;

- les labels rouges ;

- et le signe de reconnaissance de l'agriculture biologique « AB ».

L'Institut accompagne les producteurs qui veulent faire reconnaître les spécificités d'un produit, en les aidant à établir un cahier des charges qui reprend la définition du produit, ses conditions propres de production ainsi que son périmètre de production. Il revient ensuite au ministre de l'agriculture, sur le rapport de l'INAO, d'homologuer la certification du produit par arrêté.

Les producteurs s'organisent alors dans des syndicats de gestion et de défense du signe de qualité, tandis que l'INAO contrôle la mise en oeuvre du cahier des charges en recourant à des organismes certificateurs indépendants.

Les signes de qualité et d'origine peuvent constituer un atout certain pour les productions ultramarines dont ils consolident l'image dans le public, ce qui permet généralement aux producteurs d'augmenter leurs marges en temps normal et de résister en cas de crise . Toutefois, ces labels officiels n'ont rien d'une panacée et ne peuvent pas à eux seuls former une stratégie alternative viable si des conditions favorables au développement de la production agricole concernée ne sont pas réunies. Une politique de la qualité ne dispense ni les filières de renforcer leur structuration interne et l'organisation de leur distribution, ni les pouvoirs publics d'adapter le cadre normatif .

Ce qui est vrai dans l'Hexagone, l'est encore plus dans les outre-mer. L'exemple des deux labels rouge qui protégeaient l'ananas et le litchi de La Réunion est instructif à cet égard. Depuis cinq ans, aucune production n'a eu lieu sous ces labels, c'est-à-dire en respectant le cahier des charges permettant de s'en prévaloir, si bien qu'ils sont officiellement tombés en désuétude. Bien qu'ils protégeassent le savoir-faire des arboriculteurs réunionnais, les labels rouges n'empêchèrent pas l'éviction de la production locale au profit de Maurice pour l'ananas et de Madagascar pour le litchi , alors même que ces produits commençaient à être spontanément reconnus et recherchés par le consommateur métropolitain. Cet échec montre que sans réforme des politiques phytosanitaires et commerciales, les filières ultramarines de diversification végétale peineront à se développer même en misant sur la qualité.

Il n'en demeure pas moins qu' une implication plus directe et plus constante de l'INAO auprès des producteurs ultramarins serait bienvenue . L'Institut emploie 260 agents dont les deux tiers travaillent directement sur le terrain, mais il n'a aucune implantation propre dans les outre-mer . Il agit dans les DOM 21 ( * ) par l'intermédiaire des DAAF qui au regard de l'étendue de leurs missions outre-mer ne peuvent faire des signes officiels d'origine et de qualité la priorité de leur action. Il paraît donc nécessaire de renforcer l'accompagnement par l'INAO des filières de diversification . Étant donné à la fois le nombre d'IGP en suspens à La Réunion (Vanille Bourbon, Lentille de Cilaos, Vin de Cilaos, Ananas de La Réunion, café Bourbon Pointu) et la meilleure structuration des filières de diversification dans ce département, il pourrait être envisagé d'y installer la première antenne permanente de l'INAO dans les outre-mer.

Proposition n°19 : Implanter une antenne permanente de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) en outre-mer

2. Le bio, une voie d'avenir malgré les difficultés actuelles

Le marché des produits bio sur l'ensemble des DOM est assez peu développé puisqu'il ne représente qu'environ 30 millions d'euros, selon l'étude du cabinet AND-international commandée en 2013 par l'ODEADOM. Il est largement approvisionné par des produits d'importation venant essentiellement d'Europe continentale, car la production bio locale couvre moins de 1 % de la surface cultivée dans les DOM . Toutefois, la demande de bio existe dans ces territoires, de même que des exploitants candidats notamment dans les filières maraîchères et fruitières 22 ( * ) . Il s'agit d'une voie d'avenir pertinente en complément de la stratégie de montée en gamme et de labellisation.

Sur les marchés d'export, la filière de la canne de La Réunion considère que les problèmes d'enherbement, de coût du travail et de taille des sucreries l'empêche d'être compétitive sur le marché du sucre bio par rapport à l'Inde ou à la Colombie 23 ( * ) . En revanche, un producteur biologique de banane est à ce jour certifié sur 16 hectares en Martinique et la profession espère développer ce marché jusqu'à 8-10 % de la production d'ici 2020.

Toutefois, ces perspectives de développement sont bridées par une réglementation européenne défavorable et par la superposition des normes sur le bio et sur les phytosanitaires, qui avantagent à nouveau les pays tiers par rapport aux RUP.

Les normes régissant l'agriculture biologique au niveau international présentent la particularité d'être émises par une association privée basée en Suisse, l' International Federation of Organic Agriculture Movements ( IFOAM ). Les recommandations de l'IFOAM servent de base au règlement européen CE n° 834/2007 du 28 juin 2007 relatif à l'agriculture biologique. Des organismes certificateurs rémunérés par les entreprises mais agréés par les pouvoirs publics procèdent au contrôle dans les exploitations du respect des cahiers des charges du bio, déclinés filière par filière. En France, il faut aussi tenir compte du guide de lecture du règlement européen préparé par le ministère de l'agriculture et l'INAO.

Il faut déplorer que la réglementation européenne sur le bio n'ait jamais été élaborée en tenant compte des agricultures tropicales des RUP, alors que des concurrents comme la République dominicaine et le Brésil ont su définir des règles d'agriculture biologique à la fois conformes aux normes internationales de base et adaptées au climat tropical. Ces pays autorisent notamment la culture biologique hors sol , sur claies ou en bac, pour limiter l'impact des parasites et des ravageurs tropicaux très dynamiques sans employer de pesticides. De même, le recours à des semences conventionnelles y est plus souple que dans les RUP. La réglementation européenne sur le bio exige des exploitants qu'ils emploient des semences certifiées biologiques, mais faute de filière préexistante, les RUP ne peuvent pas en disposer sur place. Les importations de semences certifiées biologiques pour des cultures tropicales entrent en conflit avec la rigueur des contrôles sur la santé des végétaux. Ces restrictions pèsent aussi sur les filières bio animales. M. Christian Renault du cabinet AND-international a ainsi pris l'exemple de maïs bio importé à La Réunion en provenance de Madagascar, pour lancer un élevage de poules pondeuses. La cargaison est restée trois mois en attente des contrôles sanitaires nécessaires ; elle a donc pourri avant d'être utilisée 24 ( * ) .

En outre, les règles propres à l'agriculture biologique ne peuvent pas être considérées isolément sans tenir compte de leurs interactions avec les normes phytosanitaires. Pour prendre un exemple en dehors des outre-mer, pour soigner la tavelure, une maladie de la pomme, un même produit phytosanitaire est autorisé en Italie et interdit en France, que cela soit en mode de production biologique ou conventionnel, si bien que le marché de la pomme bio en France est préempté par les fruits italiens. De la même façon, les RUP françaises ne peuvent recourir à certains produits phytosanitaires qui sont régulièrement autorisés en culture biologique dans des pays tiers . La République dominicaine peut utiliser 33 produits pour la banane bio contre 3 aux Antilles et 14 de ces 33 produits ne bénéficient pas d'une autorisation en agriculture conventionnelle en France. L'interdiction de l'épandage aérien en culture conventionnelle propre à la France vient encore restreindre le champ des possibilités par rapport aux concurrents de la zone Caraïbe qui tiennent en conséquence la majorité du marché de la banane bio en Europe continentale.

Paradoxalement, des productions biologiques des pays tiers moins exigeantes du point de vue environnemental que leurs homologues conventionnelles des RUP envahissent le marché européen en profitant d'un étiquetage bio . Le consommateur européen ne peut que s'y tromper. Rien ne lui permet de savoir que le label bio des pays tiers est moins exigeant et qu'en particulier les bananes bio qu'il achète peuvent être traitées par des huiles minérales paraffiniques.

Depuis le 1 er juillet 2014 , l'accès au marché européen pour les produits bio des pays tiers se fait selon deux voies. Certains pays tiers ont été reconnus comme appliquant des règles de production biologique et de contrôle équivalentes à celles appliquées dans l'Union Européenne. La Commission européenne reconnaît actuellement 12 pays tiers comme équivalents en termes de réglementation biologique : les États-Unis, la Suisse, le Canada, le Japon, la Corée du Sud, l'Inde, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine, le Costa Rica, Israël et la Tunisie. Un accord d'équivalence réciproque vient d'être signé avec le Chili, mais il n'est pas encore entré en vigueur. La DG agriculture a indiqué à vos rapporteurs que tous ces pays tiers étaient considérés équivalents sur le fondement d'une analyse comparative détaillée de la totalité de la réglementation bio, notamment en termes de rigueur du cahier de charges et des règles de contrôle. Il n'en reste pas moins que certains de ces pays sont des concurrents directs des productions tropicales des RUP et qu'ils ne sont pas soumis à des contraintes phytosanitaires équivalentes, puisque la réglementation sur les pesticides et la réglementation bio se superposent sans se substituer l'une à l'autre.

Parallèlement, la Commission Européenne a établi une liste d'organismes de contrôle internationaux disposant de leur propre cahier des charges qu'elle reconnaît comme faisant appliquer des règles de production biologique équivalentes à celles appliquées dans l'Union Européenne. Une première liste a été validée par la Commission Européenne ; elle est parue au journal officiel de l'Union européenne le 6 décembre 2011, avant d'être mise à jour en 2012 et en 2013. De même, ces organismes de certification ne tiennent pas compte des restrictions particulières qu'imposent l'approbation des substances actives dans l'Union européenne et la délivrance d'AMM pour les produits phytopharmaceutiques en France.

Vos rapporteurs recommandent de profiter de la refonte en cours du règlement bio pour pousser les feux en faveur d'un traitement spécifique des RUP et d'un rééquilibrage des accords sur le bio qui, aujourd'hui, favorisent les pays tiers. Les règles actuelles ont permis en pratique d'importer des produits relevant de standards moins élevés que les normes européennes et parfois plus bas que ceux des filières conventionnelles. Il est crucial de redresser ces distorsions et d'améliorer les conditions de concurrence de la production biologique européenne, notamment des RUP, par rapport aux produits importés.

La proposition de la Commission européenne a été adoptée le 24 mars 2014, il y a plus de deux ans. Le Parlement européen n'a pu émettre un avis qu'en octobre 2015 et les trilogues ont commencé en novembre 2015. Il est encore tout à fait temps de se mobiliser pour infléchir le projet de règlement.

Une proposition novatrice serait d' autoriser dans l'Union européenne , au moins pour les seuls RUP sur le fondement de l'article 349 du traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG) . Ce mécanisme d'autocontrôle est validé au plan international par l'IFOAM. Il est utilisé en Océanie, notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, mais aussi au Brésil, en Inde, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, et au Costa Rica. Pour l'instant , le règlement européen 834/2007 sur le bio exclut le SPG au profit d'une obligation de certification par un organisme tiers. Pourtant , la réglementation européenne admet, dans la liste des pays tiers reconnus comme équivalents, plusieurs pays ayant recours au SPG . Cette position paradoxale ne paraît pas tenable.

L'ouverture d'un recours au SPG en complément d'une voie de certification par un organisme tiers comme Ecocert , serait particulièrement intéressante pour les RUP. En effet, le SPG permettrait de compenser l'absence des organismes certificateurs dans les outre-mer et faire ainsi baisser le coût de la certification pour les producteurs domiens. Le SPG est un système d'assurance-qualité ancré localement. Il certifie les producteurs sur la base d'une participation active des acteurs concernés et repose sur des groupements associatifs rassemblant des producteurs et des consommateurs. Des équipes mixtes (producteurs/consommateurs) de certification sont formées au sein du groupement. Elles contrôlent le respect du cahier des charges de l'agriculture biologique par l'ensemble des producteurs membres du groupement dans une logique d'autorégulation. Il faut reconnaître que l'essor du bio est venu de ce type de groupements participatifs qui exercent un réel contrôle de qualité sur ses membres, tout en sachant être sensibles aux particularités de chaque terroir et en rassurant les consommateurs qui sont associés à la certification.

Les SPG représentent une alternative au système actuel de certification par tiers des produits de l'agriculture biologique. S'ils partagent le même objectif, la garantie, c'est dans le principe et le processus qu'ils présentent des différences. Quelle soit institutionnelle, issue d'une réglementation, ou imposée à l'initiative d'un acheteur, la certification par tiers est par définition externalisée et échappe à la fois aux producteurs et aux consommateurs concernés. Les points forts du SPG résident dans sa souplesse, son ancrage local et le lien direct entre les producteurs et les consommateurs. En outre, le SPG renforce les liens entre exploitants et facilite l'organisation d'une filière bio structurée où se diffuse rapidement les bonnes pratiques techniques grâce à de forts effets d'apprentissage. Il apparaît donc comme particulièrement adapté à la situation particulière des RUP où la diversification végétale est moins organisée et où le marché local joue un rôle crucial . On peut imaginer que les grandes filières d'export de la banane, du sucre et du rhum recourent à des organismes certificateurs et que les filières fruitières, légumières et animales entrent dans un système participatif de garantie .

Proposition n° 16 : Autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur, pour les exploitations implantées dans les RUP

La certification de l'agriculture biologique en Nouvelle-Calédonie

Le signe officiel relatif à l'agriculture biologique en Nouvelle-Calédonie est le label « Biopasifika ». Peuvent en bénéficier de ce signe les exploitations certifiées par un organisme de contrôle et de certification accrédité par l'IFOAM ou garantie par un système participatif de garantie (SPG) reconnu par l'IFOAM, sur la base de la Norme Océanienne d'Agriculture Biologique (NOAB).

La NOAB a été construite en 2007 par un groupe d'experts régionaux sous l'égide de la Communauté du Pacifique Sud (CPS). Cette norme a été élaborée à partir des normes déjà en vigueur dans la région (NASSA pour l'Australie et Biogro pour la Nouvelle-Zélande), du Codex alimentarius et des règles de base de l'IFOAM. Les grands principes de l'agriculture biologique tels que le lien avec le sol et l'absence d'intrants chimiques sont fondamentaux dans la NOAB, ce qui lui a permis d'être reconnue par l'IFOAM et d'entrer dans un processus de reconnaissance par l'Union Européenne.

Si la NOAB partagent les mêmes principes que la réglementation européenne, elle présente cependant de nombreuses spécificités. Elle prend en compte certaines pratiques traditionnelles océaniennes comme la culture sur brûlis et des associations de cultures coutumières sur les tubercules comme l'igname et le taro. Elle permet l'utilisation de semences conventionnelles lorsque des semences locales ne sont pas disponibles en raison des barrières phytosanitaires aux frontières. La qualité du statut sanitaire de la région lui permet de se dispenser de certaines prescriptions, en particulier en apiculture).

Contrairement au règlement européen, la NOAB contient des recommandations, des exemples concrets, notamment en matière de gestion des fosses de culture sur les atolls ou de recours à des plantes nématicides avant la plantation de gingembre, issues des pratiques régionales. Il s'agit donc d'un mixte entre une norme classique et un manuel technique adaptée à une petite agriculture familiale.

La NOAB est aujourd'hui gérée par la Communauté océanienne de l'agriculture biologique et du commerce équitable (POETCom) abritée par la CPS. Fin 2015, 14 pays et territoires d'Océanie avaient adopté cette norme qui est notamment reconnue en Australie et en Nouvelle-Zélande. La CPS est le propriétaire de la NOAB et du label Biopasifika. La CPS a agréé des SPG en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie Française, aux Iles Salomon, à Fidji et aux Samoa pour délivrer la garantie « Bio Pasifika ». Trois organismes de certification (NASAA, Biogrow, Bioagricert) peufvent également délivrer la certification Bio Pasifika. En Nouvelle-Calédonie, le label est contrôlé et délivré par un SPG, l'association BioCalédonia, agréée par la CPS.

Source : Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie - Établissement de régulation des prix agricoles

Vos rapporteurs recommandent également que le nouveau règlement européen bio comprenne un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical . Afin de tenir compte des contraintes particulières dues à la pression des ravageurs dans les RUP, les adaptations pertinentes pourraient inclure l'autorisation de la culture sur claies, un possible recours aux semences conventionnelles, un raccourcissement du délai de conversion et la possibilité d'utiliser certains herbicides et fongicides post-récolte d'origine naturelle. Ces mesures rapprocheraient les normes de production en agriculture biologique dans les RUP de celles en vigueur dans les pays tiers.

Proposition n° 15 : Prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical dans le nouveau règlement européen sur le bio pour assouplir le recours aux semences conventionnelles, autoriser la culture sur claies, raccourcir le délai de conversion et permettre le traitement post-récolte par des produits d'origine naturelle

Comme corollaire, vos rapporteurs sont favorables à l' interdiction de commercialisation des produits sous l'étiquette bio en provenance des pays tiers qui ne respectent pas la réglementation bio européenne . Si ces produits dits bio des pays tiers respectent les normes européennes d'agriculture conventionnelle, ils pourront continuer à être importés mais ils ne pourront être vendus comme bio sur les marchés européens.

Parallèlement, il est indispensable de développer l' information du consommateur sur les conditions réelles de production du bio dans les pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les outre-mer. Pour le cas de la banane bio des pays tiers, il pourrait être suggéré d'imposer une mention « traitée par épandage aérien » pour marquer la distinction avec la banane française.

Proposition n° 17 : Interdire l'importation sous l'étiquette bio des produits de pays tiers lorsqu'ils ne respectent pas la réglementation européenne et développer l'information du consommateur sur les conditions de production du bio dans les pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les outre-mer

Afin de soutenir le revenu des agriculteurs pendant le délai de conversion à la production biologique , il serait judicieux de prévoir une aide financière à la transition vers le bio. Le financement pourrait passer par des mesures agroenvironnementales territorialisées (MAET) qui s'appuient sur le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et peuvent figurer dans les programmes de développement rural des régions. En contrepartie d'une rémunération annuelle par hectare, l'exploitant agricole s'engage pendant cinq ans à respecter le cahier des charges de la MAET qui implique toujours au moins une réduction des intrants mais qui peut être plus spécifiquement utilisée pour passer en production biologique plus exigeante. Les aides à la surface sont plus aisées à gérer et plus incitatives pour l'exploitant que l'aide au produit.

Proposition n° 18 : Prévoir une aide financière des régions, via des mesures agroenvironnementales territorialisées sur fonds européens, pour soutenir le revenu des agriculteurs pendant le délai de conversion vers le bio

Les mesures financières n'auront toutefois de sens que si des référentiels de culture biologique en milieu tropical sont développés par le ministère de l'agriculture pour permettre aux exploitants de s'approprier des techniques souvent peu familières. Sur cette base, des formations pourraient être dispensés aux agriculteurs.

Il convient également de réserver le cas de Mayotte où c'est moins la question de la conversion au bio qui est un enjeu que la préservation des modes traditionnels d'agriculture marqués par l'association de cultures complémentaires diversifiées et le faible recours aux traitements phytopharmaceutiques. Les MAET pourraient alors plutôt cibler le créneau « zéro phytosanitaire » dans le cadre du programme de développement rural dans ce département.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Michel Magras, président . - Nous parvenons aujourd'hui au terme du premier volet de notre étude sur les normes dans les outre-mer dont Éric Doligé est notre rapporteur coordonnateur.

Sans plus tarder, je cède la parole à nos rapporteurs. Éric Doligé présentera le panorama général sur l'importance du secteur agricole en outre-mer et ses problématiques, Catherine Procaccia traitera de la formation et de l'acclimatation des normes pour les outre-mer et Jacques Gillot interviendra sur le contrôle des échanges commerciaux avec les pays tiers et la politique de labellisation.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Les normes applicables à l'agriculture des régions ultrapériphériques (RUP) françaises en matière sanitaire et phytosanitaire trouvent leur origine pour l'essentiel dans des règlements européens. L'enchaînement des interventions successives et parfois itératives des organes européens et nationaux dans le processus d'évaluation et de prise de décision est complexe, mais l'échelon national garde de fortes compétences, dévolues à l'Anses et au ministre de l'agriculture.

Le point essentiel est que les normes et les procédures sont les mêmes en Europe continentale et dans les RUP, sans que soient prévus de dispositifs spécifiques à leur intention. Il n'est pas tenu compte des caractéristiques de l'agriculture en contexte tropical et l'application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées sans forte pression de maladies et de ravageurs conduit à des impasses.

L'impasse phytosanitaire dont souffrent les filières agricoles ultramarines se traduit par la prégnance des usages orphelins, la fragilité de la couverture phytopharmaceutique, l'absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs, un encadrement inadapté des conditions d'utilisation des produits, des dérogations difficiles à mettre en oeuvre et des interprétations françaises particulièrement rigoureuses des normes européennes.

Seuls 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales dans les DOM sont couverts, alors que la moyenne nationale est d'environ 80 %. La difficulté ne réside pas dans l'inexistence ou le faible développement de solutions phytopharmaceutiques pour des usages tropicaux. C'est l'indisponibilité de produits existants déjà dans des pays tiers concurrents qui fait problème, dès lors que les firmes ne souhaitent pas s'engager dans les procédures européennes et françaises pour des marchés ultramarins très étroits, et donc économiquement non rentables.

Le problème est exacerbé pour les cultures de diversification (ananas, mangue, turbercules) dont les filières sont particulièrement peu organisées et les surfaces cultivées très réduites. Certaines maladies ou ravageurs font de tels dégâts que le retrait ou le non-renouvellement de l'homologation d'un produit phytopharmaceutique efficace, par exemple contre la cercosporiose du bananier ou l'enherbement de la canne, risque d'entraîner l'effondrement de la filière.

La méconnaissance des caractéristiques de la production agricole dans les RUP nuit considérablement à la lutte contre les ravageurs inconnus en Europe continentale. La fourmi manioc est ainsi présente à la Guadeloupe et en Guyane. Cet insecte constitue un problème majeur. Les petits planteurs sont complètement démunis face à un ravageur qui peut défolier complètement une culture en l'espace de 24 heures : c'est le cas de la patate douce, de l'igname ou des agrumes, par exemple. Or, actuellement, aucun produit efficace contre la fourmi manioc ne peut être utilisé sur des cultures de plein champ. C'est une lacune dans la réglementation européenne et nationale qui n'a pas prévu d'usage agricole des moyens de lutte contre la fourmi manioc. Ne sont envisagés que des usages domestiques qui dépendent d'une réglementation sur les biocides de 2012 supervisée par l'Agence européenne des produits chimiques, alors que les pesticides répondent à un règlement de 2009 sous la responsabilité de l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'EFSA.

D'autres espèces de fourmis sont sources de dégâts indirects qui nécessiteraient aussi des autorisations d'usages agricoles qui manquent à l'heure actuelle.

De plus, les conditions d'utilisation des produits phytopharmaceutiques autorisés par l'Anses sont adaptées à un usage en climat tempéré. Dans les DOM, les conditions climatiques sont nettement différentes, ce qui joue sur la rémanence des matières actives. Elle est bien souvent inférieure à 8 ou 10 jours en raison d'une évaporation plus forte. Lorsque le nombre d'applications autorisées par saison, calculé dans les conditions « normales » de l'Hexagone est limité, les agriculteurs ultramarins se retrouvent dans des impasses techniques. Pourtant, une simple réduction des doses couplée avec une augmentation de la fréquence de traitement permettrait d'adapter les conditions d'utilisation aux périodes végétatives plus longues que connaissent les DOM.

De nombreuses restrictions d'utilisation très contraignantes se sont empilées ces dernières années, qu'il s'agisse de la réduction du nombre d'applications, de l'extension des zones non traitées (ZNT) ou de l'allongement des délais de traitement avant récolte. Ces restrictions sont en partie dues au manque de données disponibles pour évaluer correctement les risques en milieu tropical, tant au niveau de la France que de l'Union européenne.

Par ailleurs, les pays tiers bénéficient de différentiels de compétitivité considérables par rapport aux RUP, quelle que soit la filière agricole considérée, en raison d'un coût du travail très faible et d'une législation du travail souvent sommaire. Mais les cultures des pays tiers concurrents des productions des RUP françaises sont aussi favorisées par la conjonction d'une palette plus large de produits phytopharmaceutiques autorisés et d'une politique commerciale européenne favorable.

D'une part, les producteurs des RUP ne peuvent pas recourir à certains produits librement utilisés dans les pays concurrents voisins, mais pour lesquels aucune demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) n'a été déposée en France. D'autre part, des autorisations sont accordées dans les pays tiers pour des substances interdites dans l'Union européenne ou pour des produits non autorisés en France et les productions traitées sont ensuite exportées vers le marché européen, dès lors qu'elles respectent des limites maximales de résidus (LMR).

Prenons un exemple, celui de la cercosporiose : les producteurs de banane des Antilles ne peuvent utiliser que deux produits autorisés et ils procèdent à environ 7 traitements par an. Par comparaison, les concurrents africains et sud-américains peuvent utiliser au moins 50 produits. Le Costa Rica procède à 65 traitements par an et l'Équateur à 40 traitements par an.

Plusieurs produits phytosanitaires qui ont été retirés d'Europe ou qui sont très sévèrement contraints, continuent à être utilisés ailleurs. C'est le cas du diuron ou de l'atrazine sur la canne. Le Brésil, l'Australie et l'Afrique du Sud utilisent ces produits peu onéreux et à large spectre. Cela leur procure un net avantage dans la compétition internationale féroce sur le marché du sucre de canne, qui s'accroîtra encore en 2017 avec la fin des quotas sucriers de l'Union européenne.

Les filières ultramarines, notamment celles qui sont exportatrices et fortement structurées comme la canne et la banane, ne demandent pas le démantèlement de protections sanitaires française et européenne. Dès lors que la pérennité des cultures est assurée par la garantie d'une couverture phytosanitaire de base, elles sont prêtes à poursuivre les démarches environnementales qu'elles ont engagées. Depuis 2006, l'emploi des pesticides sur la banane a ainsi diminué de 50 %, grâce au développement de techniques alternatives. Ces filières désirent plutôt valoriser leurs efforts et leur mieux-disant environnemental auprès du consommateur.

Encore faut-il pour cela assurer les conditions d'une lutte à armes égales avec les pays tiers et une véritable information du consommateur. En matière de contrôle des importations, on pourrait croire que le système européen est solide et contraignant. Ce n'est pas le cas. La construction au niveau européen du système de contrôle des importations est faussée par plusieurs biais qui empêchent de rééquilibrer l'écart de compétitivité normative dont souffrent les RUP et qui créent les conditions d'une concurrence déloyale des pays tiers.

Tout l'édifice repose sur les limites maximales de résidus (LMR). Même si les LMR de pesticides applicables pour les produits alimentaires sont les mêmes pour les produits d'origine européenne et pour les produits importés des pays tiers, cela ne veut pas dire qu'il y ait une équivalence entre les normes de production sur le sol européen et celles qui prévalent dans les pays tiers. Les normes de production sur le sol européen sont beaucoup plus exigeantes que les normes de mise sur le marché qui s'appliquent aux produits en provenance des pays tiers. Cette évidence doit être rappelée contre la fiction parfois entretenue par certaines déclarations imprécises tant des services de la Commission européenne que des ministères français, selon lesquelles tous les produits destinés au marché de l'Union européenne doivent respecter les normes européennes.

Dans les faits, les denrées en provenance de pays tiers n'ont que les LMR à respecter, sans que soient prises en compte les conditions de production. Et même plus fort encore : les pays tiers bénéficient de tolérances à l'importation prévues spécifiquement pour permettre l'entrée de produits agricoles traités avec des substances tout bonnement interdites dans l'Union européenne.

En se bornant uniquement aux contrôles des résidus de pesticides, on constate que les denrées issues des pays tiers présentent un taux de non-conformité supérieure aux productions européennes. D'après la DGCCRF, en 2014, 3,3 % des échantillons de fruits et légumes en provenance de pays tiers contenaient des résidus de pesticides trop élevés, plus du double de la moyenne. Et les taux de non-conformité sont encore bien supérieurs dans les produits importés faisant l'objet de contrôles renforcés.

Les RUP ne subissent pas seulement cette concurrence des pays tiers à l'export sur le marché européen pour leurs produits phare que sont la banane, le sucre et le rhum. Ils la subissent aussi sur leurs marchés locaux pour les produits issus des filières de diversification végétale et animale.

La porosité des outre-mer aux importations illégales des pays tiers est avérée : la Guadeloupe vis-à-vis de la Dominique, notamment en exploitant les failles du contrôle à Marie-Galante, la Martinique face à Sainte-Lucie, la Guyane vis-à-vis du Suriname et du Brésil, Mayotte face aux Comores et La Réunion à l'égard de Madagascar.

Cette porosité contribue à enfermer les économies ultramarines dans un cercle vicieux. En effet, plus la concurrence sur le marché local est rude et plus les filières de diversification végètent et ne peuvent s'organiser pour résoudre le problème des usages orphelins, ni s'engager dans des démarches de labellisation ou d'agriculture bio. Les économies des outre-mer restent éminemment dépendantes des grandes cultures de la banane et de la canne. Or, celles-ci sont elles-mêmes fragilisées par le changement climatique (salinisation, sécheresse, épisodes violents) et surtout touchées de plein fouet par la multiplication des accords de libre-échange. L'Union européenne troque assez facilement les productions agricoles tropicales des RUP contre l'ouverture putative des marchés industriels et de services des pays tiers. La seule réponse de l'Union européenne est alors de prévoir des compensations financières via le POSEI, tant que le contexte budgétaire le permet. Cela ne fait que miner les capacités de développement endogène des RUP et accroître leur dépendance aux subventions.

Seuls des outre-mer disposant de la maîtrise normative, comme la Nouvelle-Calédonie, paraissent bénéficier d'un corpus normatif et de systèmes de contrôle adaptés à leurs besoins de développement des activités agricoles.

C'est pourquoi le ministère de l'agriculture et l'Anses doivent accélérer l'intégration des spécificités ultramarines et l'allègement des procédures. Ils doivent aussi porter cette préoccupation au niveau européen, auprès de l'EFSA et de la Commission. En parallèle, les autorités locales et les professionnels doivent se mobiliser pour définir des stratégies territoriales conquérantes misant sur la qualité et la promotion des performances environnementales. C'est au prix de ces efforts conjugués que les filières agricoles ultramarines pourront être sauvegardées et valorisées.

Avant de passer la parole à mes collègues rapporteurs, Catherine Procaccia et Jacques Gillot, qui vous présenteront en détail nos préconisations, permettez-moi encore un mot. Je veux vous dire que ce rapport nous a donné l'occasion de voyager, au moins en esprit, et de découvrir une autre facette de la richesse des outre-mer. Nous avons appris à connaître le papillon piqueur des agrumes et le citrus greening , la lucilie bouchère, dont le nom latin Cochliomyia hominivorax signifie « mouche mangeuse d'hommes » et les trypanosomes contre lesquels aucun vermifuge n'est opérant, le champignon phytophtora , la bactérie fastidiosa et la maladie moko . Nous avons aussi découvert avec intérêt les méthodes de synchronisation de la floraison des ananas par charbon enrichi à l'éthylène ou la technique de piégage de masse du charançon de la patate douce par confusion sexuelle. Tous ces noms évocateurs vous laissent imaginer l'étendue de notre champ d'investigation !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Éric Doligé a présenté très fidèlement les grandes lignes et les conclusions du rapport. L'organisation de nombreuses auditions et visioconférences a heureusement permis de compenser l'absence de déplacement car tous les rapporteurs avaient déjà une connaissance approfondie des outre-mer.

Pour simplifier et adapter le cadre normatif qui s'applique aux agricultures des outre-mer, les efforts doivent être menés à deux niveaux :

- d'abord, en France par le ministère de l'agriculture et l'Anses qui commencent à prendre conscience des spécificités ultramarines mais qui doivent aller plus loin, - ce qui est un pas positif si l'on considère le rapport que j'ai rendu, en 2009, sur le chlordécone ;

- puis également au niveau européen, où nous devons parvenir à faire évoluer les règlements communautaires qui laissent les outre-mer dans l'ombre.

Je vous présenterai d'abord les mesures qui pourraient être mises en place au plan national à brève échéance. L'extrême fragilité des filières ultramarines confrontées à de nombreux usages orphelins doit être beaucoup mieux prise en compte. Le ministre de l'agriculture a créé un comité des usages orphelins outre-mer et rénové le catalogue des usages agricoles pour faire officiellement toute leur place aux cultures tropicales. L'Anses s'est dotée d'un référent outre-mer qui dialogue avec les filières en amont de la procédure d'homologation. Ce sont des évolutions intéressantes mais qui sont, à elles seules, insuffisantes pour remplir l'objectif d'une couverture à hauteur de 49 % en 2017 des besoins phytosanitaires, objectif que les autorités françaises se sont elles-mêmes fixé.

Notre première recommandation est d'adapter aux spécificités des outre-mer les limites maximales de résidus (LMR) et les conditions d'utilisation qui encadrent les autorisations de mise sur le marché (AMM). Il est clair que les prescriptions associées à l'AMM doivent être différenciées selon le climat. Les conditions d'utilisation (dose, nombre d'applications, cadence, zones non traitées, délais avant récolte) ne peuvent plus être définies de façon uniforme, car ce sont toujours les producteurs des DOM qui en pâtissent.

Pour réduire les usages orphelins et accélérer le déploiement d'une couverture phytosanitaire adaptée, nous préconisons d'obliger les firmes pétitionnaires à joindre à tout dossier d'AMM d'un produit phytopharmaceutique des analyses portant sur son utilisation sur cultures tropicales. En contrepartie, la firme bénéficierait simultanément de l'AMM et de son extension pour l'usage tropical. Cela réduirait immanquablement les délais et les coûts au bénéfice des producteurs ultramarins. Actuellement, la plupart des produits phytopharmaceutiques utilisés pour des cultures tropicales ne sont pas homologués directement pour la banane, la canne, l'ananas ou l'igname. Ils sont d'abord homologués pour les grandes cultures de l'Hexagone comme le blé, le maïs, la tomate ou la pomme et suivent ensuite une deuxième procédure d'extension d'autorisation pour usage mineur qui permet leur utilisation sur culture tropicale. Notre proposition permet de fusionner les procédures, tout en forçant les firmes à fournir des données sur les cultures tropicales qui permettront à l'Anses de mieux calibrer les AMM et les conditions d'utilisation. Ce serait une petite révolution !

Il nous paraît également indispensable d'assurer un traitement spécifique des substances indispensables à la survie des cultures. La France doit rester vigilante sur de nombreux dossiers. En particulier, elle doit veiller au maintien d'une couverture en herbicide pour la culture de la canne et suivre à ce titre attentivement la procédure de renouvellement d'AMM de l'asulox. À titre général, il convient de faciliter les prolongations temporaires d'AMM sur des produits phytopharmaceutiques indispensables pour certaines cultures fragiles comme l'ananas et la mangue en cas de retrait d'autorisation ou de non-renouvellement, faute de dépôt de dossier par une firme.

Le ministre de l'agriculture devra aussi prendre garde à ajuster les autorisations de traitement en urgence pour s'assurer que les productions ultramarines puissent effectivement en bénéficier. On nous a donné l'exemple d'un fongicide autorisé en urgence pendant 120 jours pour protéger les plants de melon. Le seul problème est que la période d'autorisation d'urgence fixée par le ministre de l'agriculture tient compte de la récolte du melon des Charentes, mais pas de celle du melon de Guadeloupe, qui est décalée. Les maraîchers guadeloupéens ne peuvent donc pas en bénéficier. Cela fait partie des aberrations intolérables !

Par ailleurs, nous devrions revenir sur certaines interprétations françaises des normes européennes car elles sont maximalistes par rapport à celles d'autres États membres de l'Union. Par exemple, des préparations comme les biostimulants, qui sont à la frontière entre les fertilisants et les produits phytosanitaires, ne sont pas évaluées de la même manière partout en Europe. En France, si le biostimulant a un effet sur les mécanismes de défense de la plante contre un bioagresseur, il doit suivre la procédure d'AMM des pesticides. En revanche, l'Espagne et l'Allemagne les évaluent comme de simples fertilisants et les font bénéficier d'une procédure d'autorisation spécifique beaucoup plus souple.

Nous proposons donc de simplifier l'homologation des préparations biostimulantes en les traitant comme des fertilisants, même lorsqu'elles présentent des usages phytosanitaires complémentaires. Un décret du 27 avril 2016 est censé apporter une amélioration ; à vrai dire, il est très laconique et ambigu puisqu'il soumet les biostimulants à une évaluation préalable de l'Anses, sans plus de précisions. L'Anses confrontée à un biostimulant à usage phytosanitaire indirect le fera entrer dans la réglementation pesticides, donc il n'y aura aucun progrès.

D'ailleurs, une première liste de biostimulants naturels vient d'être fixée par le ministre de l'agriculture, mais cette liste ne reprend que les plantes médicinales déjà inscrites à la pharmacopée et énumérées dans le code de la santé publique. Ce n'est donc pas une avancée concrète. Il sera impératif de compléter la liste des biostimulants autorisés par la mention des essences employées traditionnellement outre-mer.

En matière d'aquaculture, l'adaptation des normes aux conditions d'activité en contexte tropical n'est pas encore une réalité. La réglementation française ne fait pas un sort particulier à l'aquaculture ultramarine et calque la limite des rejets sur celle applicable aux piscicultures intensives de truites. Les rejets de matières en suspension dans les sites d'élevage de crevette en outre-mer sont plus élevés que la norme à cause des conditions tropicales. Mais ces matières en suspension sont constituées essentiellement de phytoplancton vivant, très différent de la matière organique inerte observée en sortie de pisciculture de truite, qui, elle, est polluante une fois rejetée en mer. C'est pourquoi nous préconisons de différencier les normes de rejet de matières en suspension pour permettre l'essor de l'aquaculture ultramarine, dont le potentiel est aujourd'hui bridé.

Nous recommandons également de faciliter la réutilisation comme matières fertilisantes des déchets verts (broyats et compost), dès lors que ces méthodes sont validées par les instituts de recherche. Sur deux dossiers précis au niveau français, il paraît d'ores et déjà possible de débloquer la valorisation des déchets verts issus de la culture de la canne à La Réunion. Pour cela, le ministère de l'agriculture doit prendre les textes règlementaires nécessaires pour déroger aux teneurs limites en nickel et en chrome en tenant compte de la composition naturelle des sols volcaniques de La Réunion. 200 000 tonnes par an de déchets pourraient ainsi être valorisées à la place d'engrais chimiques !

Au niveau national, une prise de conscience générale et une mobilisation nouvelle commencent à porter quelques fruits, mais il demeure facile d'oublier les outre-mer. Par exemple, le Comité national des normes agricoles créé en mars 2016, à parité entre le ministère et les syndicats agricoles, doit impérativement travailler à un bilan des normes existantes en outre-mer pour proposer des adaptations rapides.

Force est néanmoins de constater que les principaux blocages qui pénalisent les agricultures ultramarines se situent à l'échelon européen. En effet, les RUP demeurent largement invisibles pour les autorités communautaires qui ne prennent pas en considération leurs contraintes particulières, ni dans l'élaboration des normes phytosanitaires, ni dans l'évaluation des risques.

En particulier, l'Agence européenne de sécurité alimentaire, l'EFSA, a clairement admis devant nous que les spécificités de l'agriculture des RUP n'étaient pas prises en compte dans ses travaux. En d'autres termes, les RUP restent délibérément hors du champ d'investigation de l'agence, qui n'est donc pas en mesure d'infléchir ses avis ou de proposer des adaptations en fonction du contexte tropical.

Ainsi, par exemple, le potentiel de contamination des eaux souterraines par une substance active est évalué par l'EFSA en considérant neuf lieux représentatifs des grandes zones de productions agricoles en Europe. Le site de Châteaudun dans la Beauce est retenu pour la France. Les conditions spécifiques de sols et de climat en milieu tropical ne sont donc pas considérées malgré d'énormes différences qui jouent sur la diffusion des polluants.

En outre, les évaluations d'exposition des consommateurs aux résidus de pesticides sont basées sur les régimes alimentaires inclus dans un modèle appelé PRIMo qui prend en considération 22 régimes alimentaires européens pour l'évaluation de l'ingestion chronique et 19 pour l'ingestion aiguë. Aucun régime alimentaire ultramarin n'en fait partie. Les spécificités alimentaires des populations caribéennes ou de l'océan Indien ne sont ainsi absolument pas prises en compte.

Il nous paraît donc amplement justifié de demander à l'EFSA de compléter les référentiels européens utilisés pour l'évaluation d'une substance active d'un pesticide pour inclure, parmi les terroirs européens représentatifs, un site implanté en outre-mer et, parmi les régimes alimentaires du modèle PRIMo, au moins un régime représentatif des habitudes de consommation des populations ultramarines.

C'est en matière d'encadrement des moyens de lutte biologique, appelée aussi biocontrôle, que les normes européennes apparaissent les plus pénalisantes. C'est d'autant plus surprenant que leur faible nocivité en fait une alternative de choix aux traitements chimiques. Nos instituts de recherche comme l'INRA et le Cirad y travaillent activement mais il semble que ce soit plus les pays tiers qui soient, une fois de plus, en mesure d'exploiter ces techniques.

La question des normes applicables aux phéromones est particulièrement importante. Certaines phéromones pourraient être utilisées pour compenser les usages orphelins sur les cultures fruitières et légumières des DOM. L'INRA a développé un moyen de biocontrôle contre le charançon de la patate douce à base de phéromones. Ce type de technique a déjà été élaboré, il y a 10 ans, pour lutter contre le charançon de la banane. Mais les phéromones sont considérées comme des substances actives au niveau européen. Elles sont soumises à la procédure du règlement « pesticides » de 2009 et doivent obtenir une AMM comme n'importe quel produit phytopharmaceutique. Malgré une efficacité certaine, la méthode de l'INRA ne peut légalement être utilisée par les producteurs en l'absence d'AMM. Pourtant, cette phéromone n'est pas en contact avec la culture et n'est pas dispersée dans l'environnement. Elle présente donc un risque très faible. Malheureusement, la longueur et le coût de la procédure d'homologation sont trop élevés pour intéresser une firme. Les instituts de recherche n'ont ni les moyens financiers, ni la vocation de s'y substituer, si bien que les résultats de la recherche restent lettre morte.

Il en va de même en matière de substances naturelles. Des produits de traitement à base d'extraits d'huiles essentielles, autorisés en Floride ou en Californie, ont été développés par l'INRA et le Cirad, notamment pour lutter contre le citrus greening qui décime les agrumes. Ces travaux valorisent des traditions locales, issues d'un savoir-faire ancien. Des décoctions à base d'arbre à pain, d'abricot « péi » ou de feuilles de manguier ont été testées avec succès.

Mais la réglementation est telle que l'EFSA évalue ces substances naturelles selon une procédure similaire à celle qui s'impose pour les produits chimiques. Alors que nous délibérons sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, nous mesurons combien cette façon d'aborder les substances naturelles est obsolète. Même l'agence européenne a admis, lors de son audition, que la règlementation européenne n'était pas adaptée en la matière.

Nous préconisons en réponse une mesure forte pour dynamiser la lutte biologique : il faut dispenser d'homologation tous les moyens de biocontrôle développés par les instituts de recherche nationaux comme l'INRA et le Cirad.

Pour cela, il faudra obtenir une révision du règlement européen de 2009 pour exclure de son champ les moyens de biocontrôle et dispenser d'AMM les phéromones et les extraits de plantes, dès lors qu'ils ont été testés et validés comme instrument de lutte biologique par les instituts agronomiques publics. Une réglementation spécifique est nécessaire pour encourager l'innovation.

En attendant l'aboutissement de la révision du règlement de 2009, nous proposons d'ouvrir un financement public État-régions pour soutenir directement les dossiers d'approbation au niveau européen des moyens de biocontrôle, développés par les instituts de recherche nationaux dans les outre-mer. Puis, au niveau national, l'Anses devrait adopter une procédure allégée : sur le fondement de la caution scientifique des instituts de recherche, on pourrait recourir à un simple enregistrement et à un dépôt de la substance qui vaudrait homologation. Ce sont des mesures simples qui constitueraient de très grandes avancées.

Je conclurai sur une dernière proposition forte  qui vise à la fois à réduire les usages orphelins et à rétablir une concurrence saine et loyale entre les outre-mer et les pays tiers. Nous recommandons de faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste positive de pays dont les procédures d'homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes aux procédures européennes. Ensuite, le ministre de l'agriculture, saisi par un groupe de producteurs, aurait le pouvoir d'autoriser un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage. Des pays comme le Brésil, l'Afrique du Sud ou l'Australie, qui sont des concurrents importants, pourraient faire partie de la liste positive. Dans la mesure où l'Union européenne entame des négociations commerciales avec des pays tiers et ouvre son marché agricole, il serait juste qu'en contrepartie elle donne les armes adéquates aux producteurs ultramarins pour faire face à la concurrence.

Au moment où la Grande-Bretagne s'est prononcée pour le Brexit , le fonctionnement rigide de l'Union européenne doit évoluer. Notre rapport sort à point nommé. C'est le moment opportun pour nous d'insister et d'intervenir afin de diffuser largement ce rapport au-delà du Sénat, et même le porter au niveau européen.

M. Michel Magras, président . - Je suis fier de la qualité de notre travail. Nous devons envisager les moyens d'y donner suite et de le faire résonner dans les cénacles européens.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Je souscris à la proposition de Catherine Procaccia. Nous devrions solliciter la commission des affaires européennes pour engager une démarche conjointe auprès des instances communautaires.

M. Michel Magras, président . - C'est ainsi que nous avons procédé pour le sucre. Notre collègue Gisèle Jourda a oeuvré au niveau de la commission des affaires européennes et je suis intervenu au niveau de la commission des affaires économiques. Les résultats ont été immédiats et nous avons contribué à faire pression sur la Commission européenne pour qu'elle réduise de 20 000 tonnes à 400 tonnes le quota des sucres spéciaux accordés au Vietnam.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - La politique de l'Union européenne en matière d'échanges commerciaux agricoles avec les pays tiers demande à être revue. Les RUP sont tenues d'accepter sur leurs marchés locaux toutes les productions des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus de pesticides. Les RUP doivent aussi tenter de résister sur leurs marchés à l'export traditionnels, l'Hexagone au premier rang, en endossant un handicap normatif dont l'Union européenne exempte les pays tiers.

Pour rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans l'Union européenne doivent intégrer des exigences sur les conditions de production au-delà du respect des limites maximales de résidus. C'est pourquoi nous demandons la suppression des tolérances à l'importation accordées par l'Union européenne pour des productions traitées par une substance active interdite au plan européen. Cette mesure contribuera à restreindre l'avantage comparatif indu dont bénéficient des pays tiers.

Il conviendrait à tout le moins dans l'intervalle de prévoir un étiquetage spécial pour les productions des pays tiers signalant au consommateur européen qu'elles ont été traitées avec une substance interdite dans l'Union européenne, même si aucun résidu n'est détectable.

Nous recommandons également de faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leurs productions avec des substances fortement rémanentes dans les sols et l'eau. Ce dispositif ne ferait que reproduire les interdictions édictées dans les Antilles à la suite de la crise du chlordécone. Il permettrait en particulier de répondre à l'inquiétude face aux importations d'ignames en provenance du Costa Rica.

Face aux faiblesses et aux lacunes des contrôles aux importations, même dans le cadre des contrôles dits «  renforcés », des mesures d'interdiction strictes seront plus simples à mettre en oeuvre et plus efficaces. Nos visioconférences avec Saint-Pierre-et-Miquelon et avec la Nouvelle-Calédonie nous ont permis de voir que le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande prenaient des mesures de contrôle des importations plus draconiennes que les nôtres. Je crois qu'il est temps pour l'Union européenne de s'en inspirer.

Pour améliorer l'efficacité des contrôles à l'importation dans les outre-mer, nous préconisons d'agir simultanément sur plusieurs leviers. Il conviendrait ainsi d'augmenter les effectifs généraux de la douane en outre-mer alors qu'ils ont diminué de 4,5 % en 5 ans et que nos territoires fragiles sont situés sur de grandes voies de trafic international. Il faut modifier leur répartition en donnant la priorité aux territoires présentant le plus de risques d'infiltrations illicites, notamment la Guyane et Mayotte. Un point de contrôle supplémentaire doit aussi être ouvert à Marie-Galante pour tenir compte de la nature archipélagique de la Guadeloupe et endiguer les flux illégaux depuis la Dominique.

Surtout, l'organisation des contrôles sur les importations de denrées alimentaires et la répartition des tâches entre le service d'inspection du ministère de l'agriculture, le SIVEP, et la DGCCRF nous paraît inadaptée. Nous proposons donc d'unifier les contrôles sanitaires à l'import sur les végétaux au profit du SIVEP du ministère de l'agriculture. Cette simplification permettra d'harmoniser et d'accélérer les contrôles en les confiant à une seule équipe d'inspecteurs installés sur le point d'entrée. Ce système, adopté notamment par les Pays-Bas, a fait ses preuves dans l'Union européenne et permet d'accroître la fréquence des contrôles.

Face à la concurrence des pays tiers dont la compétitivité coût est insurpassable, seule une montée en gamme permettra de préserver les parts de marché des producteurs ultramarins. Cette stratégie de la qualité est d'autant plus cruciale que certains pays tiers se lancent parallèlement dans des démarches similaires en bénéficiant de labels bio et commerce équitable sans pour autant respecter les normes européennes.

Les filières de la banane et du rhum sont les plus engagées dans le mouvement de labellisation car elles ont la force de frappe commerciale qui fait encore défaut aux filières de diversification. 90 % du rhum de Martinique est ainsi couvert par une AOC (appellation d'origine contrôlée). Les premiers retours du lancement du label « banane française » l'année dernière sont aussi extrêmement positifs.

Les signes de qualité et d'origine peuvent constituer un atout certain pour les productions ultramarines dont ils consolident l'image dans le public. Toutefois, ils n'ont rien d'une panacée. L'exemple des deux labels rouges qui protégeaient l'ananas et le litchi de La Réunion est instructif à cet égard. Depuis cinq ans, aucune production n'a eu lieu sous ces labels, si bien qu'ils sont officiellement tombés en désuétude. Ces labels n'ont pas empêché l'éviction de la production locale au profit de Maurice pour l'ananas et de Madagascar pour le litchi, alors même que ces produits commençaient à être spontanément reconnus et recherchés par le consommateur métropolitain. Quitte à me répéter, je pense que cet échec montre que, sans réforme des politiques phytosanitaires et commerciales de l'Union européenne, les filières ultramarines peineront à se développer, même en misant sur la qualité.

Ce bémol mis à part, force est d'admettre qu'une implication plus directe et plus constante de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) auprès des producteurs ultramarins serait bienvenue. L'Institut, qui gère les appellations d'origine contrôlée (AOC), les indications géographiques protégées (IGP) et les labels rouges, emploie 260 agents dont les deux tiers travaillent directement sur le terrain. Mais, c'est bien dommage, il n'a aucune implantation propre dans les outre-mer. Il agit dans les DOM par l'intermédiaire des directeurs régionaux de l'agriculture et de la forêt qui, au regard de l'étendue de leurs missions, ne peuvent pas faire des labels la priorité de leur action. Il paraît donc nécessaire de renforcer la prise en compte des outre-mer par l'INAO et c'est pourquoi nous proposons d'installer une antenne permanente de cet institut en outre-mer. Étant donné à la fois le nombre d'indications géographiques protégées en suspens à La Réunion (Vanille Bourbon, Lentille de Cilaos, Vin de Cilaos, Ananas de La Réunion, café Bourbon Pointu) et la meilleure structuration des filières de diversification dans ce département, il pourrait être judicieux d'y installer cette première antenne ultramarine de l'INAO.

Parmi les labels les plus importants décernés par l'INAO, il faut mettre à part le bio qui constitue une voie d'avenir possible pour les agricultures ultramarines. Ces perspectives de développement sont bridées par une réglementation européenne défavorable et par la superposition des normes sur le bio et sur les phytosanitaires, qui avantagent à nouveau les pays tiers par rapport aux RUP.

Il faut déplorer que la réglementation européenne sur le bio n'ait jamais été élaborée en tenant compte des agricultures tropicales des RUP, alors que des concurrents comme la République dominicaine et le Brésil ont su définir des règles d'agriculture biologique adaptées au climat tropical. En outre, les RUP françaises ne peuvent recourir à certains produits phytosanitaires qui sont régulièrement autorisés en culture biologique dans des pays tiers. La République dominicaine peut utiliser 33 produits pour la banane bio contre 3 aux Antilles, et 14 de ces 33 produits ne bénéficient pas d'une autorisation en agriculture conventionnelle en France.

Paradoxalement, des productions biologiques des pays tiers moins exigeantes du point de vue environnemental et de la santé des producteurs que leurs homologues conventionnelles des RUP envahissent le marché européen en profitant d'un étiquetage bio. Le consommateur européen ne peut que s'y tromper. Rien ne lui permet de savoir que le label bio des pays tiers est moins exigeant, et qu'en particulier les bananes bio qu'il achète peuvent être traitées par des huiles minérales paraffiniques.

Nous préconisons donc de profiter de la refonte du règlement européen sur le bio de 2007. Il faut parvenir à prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical dans le nouveau règlement européen sur le bio. Cela permettra d'assouplir le recours aux semences conventionnelles, d'autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d'origine naturelle.

En outre, il serait judicieux de s'inspirer du modèle de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française pour autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur. Interdit par la réglementation européenne, le SPG est pourtant utilisé non seulement au Brésil et en Inde mais aussi aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Le SPG permettrait de compenser l'absence des organismes certificateurs dans les outre-mer et de faire ainsi baisser le coût de la certification pour les producteurs domiens. C'est un système d'assurance-qualité ancré localement qui repose sur des groupements associatifs rassemblant des producteurs et des consommateurs.

Parallèlement, nous souhaitons que soit interdite l'importation sous l'étiquette bio des produits de pays tiers lorsqu'ils ne respectent pas la réglementation bio européenne. Il sera également essentiel de développer l'information du consommateur sur les conditions de production du bio dans les pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les outre-mer pour valoriser nos productions.

Enfin, nous n'avons pas négligé le niveau de décision territorial. Le développement économique est de la compétence des régions. C'est pourquoi nous proposons que les régions accordent une aide financière, via des mesures agroenvironnementales territorialisées sur fonds européens, pour soutenir le revenu des agriculteurs pendant le délai de conversion vers le bio.

Plus largement, nous recommandons d'utiliser le modèle MOSAICA de l'unité ASTRO de l'INRA basée en Guadeloupe pour élaborer des stratégies territoriales agricoles. Ce modèle innovant permet de mesurer l'impact non seulement de changements techniques et environnementaux mais aussi de l'évolution des normes réglementaires sur les choix de cultures et de pratiques des agriculteurs au niveau de la parcelle, de l'exploitation et du territoire. Pourquoi ne pas étendre ce modèle conçu pour la Guadeloupe vers la Martinique, La Réunion et la Guyane et s'en servir comme aide à la décision au niveau régional ?

Voilà les principales propositions que nous souhaitions soumettre à votre approbation pour réussir cette « acclimatation normative » dont les agricultures de nos outre-mer ont tant besoin.

M. Michel Magras, président . - Nous devons impérativement arriver à sensibiliser les instances communautaires aux défis spécifiques que doivent affronter les RUP. Force est de constater que l'Union européenne recourt quasi exclusivement à l'anglais dans son fonctionnement quotidien. C'est pourquoi nous avons fait traduire en anglais notre résolution sur les sucres spéciaux et les accords de libre-échange. Je pense que ce rapport le mérite également et nous pourrions faire traduire en anglais la synthèse.

Par ailleurs, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui devrait bientôt être adoptée s'apprête à renforcer la part du bio dans les repas servis dans les cantines scolaires. Or, nos collectivités ultramarines n'abritent pas de production bio en quantités suffisantes, si bien que nous allons devoir importer des productions bio pour faire face à nos nouvelles obligations.

Encore un exemple du peu de prise en compte des contraintes des outre-mer !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Je suis très favorable à une traduction en anglais de la synthèse et des propositions du rapport. Il me semble qu'il serait très judicieux de les traduire également en espagnol et en portugais si nous voulons mobiliser l'ensemble des pays qui comprennent des RUP, et former un front commun avec eux.

M. Jacques Cornano . - Je félicite les rapporteurs pour leur excellent travail. Leurs préoccupations rejoignent certaines conclusions du rapport que nous avions préparé l'an dernier avec Jérôme Bignon sur les solutions territoriales ultramarines au changement climatique. Alors que la COP22 sera bientôt accueillie au Maroc, nous ne devons pas relâcher notre effort et donner toute la visibilité nécessaire aux problématiques mais aussi aux capacités d'innovation de nos territoires.

Vous avez très justement relevé la nature archipélagique de la Guadeloupe qui n'est pas prise en compte dans l'organisation du contrôle des importations. La suppression de la police aux frontières à Marie-Galante est très dommageable alors que notre île est située à quelques encablures de la Dominique.

Enfin, j'aimerais proposer à la délégation d'organiser une audition sur le thème de l'eau qui est une ressource capitale et très vulnérable dans les outre-mer.

M. Charles Revet . - Il est évidemment indispensable de porter les conclusions de notre délégation au niveau européen. À cette occasion, nous pourrions également faire le point avec les autorités communautaires sur le secteur de la pêche dans les RUP qui ne peut pas toujours bénéficier de l'ensemble des subventions auxquelles elles peuvent prétendre. Je pense aussi aux difficultés des pêcheurs guyanais qui ne sont pas en mesure de profiter de l'intégralité du quota de pêche qui leur est alloué en raison de l'inadaptation de la réglementation européenne.

La délégation sénatoriale à l'outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Jeudi 28 janvier 2016

Direction générale des outre-mer

M. Claude GIRAULT, adjoint du directeur général des outre-mer, et Mme Agnès FONTANA, sous-directrice des affaires

Jeudi 18 février 2016

Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

MM. Alain JOLY, délégué ministériel aux outre-mer, Pierre EHRET, expert référent national à la sous-direction de la qualité et de la protection des végétaux (DGAL/SDQPV), Mme Adeline CROYÈRE, chef du service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP) et M. Denis ALLEX, adjoint de Mme Croyère

Office de développement de l'économie agricole des DOM (ODEADOM)

M. Hervé DEPERROIS, directeur de l'Office de développement de l'économie agricole des DOM (ODEADOM), Mmes Valérie GOURVENEC, chef du service Productions de diversification, Laure LACOUR, adjointe au chef de service, et M. Jérôme MATER, chef du service Grandes cultures

Jeudi 17 mars 2016

Institut technique tropical (IT2)

Mme Chloé BOURGOIN, responsable santé végétale et M. Sébastien ZANOLETTI, directeur Innovation et développement durable à l'UGPBAN et consultant pour IT2

EURODOM

Mme Laetitia DE LA MAISONNEUVE, chargée des relations avec le Parlement, M. Emmanuel DETTER, consultant,

Cabinet Blezat consulting

Mme Olivia MEIFFREN, consultante agriculture, bioressources et territoire

Jeudi 24 mars 2016

IRSTEA

M. Frédéric SAUDUBRAY, directeur régional Aquitaine et représentant de l'IRSTEA en outre-mer

INRA

MM. Harry OZIER LAFONTAINE, président du centre INRA Antilles Guyane et délégué régional pour la Guadeloupe, et François HÉQUET, conseiller pour les affaires publiques

Cirad

MM. Christian CHABRIER et Jean-Heinrich DAUGROIS, chercheurs

Syndicat du Sucre de La Réunion

Mmes Aurore BURY, chargée de mission Foncier et Aménagement du Territoire, et Sarah RACHI, chargée de mission Affaires européennes et réglementaires, M. Philippe RONDEAU, responsable Études Projets Développement durable, et Mme Danièle LE NORMAND, directrice générale adjointe du Groupe Isautier, présidente de la Saga du Rhum

Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon

Mme Carole COQUIO, adjointe au chef du Service alimentation, MM. Jean PLACINES, directeur adjoint, et Philippe VENOT, technicien vétérinaire

Société EDC

M. Benoît GERME

Ifremer

M. Herlé GORAGUER, département Ressources biologiques et environnement (PDG-RBE)

Jeudi 31 Mars 2016

Cabinet AND-International

M. Christian RENAULT, associé

Jeudi 28 avril 2016

Institut national de l'origine et de la qualité (INAO)

MM. Jean-Luc DAIRIEN, directeur, et Thierry FABIAN, coordonnateur des productions ultramarines

ECOCERT France

Mme Valérie SASSÉ, responsable des opérations de certification.

Jeudi 12 Mai 2016

Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

M. François MADEMBA-SY, conseiller agricole du Président, Valérie CAMPOS, chef du service d'inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire (SIVAP), Frédéric GIMAT, chef du pôle biosécurité au SIVAP et Mme Laure VIRAPIN, directrice de l'Établissement de régulation des prix agricoles (ERPA)

Chambre d'agriculture de Nouvelle-Calédonie

M. Clément GANDET, directeur technique et Mme Pauline BAUDHUIN, conseillère en signe de qualité

Commission européenne

Direction Générale Santé et Sécurité Alimentaire

M. Michael SCANNEL, directeur « Chaîne alimentaire : relations internationales et avec les parties prenantes », Mme Dorothée ANDRÉ, chef d'unité « Santé Végétale », M. Koen VAN DYCK, chef d'unité « Relations internationales bilatérales », Mme Laurence CORDIER, administrateur dans l'unité « Pesticides et biocides », et MM.  Frank SWARTENBROUX, expert en métaux lourds, et Bruno GAUTRAIS, assistant du directeur général

Direction générale pour l'agriculture et le développement rural

M. João ONOFRE, chef d'unité responsable pour l'agriculture biologique.

Réseau RITA

M. Manuel GÉRARD, animateur coordinateur du réseau RITA Guadeloupe

Assofwi (Association des Producteurs de Fruits et de Christophines de Guadeloupe)

M. Youri UNEAU, technicien

APIGUA (Association des apiculteurs de la Guadeloupe)

Mme  Sabine CANIQUITE

SYPAGUA (Syndicat des producteurs aquacoles de Guadeloupe)

M. François HERMAN

Jeudi 26 mai 2016

Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)

Dr Tobin ROBINSON, chef de l'unité « Comité scientifique et risques émergents », MM. Bernard BOTTEX, scientific officer, Jean-Pierre CUGIER, chef de section « résidus de pesticides - santé des consommateurs » de l'unité pesticides, et Christophe WOLFF, chargé de la communication et des relations extérieures

Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)

Mmes Françoise WEBER, directrice générale adjointe en charge des produits réglementés, Alima MARIE, directrice de l'information, de la communication et du dialogue avec la société, et M. Jérôme LAVILLE, coordinateur référent sur l'outre-mer

Jeudi 2 juin 2016

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

Mme Christine DUBOIS, chef du bureau chargé des prohibitions, de l'agriculture et de la protection du consommateur, M. Michel MARIN, chef du bureau chargé de la politique des contrôles, et Mme Laurence JACLARD, chargée de mission - relations institutionnelles et élus

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des Fraudes (DGCCRF)

MM. Arnaud MAILLÉ, chef du bureau des marchés des produits d'origine végétale et des boissons, Jean FOUCHÉ, chef du bureau de la programmation des enquêtes, et Mme Claire SERVOZ, adjointe au chef du bureau de la qualité et de la valorisation des denrées alimentaires

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

Jeudi 28 janvier 2016
Audition de M. Claude Girault, directeur général adjoint des outre-mer, et de Mme Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles de la Direction générale des outre-mer

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, nous devions recevoir aujourd'hui le directeur général des outre-mer, Monsieur Alain Rousseau, mais il est retenu par un conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD) qui doit marquer le rapprochement de cette agence de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous accueillons donc son adjoint, Monsieur Claude Girault, ainsi que Madame Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles de la DGOM.

Nous devons au préalable procéder à la désignation d'un binôme de rapporteurs pour la mise en chantier de notre travail sur les normes. Je vous rappelle que notre excellent collègue, Éric Doligé, avait été désigné rapporteur coordonnateur lors de notre réunion du 5 novembre 2015 car il s'agit, comme pour le foncier, d'une étude vaste et complexe.

Sur la question des normes, un premier sujet s'impose concernant les outre-mer : celui des normes sanitaires applicables au secteur de l'agriculture.

Qu'il s'agisse des grandes cultures comme la banane ou la canne ou bien de l'élevage, de nombreuses questions se posent, et notamment celle de la mise en cohérence des normes de production sur le territoire européen et avec les normes de mise sur le marché. Cela est très directement en lien avec les interrogations que nous avons formulées récemment à propos de la commercialisation du sucre de canne et de la conciliation des objectifs de la politique commerciale européenne avec les politiques agricole et régionale de l'Union.

Sur ce dossier, quels sont les candidats au rapport ?

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Je propose la candidature de Catherine Procaccia qui, à la commission des affaires sociales, a suivi le dossier de la pollution à la chlordécone, utilisée pour la culture des bananes, et plus généralement des normes phytosanitaires en outre-mer. Envisageons-nous dans le cadre du premier volet d'évoquer aussi la question de la pêche ?

M. Michel Magras, président . - Certes, c'est un sujet important. S'intègrerait-il parfaitement au premier volet ou bien à d'autres moments de l'étude ? Il nous faudra en discuter. Peut-être le sujet connexe de l'aquaculture pourrait-il être traité en même temps que l'agriculture et que l'élevage. J'ai, pour ma part, reçu la candidature de Jacques Gillot.

Si vous en êtes d'accord, Catherine Procaccia et Jacques Gillot formeront donc notre premier binôme de rapporteurs sur la question des normes applicables au secteur de l'agriculture.

M. Thani Mohamed Soilihi . - C'est un excellent choix.

M. Michel Magras, président . - Permettez-moi de vous informer des suites données à notre travail sur l'économie sucrière des RUP et l'impact des accords commerciaux négociés par l'Union européenne. La commission des affaires européennes a approuvé notre proposition de résolution européenne (PPRE) sur le rapport de notre collègue Gisèle Jourda, en apportant une précision utile pour faire référence à la récente communication de la Commission européenne sur la transparence des négociations commerciales. Puis, sur mon rapport, la commission des affaires économiques de notre assemblée a adopté sans modification notre PPRE, qui est devenue désormais résolution du Sénat et a été transmise au Gouvernement et à la Commission européenne. J'ai rencontré hier le député européen Younous Omarjee qui s'est engagé à soutenir notre initiative auprès de ses collègues du Parlement européen. En outre, le président de notre commission des affaires européennes, Jean Bizet, m'a appris que, dans le cadre de l'accord négocié avec le Vietnam, un contingent de quelques centaines de tonnes avait finalement été fixé pour limiter les importations vietnamiennes de sucres spéciaux. C'était une des demandes que nous formulions dans notre PPRE. La direction générale Commerce de la Commission européenne l'a également assuré que les accords déjà signés ne permettraient pas aux pays tiers de concurrencer la production de sucres spéciaux de nos outre-mer. Cependant, je ne me risquerais pas à être aussi optimiste car le commerce international évolue très rapidement et de nombreux pays sont capables d'adapter leur production pour devenir bientôt des concurrents dangereux pour nos outre-mer.

Mme Vivette Lopez . - Ce sont plutôt de bonnes nouvelles, même si nous devons rester vigilants.

M. Michel Magras, président . - C'est le sens même des recommandations que nous avons émises dans notre résolution pour affûter nos moyens de contrôle et de surveillance des importations en provenance de pays tiers.

M. Michel Vergoz . - Je prends acte de la nouvelle position adoptée par la Commission européenne. Il faut toutefois faire en sorte que nous ne nous trouvions plus à l'avenir dans la même situation. La France et l'Union européenne doivent rester fermes au cours de la négociation des prochains accords de commerce bilatéraux.

M. Michel Magras, président . - Notre résolution demande notamment que les mandats de négociation donnés à la Commission par le Conseil soient soigneusement pesés. Ils devraient s'appuyer systématiquement sur des études d'impact qui prennent en compte les conséquences prévisibles pour les RUP. En cours de négociation, il faudrait aussi assurer la bonne information des États membres et des Parlements nationaux, qui est aujourd'hui trop tardive et trop lacunaire. Nous proposons également de créer un observatoire des revenus et de se doter de moyens de suivi en temps réel des flux d'importation pour rendre enfin efficaces les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation. Ne nous interdisons pas de rencontrer la Commission européenne pour lui présenter directement nos recommandations.

Mme Odette Herviaux . - Le diable se niche dans les détails. Il nous faudra examiner attentivement la traduction juridique qui pourrait être faite de nos recommandations. J'ai souvenir d'un conflit entre la France et la Commission européenne, né d'une divergence d'interprétation des textes relatifs à la pêche.

M. Michel Magras, président . - Je vous rejoins entièrement. C'est pourquoi il est tellement important que nous exigions de disposer des versions des documents en français, alors que la pratique de la Commission est de tout traiter en anglais, même lorsqu'il s'agit de la politique à l'égard des RUP...

Nous accueillons maintenant Monsieur Claude Girault, directeur général adjoint des outre-mer, et Madame Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles à la DGOM.

Soyez les bienvenus. Nous avons sollicité la Direction générale des outre-mer sur la vaste et difficile question des normes en souhaitant que vous nous éclairiez et vous nous aidiez à cerner les secteurs pour lesquels la question de l'inadéquation normative se pose avec la plus grande acuité. La DGOM est en effet quotidiennement confrontée à cette problématique et vous devez recenser des exemples concrets très nombreux. Nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt.

M. Claude Girault, directeur général adjoint des outre-mer. -Permettez-moi d'excuser le directeur général Alain Rousseau qui devait se rendre à la réunion du conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD) dont l'évolution programmée reçoit toute notre attention.

Les normes constituent un sujet de préoccupation quotidienne pour la DGOM. C'est l'une des directions générales ministérielles les plus sollicitées pour la production normative. Pratiquement tous les textes législatifs s'appliquent en tout ou partie dans les outre-mer, selon des modalités spécifiques ou non. C'est la même chose pour l'élaboration des dispositions réglementaires : nous sommes constamment sollicités pour assurer la cohérence de l'application outre-mer des décrets et règlements. Nous devons donc penser au préalable ces modalités d'application afin d'éviter de nous retrouver acculés à produire dans l'urgence pour rattraper un train en marche. L'Assemblée nationale et le Sénat s'expriment régulièrement pour condamner le recours systématique à des habilitations pour ordonnance. Nous souhaitons également que l'adaptation normative se fasse dès la conception de la loi. Nous nous appuyons sur le secrétariat général du gouvernement pour permettre une prise en compte de la dimension ultramarine au bon moment.

Néanmoins, à l'usage, l'exercice se révèle d'une redoutable complexité. La loi du 14 octobre 2015 relative à l'actualisation et à la modernisation du droit des outre-mer a encore offert un témoignage éloquent de la grande diversité des législations et des institutions qui prévalent outre-mer. Nous sommes bien loin de la période des DOM et des TOM. Les douze territoires ultramarins présentent douze statuts et ordonnancements juridiques distincts. Nous-mêmes, nous nous laissons parfois surprendre par des différences d'application dans des territoires aussi proches historiquement que Saint-Martin et Saint-Barthélemy par exemple. Il faut prendre conscience de cette grande complexité.

Nous commençons à entendre remonter du terrain les échos des difficultés de certains territoires - je pense principalement à ceux du Pacifique - à suivre l'évolution législative et réglementaire de la France hexagonale lorsqu'ils sont dotés d'une large autonomie normative. Ce n'est pas tant leur volonté de suivre l'évolution du droit qui est en cause, que leur capacité effective à produire les normes dans l'ensemble des domaines où ils sont compétents et au même rythme que l'Hexagone. On peut observer empiriquement un décalage croissant entre les normes hexagonales et les normes locales, qui emporte des coûts non négligeables dans un monde de circulation accélérée des biens et des personnes qui connaît de rapides transformations technologiques. Les milieux économiques commencent à s'en plaindre.

Comment réagir ? Quel accompagnement l'État peut-il proposer pour garantir l'exercice des compétences transférées ? Certes, les transferts de compétences sont dans l'ensemble soldés, même si demeurent quelques débats plus politiques que juridiques sur les conditions d'exercice des compétences normatives. C'est plutôt la capacité des collectivités territoriales à produire des normes qui nous préoccupe. Il faut certainement mener des travaux de qualification et de requalification des agents des collectivités territoriales et des services de l'État. C'est la raison pour laquelle, par exemple, il vient d'être décidé, en accord avec le ministère de l'Intérieur, que le secrétaire général de la préfecture déléguée de Saint-Martin et Saint-Barthélemy serait désormais recruté parmi les membres du corps préfectoral et non plus parmi les attachés d'administration. Nous préparons cette évolution devant le Conseil d'État. Nous encourageons les collectivités territoriales à suivre le même type de politique de hausse du niveau des qualifications. C'est une évolution qui s'imposera de toute façon à elles et qu'il vaut donc mieux anticiper.

D'autres actions de simplification de la législation pour la rendre moins volumineuse, moins complexe seraient envisageables. Mais, à titre personnel, avec le recul, je considère la simplification avec une certaine perplexité alors que les sources normatives se multiplient et que les journaux officiels s'épaississent toujours davantage.

Il n'existe pas de sujet qui ne touche pas les outre-mer. Même la loi « montagne » trouve à s'appliquer à La Réunion. Les outre-mer sont concernés par tous les textes. Cela résume bien la complexité de la tâche que nous devons collectivement affronter, ministères, Parlement, collectivités territoriales et équipes déconcentrées. Nous n'avons pas le loisir de nous concentrer uniquement sur quelques sujets. C'est aussi pour cela que la DGOM est aussi fréquemment consultée. En matière de droits civils et civiques, hormis sur certains points dans les collectivités du Pacifique, l'application est certes uniforme, mais dès que l'on touche aux compétences coeur des collectivités territoriales, nous devons exercer la plus grande vigilance car l'application est nettement différenciée.

Les outre-mer sont concernés au même titre que l'Hexagone par le débat sur l'adaptation et la simplification des normes. La situation y est encore plus complexe par le fait que les outre-mer sont richement dotées en normes de différentes catégories : le droit commun, les mesures d'adaptation du droit commun, la production propre des collectivités territoriales qui se substitue parfois à la norme nationale. Nous sommes confrontés à un problème de taille du vivier d'experts et de professionnels capables localement d'accompagner l'application des normes de façon satisfaisante. Nous nous préoccupons d'offrir des capacités de service adaptées aux outre-mer. Rien ne justifie que les outre-mer ne reçoivent que de la complexité quand l'Hexagone demande de la simplification. Mais je n'ai pas de solution tout prête. Lorsqu'on regarde la production normative nécessaire à la mise en oeuvre même des derniers trains de simplification, par exemple pour prévoir les cas où le silence de l'administration vaut rejet ou acceptation, on mesure quel travail il faudrait mener à bien pour assurer parfaitement a sécurité juridique des outre-mer.

Mme Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles de la Direction générale des outre-mer . - Sur le coût des normes en outre-mer, nous ne sommes pas outillés pour répondre de façon satisfaisante. L'instance cardinale demeure le Conseil national de l'évaluation des nomes (CNEN), enceinte explicitement chargée de mesurer le coût des normes. Il est vrai que, pour mener à bien cette évaluation, les élus qui en sont membres examinent l'étude d'impact associée aux textes mais en contestent souvent la qualité et l'exhaustivité. En outre, la distinction entre l'outre-mer et la métropole ne fait pas partie des clefs de lecture du CNEN. Celui-ci a construit une typologie des normes selon les domaines concernés et selon les ministères porteurs. Même dans ce dernier cas, le ministère de l'outre-mer n'est pas considéré à part mais fusionné avec le ministère de l'Intérieur.

Nous ne disposons d'aucun instrument permettant de comparer le coût d'application d'une même norme en outremer et en métropole, en laissant de côté bien évidemment les lois peu nombreuses qui ne concernent que l'outre-mer - par exemple, pour régler le processus électoral en Nouvelle-Calédonie - et qui par définition ne se prêtent pas à une comparaison. Mais ce sujet pourrait donner lieu à une étude intéressante pour les inspections générales. On pourrait procéder en constituant un panier de normes couvrant divers secteurs (construction, santé, fonction publique, commande publique,...) et mesurer leurs coûts de mise en oeuvre dans un échantillon de collectivités territoriales métropolitaines et dans un autre échantillon de collectivités territoriales ultramarines. On pourrait mener une étude préalable sur les coûts unitaires et les surcoûts objectifs constatés dans les outre-mer. Par exemple, dans le domaine de la construction, il faudrait prendre en compte l'impact de l'acheminement des matériaux, souvent depuis l'Union européenne, les situations de monopole de fait, etc.

M. Claude Girault . - Nous ne disposons pas d'un recensement exhaustif qui nous permettrait d'identifier avec précision les domaines où l'adaptation normative constitue un enjeu prioritaire pour le développement économique. Mais nous y réfléchissons. Des besoins s'expriment dans le domaine de l'énergie. La récente loi sur la transition énergétique a montré combien les outre-mer se trouvaient dans une situation radicalement différente de celle de l'Hexagone. L'enjeu n'y est pas de gérer la sortie du nucléaire mais de passer à une économie moins carbonée, moins dépendante du pétrole. Le domaine de la construction est également important. Les contraintes et l'environnement ne sont pas du tout les mêmes en outre-mer. Les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution ont demandé des habilitations pour pouvoir intervenir. De là, on vient naturellement au sujet extrêmement délicat des règles d'urbanisme. En dehors de la Guyane, les territoires ultramarins sont exigus. La ressource foncière y est rare, chère et difficile à aménager. Mayotte ne comprend que peu de zones plates qui se prêteraient facilement à l'expansion des zones urbaines. Au contraire, les terrains sont très pentus, les risques de ravinement et d'éboulement en cas de fortes pluies sont élevés. Beaucoup de zones seraient déclarées non constructibles dans l'Hexagone et il n'y a pas de raison de garantir un niveau de sécurité plus faible à nos concitoyens ultramarins.

Un sujet qui touche les outre-mer a particulièrement occupé le Parlement ces dernières années : la défiscalisation. Il y a certainement un coût d'entrée dans le dispositif significatif pour les entreprises, qui se plaignent de la complexité du montage des dossiers. Le sujet est délicat car il faut maintenir l'équilibre entre le respect de certains critères d'appréciation des projets et l'efficacité du mécanisme en termes économiques. Nous sommes conscients que les modifications de la législation intervenues en 2015, l'instauration du crédit d'impôt notamment, ont fait éprouver aux entreprises des difficultés. Nous sommes néanmoins surpris de voir des cabinets de conseil professionnels exercer leur mission en ayant plus en vue leur intérêt que celui de leur client. Nous en voulons pour preuve la médiocrité de certains dossiers que nous recevons. Ces montages de dossiers maladroits empêchent l'entreprise de bonne foi de trouver un financement adéquat de ses projets. N'oublions pas, enfin, le coût de la défiscalisation pour les finances publiques.

Mme Agnès Fontana . - En matière de transposition des directives européennes, la France s'acquitte de ses obligations. Le secrétariat général du Gouvernement réunit tous les trimestres un comité à haut niveau sur ce sujet. La consigne est claire : pas de surtransposition ! Les seuls cas de surtransposition que je garde en mémoire concernent plutôt l'extension territoriale des normes européennes que leur contenu. Par exemple, la loi d'actualisation du droit des outre-mer du 14 octobre 2015 a fait évoluer le droit de l'aviation civile en vigueur à Saint-Barthélemy en s'inspirant d'une directive européenne qui ne s'y appliquait pas de plein droit. Il s'agissait d'assurer une égalité dans la protection des personnes entre les territoires ultramarins.

Il est vrai que les dérogations sur le fondement de l'article 349 du TFUE sont rares, même si nous nous efforçons de tirer profit de cet article. Par exemple, la réforme du code des marchés publics adopté par ordonnance l'été dernier nous a permis d'introduire de nouvelles dispositions favorables à l'emploi des jeunes ultramarins.

Les principales adaptations du droit outre-mer demeurent celles qui résultent des habilitations demandées par la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique dans les domaines de l'énergie, de la construction et du logement.

M. Claude Girault. - Pour le ministère des outre-mer, le traitement des outre-mer dans les négociations commerciales européennes est une question essentielle. Il mène une action soutenue, en lien avec les ministères en charge de l'agriculture, du commerce extérieur et des affaires étrangères, ainsi qu'avec la Commission européenne. Le Président de la République a récemment écrit au président de la Commission européenne à propos des aides d'État outre-mer. Nous sommes vigilants pour que les positions des régions ultrapériphériques (RUP) soit prises en compte dans la définition des mandats de négociation. Toutefois, certaines négociations ouvertes depuis de très nombreuses années sont très difficiles à suivre dans la durée. Notre vigilance a pu être parfois prise en défaut.

Les résultats de nos efforts pour peser sur les négociations commerciales peuvent paraître insuffisants mais la France n'est pas seule autour de la table. Pour être plus convaincants à l'avenir vis-à-vis de nos partenaires, nous devons être en mesure de produire tous les éléments d'information nécessaires sur les effets anticipés et les risques pour les RUP de l'ouverture commerciale. Pour évaluer l'impact des baisses tarifaires, nous devons connaître parfaitement la structure des économies ultramarines. La CNEPEOM constitue également un outil précieux pour documenter notre position et présenter des preuves économiques et financières imparables au-delà des déclarations et des réclamations politiques. Pour apprécier les capacités de réorganisation d'un secteur, les coûts réels de production doivent être examinés en lien étroit avec les professionnels.

En matière de normes sanitaires applicables aux produits agricoles, nous pouvons affirmer qu'il existe une forme d'équivalence entre les normes de production et les normes de commercialisation. C'est le principe. Est-ce que cela signifie une égalité d'armes entre les outre-mer et les pays tiers ? Non car des produits agricoles de pays tiers peuvent être commercialisés auprès des consommateurs de l'Union européenne après avoir subi des traitements phytosanitaires avec des substances interdites par les normes de production européennes ou avec des substances qui ne bénéficient pas d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) français. Ainsi, la commercialisation est autorisée dès lors que les contrôles ne trouvent pas trace de substances interdites ou sans AMM. En d'autres termes, en l'absence de traces dans les productions agricoles, ces produits peuvent être utilisés par les pays tiers. Nous savons pertinemment, par exemple, pour la culture de la banane, que l'épandage aérien est interdit dans les RUP mais pratiqué en Amérique du Sud et en Amérique centrale et que l'Union européenne importe ces productions. Les contrôles font l'objet d'un plan de surveillance annuelle établi par le service en charge de la police sanitaire. Il est revu d'année en année en fonction des moyens disponibles et des techniques de détection des substances, qu'il faut constamment développer. Nos services sont audités régulièrement par les autorités européennes en charge des contrôles sanitaires et vétérinaires. Même si la situation n'est pas satisfaisante, l'Union européenne ne peut de toutes les façons prétendre disposer d'une compétence universelle pour légiférer sur les méthodes de production des pays tiers. Il y a cependant des pistes à explorer du côté des labels, mais c'est une démarche complexe, car il s'agit d'un engagement volontaire auprès du consommateur à ne pas recourir à certaines substances interdites en Europe. Cette démarche n'est pas intégrée dans le droit positif et ne produit aucune norme opposable pour l'instant. Elle n'est d'ailleurs pas certaine d'aboutir.

Vos questions sur cette problématique suscitent beaucoup de réflexion en interne au ministère des outre-mer.

M. Michel Magras, président . - Je vous remercie pour vos interventions. Mon premier sentiment est que nous touchâmes juste en retenant ce sujet d'étude. Mon second est que notre tâche ne sera pas aisée.

M. Éric Doligé , rapporteur coordonnateur . - Merci pour ces éléments liminaires. J'aurais quelques questions et observations. Vous nous dites que consigne a été donnée pour ne pas surtransposer en droit national les normes européennes. Je pense malgré tout que la surtransposition demeure fréquente et que nous inventons également des normes propres qui n'existent pas au niveau européen ! Les normes françaises, même postérieures, sont parfois plus exigeantes que les normes européennes. Nous ne pouvons pas non plus faire abstraction de l'environnement normatif régional des outre-mer. En un sens, en appliquant outre-mer la norme européenne, nous sommes déjà en surtransposition par rapport à l'environnement régional, ce qui empêche les outre-mer d'être compétitifs dans leur zone. Le problème est donc de savoir si nous pouvons écarter la norme française ou européenne pour nous rapprocher dans les outre-mer des normes adoptées dans leur environnement régional.

En matière de construction, vous avez évoqué les surcoûts propres aux coûts d'acheminement des matériaux. Le fond du problème précisément, c'est de ne pas pouvoir recourir outre-mer à des matières premières locales ou régionales, parce qu'elles ne sont pas conformes aux normes européennes, pourtant prévues pour des latitudes très différentes. Peut-être est-il temps de repenser cette dépendance vis-à-vis de l'approvisionnement européen ?

Cela nous renvoie à la question générale de l'adaptabilité des normes en fonction des territoires. Il devrait être possible de dessiner un système d'adaptation territoriale des normes, en particulier pour tenir compte des spécificités des outre-mer. Même en termes de normes de sécurité, l'uniformité ne va pas de soi, puisque, pour prendre un exemple concret en Europe continentale, les normes de type Seveso ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. La différenciation est donc possible, même dans les territoires qui ne disposent pas de l'autonomie concédée par l'article 74 de la Constitution et que l'on a peut-être tendance à enfermer dans un carcan normatif injustifié et inadapté. J'observe que le Conseil d'État ne s'est pas prononcé contre l'adaptabilité des normes, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une adaptabilité systématique des normes par niveaux de collectivité ou par catégorie générale de collectivités selon la taille ou la répartition géographique.

Malgré le travail de la CNEN, le choc de simplification ne se voit pas ; j'ai même l'impression que, dès que l'on supprime une norme, on en rajoute deux nouvelles !

M. Jacques Gillot. - Je remercie également nos intervenants des précisions qu'ils nous ont apportées. Je note toutefois que, sur la question centrale du différentiel de coûts d'application des normes en outre-mer et dans l'Hexagone, nous ne disposons d'aucun élément de réponse. Nous aurons besoin pour poursuivre nos travaux et réfléchir à l'adaptation des normes outre-mer de toute la collaboration du ministère. Quelle méthode pouvons-nous suivre de concert pour adapter les normes françaises, avant de défendre cette position auprès de la Commission ? Comment le Gouvernement peut-il contribuer à défendre l'édiction de normes propres aux outre-mer au niveau européen ? L'article 349 du TFUE doit servir de fondement à toute démarche. Nous ne devons pas baisser les bras, malgré les difficultés qui ne sont pas minces.

Mme Catherine Procaccia . - Estimez-vous que la situation en matière de normes a empiré depuis quinze ou vingt ans ou bien qu'elle est restée globalement la même ? De nouveaux secteurs sont-ils concernés ? Comment peut-on pallier votre prise en compte tardive dans le processus d'élaboration des lois et des décrets ? Je pense en particulier aux dispositions de la loi Larcher qui rend obligatoire une phase de concertation préalable avec les partenaires sociaux avant de légiférer sur le droit du travail. Pourrait-on prévoir des dispositions analogues en direction des représentants des outre-mer avant de légiférer sur le droit des outre-mer ?

Par ailleurs, au vu de mon rapport sur la chlordécone et des investigations que nous avions menées sur la culture de la banane dans la zone, mais aussi du riz au Suriname par exemple, je reste très dubitative lorsque vous affirmez que les normes de production et les mesures de contrôles sont de niveau équivalent à celles de l'Union européenne...

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je m'interroge également sur les voies et les moyens d'obtenir une meilleure implication du ministère des outre-mer en amont du processus d'élaboration des normes. La ministre même reconnaît que c'est nécessaire. Discernez-vous des pistes d'amélioration ?

J'aimerais également insister sur un point connexe, la pratique systématique du recours aux ordonnances, que j'ai fortement critiquée dans mon dernier rapport budgétaire. Même lorsque cela n'est pas justifié par l'urgence ou une extrême technicité, le Gouvernement demande des habilitations. C'est d'autant plus incompréhensible qu'il ne parvient pas toujours à respecter les délais d'habilitation et doit renouveler sa demande.

M. Michel Vergoz . - J'ai personnellement relevé que ces dernières années les particularités des outre-mer étaient mieux prise en compte. Je salue cette nouvelle approche.

Néanmoins, il faut admettre que l'adaptation des textes ne va pas assez loin. Transposer outre-mer les directives européennes, c'est déjà en soi surtransposer ! Sur l'article 349 du TFUE, le débat n'a que trop duré. Appuyons-nous sur la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne qui a donné tort à la Commission en reconnaissant la possibilité d'adapter le droit dérivé aux spécificités des RUP sur le fondement de l'article 349.

J'ai ouï dire qu'un texte de simplification des normes d'urbanisme serait bientôt publié. Pouvez-vous nous le confirmer ? Que contient-il pour les outre-mer ?

M. Jérôme Bignon . - Permettez-moi une réflexion d'ordre très général. Si les normes sont plus complexes, c'est aussi que les problèmes à traiter sont plus complexes. L'exigence de sécurité et de protection des consommateurs s'accroît aussi dans la population. Ne tombons pas dans le simplisme mais sachons faire preuve de souplesse, d'agilité.

Je viens de rapporter le projet de loi sur la biodiversité. L'étude d'impact datait de 2013 : trois ans d'écart avec le passage en séance publique, c'est énorme ! En outre, cette étude était très incomplète dès l'origine et aucune des dispositions nouvelles introduites par le Gouvernement par voie d'amendement n'a fait l'objet d'une étude d'impact. Ce cas n'est pas isolé et la plupart des projets de loi sont concernés par ces pratiques. On ne peut dès lors s'étonner de constater que, faute d'évaluation précise en amont, nombre des mesures que nous votons demeurent sans effet.

S'agissant des outre-mer, l'adaptabilité des normes pourrait être intégrée aux études d'impact en amont de la discussion des textes. Pour l'instant, les études d'impact que nous recevons ne contiennent aucun élément particulier sur les difficultés d'application dans les outre-mer, même dans le cas du projet de loi sur la biodiversité qui les concerne au premier chef. Nous devons clairement changer nos pratiques.

Sur la formation des élus, je partage les remarques de la direction générale des outre-mer qui valent non seulement pour l'outre-mer mais aussi pour l'Hexagone. Nous devons collectivement nous mettre à niveau pour appréhender les problèmes en relation avec l'administration.

Mme Odette Herviaux . - Nous n'avons pour l'instant évoqué que le processus descendant d'application qui va du législateur vers le terrain. Ne faudrait-il pas sortir des schémas habituels et amorcer un mouvement inverse, ascendant, en recourant davantage à l'expérimentation ? Dans quels domaines pourrions prioritairement procéder à des adaptions expérimentales des normes dans les outre-mer ?

M. Michel Magras, président . - La problématique sous-jacente à nos débats me semble celle-ci : comment parvenir à une différenciation territoriale dans le respect de l'unité de la République ? Dans le cas des outre-mer, elle se traduit dans l'alternative entre les régimes des articles 73 et 74 de la Constitution. Je rappelle que dans les collectivités soumises à l'article 74 de la Constitution le transfert de compétences normatives ne doit pas être surestimé : il s'agit d'un pouvoir d'adaptation des normes par des actes qui demeurent de nature administrative et sont de ce fait soumis au Conseil d'État. Nous n'en sommes pas à un transfert du pouvoir législatif proprement dit. D'ailleurs, le code pénal et le code de procédure pénale ne sont pas des matières transférables, ce qui signifie que les collectivités de l'article 74 ne peuvent fixer le régime des sanctions applicables en cas d'infraction aux règles qu'elles ont fixées.

Je crois que le droit des outre-mer demeure trop mal connu et trop peu étudié. Certaines initiatives vont toutefois dans le bon sens, comme la proposition d'instaurer une chaire dédiée au sein de l'Institut d'études politiques de Paris.

Sur les ordonnances, reconnaissons un certain progrès. Depuis 2008, nous voyons plus fréquemment des projets de loi consacrés aux outre-mer examinés au Parlement. Il me paraîtrait toutefois indispensable de prévoir dans le calendrier législatif, chaque année, un moment de débat dédié à l'actualisation du droit applicable outre-mer.

La surtransposition des normes européennes est un fait indéniable. Vous citiez l'extension à Saint-Barthélemy de règles d'aviation civile. C'est un bien mauvais exemple, puisque cette mesure a été prise sans mesurer les effets pervers qu'elle induit et notamment, la multiplication de création de compagnies aériennes aux États-Unis par des Français qui bénéficient ainsi des avantages concédés par l'Union aux compagnies américaines ! Ces avantages sont en revanche un bon exemple de la naïveté de certaines positions européennes lors des négociations commerciales internationales puisque les États-Unis n'ont pas accordé de réciprocité aux compagnies européennes...

M. Claude Girault . - La DGOM est à la disposition du Parlement et de la délégation sénatoriale pour travailler en commun à toutes les améliorations possibles au bénéfice des outre-mer. La CNEPEOM montre l'exemple d'une collaboration fructueuse. La connaissance des surcoûts liés à la situation objective (insularité, taille des marchés) et liés aux normes constitue un sujet central. Sur les normes de construction, il faut signaler une action conduite par les professionnels eux-mêmes : à La Réunion, des industriels ont bénéficié d'agréments dans le cadre de la défiscalisation pour construire des usines de production de matériaux aux normes européennes.

La Cour des comptes effectue en ce moment un contrôle de la DGOM. Une des premières observations qu'elle nous a faite est de structurer notre réseau de correspondants outre-mer dans les autres ministères pour pouvoir intervenir en amont et éviter d'être consultés dans l'urgence.

Nous pourrions évaluer et revoir les modalités de consultation des collectivités territoriales ultramarines en amont des textes. Il ne doit pas s'agir d'une simple formalité procédurale. Il est vrai cependant que le taux de retour de nos consultations des collectivités ultramarines est très faible.

Mme Catherine Procaccia . - Le modèle de la loi sur le dialogue social n'est pas du tout celui-là.

M. Claude Girault. - Le débat sur les ordonnances est récurrent, mais il ne faut pas oublier que nous devons répondre à la complexité du droit, même si nous pouvons le regretter. Faut-il déléguer quasi-systématiquement au Gouvernement les adaptations outre-mer ? Faut-il prévoir un rendez-vous législatif annuel ?

Je n'ai pas connaissance d'une circulaire en préparation sur l'urbanisme, mais je vous rendrai réponse dans les meilleurs délais. Il nous faudra également procéder à une analyse fine de la jurisprudence de la CJCE pour en tirer le meilleur parti. Les expérimentations constituent un instrument intéressant et les outre-mer y sont régulièrement associés. Ce sont des lieux dont l'Hexagone peut d'ailleurs s'inspirer pour modifier sa propre règlementation. Par exemple, à La Réunion, nous mettons en oeuvre des rapprochements d'administration qui pourront inspirer les nouvelles grandes régions.

M. Michel Magras, président . - Nous sommes conscients de l'ampleur du chantier. L'évaluation du surcoût des normes doit aussi venir de l'intérieur des territoires ultramarins, même si votre idée de confier une mission aux inspections générales paraît pertinente en complément. Ces démarches croisées sont essentielles pour faire valoir notre point de vue au niveau européen et permettre une harmonisation de nos normes avec celles en vigueur dans notre environnement régional. Cela peut concerner des domaines aussi différents que le raffinage de pétrole de la Caraïbe ou la consommation de viande nord-américaine.

Mme Karine Claireaux . - J'ai bien conscience des difficultés des collectivités ultramarines à disposer des ressources humaines nécessaires pour exercer une veille juridique constante qui faciliterait l'adaptation des normes nationales. J'ai aussi conscience des efforts constants de la DGOM pour travailler le plus ne amont possible. Je ne suis néanmoins pas aussi optimiste concernant l'action des autres ministères, pour qui les outre-mer ne constituent pas une préoccupation première et qui se défausse entièrement sur le ministère des outre-mer. Il y a un vrai travail d'articulation de l'action publique qui doit être mené. Un référent outre-mer devrait être installé dans chaque ministère. De même, il faut envisager la désignation au sein de la DGOM d'un référent par territoire ultramarin qui servirait de courroie de transmission rapide entre chaque collectivité et le ministère.

M. Félix Desplan . - La problématique des normes outre-mer est d'une ampleur considérable. Je suppose que les représentants de l'État outre-mer doivent faire remonter au niveau central les difficultés d'application des textes qu'ils rencontrent ou dont les professionnels leur font part. Je souhaite que les parlementaires soient régulièrement informés de la liste des problèmes rencontrés.

M. Michel Magras, président . - C'est une belle suggestion, comme celles de Karine Claireaux !

Jeudi 18 février 2016
Audition du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, après une audition généraliste sur la thématique des normes dans les outre-mer, le 28 janvier 2016, au cours de laquelle nous avons entendu les représentants de la Direction générale des outre-mer, nous abordons aujourd'hui le cycle d'auditions qui permettra d'instruire le volet de l'étude relatif aux normes sanitaires et phytosanitaires dans les domaines de l'agriculture, de l'élevage et de l'aquaculture. Le poids de ces secteurs est tout à fait majeur pour nos outre-mer en termes d'emploi et, au-delà des grandes cultures telles que la canne et la banane qui comptent parmi les rares productions à l'export, l'enjeu normatif est également tout à fait considérable pour les productions vivrières locales de plus en plus concurrencées par les importations de produits équivalents des territoires voisins sous l'appellation trompeuse de « produits locaux ».

La question des normes en matière agricole est une question complexe, et encore davantage s'agissant des agricultures ultramarines : il faut l'envisager du point de vue des producteurs et du point de vue du consommateur ; il faut aussi mesurer les enjeux pour le développement des économies locales et leur insertion dans leur environnement régional. À cette fin, il nous faudra nous intéresser aux processus de formation des normes sanitaires et phytosanitaires mais aussi vérifier si l'exigence normative pour les producteurs sur le territoire de l'Union européenne est de même intensité que celle qui s'impose aux produits extérieurs mis sur le marché communautaire. Il faudra enfin examiner la pertinence des outils censés assurer le respect des normes.

Pour instruire tous ces aspects, nos rapporteurs, Éric Doligé, Jacques Gillot et Catherine Procaccia, nous proposeront de nombreuses auditions et plusieurs visioconférences au cours des prochains mois. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que les deux prochaines matinées d'audition se tiendront les jeudis 17 et 24 mars.

Madame, messieurs les rapporteurs, l'un d'entre vous souhaite-t-il prendre la parole ?

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Monsieur le délégué ministériel aux outre-mer, mesdames et messieurs, vous êtes les premiers à être auditionnés dans le cadre de ce nouveau cycle d'auditions. Nous vous écouterons avec intérêt avant de vous poser les questions que ne manqueront pas de susciter vos propos. Si le délai imparti pour cette audition ne nous permet pas de vous les poser toutes, nous vous les adresserons ultérieurement par écrit.

M. Michel Magras, président . - Monsieur le délégué ministériel aux outre-mer, vous avez la parole.

M. Alain Joly, délégué ministériel aux outre-mer . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous indique dès maintenant que vous recevrez par écrit les réponses détaillées au questionnaire qui nous a été adressé.

S'agissant des grandes caractéristiques des économies agricoles des outre-mer, je peux vous apporter les éléments suivants.

En 2010, les 43 000 exploitations recensées des cinq départements d'outre-mer occupaient 131 600 ha, soit une superficie moyenne de 3,3 ha par exploitation. Ce résultat cache de grandes disparités entre les grandes plantations de canne à sucre à La Réunion et de banane aux Antilles et les petites exploitations de quelques ares à vocation vivrière que l'on trouve fréquemment à Mayotte et en Guyane.

Une partie seulement des agriculteurs exerce son activité à titre professionnel principal et bénéficie des aides publiques. Depuis 1988, nos analyses révèlent une réduction de 53 % du nombre des exploitations et une surface agricole utile (SAU) en diminution de 20 %, ce qui traduit une concentration des exploitations. Il nous faut mettre en évidence le cas particulier de la Guyane où l'agriculture est en développement avec une augmentation de 23 % de la SAU et de 33 % du nombre des exploitations, ce qui reste cependant modeste au vu des potentialités et de la croissance démographique du territoire, la première de France.

En 2010, pour les cinq départements d'outre-mer, l'emploi agricole représente 47 000 emplois annuels à plein temps dont 32 000 actifs familiaux et 8 000 salariés permanents. La tendance est à la baisse, sauf en Guyane où l'emploi agricole gagne 44 % depuis 1988.

En 2010, l'agriculture représentait 1,7 % du produit intérieur brut des cinq départements d'outre-mer (DOM) pour une valeur ajoutée évaluée à 735 millions d'euros. Si les grandes productions d'exportation, la banane, le sucre et le rhum, tirent toujours vers le haut les économies agricoles ultramarines, les productions végétales se diversifient et l'élevage se développe. On note un accroissement significatif du taux de couverture des productions de diversification végétale (cultures vivrières, fruits et légumes) et animales destinées au marché local. La croissance continue et forte de la population des DOM doit cependant être considérée comme un facteur atténuateur des effets mesurés. Les filières se structurent, particulièrement dans le domaine des productions animales à La Réunion et en Guadeloupe, où les interprofessions sont devenues des acteurs incontournables au bénéfice du consommateur local.

Vous trouverez dans les documents que nous vous ferons parvenir un certain nombre de chiffres révélant les tendances.

Vous avez souhaité connaître les ambitions pour l'outre-mer de notre ministère.

Le cadre politique que se fixe le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt au regard des dynamiques en cours dans les secteurs agricole, agro-alimentaire, forestier et de la bio-économie se traduit par cinq ambitions pour les outre-mer :

- une production agricole, agroalimentaire, forestière et une bio-économie qui contribuent à la croissance économique des outre-mer ;

- une agriculture d'outre-mer qui rayonne et crée de la valeur par ses produits et ses services ;

- un secteur attractif avec des actifs qui bénéficient d'un revenu équitable ;

- une agriculture d'outre-mer résiliente et robuste ;

- une croissance économique qui pérennise les ressources naturelles des outre-mer.

Les soutiens du ministère ciblent ces objectifs pour appuyer les stratégies de filières qui ont été adoptées l'année dernière en conseil d'administration de l'ODEADOM et les plans régionaux d'agriculture durable adoptés localement.

Des indicateurs ont été définis qui permettront d'apprécier la réalisation de ces ambitions. Ils portent sur :

- la croissance annuelle du produit intérieur brut cumulé des secteurs agricole, forestier, agroalimentaire et de la bio-économie ;

- la croissance en valeur de la commercialisation des produits agricoles, forestiers et agroalimentaires bénéficiant d'un signe d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) sur les marchés locaux et internationaux ;

- le revenu agricole moyen par actif par rapport à celui des autres secteurs économiques ;

- le nombre d'emplois directs de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt et de la bio-économie ;

- le nombre d'exploitations et d'entreprises qui cessent leurs activités en raison de crises d'ordre sanitaire, climatique, environnemental ou économique.

Les cibles qui seront adossées à chacun de ces indicateurs sont en cours de définition.

En matière de différentiel de compétitivité des productions ultramarines, vous trouverez dans le document que nous vous ferons parvenir un certain nombre de chiffres sur les grandes cultures exportatrices. Nous avons réalisé une analyse de compétitivité, calculée au niveau de l'amont des filières banane et canne-sucre-rhum.

Pour cela, nous disposons des données comptables des exploitations, collectées via le Réseau d'Information Comptable Agricole (RICA). À partir de ces outils, nous mesurons le revenu moyen des exploitations de canne et de banane des départements d'outre-mer.

Nous disposons également des données techniques via les enquêtes pluriannuelles « pratiques culturales » et « phytosanitaires ». Ces enquêtes sont réalisées auprès des producteurs par les services statistiques départementaux. Cet outil permet de disposer d'une connaissance actualisée des itinéraires techniques et de l'usage des produits phytopharmaceutiques, et ainsi de reconstituer les coûts de production.

D'autres sources de données existent au sein des filières et du Cirad, qui communiquent régulièrement sur les différentiels de coûts de production, mais ces données ne sont pas toujours accessibles.

En ce qui concerne la compétitivité de la filière banane, les données du réseau RICA permettent d'estimer les principaux coûts de production des bananeraies en France. La main d'oeuvre représente environ 27 % des coûts de production, contre 17 % pour le transport et 8 % pour les emballages. À titre de comparaison, le salaire d'un employé de bananeraie est 15 fois moins élevé en Afrique et en Amérique centrale qu'en France. De plus, les normes nationales engendrent des surcoûts non compensés par les prix, compte tenu de la libéralisation des normes économiques européennes.

Pour la filière canne à sucre, l'analyse comparée de la compétitivité des exploitations de canne ultramarines avec les exploitations spécialisées de grandes cultures en métropole s'avère inopérante compte tenu de la différence de taille. Les exploitations betteravières en métropole représentent 20 à 30 fois la taille moyenne d'une exploitation cannière des DOM et des différences importantes existent dans les systèmes de production et la conduite des exploitations. Toutefois, nous essayons d'objectiver au maximum les données dont nous disposons.

Nous analysons également la compétitivité au niveau de l'aval de la filière canne-sucre.

Le ministère de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt dispose des données relatives aux coûts de production de l'industrie ultramarine et de la valorisation économique des sucres (prix de vente, coûts de transformation, d'achat, de transport, montant d'aide reçu...) qui permettent d'estimer les marges opérationnelles des entreprises sucrières.

Des comparaisons sont également possibles pour des débouchés équivalents (sucre blanc) avec la filière betterave-sucre qui fait l'objet d'un suivi approfondi, notamment dans la perspective de la fin des quotas sucriers en 2017.

L'analyse comparée des coûts de production avec des pays tiers (Brésil, PMA) qui sont en concurrence directe avec les DOM sur leurs débouchés (sucres destinés au raffinage, sucres roux) est compliquée, les données des pays tiers étant plus difficilement accessibles, à l'exception de celles du Brésil. Avec les données dont dispose la filière betteravière sur les coûts au Brésil, on peut estimer que les coûts de production (achat de matière première et coûts de transformation, hors coûts de transport et de raffinage) sont trois fois plus élevés dans les départements d'outre-mer qu'au Brésil.

Les estimations d'écarts de compétitivité conduisent le ministère à porter une demande d'exclusion des sucres spéciaux à chaque début de mandat de négociation. On notera toutefois que les sucres spéciaux, comme la banane et le rhum, peuvent se trouver moins prioritaires que d'autres productions agricoles hexagonales qui ont aussi des intérêts défensifs à faire valoir.

S'agissant des accords avec le Vietnam, par courrier en date du 10 février 2016, la Commission européenne a informé la France de l'exclusion de la ligne tarifaire 1701 1490 du contingent tarifaire de 20 000 tonnes agréé par le Vietnam et de l'ouverture d'un contingent tarifaire séparé de 400 tonnes sur la même ligne tarifaire.

Nous serons vigilants pour les négociations à venir avec le Mexique.

M. Jacques Cornano . - Pourriez-vous nous apporter des informations complémentaires sur l'accord avec le Vietnam ?

M. Alain Joly . - C'est à la suite d'une intervention politique que nous avons obtenu l'exclusion de la ligne tarifaire 1701 1490 et l'ouverture d'un contingent tarifaire séparé de 400 tonnes.

Vous nous avez demandé des exemples concrets de normes ou de procédures qui pénalisent les producteurs ultramarins.

En matière de productions végétales, plusieurs filières agricoles sont caractérisées par un faible choix ou par l'absence de produits phytopharmaceutiques homologués et adaptés aux contextes des outre-mer. Seuls 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales étaient couverts en 2013, ce qui reste très insuffisant pour garantir la sécurité des récoltes des producteurs et relancer certaines filières.

Les conditions d'utilisation des produits phytopharmaceutiques autorisés sont généralement adaptées à un usage en climat tempéré. Ainsi, le nombre maximal d'applications est-il défini sur une période végétative plus courte que celle qui est propre au climat tropical. Une réduction des doses, couplée avec une augmentation de la fréquence de traitement, permettrait d'adapter les conditions d'utilisation à des périodes végétatives plus longues.

L'importance des usages non couverts dans les DOM participe à générer des distorsions de concurrence avec les producteurs de cultures tropicales des pays tiers qui peuvent avoir accès à des itinéraires techniques recourant à des traitements chimiques non disponibles pour les agriculteurs ultramarins.

La problématique des usages mineurs est traitée dans les Réseaux d'innovation et de transfert agricole (RITA) et du plan ECOPHYTO. Ainsi, les informations indispensables aux extensions d'usages sont recueillies en lien avec la profession agricole et les instituts techniques. Un réseau dédié aux cultures tropicales a été mis en place dans les DOM. Il est constitué des Centres Techniques de la Canne et du Sucre (CTCS) de Martinique et de Guadeloupe, de l'ARMELFHOR et, depuis le début 2014, de ERCANE à La Réunion.

Le lien établi avec les sociétés phytosanitaires détentrices des produits testés permet de préciser avec elles les modalités de demande d'extension d'usages sur les cultures tropicales. Chaque année, des programmes d'expérimentation sont menés pour permettre de proposer de nouvelles extensions. L'objectif est d'atteindre un taux de couverture de 49 % fin 2016.

Vous trouverez dans les documents que nous vous ferons parvenir des chiffres sur la canne, la banane et les cultures de diversification.

L'étroitesse des marchés correspondants n'incite pas les opérateurs à engager les démarches nécessaires à l'homologation de produits au niveau national ou de substances actives au niveau européen. Cependant, l'article 51 du règlement (CE) 1107/2009 prévoit des dispositions applicables aux extensions d'autorisations pour des utilisations mineures.

Dans le cas de situations d'urgence phytosanitaire, l'article 53 du même règlement permet des autorisations de mise sur le marché d'une durée maximale de 120 jours qui restent délivrées par le ministre chargé de l'agriculture. Elles concernent les cultures à impact économique majeur dans les DOM.

Des solutions innovantes sont à développer avec la recherche et dans le cadre des actions Ecophyto, afin de proposer des itinéraires techniques efficaces et économes en produits phytopharmaceutiques de synthèse.

Le ministère travaille au développement du bio-contrôle en relations étroites avec les interprofessions.

En matière de productions animales, les normes sanitaires européennes en élevage (porcins notamment) ou à l'abattage, sont plus exigeantes que dans les pays tiers. Des contraintes d'investissements supplémentaires et des frais de gestion administrative s'ajoutent aux mesures anticycloniques.

Les exigences sanitaires d'essence européenne peuvent avoir un effet négatif sur les productions animales locales.

Je m'attarderai un instant sur la filière banane biologique.

Trois spécialités commerciales sont autorisées en France pour le traitement des cultures de bananes biologiques. De la banane biologique en provenance des Antilles, et de la Martinique en particulier, est commercialisée depuis octobre 2015.

À titre de comparaison, la République dominicaine autorise dans le cas de la culture de banane biologique vingt-cinq spécialités commerciales en pré-récolte et huit en traitement post-récolte. De plus, quatorze spécialités commerciales autorisées en République dominicaine ne correspondent à aucune catégorie européenne.

Par ailleurs, les normes françaises et européennes, notamment environnementales et sociales, sont bien supérieures aux normes des pays africains et latino-américains qui sont les principaux concurrents des producteurs ultramarins.

Vous nous avez demandé des précisions sur les modalités de la participation du ministère de l'agriculture à l'élaboration des normes sur les productions agricoles et l'alimentation.

Au niveau international, dans le cadre des négociations d'accords commerciaux, la conduite des négociations est une prérogative exclusive de la Commission européenne. Les autorités françaises soutiennent la Commission dans la réalisation de ces négociations.

Ainsi, nous participons aux négociations multilatérales et suivons les travaux des instances normatives, au niveau de la convention internationale sur la protection des végétaux, du Codex alimentarius et de l'Organisation mondiale de la santé animale.

Au niveau européen, le ministère participe à l'élaboration de la législation et de la réglementation européenne. Sur les questions sanitaires et phytosanitaires, la plupart des règles sont harmonisées. Les questions laissées à la subsidiarité des États-membres sont peu nombreuses.

Le ministère est également chargé de transposer en droit national les directives de l'Union européenne. Cette transposition doit se faire dans des délais souvent contraints, sous peine de se voir infliger des astreintes qui peuvent être très pénalisantes. Les États-membres jouissent d'une certaine latitude dans ce processus de transposition. Ils peuvent ainsi tenir compte de leurs caractéristiques spécifiques nationales, ce que nous faisons pour les outre-mer.

Toutefois, le nombre d'adoption de directives dans les domaines sanitaires et phytosanitaires étant de moins en moins important, la prise en compte des particularités des RUP doit être envisagée dès l'élaboration du droit au niveau européen.

En matière d'environnement normatif phytosanitaire, dans l'exercice de construction des normes au niveau européen, l'impossibilité d'adopter pour les outre-mer un modèle de fonctionnement fondé sur une libre circulation des végétaux sous « passeport phytosanitaire européen » a été démontrée à la Commission. Cela a entraîné un retrait total de la réglementation des départements d'outre-mer du règlement européen dédié à la santé des végétaux. Le cadre réglementaire national de 1990-1991 adapté aux contraintes locales a été maintenu. Cela permet une meilleure protection des conditions de production agricole dans les outre-mer.

Un arrêté est prévu par le ministère chargé de l'agriculture afin de catégoriser les parasites dans les départements d'outre-mer. Cela nous facilitera la définition des priorités pour les programmes de lutte.

Le cadre juridique des contrôles à l'importation dans les outre-mer, tant pour les produits originaires de l'UE métropolitaine que des pays tiers, est constitué par un arrêté ministériel de 1991.

À cet arrêté s'ajoute, pour les seules importations provenant des pays tiers, les dispositions de la directive 2000/29/CE, transcrites dans le droit français par un arrêté datant de 2006, qui ont été rédigées en fonction des seules conditions environnementales et agricoles du continent européen.

Un nouveau règlement sur la santé des plantes est en cours d'élaboration par les instances de l'UE. Il devrait être adopté dans le courant de 2016.

Profitant de cette refonte, le ministère chargé de l'agriculture a décidé de libérer les outre-mer des contraintes de la législation européenne qui sont inadaptées à leur situation.

Afin de faire profiter les outre-mer de la même stratégie préventive qui sous-tend le système des contrôles à l'importation mis en place par le prochain règlement de l'UE, un arrêté ministériel spécial aux outre-mer est prévu. Il prendra en compte l'évolution de la situation des outre-mer depuis 1991 ainsi que le territoire de Mayotte, désormais département d'outre-mer.

En matière d'environnement normatif de l'alimentation, je rappelle que le droit européen en matière sanitaire et phytosanitaire est applicable à la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion, hors dispositions particulières définies dans le code rural.

Des évolutions du cadre juridique national sont en cours :

- en matière d'équarrissage, les outre-mer bénéficient de certains aménagements qui figurent dans une ordonnance en attente d'examen par le Conseil d'État ;

- la catégorisation des dangers sanitaires animaux dans les départements d'outre-mer, prévue par l'Anses pour la fin 2016, permettra de déployer dans les DOM des gestions plus proportionnées à leurs particularismes.

Par ailleurs, les mises aux normes européennes en matière de bien-être animal n'ont pas posé de difficultés majeures. Seule Mayotte a bénéficié d'une dérogation officielle pour la mise aux normes afférentes aux poules pondeuses.

La sécurité sanitaire des aliments n'est pas négociable puisqu'elle est fondée sur une analyse des risques et il ne peut y avoir de niveau d'exigence différent de santé publique en fonction du territoire.

En revanche, le paquet réglementaire européen (« paquet hygiène ») prévoit une flexibilité des exigences pour les petites structures, les petites quantités et les courtes distances, qui s'applique de fait aussi bien en outre-mer qu'en métropole.

Les principaux problèmes d'application rencontrés dans les départements d'outre-mer par les inspecteurs de la direction générale de l'alimentation (DGAL) portent sur l'abattage clandestin, qui peut mettre en danger la santé du consommateur par défaut d'inspection sanitaire.

Mayotte a bénéficié d'un délai pour l'équarrissage, le temps de construire les outils d'élimination des sous-produits animaux et d'un délai pour la mise aux normes de l'abattoir. Un abattoir pour les bovins devrait être réalisé dans un délai maximum de deux ans.

En ce qui concerne les normes sanitaires et phytosanitaires par rapport aux pays tiers, la DGCCRF précise qu'il y a trois niveaux de réglementation selon que la denrée est produite en France, dans l'Union européenne ou dans un pays tiers :

- pour les denrées en provenance de pays tiers, seules les limites maximales résiduelles (LMR) sont opposables. Une LMR « par défaut » est fixée (à un niveau très bas) et opposée aux produits importés pour toute substance active non approuvée au niveau de l'UE ou non autorisée en France ;

- les denrées en provenance de pays de l'Union européenne doivent respecter les LMR et ne pas contenir de résidus de substances actives non autorisées ;

- les denrées d'origine française doivent respecter les conditions précédentes et ne pas avoir été traitées avec un produit phytopharmaceutique (PPP) n'ayant pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l'usage considéré. En effet, les délivrances d'AMM prennent en compte d'autres critères que la santé du consommateur (effets sur la pollution des sols par exemple) difficilement opposables à des pays tiers. Les AMM doivent de plus avoir fait l'objet d'une demande de la part des fabricants de PPP.

L'analyse des taux de non-conformité observés dans les plans de surveillance « fruits et légumes » fait apparaître, sur les trois dernières années, des taux systématiquement supérieurs pour les produits en provenance des pays tiers. Par exemple, le taux de non-conformité des légumes contrôlés dans le cadre du plan de surveillance s'élevait à 3,3 % en 2014 (contre 1,6 % en moyenne).

L'Union européenne a mis en place des contrôles renforcés à l'importation qui ciblent certaines denrées en fonction de leur pays d'origine. Dans ce cadre, 789 prélèvements ont été effectués en 2014 pour un taux de non-conformité de 6,5 %.

En matière de réciprocité et d'équivalence des normes agricoles de protection entre l'Union européenne (UE) et les pays tiers, le cadre juridique défini est le suivant :

- les producteurs ultramarins doivent respecter les normes de production de l'UE. En ce qui concerne les importations, le principe est d'exiger les mêmes garanties sanitaires et phytosanitaires que celles exigées au sein de l'UE. De plus, les contrôles à l'importation visent à empêcher toute introduction de parasites nouveaux qui obligeraient les agriculteurs à prendre des mesures d'éradication très coûteuses ;

- en vertu des accords Sanitaires et Phytosanitaires (SPS) signés sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce, les pays tiers s'engagent à respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l'UE pour les produits qu'ils exportent vers elle. Dans le cadre de l'accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), les pays membres de l'OMC sont aussi tenus de notifier l'adoption de normes agricoles. La France est donc informée des mesures mises en place par les pays tiers ;

- en ce qui concerne les animaux et les produits animaux, chaque pays tiers doit être autorisé par l'UE pour chaque filière d'exportation. Pour cela, il doit s'engager, entre autre, à mettre en place des plans de surveillance sanitaire en conformité avec les dispositions de l'UE. De plus, pour les produits animaux, chaque établissement doit être également autorisé par l'UE. L'émission d'un certificat sanitaire par le pays tiers garantit le respect de ces conditions pour chaque lot exporté ;

- en ce qui concerne les végétaux et produits végétaux, le respect des normes portant sur la santé humaine est fondé sur un plan de surveillance à l'importation mis en place par l'UE, qui implique des prélèvements pour analyse en laboratoire par sondage selon des analyses de risques par filière d'importation. Pour un certain nombre de végétaux, un certificat phytosanitaire émis par le pays tiers garantit qu'une inspection a été conduite en vue de vérifier la conformité aux normes européennes du lot exporté.

Au niveau européen, la Commission européenne organise des audits réguliers tant au sein des États-membres de l'UE que des pays tiers, en vue de vérifier leur respect de la législation sanitaire et phytosanitaire de l'UE.

En 2015, 221 audits ont été organisés. Cependant, seuls 60 (un quart environ) se sont déroulés dans les pays tiers, les 161 restant visant les États-membres (8 pour la France). À plusieurs occasions, la France, comme certains autres États-membres, a demandé à la Commission que le nombre d'audits dans les pays tiers soit significativement augmenté.

Au niveau national, la vérification du respect des exigences de l'UE par les pays tiers se fait à deux niveaux. Les lots importés sont soumis à un contrôle avant leur introduction dans le territoire de l'UE, principalement les ports et aéroports. Ce contrôle s'effectue dans :

- des postes d'inspection frontaliers (PIF) pour les animaux et produits d'origine animale ;

- des points d'entrée désignés (PED) pour les végétaux, produits végétaux et certains autres produits, comme les vitamines, lorsqu'il s'agit de veiller à la santé humaine et animale ;

- des points d'entrée communautaires (PEC) pour les végétaux, produits végétaux et autres objets, dès qu'il s'agit de veiller à la santé des végétaux.

Les contrôles dans les PIF, les PED en ce qui concerne la santé animale et les PEC sont effectués par des agents relevant du ministère chargé de l'agriculture (DGAL/SDASEI/Service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire - SIVEP).

Les contrôles dans les PED concernant la santé humaine sont effectués par des agents relevant du ministère chargé de l'économie (DGCCRF).

Pour le contrôle des végétaux à l'importation, la publication d'un arrêté spécifique aux départements d'outre-mer, indépendamment de la législation de l'Union européenne, permettra d'appliquer le principe de réciprocité avec les pays tiers en ce qui concerne les échanges propres aux DOM.

Le Marché unique a déplacé le contrôle sanitaire et phytosanitaire des importations agricoles et animales aux limites de l'Union européenne et instauré des points de contrôle obligatoires à l'entrée du territoire européen. Les importations d'animaux, de végétaux et de leurs produits en provenance de pays tiers à l'Union européenne doivent être présentées dans des postes frontaliers disposant des installations nécessaires à l'inspection et des personnels compétents.

Par principe, les conditions sanitaires et phytosanitaires applicables aux marchandises importées en provenance des pays tiers doivent être au moins équivalentes à celles concernant la production et la mise sur le marché de l'Union européenne. Les critères sont définis par des textes européens ou, à défaut, par des textes nationaux. C'est quasiment l'ensemble des conditions d'importation qui sont harmonisées au niveau européen.

Une fois accepté aux postes frontaliers français, un lot peut circuler dans l'intégralité du territoire de l'Union européenne, en vertu du principe de libre circulation des biens.

Par arrêté du 28 décembre 2009, le ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt a créé le SIVEP, service à compétence nationale chargé de l'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières.

Afin de tenir compte des contraintes naturelles des départements d'outre-mer et de leur éloignement géographique, la réglementation vétérinaire de l'Union européenne laisse le choix aux départements d'outre-mer d'appliquer les mêmes règles que la métropole ou de bénéficier d'un régime dérogatoire (dit « Régime des RUP »).

Le régime dérogatoire interdit toute possibilité de réexpédier les produits importés ou leurs dérivés vers le reste de l'UE. Depuis 2011, la situation des départements d'outre-mer est la suivante : La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte ont choisi l'option RUP et La Réunion a un agrément de l'Union européenne pour 2 PIF.

Le caractère dérogatoire du dispositif ne concerne que la conformité des installations de contrôle du poste d'inspection frontalier (PIF). Ainsi, les collectivités locales, les professionnels ou les autorités portuaires et aéroportuaires souhaitent aujourd'hui pouvoir se dégager des contraintes inhérentes au plan RUP.

Vous avez souhaité que nous vous précisions les modalités pratiques de contrôle.

Les contrôles vétérinaires des animaux et produits d'origine animale visent un double objectif : protéger la santé humaine contre des infections, maladies zoonoses ou contaminations chimiques, d'une part, préserver la santé animale, d'autre part.

Ces types de contrôle sont assurés exclusivement par la DGAL.

Les contrôles phytosanitaires visent pour leur part à :

- préserver la santé humaine contre les infections ou les contaminations chimiques. Ce type de contrôle est assuré par la DGCCRF ;

- s'assurer de la santé des végétaux en vue de protéger l'environnement et l'agriculture. Ce type de contrôle est assuré par la DGAL.

Les principes relatifs à l'organisation des contrôles vétérinaires pour l'importation des animaux vivants et des produits d'origine animale en provenance des pays tiers sont définis par les directives 91/496/CEE du 15 juillet 1991 et 97/78/CE du 18 décembre 1997. En droit français, ces directives ont été transposées par les arrêtés du 5 mai 2000 et du 19 juillet 2002, textes eux-mêmes fondés sur les articles L. 236-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

Les contrôles aux frontières s'appliquent de manière systématique à l'ensemble des animaux vivants et des produits d'origine animale, qui doivent provenir de pays et d'établissements préalablement autorisés à exporter vers l'Union européenne et être accompagnés d'un certificat sanitaire correspondant à un modèle préétabli au niveau européen et validé par l'autorité compétente du pays d'origine.

Ils sont réalisés dans les postes d'inspection frontaliers agréés par la Commission européenne, dont sept dans les DOM.

S'agissant des contrôles phytosanitaires des végétaux et des produits végétaux, les États-membres, en application de la directive 2000/29/CE du 8 mai 2000, ont l'obligation d'effectuer le contrôle de certains végétaux et produits végétaux présentant un risque phytosanitaire. Cette directive a été transposée par les articles L. 251-3 et suivants du code rural et de la pêche maritime et par l'arrêté du 24 mai 2006.

Les contrôles aux frontières s'appliquent à certains végétaux ou produits végétaux présentant le plus de risques. Pour être admis sur le territoire, ces végétaux et produits végétaux doivent être accompagnés d'un certificat phytosanitaire défini selon l'espèce végétale, son traitement et son pays d'origine.

Le contrôle documentaire systématique est accompagné d'un contrôle d'identité également systématique et d'un contrôle physique dont la fréquence est déterminée par le niveau de risque phytosanitaire.

Concernant les denrées végétales, il n'existe pas de listes de pays ou d'établissements autorisés ; en revanche, des interdictions touchent certains pays qui ne peuvent pas exporter certains de leurs produits.

Les marchandises sont contrôlées dans les 33 points d'entrée communautaires (PEC) installés en France, dont 11 dans les DOM.

Les contrôles des aliments pour animaux d'origine non animale sont définis par les règlements (CE) n° 882/2004 et n° 669/2009. Ils fixent les modalités de contrôle d'importation des produits d'origine non animale, dont ceux destinés à l'alimentation des animaux. L'inspection comporte un contrôle documentaire systématique et un contrôle physique dont la fréquence est déterminée par le niveau de risque du produit et son origine.

Les lots sont contrôlés dans des points d'entrée désignés (PED), au nombre de 19 sur le territoire français, dont 4 dans les départements d'outre-mer.

À l'issue du contrôle à l'importation, en cas de conformité du produit, l'inspecteur en poste frontalier délivre une attestation de contrôle dite document commun d'entrée attestant de la conformité des marchandises. Ce document permet le dédouanement des produits et leur mise en libre pratique.

En matière de respect des contingents et des quotas fixés pour les pays tiers, la direction des douanes précise que les importations de produits agricoles (en provenance de pays tiers ou de métropole ou d'un autre DOM) sont soumises à la présentation d'une déclaration en douane (DAU).

Un certificat d'importation est exigé à l'appui de la DAU lors de l'importation des produits agricoles repris à l'annexe II - partie I du règlement (CE) n° 376/2008 de la Commission du 23 avril 2008.

Les certificats d'importation sont délivrés par FranceAgriMer.

Les importations de produits agricoles soumis à certificat font l'objet d'une surveillance particulière de l'administration des douanes, compte tenu des risques de fraude identifiés à la fois par la Commission européenne et par les services douaniers.

Le contrôle effectué vise à vérifier que l'importation de ces produits, considérés comme sensibles, est autorisée et, le cas échéant, si l'importation peut être réalisée sous couvert d'un régime préférentiel. Certains produits agricoles bénéficient en effet de mesures tarifaires préférentielles d'importation du fait d'accords conclus entre l'Union européenne et des pays ou groupes de pays ou de mesures qui sont accordées unilatéralement par l'Union européenne en faveur d'autres pays.

Certains produits agricoles peuvent également être importés dans le cadre de contingents tarifaires.

Dans la cadre du POSEI, les opérateurs qui souhaitent réaliser ces opérations dans le cadre du régime spécifique d'approvisionnement doivent être enregistrés dans la base de données CALAO gérée par l'ODEADOM. Chaque importation est réalisée sous couvert d'un certificat d'importation, d'exonération ou d'aide délivré par l'ODEADOM et présenté aux autorités douanières.

Il y a, dans ce cas-là, un contrôle des contingents tarifaires fixés au niveau européen. Dans le cas des contingents, il y a aussi des contrôles automatisés.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Merci Monsieur le délégué, pour cet exposé très complet que nous lirons dans son intégralité avec grand intérêt. Permettez-moi cependant de vous interrompre afin que les rapporteurs et mes collègues aient le temps de vous poser quelques questions.

Si vous nous résumiez le tout, diriez-vous que tout va bien, que tout va mieux, que tout va s'améliorer ou qu'il n'y a pas de problèmes ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Vous nous avez apporté tellement d'informations qu'il nous est difficile d'avoir immédiatement une vision synthétique des enjeux.

J'ai l'impression d'avoir compris qu'il y avait une progression dans la mesure où les particularités des outre-mer commencent à être prises en compte dans la réglementation européenne et le seront davantage encore en 2016. Est-ce exact ?

Avez-vous une évaluation du surcoût des normes sur la banane, la canne à sucre, l'agriculture en général ?

La banane bio et la banane durable procèdent-elles de la même filière ? Si ce n'est pas le cas, pourriez-vous nous donner la part des filières bio et durable par rapport à la banane totale aux Antilles ?

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Je partage l'analyse de ma collègue.

Auriez-vous des exemples concrets de normes ou de procédures qui pénalisent les producteurs ultramarins par rapport à leur environnement régional ?

De quels moyens le ministère dispose-t-il pour s'assurer que les contrôles sont efficients ? À mon avis, ils ne sont pas totalement adéquats.

Mme Adeline Croyère, chef du service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP) . - Nous allons nous répartir les réponses en fonction de nos compétences techniques.

Comme vous le disait M. Joly, lorsqu'il s'agit de transposer une directive, nous nous soucions de l'adapter - si nécessaire - pour l'outre-mer. Mais de plus en plus, nous sommes face à des règlements, d'application immédiate, avec une marge de négociation a posteriori moins importante. Il nous faut donc anticiper et insister sur la prise en compte des spécificités de l'outre-mer avant le vote des règlements.

Il y a deux discussions. Sur la question de la santé publique, de la sécurité de l'alimentation et de la protection animale, la France a fait le choix qui me semble légitime de considérer que les normes devaient être les mêmes quel que soit le territoire concerné. Au-delà de ce postulat de base, il est entendu que, sans qu'il y ait de dispositifs réglementaires spécifiques ou de dérogations, nous pouvons être amenés à aménager les délais ou à donner des flexibilités dans le temps ou pour l'aménagement des infrastructures afin d'arriver au même résultat. Je pense, en matière de bien-être animal, aux poules pondeuses ou aux abattoirs.

M. Denis Allex va compléter mon propos pour les aspects phytosanitaires.

M. Denis Allex, adjoint au chef du Service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP ). - Par aspect phytosanitaire, j'entends la santé des plantes. La situation est un peu différente. L'objectif est de maintenir le même niveau d'exigence mais avec des objectifs qui sont adaptés à la situation des départements d'outre-mer. À l'heure actuelle, le contrôle des végétaux à l'importation est défini par une directive dont la rédaction initiale date de 1977 et un arrêté d'adaptation aux départements d'outre-mer de 1991 qui souffre d'être ancien. Le défaut de ce référentiel est de ne pas permettre d'anticiper. On attend que des problèmes arrivent pour ensuite légiférer. L'exemple sans doute le plus flagrant est celui de la bactérie Xylella Fastidiosa qui pose d'énormes problèmes dans le sud de l'Italie et en France. On savait que le Costa Rica, qui exporte beaucoup de plantes, était touché par cette maladie. Sans que l'on puisse en apporter la preuve, il nous l'a probablement envoyée. On a alors interdit les exportations du Costa Rica. Ce principe n'est pas efficient pour l'Europe et les départements d'outre-mer.

Face à cette situation, on se retrouve devant l'échéance de 2016 pour le règlement sur la santé des végétaux. Par le passé, la France a tenté sans succès de faire remonter les problématiques des départements d'outre-mer au niveau de l'Union européenne. En conséquence, elle a demandé leur exclusion du champ de ce règlement et de pouvoir légiférer de manière indépendante.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Cette demande a été acceptée ?

M. Denis Allex . - Pour l'instant, personne n'a contesté ce point.

Un deuxième point pourrait intéresser les départements d'outre-mer. Il s'agit de la stratégie préventive. Elle consiste à réévaluer les filières d'importation avant de les autoriser. Ce principe sera appliqué au futur règlement. Le choix des institutions françaises a été de dire qu'un arrêté spécial serait rédigé pour les départements d'outre-mer. Nous sommes en train de travailler sur cet arrêté et je ne crois pas trop m'avancer en prévoyant une parution pour 2017. Bien évidemment, il respectera les principes de démarche préventive de la loi de santé végétale européenne.

Mme Adeline Croyère . - Je reviens sur la question des normes qui pénalisent les producteurs ultramarins, au coeur de vos préoccupations.

Depuis trois ans, je travaille à la direction générale de l'alimentation. Comme dans toutes les directions, chaque année, il y a des dialogues de gestion. Chaque directeur régional de l'agriculture est amené à venir et à exposer pendant une à deux heures les problématiques dans le champ global de la direction. Il en suit des discussions et des négociations. J'ai relu les comptes rendus avant de venir aujourd'hui. À part la problématique de l'adaptation des traitements phytosanitaires aux départements d'outre-mer, je n'ai pas identifié d'inquiétudes des directeurs régionaux de l'agriculture. La problématique de la leucose bovine à La Réunion, qui n'était pas correctement catégorisée pour déclencher les aides adéquates, a été soulevée mais elle a été résolue à la suite de la saisie de Comité national de santé animale. Le dernier exemple concerne Mayotte qui nous avait alertés sur les poules pondeuses, son abattoir et l'équarrissage. Les dispositions ont été adaptées. Je n'ai pas d'autres problématiques à vous soumettre aujourd'hui.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Travaillez-vous en concertation avec les professionnels ?

Mme Adeline Croyère . - Ils peuvent nous saisir directement sur une question particulière quand ils ont un motif d'inquiétude. Nous sommes également saisis par des sénateurs. Il y a des discussions régulières entre la direction générale à l'alimentation et les syndicats professionnels représentatifs. Historiquement, le ministère de l'agriculture a toujours été proche de ces filières professionnelles. Un dialogue en amont de l'élaboration des textes est souvent noué.

Vous nous avez interrogés sur les effectifs. Je vais vous répondre sur le volet qui correspond au domaine de compétence de mon service de contrôle des importations. À la fois pour l'outre-mer et pour les postes frontaliers dans les DOM, l'effectif des inspecteurs qui réalisent des contrôles à l'importation vétérinaires et phytosanitaires est stable et a même été renforcé. Une révision annuelle en fonction des flux est réalisée. Le directeur général de l'alimentation est très attentif à cet effectif, dernier rempart avant l'entrée dans l'Union européenne.

M. Alain Joly . - Vous vouliez savoir si toute la production de banane est durable. En 2012, 80 % de la banane était produite dans le cadre du plan banane durable. Des démarches globales sont effectives : la démarche Global GAP ; depuis 2015, la banane française vendue avec un ruban bleu-blanc-rouge et un code barre ; une démarche de certification IGP devrait aboutir d'ici trois ans.

Actuellement, il y a un producteur bio en Martinique, adhérant de l'UGPBAN. Il possède 16 hectares de plantation de banane et envoie un conteneur par semaine. L'objectif est d'atteindre prochainement 8 à 10 % de la production.

M. Gilbert Roger . - Dans la mesure où nous ne souhaitons pas aligner nos conditions économiques sur celles du Brésil ou de certains pays africains, il nous faut trouver une autre solution, et notamment jouer sur la qualité de nos produits qui est très bien perçue par nos concitoyens consommateurs et nous-mêmes.

Est-ce qu'il y a des normes imposées par la France qui vont au-delà de ce que décide l'Union européenne pour les produits et les productions agricoles, et notamment des DOM ? On a l'impression que la France aime mettre des normes supplémentaires, avec les coûts qu'elles induisent, multiplier les tracasseries administratives et techniques.

Vous avez évoqué l'entrée de la banane et de la canne sur le marché de l'Union européenne. L'Union est constituée de pays qui ont eu des histoires coloniales diverses (la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas). La banane qui provient de certaines anciennes colonies de ces pays arrive sur le marché de l'Union européenne sans être différenciée de celle qui est produite, au sein de l'Union, par la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion. Comment faire pour que l'identification de ces produits soit d'abord une identification européenne, peut-être même plus que française en tant que telle ?

Mme Adeline Croyère . - Je vous répondrai à partir du support qui nous a été fourni par la DGCCRF. Mon service réalise des contrôles vétérinaires et phytosanitaires. Un contrôle phytosanitaire consiste à vérifier l'absence de bactéries ou de parasites qui peuvent avoir un impact sur la production agricole.

Je peux vous indiquer la différence des contrôles à l'importation qu'applique la DGCCRF entre la banane des pays tiers et la banane européenne. Les contrôles à l'importation des bananes en pays tiers portent sur le taux de résidus en traitement phytosanitaire qui doit être bien inférieur à une Limite Maximale Résiduelle (LMR). C'est une problématique de santé publique. À la LMR s'ajoute, pour les producteurs ultramarins et les producteurs européens pour d'autres filières, une autorisation de mise sur le marché des traitements phytosanitaires utilisés. C'est une démarche longue et très coûteuse. Nous serions bien en peine d'imposer aux pays tiers cette préoccupation de l'impact sur la pollution des sols. On en revient à la difficulté qu'a soulevée la Martinique sur les usages orphelins avec seulement huit traitements autorisés en Europe et en outre-mer et la République Dominicaine qui dispose de vingt-cinq produits différents.

M. Serge Larcher . - Vous mettez le doigt sur le problème. La banane est un produit fragile qui se développe dans un milieu riche en parasites et en champignons qui mutent d'une année à l'autre. Nos agriculteurs disent que les agriculteurs des pays voisins utilisent des produits phytosanitaires dont ils ne disposent pas eux-mêmes et qu'ils n'ont pas trouvé de laboratoire disposé à faire des recherches pour un marché aussi restreint que le leur. Ils sont démunis alors qu'ils interviennent sur un marché concurrentiel.

À cela s'ajoute ce que j'ai entendu en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion et en Guyane. En Guyane, un jeune de la métropole qui souhaitait s'installer pour planter de l'herbe - qui ne coûte presque rien au Brésil - devait s'adresser à Marseille pour obtenir des semis pour un coût quinze fois supérieur. Le déficit de compétitivité s'explique aussi par le coût du travail.

Nous ne nous battons pas à armes égales alors que nous sommes en compétition sur le marché européen.

Mme Adeline Croyère . - Vous soulevez deux problèmes que nous rapporterons à nos autorités, à savoir les semences autorisées et les usages orphelins de produits phytosanitaires.

Pour les semences, je n'ai pas de réponse immédiate à vous apporter.

En ce qui les usages orphelins des traitements phytosanitaires, la possibilité d'activer des aides de type FEDER ou FEADER pour pouvoir travailler sur ces autorisations de mise sur le marché dans un secteur confidentiel a-t-elle été explorée ?

M. Serge Larcher . - C'est d'abord une question de production. L'agriculteur dont le champ est malade ne produit plus rien. Ce que veulent les agriculteurs, ce ne sont pas des compensations, c'est produire. Ils voient qu'au Nicaragua, en Colombie ou en République dominicaine les agriculteurs traitent largement leurs bananeraies tandis qu'ils sont obligés de laisser leur production s'abîmer. Ils ne disposent pas des produits adaptés pour lutter contre les maladies et quand ils s'adressent aux scientifiques européens, ils n'ont pas de réponse ou on leur dit qu'il n'y a pas de produit pour un aussi petit marché en zone tropicale. Un produit peut être utile pendant deux années et devenir inefficace la troisième car un autre champignon, un autre parasite est apparu. Les pays voisins sont réactifs et disposent de centres de recherche, sur le terrain, qui proposent des solutions concrètes.

Nos agriculteurs souhaitent plus de souplesse, plus de solidarité. Pourquoi ne pourraient-ils pas utiliser ces produits dès lors qu'ils présentent des garanties sanitaires suffisantes ?

M. Pierre Ehret, expert référent national à la sous-direction de la qualité et de la protection des végétaux (DGAL/SDQPV) . - Les usages mineurs ont été bien identifiés. Des pistes précises comme le groupe technique filières tropicales sont étudiées pour augmenter la disponibilité des produits.

Nous ne surpassons pas les normes européennes mais nous sommes obligés de passer par l'inscription sur une liste européenne des substances actives. Là, il faut un porteur de projet, que quelqu'un du secteur privé ou un secteur interprofessionnel manifeste son intérêt pour ce marché l'intéresse et effectue les démarches nécessaires.

M. Michel Magras, président . - Monsieur le délégué ministériel, madame, messieurs, nous vous remercions pour la qualité de vos réponses.

Je rappellerai que les départements d'outre-mer sont des régions ultrapériphériques (RUP). Les directives transposées en droit national s'appliquent systématiquement aux RUP. Je regrette qu'il n'y ait pas assez d'adaptations.

Vous dites qu'il y a un suivi des travaux de production normative. Nous pourrions avoir la tentation de vous demander dans quelle mesure vous avez une influence sur leur rédaction. Les normes telles qu'elles sont conçues pour l'Europe sont pour nous, dans certains domaines, bien inadaptées aux réalités de notre environnement ultramarin, réalités d'ailleurs parfois différentes d'un territoire à l'autre.

Vous avez évoqué l'exclusion des départements d'outre-mer du champ d'application des normes phytosanitaires, d'une stratégie préventive qui me semble intéressante, d'un régime spécifique. Comment peut-on intervenir pour faire aboutir ce type de propositions ?

Nous voyons les accords internationaux quand ils sont signés. La France donne souvent un mandat en début de rédaction et à la fin demande des ajustements. On peut parfois penser que c'est trop tard.

Vous n'avez pas évoqué la partie du commerce à l'échelon régional. Les produits des départements d'outre-mer font l'objet d'une compensation de leurs surcoûts mais la réalité c'est que ces surcoûts ne permettent pas de vendre aux territoires voisins.

Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer - Audition de l'Office de développement de l'économie agricole des DOM

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant Monsieur Hervé Deperrois, directeur de l'Office de développement de l'économie agricole des DOM (ODEADOM), accompagné de Mesdames Valérie Gourvennec, chef du service Productions de diversification, Laure Lacour, adjointe au chef de service, et de Monsieur Jérôme Mater, chef du service Grandes cultures.

Monsieur Éric Doligé est le rapporteur coordonnateur de l'ensemble de nos travaux sur les normes, Monsieur Jacques Gillot et Madame Catherine Procaccia sont les rapporteurs du volet spécifique consacré aux aspects sanitaires et phytosanitaires.

Monsieur le Directeur, nous vous avons transmis une trame pour vous permettre de préparer cette audition. Je vous demanderai d'être synthétique afin de permettre à nos collègues de vous poser quelques questions complémentaires.

M. Hervé Deperrois, directeur de l'Office de développement de l'économie agricole des DOM (ODEADOM) . - L'ODEADOM est à la fois un organisme de développement de l'agriculture à l'outre-mer et un organisme payeur des aides communautaires du POSEI et des aides nationales complémentaires. Nous disposons d'un budget d'environ 320 millions d'euros par an en faveur des filières agricoles d'outre-mer et principalement consacrés aux cinq départements d'outre-mer (DOM).

Cet organisme existe depuis de nombreuses années. Il a trois principaux objets :

- une fonction d'aide aux filières et de structuration de ces filières à travers le POSEI. L'ODEADOM intervient en complément des financements FEADER du deuxième pilier pour tout ce qui concerne les aides à l'investissement qui sont gérées au niveau des collectivités territoriales et en liaison avec les directions des affaires foncières et les préfectures ;

- notre deuxième fonction est une fonction d'observatoire économique qui ne fait que débuter, de collecte de toutes les données économiques sur l'agriculture à l'outre-mer ;

- une troisième fonction de concertation avec les professionnels des filières puisque sont rattachés à l'ODEADOM quatre comités sectoriels, deux sur les grandes cultures (un sur la canne à sucre et le rhum, l'autre sur la banane), et deux sur les filières de diversification (l'un sur la diversification animale, l'autre sur diversification végétale).

Je suis venu avec mes chefs de service responsables de ces secteurs. Ils pourront détailler les réponses.

La préoccupation sanitaire n'est pas au coeur de nos préoccupations. Nous ne pourrons pas entrer autant dans les détails que vos précédents interlocuteurs du ministère de l'agriculture. En revanche, nous sommes au courant des contraintes qui pèsent sur les filières agricoles. À partir des quatre comités sectoriels cités précédemment, nous avons bâti des stratégies de filière. Dans les comités sectoriels il y a deux représentants professionnels par DOM qui représentent la production agricole mais aussi la transformation agricole. Cela nous fait dix membres professionnels. S'ajoute le ministère de l'agriculture au niveau de son administration centrale et au niveau territorial.

Nous sommes aussi en cours d'évolution d'organisation pour nous appuyer de plus en plus sur l'échelon déconcentré, au niveau des préfets qui seront, nous l'espérons, nos futurs délégués territoriaux. Ce chantier a été lancé par le ministre de l'agriculture pour montrer la cohérence de l'État sur le terrain vis-à-vis des professionnels et des autorités des collectivités territoriales.

Nous venons de valider les stratégies de filières en conseil d'administration le 17 novembre dernier. Nous sommes maintenant dans une phase de déclinaison de plans d'action locaux qui vont étayer ces différentes stratégies sur le modèle de ce que FranceAgriMer a fait en métropole depuis plusieurs années. L'ODEADOM est un peu l'organisme frère, pour les territoires d'outre-mer, de FranceAgriMer en métropole. Nous essayons d'adopter des méthodes de travail déjà éprouvées et comparables.

Les plans d'action seront déclinés avec les professionnels dans le cadre de comités qui viennent d'être créés dans chaque DOM, les comités d'orientation stratégique et de développement agricole (COSDA) qui mettent en commun les compétences des professionnels, des autorités des collectivités territoriales et des services de l'État.

Sur le contenu plus précis de ces stratégies, il y a des enjeux économiques, il y a aussi des enjeux de qualité des produits et des enjeux de développement durable. Ce ne sont pas les mêmes d'une filière à l'autre même si on retrouve une trame commune.

Pour entrer un peu plus dans le détail, je vous propose d'entendre Monsieur Jérôme Mater sur les enjeux que représentant les grandes cultures, puis Mesdames Gourvennec et Lacour, sur les productions de diversification.

M. Jérôme Mater, chef du service Grandes cultures . - La stratégie de la filière banane vise à renforcer la durabilité économique, environnementale et sociale, tout en s'inscrivant dans une démarche de production de banane durable et dans la politique développée par le ministère de l'agriculture en termes de démarche d'agro-écologie. Pour cela les professionnels ont retenu six enjeux principaux :

- renforcer la performance économique de la filière ;

- assurer une maîtrise durable des bio-agresseurs ;

- maîtriser durablement les impacts sur l'environnement ;

- améliorer les performances sociales et sociétales ;

- mieux valoriser la banane de la Martinique et de la Guadeloupe sur les marchés ;

- acquérir, partager et transférer l'innovation et les connaissances en termes de production, de technique culturale, etc.

Ces enjeux ont été déclinés au travers de 28 axes d'intervention qui se traduisent par plus de 70 actions de terrain.

Nous vous transmettrons un document qui vous donnera davantage de précisions.

Dans la stratégie banane, nous sommes un peu en avance par rapport aux plans départementaux car la filière banane est très organisée. Il y a une coopérative qui regroupe tous les producteurs dans chaque département des Antilles. Ces coopératives sont regroupées au sein d'une union générale des producteurs de banane basée à Rungis. Ils avaient déjà développé dans le passé ce qu'on a appelé le plan banane durable 1 pour améliorer la production sur tous les aspects économique, social et environnemental. Ils ont décliné à partir de 2015 un nouveau plan banane durable 2. Il y a une très grande cohésion entre la stratégie et ce plan banane durable 2 qui est validé par l'ensemble des producteurs et qui constitue une base de plan d'action. C'est dans ce plan que l'on retrouve les 70 actions de terrain.

98 % de la banane des Antilles est écoulée en Europe, marché très concurrentiel avec les productions ACP. Les actions plus spécifiques en termes de compétitivité, reprises dans les axes d'intervention, visent à améliorer l'attractivité de ce produit, à encourager la segmentation de l'offre sur les divers marchés, développer les démarches de certification de toute nature et, éventuellement, accroître la valeur ajoutée par la transformation. Mais les possibilités de transformation de la banane restent assez limitées.

Pour la filière canne/sucre, l'orientation stratégique fondamentale est de préserver les débouchés des productions sucre et rhum de la filière canne au travers de quatre enjeux principaux :

- sécuriser les débouchés après la suppression des quotas sucriers en 2017 et protéger les sucres des DOM dans les accords commerciaux de libre-échange signés par l'Union européenne et, en particulier, pour les sucres spéciaux ;

- défendre et renforcer les débouchés du rhum. On a une stratégie de préservation de nos débouchés actuels ;

- consolider la production et l'emploi en maintenant le modèle des exploitations domiennes et en garantissant un revenu aux producteurs tout en poursuivant parallèlement l'innovation des outils industriels et en maintenant ces filières porteuses d'emploi ;

- conserver la structuration du monde agricole et de l'aménagement du territoire. Il y a environ 10 000 planteurs de canne.

Ces enjeux s'inscrivent dans la volonté d'une double performance économique et environnementale de l'agro-environnement.

La filière canne a souhaité développer cette stratégie avec treize objectifs très opérationnels, dont trois spécifiques à l'industrie sucrière et trois spécifiques à la distillation du rhum, les autres étant davantage axés sur la production. Pour les industriels, les points-clé sont l'innovation, la démarche qualité et la valorisation des co-produits de la canne (la bagasse, les mélasses, etc.) pour dégager des marges accrues de valorisation de ce produit.

M. Hervé Deperrois . - Pour la banane, pour la première fois à partir de 2016, il y aura un lien entre le plan banane durable 2 et le POSEI. Un compte rendu annuel sera fait auprès de la Commission européenne sur l'évolution et les engagements pris au niveau du développement durable pour montrer la progression de la démarche et l'engagement de la filière. Notre souhait est que ce modèle et nos stratégies qui comprennent ces engagements de développement durable soient progressivement liés au POSEI. Cela donne du sens, du contenu, aux aides à la production économique.

Mme Valérie Gourvennec, chef du service Productions de diversification . - S'agissant des productions de diversification, l'exercice a été un petit peu plus compliqué. Nous sommes sur des filières qui sont, pour le végétal, peu organisées. Elles le sont un peu plus pour l'élevage, du fait du goulot d'étranglement que constituent les abattoirs. La deuxième complexité tient aux territoires très différents d'un DOM à l'autre en termes de développement économique.

Nous avons développé une stratégie de filières pour les filières animales, une autre pour les filières végétales. Un certain nombre d'axes ont été développés, de l'amont jusqu'à la valorisation, même si celle-ci n'est pas encore bien intégrée dans ces stratégies.

Les principaux enjeux sont de développer et de sécuriser les productions en quantité et en qualité pour nourrir la population locale, de renforcer la structuration des organisations de producteurs tout en leur assurant un revenu correct, de renforcer la valeur ajoutée des produits pour favoriser le positionnement sur le marché local. Il s'agit avant tout, pour ces territoires, de dépendre moins des intrants et des semences, de ne plus servir de marché de dégagement pour certains produits et de favoriser l'activité et l'emploi ultramarin.

On a lancé le travail de développement des plans d'action qui seront très différents d'un DOM à l'autre compte tenu du niveau de l'organisation économique de chacun d'entre eux, en sachant que La Réunion a des structures plus fortes et mieux organisées tandis que Mayotte émarge nouvellement au dispositif communautaire du POSEI.

Les objectifs stratégiques sont un peu différents par territoire. Ils seront développés dans un deuxième temps.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Quelles sont les filières de diversification ?

Mme Valérie Gourvennec. - Pour l'animal, ce sont toutes les filières métropolitaines des bovins, des caprins, du porcin, de la volaille et la filière avicole.

Pour le végétal, ce sont les fruits et légumes, l'horticulture, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales, hors la banane bien évidemment.

M. Hervé Deperrois . - Il y a eu un second souffle après les manifestations intervenues en faveur de la production locale dans les DOM en 2009. Cela couvre notamment les besoins en produits frais. Ces stratégies, qui ont été accompagnées par un budget sur le CIOM d'environ 35 millions d'euros par an, portent leurs fruits. Les consommateurs locaux sont très demandeurs de produits identifiés comme produits localement, les produits PEI. Sur le terrain, les producteurs les mettent bien en valeur. Il y a une vraie différenciation, plus forte que celle que nous pouvons voir en métropole. La production est vraiment incitée à répondre à la demande de ce marché. Cela marche très bien à La Réunion où on atteint des taux proches de 100 %. Cela se développe bien aux Antilles et en Guyane et commence à Mayotte. Une capacité d'offre se met progressivement en place. Les cours des marchés locaux se tiennent plutôt mieux dans les DOM qu'en métropole. Le contexte économique que nous connaissons en métropole n'existe pas dans les DOM car les marchés ne sont pas saturés. La demande est forte et les aides du POSEI et du CIOM servent de complément.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Vous avez dit que vous étiez là pour accompagner la production et donc pour l'améliorer. Or, nous savons que les normes pénalisent ce secteur agricole et ne permettent pas d'augmenter la production. Même si ce n'est pas votre spécialité, dans quelle mesure pouvez-vous intervenir sur ces normes ?

Mme Odette Herviaux . - J'ai une question de consommatrice davantage que d'élue. Il y a une grande variété dans la production des bananes : production PEI, bio, durable, etc. Je constate qu'en métropole, et particulièrement en province, nous n'avons pas ce choix dans les magasins. On voit des bananes d'Afrique, d'Amérique centrale. Je n'achète que de la banane des Antilles et j'ai toujours beaucoup de mal à en trouver. Il y a un vrai manque de valorisation de la filière dans les grandes surfaces alors que depuis quelques années, on trouve très facilement l'ensemble de la production du rhum.

M. Hervé Deperrois . - La diversification est vraiment faite pour le marché local. À quelques exceptions près, on ne peut pas vraiment envisager que ce qui ne sature même pas le marché local puisse sortir du DOM pour être sur le marché métropolitain. Il s'agit plutôt d'éviter des importations dans les DOM.

Pour la banane, c'est très différent. Depuis le début, il y a une culture d'exploitation. Il y a toutefois des problèmes de conservation des bananes. Vous dites qu'il y a une grande variété mais la seule au monde qui se conserve aujourd'hui, c'est la Cavendish. Les petites bananes ne se conservent pas et franchissent très difficilement les milliers de kilomètres. Vous avez raison, l'origine du produit est sans doute à valoriser au niveau commercial. Les professionnels en prennent bien conscience. Valoriser l'origine française et domienne est un plus. Il y a une stratégie d'accompagnement du message qui a été déjà lancée sur la banane française des Antilles par les professionnels, avec un contenu qualitatif.

La problématique se posera sur le sucre l'an prochain avec la fin des quotas. Il y a une dizaine de jours, nous avons organisé un groupe de travail avec les professionnels pour mieux segmenter ce marché et mieux nous défendre par rapport au sucre d'importations étrangères. La valorisation des origines est un plus indéniable qu'il faudra développer, tout comme l'aspect qualitatif. Sur ce dernier point, les professionnels sont réticents car ils trouvent que c'est compliqué. Tout ce qui est bio est compliqué. Nous occupons déjà 60 % du marché avec les sucres spéciaux consommables en bouche mais tout ce qui est destiné à la transformation agro-alimentaire est plus compliqué à valoriser. Même les professionnels acheteurs ne tiennent pas trop à connaître l'origine.

M. Jérôme Mater . - Je voudrais juste apporter un complément sur la banane. Dans les rayons français, la banane dans le rayon fruits de tous les supermarchés est un produit d'entrée de gamme. Le prix de la banane sur l'année varie de 90 centimes à 1,05 euro au kilo. Quelle que soit l'origine de la banane, française des Antilles, venant d'Afrique ou des Caraïbes, elle est vendue pour tout le monde au même prix. Le consommateur français achète une banane à un euro. Les promotions entretiennent cette idée du produit pas cher, destiné à tous les consommateurs. Comme vous le dites très justement, on a du mal à différencier les origines. Depuis 2007, les Antilles ont tenté de le faire en utilisant un programme européen qui est la valorisation, la promotion du logo RUP, en ajoutant parfois Guadeloupe ou Martinique. Cela n'a pas eu d'effet sur la consommation. Malgré le soutien de l'Europe, on n'a pas réussi à inverser cette tendance. L'UGPBan cherche à valoriser davantage son produit. Ils ont lancé en 2015 la banane française. Ils cherchent à différencier ce produit en ne le vendant plus au kilo mais sous forme de produit emballé de 1 à 5 bananes, vendu au packaging . Cela montre qu'une bonne stratégie de communication, avec un drapeau tricolore, permet de vendre un produit avec 25 centimes de plus pour le producteur. Les cinq grandes enseignes nationales sont intéressées par ce produit. C'est une nouvelle démarche qui vise à préserver les parts françaises du marché. Nous avons du mal car la banane française dans le marché européen, dans tout l'export, ne représente que 5 % compte tenu de nos capacités de production. Même si nous faisions localement quelques efforts de productivité, il serait difficile d'excéder 6 à 7 %. L'idée est de parvenir à créer un marché de niche pour la banane française.

M. Hervé Deperrois . - Avec les AOC en Martinique qui représentent un aboutissement, les stratégies de signes de qualité entreprises depuis de longues années portent leurs fruits. Les appellations d'origine incarnent un capital patrimonial qui est un argument de vente efficace. Cela permet une mise en perspective pour les autres DOM qui ne sont pas encore aussi avancés en termes de signes de qualité. La Martinique, de ce point de vue, est un modèle, y compris pour le développement de la canne. La stratégie d'appellation d'origine avec un contenu qualitatif fort et un accompagnement de la culture de consommation de ces produits est incontestablement un plus pour l'avenir. Nous souhaiterions développer ce type de démarche avec l'aide de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et de l'Agence bio dans le domaine bio.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Le plan chlordécone a incité les consommateurs dont les jardins familiaux étaient pollués à ne pas manger tous les jours des légumes racines et d'aller vers d'autres produits. La filière diversification a-t-elle bénéficié de cette incitation ?

Mme Valérie Gourvennec . - Il est difficile de répondre pour la production inorganisée. Dans le plan banane durable 1, des informations ont été délivrées en ce qui concerne les sols impropres à la production de type tubercules comme les ignames. Les producteurs organisés, dans le cadre des organisations de producteurs reconnues en Martinique et en Guadeloupe, respectent un zonage des productions.

Dans les filières de fruits et légumes d'outre-mer, 80 % en moyenne des productions sont écoulées de manière inorganisée. C'est une vraie difficulté. Le POSEI tel qu'il est conçu avait pour objet d'augmenter la structuration pour avoir une meilleure maîtrise sanitaire de la production. Il y a des progrès. Des organisations de producteurs se sont créées. Les interprofessions des filières végétales sont encore émergentes mais l'objectif est bien de renforcer l'organisation économique pour avoir une meilleure maîtrise de la production, de l'origine, du suivi et de la traçabilité du produit.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Vous nous avez dit que 98 % de la production de la banane des Antilles était vendue en Europe et ne pesait que 5 % du marché. A priori , il n'y a pas de problème de débouché puisque tout est absorbé au niveau européen. Nous avons vu précédemment que les pays concurrents d'Amérique du sud ou d'Afrique avaient des salaires environ 15 fois inférieurs à ceux de nos producteurs. Y a-t-il un problème de prix, de rentabilité, de marge ? Puisqu'il y a un prix unique qui tourne autour d'un euro, a-t-on une capacité de développer des marges sur ces produits ? Est-ce un produit qui a un avenir ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - La banane est un produit social !

M. Jérôme Mater . - La banane est un produit social à la fois sur le marché du consommateur en Europe et aussi localement puisque cette production représente 10 000 emplois.

Effectivement, on a la capacité de production mais elle n'est pas extensible. La Guadeloupe est plutôt sur une marge de progression. Elle produit 70 000 tonnes de banane et vise un objectif de 100 000 tonnes. La Martinique est plutôt sur un objectif de maintien. On ne va pas accroître fortement nos volumes de production.

Compte tenu du fait que nos principaux concurrents sont des pays africains, des Caraïbes ou d'Amérique du sud, on a effectivement un problème de coût de main d'oeuvre. La valorisation est l'un des seuls moyens d'action pour se démarquer. Elle permettra de créer un marché de niche, de rentabiliser ce produit et de le développer.

Par ailleurs, il faut aussi voir qu'en sept ans on a fait beaucoup d'efforts pour réduire de 50 % les traitements phytosanitaires. Depuis le décret de 2014, le traitement aérien est complétement interdit dans les Antilles. Nous sommes le seul État au monde à ne plus avoir de traitement aérien de la banane. Cette réduction de 50 % signifie que nous avons recours à d'autres méthodes de lutte. Nos méthodes de lutte contre la cercosporiose noire reposent sur l'effeuillage des arbres, ce qui ajoute des coûts de main d'oeuvre. Comparativement, dans les pays tiers de nombreux produits phytosanitaires sont encore autorisés et les traitements sont massifs.

Pour la banane bio, en République dominicaine, il y a encore 25 produits de traitement autorisés. Il n'y en a plus que 3 en France. Bien que le marché soit mondial, nous ne jouons pas dans la même cour !

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Un produit est social quand il est bon marché pour le consommateur mais aussi quand il fait vivre les producteurs et soutient l'emploi local.

M. Michel Magras, président . - L'Europe a fait le choix de soutenir l'agriculture des RUP à travers les politiques d'aides européennes et du PPOSEI. Sans ces aides, l'agriculture n'existerait plus.

On peut comprendre que le sucre roux ou le rhum soient des produits d'avenir. On peut en faire des produits haut de gamme et la quantité deviendra secondaire par rapport à la qualité. Le revenu pour l'agriculteur sera globalement plus intéressant. La situation est différente pour la banane, produite par de nombreux pays.

Vous disiez qu'il y a de la banane qui vient des ACP. Mais l'Europe aide considérablement les ACP qui produisent déjà dans des conditions que nous ne pouvons pas reproduire. Dans votre programme de travail, y-a-t-il une évaluation du surcoût normatif et une réflexion sur l'adaptation des normes applicables outre-mer ?

M. Hervé Deperrois . - Vous l'avez bien dit. L'influence du POSEI est capitale. Il y a environ 125 millions d'euros annuels pour 250 000 tonnes. Cela fait environ 50 centimes d'euro par kilogramme d'aide pour un produit qui se vend au consommateur environ 1 euro le kilogramme. C'est le soutien économique européen qui permet à cette filière d'être rentable malgré les coûts de main d'oeuvre plus élevés et des normes de traitement plus contraignantes. Tant que cet équilibre sera maintenu, on arrivera à maintenir la production.

M. Michel Magras, président . - Votre raisonnement tient dans le cas où l'outre-mer vend à l'Europe. Cela ne va plus dans le contexte régional alors que l'outre-mer souhaiterait également commercer avec celui-ci.

M. Hervé Deperrois . - On peut valoriser assez bien l'origine française en métropole. On aura plus de mal à le faire dans les autres pays.

La segmentation se fait davantage sur la qualité. Le consommateur demande à avoir des garanties. Depuis la chlordécone, les producteurs de banane l'ont bien compris et commencent à communiquer sur les conditions de traitement. Il faut transformer cette contrainte en atout. Cela a été le point déterminant du plan banane durable 1 puis du plan banane durable 2. Il faut se différencier par la qualité comme l'ont déjà fait d'autres filières plus avancées comme le rhum AOC.

M. Maurice Antiste . - En tant qu'observateur privilégié de la vie de la banane, quel est votre avis sincère sur l'avenir de ce produit français ultramarin ? Compte tenu du nombre de contraintes, on a le sentiment que c'est plus qu'un produit social. C'est un produit sous perfusion.

M. Hervé Deperrois . - La banane, c'est les Antilles. Il faut relier cette culture à ces territoires insulaires dont le foncier est extrêmement sollicité à la fois par l'urbanisation mais aussi par le développement d'autres filières de diversification. Il y a une forte concurrence sur le foncier. Si les filières de diversification se développent, ce sera forcément un peu en concurrence avec le foncier utilisé par la banane. J'ai observé sur le terrain en Martinique il y a trois semaines que les filières de diversification végétale se localisent souvent dans de petits espaces laissés par la bananeraie.

Tant qu'il y aura le POSEI, conforté par une démarche aussi dynamique que celle que nous avons avec les professionnels, la banane a un bel avenir devant elle. Il faut que le consommateur puisse repérer assez vite que la banane française antillaise est différente de celle qui est importée des autres pays où il n'y a pas cette segmentation qualitative. Il faut des années pour que le consommateur identifie les appellations d'origine, les certifications géographiques.

M. Maurice Antiste . - Comment les pays européens non producteurs de banane réagissent-ils face à cette problématique ?

M. Hervé Deperrois . - C'est le même problème pour le sucre de canne. La Réunion représente 80 % de la production européenne de sucre de canne. La France est dans une situation très spécifique. Nous avons du mal à sauvegarder nos positions au niveau européen. Lorsqu'il y a des négociations commerciales, on l'a vu avec le Vietnam, la France doit se battre pour faire partager ses points de vue. On y arrive encore, mais la notion de contingent est de plus en plus difficile à faire accepter, surtout quand on essaie de s'ouvrir à ces pays comme le Vietnam qui produisent aussi du sucre. Nous sommes assez isolés au niveau européen.

M. Jérôme Mater . - Je vous ai dit que la banane représentait 5 % de l'approvisionnement brut de l'Union européenne. Elle est essentiellement consommée en France. L'influence des autres pays par rapport à ce produit est relativement négligeable. Toutefois, la consommation de banane augmente en Europe. Elle a gagné 2 kilogrammes depuis l'entrée des anciens pays de l'Europe de l'Est et même dans des pays adhérents depuis longtemps comme la Suède ou la Grande-Bretagne, la consommation augmente. Dans un marché en progression, il y a un avenir pour la banane de qualité telle que nous envisageons de la produire. Il n'y a même plus 600 producteurs de banane. On en est à 400 en Martinique et un petit 200 en Guadeloupe, organisés en une seule coopérative, fédérés au sein d'une union de coopérative au niveau national qui dispose de son propre réseau de murisserie. La filière de production de bananes a tous les outils à sa disposition. Avec une politique volontariste basée sur la diminution des produits phytosanitaires, sur une démarche commerciale comme celle de la banane française, je pense que cette filière peut conserver ses parts de marché.

Il est vrai que les coûts de main d'oeuvre, de production sont plus élevés. L'aide du POSEI a aussi la vertu de permettre à la filière banane de rester compétitive. Dans ces conditions, il y a encore un avenir pour la banane française, d'autant que dans les deux départements cette filière est le premier employeur.

M. Hervé Deperrois . - Je voudrais compléter en vous donnant une illustration relative aux filières de diversification. J'ai observé dans une grande surface de La Réunion que la qualité des produits locaux n'avait rien à voir avec les produits importés. Il faut avoir confiance en nous. Les oignons qui viennent de l'Inde sont plein de moucherons. Ces produits voyagent très mal. Les produits locaux ont une toute autre allure et ont un profil qualitatif très fort. Les consommateurs voient bien la différence. La proximité est un atout. C'est ce qu'on appelle le circuit court. Le frais est en soi un atout, en plus du contenu qualitatif. Le marché existe, il y a une vraie demande et les distributeurs sont prêts. On le voit à La Réunion mais également ailleurs.

L'avenir, c'est le circuit court, la valorisation du frais et la qualité, avec des signes qui l'attestent auprès du consommateur.

M. Michel Magras, président . - Notre collègue a indiqué que la banane était une production sous perfusion. Mais toute l'économie agricole européenne est subventionnée. L'Europe gagne davantage à subventionner la banane qu'à exclure des pays dans le cadre des accords commerciaux internationaux. C'est le grand débat sur les clauses d'exclusion dont l'Europe ne veut plus entendre parler en privilégiant les contingentements.

Comme mes collègues, j'apprécie beaucoup votre optimisme sur l'avenir de ces filières.

Jeudi 17 mars 2016
Audition sur les contraintes normatives applicables à la filière de la banane

M. Michel Magras, président . - Après une suspension de nos travaux pendant quelques semaines au cours desquelles nos collègues rapporteurs sur les questions foncières et moi-même avons sillonné le Pacifique, nous reprenons aujourd'hui les auditions pour évoquer une grande culture de nos outre-mer : la banane.

Avec la canne à sucre, à laquelle nous nous intéresserons la semaine prochaine, la banane constitue une production majeure pour la Guadeloupe et la Martinique : la récolte est presque totalement écoulée sur le marché européen et ce secteur agricole représente le premier employeur privé des territoires. L'enjeu des différentiels de compétitivité est donc considérable, ce qui nous conduit à entendre aujourd'hui les experts sur les contraintes normatives applicables à la filière.

Nous avons le plaisir d'accueillir, pour l'UGPBAN, Monsieur Sébastien Zanoletti, directeur Innovation et développement durable, également consultant pour l'Institut technique tropical, ainsi que Madame Chloé Bourgoin, responsable santé végétale de cet institut ; pour Eurodom, Madame Laetitia de La Maisonneuve, accompagnée de Monsieur Emmanuel Detter, consultant ; pour le cabinet Blezat Consulting, chargé de l'évaluation du plan banane durable, Madame Olivia Meiffren.

Je rappelle que Monsieur Éric Doligé est le rapporteur coordonnateur de cette étude qui comportera plusieurs volets. Madame Catherine Procaccia et Monsieur Jacques Gillot sont les rapporteurs pour le premier thème consacré aux normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture dans les outre-mer.

Madame, Messieurs les rapporteurs souhaitez-vous intervenir avant que nous ne cédions la parole à nos interlocuteurs, sur la base de la trame thématique qui leur a été adressée.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Je remercie les personnes présentes qui nous éclaireront sur le sujet.

Un certain nombre d'entre nous ont assisté hier à la présentation du rapport de Monsieur Victorin Lurel sur l'égalité réelle en outre-mer. Il ne me semble pas que ce document ait abordé la thématique des normes. En s'y intéressant, notre délégation essaie de voir comment elle pourrait contribuer à améliorer la situation des outre-mer en matière de développement économique. Le poids des normes, la sur-normalisation des contraintes européennes par la France sont souvent mis en cause de manière trop globale et j'aimerais vraiment que nous entrions maintenant dans le concret, que vous illustriez votre exposé d'exemples de terrain. Comment les normes pèsent-elles sur l'accès au marché européen de nos outre-mer par rapport à leurs concurrents régionaux, qui ne sont pas forcément soumis aux mêmes contraintes normatives ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - En 2009, dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'ai présenté conjointement avec Jean-Yves Le Déault un rapport sur les impacts de l'utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles. Nous avions mis en valeur la problématique des normes phytosanitaires. Pourriez-vous nous dire ce qui a changé depuis cette époque en matière de normes et de prise en compte de la problématique par l'Union européenne, à l'époque particulièrement fermée à toute évolution ?

M. Michel Magras, président . - Lors de la réunion de la commission des affaires économiques de ce mercredi, il a été clairement annoncé que si nous n'appliquions que les seules normes européennes le corpus normatif serait allégé d'un tiers.

Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement à EURODOM . - Merci monsieur le président de nous donner la parole sur cette question des normes, fondamentale pour les outre-mer. À Eurodom, nous soulevons cette problématique depuis de nombreuses années et nous sommes très contents de voir le Sénat s'y intéresser de près. Qu'il s'agisse des normes sanitaires, phytosanitaires, sociales ou environnementales, les normes françaises et européennes sont toutes plus contraignantes que celles qui s'appliquent chez nos concurrents, dans les pays de la Caraïbe, d'Amérique centrale ou d'Afrique, qui produisent de la banane pour le marché européen.

L'Union européenne autorise une liste de produits phytosanitaires et leur cadre d'utilisation. Chaque État impose ensuite son cadre d'homologation. La France sur-interprète parfois les règles phytosanitaires, ce qui induit des surcoûts. Il est difficile mais possible d'évaluer les différentiels de compétitivité avec les concurrents régionaux qui exportent vers nos marchés.

M. Emmanuel Detter, consultant à EURODOM . - La problématique des normes, notamment phytosanitaires, se traduit un chiffre : nous avons aujourd'hui en France continentale une couverture de 95 % des besoins liés aux attaques phytosanitaires. Cette couverture est de l'ordre de 20 % pour les départements d'outre-mer.

Cette situation résulte d'une double contrainte. La première vient de Bruxelles qui définit les molécules autorisées et le mécanisme qui encadre la façon dont les États membres vont autoriser les produits phytosanitaires pour les cultures données. C'est ce cadre communautaire qui, du fait de l'absence de rentabilité économique tenant à l'étroitesse des marchés, ultramarins dissuasive pour les laboratoires, ne permettra jamais aux régions ultrapériphériques françaises de disposer d'une couverture équivalente à celle du continent. Il faut ajouter à cela que les autorisations de mise sur le marché doivent être périodiquement renouvelées, la décision dépendant chaque fois de l'état de la science et des connaissances. Ces dernières années, la rigueur s'est renforcée avec le transfert de la responsabilité des autorisations de mises sur le marché (AMM) à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), précédemment dévolue au ministre de l'agriculture. Or, l'Anses s'aperçoit que les études scientifiques qui étaient à l'époque nécessaires pour pouvoir autoriser des molécules sur les territoires ultramarins sont parfois dépassées ou ne répondent plus aux nouveaux critères de sécurité. Elle peut alors décider de supprimer des molécules au risque de déstabiliser gravement des productions. Nous sommes confrontés à un dispositif profondément inégalitaire au détriment de nos outre-mer, pour des raisons structurelles. Cela va provoquer de graves problèmes dans la gestion de l'agriculture, sauf à parvenir à développer le bio, ce qui est particulièrement difficile en milieu tropical.

La seconde contrainte est liée à la distorsion de la concurrence entre produits de nos DOM et produits relevant de la même catégorie de label provenant de pays tiers, qui nuit à l'information du consommateur. Nous vendons aujourd'hui, sur l'ensemble du territoire continental européen, des productions tropicales avec des labels bio ou fair trade qui sont moins bio, moins fair trade que celles que nous produisons chez nous. La sur-valorisation que nous accordons à ces productions de pays tiers n'est pas mineure. La caisse de bananes de 18,5 kilogrammes, au standard international, est vendue aux alentours de 12 euros sur le marché français. Le revenu du producteur représente un peu moins d'un euro. La caisse de bananes bio est vendue 4 euros de plus. Cela représente 25 % de chiffre d'affaires supplémentaire, 4 fois le revenu du producteur.

La main d'oeuvre est le principal facteur du surcoût de la production de bananes des Antilles, compensé par le dispositif communautaire du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Les surcoûts liés aux normes phytosanitaires, calculés par déduction lorsque l'on a enlevé les surcoûts dus à la main d'oeuvre, représentent 15 à 20 % du prix de vente.

M. Sébastien Zanoletti, directeur Innovation et développement durable à l'UGPBAN et consultant pour l'Institut technique tropical (IT2) . - Les concurrents de la banane de la Martinique et de la Guadeloupe sur le marché européen sont principalement les pays d'Amérique centrale (Costa Rica, Colombie et Équateur) et d'Afrique (Côte d'Ivoire, Cameroun, Ghana). L'essentiel de la différence de compétitivité tient au coût de la main-d'oeuvre. 90 % des salariés des Antilles sont titulaires d'un contrat à durée indéterminée. Ils sont payés au moins au salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), soit environ 90 euros par jour. En Afrique ou en Amérique centrale, le salaire varie entre 200 et 300 dollars par mois. Même s'il est compensé par le POSEI évoqué par Monsieur Detter, le différentiel est énorme.

Il y a également un différentiel de compétitivité lié aux normes. Ces normes, qui s'appliquent également à l'agriculture métropolitaine, concernent à la fois la partie « production », mais aussi le stockage et le transport, les stations de conditionnement.

Dans les champs, s'appliquent les normes environnementales et les normes relatives à la protection des salariés, aux matériels et aux équipements. Ces normes évoluent régulièrement. C'est le cas des exigences relatives aux tenues vestimentaires ou aux tracteurs qu'il va falloir changer car les cabines doivent dorénavant être hermétiques.

Ensuite, les bananes arrivent dans les stations de conditionnement où les régimes sont découpés en bouquets puis lavés et mis en cartons. Des normes spécifiques s'appliquent de l'entrée à la sortie de la station. Je pense notamment aux déchets, qu'ils soient organiques ou composés de plastique. Tous les déchets en plastique sont recyclés ou compressés. Faute de moyens adaptés sur place pour les traiter, certains déchets doivent être envoyés en métropole.

Toutes ces normes ne s'appliquent pas chez nos concurrents. Même s'il mériterait d'être affiné, j'ai estimé le surcoût lié aux normes à environ 150 euros par tonne.

Ces normes ont leur sens et nous ne les remettons pas en cause, même si, pensées pour la métropole, elles s'appliquent parfois mal à l'outre-mer. Le domaine phytosanitaire est celui pour lequel l'inadéquation normative est la plus importante. On estime aujourd'hui que 30 % des besoins phytosanitaires sont couverts en moyenne pour toutes les cultures d'outre-mer. En métropole, le taux était de 85 % et a été ramené à 80 % récemment. Le différentiel de produits autorisés pour les cultures d'outre-mer est énorme. La banane n'est pas la moins bien pourvue puisque le taux de couverture est de 60 %. Des cultures comme l'ananas ou l'igname ne disposent que d'un seul produit phytosanitaire autorisé. La production d'ananas a ainsi connu une chute vertigineuse en Guadeloupe et en Martinique.

Ces cultures des zones tropicales humides sont touchées par de nombreuses maladies. Si vous ne disposez pas des produits de traitement adaptés, la culture ne peut pas se développer, elle est condamnée.

Pour la banane, nous sommes en limite de possibilité de produire. La maladie principale est la cercosporiose, une maladie des feuilles. Depuis deux ou trois ans, nous réalisons environ sept traitements par an. Le Costa Rica en applique 65, soit un tous les 5 jours, l'Afrique et l'Équateur, une quarantaine. Alors que toutes les bananes du monde sont traitées par épandage aérien, même pour le bio, celui-ci a été arrêté chez nous et remplacé par des traitements terrestres, avec des coûts supplémentaires et un matériel qui devra encore évoluer.

Nos concurrents peuvent utiliser entre 50 et 100 produits autorisés. Ils ont un accès total à tout ce qui existe dans le monde. Nous disposons principalement de deux produits de traitement, issus d'un laboratoire suisse. Ces produits sont homologués pour dix ans puis réévalués. La semaine dernière, la firme nous a annoncé qu'en raison de la complication des procédures résultant de la nouvelle réglementation européenne 1107-2009 et du coût des études nécessaires, elle ne redéposera pas de dossier pour au moins l'un d'entre eux. Devant redéposer des dossiers pour de nombreux autres produits portant sur des grandes cultures françaises ou européennes, il n'y a pas d'équipe disponible pour travailler sur un marché considéré comme mineur. Or, le retrait de ce produit à horizon 2017 mettrait en danger la culture de la banane. Le même phénomène s'est produit pour la canne. À la suite du retrait d'un produit, une chute très importante des rendements avait été observée et seule la réintroduction du produit avait permis d'éviter la catastrophe. La toxicité du produit n'est pas en cause. C'est d'abord un problème économique.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Lors de notre rapport, en 2009, il n'existait aucun produit phytosanitaire pour lutter contre la cercosporiose. L'inquiétude était forte car la maladie était déclarée dans la région. Est-ce que depuis 2009 des produits nouveaux ont été homologués ? L'autorisation pour l'un des deux produits pourrait ne pas être renouvelée pour des raisons économiques de rentabilité insuffisante liée à l'étroitesse du marché de la banane. Ce produit est-il commercialisé dans d'autres parties du monde ?

M. Sébastien Zanoletti . - Les produits disponibles aujourd'hui sont à peu près ceux qui existaient en 2009. Avant 2009, la cercosporiose jaune était traitée par 5 ou 6 produits, principalement 2 plus efficaces. Quand la cercosporiose noire est arrivée en 2009, certains craignaient que ces produits ne fussent pas opérants. Ils l'ont été. Désormais, ils doivent être ré-homologués. Ils sont vendus ailleurs et font partie d'une liste de 50 produits chez nos concurrents.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Les concurrents africains et d'Amérique latine traitent leurs bananes davantage que nous et vendent sur nos marchés.

M. Sébastien Zanoletti . - C'est effectivement une source d'irritation pour nous. Il y a des tolérances pour ces pays qui pratiquent des traitements non-homologués en Europe et introduisent leur production sur le marché européen.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Une analyse précise devrait démontrer qu'il y a là une anomalie flagrante.

M. Emmanuel Detter . - Monsieur le sénateur, vous soulevez un problème majeur qui relève de l'action du Gouvernement et de Bruxelles.

L'ODEADOM a demandé au cabinet AND-International de réaliser une étude sur la banane bio, en comparant les productions de la République dominicaine et des Antilles. Les résultats sont spectaculaires. Une liste en fin de rapport établit que la République dominicaine peut utiliser 33 produits pour la banane bio. Seuls trois produits sont autorisés aux Antilles car aucun laboratoire n'a pris le risque de dépenser beaucoup d'argent en recherche pour une AMM. 14 produits sur les 33 ne sont pas autorisés par la liste communautaire en agriculture conventionnelle. Nous avons des productions, étiquetées bio en raison d'un accord commercial, qui utilisent 19 produits et qui, de plus, utilisent des produits que nous ne pouvons pas même utiliser en agriculture conventionnelle.

Depuis l'interdiction des traitements phytosanitaires aériens, nos avions et nos hélicoptères ont été achetés par nos concurrents de la République dominicaine qui les utilisent pour leurs propres traitements bio !

Cette tromperie du consommateur est inquiétante car elle cause un préjudice à nos producteurs. De plus, si le consommateur européen prend conscience que ce qui provient des pays tiers n'a plus de label sérieux, il perdra confiance.

J'attire votre attention sur le fait que le sujet est particulièrement d'actualité. À Bruxelles, le règlement sur l'étiquetage des produits bio fait l'objet de discussions, difficiles, sous présidence néerlandaise, dans le cadre de trilogues. Nous avons fait notre part de travail d'alerte. Depuis le début, la Commission a plutôt l'intention d'aller vers la conformité : elle demande que la réglementation bio communautaire s'applique aux pays tiers d'ici cinq ans. Tout le monde s'est aperçu que ce sera impossible pour des productions tropicales sur lesquelles il n'y a pas d'équivalence. La conformité sur les pommes de terre est concevable, mais pas sur les bananes. Nous avions obtenu du Parlement européen que l'octroi de l'équivalence ait pour contrepartie le respect du principe de loyauté des échanges et que la Commission doive adapter en conséquence la réglementation communautaire. Cet amendement avait été adopté dans le cadre du trilogue mais il a été modifié. L'amendement en cours de discussion reprend l'exigence de conformité à 5 ans et prévoit que la Commission puisse accorder des dérogations pour l'importation de produits bio venant de pays tiers sur le territoire communautaire, avec la précision que, pour les régions ultrapériphériques, les dérogations ne seront possibles que dans 5 ans. Nous avons un vrai problème car le commissaire Hogan est allé en Colombie et a annoncé un grand accord sur le bio.

Dans les productions communautaires tropicales, notre savoir-faire pour le bio est supérieur à tout ce qui se fait dans le monde. Si Bruxelles en était convaincu, nous aurions la possibilité de commencer à définir un standard européen du bio. Les problèmes économiques des grands laboratoires que nous évoquions en début d'audition seraient réglés si le standard européen bio s'appliquait au marché communautaire. Le laboratoire ne ferait pas valider ses produits uniquement pour la Guadeloupe ou la Martinique, mais pour l'ensemble du monde qui voudrait accéder au marché communautaire.

La question du standard européen du bio a été soulevée par les producteurs à Bruxelles. Nous en avons parlé à Monsieur Joost Korte, directeur général adjoint de la DG Agri et au chef de cabinet adjoint de Madame Anna Cecilia Malmström, commissaire en charge du commerce, qui ont bien pris conscience de la situation. Cependant, lors des discussions en trilogue en présence du Conseil, de la Commission et du Parlement, on s'est à nouveau écarté d'une solution satisfaisante pour nos productions qui consisterait à reconnaître que nous avons une agriculture tropicale dans l'Union européenne et à rechercher, au moins pour le bio, une solution adaptée.

Il faudrait une volonté communautaire, portée par une demande française, de modifier la réglementation pour définir un standard européen du bio, qui s'appliquerait progressivement à nos partenaires commerciaux des pays tiers. Permettons à ceux qui font la meilleure banane de disposer de labels valorisants et donnons 5 ans aux autres producteurs pour se conformer à nos standards plutôt que de nous enfermer dans une logique où le bio de chez nous serait un bio continental, jamais appliqué dans l'agriculture tropicale, et d'autoriser à peu près n'importe quoi pour les pays tiers.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Pensez-vous que l'opposition à la démarche que vous préconisez tienne au lobbying des laboratoires phytosanitaires ?

M. Emmanuel Detter . - Madame la sénatrice, je ne le crois pas.

M. Jacques Cornano . - Vous évoquez le différentiel de compétitivité lié aux normes. En Guadeloupe, il existe des produits de traitement à base d'extraits d'huiles essentielles, comme en Floride ou en Californie. Les spécialistes du Centre de coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad) et de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) me disent qu'ils ont besoin de souplesse pour développer leurs produits dans le cadre du dispositif européen. Ils constatent qu'il y a des freins au niveau de la législation européenne et de la législation française.

Lors des débats sur le projet de loi de reconquête de la biodiversité de la nature, il a été rappelé que les essences d'origine représentaient l'avenir.

Mme Chloé Bourgoin, responsable santé végétale à l'Institut technique tropical (IT2) . - En effet, il existe de nombreuses décoctions locales, issues d'un savoir-faire ancien, à base d'extraits de plantes qui pourraient être utilisables, comme les décoctions à base d'arbre à pain, d'abricot pei ou de feuilles de manguier. Néanmoins, à l'heure actuelle, elles ne peuvent pas être utilisées pour des productions en agriculture biologique à cause de la réglementation européenne qui ne les reconnaît pas. Ces substances devraient d'abord être inscrites comme substances de base au niveau européen. Le dépôt d'une demande d'homologation pour des plantes qui n'existent que dans les départements d'outre-mer nécessiterait de lourds investissements. De ce fait, personne ne déposera de dossier et on n'aura jamais accès à ces solutions naturelles qui, a priori , ne présentent aucun risque pour la personne qui les applique, le consommateur ou l'environnement.

M. Sébastien Zanoletti . - Il existe une liste européenne d'une vingtaine de produits phytosanitaires autorisés en agriculture biologique. C'est le règlement 889-2008. Mais il faut homologuer chaque produit pour son application à la banane et, comme le marché est trop petit pour que cela intéresse un laboratoire, seuls trois produits sont sur le marché. Parallèlement, des pays comme la République dominicaine fournissent le marché européen en agriculture biologique, avec le label AB, et utilisent tous les produits autorisés auxquels s'ajoutent 14 produits qui ne sont pas autorisés en Europe. Il y a tromperie du consommateur. On n'a pas expertisé ces produits et on ne sait pas s'ils sont toxiques ou dangereux. Il y a une double distorsion de la concurrence : nous n'avons pas accès à notre propre liste européenne pour des raisons économiques et nos concurrents ont accès à toute la liste et à des produits qui n'y figurent pas. Ces productions bio sont vendues 30 % plus cher.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Il y a une inégalité dans l'accès aux produits phytosanitaires. Vous êtes seuls à vous battre, à aller à Bruxelles. J'ai le sentiment que l'État français n'est pas suffisamment actif. Que faisons-nous en tant qu'État membre ? Il me semble que d'autres États sont plus présents que le nôtre.

M. Michel Magras, président . - Nous voyons bien que la question déborde indiscutablement sur la politique européenne de signature d'accords commerciaux de libre-échange avec le monde entier. La France oublie trop souvent qu'elle n'est pas qu'hexagonale et les problématiques de ses outre-mer ne sont pas correctement prises en compte.

Lorsque ces accords sont en préparation, la France donne un mandat de négociation et confie la rédaction des textes à des personnes qui ne connaissent pas les réalités ultramarines. Quand la France reçoit le projet d'accord, elle considère qu'il est bon à 90 %, mais les 10 % qui restent correspondent exactement aux problématiques ultramarines des régions ultrapériphériques.

J'ai le sentiment que l'Union européenne considère qu'elle ne pourra pas aider les régions ultramarines et maintient en survie leurs économies, avec des compensations au titre du POSEI, au lieu de les aider à développer une économie durable et concurrentielle. La compensation financière n'est pas ce qui motive les producteurs.

J'entends à travers ce que vous dites la nécessité de développer un programme de recherche et de développement des produits d'origine locale. Compte tenu de l'exiguïté du marché, ce ne sont pas les producteurs privés qui financeront les AMM.

M. Emmanuel Detter . - Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, vos propos vous conduisent à vous interroger sur l'action de l'État. Mais, à la base, pour qu'une autorisation soit délivrée, il faut que la demande soit initiée par une démarche privée. Dans le cadre de la réglementation actuelle, qui génère des procédures longues et coûteuses, personne n'en voit l'intérêt économique.

Il y a des lobbies à Bruxelles mais, sur des sujets aussi sensibles que la protection des consommateurs, le bon sens devrait l'emporter. À partir du moment où la France sera déterminée, parce qu'elle a des productions communautaires en milieu tropical, à obtenir un juste traitement, comme le traité le prévoit, la Commission ne pourra pas s'y opposer. Sur un sujet aussi sensible que le bio nous pourrions obtenir le soutien des parlementaires allemands. Il ne s'agit pas d'obtenir une révolution mais de faire accepter le fait qu'à la suite du scandale de la chlordécone en 2007 - et votre rapport a été utile - notre production est devenue la meilleure du monde, que nous avons développé dans les départements d'outre-mer des solutions qui permettent d'avoir une agriculture durable. Il faut en effet une vraie volonté politique.

Mme Odette Herviaux . - Comme lors de nos auditions pour le sucre de canne, je renouvelle ma demande d'un déplacement de la délégation à Bruxelles pour rencontrer la Commission. Il faut montrer que les parlementaires français s'intéressent à la question. Notre délégation devrait exercer un réel lobbying sur les thèmes touchant les départements d'outre-mer et les régions ultrapériphériques.

M. Michel Magras, président . - Après la résolution sur le sucre, en association avec la commission des affaires européennes, nous travaillons sur un projet de déplacement conjoint sur des thématiques précises. Si nous décidons de nous mobiliser, nous devrons faire régulièrement des déplacements et suivre les dossiers. Il faudrait que la France défende davantage ses intérêts. Comme le disait le président Gillot, d'autres États membres font mieux que nous en la matière.

Mme Aline Archimbaud . - Mme Bourgoin a évoqué des traitements locaux naturels qui permettent de lutter contre certaines maladies.

Il y a deux ans, j'avais rencontré des représentants d'un syndicat d'agriculteurs de La Réunion qui utilisaient des méthodes naturelles. Quel parcours réglementaire faudrait-il mettre en place pour que ces produits puissent être utilisés ?

Vous avez dit que si nous faisions tout en bio les difficultés économiques seraient moindres. Cela résoudrait-il tous les problèmes ?

Compte tenu de la spécificité de ces territoires, ne pourrait-on pas envisager un label bio général qui valoriserait la production. Avez-vous travaillé sur ce modèle ?

M. Sébastien Zanoletti . - Depuis le scandale du chlordécone, avec le plan banane durable de 2009, nous avons entrepris une démarche volontariste afin de diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires chimiques. De 2006 à 2013, l'utilisation des pesticides a diminué de 50 %. Compte tenu du fait que nous n'utilisons presque plus de produits chimiques, nos productions se sont rapprochées des productions bio. Aujourd'hui, nos productions traditionnelles sont plus bio que celles de la République dominicaine ou de l'Équateur qui produisent du faux bio.

Pour avoir accès aux produits phytosanitaires bio, il faudrait une homologation. Il n'y a qu'un seul producteur bio en Martinique. Il traite sa production avec une décoction qu'il fabrique lui-même. Mais il ne peut être juridiquement prétendu au label bio sans déposer un dossier, demander une AMM pour la banane, démarches qui prendraient 5 à 10 ans et seraient très onéreuses. Notre filière ne peut pas se lancer dans un processus qui ne serait pas parfaitement conforme aux exigences règlementaires.

Comme nous nous sommes rapprochés de la production bio, nous aimerions développer un vrai label qui deviendrait la référence internationale, obligeant ainsi les autres producteurs à s'y conformer.

M. Michel Magras, président . - J'ai le sentiment que l'Europe produit de la norme qu'elle impose aux États membres et aux régions ultrapériphériques dans le même temps qu'elle signe des accords de libre-échange qui tolèrent des introductions sur son territoire de produits qui ne respectent pas les normes qu'elle a elle-même fixées.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Lors du rapport sur le chlordécone, nous avions intitulé un chapitre « À la recherche de la chlordécone perdue ». Nous nous doutions bien qu'il ne pouvait être uniquement produit pour un marché aussi étroit que celui de l'outre-mer. Ce produit ne concerne pas que les outre-mer. Les USA avaient décentralisé leur production au Brésil. Si nos outre-mer utilisaient 15 ou 20 % de la chlordécone produite, les 80 % restant étaient utilisés en Europe, sur la pomme de terre en Allemagne, en Pologne et dans les Pays de l'Est. J'ai cru qu'en allant voir les Verts allemands, très actifs en 2009, pour leur expliquer que leurs terres étaient imprégnées de chlordécone, nous parviendrions, avec l'aide des chercheurs, à trouver une solution pour nous débarrasser de cette molécule. La préoccupation première des écologistes était de sauvegarder leur agriculture. Je suis également allée au Parlement européen. Personne n'a bougé ! Compte tenu de mon expérience, je ne crois malheureusement pas qu'une action en faveur des normes bio pourra faire bouger les choses.

M. Emmanuel Detter . - La DG Trade nous dit que, si nous voulons exporter nos pommes bio en Colombie, nous devons accepter les bananes des pays tiers. C'est la règle de la réciprocité.

Madame la sénatrice, je suis d'accord avec vous. Une démarche qui ne partirait pas de la Commission n'aurait que peu de chance d'aboutir.

Nos cultures ont démontré qu'elles sont les meilleures du monde. Si la Commission prenait conscience que nous disposons d'un modèle de culture susceptible d'être proposé aux autres agricultures mondiales, nous aurions un standard bio qui pourrait s'imposer à tous.

Quand vous disiez que nous ne pourrons pas nous opposer aux agriculteurs, vous avez raison pour la pomme de terre. Mais le consommateur allemand est friand de bananes bio que l'Allemagne ne produit pas. Sur tout ce qui est spécifique chez nous, nous avons une marge de manoeuvre. Il faut convaincre la Commission, ce qui signifie qu'il faut, à Paris, avoir une position très claire.

Pour la banane, nous avons probablement l'agriculture tropicale la mieux-disante du monde. Les rapports sur la biodiversité dans les bananeraies depuis 2007 en attestent. Nous n'utilisons plus du tout d'insecticides ni de nématicides et tendons vers la suppression du traitement avec des herbicides en utilisant des plantes de couverture.

M. Sébastien Zanoletti . - Les chiffres peuvent être diversement interprétés mais ils sont calculés à partir de la quantité de matière active par hectares. Des personnalités du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Muséum d'histoire naturelle et de l'Université des Antilles ont noté dans une étude le retour des espèces animales dans les bananeraies. C'est la preuve incontestable de la bonne santé écologique de nos bananeraies. Nous assistons au retour massif de la biodiversité. Je ne crois pas que l'on trouverait autant d'espèces dans les bananeraies de la République dominicaine.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Avez-vous présenté cette étude à la Commission européenne ? Quelles démarches ont été faites en faveur de l'application de ce standard ?

M. Emmanuel Detter . - Comme je l'indiquais précédemment, nous avons rencontré le directeur général adjoint de la DG agri, Monsieur Korte, et le chef de cabinet adjoint de la DG Trade pour présenter ces résultats. Nous les avons rencontrés, mais ce sont les autorités françaises qui doivent être l'interlocuteur de la Commission.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Il faut aller à Bruxelles. Ce n'est pas simplement la délégation, c'est le Sénat, le Parlement qui doit s'impliquer dans le dossier. Il faut une démarche de nature politique.

M. Sébastien Zanoletti . - Nous avons beaucoup sollicité les ministères de l'agriculture et de l'outre-mer sur ces questions. Ils ont créé récemment un groupe de travail. Le ministre de l'agriculture considère que nous nous inscrivons dans une démarche agro-écologique qu'il soutient mais son accord ne se traduit pas par des avancées concrètes.

Si le produit de traitement de la cercosporiose n'était plus homologué, qu'il soit bio ou pas, la filière disparaitrait. Il en serait de même pour la canne si on enlevait l'herbicide. Pour les autres normes qui génèrent des surcoûts, la nature du débat est différente ; il porte sur des problématiques de rentabilité économique et englobe la question des aides et compensations financières.

M. Michel Magras, président . - Vous appliquez un principe bien connu dans nos îles : pour réussir dans le domaine économique, il faut innover.

La deuxième règle est que l'on n'est jamais mieux défendu que par soi--même, et vos actions de lobbying à Bruxelles sont tout à fait nécessaires même si, comme le président Gillot, j'appelle à un soutien plus marqué de l'État français aux territoires ultramarins.

Vous approuvez l'existence de normes européennes mais demandez que la règle soit la même pour tout le monde. Nous voulons démontrer que les normes qui pèsent sur les outre-mer déséquilibrent leurs économies.

M. Emmanuel Detter . - Si nous disons que nous voulons la conformité, c'est-à-dire la même règle pour tous, nous savons que toute la production tropicale ne rentrera pas en bio sur le marché communautaire. Nous ne sommes pas dans une logique de demander l'impossible. La Commission souhaite aller vers la conformité dans un délai de 5 ans. Tout le monde dit qu'on n'y arrivera pas. Des voix s'élèvent pour dire que ce n'est pas grave et que dans 5 ans on reportera le délai. Nous demandons à la Commission et à la France de s'entendre pour nous accorder les labels les plus prestigieux reconnaissant la qualité de nos productions, et de laisser le temps aux autres pays - par exemple 5 ans - pour se mettre à niveau.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - L'Europe a défini la norme de la courbure de la banane. Est-ce vous qui l'avez demandée ? Cette norme vous pose-t-elle problème ?

M. Sébastien Zanoletti . - Nous courbons nous-mêmes nos bananes à la main ! Les normes sur la courbure et la taille sont définies très largement et, dès lors, ne visent pas un objectif de meilleure qualité ; ces normes sont en outre différentes en droit français et en droit européen et un processus d'harmonisation est engagé.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - À quoi servent de telles normes ?

M. Sébastien Zanoletti . - Elles ne servent à rien.

M. Michel Magras, président . - Avez-vous, en tant que professionnels, une liste des normes avec leur impact ?

M. Emmanuel Detter . - Une liste non exhaustive pourrait être établie.

Mme Olivia Meiffren, consultante agriculture, bioressources et territoire, Blezat Consulting . - Notre cabinet a été mandaté par les ministères de l'agriculture et de l'outre-mer fin 2013 pour évaluer le plan banane durable sur la période 2007-2013. Le contexte de la crise du chlordécone, qui a également constitué un électrochoc pour les producteurs, a joué en faveur du plan banane durable. Ce plan, qui a bénéficié de gros moyens financiers, est exemplaire dans le sens où il a intégré des actions sur l'ensemble de la filière, de l'amont jusqu'à l'aval. Il y a eu de la recherche et du développement, les producteurs ont été accompagnés, des actions sur la communication et la commercialisation ont été menées. On peut citer la création de l'Institut technique tropical (IT2) ou les 525 000 heures de formation des producteurs et des salariés. C'est un plan intégrateur comme il en existe peu dans les filières agricoles françaises. Fin 2013, les efforts se sont traduits par une forte baisse de l'utilisation des produits phytosanitaires, insecticides et nématicides, et une réduction plus faible sur les herbicides. Nous avons constaté un léger retard de la Guadeloupe par rapport à la Martinique sur la diffusion et le transfert des pratiques mais la dynamique était identique. Des pratiques culturales plus durables ont été relevées comme la lutte bio sur certains insectes, l'effeuillage des bananiers pour maîtriser la cercosporiose, la jachère pour assainir les parcelles, l'utilisation de plantes de couverture pour limiter les herbicides ou en matière de conditions de travail dans les exploitations, notamment liées à la certification.

Notre étude s'achève sur le constat du retour de la biodiversité dans les exploitations, du maintien de la production et des emplois, avec cependant une baisse certaine bien que modérée du rendement.

Malgré tous ces efforts et ces résultats, il faut constater qu'en dehors des labels visibles comme le label bio il est très difficile de valoriser commercialement les effets environnementaux auprès des consommateurs.

M. Michel Magras, président . - Le producteur français, et notamment ultramarin, s'attache à respecter au mieux tout ce qu'on lui demande. Contrôlez-vous a posteriori , à leur arrivée en Europe, le respect des normes par vos produits ?

Mme Chloé Bourgoin . - L'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN) a un service qualité qui contrôle les bananes à leur arrivée en métropole. Une série d'analyses sur les pesticides est réalisée. L'UGPBAN qui, au sein de son réseau Fruidor, commercialise aussi des bananes d'autres origines, fait également ces analyses pour des bananes bio qui viennent de République dominicaine ou d'Afrique. Mais comme la banane est un fruit à peau épaisse, on ne retrouve que les produits de post-récolte. Ce sont les mêmes produits qui sont utilisés aux Antilles et dans les autres pays, hors République dominicaine.

Ces analyses de pesticides ne permettent pas de comparer les pratiques qui sont faites au champ, en amont. La différence entre la soixantaine de traitements qui sont effectués ailleurs et les 7 à 10 que nous pratiquons n'est pas visible.

M. Michel Magras, président . - Vous poursuivez votre démarche qualité en allant jusqu'à contrôler vos propres produits à l'entrée sur le marché européen pour pouvoir dire que vous respectez bien les règles.

M. Sébastien Zanoletti . - Tous les conteneurs qui partent de Martinique sont contrôlés dans un entrepôt à Dunkerque. On ne le fait pas uniquement pour montrer notre respect des normes mais aussi parce que les bananes passent par la même coopérative et que tous les producteurs touchent le même prix. Il faut donc que le niveau de qualité soit comparable.

Les contrôles de conformité, de résidus de pesticides, sont effectués par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais la banane est un fruit qui produit peu de résidus, même si vous faites 60 traitements. C'est une chance pour le consommateur et une difficulté quand nous voulons démontrer notre différence. La DGCCRF fait très peu de contrôles sur la banane.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Les contrôles ne seraient-ils pas plus utiles en amont, avant l'exportation ?

M. Sébastien Zanoletti . - Nous voyons des choses incroyables quand nous regardons certaines productions étrangères, parfois même homologuées bio ou fair trade .

Comme il y a de nombreux labels, le message vers le consommateur est tellement confus que nous n'arrivons pas à nous démarquer. Nous avons valorisé notre démarche environnementale avec une stratégie qui consiste à dire que les bananes françaises répondent à des normes élevées. Nous les entourons d'un ruban Bleu Blanc Rouge, ce qui évite aussi que les clients les manipulent trop. Elles sont vendues à la pièce plutôt qu'au kilogramme, avec un prix équivalent à celui du bio, soit environ 20 % plus cher que la banane classique. Nous sommes au début d'un processus qui fonctionne assez bien. Cette banane représente environ 2 % de la production. C'est un début mais aussi une nécessité car tout augmente, qu'il s'agisse du poids des normes ou du poids salarial. Dans le même temps, le POSEI évolue peu, de même que les gains de productivité, qui ont déjà considérablement progressé. Nos marges de manoeuvre sont donc étroites et jouent sur le marketing.

La banane française est notre seul espoir pour nous en sortir économiquement. Nous visons 20 à 25 % de notre production en 2018, avec une valorisation supérieure de 20 à 30 % par rapport au marché de la banane basique.

M. Michel Magras, président . - Peut-on dire que la filière de la banane se porte bien ? Écoulez-vous votre production ? Avez-vous une marge de progression possible ? Dans quelle mesure les normes pèsent-elles sur votre production ?

M. Sébastien Zanoletti . - Notre filière se porte à peu près bien mais nos marges sont très faibles. Nous sommes à un point d'équilibre.

Les coûts de production augmentent. Les aides n'ont pas augmenté depuis 2007 et il est très peu probable qu'elles augmentent. Les gains de productivité resteront faibles. Donc si nous voulons survivre à court terme, nous devons valoriser les efforts environnementaux au niveau de la vente et retourner la contrainte des normes à notre avantage en disant que nous respectons les normes françaises, les plus élevées du monde. Nous disons au consommateur français « Achetez la banane française, produite en respectant la meilleure norme sociale, supérieure aux normes du commerce équitable fair trade ou Max Havelaar ». Les produits français sont meilleurs que le bio des pays étrangers.

La menace phytosanitaire est une autre chose. Soit nous disposons des produits pour lutter contre la cercosporiose, soit nous disparaissons. La catastrophe peut être imminente.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Nous voyons bien la menace sur cette filière qui risque de disparaître. L'assouplissement des normes pourrait-il constituer une orientation ?

M. Emmanuel Detter . - Il ne faut pas avoir, pour les régions ultrapériphériques, des normes qui seraient des sous-normes phytosanitaires. La question est celle de l'adaptation, autorisée par l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Nous avons obtenu avec de grandes difficultés une réglementation spécifique en matière agricole pour la politique agricole commune (PAC), c'est le POSEI. Nous avons eu énormément de mal sur la pêche. L'océan Indien n'est pas la Manche ! Et nous avons obtenu le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Il faut prendre en compte la diversité de nos territoires. Nous avons une réalité géographique qui nécessite des normes spécifiques. Produire en agriculture tropicale n'est pas produire en agriculture continentale car il n'y a pas d'hiver.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Bruxelles ne le comprend pas.

M. Emmanuel Detter . - Cela fait 25 ans qu'Eurodom se bat pour le secteur de la pêche à Bruxelles. Grâce au traité de Lisbonne, des avancées pour 2020 viennent d'être obtenues. Maintenant, quand les députés européens vont voir la Commission, celle-ci les écoute. C'est une évolution fondamentale !

Pourquoi sommes-nous au bord du précipice pour la filière banane ? Le président de la filière pour la Guadeloupe et la Martinique, Éric de Lucy, dit que depuis 2009 nous sommes menacés gravement par la baisse des droits de douane décidée à Genève pour permettre l'accord de Doha qui n'a finalement pas été conclu. Depuis 2009, cet accord menace la production de banane. Nous survivons grâce à deux miracles :

- la baisse de l'euro par rapport au dollar, de 1,40 à environ 1,10 dollar. C'est un gain de productivité contra-cyclique que nous ne pouvions pas prévoir ;

- la croissance du marché communautaire, passé de 5,1 à 5,7 millions de tonnes.

La conjonction de ces deux facteurs a permis d'absorber l'augmentation de la production des pays tiers, sans affecter notre volume de vente.

Dans le même temps, la baisse des droits de douane, passés de 176 à 75 euros, représente 1 euro par caisse de banane, montant supérieur au revenu de nos producteurs. Nous donnons un avantage compétitif à nos concurrents immédiats, aux dépens du budget de l'Union européenne. Deux épées de Damoclès nous menacent : la parité euro-dollar et celle de l'évolution du marché.

Il y a enfin une troisième menace : quand la molécule Asulox a été retirée de la liste des produits autorisés par Bruxelles à la suite du non-renouvellement de la demande d'AMM par un laboratoire indien pour qui notre production de canne à sucre représentait un tout petit marché, les herbes se sont mises à pousser dans les plantations de canne à sucre. On a observé la première année une baisse du rendement de la canne de 50 % pour la Martinique et de 25 % pour la Guadeloupe. Cela voulait dire que la deuxième année il n'y aurait eu que de l'herbe. Nous sommes allés voir le ministre et avons obtenu de la Direction générale de l'alimentation (DGAL) le rétablissement provisoire de l'Asulox. Avec la transmission des AMM de la DGAL à l'Anses un tel accord ne sera plus possible. Le directeur de l'Anses ne signera jamais une AMM pour un produit qui n'est pas autorisé par Bruxelles.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Votre audition a été passionnante. À travers la banane, nous comprenons la problématique de l'outre-mer qui est de parvenir à produire, à vendre et à être compétitif. La question des normes se pose, mais elle met en évidence le problème de la volonté politique de défendre le développement des économies ultramarines.

Je regardais les recommandations du rapport pour favoriser l'égalité réelle au bénéfice des outre-mer. La problématique des normes n'est pas abordée. L'auteur propose des pansements, sous forme d'augmentation des aides et des compensations financières, alors qu'une solution pérenne consiste à aider l'outre-mer à se développer, en évitant que la concurrence soit toujours davantage poussée à l'avantage des pays tiers.

J'aimerais que vous nous indiquiez un ordre d'urgence des mesures à prendre et des interventions qu'il nous faudrait entreprendre. Faut-il commencer par les produits phytosanitaires ou la défense de notre production bio ?

M. Michel Magras, président . - J'apprécie votre position qui consiste à souhaiter une adaptation des normes et disposer des moyens de lutter contre la concurrence non par l'abaissement des coûts mais par l'augmentation de la qualité.

Jeudi 24 mars 2016
Audition des instituts de recherche en agriculture en zones tropicale et équatoriale

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Je vous prie de bien vouloir excuser Michel Magras qui n'a pas pu se rendre disponible ce matin. Je conduis les débats à sa demande en ma double qualité de vice-président de la délégation et de rapporteur coordonnateur de l'étude relative aux normes applicables à l'agriculture dans les outre-mer.

Nous auditionnons aujourd'hui les représentants des instituts de recherche implantés sur ces territoires en zones tropicale et équatoriale. Je les remercie d'avoir répondu à notre invitation. Monsieur Frédéric Saudubray est le représentant de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) dont il est le directeur régional pour l'Aquitaine et l'outre-mer. Christian Chabrier et Jean-Heinrich Daugrois représentent, pour leur part, le Cirad qui est un institut de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes ; il est implanté dans la zone Antilles-Guyane et dans l'océan Indien. L'Institut national de recherche agronomique (INRA), représenté par MM. Harry Ozier-Lafontaine et François Héquet, est également implanté dans la zone Antilles-Guyane. Deux rapporteurs se trouvent à mes côtés, Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe, et Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne, qui vous poseront, le cas échéant, des questions, en complément de vos interventions organisées autour d'un questionnaire que nous vous avons transmis au préalable. Ces auditions prolongent celles qui ont déjà été conduites sur le sujet depuis plusieurs semaines.

M. Frédéric Saudubray, directeur régional Aquitaine et outre-mer de l'IRSTEA . - En préambule, je tiens à préciser que certaines questions ne relèvent pas strictement des domaines de compétences de l'IRSTEA. Je me permettrai d'apporter des éléments de réponse, en m'appuyant sur l'expérience que j'ai acquise dans la zone Caraïbes, notamment les Caraïbes anglophones, en dehors de l'Institut. J'aborderai en premier lieu la question de la concentration des polluants agricoles dans les sols et dans les eaux, l'IRSTEA menant des travaux sur la qualité des eaux.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Nous avons besoin de disposer de réponses et d'exemples concrets sur la réalité des normes applicables dans les territoires. Nous cherchons à étudier leurs impacts pour comparer notre situation à celle de nos voisins en tenant compte des contraintes européennes et nationales, dans la perspective de définir des systèmes de production à la fois compétitifs et respectueux de la santé des consommateurs.

Quelles sont les techniques développées et utilisées outre-mer pour mesurer les concentrations en polluants agricoles dans les sols et dans les eaux, pour filtrer et traiter les effluents, afin de restreindre l'impact environnemental et pour diminuer la consommation agricole en eau ?

M. Frédéric Saudubray . - La recherche de notre institut s'intéresse à la qualité des eaux qui fait d'ailleurs l'objet d'un suivi effectif. Parallèlement au travail régulier des organismes de l'eau, les instituts de recherche mènent en effet aux Antilles un suivi de la qualité des eaux à partir de systèmes d'instrumentation de bassins versants. Les méthodes utilisées sont les mêmes qu'en métropole. Certains dispositifs de bassins versants étudient plusieurs cultures, d'autres se limitent à des cultures en particulier pour étudier les effets induits par certaines pratiques ; l'approche est parfois même territoriale pour étudier l'origine des différents polluants qui n'est pas nécessairement uniquement agricole.

Les normes peuvent constituer un frein face à certains pays dont les normes sont moins strictes. Le système de mesure de la qualité de l'eau est en effet moins performant dans les Antilles anglophones. Nous suivons par ailleurs un nombre de molécules nettement supérieur à ce qui se pratique ailleurs, jusqu'à 250 sur certaines analyses d'eaux en outre-mer. Les contraintes pèsent donc davantage sur les pratiques agricoles dans les Antilles françaises avec un système de mesure plus performant et au spectre plus large en nombre de molécules recherchées.

La problématique du traitement des effluents se pose dans des termes équivalents. D'un point de vue environnemental, ces normes sont à la fois porteuses de contraintes et de bénéfices. À titre d'exemple, les effluents d'élevage qui se conforment à une norme de traitement sont également source de plus-value au travers de la production d'énergie. Bien que contraignantes, ces normes représentent un atout pour développer d'autres productions jointes.

La diffusion des innovations auprès des producteurs et le lien entre la recherche et le développement est une question à laquelle je suis particulièrement sensible. Je développerai deux exemples à l'appui de mon propos. L'IRSTEA, en lien avec l'INRA, a rencontré un certain succès en matière de développement de productions fourragères. Nous n'avons pas abordé ces problématiques exclusivement d'un point de vue technique, mais aussi de façon systémique. Nos organismes ont ainsi mis en place une politique de transfert volontariste au travers de la formation continue, de la diffusion de guides techniques et de la production d'une collection fourragère pour illustrer notre démarche. Ils ont également approfondi leurs liens avec la formation initiale dès les lycées agricoles, et pas seulement au niveau de l'université. L'IRSTEA a par ailleurs travaillé sur un prototype comme alternative aux traitements aériens de la banane qui avaient été interdits. Cette recherche a toutefois subi un quasi-échec en termes de transfert, puisque l'innovation n'a pas dépassé le stade du prototype et que les agriculteurs utilisent encore plusieurs techniques de traitement, tels que les pulvérisateurs à dos, les traitements du type arboriculture et les foggers . Cet éparpillement dans les pratiques conduit à désorganiser la filière et peut être source de difficultés car l'homologation d'un produit est aussi liée à son mode d'utilisation. Le matériel utilisé n'est pas toujours homologué, ce qui constitue un non-respect des normes, et ne protège pas toujours correctement les exploitants. L'exposition cutanée et respiratoire qu'ils subissent fait l'objet actuellement d'une évaluation dont les résultats sont attendus d'ici la fin de l'année. Depuis l'interdiction des traitements aériens sont apparues des pratiques de substitution qui ont mis à mal une autre norme, celle de la protection des personnes, qui n'utilisent pas suffisamment les équipements tels que les masques, du fait de la chaleur. Les nouvelles pratiques tendent en outre à augmenter la quantité de produit utilisé.

Il est vrai que la réglementation est plus contraignante en France que dans les pays extérieurs à l'Union européenne, que ce soit pour le nombre de molécules suivies ou l'interdiction du traitement aérien. Les normes traduisent la volonté d'instaurer une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Dans les pays anglophones, le respect des normes est moins contrôlé, parce que les outils d'analyse et la pression sociale sont moindres.

Comment transformer la contrainte normative environnementale et sanitaire en avantage comparatif et en argument de promotion des produits agricoles ultramarins ? Je me contenterai d'émettre un avis personnel sur cette question complexe.

Actuellement, sur la base d'une expérimentation menée à La Réunion, l'IRSTEA cherche à comprendre comment l'effort environnemental est considéré et à qui il bénéficie. L'agriculteur qui supporte l'effort induit par les normes bénéficie de retours assez faibles. Les bénéfices directs sont au nombre de quatre, à savoir la sécurité de l'exploitant, une représentation plus positive du métier d'agriculteur, la rétribution financière d'origine publique d'une part, sous forme de subvention, et commerciale d'autre part, en termes de plus-value pour ses produits. C'est ce dernier aspect qui est toutefois le moins rétribué. Des études en métropole ont cependant révélé que le consommateur est prêt à payer pour protéger sa santé. Il est donc important de privilégier, dans une logique de marché, cette promesse plutôt que la protection de l'environnement qui le sensibilise moins, surtout si ces enjeux se trouvent loin de chez lui.

La question de la diversification des productions agricoles se pose dans la zone depuis déjà une trentaine d'années. J'étais d'ailleurs chargé, il y a 15 ans, d'un projet de cette nature en zone Caraïbes anglaise que la coopération française finançait. Les pays de l'outre-mer manquent d'atouts sur les marchés à l'export, en raison du coût de la main-d'oeuvre, de la petite taille des productions et structures foncières, mais aussi des normes environnementales. Il est donc préférable de viser à l'export des marchés de niche, par exemple la production de la marante ( arrow-root ), plante dont les rhizomes produisent de la fécule alimentaire et qui a des propriétés curatives. Cette plante est très prisée sur le marché anglais et donc à forte valeur ajoutée.

Sur le marché local, l'irrégularité de l'approvisionnement suppose d'organiser les filières face à la grande distribution. C'est un problème prégnant de l'organisation du monde agricole outre-mer. En outre, les possibilités d'exportation sur le marché régional n'ont pas été assez explorées. La production de biomasse peut également présenter une alternative, par exemple à La Réunion pour la filière canne à sucre.

La question des labels bio est délicate. Tous les pays tiers n'ont pas les mêmes niveaux d'exigence, par exemple sur le café labélisé bio en Afrique, mais il est difficile de généraliser. La banane de la République dominicaine ne me semble pas non plus respecter le cahier des charges bio tel qu'il est défini en France et dans l'Union européenne.

M. Harry Ozier-Lafontaine, président du centre INRA Antilles-Guyane et délégué régional pour la Guadeloupe . - Les informations suivantes proviennent de deux unités de recherche, l'une qui travaille sur les agrosystèmes tropicaux et l'autre sur les zootechniques. Pour rappel, le contexte climatique se caractérise par un niveau élevé d'humidité, de fortes températures et l'absence de rupture de cycle. Le contexte géographique favorise par ailleurs les échanges de matériel végétal entre les îles. Ces éléments contextuels rendent la région vulnérable aux menaces biologiques. Le positionnement de l'INRA sur les productions de diversification vise à renforcer l'autonomie alimentaire, ainsi que la santé environnementale et humaine.

La Guadeloupe peut être considérée comme un phytotron naturel de par la diversité de ses paysages, ses microclimats, ses types de sol ou encore ses pratiques culturales, ce qui permet une transposition des travaux de recherche à de nombreux pays de la zone tropicale, en particulier les DOM. Mon propos s'articule en quatre points qui ne répondront peut-être pas exactement au questionnaire que vous nous avez adressé. Le premier est relatif aux principales menaces biologiques qui pèsent sur les productions de diversification végétales et animales aux Antilles-Guyane et aux réponses originales que l'INRA et ses partenaires leur apportent.

Dans le domaine des productions végétales, les contraintes sont de trois ordres :

- les adventices,

Nous avons mené des travaux sur la sélection et la compréhension du fonctionnement de plantes de service qui sont cultivées en association ou en rotation avec les plantes destinées à la consommation. Elles permettent de couvrir rapidement le sol et de lutter contre l'envahissement par les mauvaises herbes. Le Cirad possède d'ailleurs une collection de ces plantes. L'INRA a également mené des travaux pointus sur les mulchs et les paillages biodégradables, notamment le papier kraft qui peut être facilement déployé sur les champs en remplacement du plastique, sous réserve d'utiliser la machine adéquate. La gestion des successions a conduit à mettre au point un projet de petite mécanisation avec le griffage, des petits chalumeaux qui brûlent les adventices à leur sortie de terre ;

- les maladies fongiques, bactériennes et virales,

Je développerai l'exemple de l'anthracnose, une maladie fongique qui attaque l'igname aux Antilles. L'INRA développe, depuis dix ans, un programme en génétique pour mettre au point des résistances durables contre le champignon.

Par ailleurs, nous avons développé, contre le flétrissement bactérien de la tomate, des variétés résistantes. La Caraïbos a ainsi été disséminée dans toute la zone intertropicale, mais en Martinique, l'agent pathogène a toutefois contourné les résistances de cette variété. Nous développons aussi des pratiques en bio-protection s'appuyant sur le fonctionnement de champignons du sol que l'implantation de certaines plantes favorise. Il reste à transférer ces travaux de recherche au travers de l'apprentissage.

Une deuxième maladie bactérienne, le citrus greening , menace les plantations d'agrumes en Guadeloupe et dans d'autres pays. L'implantation de porte-greffes sains est l'alternative envisagée, mais la pérennité de cette solution ne dépasse pas cinq ans. Des pays comme la Floride développent une plante dont l'huile essentielle permet de combattre cette maladie en agissant à la fois sur le vecteur qui est un insecte et sur la bactérie. La réglementation peut toutefois constituer un obstacle pour transposer cette solution dans nos pays.

Dans le cas de l'igname qui est touchée par des maladies virales, la production de plants sains est la solution la plus durable. Nous développons donc des laboratoires de cultures in vitro ;

- les ravageurs,

La fourmi manioc fait figure de véritable fléau aux Antilles, en Guadeloupe particulièrement. Une thèse menée avec le réseau Tramil a permis d'inventorier toutes les plantes dont les propriétés insecticides et fongicides sont susceptibles d'intervenir dans la lutte contre cet insecte. D'autres équipes mènent également des travaux, notamment dans le cadre de l'Université des Antilles et de la Guyane. Nous nous heurtons toutefois à la réglementation en vigueur pour faire homologuer ces produits.

Nous avons également mis au point des moyens biologiques, tels que les pièges à phéromones, pour lutter contre le charançon de la patate douce. Ils sont assez proches de ceux identifiés contre le charançon du bananier.

Dans le domaine des maladies animales, l'INRA concentre ses efforts sur le parasitisme gastro-intestinal qui affecte les petits ruminants ; il développe des démarches intégrées de lutte contre ce parasitisme qui sont exemplaires et transposables. Elles consistent à associer des plantes fourragères et des graminées, mais aussi des animaux ou encore à utiliser des plantes anthelminthiques.

Il est toutefois à relever que la prédation représente le principal problème dans toute la Caraïbe. Il pourrait être résolu au moyen de caméras ou de clôtures.

Le deuxième volet de mon propos concerne les mesures environnementales prises vis-à-vis des polluants et de l'économie de l'eau en zone tropicale.

Le chlordécone a conduit à mettre en place un observatoire sur deux bassins versants instrumentés qui font figure de référence, l'un en Martinique, l'autre en Guadeloupe. Des travaux sont menés de façon intégrée pour étudier comment les pratiques exercent une influence sur le transfert dans les sols et dans les eaux, dans les végétaux et dans les animaux. Là encore, ils sont transposables.

Concernant le traitement des effluents d'élevage, l'INRA dispose de plates-formes de compostage et mettra au point d'ici mai-juin un pilote de méthanisation, celle-ci étant rarement étudiée sous cet angle en zone tropicale. Une thèse étudie par ailleurs comment la qualité du matériel en provenance des effluents conduit à améliorer les lombrics de compost.

L'INRA mène par ailleurs des travaux avec ses partenaires depuis une vingtaine d'années sur la gestion de l'irrigation dans les zones sèches, en développant des modèles de bilans hydriques. L'Institut a également mis au point le capteur Thérésa qui permet de déclencher l'irrigation de façon pointue, à partir de la mesure des déplacements de sols. En outre, les mulchs et les paillages sont utilisés pour limiter l'évaporation du sol. Plus récemment, le zonage agro-écologique de la Guadeloupe incite à repenser l'implantation des cultures en fonction des potentialités pédologiques et climatiques de chaque milieu. Par exemple, la culture de la banane qui est très consommatrice en eau gagnerait à être déplacée sur la zone sud de la Basse-Terre.

Le troisième sujet abordé concerne les moyens mis en oeuvre pour le transfert et l'appropriation des solutions explorées.

Ces moyens sont nombreux et complémentaires, à savoir :

- un site, inra-transfert.fr, qui présente les travaux de l'INRA sous forme de fiches pédagogiques à destination des professionnels et des décideurs et qui est transposé à Mayotte ;

- le Groupement Intergouvernemental d'experts sur les évolutions du climat (GIEC) en Guyane ;

- un site récemment développé par le réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) (coatis.rita-dom.fr) ;

- des plates-formes offrant des systèmes experts destinés à permettre la sélection de plantes de service en fonction des utilisations et des contraintes de milieu, à la fois agro-écologiques et socio-économiques.

En parallèle, l'INRA développe des programmes de recherche avec les organismes professionnels et les agriculteurs dans une démarche participative et mène de nombreuses actions :

- des journées techniques thématiques de restitution avec les producteurs ;

- des fiches techniques sur, par exemple, l'igname ou la production animale ;

- des essais en ferme qui favorisent les techniques participatives d'apprentissage à l'intention des acteurs, comme pour les mycorhizes ;

- des outils d'aide à la décision techno-économique, calculateurs qui mesurent l'impact sur la production des modifications des pratiques culturales, comme pour la banane, l'igname et la canne à sucre ;

- des plates-formes de sélection participative avec une implication très active dans le réseau Rita ;

- une participation active à l'enseignement agricole au travers du concept INRA Formateur qui a reçu un agrément et a permis de créer une licence s'adressant, depuis 2015, à de jeunes agriculteurs, « Agriculture Développement Régional Entreprenariat en milieu tropical » ;

- une intervention dans le domaine de la formation continue en lien avec le ministère de l'agriculture sur le thème suivant : « Agriculture, produire autrement, l'agro-écologie ».

Sur le dernier volet de mon propos relatif au positionnement des DOM vis-à-vis des pays tiers et des freins à lever pour améliorer la compétitivité, comme le colloque organisé en 2015 en Guadeloupe, Carribean Food Crops Society , l'a démontré, les Antilles françaises ont présenté leur mea culpa sur le chlordécone et pris les mesures nécessaires pour limiter ses impacts. Les pays de la Caraïbe qui sont confrontés au problème avec la même acuité n'ont pas été en mesure d'en faire autant.

Il est également à signaler que la réglementation semble à deux vitesses à certains agriculteurs. À titre d'exemple, la banane de la République dominicaine est commercialisée avec le label bio sur le marché français, mais est traitée à partir de pesticides qui sont interdits en France. De la même façon, les ignames en provenance du Costa Rica sont commercialisées en France, alors qu'elles sont produites à grand renfort de pesticides, ce qui est interdit en France. Cette concurrence déloyale soulève donc un grand nombre de questions. Le parcours d'homologation des produits dits biologiques peut enfin en dissuader certains, alors que nombre de plantes possèdent des propriétés très intéressantes qui pourraient être utilisées efficacement. L'exemple du citrus greening est loin d'être unique.

Je souhaite partager quelques pistes d'action qui me semblent indispensables. Il s'agit notamment de :

- soutenir l'exigence et l'exemplarité comme gages de réussite et de différenciation pour les produits ;

- constituer des groupes de travail ad hoc sur certains sujets, par exemple sur la fourmi manioc, en commençant par inventorier les pratiques existantes, qu'elles soient traditionnelles ou pas, puis en testant avec les agriculteurs celles qui seraient les plus efficaces dans nos milieux.

Par ailleurs, je participe prochainement, à l'Académie de l'agriculture de France, à un groupe de travail sur la petite agriculture familiale. Ces initiatives sont indispensables pour impulser le changement ;

- renforcer l'innovation organisationnelle, et non seulement l'innovation technologique qui a été privilégiée, pour améliorer l'appropriation des outils technologiques en lien avec les organisations professionnelles et les agriculteurs ;

- promouvoir les techniques et les démarches qui s'inspirent de l'agro-écologie et développer les productions de type bio, pour les aider à se démarquer, que ce soit avec le label ou peut-être davantage au travers de marques ;

- assouplir les démarches d'homologation qui sont trop longues ;

- durcir les politiques réglementaires vis-à-vis des produits importés ;

- mieux informer les consommateurs ;

- accompagner les agriculteurs durant les phases de transition d'un système conventionnel à un système dit agro-écologique en trouvant des mécanismes compensatoires ou en élargissant l'accès au Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), au-delà des producteurs de canne et de banane.

M. Jean-Heinrich Daugrois, chercheur au Cirad . - La canne à sucre reste une culture importante pour les Antilles. Elle est plantée avec des boutures de canne pendant les douze années de sélection et se multiplie au cours de ses cinquante ans de vie, en engrangeant des bactéries.

Le processus de sélection vise à produire des variétés qui sont censées résister aux maladies et aux ravageurs locaux. La canne à sucre reste toutefois sensible à l'enherbement. Sans traitements herbicides, la perte s'élève de 300 à 500 kg par hectare de canne à sucre par jour. L'année de la plantation est, de plus, déterminante dans un cycle de culture qui dure de cinq à dix ans. La canne est enfin soumise à un risque, celui de l'introduction de nouvelles maladies que la sélection de la variété ne peut pas prévenir. Il entraîne la nécessité de protéger les frontières et de vérifier que les variétés importées soient saines, pour éviter les baisses de rendement.

Les organismes locaux se chargent le plus souvent de la sélection des variétés. À La Réunion, il existe un centre de création variétale qui sélectionne et envoie les variétés dans les différentes zones. Dans les DOM, les variétés sont sélectionnées en fonction des zones locales et sont introduites via le Cirad. L'utilisation des variétés résistantes s'inscrit toutefois dans une approche plus globale des systèmes de production.

La culture de la canne à sucre n'utilise aucun pesticide pour traiter les bactéries ou les insectes. Les prédateurs, qu'ils soient présents ou introduits, régulent les ravageurs installés depuis longtemps. Le traitement pesticide déréglerait la prédation et favoriserait les ravageurs. Des digues biologiques existent toutefois, par exemple : le ver blanc à La Réunion ; l'introduction de certains parasites a également été efficacement développée dans les Antilles, comme le parasite larvaire du foreur de la canne à sucre.

Pour lutter contre les maladies, deux voies représentent une alternative à la résistance variétale, à savoir :

- l'assainissement des boutures à un moment donné de leur vie en thermothérapie pour créer des pépinières et planter des champs de cultures, essentiellement en Guadeloupe ;

- la protection des frontières par la sélection de matériel végétal sain au Visacane, la quarantaine canne à sucre du Cirad à Montpellier.

La gestion de l'enherbement donne lieu à plusieurs pratiques alternatives qui sont proposées aux planteurs dans le Plan Ecophyto DOM, tels que le sarclage mécanique, le paillage qui favorise la conservation de l'eau dans les sols, ainsi que l'utilisation des plantes de service. Celle-ci peut intervenir avant la plantation ou en inter-rang, avec des plantes de couverture ou en jachère cultivée.

La sélection de variétés de canne à sucre résistantes ne représente pas un coût direct pour le planteur. Le coût de la lutte biologique est réduit à l'application de l'agent à la plantation la première année. Si le champ démarre bien la première année, le travail est bien moindre lors des dix années qui suivent. En outre, la directive régionale d'épidémio-surveillance Ecophyto a permis de mettre en place en Guadeloupe une surveillance du territoire pour contrôler l'entrée de maladies à risques en provenance d'Amérique centrale, par exemple la rouille orangée.

Le Cirad cherche à réduire la quantité des herbicides, tout en améliorant le spectre d'efficacité des solutions proposées. Ces initiatives résultent d'un dispositif d'expérimentation géré à La Réunion par eRcane. Ses résultats sont diffusés lors de réunions d'information auprès des techniciens, des planteurs et des chambres d'agriculture. Un réseau de partage d'information et de mise en commun des expérimentations sur les herbicides est en place depuis 2002 entre La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe. Pour faciliter l'obtention de certaines innovations, il y a des mesures agro-environnementales qui sont des mesures incitatives subventionnant les surcoûts des méthodes alternatives aux pesticides et herbicides.

Les essais sur la production de la canne à fibre qui ont eu lieu en Guadeloupe ont été transportés à La Réunion. Un projet est également développé en Guadeloupe pour produire de la canne à fibre directement pour l'énergie. Il est possible d'utiliser la fibre pour produire de l'énergie de stockage (gaz, méthanol) grâce à des techniques de digestibilité de la fibre ou bien en complément de l'énergie produite dans les usines qui sont adossées à des usines de sucre.

M. Christian Chabrier, chercheur au Cirad . - Le Cirad travaille depuis longtemps avec des partenaires aussi bien dans le domaine du développement que dans celui de la recherche, traditionnellement l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA). Je souhaite apporter des compléments à ce qui a été dit, en m'appuyant sur mon expérience dans la culture de la banane et sur des exemples de cultures fruitières et maraîchères.

Les plantes de couverture représentent des techniques très intéressantes pour réduire l'utilisation des pesticides, puisque la filière banane a divisé par deux sa consommation d'herbicides entre 2002 et aujourd'hui, grâce au travail que nous avons mené en lien avec l'INRA. L'association de plantes de service et de plantes de couverture permet également de modifier l'agrosystème, en améliorant la structure du sol et en augmentant l'activité biologique des bactéries et des champignons. Planter des graminées en inter-rang entre les arbres fruitiers ou entre les bananiers entraîne l'augmentation de l'activité fongique. Elle-même conduit à multiplier la quantité d'animaux qui se nourrissent au détriment des champignons, par exemple des nématodes mycophages, ainsi que la population des prédateurs de ces êtres vivants qui agissent ensuite sur les phytophages. Le Cirad utilise ces plantes de service pour augmenter le nombre de prédateurs naturels des insectes nématodes qui se nourrissent au détriment de la culture, que ce soit sur le bananier, le goyavier ou sur certaines plantes à tubercule comme le taro.

Ce type de méthode est aussi utilisé pour lutter contre certains champignons. Un grand nombre de plantes de service émettent par leurs racines des substances dotées de propriétés bactéricides. Le Cirad travaille actuellement sur l'oignon pays pour limiter le développement d'une bactérie qui entrave la culture des solanacées (la tomate, le piment et l'aubergine) en Martinique et en Guadeloupe. Les résultats de ces travaux sont en cours de transfert auprès des agriculteurs. Utilisée pendant deux à trois mois, cette plante peut leur assurer une culture rentable.

Les associations de plantes permettent aussi de lutter contre des ravageurs aériens. Le basilic à grandes feuilles permet par exemple de repousser les mouches blanches qui transmettent les virus de la tomate. Le maïs sert aussi de plante piège contre les noctuelles des cultures maraîchères.

En complément des travaux de l'INRA sur les bio-pesticides contre le psylle, le vecteur du greening , le Cirad cherche à modifier l'agrosystème pour favoriser une petite guêpe, Tamariseia radiata , qui est l'un des prédateurs naturels du psylle. L'utilisation d'une co-culture associant des goyaviers associés au verger d'agrumes constitue une autre piste. Ces techniques visent à limiter les re-contaminations des vergers et à allonger la période durant laquelle le verger est sain. Par ce biais, le pari du zéro pesticide que La Réunion a remporté sera gagné en Guadeloupe et en Martinique. En Guadeloupe, le greening est vécu comme une véritable catastrophe, ce qui n'est pas le cas en Martinique où les populations sont beaucoup plus faibles, le psylle étant arrivé plus tard et avec son parasitoïde.

Les agriculteurs peuvent considérer les normes comme des contraintes, mais celles-ci n'en demeurent pas moins un excellent levier dont dispose le législateur pour faire évoluer les pratiques. Quand le Cirad a développé de nouvelles variétés de banane pour limiter les quantités de fongicides, il a dû faire face aux résistances des producteurs qui ont invoqué les contraintes imposées par la grande distribution sur les prix. Ils exigeaient que les nouvelles variétés se conservent dans les mêmes conditions que les Cavendish qui sont des produits normés. Nous travaillons sur des plantes triploïdes et donc naturellement stériles, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas être améliorées. Le Cirad a obtenu des variétés résistantes à la cercosporiose, mais souffrant jusqu'à présent de plusieurs défauts rédhibitoires, dont un problème de conservation. Avec l'arrivée de la cercosporiose noire aux Antilles et l'interdiction du traitement aérien, l'UGPBAN a toutefois racheté au groupe Pomona des mûrisseries adaptées aux conditions de conservation de notre nouvelle variété qui est résistante à la cercosporiose, baptisée « la 925 ». Ce nom témoigne du nombre très important d'hybrides qu'il a fallu développer avant de trouver cette variété exceptionnelle. Une variété d'ananas a récemment révolutionné le marché américain, la MD2, que l'université d'Hawaï a baptisée ainsi et qui est connue depuis, du fait des Costaricains, sous le nom de Sweetee, plus sympathique.

Je souhaite nuancer ce qui a été dit sur les normes de nos voisins. Il est exact que la banane dite « bio » de République dominicaine, comme celle de Colombie, pose problème, puisque le cahier des charges est beaucoup plus léger que celui auquel sont soumis les agriculteurs des DOM. La réglementation de nos partenaires africains au Sénégal, au Cameroun et au Cap Vert est en revanche exactement conforme à celle de l'Union européenne, leurs produits étant destinés au marché européen. Il est donc possible de proposer à certains de nos partenaires des règles compatibles avec les intérêts de nos agriculteurs. Ce qui est vrai avec nos partenaires d'Afrique ne l'est pas avec ceux d'Amérique latine et des Caraïbes. Toutes les plantations de bananes chiquita au Costa Rica sont certifiées ISO 14 000 et Rain Forest Alliance , alors qu'elles sont traitées trois fois par an avec des produits interdits - respectivement en 2008 et 2003 - en Europe, le cadusafos et le terbufos. En Guadeloupe et en Martinique, le taux de nématicides s'élève en moyenne à 0,2 % par an. La plupart des plantations de bananes ont développé certaines des méthodes que le Cirad a mises au point avec l'IRD et qui combinent l'assainissement des parcelles par rotation culturale et l'utilisation de matériels sains issus de vitro-plants.

Concernant la surveillance des eaux, tous les instituts de recherche ont consenti un énorme travail dans le cadre du plan national d'action contre le chordécone et bénéficié de moyens très importants, mais il n'existe pas à La Réunion et à Mayotte l'équivalent de l'Observatoire des pesticides. Faute de ressources, notre travail dans ces derniers territoires se limite aux commandes locales, par exemple la gestion des effluents d'élevage ou de l'industrie cannière, sans étudier le devenir des pesticides sur les différents compartiments, sol et eau.

Sur le recours des pays tiers au chlordécone, le Cameroun l'a utilisé de façon systématique de 1966 à 1986 avec des quantités de produit deux ou trois fois supérieures par rapport aux Antilles. Il a arrêté ses applications en 1995 dans les plantations industrielles. Le Cirad, en tant qu'ancien bras armé de la coopération française en Afrique, s'est senti tenu d'attirer l'attention des autorités camerounaises sur la question. Elles nous ont répondu qu'elles se préoccupaient plus de nourrir leur population que de s'assurer de la qualité des eaux. Chaque pays est souverain et nous n'avons pas les moyens d'obliger un partenaire à se saisir d'un problème qu'il refuse de voir.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Le chlordécone a permis de faire progresser les pratiques culturales aux Antilles pour plusieurs productions, la banane et les légumes racines. La vision que vous défendez au sujet des normes en tant que chercheurs est-elle partagée par les agriculteurs ?

Vous n'avez pas évoqué le suivi des eaux sur les élevages piscicoles, alors que de nombreux producteurs produisaient des écrevisses et des ouassous. Ces élevages ont-ils été fermés avec le chlordécone ?

Par ailleurs, les techniques que vous développez et qui sont utilisées en Martinique et en Guadeloupe sont-elles brevetées ? Peuvent-elles bénéficier à d'autres pays, et les aider à concurrencer et mettre en péril notre agriculture ? Il est vrai que l'Indonésie et la Malaisie où le Cirad intervient ne nous concurrencent toutefois pas encore sur l'huile de palme.

Vos instituts mènent parfois des recherches pendant de longues années pour aboutir à des variétés comme la 925. Celles-ci ne pourraient-elles pas progresser plus vite si vous étiez autorisés à travailler directement sur le génome ou à partir d'organismes génétiquement modifiés (OGM) ? J'ai entendu parler très récemment de plants de vigne qui ont été sélectionnés pendant 35 ou 40 ans, alors que les OGM auraient permis d'obtenir des résultats similaires bien plus rapidement.

M. Christian Chabrier, chercheur au Cirad . - Nous considérons les normes comme des alliées pour imposer, parfois contre l'avis des agriculteurs, un certain nombre d'innovations.

En 2005, l'interdiction du fipronil, un pesticide, pour protéger les abeilles a développé le piégeage de masse contre le charançon du bananier. Depuis cette date, les producteurs de patates douces utilisent tous la technique du piégeage du charançon de la patate douce (contre 20 % en 2003). Cette norme permet également à l'UGPBAN de communiquer sur le bénéfice du « zéro pesticide ». Sans cette interdiction, cette innovation, qui est le fruit d'un travail commun avec l'INRA, aurait rencontré plus de résistances pour s'imposer.

Afin de protéger les innovations des risques de transfert auprès des partenaires internationaux et de s'assurer qu'elles profitent d'abord aux producteurs nationaux, il est nécessaire de bouleverser la manière de valoriser les résultats qui repose aujourd'hui sur les publications. De plus, une grande partie de notre travail reçoit une part croissante de financements internationaux, dans le cadre des projets européens. Il devient donc plus difficile de défendre le principe des brevets, quand l'Europe incite les chercheurs à publier leurs travaux dans des revues de la plus large diffusion possible. Demain, un producteur hondurien pourrait facilement s'approprier nos résultats contre le greening des agrumes. Par ailleurs, le Cirad se trouve dans une situation inconfortable. Vous avez raison de souligner que nos innovations peuvent être appliquées en Côte d'Ivoire, au Cameroun ou au Costa Rica. Cependant, le Cirad ne dépend pas seulement du Ministère de la recherche, mais aussi du Ministère des Affaires étrangères. Notre histoire nous conduit à travailler avec nos partenaires étrangers.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Il est nécessaire de dire toute la vérité contre l'hypocrisie des autorités qui dissimulent des réalités au sujet du bio de la République dominicaine. L'INRA a évoqué plusieurs solutions pour lutter contre la fourmi manioc et le citrus greening , ces fléaux qui menacent aussi bien le développement que le jardin créole. Est-il vrai que des solutions comme la culture de plantes de service ne sont pas mises en oeuvre faute d'argent ?

M. Harry Ozier-Lafontaine . - Nous disposons d'éléments significatifs pour réduire la pression qu'exercent ces deux fléaux sur nos productions à un niveau acceptable, mais l'organisation qui permettrait de les déployer n'existe pas. À titre d'exemple, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les collectivités locales et l'État ont lancé un appel d'offres et récompensé 14 projets qui portaient sur les volets collecte et valorisation des algues Sargasse, ce qui atteste de la capacité à proposer des solutions. La priorité est donc de mettre en place les structures adéquates pour diffuser ces solutions. Cette responsabilité relève des politiques publiques. Les chercheurs n'ont pour mission que de produire de la connaissance.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - À vous de nous dire comment il est possible d'agir pour mettre en place le produit.

M. Harry Ozier-Lafontaine . - Le marché est trop petit pour les grandes firmes qui cherchent des débouchés à leurs produits. Des mesures particulières doivent être adoptées pour accompagner le développement de nos économies insulaires.

Je suis favorable au maintien de la recherche sur la transgénèse et les OGM, car elles peuvent apporter des solutions pour développer des cultures dans les milieux salés ou sur la mer. Ces recherches pourraient toutefois causer des problèmes pour l'environnement et la santé humaine en raison des transferts de gènes qui développent des résistances. De façon parallèle, contrairement à la recherche en génétique qui n'agit qu'au niveau de l'individu, l'agro-écologie agrège plusieurs niveaux d'organisation. Elle offre donc des marges d'amélioration bien supérieures, à condition de mettre en place d'autres modalités d'organisation. Des chercheurs belges qui sont très présents en zone tropicale, par exemple Philippe Barré, ont démontré la nécessité de changer de paradigme et d'organisation pour développer l'agro-écologie.

M. Frédéric Saudubray . - Je ne connais pas assez la question de la pisciculture. Il est vrai que le chlordécone a entraîné la fermeture de plusieurs piscicultures, mais le suivi de la qualité de l'eau manque peut-être de rigueur, malgré les mesures d'adaptation qui sont prises ponctuellement pour éviter les rejets.

Les normes me semblent positives, sous réserve de bien mesurer leurs conséquences. L'interdiction du traitement aérien a par exemple aggravé la situation, ce qui a fait perdre tout son sens à cette norme. Elle a en effet été appliquée, alors que la recherche et la profession n'étaient pas prêtes à proposer une alternative. À quel moment appliquer une norme ? Par ailleurs, la recherche peut conduire à introduire de nouvelles normes, à mesure que la performance dans la mesure de la qualité de l'eau progresse et où l'on est capable de détecter de nouvelles molécules. Nous développons aujourd'hui de nouveaux outils qui permettent de capter les effets cumulatifs des polluants dans le temps. Jusqu'où est-il utile de progresser dans la connaissance ? Chaque connaissance doit-elle se traduire par une norme ? Cette évolution ne me semble pas nécessairement bénéfique.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Vous avez évoqué les conséquences de l'interdiction du traitement aérien pour la protection des opérateurs qui répandent les produits d'épandage au sol, mais ne portent pas toujours leurs vêtements de protection. Le prototype de traitement pour les bananes pourrait-il être adopté facilement et déployé en grandeur réelle ? À quel stade de développement en êtes-vous ?

M. Frédéric Saudubray . - Nous avons arrêté le prototype. En effet, nous ne l'avons pas terminé assez vite et la profession a trouvé d'autres solutions dans l'intervalle pour le traitement. Elle utilise aujourd'hui quatre types d'équipement dont les contraintes sont différentes, à savoir l'atomiseur à dos, le quad , un pulvérisateur fogger et un pulvérisateur arboricole. Comme leur homologation représente un coût important, les firmes n'en choisiront qu'un ou deux.

M. Christian Chabrier . - Le Cirad a consacré des moyens importants au début des années 90 à la transgénèse, mais les résultats intéressants que nous avions obtenus ont été mis au rebut ou bien utilisés par nos concurrents, ce qui a été source de frustration pour nous. L'interdiction du développement des bananiers génétiques a cependant représenté un facteur d'innovation. La caractérisation des bananiers sauvages d'Asie du Sud-Est ou de l'océan Indien et la reconstitution de l'origine des Cavendish nous permettent aujourd'hui de recréer des hybrides, à partir des sous-espèces sauvages d'Indonésie et de Madagascar. Ces efforts représentent douze ans de travail.

M. Serge Larcher . - Le sucre, le rhum et la banane des Antilles peuvent être consommés sans problème pour la santé, mais la concurrence de l'Amérique latine et de la zone Caraïbes représente une bombe à retardement. Cette situation résulte des accords commerciaux que l'Europe a signés, et non des innovations qui sont transférées à des pays en voie de développement. Les légumes racines que nous consommons localement ne sont pas produits localement, mais viennent de pays de la zone et subissent des traitements qui ne sont pas rigoureusement identifiés. Les agriculteurs antillais, quant à eux, sont soumis à une obligation de traçabilité. Les normes sont probablement trop nombreuses, mais elles sont protectrices pour la santé. Peut-être auraient-elles pu éviter que le cancer de la prostate devienne la première cause de mortalité masculine dans la zone Caraïbes. De plus, si les agriculteurs se tournent vers des produits qui sont commercialisés ailleurs, c'est parce qu'ils ne trouvent pas les produits qui permettraient de résoudre durablement les problèmes de parasites, le marché étant trop petit pour intéresser les grandes firmes. Il est donc nécessaire de dynamiser la recherche et de trouver des financements.

M. Charles Revet . - L'importation de bananes sous le label bio en provenance de pays qui utilisent des pesticides interdits en France soulève de nombreuses questions. Les variétés hybrides que le Cirad a développées après l'interdiction des OGM peuvent-elles répondre aux besoins des agriculteurs de l'outre-mer ?

M. Christian Chabrier . - C'est le cas. Dans le cas de l'igname ou de la banane, nous travaillons sur des variétés cultivées qui sont stériles, ce qui engendre des contraintes. Il aurait été plus facile d'utiliser des outils de transgénèse que nous avons développés dans les années 80, c'est-à-dire d'injecter des gènes d'intérêt dans le plasmide des variétés de départ. Nous avons toutefois trouvé d'autres solutions innovantes. La filière pomme dans les années 80 ne commercialisait que la golden. Or, cette variété n'offre le plus souvent des produits de qualité que quand elle est produite à Angers et qu'elle est ramassée en novembre. La filière banane fait face au même problème aujourd'hui, ses produits sont hyper standardisés et produits à bas coût. Face à la grande distribution, les producteurs peinent à valoriser leurs produits. Si nous proposons des produits variés avec des goûts nouveaux, nous pourrons forcer l'ensemble de la filière à se diversifier et la grande distribution à proposer des variétés nouvelles. En quinze ans, la filière pomme a réussi à se diversifier et commercialiser une gamme de pommes dont les qualités gustatives répondent à tous les goûts des consommateurs.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Je vous remercie pour votre participation à cette séance. N'hésitez pas à nous remettre des documents complémentaires.

M. Christian Chabrier . - À la demande du Ministère de l'Agriculture, le Cirad a coordonné un exercice collectif sous forme de guide tropical destiné aux agriculteurs. Il vise à les aider à modifier leur système de production et à appliquer les règles de l'agro-écologie dans le cadre du Plan Ecophyto. Les instituts de recherche, les instituts techniques, les chambres d'agriculture et les coopératives agricoles y ont participé.

Audition du Syndicat du Sucre de La Réunion

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Nous retrouvons nos interlocuteurs du Syndicat du Sucre qui nous avaient interpellés sur les conséquences potentiellement désastreuses de la politique commerciale européenne, ainsi que la Directrice générale adjointe du groupe Isautier et du musée La Saga du Rhum. Que ce soit pour la Guyane où est encore implantée une distillerie, pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, la production cannière représente un enjeu économique et social majeur, à la fois comme secteur pourvoyeur d'emplois et comme marqueur d'identité culturelle.

Nous devons faire la lumière sur les contraintes normatives qui affectent la filière canne, avec ses deux productions emblématiques du sucre et du rhum. L'enjeu est la préservation d'une filière essentielle pour nos territoires, ainsi que sa valorisation. Comme le rapport de Michel Magras et de Gisèle Jourda sur la production sucrière des départements des outre-mer et la négociation d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Vietnam l'a montré, cette filière est aujourd'hui menacée par la politique commerciale européenne. La délégation sénatoriale à l'outre-mer s'est déjà mobilisée pour défendre le sucre. Nous espérons que le Syndicat du Sucre nous éclairera sur les questions que nous lui avons adressées.

Mme Aurore Bury, chargée de mission Foncier et Aménagement du Territoire du syndicat du sucre de La Réunion . - En préambule, la filière canne de Guadeloupe et de La Réunion s'impose comme un modèle agricole performant qui est la clé de voûte de l'économie. À La Réunion, elle comprend 3 200 exploitants agricoles qui cultivent en moyenne 7,8 hectares, ce qui représente 58 % de la surface agricole utilisée. Ils se répartissent sur l'ensemble du territoire. La filière canne génère 18 300 emplois, qu'ils soient directs, indirects ou induits. Elle emploie 9 % de la population active, soit 13,3 % de l'emploi marchand, ce qui est important sur un territoire affichant l'un des taux de chômage les plus importants d'Europe.

La filière apparaît également comme un acteur incontournable dans l'aménagement du territoire et le développement durable, par sa capacité d'adaptation aux conditions pédoclimatiques et cycloniques de l'île, ce qui sécurise les revenus des agriculteurs. À ce titre, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a référencé la filière comme l'une des plus vertueuses dans les DOM, à l'occasion de la COP21. Elle joue également un rôle important dans le développement durable, en stockant une quantité importante de carbone, en contribuant à lutter contre l'érosion et en produisant chaque année 10 % de l'électricité de l'île, ce qui en fait une source d'énergie renouvelable significative.

La filière s'est clairement engagée dans une démarche agro-écologique volontariste, de plusieurs façons.

Elle respecte les normes en vigueur, qu'elle considère comme un gage de la qualité de ses produits et de la protection du consommateur.

Elle s'engage dans le développement de techniques alternatives. Le seul centre européen de sélection de canne à sucre se trouve à La Réunion. Les solutions variétales s'adaptent aux particularités des territoires et, aujourd'hui, la canne à sucre ne requiert plus de fongicide ou d'insecticide, grâce aux efforts menés dans le cadre de la lutte biologique depuis une trentaine d'années contre le ver blanc et le foreur. Enfin, les itinéraires techniques des herbicides tendent à faire baisser l'indice de fréquence de traitement (IFT=3,1), ce qui est très inférieur à l'indice utilisé dans le maraîchage (IFT=28 à 30).

Elle s'engage dans le domaine de l'écologie industrielle en innovant dans la gestion de ressources comme l'eau ou l'énergie.

La valorisation des ressources locales du territoire dans un schéma d'économie circulaire se traduit par la mise à disposition des produits des différentes filières en direction des agriculteurs.

Néanmoins, il existe encore des limites techniques qui nous empêchent de basculer dans une agriculture biologique.

Mme Sarah Rachi, chargée de mission Affaires européennes et réglementaires du syndicat du sucre de La Réunion . - Dans l'état actuel des connaissances et compte tenu du coût de la main d'oeuvre en France, la production de canne biologique n'est pas envisageable à La Réunion. Au vu de ce qui s'est dit dans les travaux menés au sein de l'ODEADOM, nous pensons que la situation est identique en Guadeloupe pour les mêmes raisons. Des pays tels que l'Inde, le Paraguay, la Colombie et Cuba produisent du sucre bio, parce que les coûts de main d'oeuvre sont bien plus faibles ce qui permet notamment le désherbage manuel. Les DOM rencontrent aussi d'autres difficultés qui sont d'ordre technique et organisationnel.

L'itinéraire technique de production de la matière première représente une première difficulté. La canne à sucre s'inscrit dans une relation de complémentarité avec les autres filières agricoles. À La Réunion, la filière constitue le réceptacle des résidus de la filière animale, avec les effluents d'élevage. Or, l'élevage biologique est inexistant à La Réunion et il serait nécessaire de convertir toute l'agriculture réunionnaise au bio pour pouvoir produire de la canne biologique, tout en maintenant l'équilibre entre les filières. Il faudrait également préserver, voire augmenter la fertilité et l'activité biologiques des sols en utilisant des matières organiques ou des effluents d'élevage bio, mais les gisements ne sont pas assez significatifs pour réaliser cette conversion sur toutes les surfaces.

La deuxième contrainte technique a trait à l'enherbement. Aujourd'hui, il n'est pas possible de désherber sans herbicides, même si la filière cherche à diminuer leur utilisation. La canne qui est une graminée souffre en effet de la concurrence des autres graminées qui foisonnent dans la zone tropicale. À La Réunion, environ 210 espèces de mauvaises herbes ont été recensées. Un champ perd en moyenne entre 300 kg et 500 kg de canne à l'hectare par jour de retard de traitement herbicide après un mois de compétition, ce qui équivaut à une perte de 10 % après 15 jours de retard. Compte tenu des coûts de main d'oeuvre, le désherbage manuel étant impossible, les productions bio seraient conditionnées à la mise sur le marché d'herbicides bio a minima de même efficacité que ceux actuellement utilisés. En parallèle, des travaux sont menés au centre de recherche réunionnais eRcane pour maîtriser la concurrence des adventices grâce aux plantes de couverture et aux plantes intercalaires, ainsi que sur des combinaisons d'herbicides permettant d'en réduire l'usage, en complément de la sélection variétale. Ces travaux n'ont toutefois pas encore permis de s'en dispenser.

S'il n'est pas possible d'envisager la production de canne biologique à l'échelle de l'île, qu'en est-il de la faisabilité du bio à une petite échelle ? Les structures industrielles qui existent aujourd'hui à La Réunion et en Guadeloupe ne sont pas adaptées à de petits volumes. En moyenne, une sucrerie réunionnaise broie 8 000 tonnes de canne par jour. Un planteur réunionnais livrant en moyenne 10 tonnes de canne par jour, il faudrait mobiliser huit cents planteurs pour lui permettre de tourner une journée. L'absence d'un outil industriel dédié nécessite donc de concentrer dans le temps, en début ou en fin de campagne conventionnelle, la production de sucre biologique, mais les conséquences sur l'organisation en amont seraient fortes et peu acceptables par les exploitants canniers. Enfin, la fertilisation organique, le désherbage manuel, la concentration de la production sur un temps limité engendrent de plus des baisses de rendement. À titre d'exemple, l'île Maurice a tenté l'expérience du bio dans les années 90. Un organisme de certification agronomique a suivi trois propriétés qui se sont converties au bio. Leur production maximale a atteint 558 tonnes, puis elle a été divisée par deux au bout d'un an, avant de chuter à 116 tonnes en 1998, ce qui a conduit à l'arrêt de la production. D'autres essais ont également été tentés à Marie-Galante, avec les mêmes résultats.

M. Philippe Rondeau, responsable Études Projets Développement durable du syndicat du sucre de La Réunion . - Mon propos portera sur la question des produits phytosanitaires et du processus d'homologation.

Parce que la canne à sucre grandit dans un environnement tropical, les mauvaises herbes bénéficient de conditions très favorables. Il est donc indispensable d'utiliser des herbicides pour garantir la rentabilité de la filière. Il en existe aujourd'hui une dizaine qui sont « homologués canne » à La Réunion, mais le profil éco-toxicologique de certains a été retiré en raison des nouvelles contraintes européennes. Si la palette qui couvre à peine le champ des mauvaises herbes devait encore se réduire, il faudrait désherber manuellement, ce qui ferait baisser la compétitivité du sucre réunionnais en raison du coût de la main d'oeuvre. La problématique se pose donc en ces termes : comment conserver un nombre suffisant de molécules utilisables sur la canne à sucre ?

Avec 40 000 hectares de canne à sucre, le marché est extrêmement restreint à l'échelle européenne ou française et peu attractif pour les firmes commercialisant des herbicides. Celles-ci homologuent donc des molécules sur différentes céréales comme le maïs ou le blé et demandent ensuite des extensions d'homologation sur la canne à sucre, pour laquelle l'homologation d'une molécule ne pourrait pas être amortie. Maintenir une palette d'une dizaine de molécules n'en demeure pas moins un combat permanent, à chaque prolongation d'extension d'homologation, pour inciter les industriels à soutenir la filière canne.

Nous proposons donc de mettre en place un système qui leur imposerait de discuter de façon systématique avec les filières des DOM en amont de la fin de la période d'homologation de leurs molécules.

De nombreux pays producteurs sont des pays tropicaux, par exemple l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Australie. Ils utilisent des molécules que les pays européens ont interdites en raison de leur profil toxicologique, par exemple le diuron ou l'atrazine, ce qui leur donne un avantage compétitif car ces produits peu chers ont également un large spectre. Les niveaux d'exigence environnementaux et sanitaires de l'Europe nous semblent légitimement élevés, mais nous considérons aussi que le sucre produit dans ces pays ne devrait pas entrer sur le marché européen.

Mme Sarah Rachi . - Avec l'ouverture des négociations en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le Parlement européen a d'ailleurs adopté une résolution demandant explicitement l'exclusion des sucres spéciaux du mandat des négociations pour éviter ces distorsions de concurrence.

M. Philippe Rondeau . - Concernant le sujet de la valorisation des co-produits, la filière canne se situe au coeur de l'économie circulaire sur l'île et contribue à différents services agro-environnementaux dans une démarche de complémentarité entre les filières. Elle produit plusieurs coproduits qui sont utilisés dans la filière élevage, dont :

- la mélasse qui sert à alimenter des troupeaux de bovins ;

- la paille de canne à sucre qui freine le développement des mauvaises herbes et les risques érosifs sur les champs de maraîchage ;

- les cendres de bagasse et les écumes de sucrerie ainsi que les vinasses qui fertilisent les champs de canne à sucre.

L'économie circulaire permet de réduire d'autant l'importation d'engrais minéraux.

Les normes qui réglementent l'usage de ces coproduits sont toutefois adaptées à un contexte métropolitain où les surfaces sont plus importantes et non au contexte tropical. Les sols des îles tropicales sont volcaniques et naturellement riches en deux métaux, le nickel et le chrome, ce qui génère des teneurs en métaux lourds plus élevées pour ces coproduits que pour leurs équivalents métropolitains dans d'autres filières. Ces normes nous empêchent donc de les utiliser facilement sur les champs de canne à sucre.

Nous portons donc trois demandes au nom de la filière :

- la prise en compte des particularités des territoires insulaires tropicaux dès les phases de réflexion sur les nouvelles normes pour des produits fertilisants ou des produits amendants ou au moment de leur révision. Il faut agir en amont du processus normatif car obtenir une adaptation est lourd et complexe ;

- une nouvelle normalisation sous la norme NFU44051 pour les écumes de sucreries de canne qui respectent aujourd'hui une norme adaptée à la betterave sucrière. Cette demande remonte à mai 2012 et n'est toujours pas satisfaite ;

- des dérogations sur les coproduits issus de végétaux de La Réunion, écumes de sucrerie, cendres de bagasse et composts de déchets verts, pour accepter des teneurs en nickel et en chrome plus élevées.

Mme Danièle Le Normand, présidente de La Saga du Rhum . - Depuis plusieurs années, la valorisation de la vinasse se pose comme une problématique insulaire d'économie circulaire. Trois distilleries s'inscrivent aujourd'hui dans la filière « canne, sucre, rhum et énergie » et la vinasse est caractérisée comme un effluent des distilleries. Nous avons lancé en 2001 une étude avec le Cirad pour étudier comment les résidus de la distillerie pouvaient être apportés aux champs, la vinasse étant très riche en potasse. Cette étude a abouti à l'issue de la cinquième année sur un protocole d'épandage et elle a donné lieu à une publication au titre de la fertilisation organique à La Réunion.

Depuis 2005, la distillerie du Groupe Isautier produit 10 000 à 12 000 m 3 de vinasse par an, les deux autres en produisant davantage. Ces modèles n'apportent toutefois pas de solutions adaptées et économiques à l'agriculture, malgré les partenariats d'étude qui ont été conclus, par exemple, en Afrique du Sud. Une distillerie sud-africaine à Durban développe en effet une pratique qui serait très pertinente pour notre territoire, à savoir un procédé d'énorme concentration. Cette vinasse concentrée est ensuite épandue dans les champs de canne à sucre sur 120 000 hectares comme élément fertilisant. Elle pourrait être utilisée dans toutes les productions agricoles qui ont un besoin majeur de potasse comme les bananes ou l'ananas, mais également dans les circuits d'irrigation en plein champ et surtout sous les serres.

Les pratiques de l'OCDE faisant l'objet d'une grande vigilance de la part de la Cirad, la validation du procédé est encore en cours. À partir de janvier 2017, la distillerie d'Isautier lancera la mise en oeuvre d'une évapoconcentration pour obtenir une vinasse concentrée, stabilisée et conservant sa teneur en potasse. Nous souhaitons également faire reconnaître ce procédé en norme française, sur la base de l'étude du Cirad. Bien que cette démarche s'inscrive dans l'économie circulaire, que le produit ait fait l'objet d'une étude vérifiée et que ce modèle soit vertueux pour nos îles, il est troublant de constater que la durée de reconnaissance de la norme NF s'élève à huit mois. Une autre distillerie, la plus importante de l'île, s'est en parallèle lancée sous la pression de la réglementation dans la mise en oeuvre de méthanisation, ce qui suppose un certain volume et une certaine durée de production dans l'année. Elle tentera de faire reconnaître les résidus post-méthanisation comme des engrais.

Je souhaite témoigner d'une difficulté liée à la mise en oeuvre des reconnaissances dans des délais adaptés à nos économies et aux enjeux de nos filières. Les temps nécessaires à l'obtention des normes sont en décalage avec ce qui se pratique aujourd'hui dans d'autres pays, ce qui fait peser une pression sur l'industrie qui suit l'effort de la filière qui est de nature à déstabiliser celle-ci.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Je vous remercie pour ces informations sur un sujet que la délégation a beaucoup étudié. Pensez-vous que les normes européennes actuelles et les accords signés sans la participation des ultramarins font peser une menace sur l'avenir de la filière ?

Mme Danièle Le Normand . - Cette question préoccupe tous les départements d'outre-mer et je vous remercie de vous en préoccuper également. Je vous répondrai par une pirouette qui éclairera ma réponse : existe-t-il un projet alternatif de culture correspondant au poids de la filière en termes d'emplois ? Nous nous sommes inquiétés en apprenant qu'Hawaï arrêtait cette année la production de canne à sucre qui occupait 80 000 hectares de l'île, il y a trente ans. En tant que Réunionnaise, je suis soucieuse d'un développement économique harmonieux qui trouve des débouchés en France et en Europe, mais nous ne sommes pas en mesure d'arrêter la mondialisation et la réglementation qui s'imposent à nous. Il n'existe pas non plus de filière alternative. Le bilan de la filière doit intégrer aujourd'hui dans l'équation les bienfaits nés de l'économie circulaire et du bilan carbone, ce qui nous engage à poursuivre une valorisation de cette filière pour exporter les modèles industriels performants, en lien avec les services de l'économie circulaire que nous savons développer au-delà de nos îles, par exemple vers l'Afrique. Par ailleurs, la canne à sucre façonne le paysage à tel point qu'il est impossible d'imaginer La Réunion sans, ce qui est vrai également pour la Martinique et la Guadeloupe.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Je souhaite vous poser plusieurs questions techniques sur ce sujet que je connais peu.

La durée de l'autorisation de mise sur le marché varie-t-elle selon le produit phytosanitaire ou est-elle la même pour tous les produits pendant dix ou vingt ans ?

Quand les fabricants demandent une extension d'homologation des molécules utilisées sur les céréales, ont-ils mesuré au préalable l'efficacité du produit sur la canne à sucre ?

La présence du nickel et le chrome se retrouve-t-elle dans toute la tige de la canne à sucre ou seulement dans le bas comme avec le chlordécone ?

M. Philippe Rondeau . - Je ne peux pas répondre à la première question mais la durée d'une autorisation de mise sur le marché varie en général entre cinq et dix ans.

Je vous confirme que des tests mesurent l'efficacité des molécules sur la canne à sucre, ainsi que leur innocuité pour le végétal. Cet aspect fait partie des éléments demandés lors de la constitution du dossier d'extension d'homologation. Les filières réunionnaise et guadeloupéenne aident d'ailleurs les firmes à mettre en place ces essais dans l'environnement tropical.

Le Cirad a mené de nombreux essais sur la particularité des sols réunionnais sur la teneur en nickel et en chrome. Il en ressort que si le chrome et le nickel sont présents dans les sols depuis des millénaires, leur teneur dans le végétal n'est pas plus élevée. De plus, ils ne sont pas phyto-disponibles, c'est-à-dire qu'ils restent stables dans les sols. Leurs états natifs sont enfin très peu dangereux pour l'environnement et la santé humaine. Notre demande de dérogation s'appuie donc sur cette base scientifique. Par ailleurs, les métaux lourds qui sont extraits du sol retournent ensuite au sol au moment de la fertilisation par ces coproduits dans un mouvement circulaire. Il n'existe donc aucun risque d'enrichissement en nickel et en chrome des sols réunionnais.

Les métaux se retrouvent en partie dans la bagasse et dans les écumes par la terre lors du chargement mécanique de la canne, et non par le végétal.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - En quoi l'arrêt de la production de la canne à sucre à Hawaï serait une opportunité pour La Réunion ? Je n'ai pas compris pourquoi Danièle Le Normand y voyait une source d'inquiétude.

M. Philippe Rondeau . - Les propos de Danièle Le Normand visaient à nous inciter à la vigilance. Nous devons nous interroger avant tout sur les moyens de donner un avenir à la filière. Pour nous, il est inenvisageable de se placer dans la logique hawaïenne et de supprimer la filière, car nous n'avons pas d'autre alternative.

Mme Odette Herviaux . - Sur certains territoires, pour la culture du blé, la modification du couvre-sol et le fait de resserrer le semis remplacent les herbicides, la concurrence entre plantes permettant de favoriser le blé. Pourriez-vous apporter des précisions sur les recherches menées sur l'association de plantes pour contrer les graminées ?

M. Philippe Rondeau . - La canne à sucre est déjà très couvrante, c'est-à-dire qu'elle pousse vite et qu'elle est très dense, mais les mauvaises herbes restent très compétitives. Les pailles qui restent après chaque récolte limitent également leur développement. La sélection variétale vise aussi à augmenter la compétitivité de la canne et ses capacités d'autoprotection, mais les herbicides sont indispensables. Pour réduire leur recours, le centre de recherche met en place une solution innovante qui consiste à semer des plantes de service sur les inter-rangs de canne à sucre, selon des itinéraires très pointus. Elle ne pourra toutefois pas être employée dans tous les contextes de sols et de reliefs de La Réunion et ne permet donc pas d'envisager à court et moyen terme de ne plus utiliser d'herbicides.

Mme Aurore Bury . - L'enherbement pose un problème plus difficile pour les lianes qui poussent tous les quinze jours en milieu tropical. Contre les graminées, nous avons déjà testé plusieurs pratiques alternatives qui sont efficaces. Les paillages permettent de réduire de 70 % l'enherbement durant les trois premiers mois. La technique des rangs jumelés est également utilisée avec les plantes intercalaires, mais celles-ci peuvent servir de tutrices pour les lianes.

M. Michel Vergoz . - Quelles contraintes pèsent sur nos productions et sur celles de nos concurrents ? Un expert a démontré sans équivoque possible que la banane de la République dominicaine n'avait rien de biologique, alors qu'elle est commercialisée comme telle en France, ce qui suscite bien des interrogations. Comment est-ce possible ? Où est l'État ? Qui régule ? Ce n'est pas une simple tromperie sur la marchandise, mais une véritable escroquerie au niveau international.

De plus, certaines contraintes environnementales qui pèsent sur le sucre ont conduit à l'interdiction de certaines molécules. Or, elle ne s'applique pas dans d'autres pays qui nous concurrencent sur la niche des sucres spéciaux. En tant que parlementaires, comment pouvons-nous garder la confiance des citoyens ? Même si vous avez raison de demander des dérogations sur le chrome ou le nickel pour préparer l'avenir, cette question qui n'est qu'accessoire relève d'une posture défensive. Il me semble que nous devrions faire preuve de plus de hargne sur l'essentiel, c'est-à-dire ne pas laisser perdurer ces inégalités entre les produits sur le marché européen. Que dire de l'accord bilatéral avec le Vietnam ? La même question se posera demain avec l'Afrique du Sud, puis l'Amérique du Sud. C'est bien le moins d'exiger l'exclusion des sucres spéciaux qui sont traités avec des molécules interdites. Les parlementaires doivent se faire entendre du Gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, en se mettant d'accord sur un dénominateur commun. À quand une posture offensive ?

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Le sénateur a posé la question de fond. Pourquoi continuer d'accepter l'inacceptable ?

Mme Aurore Bury . - Nous ne pouvons que partager ces propos. Il est avant tout nécessaire de faire preuve de cohérence et d'adopter une démarche plus offensive dans la protection des produits de qualité issus de nos territoires.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - La question se pose surtout à nous. Nous devrons l'aborder avec fermeté dans notre rapport pour obtenir des résultats. Il est inacceptable d'opposer à nos produits qui sont conformes des barrières insurmontables quand d'autres peu vertueux sont mis sur le marché. Nous vous remercions infiniment de votre participation.

Audition de la filière pêche et aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Les auditions qui suivent participent des travaux que mène la délégation à l'outre-mer pour évaluer l'impact des normes sur notre aquaculture, notamment par rapport à ses concurrentes. Je tiens à vous remercier de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions sur la filière pêche et aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon. Vos exposés peuvent suivre le questionnaire que nous vous avons adressé ou bien aller au-delà. Ils seront suivis d'un échange de questions et réponses.

Nous auditionnons cet après-midi :

- Monsieur Herlé Goraguer, du département Ressources biologiques et environnement de l'IFREMER, qui oeuvre notamment depuis plusieurs années pour le développement de la pectiniculture, c'est-à-dire l'élevage de la coquille Saint-Jacques ;

et, par visioconférence :

- Madame Carole Coquio, de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

- et Monsieur Benoît Germe de la société « Exploitation des Coquilles » (EDC), basée à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui est la seule entreprise aquacole française à élever des coquilles Saint-Jacques, la Royale de Miquelon.

M. Benoît Germe, collaborateur de la société EDC . - Le secteur aquacole de Saint-Pierre fait principalement l'élevage des coquilles Saint-Jacques, celui des moules donnant lieu à des essais plus limités. Des opérateurs ont également porté d'autres projets, à savoir un projet de grossissement de morues à partir d'un captage de juvéniles en milieu sauvage, ainsi qu'un élevage de salmonidés, truites et saumons qui s'est révélé prématuré, bien qu'opérant au niveau technique. La zone représente de façon générale un potentiel important, sous réserve de trouver des opérateurs et des investisseurs capables de porter ces projets. La pêche de loisir permet aussi d'obtenir un certain volume de poissons d'une espèce qui est endémique dans la région et susceptible d'intéresser les marchés européens, l'omble de fontaine. Les espèces aquacoles en production à Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont en effet pas concurrencées sur le marché européen. En France, de nombreuses centrales d'achats recherchent des produits d'origine française que nous pourrions satisfaire.

Le projet EDC a démarré en 2001 dans le secteur privé. Un travail important en recherche et développement a permis de développer plusieurs techniques sur les juvéniles, même si l'entreprise doit encore progresser dans la production de la coquille finale. Elle produit des juvéniles de coquilles Saint-Jacques, c'est-à-dire qu'elle capture un naissain sauvage en mer, puis l'élève pour obtenir un stade de coquille qui est ensuite ensemencé au fond de la mer. Elle en produit déjà de petites quantités. Ce projet intéresse toute la filière, depuis l'activité de recapture de ces coquilles par des bateaux de pêche jusqu'aux entreprises de transformation sur Miquelon pour la mise sur le marché des produits. L'entreprise emploie directement une vingtaine de personnes et donne de l'activité aux usines de transformation et aux deux bateaux de pêche qui comptent entre deux à quatre personnes à bord.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Selon la note que vous nous avez transmise, cette production n'est pas suffisamment à maturité, puisque la mise sur le marché suppose de produire entre 19 et 20 millions de juvéniles par an. À partir de quand votre production sera-t-elle rentable ?

M. Benoît Germe . - Actuellement, les productions mises sur le marché peuvent atteindre jusqu'à 12 tonnes de noix de Saint-Jacques par an. À titre indicatif, huit kilos de coquilles sont nécessaires pour obtenir un kilo de noix. La consommation locale s'élève par ailleurs à 8 tonnes par an, le reste s'écoulant sur d'autres marchés assez facilement. Il nous reste cinq à six ans de travail pour valider les études concernant l'ensemencement pour espérer obtenir un volume de 19 millions de juvéniles par an. Nous maîtrisons bien les deux premières années d'élevage et de production de juvéniles dont le cycle global s'étire sur sept ans. Nous devons encore améliorer dans le cycle d'ensemencement en mer les techniques de drague et le suivi de faune. L'enjeu est d'assurer une répétitivité industrielle raisonnable de l'ensemble de la chaîne, de la capture du naissain à la coquille dite industrielle. Il existe une autre technique d'élevage, l'élevage en panier suspendu en mer, mais cette solution engendre des coûts trop élevés. Les Japonais ont d'ailleurs également choisi la technique de l'ensemencement en mer qui est l'option économique la plus viable.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Cette technique est-elle opérée dans des lieux où vous seuls pouvez récupérer les coquilles ? D'autres opérateurs peuvent-ils pratiquer cette collecte ?

M. Benoît Germe . - Nous avons choisi des zones d'ensemencement à proximité des côtes, qui sont pour ainsi dire un jardin. La technique des semis en mer s'apparente en effet à la culture des carottes. Nous les déposons à l'aide d'un GPS de façon extrêmement précise. Un décret ministériel fixe par ailleurs les limites des zones qui sont interdites de pêche. Elles doivent être en théorie surveillées, mais je pense que la prédation extérieure y est limitée.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Quelles contraintes et quelles normes s'appliquent dans votre secteur géographique ? Comment parvenez-vous à rester concurrentiels ? Quelles sont les normes environnementales et sanitaires nationales que le secteur aquacole doit respecter ? Quelles normes les productions de Saint-Pierre-et-Miquelon doivent-elles respecter pour pouvoir entrer sur le marché européen ? Sur le marché canadien ? Sur le marché américain ?

Mme Carole Coquio, adjointe au chef du service Alimentation à la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon . - L'ensemencement en mer nous autorise à commercialiser nos produits en produits de la pêche qui subissent moins de restrictions à l'entrée sur le marché européen, alors que les produits de l'aquaculture ne sont pas autorisés à entrer dans l'Union européenne.

M. Benoît Germe . - En 2007, les vétérinaires européens ont inspecté nos installations après une demande d'agrément concernant la production de mollusques bivalves vivants dans l'archipel. Ce sont eux qui nous ont conseillé de ne pas les déclarer autrement qu'en produits de la pêche, arguant que l'archipel ne dispose pas des moyens techniques nécessaires pour remplir les demandes qui conditionnent l'exportation des oursins et des coquilles Saint-Jacques vivants sur les marchés européens.

Mme Carole Coquio . - Ces pratiques sont mises en oeuvre dans les autres zones de pêche européennes. La coquille Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc, qui relève de l'ensemencement est, elle aussi, considérée comme un produit de la pêche.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Faut-il comprendre de vos propos que les fonctionnaires eux-mêmes vous donnent les moyens d'exporter, alors que la réglementation vous l'interdirait en France continentale ?

Mme Carole Coquio . - La réglementation nous le permet, mais sous réserve d'obtenir un certificat à l'export vers l'Union européenne et donc de mettre en place un plan de contrôle spécifique. Avec la technique de l'ensemencement que la société EDC utilise, le produit est considéré comme un produit de la pêche, au bout de trois ans en milieu naturel, et non plus comme un produit de l'aquaculture.

M. Benoît Germe . - La mise sur le marché des mollusques se heurte à une difficulté, les vétérinaires européens et canadiens ne reconnaissant pas les tests qui sont utilisés dans leurs pays respectifs pour analyser les phyto-toxines. Compte tenu de notre positionnement géographique, si nous commercialisions un produit d'aquaculture en frais, il nous faudrait envoyer les échantillons en France, dont nous aurions les résultats bien après la commercialisation des produits. Il n'est pas non plus possible techniquement de les envoyer au Canada, puisque leurs tests ne sont pas reconnus en Europe. Indépendamment de cette contrainte, il ne me semble pas intéressant pour l'heure d'exporter des produits frais. Nous manquons encore des infrastructures logistiques nécessaires pour en exporter des quantités significatives.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Vous est-il possible d'exporter vos produits congelés vers le Canada ? Utilisez-vous les tests nord-américains ou ces tests ne s'appliquent-ils qu'aux produits frais ?

M. Benoît Germe . - Nous ne rencontrons aucune difficulté pour les produits congelés et les tests ne portent que sur les produits frais. Les services vétérinaires de Saint-Pierre assurent un suivi de zone sur les toxines et nous sommes en mesure de constituer des dossiers solides. Nous n'exportons par ailleurs aucun produit transformé. Les coquilles sauvages qui sont pêchées dans la zone française et vendues à Terre-Neuve ne subissent pas le moindre contrôle de la part des Canadiens.

Mme Carole Coquio . - Ils les considèrent probablement comme des produits canadiens et se chargent eux-mêmes des contrôles. Cependant, les Canadiens sont plus protectionnistes que les Américains. Il est plus facile de vendre un produit aux États-Unis.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Comment situez-vous les Européens par rapport à eux ?

M. Benoît Germe . - Les Américains me semblent plus souples que les Européens sur la réglementation sanitaire, contrairement aux idées reçues. Nous commercialisons beaucoup de poissons surgelés sur les marchés européens. Tous nos produits subissent les mêmes contraintes que celles qui s'appliquent aux produits alimentaires. L'archipel reste toutefois considéré à l'arrivée comme un pays tiers en matière sanitaire, y compris de la part des vétérinaires de Roissy avec lesquels nous avons rencontré plus de difficulté pour des produits frais qu'en Belgique ou en Allemagne. Les services vétérinaires de Saint-Pierre ont dû intervenir pour laisser entrer les produits.

L'Union européenne nous autorise à importer les produits de la pêche auxquels est assimilée la coquille Saint-Jacques. Le protocole de contrôle qui s'applique alors à nos produits est conforme à la réglementation française et européenne sur la base d'un plan de surveillance sanitaire supervisé par la Direction générale de l'Alimentation.

Mme Carole Coquio . - Deux protocoles sont mis en place à Saint-Pierre-et-Miquelon, d'une part, le contrôle des produits, d'autre part, le suivi des zones de pêche grâce à des analyses de phytoplancton et de la qualité de l'eau.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - La spécificité de Saint-Pierre-et-Miquelon tient à votre position géographique excentrée par rapport à l'Europe. D'après vos propos, vous rencontrez de plus grandes difficultés pour expédier vos marchandises par Roissy que par Bruxelles.

M. Benoît Germe . - Nous n'avons rencontré ce problème qu'une seule fois. L'archipel est un petit territoire dont les productions sont peu importantes en volume. Or, il nous est demandé de mobiliser les moyens dont dispose un État, ce qui pose des problèmes de financement.

Ce sont nos autorités de tutelle, notamment le ministère de l'agriculture, qui valident le plan de contrôle sanitaire. Les difficultés à l'entrée sont ponctuelles, mais le suivi local est conforme aux normes sanitaires françaises.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - De par sa position géographique, l'archipel se trouve également soumis aux règlements européens et à ceux du continent nord-américain. Lesquels sont les plus contraignants ? Dès lors que vous respectez les normes les plus contraignantes, vos produits répondent-ils à toutes les autres ou sont-elles spécifiques à chaque pays ?

M. Benoît Germe . - L'archipel est contraint de mener une démarche spécifique selon les pays vers lesquels il souhaite exporter ses produits, que ce soit vers l'Union européenne, le Canada ou les États-Unis.

Mme Carole Coquio . - Tout produit sur le territoire doit respecter les normes en matière d'hygiène, à savoir le Paquet Hygiène. Nous établissons ensuite un certificat à l'export vers le Canada ou les États-Unis et nous vérifions que nos produits respectent les réglementations de ces pays.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Le Canada exporte-t-il ses coquilles Saint-Jacques vers l'Union européenne ? Vous concurrence-t-il sur le marché européen, puisque ses ressources lui permettent de procéder aux tests nécessaires à l'export ?

Comment mesurer le différentiel de compétitivité des aquaculteurs de Saint-Pierre-et-Miquelon par rapport à leurs concurrents canadiens ou américains exportant vers l'Union européenne ?

M. Benoît Germe . - Le Canada nous concurrence sur le marché européen. Le marché français des pectinidés représente le premier marché européen, mais seulement en valeur. Il est donc très attractif pour tous les producteurs de noix de Saint-Jacques. Les productions endémiques françaises approvisionnent le marché français des coquilles Saint-Jacques à hauteur d'à peine 20 %. Ce sont les Canadiens et les Américains qui exportent vers l'Europe et la France la même espèce en très gros volumes. Il existe trois catégories de produits, à savoir la pecten maximus produite en France, la placoplecten magellanicus que nous élevons en provenance de la zone nord-américaine et l'espèce d'Amérique latine de plus petite taille, moins chère et utilisée dans les plats cuisinés. Les États-Unis exportent aussi des coquilles fraîches par avion à Rungis et sur le marché européen.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Est-il vrai que les États-Unis consomment les coquilles Saint-Jacques, sans le corail ?

M. Benoît Germe . - Le corail étant considéré comme la partie à risque en cas de contamination, les États-Unis ne commercialisent que la noix et interdisent la consommation de corail. C'est en réalité l'hépatopancréas qui est susceptible de contaminer le produit. En termes de préparation, il est par ailleurs cinq fois plus rapide de ne conserver que la noix au lieu d'enlever l'hépatopancréas sans polluer l'ensemble de la noix et en conservant le corail. Cette tendance se répand à l'heure actuelle en Europe. Les Espagnols pour leur part consomment la totalité de la coquille.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Les capitaux d'EDC sont-ils privés ?

M. Benoît Germe . - EDC est une société privée qui se concentre sur l'activité d'élevage. Elle appartient à un ensemble d'entreprises qui comprend une unité de transformation et des navires de pêche. Cette unité a reçu des agréments européens qui lui permettent de transformer les coquilles et de les exporter.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Quel soutien apporte l'Ifremer au développement de la filière aquacole de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Herlé Goraguer, chercheur au département Ressources biologiques et environnement à Ifremer. - Le projet a débuté au début des années 2000 et a connu des débuts difficiles, en raison d'une méconnaissance du milieu aquacole de la rade de Miquelon. En 2006, l'État a donc demandé à l'Ifremer d'assister l'entreprise EDC au niveau technique. L'intervention de l'Ifremer visait à mieux caractériser l'élevage et à définir une série de problèmes liés à la température d'eau, aux courants et à la nature des fonds pour les ensemencements. L'institut a ainsi développé des systèmes de caméra vidéo sous-marine et de mesure du phytoplancton dans la colonne d'eau et s'est efforcé d'identifier les zones les plus appropriées pour le captage des naissains. C'est l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) qui a financé 80 % de ces actions, permettant la mise à disposition quasiment à plein temps d'un ingénieur aquacole et d'une technicienne. Depuis l'été 2015, l'Office a toutefois suspendu son financement et l'Ifremer n'a plus d'ingénieur en poste à la suite d'un audit de la société. Nous attendons de connaître la suite qui sera donnée à ce projet.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Quelles seraient les étapes complémentaires nécessaires au développement d'une filière de la coquille Saint-Jacques à Miquelon ?

M. Herlé Goraguer. - Le développement d'une filière aquacole dans son ensemble s'inscrit dans la durée, par exemple vingt ans dans le cas de la crevette en Nouvelle-Calédonie qui a bénéficié d'un appui scientifique important de l'Ifremer. À titre de comparaison, l'institut ne soutient le projet EDC que depuis peu (2006) et avec des moyens assez limités. Nous jugeons cependant le projet viable techniquement, mais le recrutement des naissains reste exposé à des aléas environnementaux ou climatiques qui pourraient contraindre l'entreprise à les importer du Canada. Pour que le projet monte en puissance, il est indispensable d'augmenter les quantités de juvéniles produits et de résoudre des difficultés techniques liées aux semis dans un milieu naturel. Actuellement, le taux de survie des juvéniles en recapture au bout de cinq ans ne dépasse pas 15 % en raison de la prédation des crabes et des étoiles de mer notamment et de la mortalité, ce qui est très en deçà de celui du Japon à 40 %.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Avez-vous envisagé de produire les naissains à partir des juvéniles ?

M. Herlé Goraguer. - Une écloserie coûte cher en main d'oeuvre, au moins deux ou trois emplois permanents. Elle suppose, de plus, de produire des algues pour nourrir les coquilles et pour les faire pondre. Il est donc préférable de se fournir en naissains à partir d'un captage naturel ou au Canada.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Les naissains sont-ils soumis à des normes précises ?

M. Herlé Goraguer . - Les services vétérinaires de Saint-Pierre-et-Miquelon contrôlent ces importations pour éviter la propagation de virus ou d'espèces marines invasives.

Mme Carole Coquio . - Les naissains achetés au Canada entrent avec un certificat sanitaire des autorités canadiennes garantissant l'absence de contaminant externe.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Qu'en est-il de l'espèce japonaise ?

M. Herlé Goraguer . - Cette espèce n'est pas adaptée aux eaux de Saint-Pierre-et-Miquelon qui sont beaucoup trop froides.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Le réchauffement du climat et des eaux ne devrait-il pas changer la donne ?

M. Herlé Goraguer . - Pour l'heure, avec 0,1 degré, le réchauffement climatique est trop ténu pour mettre en péril l'élevage.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Que représentent la pêche et l'aquaculture dans l'activité économique de l'archipel ? Des potentiels de développement peuvent-ils en être attendus ? Ces marchés resteront-ils des niches ? Serez-vous en mesure de vous positionner sur le marché nord-américain ?

M. Benoît Germe . - La population de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon s'élève à seulement 6 000 habitants. Dans le village de Miquelon où vivent 600 personnes, l'activité de pêche et d'aquaculture occupe 70 personnes. L'activité du territoire se partage entre la pêche et l'aquaculture à hauteur de 25 % et des activités administratives. Les seuils d'emplois que l'archipel a connus, il y a trente ans, ne sont plus d'actualité, c'est pourquoi la filière doit être maintenue sur l'archipel dont aucune autre activité ne peut prendre le relais. Développer l'aquaculture à Saint-Pierre-et-Miquelon est en effet techniquement possible, sous réserve de trouver les financements et les porteurs de projet. Les élevages de poissons sont toutefois soumis au cycle de l'animal, par exemple 20 ans dans le cas de l'esturgeon ou 7 ans pour la coquille Saint-Jacques, et à des aléas qu'il reste encore difficile de maîtriser. Les personnes qui se consacrent aujourd'hui à l'élevage de saumons tirent profit des investissements qu'ont consentis leurs grands-parents. Les élevages aquacoles sont donc encore relativement récents, comparés aux élevages bovins par exemple, et reposent sur des techniques qu'il est nécessaire de développer pendant une vingtaine d'années.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - En résumé, l'environnement est favorable, mais ces élevages qui s'inscrivent dans une démarche de long terme supposent de trouver des investisseurs, indépendamment des essais qui peuvent être développés, par exemple sur les salmonidés.

M. Benoît Germe . - L'environnement concurrentiel doit aussi être pris en compte. Le Canada dispose de moyens financiers et de surfaces énormes pour ses élevages aquacoles. Il vient d'investir huit millions de dollars dans une écloserie. Le moindre projet aquacole à Saint-Pierre est plus difficile à financer. Nous sommes des nains en comparaison des Canadiens.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - N'avez-vous jamais envisagé l'élevage de l'esturgeon à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Benoît Germe . - Je connais le producteur qui produit le caviar d'Aquitaine. Il y travaille depuis 30 ans.

M. Herlé Goraguer . - Il existe deux espèces d'esturgeon au Canada qui ne sont pas exactement celles que nous trouvons chez nous. Elles ont d'ailleurs subi des pertes importantes en raison des pollutions du Saint-Laurent. Elles sont élevées et pêchées pour être consommées, et non produire du caviar, contrairement à l'Aquitaine. Nous n'avons jamais envisagé sérieusement de promouvoir cette aquaculture. Quant à la morue dont l'aquaculture a été tentée en 2006 contre l'avis de l'Ifremer, l'élevage n'était pas viable et il a été arrêté en 2010 : la température des eaux en période hivernale en rade de Saint-Pierre, dans une vingtaine de mètres d'eau, empêchait les morues de se nourrir. Actuellement, un marin pêcheur développe plus ou moins efficacement un élevage de moules pour la consommation locale. Sa production actuelle s'élève à trois ou quatre tonnes et nous espérons qu'elle atteindra douze tonnes, car le marché en est demandeur.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Connaissez-vous des problèmes de débouchés ?

M. Benoît Germe . - Ce n'est pas le cas. La demande de nos clients européens pour la coquille Saint-Jacques s'élève à 120-130 tonnes de noix par an et nous serions déjà satisfaits si nous en produisions 90 tonnes par an, ce qui n'est pas négligeable pour l'archipel. Le prix de vente du produit fini fluctue actuellement entre 27 et 30 euros le kilo, contre 12 euros dans le passé. Cet élevage est donc pertinent, puisqu'il permet de dégager des plus-values qui compensent nos surcoûts liés à la logistique. Ce qui n'est pas le cas avec la moule, vendue 1 200 euros la tonne en marché de gros, ce qui ne couvre pas le prix du transport.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Vous travaillez pour vos petits-enfants qui devront développer ce potentiel à leur tour.

M. Benoît Germe . - Nous l'espérons. Sur le plan technique, la filière sera exploitable d'ici cinq ans, si nous respectons toutes les procédures d'ensemencement en mer. Son développement reposera ensuite sur notre capacité à trouver des investisseurs.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Produisez-vous exclusivement des coquilles Saint-Jacques ou également des pétoncles ?

M. Benoît Germe . - Comme l'Europe a voulu simplifier l'information destinée aux consommateurs, certaines espèces de pétoncles ont reçu l'appellation de « coquilles Saint-Jacques » ou de « noix de Saint-Jacques », et notamment celle que nous élevons grâce au lobbying intense des États-Unis et du Canada. Quand la société bretonne Tipiak vante dans ses publicités les gratins des grands-mères, la liste des ingrédients de ses produits vient en réalité du Chili ou d'Argentine, parce que ces productions sont bien moins chères que nos productions françaises.

Mme Carole Coquio . - La noix de Saint-Jacques bénéficie de cette appellation quand elle est commercialisée en noix. Elle est dénommée pétoncle quand elle est commercialisée en frais avec coquilles. Nous n'avons donc pas intérêt à la vendre en frais.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - La pétoncle est considérée en France comme une noix de Saint-Jacques bas de gamme. Je vous remercie de ce que vous nous avez appris.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Ce produit est un produit de niche, mais il est intéressant pour votre territoire.

Mme Carole Coquio . - Je souhaite également apporter des éléments de réponse au quatrième point de votre questionnaire relatif aux analyses de toxines, de métaux lourds, de microbiologie et de phytoplancton sur les produits aquacoles, notamment les mollusques bivalves.

Le laboratoire crée toutes les conditions pour que les analyses soient faites. Les noix de Saint-Jacques supposent d'analyser les phyto-toxines. Le laboratoire met donc en place un kit chimique pour les toxines, mais celui-ci n'est pas reconnu. En conséquence, nous validons nos analyses en les envoyant toutes les trois semaines au laboratoire IDAC de Nantes qui utilise la méthode Afnor (chromatographie haute performance) pour comparer les valeurs des différents tests.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - C'est donc un double contrôle.

M. Benoît Germe . - Nous rencontrons les mêmes difficultés sur les analyses bactériologiques. Les laboratoires sont soumis à la norme COFRA, mais celui de Saint-Pierre n'a pas reçu cet agrément. Certains clients nous obligent donc à garantir les résultats du laboratoire par une double analyse. Les différents scandales alimentaires ont en effet conduit les assureurs à mettre en place des normes plus exigeantes que les normes vétérinaires de la législation.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Vos assureurs sont-ils européens ou américains ?

M. Benoît Germe . - Ce sont ceux de nos clients. Les normes sanitaires demandées par la mise sur le marché sont parfois plus exigeantes que les normes réglementaires. Le volume de production de l'archipel ne justifie pas d'ouvrir un laboratoire certifié COFRA, ce qui requerrait un investissement important et du personnel. Les activités ne peuvent cependant pas se développer en l'absence d'un laboratoire certifié. Nous sommes enfermés dans un cercle vicieux, tant que ne s'exprime pas la volonté politique de financer les infrastructures.

Mme Carole Coquio . - Le laboratoire ne dépend que de la Direction générale de l'Alimentation.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur . - Nous vous remercions pour la richesse de ces informations et pour votre disponibilité. Nous ne manquerons pas de vous demander des renseignements complémentaires en cas de besoin. Nous vous souhaitons de réussir sur la durée.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Est-il courant que l'Ifremer intervienne de façon permanente dans ce type de projet ?

M. Herlé Goraguer . - Dans le passé, l'implantation de l'Ifremer à Saint-Pierre-et-Miquelon a employé jusqu'à 17 personnes, avec un navire de recherche scientifique, dans un contexte marqué où la pêche à la morue représentait une activité importante jusqu'au moratoire de 1992 et la réduction de la zone économique exclusive à un simple couloir.

Comme l'Ifremer ne voulait pas garder sur place une équipe scientifique dédiée à l'halieutique, l'évaluation des ressources en appui à l'industrie de transformation de la morue, il ne restait plus en 1994 qu'un seul agent qui est parti à la retraite en 2009. Le Grenelle de la mer a toutefois fixé le principe du maintien d'une activité de recherche marine de la compétence de l'Ifremer dans les outre-mer. J'ai donc accepté d'y retourner en 2010 et je suis chargé de tous les domaines de compétence de l'Ifremer, à savoir l'aquaculture, la biodiversité, les espèces invasives, l'halieutique et les courants.

Bien que la recherche ait pris beaucoup de retard sur Saint-Pierre-et-Miquelon, deux thèses d'État viennent d'être lancées ainsi qu'un programme de recherche important pour l'année prochaine. Nous souhaitons faire venir un bateau de l'IRD pendant quatre mois en lien avec d'autres laboratoires pour étudier la nature des sédiments marins, les courants et les températures d'eau. Certains phénomènes sont particulièrement prometteurs, notamment le phytoplancton dont des espèces nouvelles pourraient être décrites. Le concombre de mer doit également faire l'objet d'évaluations. Il est transformé au Canada et commercialisé sur le marché asiatique. Son exploitation a atteint 1 100 tonnes l'année dernière et fait travailler deux bateaux artisans pendant la période estivale. Nous avons prévu de lancer une mission l'année prochaine qui sera financée en partie par la Direction des Pêches Maritimes et de l'Aquaculture. Annick Girardin, ancienne députée de Saint-Pierre-et-Miquelon et ministre de la Fonction publique et George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, sont également disposées à financer des recherches sur l'environnement marin.

Le seul organisme de recherche physiquement présent à Saint-Pierre-et-Miquelon est l'Ifremer, à travers ma personne. En parallèle de la recherche, je participe aux commissions locales à la préfecture sur les risques naturels, les changements climatiques et les demandes de subventions agricoles. Le projet d'aquaculture n'est donc que l'un des sujets qui occupe l'Ifremer dans l'archipel et je travaille avec des laboratoires compétents sur ces domaines. Plusieurs équipes spécialistes de l'élevage des coquilles viennent régulièrement de La Rochelle ou de Brest où une écloserie produit des juvéniles de coquilles qui sont ensemencées, puis re-capturées au bout de trois ans. Elle fournit également ces juvéniles aux collectivités de pêche dans les pertuis charentais, à Saint-Malo et dans la baie de Quiberon.

L'entreprise a démarré à l'aide de subventions importantes, mais sans savoir où elle allait. C'est la raison pour laquelle l'Ifremer lui a apporté son expertise. Bien que Saint-Pierre soit un petit territoire, le projet d'aquaculture est viable s'il est bien encadré. Il est difficile de trouver des porteurs de projet assez impliqués. Je crois à une petite production locale de qualité et labélisée Saint-Pierre-et-Miquelon pour toucher des restaurants haut de gamme plutôt qu'à un volume de 100 tonnes de noix. L'image de marque de l'archipel peut être source de valeur ajoutée pour se différencier des produits canadiens.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Les qualités gustatives du produit changent-elles, selon que le produit est frais ou congelé ?

M. Herlé Goraguer . - Les techniques de congélation utilisées par la Société Nouvelle des Pêches de Miquelon maintiennent les qualités gustatives du produit. La noix de l'archipel est plus grosse que celle de la baie de Saint-Brieuc et sa qualité gustative est remarquable. Le marché local en consomme déjà six tonnes par an. Le marché français est loin d'être saturé de produits d'origine française et les débouchés ne manquent donc pas.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Je ne vois pourtant que des coquilles françaises sur le marché.

M. Herlé Goraguer . - Elles viennent de la baie de Saint-Brieuc ou de la rade de Brest.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - En surgelé, elles viennent du Chili.

M. Herlé Goraguer . - Nous ne consommons pas la gonade, le corail sur lequel se concentrent parfois les toxines dues au phytoplancton. La gonade de l'espèce cultivée au Canada ayant des qualités organoleptiques moindres que les coquilles de Bretagne, elle n'est pas valorisée, y compris comme sous-produit.

La filière offre des perspectives et mérite d'être développée, notamment pour maintenir une activité économique dans l'archipel et notamment sur Miquelon, depuis que la pêche de la morue s'est effondrée. Dans le passé avant 1992, elle employait huit chalutiers de 50 mètres, faisait tourner des usines avec 25 000 tonnes de poissons débarqués contre 2 000 tonnes aujourd'hui. Le développement de cette activité a servi de palliatif pour la population locale.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Existe-t-il un tourisme de la pêche ?

M. Herlé Goraguer . - Certains pêcheurs professionnels demandent aux Affaires maritimes des licences pour embarquer des plaisanciers à la journée. Les touristes viennent souvent par le ferry du Canada, et non de France, en raison du coût du billet et de la nécessité de passer par le Canada. L'environnement y est pourtant préservé avec une nature magnifique.

Jeudi 31 mars 2016
Perspectives de développement de l'agriculture biologique

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux secteurs de l'agriculture dans les outre-mer par une audition spécifique sur l'agriculture biologique. Nous avons déjà évoqué ce sujet lors des auditions précédentes sur les grandes cultures tropicales comme la banane et la canne mais nous devons également nous intéresser à ce type d'agriculture pour d'autres productions telles que les plantes maraîchères ou les filières élevage et aquaculture. Il y a là en effet des perspectives à forts enjeux, en particulier sur les marchés locaux de nos outre-mer mais aussi à l'exportation pour certaines productions de niche.

Nous allons donc prendre connaissance de l'étude réalisée par le cabinet AND-International sur le développement de l'agriculture biologique dans les DOM. Publiée en janvier 2014, cette étude a été commandée par l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM). Nous accueillons Monsieur Christian Renault qui en est le coauteur.

Mais avant de lui céder la parole, je veux simplement vous signaler, mes chers collègues, que nous nous réunirons la semaine prochaine, le jeudi 7 avril, pour une audition sur notre autre sujet d'étude : le foncier. Nous nous entretiendrons par visioconférence avec Monsieur Geoffroy Filoche, de l'Institut de recherche et de développement (IRD), auteur du rapport « Zones de droits d'usage collectifs et concessions en Guyane française ». Puis nous reprendrons nos auditions sur les normes après la suspension des travaux du mois d'avril, notamment le jeudi 12 mai où nous devrions réaliser plusieurs visioconférences, le matin avec la Nouvelle-Calédonie et, l'après-midi après les questions au Gouvernement, avec la Guadeloupe.

À présent, nous vous cédons la parole Monsieur Renault pour présenter votre rapport sur le développement de l'agriculture biologique dans les DOM.

M. Christian Renault, associé du Cabinet AND-International . - Notre étude a pour l'essentiel été réalisée en 2013 : elle est donc déjà vieille de trois ans. Je le précise à titre de précaution même s'il est fort possible que la situation ait assez peu évolué depuis. L'objet de notre étude était de faire le point sur la production et la consommation d'agriculture biologique dans les départements d'outre-mer. Nous nous sommes appuyés sur une enquête de terrain en réalisant 110 entretiens outre-mer. Nous avons également réalisé deux enquêtes sur des bassins de production au Brésil et en République dominicaine, ainsi qu'une enquête auprès d'utilisateurs de produits tropicaux en métropole.

Nous avons dressé trois principaux constats. Tout d'abord, le marché des produits « bio » sur l'ensemble des DOM est assez peu développé puisqu'il ne représente qu'environ 30 millions d'euros. Ensuite, ce marché est largement approvisionné par des produits d'importation venant essentiellement de métropole. Enfin, la production dans les DOM est relativement limitée, l'agriculture biologique y couvrant moins de 1 % de la surface cultivée. La Guyane fait cependant exception puisque 10 % de la surface agricole utile (SAU) est cultivée en « bio », même s'il faut nuancer ce constat en considérant qu'il s'agit surtout de prairies mobilisées pour un élevage bovin très peu intensif. En d'autres termes, le « bio » dans les DOM est un marché étroit qui se développe par l'importation tandis que les producteurs ultramarins sont rares et que les exploitations sont fragiles, de petite taille et surtout gérées par des doubles actifs qui disposent d'une autre source de rémunération.

Comment expliquer cette situation ? Premièrement, l'accès au foncier est difficile, plus ou moins selon les départements mais globalement difficile, et l'agriculture biologique n'est pas au coeur des préoccupations de la profession en outre-mer. Deuxièmement, il est techniquement plus difficile de produire selon les canons de l'agriculture biologique qu'en agriculture conventionnelle. En milieu tropical, cette difficulté technique est encore accrue, d'autant plus que les producteurs biologiques possèdent des exploitations de taille modeste et disposent de peu de moyens. Les efforts réalisés en matière de développement agricole et d'expérimentation sont limités dans les DOM, même si quelques essais ont eu lieu à La Réunion. On est encore loin de pouvoir développer toute une gamme de produits « bio ». Or, l'agriculture biologique ne constitue pas une filière, mais plutôt un faisceau de filières de production, chacune avec ses propres difficultés techniques. La structuration et l'organisation de l'agriculture biologique sont donc complexes à assurer dans les DOM où les référentiels techniques sont moins abondants qu'en métropole. Le conditionnement en particulier est beaucoup plus difficile à réaliser.

Toutefois, la demande de « bio » existe dans les DOM - elle est même prête à se développer davantage - et des candidats à la production existent aussi dans les DOM, si bien que le marché local constitue selon nous l'axe de développement le plus simple et le plus porteur à court terme. En priorité, l'effort devrait porter sur les productions maraîchères et fruitières, ainsi que sur les poules pondeuses pour l'approvisionnement local en oeufs « bio ».

Les débouchés à l'extérieur des DOM pour l'agriculture biologique des DOM sont plus incertains, étant donné l'état de la concurrence sur le marché international, qui se résume pour l'essentiel aux États-Unis et à l'Union européenne. Prenons l'exemple du sucre. Il n'existe pas de production de sucre « bio » de betterave. Toute la production de sucre « bio » vient de la canne, principalement du Brésil, première puissance agroalimentaire mondiale qui exporte vers les marchés américains et européens. La surface cultivée en mode biologique est deux fois plus importante au Brésil qu'en France. Elle est particulièrement ciblée sur la production de sucre « bio » qui bénéficie d'avantages très nets par rapport aux DOM. Le foncier est beaucoup plus disponible, le climat brésilien est moins humide car plus continental, les coûts de main d'oeuvre sont beaucoup plus bas. En outre, l'appareil industriel des sucreries brésiliennes s'est spécialisé pour permettre de la production de sucre « bio ». Ce ne pourrait pas être le cas dans les DOM car les quantités de canne produites sont trop faibles pour permettre l'alimentation en flux continu d'une sucrerie spécialement dédiée à la fabrication de sucre « bio ». C'est pourquoi il serait extrêmement difficile pour une production sucrière biologique des DOM de venir concurrencer le Brésil.

La banane évite l'écueil de la transformation industrielle mais les Antilles sont concurrencées par la République dominicaine qui emploie une main d'oeuvre, notamment haïtienne, à des coûts en moyenne 16 fois moins élevés. En outre, la République dominicaine bénéfice d'un autre avantage compétitif majeur : ses planteurs peuvent traiter les plantations avec un infiniment plus grand nombre de molécules. Le faible nombre de traitements disponibles sur le marché européen handicape tous les producteurs qui voudraient produire de la banane en mode biologique dans les Antilles françaises.

Ceci m'amène à évoquer un point essentiel qui est au coeur de vos préoccupations : la superposition des normes sur les produits phytosanitaires et des règles de l'agriculture biologique. Ces dernières sont émises au niveau international par une association privée basée en Suisse, l' International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM). Elles ont servi de base au règlement européen relatif à l'agriculture biologique. De même, la République dominicaine s'est dotée d'une réglementation en phase avec les règles de l'IFOAM. Des organismes certificateurs rémunérés par les entreprises mais agréés par les pouvoirs publics français et européens procèdent au contrôle sur place du respect des normes. Ce sont eux qui portent la responsabilité de déclarer telle ou telle production conforme aux principes de l'agriculture biologique. En matière de normes « bio », sur le territoire français, il faut tenir compte du règlement européen, du guide de lecture de ce règlement préparé par le ministère de l'agriculture et l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et de l'action des organismes certificateurs. En pratique, lorsque des doutes, des difficultés d'appréciation, des hésitations sur des cas concrets apparaissent, ce sont les organismes certificateurs qui valident ou pas la conformité à l'agriculture biologique.

Un problème supplémentaire se pose pour les productions tropicales : la réglementation européenne sur le « bio » n'a jamais été élaborée en tenant compte des zones tropicales. De ce fait, la production de banane ou de sucre estampillée « bio » n'existe quasiment pas dans l'Union européenne, si ce n'est une petite production de banane « bio » aux Canaries. La République dominicaine et le Brésil ont su définir des règles d'agriculture biologique à la fois conformes aux normes internationales et adaptées au climat tropical. Leurs productions sont validées par des organismes certificateurs européens. L'emploi des produits phytosanitaires est beaucoup plus souple, réactif et en phase avec les innovations ; le délai pour une autorisation de mise sur le marché provisoire est de trois mois et de six mois pour une autorisation définitive, avec un coût faible. En France, au contraire, le processus d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de produits phytosanitaires est extrêmement long, avec l'obligation de constituer des dossiers techniques complexes et onéreux, à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Au final, il est beaucoup plus aisé de produire en agriculture biologique en République dominicaine ou au Brésil que dans les DOM. Les normes jouent un rôle, mais il faut convenir que ce n'est que le second frein après le différentiel de coût de main d'oeuvre. Les simulations montrent que, pour compenser cet écart salarial, il faudrait augmenter de 50 % l'aide à l'hectare dont bénéficient les producteurs de bananes européens.

Après le marché local et l'export sur des marchés de masse, le troisième axe possible de développement réside dans l'export ciblé de produits « bio » de niche. En 2016 arriveront à Rungis les premiers conteneurs d'une banane « bio » martiniquaise grâce au soutien d'un importateur spécialisé. Mais il convient de souligner que la banane est déjà le principal fruit « bio » consommé en France et dans l'Union européenne et la République dominicaine occupe des positions très fortes sur ce marché en exportant 80 000 tonnes de banane « bio » dont le coût de production est à peine supérieure à celui de la banane conventionnelle. Il faut donc pouvoir se démarquer par des produits particuliers qui soient aussi compatibles avec une exploitation à petite échelle et un développement progressif du savoir-faire. Parmi les niches possibles, on peut mentionner la production de jus de canne biologique pasteurisé en Guadeloupe et un projet de culture biologique de cristophines à La Réunion, même si, pour cette dernière production, se pose le problème du transport sur longue distance.

Nous avions émis plusieurs préconisations pour développer l'agriculture biologique dans les DOM. Il convient d'assurer une véritable gouvernance des filières « bio », où l'État devrait jouer un rôle important. Un des soucis majeurs de l'agriculture biologique demeure de se faire accepter par la profession agricole ; seuls le poids et la force d'entraînement de l'État sont capables de faire bouger durablement les lignes. La situation était identique il y a quinze ans en Île-de-France. Il serait utile de créer un volet « bio » au sein des réseaux d'innovation et de transfert agricoles (RITA) en privilégiant une approche inter-DOM pour trouver des synergies et des économies d'échelle.

Par ailleurs, les aides du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) devraient être adaptées pour soutenir la consommation locale de produits locaux dans les outre-mer. Un allègement des contraintes administratives qui pèsent sur les producteurs « bio » serait bienvenu. Je me dois également de rapporter une des revendications des producteurs : le passage à l'octroi d'aides à la surface, plus faciles à gérer, plutôt qu'au produit, qui peuvent être complexes.

En matière d'adaptations réglementaires, il nous paraît essentiel de faire comprendre d'abord aux instances françaises, le ministère de l'agriculture et l'INAO, que l'agriculture biologique dans les DOM présente des spécificités, afin qu'ils puissent ensuite porter ce message avec conviction au niveau européen. Sur le fond, il conviendrait d'autoriser les productions « bio » sur claies, au moins en milieu tropical ou équatorial. C'est un débat de fond au sein même du mouvement de l'agriculture biologique, dont l'un des principes fondamentaux est de faire vivre le sol pour faire vivre les plantes. Dans cette acception, il n'est pas question qu'une culture hors-sol, sur claies ou en bac, puisse être considérée comme biologique. Pourtant, la réglementation brésilienne prévoit par dérogation la possibilité de productions biologiques sur claies pour limiter l'impact des parasites et des ravageurs tropicaux très dynamiques. En Europe, il n'existe qu'une dérogation historique demandée par les néerlandais ou les danois sur un certain type de cultures. Cette dérogation ancienne est elle-même contestée et certains demandent son abrogation. Ce débat peut s'entendre en milieu tempéré. Dans les zones tropicales, en revanche, il faut admettre que la production sur claies est un système intelligent pour se prémunir des ravageurs, qui peuvent parfois en une nuit détruire tout un champ, tout en évitant l'emploi des pesticides.

Il nous apparaîtrait également intéressant d'accorder plus de facilités aux exploitants « bio » pour recourir à des semences conventionnelles. Il n'existe de dérogation que lorsqu'il n'existe pas de semences certifiées biologiques. Or, il est vraiment difficile pour les producteurs ultramarins d'en disposer. En effet, les plants « bio » ne peuvent pas être facilement importés dans les DOM car ils ne disposent généralement pas des certificats d'importation nécessaires qui nécessitent la réalisation d'analyses sanitaires. Je peux vous donner l'exemple de maïs « bio » importé à La Réunion en provenance de Madagascar, pour lancer un élevage de poules pondeuses. La cargaison est restée bloqué trois mois en attente des contrôles nécessaires et a donc pourri avant d'être utilisée... Pour pouvoir étayer les demandes de dérogations au niveau européen, il faudra au préalable davantage structurer les filières biologiques et parvenir à dégager des synergies entre les DOM. Pour l'instant, on en reste à une production balbutiante par des producteurs peu organisés, voire parfois divisés entre plusieurs associations souvent rivales.

Enfin, notre dernière recommandation dont je reconnais qu'elle peut paraître un peu facile est tout de même de mener des actions de promotion et de communication en faveur de l'agriculture biologique dans les DOM.

M. Michel Magras, président . - Je vous remercie pour cet exposé à la fois dense et limpide. Je laisse la parole aux rapporteurs qui souhaitent vous demander quelques précisions.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Vous ne nous laissez finalement pas beaucoup d'espoir pour le développement de l'agriculture biologique dans les DOM, compte tenu des difficultés techniques, des obstacles normatifs et de la concurrence internationale. À votre connaissance, certaines collectivités territoriales outre-mer soutiennent-elles leurs producteurs « bio », notamment via un soutien à la consommation locale ? Je pense en particulier aux repas servis dans les cantines scolaires ou dans les centres hospitaliers. La loi de modernisation de l'agriculture a imposé un objectif de 20 % de produits « bio » dans la restauration collective. Dans quelle mesure cet objectif est-il réaliste dans les DOM si la production locale ne suit pas ? Par ailleurs, pensez-vous que le label « banane durable » mis en avant par les producteurs peut se transformer en certification « bio » au regard des conditions dans lesquelles sont produites les bananes « bio » de la République dominicaine importées en Europe ?

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Vous nous avez dit qu'il existait un marché local, mais que pour alimenter cette consommation locale, on recourrait aux importations. Avez-vous une idée du volume importé et des risques d'accroissement des importations ? En effet, si nous faisons la promotion du « bio » dans les outre-mer, n'allons-nous pas aboutir, en l'absence de production locale, à accroître encore la dépendance de ces territoires à l'égard des importations ? Par ailleurs, lors de nos auditions précédentes, nous avons beaucoup entendu parler de banane dominicaine, qui semble être conforme à toutes les normes internationales et européennes, mais pas à nos critères français. À l'inverse, les bananes produites en Martinique et en Guadeloupe répondent à des cahiers des charges extrêmement stricts qui ne pèsent pas sur la banane dominicaine et elles ne peuvent donc pas être concurrentielles sur le marché du « bio ». Quelle est votre analyse sur ce double différentiel en termes de qualité et de compétitivité ?

M. Christian Renault . - Nous n'avons pas voulu par notre étude décourager définitivement le développement de l'agriculture biologique dans les DOM. Nous avons essayé d'être les plus réalistes possibles. Il faut avouer que la situation n'est pas facile. Produire local pour une consommation locale est l'axe de développement qui doit être privilégié. Se lancer dans une gamme de légumes courants ou produire des oeufs entre tout à fait dans ce cadre et peut participer à atteindre l'objectif de 20 % de la restauration collective. L'idée, comme en métropole d'ailleurs, est de procéder progressivement en introduisant des aliments bio petit à petit, sans vouloir immédiatement proposer un menu bio complet. Les produits qui se développent le plus vite sur le marché sont les oeufs et le lait bio, qui représente 10 % de la consommation courante des ménages de l'Hexagone. En effet, ces produits restent peu onéreux et le label « bio » n'introduit pas un écart de prix très important par rapport aux produits conventionnels car il n'est pas difficile, techniquement, à obtenir. La production laitière n'est pas très importante dans les DOM mais la production d'oeufs peut s'y développer. Par exemple, la production locale à La Réunion couvre l'ensemble de la consommation locale, tout en important l'alimentation des poules. On peut accroître la proportion de « bio » sur ce marché. L'intérêt serait ensuite de l'associer à des cultures maraîchères « bio » en tirant partie de l'engrais naturel et non minéral apporté par les déjections des poules.

De mémoire, le département de La Réunion s'est impliqué en octroyant des aides à la certification. Ce type de soutien est régulièrement pratiqué par les collectivités territoriales dans l'Hexagone. Notre étude ne pouvait pas prendre en compte les nouvelles actions des DOM dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) 2014-2020. Ils ont pu faire des choix favorables à l'agriculture biologique. Cela mérite d'être vérifié.

Si l'on se concentre sur la production locale en mode biologique de légumes courants et d'oeufs, on contrecarrera en partie la tendance à l'augmentation des importations. Il serait toutefois illusoire de penser pouvoir se passer des importations de produits d'épicerie. C'est la même chose en métropole. Prenons l'exemple des pâtes : elles doivent être importées d'Italie car c'est là que pousse le blé dur et qu'est produite la semoule « bio ».

Je n'accepte pas l'analyse qui voudrait que la banane dominicaine ne soit pas biologique. Bien évidemment, on peut toujours pousser les exigences encore plus loin. En matière d'agriculture biologique, différents systèmes de contrainte existent. L'Union européenne a adopté un règlement de niveau de contraintes médian et la réglementation française a dernièrement été abaissée au niveau d'exigence européen. La philosophie qui prévaut dans l'Union européenne est de disposer d'un socle de base et de laisser les consommateurs s'orienter, s'ils le souhaitent, vers des modalités de production et de marques encore plus exigeantes. Il existe en effet des démarches professionnelles autour de cahiers des charges durcis. Je pense aux réseaux Naturland en Allemagne ou Demeter, notamment sur la vigne ou le blé en biodynamie. Les rendements sont nettement plus faibles qu'en mode conventionnel mais les produits sont vendus à des prix beaucoup plus élevés. Certains militent pour la spécialisation des exploitations alors que le règlement européen autorise une mixité des exploitations qui peuvent produire à la fois en mode conventionnel pour une culture et en mode biologique pour une autre. Si nous adoptions le principe de spécialisation, nous perdrions environ 25 % des surfaces « bio » de métropole.

D'une manière générale, la production de bananes en République dominicaine répond aux grands principes de l'agriculture biologique. Les produits phytosanitaires utilisés sont connus et listés, ce qui n'est pas toujours le cas dans l'agriculture conventionnelle. Aucun pesticide, ni aucun engrais d'origine chimique n'est employé. Des contrôles sont effectués. Certes, la France ajoute ses propres normes contraignantes sur les autorisations de mise sur le marché et les produits phytosanitaires utilisables. Le problème se pose aussi au sujet de la pomme « bio », objet d'un désaccord de fond avec l'Italie. Pour soigner une maladie de la pomme, appelée la tavelure, le même produit est autorisé en Italie et interdit en France, que cela soit en mode de production biologique ou conventionnel. C'est la raison pour laquelle le consommateur français mange des pommes « bio » italiennes. Ce n'est pas la réglementation « bio » qui est en cause mais la réglementation générale d'utilisation des produits phytosanitaires. Tous les producteurs maraîchers et fruitiers français vous diraient que par rapport à leurs concurrents belges ou espagnols, ils disposent de moins de produits autorisés. Ce problème n'est propre ni aux DOM, ni à l'agriculture biologique.

M. Charles Revet . - Au cours d'auditions précédentes avec les organismes de recherche, il nous a été dit que la diversité des règles applicables selon les pays rendait possible l'importation de produits labellisés « bio » qui ne respectaient pas les normes françaises. Je prends un autre exemple, hors de l'outre-mer. En 1987, j'ai été rapporteur d'un projet de loi sur la viande et le recours aux anabolisants. François Guillaume, ancien président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), était ministre de l'agriculture. Je me suis opposé aux mesures que l'on voulait nous faire adopter. Finalement, on a contourné notre opposition en procédant par décret. La même année où nous avons décidé d'interdire les anabolisants français en France, les États-Unis ont autorisé le recours aux anabolisants français chez eux. Aujourd'hui, dans le cadre des négociations du traité de libre-échange transatlantique, l'Union européenne s'apprête à laisser entrer sur son territoire, non pas 40 000 tonnes comme initialement annoncé mais 200 000 tonnes de viande américaine, y compris traitée avec des anabolisants. Le consommateur français retrouvera dans son assiette les produits que nous avons interdits, il y a trente ans ! Dispose-t-on des moyens réglementaires et de contrôle de faire en sorte que les produits mis à la disposition du consommateur français, dans l'Hexagone ou en outre-mer, soient conformes aux normes françaises ? Nous devons prévenir les tromperies du consommateur qui ne manquent pas de se multiplier.

Après avoir évoqué l'aval, j'aimerais revenir à l'amont. En tant qu'agriculteur en Normandie, je connais bien les différences techniques qui permettent d'assurer un équilibre naturel entre les cultures, par exemple lorsque la luzerne sert d'engrais pour le blé en enrichissant le sol en azote. Existe-t-il en outre-mer des dispositifs similaires pour stimuler la production biologique ?

M. Christian Renault . - Dans le cadre du marché unique européen, la solution aux problèmes que vous évoquez réside dans l'étiquetage et l'information du consommateur, non pas obligatoire mais volontaire. Le réseau Biocoop a créé une marque propre avec un cahier des charges spécifique plus exigeant que le règlement européen.

La banane dominicaine répond à la réglementation européenne puisqu'elle est contrôlée par des organismes agréés par l'Union européenne. De plus, elle n'est pas importée directement dans les ports français mais, comme beaucoup de produits, elle passe par Rotterdam ou Anvers, y compris lorsque l'importateur est français. Ainsi, nous importons des bananes belges ou néerlandaises puisqu'elles sont déjà sur le marché européen. Toutefois, le marché de la banane « bio » commence à se segmenter : on distingue déjà la niche de la banane « bio » équitable, plutôt produite en Équateur et qui répond à un second niveau de certification tenant compte des conditions socio-économiques de production. La banane produite dans les Antilles françaises mériterait sans aucun doute d'être étiquetée « équitable » au regard des conditions de travail et du niveau des rémunérations des salariés beaucoup plus favorables que dans les pays concurrents. Sur le marché du café et du chocolat « bio », plus de la moitié des volumes écoulés bénéficie du label équitable.

Le label « banane durable » est compatible avec l'emploi de produits phytosanitaires chimiques, il ne sera donc jamais conforme aux principes de l'agriculture biologique. Il peut être envisagé de développer de la banane « bio » à petite échelle dans les DOM pour que la technique se développe et se diffuse et pour que progressivement les producteurs y adhèrent. Les techniques d'agriculture raisonnée permettent de limiter le recours aux pesticides et aux herbicides et peuvent à terme converger vers la démarche de l'agriculture biologique. Mais aujourd'hui, pour être clair, la banane durable des Antilles est moins « bio » que la banane « bio » de République dominicaine. Tous les spécialistes vous le confirmeront. Je sais que l'on répond souvent que la République dominicaine utilise un produit autorisé par le règlement européen mais auquel les producteurs français ne peuvent pas recourir. La réalité est plus complexe. C'est surtout le banol, une huile minérale produite par Total qui est visée. Il se trouve qu'en effet les huiles minérales sont autorisées par le règlement européen. Ce qui est interdit aux Antilles, à la suite de mouvements locaux et de décisions de justice, c'est l'épandage aérien, par hélicoptère, qui est le seul mode d'utilisation vraiment efficace du banol. L'usage de banol en culture biologique est autorisé par la norme européenne, qui n'interdit pas non plus l'épandage aérien.

Les organismes certificateurs en savent davantage que quiconque, puisqu'ils sont les seuls à avoir une vision détaillée de ce qui se passe dans les DOM et dans les pays tiers. Peut-être pourriez-vous prévoir d'en auditionner certains. Nous pouvons affirmer sur la base de notre enquête de terrain que tout se déroule dans un cadre légal aussi bien dans l'Union européenne qu'en République dominicaine et que les principes de l'agriculture biologique définis par l'IFOAM sont respectés.

Par ailleurs, j'aimerais évoquer le travail d'une coopérative biologique en Guyane qui produit, en lien avec le Cirad, du bois raméal fragmenté pour doper les sols pauvres en humus. Il s'agit de broyer et laisser pourrir à l'air du bois pour produire rapidement un compost naturel. En matière de complémentarité des cultures, je peux également signaler une expérience à La Réunion où des courges sont associées à la canne pour lutter contre les parasites. En résumé, le développement de l'agriculture biologique dans les DOM demande du temps, des budgets d'expérimentation et une ouverture d'esprit du monde agricole ultramarin pour reconnaître que ce type de techniques peut être aussi efficace que les produits phytosanitaires, qui sont par ailleurs achetés aux coopératives... Il ne faut pas négliger que la production biologique bouleverse les schémas économiques habituels.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - En Guadeloupe et en Martinique, la pollution des sols à la chlordécone pose-t-elle un problème pour une labellisation en agriculture biologique ?

M. Christian Renault . - Cette question doit vraiment être posée aux organismes certificateurs car cela relève de leur responsabilité. Ce sont eux en réalité qui, en fonction de l'état du sol et des traces de polluants détectées, décident d'homologuer une production ou non. L'agriculture biologique répond à un principe de conversion selon lequel au bout de trois ans suivant l'abandon des techniques conventionnelles, la terre est en quelque sorte redevenue vierge.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Certes, mais la chlordécone est présente pour 350 ans dans les sols.

M. Christian Renault . - C'est tout à fait exact. Je ne faisais qu'évoquer le principe général mais pour chaque cas d'espèce, ce sont les organismes certificateurs qui tranchent. En fonction de la plante cultivée, ils peuvent décider de valider l'exploitation ou non.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Par exemple, ils pourraient valider la culture de tomates mais pas de légumes racines plus sensibles aux polluants du sol.

M. Christian Renault . - En effet. Mais les organismes certificateurs ne sont pas toujours d'accord entre eux. Pour vous donner un exemple hors des DOM, je peux vous citer le cas de la culture de cresson en Île-de-France. Un exploitant s'est adressé à un organisme certificateur X qui lui a affirmé qu'il ne serait labellisé « bio » qu'au bout de trois ans, en raison des désinfections au formol des fossés de culture que l'exploitant pratiquait. Un autre exploitant s'est adressé à un organisme certificateur Y qui lui a expliqué que, le cresson poussant dans l'eau, il n'y avait pas de période de conversion. Cela peut créer de lourdes distorsions entre producteurs, d'autant plus qu'une autorité comme l'INAO n'a pas les moyens humains suffisants pour répondre à toutes les questions technico-juridiques que posent les exploitants et qui nécessitent un travail d'interprétation certain car l'ensemble des cas concrets ne peut évidemment pas être prévu par un règlement. C'est aussi une des raisons pour lesquelles la responsabilité repose in fine sur les organismes certificateurs.

Mme Vivette Lopez . - Je rejoins les interrogations de notre collègue Charles Revet sur la variabilité de la réglementation « bio » selon les pays. J'aimerais également que vous puissiez revenir sur les dérogations en faveur des productions sur claies.

M. Christian Renault . - Le principe fondamental de l'agriculture biologique bannit toute culture hors sol. Une tolérance est prévue pour la production d'endives « bio », qui nécessite un forçage hydroponique dans des bacs. Même cette dérogation fait débat parmi les militants du « bio ». Des organisations comme Demeter ou Biocoop adoptent des critères plus stricts que la réglementation européenne, elle-même moins souple que la norme mondiale.

M. Michel Magras, président . - Je remarque tout de même que l'action de certains militants freine l'adaptation de la réglementation. Je m'interroge en tant qu'ultramarin sur l'existence de certaines barrières à l'importation, y compris de boeuf américain. C'est une des raisons pour lesquelles Saint-Barthélemy a choisi de devenir un PTOM. Je ne suis pas opposé par principe à ce que nous adoptions des normes strictes, à la condition que nous orientions alors notre stratégie commerciale vers la conquête de niches haut de gamme à forte valeur ajoutée. Cependant, il faut que nous puissions adapter certaines normes aux spécificités, notamment climatiques, de nos territoires. Vous avez fait une parfaite démonstration de l'intérêt de la culture sur claies. Il faut par exemple avancer sur ce point.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Je retiens que ce ne sont pas des normes législatives qui sont en cause. Il y a beaucoup de normes réglementaires qui prolifèrent dans le silence des normes supérieures parfois trop générales.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - À cela, s'ajoute encore la prise en compte de décisions purement locales comme dans le cas de l'interdiction de l'épandage aérien sur requête de riverains et de consommateurs. Pourtant l'épandage devait déjà respecter des normes très contraignantes.

M. Michel Magras, président . - Les constats et les préconisations de votre rapport font-ils l'objet d'un suivi par l'ODEADOM ou les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ?

M. Christian Renault . - Je l'ignore, mais pour dire le vrai, je ne suis pas sûr que nous ayons convaincu les principales autorités décisionnaires. L'évolution des surfaces biologiques dans les DOM, d'après le dernier rapport de l'Agence Bio, est défavorable alors même que l'on connaît des extensions très fortes en métropole. Nous ne faisons pas encore le minimum nécessaire pour amorcer un véritable développement dans les DOM, qui passe par l'action de pionniers soutenus par un centre technique dédié. Ce ne seront pas les techniques « bio » de l'Hexagone qui s'appliqueront mais des techniques locales développées par des producteurs locaux avec un appui scientifique. Les approches intégrées traditionnelles sont promises à un bel avenir. À Mayotte, par exemple, on produit déjà du « bio » mais les productions ne sont pas certifiées et ne peuvent pas l'être sans comptabilité. La certification « bio » demande en effet de vérifier le statut légal des exploitations agricoles. La réglementation française ne me paraît pas en l'état adaptée à Mayotte. C'est pourquoi il pourrait être intéressant de s'inspirer de l'exemple du Brésil où sont prévus deux niveaux de certification de groupe, et en particulier une certification collective à l'échelle du village dans la zone équatoriale. Si l'un des producteurs ne respecte pas les protocoles, c'est l'ensemble du village qui perd sa certification. L'intérêt est de favoriser un contrôle collectif adapté aux structures sociales locales.

M. Michel Magras, président . - Je vous remercie pour la qualité de nos échanges.

Jeudi 28 avril 2016
Audition de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO)

M. Michel Magras, président . - Après deux semaines de suspension de nos travaux en réunion plénière, nous reprenons aujourd'hui le fil des auditions sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux secteurs de l'agriculture dans les outre-mer.

Nos réflexions sur les perspectives de développement de l'agriculture biologique outre-mer ont conduit nos rapporteurs à vouloir examiner de plus près les processus de labellisation et de certification. Ces processus, au coeur de la problématique normative puisqu'ils attestent officiellement de certaines qualités et origines, sont tout à fait stratégiques pour la valorisation des productions car ils permettent d'accéder au marché européen et peuvent générer des avantages compétitifs. Cependant, selon les témoignages délivrés lors de nos précédentes auditions, les procédures sont parfois longues et onéreuses, tout particulièrement dans notre pays, et peu adaptées à de petites productions comme celles des outre-mer. Il nous faut donc examiner quelles sont les possibilités d'évolution et de meilleure prise en compte des intérêts de nos territoires.

À cet effet, nous recevons ce matin Monsieur Jean-Luc Dairien, directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité, l'INAO ; puis nous entendrons Madame Valérie Sassé, responsable des opérations de certification d'ECOCERT France.

Je dois excuser notre collègue Catherine Procaccia, co-rapporteur sur le dossier des normes agricoles avec Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe, ici présent.

M. Jean-Luc Dairien, directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité . - L'INAO est un établissement public sous tutelle du ministre de l'agriculture ; il existe depuis plus de 80 ans. Par délégation du ministre de l'agriculture, il conduit la politique nationale en matière de qualité de la production alimentaire. À ce titre, il gère les signes officiels de qualité et d'origine. À part un signe spécial sur les moules de bouchot du Mont Saint-Michel, il en existe quatre types :

- les appellations d'origine contrôlée (AOC) qui deviennent des appellations d'origine protégée (AOP) dans le cadre européen ;

- les indications géographiques protégées (IGP) ;

- les labels rouges ;

- et le signe de reconnaissance de l'agriculture biologique « AB ».

À l'exception des labels rouges, ces signes officiels sont gérés dans un cadre régi par le droit communautaire.

L'Institut accompagne les porteurs de projet, c'est-à-dire des producteurs qui veulent faire reconnaître les spécificités d'un produit. Il les aide à définir un cahier des charges qui comprend la définition d'un produit, ses conditions propres de production ainsi que son périmètre de production. L'INAO assure les étapes de la procédure administrative d'enregistrement. Il revient en propre au ministre de l'agriculture sur le rapport de l'Institut d'homologuer un produit par arrêté et éventuellement de le porter au niveau européen pour obtenir une assise de protection plus large.

L'INAO accompagne également les producteurs organisés dans des syndicats de gestion et de défense de l'appellation. Il en existe plus de 1 000 en France. Il gère toutes les modifications ultérieures du cahier des charges d'un signe officiel de qualité, chaque modification suivant la même procédure de validation que le cahier des charges initial. L'Institut contrôle de plus la mise en oeuvre du cahier des charges et le bon fonctionnement de l'appellation. Il n'exerce pas cette mission directement mais par l'intermédiaire d'organismes certificateurs indépendants.

Nous assumons également une mission de défense des appellations en France et dans le monde. Lorsqu'est porté à notre connaissance qu'un producteur qui prétend bénéficier d'un signe officiel de qualité n'en respecte pas le cahier des charges, nous prenons l'initiative d'une action en justice si nos mises en demeure sont restées lettre morte. Dans certains pays que je ne citerai pas, les usurpations sont fréquentes. C'est pourquoi nous avons mis au point un système de surveillance ciblé sur les pays à risques qui nous permet d'engager le plus efficacement possible les procédures amiables et judiciaires nécessaires.

Nous sommes également actifs en matière de coopération pour prévenir les fraudes aux dénominations. Il s'agit préventivement d'expliquer aux producteurs étrangers l'intérêt qu'ils auraient à développer eux-mêmes un système d'appellations protégées que nous serions les premiers à défendre sur notre territoire. Dans le cadre des discussions sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), nous dialoguons avec les filières agroalimentaires américaines pour leur faire comprendre les systèmes français et européens d'AOP et d'IGP. En effet, ils ne sont pas familiers de ces concepts et privilégient d'ordinaire le droit des marques d'origine anglo-saxonne.

En termes de politique agricole, nous considérons que les appellations et les indications géographiques constituent un instrument utile et efficace qui part de l'initiative des producteurs pour répondre aux attentes des consommateurs, sensibles notamment à l'indication du lieu de production des produits agroalimentaires. L'avantage de notre système est de ne pas être délocalisable, les AOP et les IGP n'étant pas, par principe, reproductibles. Ainsi, si l'on produit du vin dans de très nombreux endroits, on ne peut pas produire du Bordeaux, du Corbières ou du Champagne ailleurs que dans leurs terroirs d'origine. C'est la raison pour laquelle les signes officiels de qualité constituent un atout important pour la politique d'aménagement du territoire en facilitant le maintien des populations agricoles et le développement de l'activité périphérique comme le tourisme dans les espaces ruraux. Autre élément qui les distingue des marques proprement dites : les signes officiels ne peuvent pas se vendre et ne sont donc pas soumis à une quelconque spéculation.

Le système d'appellation d'origine et de reconnaissance de qualité fut inventé en France puis reconnu par les autorités européennes. L'INAO n'a de cesse de le promouvoir dans le monde entier.

Nous nous appuyons sur le travail de 260 agents dont les deux tiers travaillent directement dans les territoires. L'Institut n'a pas d'implantation directe dans les outre-mer même s'il a compétence sur les départements d'outre-mer. Dans les territoires d'outre-mer, il n'est pas proprement compétent mais il peut mener des actions de coopération comme dans un pays tiers.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Je suis proprement abasourdi. Vous n'êtes pas implantés dans nos territoires et vous les traitez comme des pays tiers ! Êtes-vous en train de nous dire que les producteurs ultramarins ne sont pas accompagnés et que nos productions ne sont pas protégées par des signes officiels d'origine et de qualité ?

M. Jean-Luc Dairien . - Veuillez pardonner l'imprécision de mes propos. Dans les départements et régions d'outre-mer, nos pratiques d'accompagnement et nos missions ne diffèrent pas de celles que nous exerçons en France métropolitaine. Notre organisation est toutefois un peu différente puisque nous utilisons le relais des directions de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DAAF). En revanche, dans ce qu'il était coutume d'appeler les territoires d'outre-mer (TOM), nous n'avons reçu aucune compétence du législateur. Cela ne nous interdit pas d'intervenir mais nous devons recourir à des procédures administratives particulières.

M. Thierry Fabian, coordonnateur des productions ultramarines à l'INAO . - Nous pouvons vous rassurer : nous ne faisons aucune différence entre les DOM et les départements de l'Hexagone. En revanche, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, du fait de leur statut d'autonomie, ont adopté des réglementations spécifiques qui définissent leur propre politique d'origine et de qualité.

M. Michel Magras, président . - Il n'est pas surprenant en effet que des collectivités ultramarines autonomes exercent cette compétence.

M. Jean-Luc Dairien . - Permettez-moi de prendre l'exemple du monoï de Tahiti. Nous avons reçu une demande de collaboration de l'organisme homologue de Polynésie française qui relayait le souhait des professionnels locaux. L'INAO a donc mené un travail d'expertise pour les aider à mettre au point leur cahier des charges.

De nombreux textes communautaires existent en matière de reconnaissance de l'origine et de la qualité. Ils concernent aussi les DOM et ils sont importants, en particulier pour la production de rhum. Nous les tenons à votre disposition sous forme d'une note récapitulative.

M. Michel Magras, président . - Constatez-vous des difficultés d'application de ces normes européennes dans les outre-mer ?

M. Jean-Luc Dairien . - Il faut tout d'abord rappeler qu'un signe de qualité ne peut pas être une alternative viable à des conditions favorables au développement d'une production agricole ; celles-ci doivent exister préalablement. Il ne peut pas non plus pallier les contraintes structurelles qui pèseraient sur une activité agroalimentaire. Autrement dit, le signe de qualité n'est pas une solution miracle mais plutôt un atout qui permet de consolider l'image d'une production. Pour reprendre l'exemple du vin, il est indispensable de disposer au préalable de structures de vinification performantes, de stratégies marketing et de réseaux de commercialisation adaptés. L'AOC vient par surcroît. C'est ce que nous rappelons constamment aux porteurs de projet : « ne vous faites pas d'illusion, on ne règle pas des problèmes de structuration des filières, de formation des producteurs, de rentabilité économique grâce à un signe de qualité ». Néanmoins, il ne faut pas non plus sous-estimer le potentiel de résilience que peut conférer l'octroi d'une appellation. Si nous considérons la crise actuelle de la filière laitière, un producteur de lait apportant sa production à une coopérative fabriquant du comté AOC est payé cinq fois plus cher qu'un autre producteur fournissant une usine de fabrication d'emmental industriel. Autre exemple : un éleveur de volailles label rouge bénéficiant de l'indication géographique « Loué » vend deux fois plus cher qu'un producteur de poulets surgelés exportés vers le Moyen-Orient. Grâce à une meilleure identification de leurs produits, les agriculteurs et les éleveurs protégés par une appellation sont relativement moins touchés en cas de crise. Il faut donc au préalable que les producteurs disposent du savoir-faire, de la formation et de l'organisation économique. L'AO ou l'IP apporteront ensuite l'image permettant de catalyser le développement de l'activité.

Une fois ce principe de base rappelé, il faut convenir qu'il n'est ni plus difficile, ni plus facile de construire une AO ou une IP dans un territoire ultramarin que dans l'Hexagone. C'est une démarche qui peut être intéressante à mener outre-mer, en particulier, pour des productions « exportées » vers le marché européen. Lorsqu'il s'agit de productions destinées au marché local, en distinguant sans doute entre la cible des habitants et la cible des touristes, il faut plutôt procéder au cas par cas, car la dénomination géographique locale n'apportera pas forcément d'avantages suffisants sur le marché local pour compenser la charge et le coût que représentent l'enregistrement initial et le fonctionnement d'un signe de qualité.

Aucune différence de procédure n'est à relever entre l'outre-mer et l'Hexagone. Dans tous les cas, nous créons des commissions d'enquête avec des professionnels déjà engagés dans un signe de qualité proche de celui qui est en projet mais qui viennent d'une autre région. Les services techniques et juridiques de l'INAO apportent leur soutien à la commission qui produit un rapport porté à la connaissance du ministre de l'agriculture. C'est à ce dernier que revient de prendre la décision finale de reconnaissance officielle. Les procédures administratives sont-elles trop longues ? Éternelle question. Sans doute sont-elles toujours trop longues pour les producteurs. Je tiens à dire cependant que les délais ne varient pas entre l'outre-mer et l'Hexagone. En outre, dans l'appréciation du délai, nous ne pouvons pas le faire courir à partir du moment très incertain où germe une idée dans l'esprit d'un agriculteur ou d'un éleveur. Notre travail d'instruction ne peut commencer que lorsqu'un certain nombre de préalables sont remplis. Il faut pouvoir nous apporter la preuve qu'il existe bien un projet collectif porté par les professionnels locaux. Il ne servirait à rien de plaquer une AO ou une IP sur un milieu agricole qui ne la fait pas vivre. C'est d'ailleurs pourquoi le ministre de l'agriculture n'a pas la faculté de proposer une nouvelle appellation. La loi ne donne le pouvoir d'initiative qu'aux seuls professionnels.

Notre philosophie est de ne pas identifier un produit seulement du niveau chimique et organoleptique mais de relier les qualités du produit à un terroir géographique et un savoir-faire particulier. C'est ce triptyque qui nous distingue très nettement des conceptions anglo-saxonnes qui tendent davantage à ne se référer qu'à des analyses chimiques considérées seules comme objectives.

La démarche de reconnaissance de l'origine et de la qualité d'un produit ne vient pas d'une décision administrative, elle est simplement soutenue par l'administration. Le coût d'une telle politique est très faible à la fois par rapport à ses avantages pour les filières et en comparaison des fonds investis dans la politique agricole commune. Aujourd'hui, une exploitation sur cinq est concernée en tout ou partie par un signe officiel. Pour développer davantage cette politique outre-mer, nous devons gérer le problème de la distance. C'est ce qui nous a amenés à choisir une autre organisation déconcentrée.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Pour les productions ultramarines emblématiques comme la banane, le sucre et le rhum, quels labels avez-vous reconnus ? Quelle est la fréquence de recours à des appellations dans les DOM ? Le made in France peut-il être considéré comme une appellation d'origine au sens large ?

M. Jean-Luc Dairien. - Le made in France, voulu par les consommateurs français, n'est pas un signe de qualité. C'est une dénomination de provenance qui ne constitue pas une appellation d'origine. L'AO requiert des indications plus précises sur l'origine géographique, la nature du produit, l'identité des producteurs, les modes de production... La mention made in France s'apparente plus à une stratégie marketing qu'à une information du consommateur et à un étiquetage utile. Les bannières régionales peuvent aussi être légitimes pour valoriser les produits des régions mais ce ne sont pas non plus des signes de qualité, simplement la mention d'une provenance. Ces deux dispositifs, l'un sur la provenance au sens large et l'autre sur la qualité, sont de nature différente. Chacun a son utilité et il faut savoir les articuler. Il en est de même pour un certain nombre de mentions comme celle « circuit court » qui n'a rien à voir avec le produit lui-même ou sa qualité.

Pour ce qui est de la banane, il faut poser en amont certaines questions telles que : qui commercialise la banane ? Est-il besoin de l'identifier sur le marché européen ? La mention « banane de Guadeloupe » ou « banane de Martinique » présente-t-elle un intérêt qui en compense le coût ? Faut-il défendre le produit en utilisant une appellation d'origine qui imposera aux producteurs un certain mode de production, un certain cahier des charges et les contrôles afférents ? C'est à toutes ces questions qu'il faut répondre avant d'engager la démarche de reconnaissance par un signe officiel. Le produit ultramarin qui a bénéficié le plus d'une politique développée en la matière demeure le rhum, un produit transformé qui est en concurrence sur le marché des spiritueux avec d'autres produits qui sont eux-mêmes structurés par le recours aux AO et IP.

M. Thierry Fabian . - La filière rhum est, en effet, celle qui est la plus impliquée outre-mer dans les signes officiels de qualité. C'est aussi la première à avoir bénéficié d'une AOC. Cela concernait le rhum de Martinique en 1996. C'est d'ailleurs le travail sur la protection du rhum qui a motivé l'extension de la compétence de l'INAO aux outre-mer. Plus récemment, six indications géographiques ont été reconnues il y a quelques mois pour protéger les rhums de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de la Baie du Galion, c'est-à-dire le rhum industriel de sucrerie de Martinique, et des assemblages qui peuvent être réalisés à partir de ces rhums. Plus de 90 % de la production de rhum est aujourd'hui intégrée dans un système structuré d'AOC et d'IGP. Il s'agit d'une stratégie de filière. La profession a clairement fait le choix de placer ses produits sous reconnaissance de l'origine et de la qualité. Ce choix a été en partie guidé par le contexte fiscal : une AO ou une IG étant nécessaire pour bénéficier de la fiscalité privilégiée sur le marché métropolitain.

En dehors du rhum, nous pouvons citer une IGP sur le melon de la Guadeloupe et deux labels rouge sur l'ananas et le litchi de La Réunion, qui malheureusement ne donnent plus lieu à production. Le monoï de Tahiti constitue un cas particulier qui est à la fois protégé par une AO polynésienne et par une AO nationale.

Plusieurs autres demandes sont en cours d'instruction. La vanille de La Réunion ainsi que le vin de Cilaos en sont au stade de la commission d'enquête. D'autres dossiers sont moins avancés tout en ayant déjà donné lieu à un travail d'expertise comme la vanille de Tahiti et le café bourbon pointu de La Réunion. Des contacts ont été noués avec les professionnels dans la perspective d'une reconnaissance communautaire de la vanille de Tahiti. Les PTOM ont accès aux AOP et IGP européennes au même titre que les pays tiers, ce qui leur permet de trouver une reconnaissance et une défense internationales de leurs produits plus fortes.

En ce qui concerne la banane, le recours à une IGP demeure une voie d'évolution possible. Les professionnels y réfléchissent mais le lancement du label « banane française » avec bandeau tricolore répond davantage à une logique de provenance, de même que l'identification de productions régionales sous le sceau « banane de Guadeloupe » ou « banane de Martinique ». Les textes communautaires laissent la possibilité aux RUP de mettre en avant ce type d'identité régionale.

La réflexion est moins avancée sur l'ylang-ylang de Mayotte et sur le café de Guadeloupe puisque l'INAO n'a pas encore été sollicité par un groupement de professionnels.

M. Michel Vergoz . - Sur 260 agents de l'INAO, aucun n'officie donc outre-mer ? Combien d'agents disposez-vous dans les territoires et combien dans vos services administratifs centraux ?

M. Jean-Luc Dairien - Effectivement tous nos agents se trouvent en métropole : 75 d'entre eux travaillent à notre siège de Montreuil, tous les autres en région. Certains de nos agents sont spécialisés sur des programmes spécifiques comme Thierry Fabian qui coordonne tous les dossiers ultramarins. Au-delà des spécialisations géographiques, nous disposons également de spécialistes sectoriels qui peuvent être missionnés autant que de besoin y compris en outre-mer.

M. Michel Vergoz . - Je retiens de vos propos que vous restez dans l'attente des initiatives locales et des projets portés par les producteurs. Quelles garanties pouvez-vous apporter aux territoires dès lors qu'ils s'engagent auprès de vous dans une démarche de reconnaissance de l'origine et de la qualité ? Revenons sur le cas de l'ananas et du litchi de La Réunion à la saveur incomparable qui témoigne du savoir-faire exceptionnel des arboriculteurs de notre île. Ils étaient protégés par un label rouge et pourtant toute la production a quitté La Réunion au profit de Maurice pour l'ananas et de Madagascar pour le litchi. Qu'a fait l'INAO pour les protéger ? Qu'allez-vous faire demain pour la vanille de La Réunion ou le café bourbon pointu, qui est porté par une initiative du conseil régional. Nos territoires ultramarins sont soumis à la concurrence parfois franchement louche de pays tiers. Que vaut la protection de l'INAO lorsque sont conclus par l'Union européenne des accords de partenariat et de libre-échange avec les pays de l'Océan indien ou de la Caraïbe ? Nous n'avons pas du tout l'impression d'être protégés, y compris dans nos productions de qualité.

M. Jean-Luc Dairien . - Nous ne pouvons que prendre acte de votre perception des choses qui est sans doute partagée sur votre territoire et à laquelle nous portons la plus grande attention. À chaque fois que le syndicat de gestion et de défense de l'appellation ou de l'indication protégée nous saisit d'un cas de concurrence déloyale nous portons le dossier devant les tribunaux nationaux ou internationaux compétents, mais notre compétence ne couvre que l'usurpation de dénomination et non pas un éventuel déséquilibre dans les conditions économiques de production. Nos quatre-vingts avocats défendent dans le monde entier les mille signes officiels de qualité enregistrés en France. Nous engageons 250 contentieux dans le monde chaque année.

Dans le cas de l'ananas et du litchi, les difficultés qui ont perturbé la filière de La Réunion...

M. Michel Vergoz . - ... qui l'ont fait quasiment disparaître !

M. Jean-Luc Dairien . - Ces difficultés extrêmes, je le reconnais, proviennent-elles d'une carence dans notre travail de protection de l'appellation ou plutôt d'un défaut de structuration de la filière et d'une stratégie économique et commerciale inaboutie ? Nous avons de fréquents contacts avec nos collègues de l'ODEADOM qui gèrent précisément le soutien économique aux filières agricoles ultramarines. Ils partagent notre analyse. Toutefois, je dois admettre mon étonnement : nous n'avons pas réussi à faire vivre la filière litchi de La Réunion alors même que ces produits commençaient à être spontanément reconnus et recherchés par le consommateur métropolitain. Il n'en demeure pas moins que les producteurs de litchi réunionnais n'ont pas demandé à utiliser le label depuis cinq ans. Or, aux termes de la loi, après cinq ans sans y avoir recours, le label tombe en désuétude. C'est sans doute le signe que le label rouge n'était pas la bonne solution mais l'INAO reste disponible pour travailler avec les producteurs pour trouver de nouvelles stratégies, qui s'appuient nécessairement sur une expertise technique et commerciale.

M. Michel Magras, président . - Les appellations et les indications géographiques me paraissent surtout intéressantes pour le marché à l'exportation. Je comprends de vos propos que l'INAO n'a pas de politique d'incitation mais remplit uniquement une mission d'accompagnement du processus d'obtention du signe officiel et une mission de protection. Il n'en reste pas moins que le cadre normatif dans lequel vous agissez est fixé au niveau européen. De votre expérience, jugez-vous que les normes communautaires sont adaptées aux productions agricoles ultramarines ?

M. Jean-Luc Dairien . - Il me semble que le problème d'application des normes communautaires se pose aussi bien en métropole qu'en outre-mer. Le droit européen supra-national est décliné par la réglementation nationale. L'INAO ne peut y déroger. Il ne peut qu'agir dans ce cadre fixe pour définir les spécificités d'un produit et les valoriser dans le respect plein et entier du droit européen. Nos cahiers des charges ne comprennent aucune prescription sanitaire ou phytosanitaire dans la mesure précisément où ce type de normes s'impose de toute façon quel que soit le mode de production, qu'il soit protégé par un signe officiel ou non. Nous n'avons aucune marge de manoeuvre et aucune appréciation à porter sur la réglementation sanitaire européenne. Nous n'avons de latitude qu'en matière de définition du produit labellisé.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Vous nous dites que vous êtes tenus d'appliquer les normes européennes. Précisément, notre mission est d'évaluer ces normes pour pouvoir éventuellement les faire évoluer, y compris en matière de certification. Est-ce qu'une labellisation ou une certification protégée par l'INAO peut être contestée ? Si c'est le cas, par qui ? Existe-t-il une autorité supérieure à la vôtre ou concurrente de la vôtre qui serait responsable d'arbitrer ou de juger ces contentieux ?

M. Jean-Luc Dairien . - En termes de signes de qualité agroalimentaire, le ministre de l'agriculture dispose du monopole de la compétence qu'il délègue en gestion à l'INAO, ce qui garantit l'homogénéité de traitement des dossiers. En revanche, un autre établissement public est responsable des signes de qualité pour les produits artisanaux et industriels qui peuvent bénéficier depuis deux ans d'une indication géographique, pas d'une IGP ; cependant je dois avouer que nous sommes inquiets de constater que, dans ce domaine, la logique de marques commence à s'imposer. L'affaire des couteaux Laguiole, qui s'est heureusement bien terminée, en témoigne.

Les normes sanitaires et phytosanitaires sont quant à elles transversales et l'on ne peut y déroger au plan national qu'en étant plus exigeant encore que la norme européenne dès lors qu'il s'agit de santé publique, mais il n'appartient pas à l'INAO de vérifier ou de contrôler le respect de la réglementation de sécurité alimentaire. Nos collègues de la DGAL ont compétence sur les normes sanitaires et siègent également dans les comités européens qui préparent et participent à la construction du cadre communautaire.

M. Thierry Fabian . - La force du système français réside dans la capacité de l'INAO d'identifier adéquatement les produits en lien étroit avec la profession. Certaines contraintes qui peuvent être vues comme des handicaps, en particulier le fait pour les outre-mer de ne pas se trouver dans les conditions de production standard sur le plan international, peuvent devenir des atouts pour les producteurs qui veulent se différencier de la concurrence. C'est au moment de la construction du cahier des charges de l'AO ou de l'IG que l'on prend conscience de ce retournement. Par exemple, 98 % du rhum mondial est fabriqué à partir de mélasse. Or, le rhum agricole est fait à partir du jus de canne. C'est cette particularité qui est mise en valeur et devient un élément d'identification des rhums antillais sur le marché mondial.

M. Michel Magras, président . - En milieu insulaire, nous n'avons pas d'autre choix que de transformer nos handicaps en atouts. Les planteurs martiniquais ont su utiliser depuis longtemps l'AOC comme un outil performant de promotion internationale de leur rhum et s'installer sur des niches haut de gamme. Quel est l'avantage d'une protection par une AOC plutôt que par le droit classique des marques ?

M. Jean-Luc Dairien . - Une des différences majeures est que dans le cas d'une appellation ou d'une indication géographique, c'est la France et l'Union européenne qui se portent, comme puissance publique, à la défense des entreprises devant les tribunaux. Une entreprise qui défend sa marque doit en assumer seule la charge.

M. Michel Vergoz . - Qui peut vous solliciter ? Des producteurs particuliers ? Des coopératives ? Des chambres d'agriculture ? Des collectivités territoriales ? Votre institut est un lieu précieux que nous devons mobiliser davantage.

M. Jeanny Lorgeoux . - Êtes-vous consultés par la Commission européenne au cours des négociations d'accords de libre-échange qui peuvent toucher des productions sensibles des outre-mer ? Je pense, par exemple, aux sucres spéciaux qui étaient menacés par le traité commercial avec le Vietnam.

M. Jean-Luc Dairien . - Nous menons des expertises en tant qu'autorité compétente pour le compte de la représentation française à Bruxelles et nous sommes indirectement associés à la construction de la réglementation et aux négociations en participant à des comités techniques européens.

Nous sommes à l'écoute de tous les porteurs de projet qu'ils soient montés par des producteurs ou des coopératives. Bien souvent, nous sommes aussi approchés en amont par les chambres d'agriculture, par les acteurs économiques et politiques territoriaux, par les collectivités locales ou encore par les administrations déconcentrées qui peuvent tous nous signaler des produits intéressants qui mériteraient d'être protégés. Nous menons d'ailleurs de larges opérations de communication sur les concepts de signe de qualité pour que cette notion soit clairement comprise et que les parties prenantes puissent pleinement se les approprier.

Audition de ECOCERT France

M. Michel Magras, président . - Mme Sassé, vous êtes responsable des opérations de certification à ECOCERT France. Je vous laisse la parole pour une présentation de l'action de votre organisme, sur la base de la trame qui vous a été transmise.

Mme Valérie Sassé, responsable des opérations de certification d'ECOCERT France . - Nous avons été très honorés par votre invitation et vous en remercions. Personnellement, c'est la première fois que je viens au Sénat et je suis un peu impressionnée.

Créée en 1991 dans la région de Toulouse, l'entreprise privée ECOCERT est issue d'une association qui agissait en faveur de la sauvegarde de l'environnement et des générations futures. Nous avons fait nos premiers pas dans le cadre de la pépinière d'entreprises de l'école d'ingénieurs d'agriculture de Purpan. Nous avons commencé par créer des référentiels comme le « commerce équitable ». Nous nous sommes développés progressivement, en profitant du mouvement en faveur du bio.

En 2013, nous avons acquis l'entreprise IMOswiss AG (Suisse). Désormais, ECOCERT est un groupe subdivisé en plusieurs sociétés. Autour d'ECOCERT SA, il y a différentes filiales dont ECOCERT France SAS, filiale dédiée à la certification de l'agriculture biologique en France, ECOCERT Greenlife SAS, filiale dédiée à la certification des écoproduits (cosmétiques, textiles, détergents,...), ECOCERT Environnement SAS, filiale dédiée à l'activité de contrôle et de certification en matière de systèmes de management environnementaux et ECOCERT Expert Consulting pour le conseil et la formation. Cette dernière filiale a été créée en 2014 pour répondre à des demandes en respectant la règle qui ne permet pas à une entreprise qui fait de l'audit et de la certification de faire également du conseil.

ECOCERT est devenu le leader mondial de la certification en agriculture biologique. Nous sommes très spécialisés et ne travaillons que dans ce domaine ou sur des sujets connexes.

Le chiffre d'affaires du groupe ECOCERT, en constante augmentation depuis sa création, suit le développement du marché du bio. En 2014, il était de 43 millions d'euros, avec plus de 110 pays d'intervention. Le groupe emploie 800 collaborateurs. Il certifie 65 % du marché français du bio et 90 % pour ce qui relève des cosmétiques.

ECOCERT France emploie 200 salariés. 26 000 opérateurs ont été contrôlés en 2015. Chaque année, nous effectuons environ 2 000 prélèvements pour analyses. Nous avons le souci de garantir les filières. Un certificat ECOCERT doit apporter une garantie à celui qui achète à son fournisseur.

Le bureau Véritas, notre principal concurrent en France, a environ 60 000 collaborateurs mais certifie également des bâtiments, des cargaisons et bien d'autres choses encore.

Nous certifions des référentiels comme le référentiel bio européen. Nous faisons également de la certification de produits bio aux États-Unis, dans le cadre du National Organic Program (NOP), le programme de la Food and Drug Administration (FDA), en Chine, au Japon, au Canada ou au Brésil.

Nous créons des référentiels quand cela est nécessaire. Nous avons créé récemment le référentiel « en cuisine » qui certifie les bonnes pratiques dans les cantines ou les restaurants d'entreprises. Nous nous sommes également intéressés aux référentiels pour les cosmétiques biologiques, les textiles biologiques, les écoproduits, le commerce équitable, le climat, tout ce qui concerne la qualité/sécurité avec International Food Standard (IFS), British Retail Consortium (BRC) ou Global Gap .

Nous contrôlons également des cahiers des charges privés. Pour pouvoir vendre en bio, il faut au minimum respecter la réglementation européenne. Il y a de nombreux mouvements dans le domaine de l'agriculture biologique : les biodynamiques, ceux qui mettent l'accent sur la faible quantité de résidus de pesticides,... Tous ces courants cherchent à se démarquer du bio traditionnel en ajoutant une marque privée comme Déméter, Bioland, Naturland. Comme nous sommes très spécialisés, nous sommes au coeur de toutes les évolutions et les entreprises s'appuient sur notre compétence réglementaire.

Nous sommes un organisme de formation agréé pour faire des présentations, notamment dans les écoles.

Nous certifions également les papiers au travers de la certification PEFC, des espaces verts écologiques comme des golfs écodurables.

Nous sommes implantés dans 24 pays dont l'Afrique du Sud, l'Allemagne, le Brésil. La société est implantée en France mais quand un client français a eu besoin de certifications aux États-Unis, nous l'avons accompagné puis nous avons trouvé d'autres clients sur place. Il en a été de même au Canada ou à Madagascar.

Nous intervenons dans de nombreuses commissions. Nous faisons partie de l' International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM), de l'International Orthodox Christian Charities (IOCC), de SeBio. Nous portons la voix de l'agriculture biologique à chaque fois que cela est possible.

En France, nous entretenons des relations étroites avec l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) qui est, en quelque sorte, notre organisme de tutelle et nous agrée chaque année. Par ailleurs, le Comité français d'accréditation (Cofrac) nous accrédite. Nous avons besoin de cet agrément et de cette accréditation pour pouvoir faire du contrôle et de la certification biologique.

Nous avons construit dans le Gers un bâtiment à énergie positive, en paille et en bois, complètement écologique, qui doit être le plus grand d'Europe.

Nous portons des valeurs d'honnêteté, d'intégrité, d'impartialité et de transparence, de respect de l'individu. Nous sommes une petite entreprise, avec un esprit d'équipe, qui a fait le choix d'innover sans arrêt pour être compétitive.

Les textes de référence sont le règlement (CE) n° 834/2007 qui définit les principes généraux, le règlement (CE) n° 889/2008 d'application qui détaille les produits, les densités autorisées,... et nous est le plus utile, et un dernier règlement relatif aux importations. À cela s'ajoutent parfois des cahiers des charges français pour certains animaux non couverts par la règlementation européenne (lapins, escargots, autruches).

Dans le cadre de la règlementation européenne, nous certifions les produits bruts végétaux, les produits animaux de certaines espèces, les semences, les algues marines, les produits transformés, les levures et l'aquaculture.

Comme pour la chaîne du froid, il ne faut pas de rupture de certification entre le producteur, le distributeur, le transformateur et le grossiste. Ils doivent tous être contrôlés par un organisme tel que le nôtre. Les deux seules dispenses de contrôle et de notification concernent les magasins qui vendent des produits pré-emballés au consommateur final et les distributeurs de vrac qui ne dépassent pas les 10 000 euros d'achat en bio.

Vous nous avez interrogés sur le processus de certification. La personne qui souhaite faire du bio doit au préalable prendre contact avec un organisme de certification. Avant de lui faire une proposition de tarif, nous étudions sa demande car nous devons être sûrs, au préalable, de pouvoir proposer une prestation de certification. Les cailles ou les insectes pour l'alimentation humaine, par exemple, ne sont ni couverts par la réglementation européenne ni par la règlementation française. Ils ne peuvent pas être certifiés en bio. Une fois que la personne nous a renvoyé son devis signé, avec le contrat et l'engagement, un auditeur va évaluer, sur le terrain, l'entreprise ou le producteur pour vérifier s'il respecte bien tous les points de la règlementation. Cette étape est très importante. Nous allons sur le terrain une ou deux fois par an. En évaluation, ce sont les blancs éventuels ou les incohérences du dossier qui sont recherchés. Le fait qu'un producteur qui a semé du blé ne puisse pas produire de facture pour les semences est considéré comme un manquement.

En audit, on vérifie que nous avons bien tous les éléments. La procédure est simple : une réunion d'ouverture nous permet d'expliquer ce que nous allons faire ; une évaluation documentaire est réalisée à partir de la comptabilité, des factures, des contrôles des flux ; suit une visite sur site. En réunion de clôture, nous relevons les éventuels manquements. La grille des manquements, commune à tous les organismes français de certification, est établie par l'INAO. Depuis 2011, pour chaque manquement, la mesure prise chez nous, chez Véritas ou Agrocert sera identique.

Quand l'audit a eu lieu, le rapport est transmis au siège d'ECOCERT au sein duquel d'autres personnes revoient le dossier. Les personnes qui effectuent la certification doivent être différentes de celles qui effectuent les contrôles. Elles ne refont pas l'audit mais vérifient que tout a été pris en compte, qu'il n'y a pas d'erreurs ou d'incohérences. Le certificat émis est consultable en ligne sur notre site internet.

Vous avez souhaité que nous vous donnions des précisions sur les différences éventuelles entre les produits importés certifiés en Europe ou dans les pays tiers. Je peux vous rassurer sur ce point car les procédures sont bien encadrées par le règlement (CE) n° 1235/2008.

Deux cas de figures peuvent se produire. Quand le pays tiers est reconnu équivalent par l'Union européenne, nous n'intervenons pas. Nous avons une liste positive de pays qui comprend notamment l'Argentine, l'Australie, le Canada, le Costa-Rica ou les États-Unis. L'Europe a considéré que leurs cahiers des charges et le nôtre étaient équivalents et que nous pouvions importer ou exporter mutuellement. À chaque pays correspondent des organismes de certification accrédités qui possèdent leurs propres référentiels. Il y en a assez peu. Quand le produit arrive en Europe, nous vérifions qu'il possède bien le certificat d'inspection. Ce certificat est valable pour la transaction, par exemple X kilogrammes de bananes, pour tel jour, tel bateau, tel conteneur. Il est tamponné par l'organisme de certification et doit être cohérent avec les factures. Il n'y a pas d'importation sans contrôle. L'opérateur qui importe en Europe doit être contrôlé et certifié. C'est obligatoire et non rétroactif. La certification d'un produit importé il y a six mois est impossible.

L'autre cas est celui des organismes de contrôle dont le cahier des charges privé est reconnu équivalent au cahier des charges européen. Une liste de ces organismes, dont nous faisons partie, a été définie. Là aussi, c'est l'Europe qui décide.

La certification n'est pas directement issue de la règlementation européenne car celle-ci fait référence aux « autorités compétentes ». En France, l'autorité compétente, identifiée, est l'INAO. Quand nous recevons des demandes de dérogations de nos opérateurs, et même si nous donnons notre avis au préalable, nous nous retournons vers l'INAO qui délivre l'autorisation. Dans certains pays tiers, il n'y a pas d'autorité compétente. Le règlement européen ne peut donc pas s'appliquer littéralement. La solution trouvée a consisté à demander aux organismes de produire un cahier des charges. Celui-ci est alors reconnu équivalent aux cahiers des charges européens.

Notre cahier des charges privé, intitulé EOS ( Ecocert Organic Standard ), est reconnu par environ 80 pays. On peut importer de 80 pays si les contrôles ont été faits localement avec des certificats validés.

Pareillement, lors de l'exportation, il faut que nous ayons tamponné le certificat d'inspection avec tous les éléments. Ce certificat est valable pour une seule transaction ; il doit être demandé à chaque fois.

Si un produit importé d'un pays tiers est certifié en France, c'est qu'il a été produit de la même façon. Il peut toutefois y avoir de petits décalages qui ne sont pas dus à la règlementation européenne mais à l'entrechoquement de deux réglementations différentes, la bio et la générale. La problématique du banol est typique de la distorsion de concurrence. La règlementation européenne autorise les huiles minérales comme pratique bio mais la règlementation française interdit l'épandage de ce produit sur les cultures, qu'elles soient bio ou classiques. Si cette interdiction n'existe pas dans un autre pays, la certification bio y sera accordée ! Il en est de même pour l'utilisation du sulfate de cuivre, utilisé en agriculture biologique. Comme la réglementation générale est différente entre les pays, des produits peuvent être autorisés dans l'un et interdits dans l'autre.

M. Michel Magras, président . - Vous avez évoqué le fait que vous étiez impressionnée d'être accueillie au Sénat. De petite taille au départ, l'entreprise que vous représentez est devenue très grande en sachant diversifier ses compétences, ses moyens et domaines d'intervention. Nous sommes à notre tour impressionnés par l'étendue géographique de vos prestations et sommes fiers de vous accueillir et de vous écouter parler de votre implication et des valeurs que vous portez.

J'aimerais vous entendre sur l'outre-mer français. Les textes européens s'appliquent de manière systématique dans les régions ultrapériphériques. Ce n'est pas le cas dans les collectivités d'outre-mer, dotées de l'autonomie. Pourriez-vous nous préciser vos interventions selon la nature des territoires ?

Mme Valérie Sassé . - Pour la certification, il n'y a pas de différence entre la métropole et les départements d'outre-mer. Nous certifions environ 230 clients dans les départements d'outre-mer. Ce chiffre est relativement faible au regard de nos 25 500 à 26 000 clients. Ce n'est pas facile car la réglementation européenne n'a pas été rédigée par des gens qui produisent de la banane ou de la canne à sucre. Il manque sans doute des éléments pour que le système soit viable sur le terrain.

Les collectivités d'outre-mer sont considérées comme des pays tiers. Cependant, l'importation est parfois facilitée. Les documents douaniers peuvent ne pas être les mêmes. Mais cela n'est pas spécifique au bio. Nos clients dans les collectivités d'outre-mer sont moins nombreux encore que dans les départements d'outre-mer. C'est une petite activité chez nous qui a du mal à se faire entendre au niveau des instances ou des associations. Le cahier des charges n'est pas très adapté à des cultures qui auraient peut-être eu besoin d'autres produits que ceux qui sont listés.

Nous regardons sous quel cahier des charges nous allons procéder au contrôle et à la certification. Si le produit arrive des départements d'outre-mer, la règlementation européenne s'applique et ECOCERT France intervient. S'il arrive des collectivités d'outre-mer, EOS s'applique et c'est ECOCERT SA qui intervient.

Vous aviez posé la question de la pollution des sols par le chlordécone. Nous travaillons beaucoup en analyse de risque. Outre-mer, le chlordécone est un risque majeur. On ne peut pas certifier des cultures racines sur des sols qui auraient été pollués. Cela s'applique également à l'agriculture conventionnelle. On le vérifie doublement. Nous sommes obligés d'attendre que la personne nous ait envoyé ses analyses de terre avant d'envisager une certification.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Y a-t-il un cahier des charges particulier pour les sols ?

Mme Valérie Sassé . - Non. Le principe est de respecter la règlementation générale. Il faut vérifier, c'est notre rôle, mais nous n'allons pas plus loin. Ensuite, nous faisons des analyses sur les substances à risque pour vérifier qu'il n'y en a pas.

M. Michel Magras, président . - La dépollution d'un sol peut prendre un grand nombre d'années. La terre est-elle condamnée pour toute cette période ? Une analyse fine du produit cultivé sur ce sol ne permet-elle pas d'affirmer que le produit ne présente aucun danger pour la santé humaine et que, de ce fait, il peut être certifié ?

Mme Valérie Sassé . - Le chlordécone est un exemple de pollution mais, en France, il y a des sols pollués par d'autres produits. En dehors des Antilles où nous l'exigeons au départ, nous faisons assez peu d'analyse de terre. Ce qui est significatif, c'est l'analyse du produit afin de vérifier s'il est sain pour le consommateur. Le contaminant peut ne pas passer dans le produit, les pollutions être diverses et variées. C'est la réglementation générale qui définit si le sol est cultivable. On ne certifie pas les décharges publiques. Nos analyses, environ 2 000 par an, privilégient les analyses de produits finis, sauf pour vérifier la présence d'un éventuel traitement. Dans ce cas, nous effectuons des analyses sur des rameaux ou des adventices afin de contrôler la présence d'un herbicide ou d'un traitement assez peu rémanent et pour lequel il faut intervenir au bon moment.

M. Serge Larcher . - Autrement dit, sur une terre polluée des Antilles, on procédera à des vérifications pour les cucurbitacées mais les bananes pourraient être certifiées.

Mme Valérie Sassé . - Tout à fait. Aux Antilles, tout ce qui est légume racine est très encadré.

M. Maurice Antiste . - Disposez-vous un pouvoir de coercition ou de sanction ? Avez-vous déjà commis des erreurs ?

Mme Valérie Sassé . - Nous avons un pouvoir de sanction au travers de la grille de l'INAO qui prévoit, pour chaque manquement, une mesure. Elle peut être une demande d'action corrective, un avertissement, un déclassement de lot ou de parcelle, une suspension de certification ou d'habilitation, ou un retrait d'habilitation. Cette sanction est la plus grave. La personne ne peut plus vendre en bio, ne sera plus jamais certifiée. Le contrat avec nous est rompu.

Comme tout le monde, nous pouvons commettre des erreurs. Nous changeons régulièrement nos pratiques pour nous adapter à de nouvelles contraintes et nous améliorer. Dernièrement, le scandale des abattoirs nous a conduits à revoir notre façon de faire des audits. Nous serons plus présents et ferons plus de contrôle. L'analyse est un domaine dans lequel des erreurs peuvent être commises car elle donne lieu à interprétation. Nous avons pu déclasser ou certifier à tort, mais nous essayons de faire en sorte que cela se produise le moins possible.

M. Michel Magras, président . - L'Union européenne favorise la signature d'accords de libre-échange avec le monde entier. Des accords sur la banane ont été signés avec l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud et l'Afrique du Sud, d'autres, sur le sucre, avec le Vietnam. Êtes-vous associés aux études d'impact qui devraient précéder la signature de ces accords ?

Mme Valérie Sassé . - Nous ne sommes partie prenante que si cela concerne le bio. Le futur règlement européen est au stade du trilogue. Des choses vont se négocier au niveau de ce nouveau règlement européen. Par le biais des instances où nous siégeons, l'IFOAM, l'IOCC, nous avons pris position, par exemple sur le fait qu'un seul contrôle tous les trois ans nous semblait dangereux.

M. Michel Magras, président . - Avez-vous des indicateurs sur l'avenir du bio dans les outre-mer ?

Mme Valérie Sassé . - Le phénomène de progression du bio est assez généralisé. Le marché est tiré par la consommation. En outre-mer, il y a eu tellement de scandales de pollution que les gens sont attentifs à leur consommation. Cependant, il y a peu de filières très organisées. En métropole, un auditeur est présent en permanence dans chaque région. Dans les outre-mer, nous n'avons pas quelqu'un sur place tout le temps car il n'y a pas assez de clients à certifier. Il peut se passer deux ou trois mois sans que nous soyons présents. Dès qu'il y aura suffisamment de clients, nous mettrons quelqu'un à demeure sur place. Je suis optimiste.

M. Jacques Gillot, rapporteur - Quel est votre regard sur le bio français ou européen par rapport à celui des pays tiers ?

Mme Valérie Sassé . - Comme je vous l'ai indiqué précédemment, il y a une équivalence pour les importations. Il n'y a pas de différence. Il peut y avoir des cahiers des charges nationaux qui ne sont pas reconnus. Là, nous n'avons pas de jugement à donner.

M. Jacques Gillot, rapporteur - Nous avons entendu dire que le bio de certains pays tiers ne correspondait pas à nos normes.

Mme Valérie Sassé . - Si le produit rentre en Europe, il devrait être de même qualité. Nous sommes en relations étroites avec les autres organismes de certification. Quand nous avons un doute sur un produit, nous nous adressons à l'organisme chargé du contrôle sur place et qui l'a certifié. S'il ne répond pas dans les trois mois, le produit est déclassé. Nous savons que si un organisme de contrôle n'est pas aussi performant qu'un autre, c'est toute la filière qui en pâtira.

Mme Gisèle Jourda . - Je souhaitais vous demander s'il y avait une corrélation entre les différents organismes certificateurs dans le domaine du bio mais vous avez répondu par anticipation à ma question.

Vos premiers clients aux États-Unis vous ont amenés à essaimer dans ce pays. En outre-mer, vous avez indiqué que vous aviez 230 clients. Avez-vous la même politique offensive de développement pour susciter une demande de votre clientèle potentielle ?

Mme Valérie Sassé . - Nous sommes partagés dans notre démarche car nous sommes attentifs à ne pas casser la dynamique des organismes de développement agricole avec lesquels nous avons noué des partenariats. Nous ne prenons pas l'initiative mais quand il est utile de proposer du temps humain pour monter une filière, nous montrons notre disponibilité. Enfin, il nous faut également tenir compte de la petite taille de ce marché. Une intervention est gourmande en énergie et, si nous disposons de nombreux collaborateurs, ils sont déjà bien occupés par la croissance qui nous tire et nous oblige à recruter.

M. Michel Magras, président . - On ne décide pas de faire du bio tout seul et on ne peut pas se passer de la certification. Avez-vous un système d'alerte pour vous prévenir en cas d'anomalie ?

Mme Valérie Sassé . - Nous avons une procédure de dénonciation des faux producteurs bio. Nous pouvons être alertés par des personnes du voisinage. Nous pouvons également dénoncer de nous-mêmes ces producteurs auprès du service des fraudes. Si les producteurs sont certifiés par nous, nous lançons une investigation. Si le fraudeur n'est pas certifié, nous ne pouvons rien faire à notre niveau et nous prévenons les autorités.

M. Maurice Antiste . - Pourriez-vous nous adresser de la documentation ?

Mme Valérie Sassé . - Comme nous sommes attentifs à l'environnement, je suis venue sans document imprimé mais je vous ferai parvenir ma présentation et des guides sous une forme informatique.

Vous m'aviez demandé des précisions sur les perspectives de développement du label équitable. Je me suis renseignée auprès de mon collègue de la Fédération Européenne des Associations de Conseil en Ingénierie (EFCA). Il m'a indiqué qu'il n'y avait pas aujourd'hui de filière sur l'équitable en outre-mer. Par contre, chaque fois qu'il y a un enjeu de territoire de culture et de bio, l'équitable est intéressant. Quand la banane de Guadeloupe est plus chère que celle de la République dominicaine pour des raisons de coût de la main d'oeuvre, le référentiel ESR (Équitable, Solidaire et Responsable) vient témoigner du respect de l'homme et de ses conditions de travail, ce qui s'ajoute au fait que ce soit un produit bio. Bio, ESR et outre-mer sont compatibles.

Je suis enchantée d'avoir participé à cette audition et j'espère qu'elle contribuera à faire avancer la cause des outre-mer.

M. Michel Magras, président . - Il me reste à vous remercier pour ce moment d'échange fort intéressant. Votre audition nourrira le rapport d'information qui devrait être publié avant la fin du mois de juillet et nous espérons que nos recommandations permettront d'avancer, y compris dans le domaine du bio. Vous serez bien évidemment destinataire d'un exemplaire de ce rapport.

Jeudi 12 mai 2016
Audition des services du Gouvernement en charge de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, de la chambre d'agriculture et de l'établissement de régulation des prix agricoles (ERPA), de Nouvelle-Calédonie

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la présence parmi nous des auditeurs de la première promotion de l'Institut du Sénat à qui je souhaite la bienvenue, en espérant que nos travaux retiendront leur intérêt.

Notre délégation sénatoriale à l'outre-mer a pour objectif de contribuer à une meilleure connaissance et à une véritable prise en compte des spécificités des outre-mer. À cet effet, elle organise régulièrement des évènements conduisant à la publication d'actes, produit des résolutions européennes et conduit des études sur des sujets transversaux qui excèdent les champs de compétence des commissions permanentes spécifiques. Notre délégation entend ainsi améliorer la visibilité de nos outre-mer dans l'Hexagone et à Bruxelles et éclairer en amont les processus normatifs. Elle mène actuellement deux études en parallèle sur des sujets de première importance pour nos outre-mer que sont :

- la question du foncier, sur laquelle un premier rapport relatif à la gestion du domaine de l'État dans les outre-mer a été rédigé tandis qu'un deuxième volet, traitant plus spécifiquement de la problématique du titre de propriété et de la conciliation du droit civil et des droits coutumiers, est en cours d'instruction ;

- la question des normes applicables outre-mer, dont notre délégation s'est saisie en coordination avec le chantier ouvert par le Sénat sur la simplification normative, ciblant comme premier domaine d'investigation le secteur de l'agriculture.

Ce dernier sujet nous réunit aujourd'hui en présence d'Éric Doligé, sénateur du Loiret, rapporteur coordonnateur pour l'ensemble de l'étude sur les normes, et de Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne, rapporteur sur le volet agricole. Notre collègue Jacques Gillot, sénateur de Guadeloupe et co-rapporteur, est retenu chez lui ; nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

Nous avons déjà effectué de nombreuses auditions sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables au secteur de l'agriculture dans les outre-mer dont nous poursuivons le déroulement ce matin en dialoguant avec la Nouvelle-Calédonie. Je vous rappelle que nous avons tenu des visioconférences sur ces questions avec les acteurs de la filière canne de La Réunion et ceux du secteur de l'aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous échangerons en outre cet après-midi avec les producteurs des filières végétales et animales de Guadeloupe.

Je remercie en notre nom collectif nos interlocuteurs de Nouvelle-Calédonie qui représentent le gouvernement calédonien, la chambre d'agriculture et l'établissement de régulation des prix agricoles, de se rendre disponibles dans le prolongement de leur journée de travail, puisque Nouméa a neuf heures d'avance sur Paris.

Mesdames, messieurs, une trame vous a été adressée pour servir de fil conducteur à notre entretien et vous informer des nombreuses questions sur lesquelles nos rapporteurs souhaiteraient recueillir des éléments de réponse.

M. François Mademba-Sy, conseiller agricole du Président de Nouvelle-Calédonie . - Avez-vous reçu le document envoyé par le service d'inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire (SIVAP) qui relate les éléments de réponse au questionnaire envoyé ?

M. Michel Magras , président . - Oui. Par ailleurs, à l'issue du débat, toute information complémentaire sera bienvenue.

Mme Valérie Campos, chef du service d'inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire (SIVAP) . - La Calédonie a une compétence sur les normes relatives à l'agriculture depuis la loi organique de 1999. La direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales est en charge de ce secteur, avec le SIVAP qui s'occupe des règlementations concernant les domaines zoo- et phytosanitaires.

Ce service est composé de 60 personnes et cumule les rôles d'administration centrale et de service déconcentré, si bien qu'il intervient à la fois au niveau stratégique et au niveau opérationnel. Cette difficulté de se situer au niveau stratégique pour l'élaboration des normes tout en étant plongé au quotidien dans l'opérationnel avait été soulignée par la mission d'évaluation des services vétérinaires, diligentée par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) fin 2014. Un équilibre doit être trouvé entre la mise à jour ou la création de normes et les défis quotidiens.

Les normes constituant le cadre juridique, détaillées dans le dossier, s'adossent au système européen, notamment pour la protection du consommateur, car il présente aujourd'hui les meilleures garanties. Néanmoins, notre environnement atypique, où la culture de l'agro-sécurité est prégnante sous l'impulsion de nos voisins australiens et néozélandais, impose un compromis entre ces deux systèmes.

M. Frédéric Gimat, chef du pôle Biosécurité au SIVAP . - La Nouvelle-Calédonie étant compétente en matière de réglementation zoo- et phytosanitaire depuis l'adoption de la loi organique statutaire de 1999, la Nouvelle-Calédonie a fait le choix d'un système allant vers la protection optimale des consommateurs et de l'environnement en suivant un modèle de biosécurité qui s'appuie plus ou moins sur les dispositions en vigueur dans la région de l'Océanie-Pacifique, marquée par les chefs de file australien et néozélandais.

La mise en place de ce double système pose la problématique des normes et des variables d'ajustement, caractéristiques de la Nouvelle-Calédonie. Le débat public, à l'heure actuelle, se concentre sur la qualité des denrées par rapport aux substances actives pouvant être contenues dans les produits phytopharmaceutiques autorisés en Nouvelle-Calédonie, aux limites maximales de résidus ou encore aux hormones contenues dans la viande bovine ou du mercure dans les poissons pélagiques. Un point d'équilibre doit constamment être trouvé.

Les articles 4 et 22 de la loi organique donnent compétence à la Nouvelle-Calédonie sur les problématiques zoo- et phytosanitaires, sur les abattoirs ainsi que sur les contrôles sanitaires, également aux frontières. La règlementation a été adoptée dans ses grands principes mais nécessite d'être peaufinée. La pierre angulaire du dispositif est une règlementation sur la biosécurité aux frontières internationales, votée par le Congrès calédonien en décembre 2012. Plusieurs années ont été nécessaires pour la publication d'un premier texte d'application sur les conditions d'entrée des produits à risques végétaux et animaux. Cette délibération ne traite toutefois pas des exportations et ne prévoit aucune sanction pénale. Bien que d'autres arrêtés doivent encore la compléter, les services parviennent à fonctionner.

Certains aspects ne sont pas ou sont peu couverts par la règlementation, notamment les engrais et les matières fertilisantes, dans un contexte où les provinces calédoniennes, en charge des problématiques de développement agricole et d'environnement, souhaitent par exemple favoriser la fabrication de compost à base de déchets verts abondants en milieu tropical. Cette valorisation peut être complexifiée par les fortes teneurs en nickel ou en cuivre non admises par les normes françaises ou européennes. Le contrôle des établissements de production de végétaux, les pépinières, n'est également pas encore couvert par une règlementation spécifique.

La Nouvelle-Calédonie ne dispose pas de réseaux d'épidémio-surveillance et mobilise donc des structures partenaires, notamment les réseaux des groupements de défense sanitaires (GDS) issus des commissions de la chambre d'agriculture. Néanmoins, aucun dispositif n'est prévu au niveau règlementaire.

La Nouvelle-Calédonie a opté pour un contrôle strict des importations pour la protection zoo- et phytosanitaire mais des progrès restent à réaliser en matière de règlementation. En particulier, les pouvoirs des agents et les sanctions prévues ne sont pas en cohérence avec l'ambitieuse politique de biosécurité que promeut la Nouvelle-Calédonie, contrairement à l'Australie, par exemple, qui applique de fortes amendes (environ 200 dollars australiens, soit 150 euros) lors de tout franchissement de sa frontière avec des objets et des matières en infraction avec sa règlementation zoo- et phytosanitaire.

Mme Valérie Campos . - Les normes zoo- et phytosanitaires calédoniennes sont majoritairement inspirées des recommandations de l'OIE et de la Convention internationale sur la protection des végétaux (CIPV). Pour certaines pathologies qui n'affectent pas à ce jour la Nouvelle-Calédonie, comme le syndrome dysgénésique et respiratoire porcin (SDRP), des exigences supérieures à celles applicables au sein de l'Union européenne (UE) ont été mises en place. L'interdiction d'importer de la viande crue porcine vise à éviter d'introduire cette pathologie en Nouvelle-Calédonie où l'absence de règlementation sur le traitement des eaux grasses et certaines pratiques d'élevage, telle que le manger-cochon, pourraient favoriser la propagation rapide de la maladie au sein des élevages.

M. Frédéric Gimat . - S'agissant de la protection des végétaux, la Nouvelle-Calédonie n'est pas signataire de la CIPV. Membre de l'organisation régionale Pacific Plant Protection Organization (PPPO), elle applique des mesures sanitaires internationales dans la mesure de ses possibilités et des compétences dont elle peut disposer.

Ces normes régionales peuvent en outre différer des normes internationales, comme en attestent les débats actuels portés par l'Australie et la Nouvelle-Zélande sur la mise en place de normes régionales sur le contrôle des conteneurs, eu égard au report en 2017 d'une telle réglementation au niveau international.

Mme Valérie Campos . - Dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, les normes des règlements européens « Paquet Hygiène » ont été globalement retranscrites en droit local.

M. Frédéric Gimat . - En ce qui concerne la biosécurité, la notion dominante adoptée est celle du continuum , avec un système de protection stricte aux frontières. Une action préventive est en effet moins onéreuse que la lutte contre les maladies et d'éradication de ravageurs qui seraient parvenus à pénétrer sur le territoire.

Ce dispositif, qui s'inspire fortement des systèmes australiens et néozélandais, concerne les marchandises mais aussi les vecteurs qui les transportent. Toutes les marchandises potentiellement à risques, les appareils les transportant (avions, navires, conteneurs, véhicules, etc.) ainsi que les lieux par lesquels elles transitent (ports, aéroports) sont inspectés. Les investigations sont à la fois documentaires et physiques in situ .

Ces marchandises considérées comme à risque sont listées par la règlementation mais rien n'interdit d'inspecter d'autres types de marchandises qui pourraient paraître de prime abord anodines (poteries, pneus, etc.).

À la différence de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie n'externalise pas les contrôles. Pour la Nouvelle-Zélande, des agents sont présents dans les pays exportateurs pour inspecter la marchandise avant son départ, ce qui est moins coûteux pour l'État et pour l'industrie.

Il est difficile d'avoir une réponse tranchée sur la question de savoir dans quelle mesure et pour quelles productions les normes sanitaires et phytosanitaires calédoniennes sont plus exigeantes ou plus souples que les normes européennes et australiennes, puisqu'elle implique une connaissance des normes de tous ces pays. En outre, les normes européennes sont relativement compliquées mais d'une manière générale, les normes calédoniennes en matière zoo- et phytosanitaire sont plus strictes que les normes européennes et moins contraignantes que celles appliquées en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Par exemple, l'importation de certaines espèces reproductives, telles que les porcs, est interdite. La charcuterie française également, de même les crustacés vivants, notamment les crevettes crues, en raison d'une filière aquacole qui emploie un millier de personnes et constitue la principale filière d'exportation aquacole. La Nouvelle-Calédonie est indemne de nombreuses maladies et entend pérenniser cette situation en exerçant une stricte vigilance sur les importations et en refusant les certifications de certains pays tiers. L'importation de certains fruits et légumes n'est pas autorisée si les études de risques n'ont pas été réalisées. C'est le cas de la banane, dont la filière est relativement développée, et, comme culture vivrière, appartient à un modèle social à protéger. Des espèces végétales sont considérées comme envahissantes tandis que certaines espèces animales ne sont pas présentes en Nouvelle-Calédonie. L'introduction d'espèces comme les nouveaux animaux de compagnie (NAC), tels que la belette, aurait un impact trop important en matière environnementale pour être autorisée.

250 000 plantes entrent chaque année en Nouvelle-Calédonie, dont 70 000 à 80 000 plantes ornementales. Sur ces dernières, le taux d'interception lors des contrôles physiques s'établit à 70 à 80 %. L'importation de matériels reproductifs, tels que les fruitiers et les bananiers, est interdite mais elle peut être exceptionnellement autorisée sur arrêté du gouvernement lorsque ces plantes sont destinées à la recherche, les structures concernées disposant des moyens pour détecter d'éventuelles maladies.

En matière zoo-sanitaire, sont imposées une pré-quarantaine au départ et une quarantaine à l'arrivée. En revanche, aucune quarantaine végétale n'est prévue. Son instauration nécessiterait des moyens importants qui n'ont pas encore été mis en oeuvre. Ce dispositif existe en Australie et en Nouvelle-Zélande, où des essais générationnels sont effectués sur les semences importées.

M. Éric Doligé , rapporteur coordonnateur . - S'agissant de l'insuffisance des pouvoirs des agents et du défaut de sanctions, des textes sont-ils en préparation pour remédier à cette situation et garantir l'application des règlementations sanitaires et phytosanitaires ?

Par ailleurs, il semble que certaines restrictions imposées servent une forme de protectionnisme au bénéfice des productions locales.

Mme Catherine Procaccia , rapporteur . - Comment parvenez-vous à combiner deux types de normes européennes et pacifiques, traditionnellement présentées comme étant incompatibles ?

Concernant les bananes, la Nouvelle-Calédonie est-elle exempte de la cercosporiose ?

Vous vous référez, en matière de contrôle aux frontières, à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande, mais la Nouvelle-Calédonie s'est-elle dotée de chiens qui reniflent les bagages et vêtements des voyageurs lors du passage à la douane ? En effet, les introductions interdites peuvent être le fait d'individus.

Vous n'avez pas évoqué le Vanuatu, proche de la Nouvelle-Calédonie. D'après des souvenirs personnels, les Calédoniens s'y rendent fréquemment le week-end et en rapportent de la viande. Or, aucun problème ne semble avoir jamais résulté de ces pratiques. Des normes ou contrôles spécifiques régissent-ils ces pratiques qui pourraient générer des problèmes phytosanitaires ?

Mme Valérie Campos . - La plupart des délibérations prévoient des sanctions mais le parquet ne poursuit pas toujours ces infractions qui peuvent paraître moins prioritaires que d'autres. Pour faciliter le traitement des infractions, un droit de transaction pénale va être aménagé. Ce texte, qui sera voté au Congrès la semaine prochaine, constituera une avancée.

S'agissant de la compatibilité des différents systèmes de normes, l'exemple de l'utilisation des produits pharmaceutiques à usage agricole est éloquent : le dispositif en cours de modernisation reposera sur un formalisme simplifié pour les produits en provenance d'Europe et laissera la possibilité d'homologuer localement des produits en provenance de pays inscrits sur une liste tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada. Pour ces derniers produits, l'étude du dossier nécessitera l'approbation d'un comité consultatif local constitué de représentants de la direction de la santé, de la direction du travail, des organisations agricoles, du monde de la recherche et d'associations environnementales et de protection du consommateur.

Concernant le contrôle aux frontières, y compris la quarantaine animale, la moitié des 60 agents du SIPAV y sont affectés comme agents de contrôle. Deux chiens détecteurs interviennent à l'aéroport et deux autres sont dédiés à l'inspection des voies maritimes et postales. Ces derniers sont majoritairement en charge de l'inspection des colis postaux et, de manière ponctuelle, des navires et bateaux de croisière. Un chien remplace environ 30 agents.

Par ailleurs, l'Australie et la Nouvelle-Zélande constituent des références en termes de normes, de contrôles et de biosécurité. La Nouvelle-Calédonie effectue également de nombreux échanges avec la Vanuatu, dont la viande de boeuf est autorisée si elle provient d'abattoirs homologués par le pays, comme doit en attester le certificat sanitaire.

M. Frédéric Gimat . - La cercosporiose est présente en Nouvelle-Calédonie. Néanmoins, d'autres maladies et bactéries, absentes du territoire, peuvent attaquer la banane et pourraient devenir problématiques.

Mme Valérie Campos . - Des réflexions sont en permanence menées sur le positionnement du curseur normatif en matière d'importations et il faut tenir compte de l'ensemble du cadre règlementaire. Ainsi, pour la viande porcine, la probabilité d'introduire le SDRP peut paraître faible, mais le calcul du risque doit tenir compte de l'absence de règlementation calédonnienne sur les eaux grasses. Le risque est estimé suffisamment élevé pour maintenir cette interdiction d'importation de produits considérés comme à risque mais l'analyse du risque évolue, au gré notamment des contraintes économiques. La règlementation est évolutive, les contraintes d'importation étant fixées par voie d'arrêté.

M. François Mademba-Sy . - Le contexte agricole néo-calédonien se caractérise par un taux de couverture de la consommation par la production locale de l'ordre de seulement 15 %. Depuis deux ans, un plan d'action pluriannuel, initié par la Province Sud au travers d'une large consultation, vise à améliorer ce taux de couverture par la diversification de l'économie calédonienne. On ne peut parler de protectionnisme puisque 85 % de ce qui est consommé est importé.

Mme Catherine Procaccia , rapporteur . - Comme pour la charcuterie, la Nouvelle-Calédonie s'est-elle dotée d'une règlementation particulière pour le fromage, notamment le fromage au lait cru ?

M. Frédéric Gimat . - Les importations commerciales de fromage doivent être accompagnées d'un document certifié par un vétérinaire français et la marchandise introduite par un particulier est systématiquement saisie. Il en est de même pour les boîtes de conserve.

M. Michel Magras , président . - La question des contrôles a été bien abordée. Sur les 250 000 plantes vivantes importées chaque année, le contrôle est-il effectué uniquement sur la base de documents fournis (certificats phytosanitaire, etc.) ou bien une vérification concrète sur place est-elle réalisée ?

M. Frédéric Gimat . - Le contrôle des plantes est documentaire et physique, permettant de s'assurer que les conditions sont remplies par les pays tiers et de vérifier l'absence d'organismes vivants. Ce contrôle est réalisé à l'arrivée en Nouvelle-Calédonie, avant le dédouanement des marchandises.

M. Clément Gandet, directeur technique de la chambre d'agriculture de Nouvelle-Calédonie . - Pour ce qui est de la perception des contraintes normatives par le monde agricole calédonien, notamment par rapport aux pays de l'environnement régional comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, la situation s'avère globalement contrastée.

Le producteur calédonien, à l'instar de son homologue métropolitain, a tendance à se plaindre des normes et des réglementations. Sur la réglementation relative à l'utilisation des produits phytosanitaires, la crainte des agriculteurs est de ne pouvoir faire usage de produits qui seraient utilisés par nos voisins et leur permettraient de produire davantage ou à bas prix. Or, les produits aujourd'hui mis à disposition des agriculteurs couvrent quasiment tous leurs besoins au niveau des usages. Possibilité est également donnée d'utiliser des produits interdits en Europe, notamment les produits à base d'extraits de plantes. La phytopharmacie de l'agriculteur lui permet de lutter contre la plupart des ravageurs.

Les agriculteurs souhaitent qu'un produit considéré comme dangereux ou nocif pour la santé du consommateur soit interdit d'utilisation en Nouvelle-Calédonie et que les produits d'importation soient totalement exempts d'éventuels résidus de ce produit.

Est également constatée une volonté forte des agriculteurs, notamment dans le domaine de l'horticulture ornementale, d'avoir une règlementation stricte sur l'introduction de plantes vertes et de matériel végétal.

Globalement, l'agriculteur calédonien s'avère demandeur d'une réglementation qui protège le statut sanitaire du territoire, avec notamment des contrôles stricts aux frontières et à l'importation, permettant de limiter la présence de ravageurs.

Mme Valérie Campos . - Les procédures d'homologation phytosanitaire ont déjà été évoquées. Je vais vous donner quelques exemples concrets de limites maximales de résidus et de normes d'abattages, de gestion des déchets animaux, de vaccinations.

Les normes d'abattage calédoniennes sont relativement simples, excepté pour les espèces exportées vers l'UE telle que la viande de cerf. À l'instar de l'ancien modèle utilisé en métropole, une inspection post-mortem est systématique mais l'inspection ante mortem ne l'est pas, hormis pour les espèces exportées. Du fait du statut sanitaire excellent de la Nouvelle-Calédonie par rapport aux principales pathologies, les évaluateurs de l'OIE ne se sont pas émus de la simplicité de ces procédures.

S'agissant de la gestion des déchets, aucune structure d'équarrissage n'est présente sur le territoire. L'élevage est extensif. Pour les filières hors-sol comme la volaille et le porc, les animaux sont enfouis dans des fosses avec de la chaux ou sont récupérés par une société d'incinération.

Enfin, aucune vaccination n'est obligatoire, excepté pour certains regroupements d'animaux comme les chevaux, en raison du statut sanitaire exceptionnel de la Nouvelle-Calédonie.

M. Michel Magras , président . - Les produits calédoniens sont-ils appréciés dans la zone Pacifique et concurrentiels ?

M. Frédéric Gimat . - Les exportations sur la zone Pacifique sont à l'heure actuelle limitées : le squash, une cucurbitacée, et la lime vers la Nouvelle-Zélande, plusieurs produits animaux vers le Japon et le début d'une exportation de boîtes de conserve de viande de porc vers l'Australie.

Bien que les quantités ne soient pas significatives, les infrastructures sont auditées tous les deux ans par une mission néo-zélandaise. Les produits calédoniens sont relativement bien perçus en termes de qualité. Il s'agit de marchés de niche où la Nouvelle-Calédonie se trouve en compétition avec d'autres îles de la zone Pacifique (Tonga, Fidji, Vanuatu). Or, la production calédonienne demeure relativement chère, du fait des coûts de main d'oeuvre.

M. Clément Gandet . - L'essentiel de l'agriculture calédonienne est aujourd'hui tournée vers la satisfaction du marché intérieur. Les principales filières agricoles du territoire calédonien ne sont pas orientées vers l'exportation, contrairement à certains départements d'outre-mer qui exportent de la banane, de l'ananas ou de la canne à sucre transformée.

M. Frédéric Gimat . - S'agissant de la question de la compétitivité au regard des exigences normatives, aucune étude économique sur le coût de protection zoo- et phytosanitaire n'a été réalisée. Les permis d'importation sont obligatoires mais gratuits. En revanche, des coûts importants résultent des exigences de suivis au champ, d'analyses de l'eau, des traitements sanitaires ou encore de l'inspection des marchandises imposée par les pays de la zone. En effet, l'ensemble des pays de la zone Pacifique a instauré des contrôles payants. En Nouvelle-Zélande, une taxe est depuis récemment imposée à tous les passagers arrivant et repartant de Nouvelle-Zélande, y compris les croisiéristes, ce qui permet de financer la protection zoo- et phytosanitaire. En Australie, une demande de certificat phytosanitaire, considérée comme une prestation, vaut environ 80 dollars. À l'arrivée, les déplacements des conteneurs, les visites sanitaires en douanes ou encore l'éventuelle mise aux normes ont un coût, à l'instar de la destruction de marchandises posant un problème sanitaire, dont le coût s'élève à 7 euros le kilogramme qui, si elle est facturée à un importateur, ne l'est pas pour les particuliers.

M. Clément Gandet . - Dans certaines filières, la problématique de la disponibilité de semences et de matières végétales est plus prégnante que la problématique du coût. La production agricole demeure néanmoins demandeuse de contrôles et de contraintes à l'importation pour éviter l'introduction de nouvelles maladies ou de nouveaux ravageurs. La situation est complexe, entre la mise en place de barrières pour préserver la situation sanitaire agricole et les contraintes relatives à l'approvisionnement en matière végétale.

M. Frédéric Gimat . - Par exemple, pour l'importation de semences de blé, la demande calédonienne est si faible que les exportateurs français ne souhaitent pas réaliser les contrôles sanitaires exigés par les permis d'importation.

M. Éric Doligé , rapporteur coordonnateur . - Je suis agréablement surpris. En métropole, un « ras-le-bol » est observé face à l'inflation normative et aux contraintes en matière agricole et environnementale. J'ai le sentiment que ce ressenti n'est pas partagé par la Nouvelle-Calédonie, qui s'inscrit plutôt dans une recherche de normalisation plus poussée afin de mieux protéger ses productions agricoles. Est-ce l'état d'esprit local ?

M. François Mademba-Sy . - Votre perception est juste. Il ne s'agit pas de reproduire les mêmes excès mais de trouver une juste adaptation du dispositif normatif aux enjeux locaux.

M. Frédéric Gimat . - À l'heure actuelle, l'environnement régional est relativement strict sur les conditions d'importation et la Nouvelle-Calédonie accuse un certain retard du fait de sa capacité d'analyse limitée. Il convient de trouver un équilibre entre nécessité de protection et besoins de développement et de consommation.

En termes de perspectives d'évolution de la réglementation phytosanitaire envisagées par le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, celle-ci tend aujourd'hui à une intégration plus forte des préoccupations liées au développement dans un contexte de faible couverture des besoins. La Province Sud a lancé en 2015 une politique publique agricole provinciale avec pour objectif clairement affiché d'augmenter ce taux de couverture de 15 % à 30 % à l'horizon 2025. Le Gouvernement calédonien et la province Sud se sont accordés pour distinguer des produits importés destinés à encourager la production agricole et porcine des produits destinés à la vente. Nos analyses de risques doivent être repensées pour éviter de créer des freins, des contraintes inutiles.

L'idée que le risque zéro n'existe pas est en train de faire son chemin. Un agent ne peut être affecté à l'inspection de chaque importateur et de chaque citoyen. Il convient désormais de déterminer le risque que nous sommes prêts à accepter, impliquant des choix de variétés et une analyse des moyens de gestion du risque. Lors de la pénétration de la bactérie du ralstonia en provenance d'Australie, alors même que la certification n'en faisait pas état, des discussions avec les agriculteurs se sont tenues pour déterminer le niveau de risque acceptable sur les semences de pommes de terre. Contrairement à nos attentes, ces derniers ont prôné un protectionnisme plus poussé et la liste des maladies de quarantaine a été allongée, ce qui complexifie l'importance de semences. En revanche, le risque mildiou, dont le type « A2 » a pénétré sur le territoire calédonien en provenance de la métropole voilà trois ans, est accepté car il peut être maîtrisé.

En termes de réglementation sur les produits phytosanitaires, des débats sur un éventuel adossement aux dispositions françaises ont eu lieu et il a été prévu de faire venir des produits du voisinage avec la mise en place d'une liste positive de pays.

S'agissant de la réglementation sur les produits de jardinage, il est envisagé de s'aligner sur les normes françaises dès 2018 en matière d'importation, 2019 pour la distribution et 2020 pour l'utilisation. Des ajustements sont envisagés, notamment sur les produits de jardinage luttant contre l'escargot car la Nouvelle-Calédonie est confrontée à la problématique de l'escargot géant africain qui cause de nombreux ravages.

Cette problématique de produits de jardin est apparue avec les importations massives de glyphosate en provenance de Chine, qui a provoqué de fortes réactions de la société civile. Une interdiction d'importation de ce produit pour les particuliers devrait intervenir prochainement.

S'agissant des OGM, la réflexion porte actuellement sur une interdiction au sens large du terme. L'importation d'OGM en Nouvelle-Calédonie est réglementée : les OGM issus de transgénèse sont interdits et se pose désormais la problématique de la mutagénèse en matière d'approvisionnement en semences et provende et de contaminations potentielles dans les silos, ces semences étant relativement répandues dans l'environnement régional, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande.

M. Clément Gandet . - Contrairement à la métropole, la quasi-totalité des organisations professionnelles représentatives se sont positionnées contre l'utilisation d'OGM en Nouvelle-Calédonie. Le consensus est large mais certains demeurent inquiets quant à l'étendue de l'offre de semences.

Mme Odette Herviaux . - L'impossibilité du risque zéro et le calcul du risque à accepter sont des concepts intéressants et novateurs, en lien étroit avec la problématique des normes. Vous évoquez par ailleurs une veille règlementaire nécessaire pour appliquer ce concept. Sur quelles études et analyses vous fondez-vous pour définir le degré de risques que les agriculteurs sont prêts à accepter ? Est-ce un travail de terrain aux côtés des professionnels ? Est-ce une réflexion menée avec des scientifiques ?

M. Frédéric Gimat . - Pendant longtemps, le SIVAP a été seul en charge de l'analyse de risques. Ce système n'est toutefois plus viable ni souhaitable dans la société actuelle, notamment au regard du désir des citoyens de participer aux décisions.

Concrètement, nous avons travaillé à la mise en place de groupement de défense sanitaire (GDS) animale et végétale. Pour le végétal, le groupement, qui se matérialise par une commission au sein de la chambre d'agriculture, comprend des représentants de l'ensemble des institutions concernées par la règlementation (Gouvernement) et par le développement agricole (provinces), ainsi que des organisations professionnelles de producteurs. La recherche est également présente avec l'Institut agronomique calédonien et l'Agence pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie (ADECAL). Lors d'un problème phytosanitaire, le GDS constitue un espace de débat dans lequel on peut partager et valider des décisions.

M. Clément Gandet . - La collégialité est systématiquement privilégiée sur les questions de risque sanitaire. Un service ne décide plus seul du positionnement du curseur. Les professionnels n'ont plus l'impression de subir une norme contrainte imposée par l'administration et peuvent, via leurs représentants, être associés à la discussion et devenir co-responsables des choix effectués. C'est ce qui a prévalu sur la question des semences de pomme de terre évoquée précédemment.

M. Charles Revet . - Les interrogations évoquées sur l'utilisation des OGM sont également partagées par la métropole, bien qu'elle soit pour l'heure interdite.

Pour certaines productions, compte tenu du faible taux de couverture par l'économie locale et de la proximité de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, sont privilégiées les importations de produits frais en provenance de la zone Pacifique. L'UE est actuellement en discussion avec les États-Unis, dans le cadre de la négociation du traité transatlantique (TTIP), et un sujet conflictuel est celui de la viande. En effet, les États-Unis et d'autres pays utilisent des anabolisants, y compris interdits en France mais autorisés aux États-Unis. Êtes-vous confrontés aux mêmes situations ? Si oui, que faites-vous pour mieux contrôler ?

Mme Valérie Campos . - Le même sujet se pose en Nouvelle-Calédonie pour les viandes bovines importées d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Des plans de surveillance de ces viandes ont été mis en place dont les résultats se sont avérés positifs. Les conditions sanitaires ont été renforcées via des discussions avec nos homologues australiens et néozélandais. Il leur a été demandé d'ajouter une mention indiquant que les viandes exportées vers la Nouvelle-Calédonie provenaient de filières qui n'utilisaient pas d'hormones. Si cette procédure s'est avérée aisée d'application en Australie, où les deux filières sont dissociées, les discussions avec la Nouvelle-Zélande se poursuivent car nos homologues ne souhaitent pas ajouter cette mention, estimant avoir peu recours aux anabolisants. Si l'ajout de cette mention n'est pas accepté, la Nouvelle-Calédonie devra certainement changer de circuit d'approvisionnement et se détourner de la Nouvelle-Zélande, qui fournit aujourd'hui 800 tonnes par an, au bénéfice de l'Australie qui en fournit 600.

Mme Catherine Procaccia , rapporteur . - L'Australie a développé de nombreuses recherches sur les biotechnologies et les nouvelles techniques d'intervention sur le génome, en particulier de CRISPR-Cas9, qui pourraient rendre caducs les OGM en permettant une intervention sans trace sur le gène des végétaux. Les laboratoires existant en Nouvelle-Calédonie en ont-ils eu connaissance ?

M. Frédéric Gimat . - La Nouvelle-Calédonie ne dispose à l'heure actuelle d'aucune capacité d'analyse en matière d'OGM. En 2015, 16 analyses, soit un nombre peu élevé, ont été réalisées dans un laboratoire de Strasbourg sur des produits en provenance d'Australie et de Nouvelle-Zélande, essentiellement sur les céréales, et ont attesté de l'absence d'OGM sur ces marchandises.

M. François Mademba-Sy . - Ce n'est pas tant la question de l'OGM qui nous préoccupe, que l'association entre OGM/plants OGM et produits phytosanitaires à usage agricole (PPUA) spécifiques appliqués à grande échelle. Nous avons assisté récemment à l'introduction de maïs issu de mutagénèse vendu par un fournisseur avec un herbicide interdisant toute utilisation d'autres plantes que celles de ce fournisseur.

En tant qu'agronome, ce n'est pas l'OGM en soi qui est dangereux, mais les produits chimiques associés imposés par les fournisseurs. Pour information, le plan de développement agricole retenu en Nouvelle-Calédonie repose sur quatre filières prioritaires : la filière bovine, historique, qui représente 96 % de la surface agricole utile (SAU) ; les céréales, oléagineux et protéagineux qui fourniront l'alimentation pour les élevages hors-sol dont les déchets organiques seront recyclés dans les cultures et les pâturages. S'y ajoute la filière des fruits et légumes. Les grandes cultures se développent selon des principes qui n'ont pas recours à une application massive d'intrants, laquelle conduirait à une impasse environnementale et économique. L'agriculture calédonienne développe de nouvelles pratiques permettant de réduire la mécanisation, la consommation d'énergie fossile, l'irrigation de 50 % et la fertilisation de 30 % pour aboutir à des productions compétitives malgré l'éloignement.

M. Michel Magras , président . - La Nouvelle-Calédonie n'est pas tenue de respecter les normes européennes. Qu'en est-il de l'agriculture biologique et du cahier des charges ?

M. François Mademba-Sy . - Nous voulions vous présenter le sujet des normes et des signes de qualité officiels. Ce sujet, validé par le président du Gouvernement, sera présenté la semaine prochaine dans un projet de loi du pays.

Mme Laure Virapin, directrice de l'Établissement de régulation des prix agricoles . - Après deux ans de travail, le projet sera examiné en collégialité la semaine prochaine et le 31 mai en séance du Gouvernement.

Pour conduire la politique de labellisation et de certification en Nouvelle-Calédonie, nous avons instauré un système simplifié inspiré de celui de la métropole avec un organisme de gestion qui est une commission créée par une délibération du conseil d'administration de l'Établissement de régulation des prix agricoles (ERPA). À noter que l'ERPA suit les signes de qualité car les provinces ont souhaité que les normes relatives à la qualité, en principe de leur compétence, aient un rayonnement territorial. Elles ont donc délégué cette prérogative à un établissement public, composé d'élus issus de toutes les provinces, et qui s'occupe d'agriculture et de mise en place des normes agricoles.

À l'heure actuelle, le processus fonctionne sans qu'il y ait encore de règlementation, le projet de loi du pays en préparation devant être complété par une série d'arrêtés du Gouvernement et de délibérations du Congrès.

Un organisme de gestion, un INAO local, sera bientôt officiellement créé. Ce dispositif impliquera la participation d'un organisme de gestion, d'un organisme de contrôle et d'un comité de certification territorial à créer. Le Gouvernement, les provinces ainsi que des associations sont parties prenantes. Les objectifs de ce système de reconnaissance des signes d'identification de la qualité et de l'origine sont la promotion des produits, l'identification de leurs caractéristiques ainsi que leur mode de production ou leur origine pour renforcer l'information des consommateurs et satisfaire leurs attentes, notamment en matière de qualité et de traçabilité. C'est également le développement des secteurs agricole, forestier, alimentaire et halieutique, le renforcement de la qualité des produits, la fixation sur le territoire de la production agricole par la valorisation des savoir-faire ou encore la répartition équitable des fruits de cette valorisation entre les producteurs, les transformateurs et les entreprises de commercialisation.

À ce jour, quatre organismes de défense et de gestion (ODG) ont été reconnus par l'organisme de gestion : l'association BioCaledonia, avec 93 exploitations adhérentes et une centaine de tonnes produites, REPAIR avec 53 adhérents, le syndicat de la qualité avicole qui promeut l'équivalent du label rouge de métropole et la fédération des pêcheurs hauturiers qui soutient le signe « pêche responsable », avec 5 armements adhérents représentant 90 % des captures.

Trois référentiels ont été homologués par l'organisme de gestion : la norme océanienne d'agriculture biologique (NOAB) et les référentiels « agriculture responsable » et « pêche hauturière responsable ». Un organisme de certification, AFNOR PACIFIC, a été agréé.

Des logos accompagnent chaque label : agriculture responsable, agriculture intégrée, qualité supérieure, certifié authentique, etc.

Le label « Agriculture responsable » peut être comparé au label « Haute valeur environnementale niveau 2 » car il correspond à une agriculture raisonnée. Il s'agit d'un signe de qualité qui sera bientôt officiel. Le cahier des charges contient plus de 50 exigences et met en valeur les bonnes pratiques agricoles suivant 9 thématiques : dont la connaissance de l'exploitation et de son environnement, la traçabilité des pratiques, la sécurité au travail et l'éthique sociale, la gestion des sols, la gestion de la ressource en eau et des déchets.

M. Michel Magras , président . - Bien que la présentation soit intéressante, nous allons devoir malheureusement conclure car d'autres auditions nous attendent.

M. Clément Gandet . - Le bio en Nouvelle-Calédonie est spécifique, notamment son système de certification. Pour tenir compte des caractéristiques de l'agriculture calédonienne, qui est familiale, nous n'avons pas opté pour un système de certification par tiers, comme il existe en métropole mais privilégié un système de garantie participative, qui existe en Amérique latine, très développé au Brésil, ainsi que dans la région Pacifique, en Nouvelle-Zélande, aux Samoa et à Fidji. Une association certifie les agriculteurs via des binômes consommateur/producteur.

M. Michel Magras , président . - Le débat sur le bio recouvre des enjeux majeurs. À travers ce travail sur les normes, nous souhaitons montrer que de nombreuses normes européennes et nationales ne sont pas nécessairement pertinentes sur un nombre de nos territoires ultramarins.

La Nouvelle-Calédonie prouve qu'en exerçant la compétence normative, elle parvient à trouver un système équilibré et pertinent dans le vaste espace que représente le Pacifique.

Nous aimerions vous écouter plus longtemps mais nous devons maintenant vous remercier. Vous serez destinataires du rapport qui contiendra l'ensemble des constats et recommandations.

Audition des représentants de la Commission européenne

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, après l'échange fort instructif avec nos amis calédoniens, nous revenons sur le vieux continent pour un dialogue avec les instances de la Commission européenne, des représentants de la DG Santé, compétente en matière de normes sanitaires et phytosanitaires, et de la DG Agriculture, chargée de la réglementation européenne sur l'agriculture biologique.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs, de vous être rendus disponibles pour répondre aux nombreuses questions de nos rapporteurs et des membres de la délégation. Éric Doligé, sénateur du Loiret, a été nommé rapporteur coordonnateur de notre étude sur les normes applicables dans les outre-mer qui comprendra d'autres thématiques que le volet agricole qui nous réunit aujourd'hui. Sur ce volet agricole, les rapporteurs sont Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe, et Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne. Je dois excuser le premier, retenu chez lui, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.

L'agriculture est un secteur économique structurant et un facteur de cohésion sociale de nos territoires ultramarins et nous cherchons à mesurer l'impact normatif sur son organisation et son fonctionnement. Notre préoccupation est de déterminer si les spécificités, notamment géographiques et climatiques, de nos territoires sont correctement prises en compte et si certaines simplifications ne permettraient pas de faciliter la valorisation de potentiels remarquables et la structuration de filières.

Nous avons en outre le sentiment que l'Union européenne (UE), dans l'élaboration des cadres normatifs et encore davantage dans la conduite de sa politique commerciale, fait la part belle aux pays tiers au détriment de nos petites économies insulaires situées pour la plupart en zones tropicale et équatoriale et éloignées du continent européen. Nous voulons donc vérifier avec vous aujourd'hui comment les spécificités des agricultures ultramarines sont prises en compte dans l'élaboration des normes européennes sanitaires et phytosanitaires, comment la mise en oeuvre de ce corpus normatif est assurée, mais aussi comment il serait possible d'alléger certaines exigences pour rendre les procédures économiquement compatibles avec des agricultures de petite taille fortement concurrencées dans leur environnement régional. Il faut promouvoir le modèle européen, vertueux au plan environnemental comme au plan social. Or, nos outre-mer, au coeur de trois grands bassins océaniques, sont porteurs de ce modèle.

Voilà le sens de notre démarche qui, nous l'espérons, fera progresser la visibilité de nos territoires dans le fonctionnement des instances européennes que vous représentez ce matin.

Sans plus tarder, et à moins que nos rapporteurs souhaitent intervenir, je vous cède la parole sur la base de la trame qui vous a été adressée par le secrétariat de la délégation.

Mme Dorothée André, chef d'unité « santé végétale » . - Le nouveau règlement relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles pour les végétaux s'inscrit dans la phase finale du processus législatif. Il a été adopté au niveau du Parlement européen par la Commission « Agriculture », mais pas encore en plénière. Il doit ensuite être adopté par le Conseil avant fin 2016 pour entrer en vigueur comme prévu fin 2019.

Ce règlement a pris en compte l'intensification des échanges et du commerce internationaux ainsi que les changements climatiques qui exposent davantage l'UE aux organismes nuisibles. Nous avons donc augmenté le niveau de protection et la surveillance en prévoyant des réactions plus rapides.

Les spécificités des RUP ont été prises en compte. Le règlement actuel et le nouveau, également, reconnaissent les spécificités géographiques des territoires d'outre-mer (climat, végétation, organismes nuisibles différents). Ces territoires étaient et continuent d'être exclus du champ du règlement ; ils ont en effet leur propre liste d'organismes nuisibles, qui diffère de celle de l'UE.

Chacun pourra appliquer ses listes d'organismes nuisibles ainsi que ses contrôles à l'importation spécifiques et ciblés sur les différences.

Mme Catherine Procaccia , rapporteur . - Les spécificités ont-elles été élaborées en concertation avec les territoires d'outre-mer ? Les problématiques vécues par la Guyane ou les Antilles par exemple ne sont pas similaires. Ces spécificités sont-elles définies uniformément pour l'ensemble des outre-mer ?

Mme Dorothée André . - Les territoires sont exclus de l'ancienne et de la nouvelle législation du fait de leur situation phytosanitaire spécifique. Les conditions d'importations sont identiques pour tous ces territoires, excepté en cas de mesures d'urgence ciblées. L'UE a établi une liste d'organismes nuisibles de quarantaine, qui doit être respectée. Aucune distinction n'est faite entre les territoires d'outre-mer ou le Brésil et l'Argentine.

M. Michel Magras , président . - L'outre-mer français entretient deux catégories de relations avec l'Europe : les régions ultrapériphériques (RUP) et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Lorsque la Commission européenne établit, via ses directives et règlements, certaines normes, la France les applique de manière systématique dans ses RUP qui correspondent aux cinq DOM et Saint-Martin. Notre souci est de nous assurer de l'adéquation de ces normes aux caractéristiques propres de ces territoires.

Mme Dorothée André . - Le nouveau règlement précise clairement l'inapplicabilité des normes aux outre-mer, ce qui était flou auparavant.

M. Michel Magras , président . - Il s'agit d'une bonne nouvelle.

La Commission européenne, dans l'exercice de sa compétence commerciale, passe des accords de libre-échange avec des territoires dont les productions sont concurrentes de celles de nos outre-mer. Or, nous nous interrogeons sur le degré d'exigence normative imposé à ces pays tiers par rapport à celui qui s'exerce sur nos territoires ultramarins.

Mme Laurence Cordier, administrateur dans l'unité « pesticides et biocides » . - Les rôles joués par les autorités nationales et européennes comme la DG Santé, l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) et les opérateurs nationaux tels l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), sont des rôles complémentaires.

Pour l'évaluation des pesticides, une législation européenne distingue les substances et les produits phytosanitaires. Concernant l'évaluation des substances, une coopération existe entre les différentes autorités. Les autorités nationales, telles que l'Anses, figurent au premier plan : désignées comme rapporteurs pour une substance, elles en font l'évaluation selon les normes européennes. Cette évaluation est transférée à l'EFSA, qui effectue une révision. Le résultat de ces deux séries de travaux, nationaux et européens, est transmis à la DG Santé qui prend la décision d'approuver ou non la substance. À noter que la DG Santé peut approuver une substance en émettant des conditions.

S'agissant de l'autorisation des produits phytosanitaires, il revient aux autorités nationales d'évaluer les produits et d'accorder les autorisations. Un travail européen est également réalisé. L'UE est divisée en trois zones, la France étant située dans la zone Sud. Par exemple, l'Anses peut être en charge de l'évaluation d'un produit pour l'ensemble de la zone. Sur la base de cette évaluation zonale, les autres pays de la zone accordent leur autorisation.

Sur la question de l'harmonisation des normes et des procédures sanitaires et phytosanitaires entre les États membres de l'Union, l'UE dispose d'une législation depuis 1991.

Une nouvelle législation, en vigueur depuis 2009, a apporté des améliorations notamment en termes de reconnaissance mutuelle des autorisations nationales. Une base de données recensant toutes les substances approuvées par l'UE a été mise en ligne et est accessible à tous gratuitement. Une base de données listant toutes les autorisations accordées par l'ensemble des États membres sera également très prochainement mise en ligne.

Les critères d'approbation des substances, les méthodes d'évaluation ainsi que les données requises pour obtenir ces autorisations sont les mêmes dans l'ensemble de l'UE.

Mme Catherine Procaccia , rapporteur . - Certains États appliquent-ils des normes spécifiques pour leurs territoires d'outre-mer qui pourraient s'appliquer à l'ensemble de l'UE ?

Mme Laurence Cordier . - La législation européenne ne fait pas de distinction entre les pays de l'UE et leurs territoires ultramarins. Les autorisations sont accordées au vu d'un dossier préparé par une firme qui fabrique des produits phytosanitaires. Si cette entreprise demande des usages propres aux territoires ultramarins, elle obtiendra l'autorisation pour ces usages, à la condition que les données nécessaires aient été apportées.

M. Michel Magras , président . - Existe-il un contrôle spécifique régulier ?

Mme Laurence Cordier . - Oui, je le développerai lors d'une question ultérieure.

Il n'y a pas de principe d'équivalence des autorisations de mise sur le marché (AMM) qui permettrait à un fabricant de produits phytosanitaires de faire reconnaître une AMM obtenue dans un pays tiers autorisé à commercialiser ses productions agricoles sur le territoire européen comme valable dans l'Union européenne ou même dans les seules RUP. Il n'y a pas de reconnaissance mutuelle d'AMM accordée dans les pays tiers. Ce travail de reconnaissance réciproque et de confiance mutuelle est déjà difficile entre les États membres de l'EU.

M. Michel Magras , président . - Je comprends. Néanmoins, certains de nos collègues de territoires ultramarins qui écoulent des productions vers l'UE continentale entendent ce message différemment.

Mme Laurence Cordier . - Nous comprenons la logique adoptée par ces territoires ultramarins, voisins de pays tiers à l'UE et qui peuvent utiliser d'autres produits phytosanitaires. Cette question semble légitime.

Nous travaillons sur la reconnaissance mutuelle des autorisations entre les pays de l'UE ainsi que sur les usages mineurs. Le règlement de 2009 reconnaît les usages mineurs et propose des extensions d'autorisation de mise sur le marché, procédure permettant d'obtenir plus facilement des autorisations. Outre la firme ayant créé le produit pharmaceutique, le demandeur de l'extension peut être une autorité publique, un groupement d'usagers, etc. L'UE, avec deux États membres, finance une plateforme pour ces usages mineurs, qui est située à Paris. Une, voire désormais deux personnes, y travaillent à plein temps. Par conséquent, nous recommandons de prendre contact avec cette plateforme en vue d'un développement de ces extensions pour usage mineur qui sont importantes pour les RUP.

La législation européenne est très exigeante en matière de produits phytosanitaires. Le système prévoit une approbation de la substance pour une durée de dix ans. À chaque renouvellement, l'ensemble des AMM doit être renouvelé. Le législateur a imposé des normes très strictes et contraignantes pour les produits phytosanitaires, ce qui constitue une difficulté pour les agriculteurs dans les RUP, mais également pour ceux de tous les pays de l'UE.

Avec le nouveau règlement, le renouvellement des substances vaut désormais pour quinze ans, au lieu de dix. La législation est stricte pour de bonnes raisons, mais s'avère effectivement lourde pour tous, les autorités comme les demandeurs d'autorisation.

Outre la mise sur le marché, la réglementation européenne exige une autorisation pour tous les usages des substances pesticides au sein de l'UE. Le principe de base est qu'aucun pesticide ne peut être utilisé sans autorisation.

Cependant, une disposition particulière existe pour les « substances de base ». Il s'agit de certaines substances qui ont d'autres fonctions, comme la fonction alimentaire, et qui ont des applications pesticides. Il existe une liste ces substances de base, qui peuvent être librement utilisées sans autorisation. Cette approbation est illimitée dans le temps, sans besoin de renouvellement. Certains produits fabriqués artisanalement et utilisés de manière traditionnelle pourraient obtenir ce statut. C'est une piste à explorer.

M. Michel Magras , président . - Des territoires tels que le Brésil ou la République dominicaine utilisent des produits phytosanitaires qui ne sont pas les mêmes qu'en France. L'autorisation accordée à ces États d'exporter des produits vers l'UE induit une reconnaissance implicite de la qualité de la marchandise et des produits utilisés pour la traiter. Dès lors, ces produits peuvent-ils être utilisés dans les régions ultramarines de la Caraïbe ?

Par ailleurs, comment faire évoluer la liste des « substances de base » ?

Mme Laurence Cordier . - S'agissant de la liste des substances de base, un dossier doit être envoyé à la DG Santé qui l'examine avec l'aide de l'EFSA. Cette évaluation, relativement simple, repose sur certains critères, notamment l'obligation qu'il s'agisse de substances connues, telles que des aliments. Des substances chimiques non connues ou des mélanges utilisés dans le domaine pharmaceutique n'entreraient pas dans cette catégorie.

Mme Dorothée André . - Nous abordons la question de l'articulation des normes internationales et européennes. Dans le cadre de la santé des végétaux, la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) s'applique. Elle mentionne des principes généraux, qui doivent être respectés, et des normes plus spécifiques non contraignantes. Leur intégration dans la législation communautaire relève d'un choix de l'UE qui, d'une manière générale, les intègre. Aussi, la législation phytosanitaire européenne est totalement conforme aux normes internationales. Elle n'est pas plus stricte.

M. Michael Scannell, directeur « Chaîne alimentaire : relations internationales et avec les parties prenantes » . - L'UE suit des normes internationales, notamment sur les pesticides. Généralement, les exigences communautaires sont plus fortes que celles du Codex alimentarius . Les contrôles sont également poussés et le niveau sanitaire élevé.

Néanmoins, cette politique pose des difficultés dans certains cas. De nombreux pays critiquent la politique européenne sur les pesticides et, voilà quelques mois, un débat s'est tenu au sein du Comité éthique et sanitaire dans lequel l'Inde a été virulente. Cela a conduit à la création d'un groupe de travail spécifique sur les pesticides.

Les exigences européennes sont basées sur des données scientifiques.

M. Koen Van Dyck, chef d'unité « Relations internationales bilatérales » . - Aucune évaluation du différentiel de compétitivité entre producteurs européens et des pays tiers résultant de l'application de normes sanitaires et phytosanitaires différentes n'est à ce jour disponible.

Les règles au niveau communautaire sur le plan sanitaire sont très exigeantes. Ces règles s'appliquent aux importations. Lors de négociations dans le cadre d'accords bilatéraux, l'UE ne négocie pas sur le niveau de sécurité des aliments importés depuis les pays tiers. En revanche, certaines règles, appliquées dans des pays tiers, ne sont parfois pas autorisées en Europe. Dans ce cas, les pays tiers ne peuvent exporter vers l'Europe. Si des substances non autorisées en Europe sont détectées sur un produit en provenance d'un pays tiers, ce dernier, même s'il autorise l'utilisation de ce produit, ne pourra exporter vers l'UE. Les produits importés doivent se conformer aux règles communautaires et ne peuvent être contaminés par une substance chimique interdite.

En outre, les négociations bilatérales visent également à promouvoir nos efforts en matière sanitaire. Il ne s'agit pas uniquement d'imposer que les importations soient conformes aux règles communautaires, mais également de promouvoir ces règles communautaires d'un niveau d'exigence élevé, au niveau mondial. Ces négociations qui mettent en oeuvre le principe de réciprocité constituent ainsi un vecteur de diffusion des exigences communautaires.

M. Michel Magras , président . - Avez-vous le sentiment que la réciprocité est bien respectée ?

M. Koen Van Dyck . - La réciprocité est généralement appliquée, et pas uniquement dans le domaine de la santé. La possibilité d'importer sur un marché unique de 28 États membres est un argument de poids et, en retour, les accords européens permettent aux États membres d'accéder aux marchés nationaux de pays tiers.

Mme Catherine Procaccia , rapporteur . - Nous avons eu de nombreux entretiens, au cours desquels les producteurs de certains produits tropicaux affirmaient que l'Europe autorisait des importations de fruits et légumes de pays tiers utilisant des produits phytosanitaires interdits en Europe, créant ainsi un différentiel de concurrence.

Mme Laurence Cordier . - Les normes phytosanitaires qui s'appliquent aux produits importés sont identiques à celles imposées aux marchandises produites au sein de l'UE. Les limites de résidus fixées par l'UE s'appliquent à tous les produits mis sur le marché de l'UE, qu'ils viennent de pays tiers ou qu'ils soient produits dans l'UE. Les limites de résidus, identiques pour tous, sont fixées en fonction des substances approuvées dans l'UE pour certains usages. Ce schéma général est décrit dans une grille reprenant les substances et les valeurs autorisées.

Quid des substances utilisées dans les pays tiers qui ne seraient pas autorisées en Europe ? Il est possible pour les importateurs d'obtenir des tolérances à l'importation. Un dossier doit être réalisé pour prouver que l'usage fait de cette substance dans le pays tiers laissera des résidus dans les produits importés qui ne poseront pas de problèmes pour la santé des consommateurs. Il est possible, en effet, pour des producteurs d'utiliser des substances interdites par l'UE s'ils arrivent à prouver que le résidu n'est pas dangereux pour la santé des consommateurs.

Parmi ces substances non autorisées par l'UE, certaines pourraient l'être mais aucun dossier n'a été déposé, car les firmes les produisant ne sont pas intéressées par le marché européen. C'est pourquoi les pays tiers ont besoin de ces tolérances à l'importation.

Cependant, l'UE ayant le souci de la protection de l'environnement et des travailleurs, elle est susceptible d'interdire une substance considérée comme dangereuse selon ces critères, qui peut toutefois continuer d'être utilisée dans des pays tiers où la législation du travail et celle relative à l'environnement sont différentes. Aussi, un différentiel de concurrence existe puisque les agriculteurs européens ne peuvent pas utiliser ces substances, contrairement aux agriculteurs de pays tiers. Tel est le cas par exemple des mesures strictes adoptées récemment sur les néonicotinoïdes en vue de la protection des abeilles, ces substances continuant à être utilisées dans les pays tiers.

M. Michel Magras , président . - À noter que les néonicotinoïdes constituent un sujet d'actualité au Sénat avec la loi sur la reconquête de la biodiversité.

On en vient à se demander si certains territoires français ultramarins n'auraient pas intérêt à demander à être considérés comme des pays tiers vis-à-vis de l'Europe. En effet, le fait d'être Français et d'appliquer la totalité des exigences nationales sur nos territoires ultramarins semble constituer un handicap réel.

Mme Laurence Cordier . - Il faut considérer tous les aspects de la question ! En effet, ces protections sont bénéfiques pour les travailleurs et l'environnement des territoires ultramarins.

M. Michel Magras , président . - Ces territoires font partie de l'UE et il n'est pas question de remettre en cause cela. Néanmoins, l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet des adaptations et dérogations. Les territoires ultramarins tiennent à bénéficier des standards européens et n'entendent pas faire de concessions sur la protection des travailleurs ou de l'environnement.

Mme Laurence Cordier . - Des contrôles sont réalisés sur les produits, notamment agricoles et alimentaires, mis sur le marché européen.

Des programmes nationaux et européens de contrôle, y compris sur les résidus, existent. Est conseillé de se référer à une publication annuelle de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui analyse tous les contrôles réalisés chaque année. Ce rapport pour l'année 2013 a été publié fin 2015 sur le site de l'EFSA et donne des informations intéressantes sur les résidus dans nos produits alimentaires. Ses conclusions sont plutôt encourageantes, bien qu'elles ne soient jamais reprises dans la presse.

97 % des échantillons prélevés montrent que les résidus trouvés dans les produits alimentaires sont conformes aux normes et dans 52 % des cas, aucun résidu n'a été détecté. Moins de 3 % des échantillons ont montré des excédents, 1,5 % des échantillons révélant la présence de résidus pouvant être considérés comme « inquiétants ». Plus de 80 900 échantillons sont prélevés chaque année par les États membres, qui concernent 685 substances différentes. Ils couvrent des biens importés et ceux produits dans l'UE.

Une attention plus importante est accordée aux produits importés. Le pourcentage de produits non conformes est plus élevé pour les marchandises importées que pour celles produites en Europe. Aussi, en achetant européen, le consommateur doit être plus confiant. Le pourcentage des échantillons en provenance de pays tiers dépassant les limites légales s'établit à 5,7 % (1,4 % pour les produits en provenance de l'UE), contre 7,5 % en 2012, soit une diminution de 2 % qui marque une nette amélioration pour les produits importés. Nos partenaires hors Europe apprennent à respecter nos normes. En outre, le règlement n° 669/2009 permet des contrôles renforcés pour les produits en provenance de pays tiers. Certains produits et certaines provenances, ayant révélé des difficultés l'année précédente, sont particulièrement ciblés par les États membres.

L'UE surveille sa concurrence et les produits importés. Les résidus sont très contrôlés. À cet égard, les États tiers qui ont des difficultés à respecter les limites de résidus fixées, prennent rapidement contact avec les directions compétentes. Leurs craintes attestent du fait que ces limites ne sont pas des contraintes théoriques.

M. Félix Desplan . - Vous avez mis l'accent sur la protection des travailleurs. Cependant, l'Europe met en concurrence la banane produite dans les départements d'outre-mer avec la banane dite « dollar » produite dans les pays d'Amérique centrale, où les conditions de travail sont déplorables. Dans un souci de protection des travailleurs et notamment des enfants, est-il sain de mettre en concurrence ces deux productions ?

M. Bruno Gautrais, assistant du directeur général Santé et Sécurité alimentaire . - Cette remarque dépasse le cadre de la discussion sur les normes phytosanitaires et leur contrôle. Nous recevons votre question, dont nous sommes conscients de l'importance mais la DG Santé n'est cependant pas légitime pour vous répondre.

M. Michel Magras , président . -Les territoires ultramarins ont accepté et se sont soumis à une règlementation pour le bien-être de tous ; nous en nous sommes fiers. Il nous apparaît cependant pénalisant de voir entrer sur le même marché européens des produits dont on sait les conditions sociales dans lesquelles ils ont été fabriqués.

Je propose que soit maintenant abordée la question de l'agriculture biologique.

M. João Onofre, chef d'unité responsable pour l'agriculture biologique . - Dans le cadre de mes fonctions, je suis chargé de la révision du règlement sur l'agriculture biologique. La position de la Commission sur cette révision a été présentée voilà bientôt deux ans. Le rapport a été publié fin 2015. La date d'entrée en vigueur du règlement demeure encore incertaine.

Concernant la substance, la compétitivité biologique européenne se situe au coeur des préoccupations de nos propositions. Le marché du bio prend ces dernières années de l'ampleur partout en Union européenne. Les productions ne suivent pas l'évolution de la demande si bien que celle-ci induit une hausse des importations.

Il semble donc essentiel de faire de la compétitivité de la production agricole européenne biologique une priorité. Le système européen actuel d'agriculture biologique discrimine négativement les productions européennes, puisque les productions importées ne respectent pas toutes les critères imposées par l'UE pour être considérés comme issus de l'agriculture biologique. Ainsi, l'UE propose d'instaurer une exigence de stricte conformité, qui permettrait d'importer uniquement des produits respectant les normes de production et de contrôle établies par l'UE. Cette proposition devrait satisfaire les territoires ultramarins.

M. Michel Magras , président . - Dans le nouveau règlement, jusqu'où envisagez-vous d'aller dans l'utilisation des semences conventionnelles ?

M. João Onofre . - Il est pratiquement impossible de produire du bio en utilisant 100 % de semences bio. Des dérogations permettant l'usage, dans certaines conditions, de semences non biologiques, s'avèreront nécessaires. L'acceptation de dérogations comme la culture sur claies vaudrait également pour les produits importés. Une égalité des conditions applicables aux produits importés et aux produits européens sera strictement respectée, ce qui aura un effet positif pour la compétitivité économique des territoires ultramarins par rapport à leurs concurrents, notamment du voisinage.

M. Michel Magras , président . - Une liste positive de pays dans lesquels l'UE reconnaît que le cahier des charges est compatible avec les normes européennes a été établie. Or, y figurent l'Argentine ou encore le Costa Rica.

M. João Onofre . - Douze pays ont fait l'objet d'une analyse comparative du système de production et de contrôle. Sur la base de cette analyse, nous avons considéré que malgré les différences de législation, les niveaux d'exigence étaient équivalents pour l'Argentine, l'Australie, le Canada, le Costa Rica, le Japon ou encore la Suisse. L'UE reconnaît donc, pour les produits en provenance de ces pays, l'absence de différence majeure ou de distorsion de concurrence.

M. Frank Swartenbroux, expert en métaux lourds auprès de la Commission européenne . - Concernant les teneurs limites en chrome et nickel dans les végétaux produits sur l'île de La Réunion, du fait d'une forte concentration de ces métaux dans les sols volcaniques, la situation relative au chrome est rassurante : les discussions ont conclu qu'il n'était pas nécessaire de fixer des teneurs maximales pour le chrome dans les produits alimentaires. En revanche, la question du nickel est plus sensible car des problèmes de santé publique ont été rapportés. L'intolérance au nickel toucherait 16 % de la population européenne.

Des discussions sur la question du nickel ont été initiées avec les États membres mais les données scientifiques recueillies paraissent encore insuffisantes et l'origine des données a soulevé des objections : 85 % des données utilisées proviennent en effet d'un seul État membre, soit un taux inhabituel puisqu'il ne dépasse pas habituellement 20 % à 30 %. 10 % des données proviennent de deux autres États membres et 5 % des 25 autres. Il y a là une réelle distorsion.

Afin d'assurer une couverture géographique plus équilibrée, une documentation visant à réaliser un recueil de données est en cours d'élaboration afin de permettre aux autres États membres de rattraper leur retard au cours de la période 2016-2018.

Cette période fournit l'occasion aux outre-mer de démontrer leur particularité. Sans données objectives, leur cause ne pourra en effet être défendue.

Nous avons déjà tenu compte des particularités des sols volcaniques. Certains pays producteurs ont démontré que, sur ces sols, il était difficile de respecter des teneurs maximales trop strictes. S'il est envisageable de relever certaines limites, le critère doit rester l'innocuité pour le consommateur.

La DG Agriculture n'est normalement pas compétente sur la question des co-produits de la canne réutilisés comme matières amendantes ou fertilisantes. Cependant, un projet de règlement sur les fertilisants est en discussion au Conseil. Il prévoit des réserves sur le cadmium, qui contamine les rochers phosphateux utilisés comme engrais minéraux.

Le projet de règlement est actuellement en discussion au Conseil et c'est l'occasion pour la France de défendre ses objectifs et ses priorités.

Concernant les écumes de sucrerie de canne, nous ne comprenons pas la difficulté soulevée. En raison d'un conflit d'agenda, je n'ai malheureusement pas pu contacter mon homologue français.

M. Michel Magras , président . - J'apprécie votre réponse positive, qui est encourageante et lève des inquiétudes.

Mme Laurence Cordier . - Avant d'achever notre entretien, je souhaite apporter deux compléments d'information relatifs au diuron et à l'atrazine. Le diuron est une substance approuvée dans l'UE pour un usage pharmaceutique. Toutes les limites de résidus sont établies à un niveau bas. En 2013, aucun des 16 000 échantillons analysés pour cette substance ne s'est avéré excéder les limites. Les échantillons incluent les produits importés de pays tiers.

La substance atrazine n'est pas approuvée dans l'UE. Aucune tolérance d'importation n'est possible. Sur les 42 000 échantillons analysés pour cette substance en 2013, aucun n'a révélé de résidus dépassant les limites de quantification

M. Michel Magras , président . - En conclusion, la délégation sénatoriale à l'outre-mer essaie d'informer le Sénat sur toutes les problématiques propres aux territoires ultramarins et l'inadaptation des normes aux réalités est un sujet majeur.

Notre idée est de réaliser une synthèse rigoureuse et de déterminer des préconisations qui pourraient faire évoluer la règlementation européenne, ou notre législation nationale, afin d'atténuer les différentiels de compétitivité induits par les exigences normatives.

Je vous remercie de votre disponibilité et de vos réponses.

Audition du Réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) et d'associations de producteurs de Guadeloupe

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, après la Nouvelle-Calédonie et la Commission européenne ce matin, nous nous transportons cet après-midi outre-Atlantique, en Guadeloupe, où de nombreux interlocuteurs des différentes filières agricoles se sont mobilisés pour nous informer et répondre à nos questions : sont ainsi représentés le Réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) Guadeloupe, l'association des producteurs de fruits et de cristophines de Guadeloupe, l'association des apiculteurs de Guadeloupe et le syndicat des producteurs aquacoles de Guadeloupe. Je remercie tout particulièrement Manuel Gérard, animateur coordonnateur du RITA, de s'être chargé de l'organisation de la visioconférence ; nous aurons plaisir à le retrouver au Sénat le jeudi 19 mai puisqu'il a accepté de venir témoigner dans le cadre de notre conférence économique sur les entreprises et les dynamiques sectorielles des territoires ultramarins du bassin Atlantique.

C'est aujourd'hui la question des normes applicables aux différentes filières agricoles qui nous préoccupe. Nous menons des auditions depuis plusieurs semaines sur ce sujet pour lequel notre délégation a désigné deux rapporteurs, Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe, et Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne, qui ne peuvent malheureusement être présents cet après-midi et vous prient de les excuser. Éric Doligé est quant à lui rapporteur coordonnateur de notre étude sur les normes qui comprendra d'autres volets que l'agriculture. Cependant, les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux filières agricoles se sont imposées comme sujet prioritaire, tant ce secteur d'activité est économiquement et socialement important pour nos territoires.

Nos interrogations sont nombreuses et nous souhaitons recueillir vos observations très concrètes sur les contraintes normatives qui s'imposent à vous. À moins qu'Éric Doligé ne veuille intervenir en préambule, je vous propose de prendre la parole sur la base de la trame qui vous a été adressée par le secrétariat de la délégation pour servir de fil conducteur à nos échanges.

M. Éric Doligé , rapporteur coordonnateur . - Je suis ravi de vous entendre. Nous nous permettrons après vos interventions de vous poser un certain nombre de questions.

M. Manuel Gérard, animateur coordinateur du RITA Guadeloupe . - Je tiens à excuser les personnes absentes, qui ont été sollicitées pour des contributions écrites qui seront synthétisées et vous seront transmises prochainement.

Le réseau RITA opère en Guadeloupe ainsi que dans les cinq DOM depuis 2011. À la suite des mouvements sociaux de 2009, une réflexion sur la mise en place de programmes répondant plus efficacement aux problématiques des agriculteurs a été initiée. Plutôt qu'une structure, il a été décidé de créer un réseau animé par un comité de pilotage régional qui se réunit deux fois par an.

Les premiers projets du réseau se sont montés rapidement, sur la base de financements du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Prévus pour durer deux ans, ils ont été prolongés sur 2014 sur ce même schéma de financement, puis en 2015 sur des fonds d'État. Pour 2016, nous attendons que les actions se mettent en place pour réactiver des fonds. Un appel à projets a été déposé le 9 mai.

Les projets se voient proposer des financements à hauteur de 100 % avec un système permettant un préfinancement des actions afin qu'elles puissent se concrétiser rapidement. RITA, qui ne concerne que la filière végétale et animale hors canne et banane, a mobilisé 4,5 millions d'euros sur trois ans. Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) est l'organisme qui a permis ces avances avec un montage efficace spécifique permettant d'adapter les actions aux problématiques des agriculteurs. Grâce à une gouvernance simple et à une souplesse dans le montage du réseau, des actions relativement concrètes ont été réalisées, avec une obligation de résultats à trois ans.

Des instituts de recherche avec le Cirad et l'INRA, des instituts techniques comme IT2 et Icare, la chambre d'agriculture ainsi que des groupements de producteurs composent le réseau.

M. François Herman, représentant du syndicat des producteurs aquacoles de Guadeloupe (SYPAGUA) . - L'aquaculture ne peut accéder au réseau RITA en raison du statut des co-financeurs. La Commission européenne a décidé que l'aquaculture appartenait au monde de la pêche, ce qui est une aberration puisque nous sommes des éleveurs. Nous souffrons beaucoup d'être classés tantôt dans le secteur de l'agriculture, notamment lorsqu'il s'agit du respect des normes sanitaires, tantôt dans le secteur maritime dès lors qu'il s'agit de financements pour des opérations expérimentales. Cette différenciation est très préjudiciable au développement de l'aquaculture en outre-mer.

M. Manuel Gérard . - Tous les projets menés dans le cadre de RITA tendent à promouvoir l'agro-écologie. Le réseau vise à apporter des réponses pratiques et concrètes aux problématiques des agriculteurs. Le but est de trouver des réponses techniques économiquement viables.

Il nous est demandé de coordonner l'ensemble des programmes assurant le même type d'actions, comme dans le cadre du Plan Ecophyto.

M. Michel Magras , président . - Je vous remercie pour cette présentation liminaire du RITA. Sur la question des normes, les contraintes imposées aux agriculteurs sont-elles vécues comme un handicap, notamment en termes de compétitivité par rapport aux producteurs des pays de l'environnement régional ?

M. Manuel Gérard. - La principale problématique normative s'avère être l'entrée non maîtrisée des flux de marchandises sur le territoire guadeloupéen. Les moyens de contrôle de l'État sont nettement insuffisants pour faire face à ces importations, dont les produits ne respectent en amont aucune règle sociale ou sanitaire, notamment l'usage des pesticides.

M. François Herman . - Ce ne sont pas les normes qui handicapent les producteurs ultramarins, mais plutôt l'absence de normes imposées aux pays tiers pour parvenir à un niveau équivalent d'exigence : il s'agit de dumping social. 700 tonnes de crevettes d'eau douce sont importées chaque année en Guadeloupe ; or, le salaire moyen d'un ouvrier aquacole au Bangladesh s'établit à 20 centimes par jour. Ces mêmes conditions de travail sont observées dans le delta du Mékong au Vietnam. Les usages phytosanitaires posent également problème pour les agriculteurs des pays tiers. Or, ces produits entrent sur notre territoire, parfois traités aux hormones.

Il faut une élévation du niveau d'exigence normative, ce qui aura pour effet de réduire le différentiel des coûts de production. Nous avons des atouts à faire valoir, notamment en termes de qualité, mais nous restons pour le moment cantonnés à des marchés de niche.

L'alimentation constitue un véritable sujet en Guadeloupe, où 90 % des produits alimentaires consommés sont importés. Pour accéder de manière significative au marché, le différentiel de concurrence doit impérativement être réduit. Sont en jeu la prospérité des filières et la création d'emploi.

M. Youri Uneau, technicien représentant l'association des producteurs de fruits et de christophines de Guadeloupe (ASSOFWI) . - Les principales contraintes relevées sont liées aux régulations de marché qui ne sont pas suffisamment assurées, la disponibilité de certains produits étant variable. Par exemple, la production bio ne dispose pas de tous les intrants nécessaires, ce qui freine considérablement son développement en Guadeloupe.

Les producteurs d'agrumes ont été touchés par une forte crise avec le citrus greening . On constate que les importations ne prennent pas le relai des productions locales mais interviennent comme concurrentes dans l'approvisionnement du marché. Cette situation ne permet pas le développement des filières concernées, d'autant qu'il s'agit d'un phénomène ancien.

Parmi les autres problématiques figurent la lenteur de l'homologation phytosanitaire, une disponibilité des produits parfois défaillante, ainsi que l'inadaptation au milieu tropical des normes appliquées en Europe continentale.

Mme Sabine Caniquite, représentante de l'association des apiculteurs de Guadeloupe (APIGUA) . - S'agissant des produits phytosanitaires utilisés en apiculture, les recommandations faites ne sont pas adaptées aux conditions locales, notamment la fréquence des traitements. La procédure de traitement a été établie sur la base d'expérimentations réalisées en France, la rendant inapplicable en Guadeloupe car le produit ne se comporte pas de la même façon sous un climat tropical.

M. Éric Doligé , rapporteur coordonnateur . - La question de la concurrence des produits importés empêchant le développement de certaines filières a été évoquée si bien qu'un renforcement des exigences normatives pour les pays tiers est souhaité. Y a-t-il des marchés de niche sur lesquels les agriculteurs guadeloupéens sont en capacité de développer des productions à l'exportation ?

Quelles évolutions préconisez-vous pour une meilleure régulation des marchés et un développement des filières bio ?

M. François Herman . - Nos capacités d'exportation sont quasiment nulles car nos coûts de production sont largement supérieurs à ceux constatés sur le marché international. Ainsi, même pour le poisson, le cours international moyen est de 4,50 euros alors que notre coût de production s'élève à 8 euros. Nous avons toutefois un marché intérieur à reconquérir. Deux types de pêche coexistent en Guadeloupe : côtière et au large. En période de pêche des poissons pélagiques comme la dorade coryphène, les grandes surfaces affichent des promotions imbattables avec lesquelles aucun producteur local ne peut rivaliser. Les pêcheurs sont contraints de brader leur marchandise pour écouler leur stock. L'ambition est de reconquérir le marché afin de créer de l'emploi.

Par ailleurs, les cahiers des charges bio en aquaculture ne sont pas transposables aux contextes tropicaux. En outre, les procédures de labellisation sont trop longues, de l'ordre de quatre à cinq ans.

Des débouchés devraient par ailleurs être trouvés dans l'industrie touristique. Or, nombreux sont les restaurants d'hôtels qui ne proposent aucun produit local, ce qui est inadmissible. Les pouvoirs publics devraient imposer des minima en la matière dès lors que l'industrie touristique perçoit des subventions publiques. Cette démarche devrait être progressive car les pêcheurs ne peuvent pour l'heure répondre à une demande massive, la filière étant profondément déstructurée.

M. Manuel Gérard . - Les organismes certificateurs bio ne sont pas présents en Guadeloupe, ce qui complexifie les procédures de labellisation puisque l'organisme certificateur doit se déplacer, avec les contraintes pratiques que l'on imagine. Par ailleurs, la pression parasitaire est très forte sous les tropiques, ce qui accroît les difficultés de développement de ce type de filière.

M. Youri Uneau . - Les problématiques d'équilibre entre l'importation et l'exportation que j'évoquais précédemment ne concernaient que la filière des agrumes, et non l'ensemble de la production bio. Cette filière est peu structurée, malgré une forte demande locale et une structuration s'avère nécessaire.

M. Manuel Gérard . - Ce problème de structuration est généralisé. Les interprofessions, telles que Iguavie et Iguacanne pour les filières de l'élevage et de la canne, sont relativement récentes au niveau européen. Malgré la mise en place d'accords interprofessionnels, les filières rencontrent des difficultés réelles. Certaines pratiques à l'importation comportent aussi des risques pour le consommateur : à l'heure actuelle, des oeufs réfrigérés arrivent en Guadeloupe avec seulement une semaine de consommation restant à courir, et sont vendus sur les routes en pleine chaleur. Concernant le porc, la production locale est capable de couvrir 100 % des besoins mais doit faire face à une concurrence trop forte des importations, notamment depuis d'autres pays caribéens dont les prix sont excessivement bas. Il en est de même pour les volailles.

M. Youri Uneau . - Les produits labellisés bio dans d'autres pays répondent à des normes qui n'ont pas du tout le même degré d'exigence que celles imposées dans les DOM.

M. Manuel Gérard . - À cet égard, du miel importé de Cuba ou de Chine est parfois étiqueté « fabriqué en Guadeloupe ».

Mme Sabine Caniquite . - Ce constat constitue une difficulté majeure pour les apiculteurs locaux. La production locale, qui couvre environ 40 % de la consommation, n'est pas capable de répondre à l'ensemble de la demande, ce qui nécessite d'importer. Dès lors, les apiculteurs locaux ont tendance à aligner leurs prix sur ceux pratiqués à l'importation pour garantir l'écoulement de leur production. Or, leurs coûts de production sont plus élevés. Aucune réponse des autorités ne permet de contrer cette concurrence qui est déloyale puisque ces produits peuvent être estampillés « Miel de Guadeloupe » alors qu'ils ont uniquement été mis en bouteille sur l'île.

Pour le bio, le cahier des charges n'est pas adapté aux conditions climatiques du territoire guadeloupéen.

M. François Herman . - La filière aquacole est également impactée. Elle est régie par une législation conçue pour résoudre les difficultés éprouvées par la pisciculture bretonne. Elle a établi des référentiels relatifs aux matières en suspension ou aux phosphates.

Si les normes sont respectées pour le phosphate, puisque l'élevage est peu intensif, un souci demeure pour les aquaculteurs guadeloupéens concernant les matières en suspension. Ces dernières peuvent être de la matière inerte polluante comme des corps de poisson ou des restes d'aliments, comme en Bretagne, mais en Guadeloupe, il s'agit de rejets de phytoplancton, soit des micro-algues vivantes. Or, les textes ne distinguent pas ces deux matières en suspension alors que, concrètement, le producteur guadeloupéen ne pollue pas.

L'aquaculteur est soumis à des normes d'abattage comme un éleveur. Les contraintes normatives sont inadaptées à de petits élevages qui, seuls, existent en outre-mer. Il faudrait adapter la réglementation aux petites structures de production. Chaque nouvelle réglementation devrait être déclinée pour les outre-mer.

Mme Vivette Lopez . - Les établissements touristiques guadeloupéens ne proposent pas de produits locaux. La Guadeloupe est une destination touristique, induisant que les produits locaux soient mis à l'honneur. Sont-ce les normes qui empêchent les touristes de manger local ?

M. François Herman . - Ce ne sont pas les normes mais la concurrence qui entrave la distribution des produits locaux. Le restaurateur cherche à maximiser sa marge et cela n'est pas possible avec des produits locaux plus chers. On vend du poisson frais vidé et écaillé à 11 euros le kilo et les restaurateurs n'achètent pas à plus de 4 euros le kilo de poisson congelé en provenance de pays tiers.

M. Félix Desplan . - Deux éléments me semblent à souligner en matière de production.

Premièrement, le territoire peut produire suffisamment pour satisfaire la consommation locale, auquel cas il faut empêcher que les produits de l'extérieur n'entravent la production locale. Cet objectif me semble relever du rôle de la région qui, grâce à l'octroi de mer, devrait freiner l'arrivée de produits importés. Cette situation se vérifie pour la production de porc frais par exemple.

Deuxièmement, s'agissant de l'aquaculture et de sa production, je souscris aux propos de François Herman. Notre production ne peut être comparée à celle qui provient de pays où aucune norme sanitaire sérieuse n'est imposée. Cette situation fait obstacle au développement des productions locales, car les consommateurs ont tendance à privilégier les produits à bas coûts.

La question de la fixation de taux d'octroi de mer adaptés sur les produits d'importation concurrençant une production locale vaut pour le porc, les produits frais, ou encore le miel. L'étiquetage « Miel de Guadeloupe » sur un produit venu d'ailleurs est une tromperie qui doit être sanctionnée et nécessite de renforcer les contrôles.

M. Manuel Gérard . - Les contrôles sont importants, de même que l'octroi de mer mais il faut prendre garde à ne pas entraver les échanges car si les importateurs sont empêchés, les pays tiers riposteront et empêcheront l'exportation des produits guadeloupéens.

M. Michel Magras , président . - Vos propos ne posent pas la problématique de l'exportation mais celle de votre capacité à trouver des débouchés pour vos produits sur les marchés locaux à des prix trop élevés en raison de l'application de normes imposées, ce qui profite aux importations. Cependant, lors de notre discussion ce matin, les représentants de l'Europe ont clairement signifié que lors de la signature d'accords commerciaux de libre-échange, les mêmes normes sanitaires étaient imposées à ces pays tiers.

Vous avez évoqué par ailleurs l'inadéquation des normes et l'absence de contrôle des produits entrants. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets ?

Félix Desplan a estimé que les normes sociales devraient être prises en compte dans les accords commerciaux européens, mais pour les instances européennes seule la qualité des produits importe. Toute marchandise entrant sur le territoire de la Guadeloupe et venant d'un pays tiers doit obéir aux normes européennes.

M. François Herman . - Les normes imposées par l'Europe sont exclusivement sanitaires et ont pour seul but de protéger le consommateur. Les autres problématiques n'entrent pas en considération. Certaines marchandises sont produites dans des conditions d'hygiène déplorables puis traitées aux antibiotiques pour leur permettre de passer les contrôles sans difficulté. Aucune vérification du mode de production n'est réalisée dans les pays tiers. L'Europe ne s'intéresse qu'au caractère consommable et au respect des normes sanitaires, sans s'intéresser aux conditions de production qui comprennent les normes sociales.

M. Michel Magras , président . - Dans notre rapport, il nous intéresse d'acter ces difficultés exprimées. Un produit qui entre en Guadeloupe entre en Europe car nos territoires ultramarins sont des régions européennes de plein exercice, bien que parfois considérés comme des territoires extérieurs pour l'importation sur le territoire continental.

Un vrai problème de concurrence déloyale se fait jour entre les producteurs guadeloupéens vendant sur les marchés guadeloupéens et les produits entrants. Il y a un vrai problème de contrôle et de sanction.

M. Manuel Gérard . - Les agriculteurs peuvent bénéficier des fonds du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Certains producteurs souhaiteraient que le POSEI soit contraignant par rapport à des normes sociales d'embauche.

Par ailleurs, de nombreuses importations, en quantité importante, ne sont pas maîtrisées et passent par des circuits illégaux, notamment en provenance de la Dominique via Marie-Galante.

Deux autres exemples concrets ont été remontés par des organisations de producteurs.

Pour le melon IGP, produit en Guadeloupe et en Martinique, un fongicide, le Switch, a une homologation temporaire de 120 jours. Sa validité expire le 30 août 2016, date calée sur la période de production métropolitaine et non sur la période de production locale car les saisons sont inversées. S'ajoutent des problèmes de rémanence des produits, bien inférieure en milieu tropical aux 8 à 10 jours imposés en Europe en raison des conditions climatiques.

Par ailleurs, un produit a été abandonné pour le traitement de l'induction florale sur les ananas, afin qu'ils fleurissent tous en même temps pour assurer une production régulière. Dans le cadre du RITA, des travaux de chercheurs et de techniciens ont été réalisés pour mettre en place un traitement alternatif à base de charbon enrichi, qui peut être considéré comme bio. Le produit existe, mais l'autorisation de mise sur le marché demandée par l'Institut technique est en cours depuis plusieurs années.

Dans le domaine de l'élevage, des tests pour l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) sont obligatoirement faits sur les animaux en abattoir, alors qu'aucun cas n'a jamais été recensé en Guadeloupe. Ce coût général se répercute sur le prix de revient des éleveurs, sans être justifié d'un point de vue sanitaire.

Je vous transmettrai d'autres exemples par écrit. En amont de cette visioconférence, je me suis en effet permis d'interroger tous types de structures agricoles. Certaines ont déjà effectué des remontées, je les synthétiserai dans un rapport écrit pour vous les transmettre.

M. Michel Magras , président . - Nous sommes confrontés à une problématique de délai, car nous aimerions conclure les auditions le 2 juin, afin de présenter le projet de rapport en séance le 7 juillet.

M. Youri Uneau . - Les produits phytosanitaires qui sont utilisés en Guadeloupe sont soumis aux règlementations européennes puis aux validations au niveau national. Ils sont testés dans des conditions de climat tempéré et n'ont pas la même efficacité sous les tropiques. Ces produits s'y avèrent inadaptés malgré les extensions d'usage. Ainsi, pour certains ravageurs ou maladies, aucun traitement efficace n'est disponible ; c'est le cas pour le citrus greening .

En partenariat avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Centre technique de la canne à sucre (CTCS), des préparations à base de produits naturels ont été élaborées pour lesquelles la procédure d'autorisation est en principe moins lourde. Nous avons malheureusement été confrontés aux mêmes difficultés.

M. Manuel Gérard . - Le projet Space for innovations in agriculture (AgriSpin) est un réseau sur les services de soutien à l'innovation réunissant des partenaires de treize pays d'Europe. Le RITA Guadeloupe a pu présenter à une délégation des processus d'innovation mis en oeuvre sur la culture de l'igname et l'apiculture.

Concernant le chlordécone, il est présent dans les sols et problématique pour la culture des légumes-racines. Seule l'agriculture organisée peut gérer la prise en compte de la réglementation relative au chlordécone alors que la plupart des exploitations sont des structures familiales. Seuls les contrôles peuvent permettre de s'assurer que les producteurs respectent la réglementation.

M. François Herman . - La gestion du chlordécone par l'État est calamiteuse. Les aquaculteurs ont été les premiers impactés. La seule solution proposée par l'État était de fermer leur exploitation avec pour dédommagement un chèque de 7 000 euros. Des recherches ont permis de découvrir que les organismes aquatiques sont extrêmement sensibles au chlordécone, une quantité infinitésimale dissoute suffisant à contaminer un produit. Ainsi, les sites impactés par le chlordécone ne sont pas exploitables. Cependant, des solutions alternatives existent, notamment l'exploitation hors-sol en utilisant l'eau de pluie ou de source non contaminée. Des propositions ont été formulées, notamment avec le RITA pour la mise en place d'un prototype démonstrateur d'aquaphonie mais nous n'avons jamais trouvé les financements. La reconversion des aquaculteurs doit être financée aujourd'hui sur fonds propres.

Pour la pêche, la situation n'est pas plus favorable. 200 pêcheurs sont aujourd'hui impactés par le chlordécone. Depuis plusieurs années, des solutions de reconversion leur sont proposées mais les discussions entre l'État et les pêcheurs sont toujours en cours. Nous espérons que des pêcheurs arrivés à quelques années de la retraite ne se retrouvent pas démunis. Les pêcheurs n'ayant plus le droit de pêcher sur la zone contaminée pêcheront ailleurs, ce qui intensifiera l'effort de pêche sur d'autres zones, créant ainsi des victimes collatérales par une concurrence accrue.

Si des fonds publics sont consacrés à la recherche en la matière, la solidarité doit aussi jouer en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs.

La valorisation des zones contaminées est possible mais entravée par les difficultés d'accès au foncier. Comme solution alternative, les pêcheurs pourraient également se tourner vers l'aquaculture marine, mais l'enveloppe financière disponible pour les investissements productifs des six prochaines années s'élève à un montant dérisoire de 1,2 million d'euros.

M. Michel Magras , président . - Votre propos a le mérite d'être d'une grande clarté. Cette gestion a en effet été calamiteuse.

Pour les traitements dans l'agriculture, vous avez dit utiliser des préparations mises au point en Guadeloupe. S'agissant de la reconnaissance et de l'approbation de ces produits, vos démarches sont-elles soutenues par les autorités publiques ?

M. Manuel Gérard . - Dans le domaine végétal, 40 % des besoins en produits phytosanitaires sont couverts. 60 % demeurent non couverts. Les firmes qui pourraient produire ces substances utiles ne le font pas en raison de l'étroitesse du marché et de l'absence d'intérêt commercial. La solution est donc de développer des produits locaux avec des matières actives disponibles localement. Néanmoins, la procédure d'homologation est longue. Des personnes au sein des instituts techniques sont en charge de ces travaux, parfois depuis Paris mais la durée excessive nécessaire pour obtenir une homologation compromet la viabilité des exploitations.

M. Michel Magras , président . - Avez-vous déjà tenté d'utiliser des produits qui seraient utilisés sur d'autres territoires d'Amérique centrale par exemple ? Si oui, les services de contrôle sanitaire guadeloupéens laisseraient-ils faire ?

M. Youri Uneau . - Nous n'en avons jamais utilisé, mais certains de nos partenaires importent des produits des États-Unis, notamment des produits expérimentaux.

M. Manuel Gérard . - Des effets pervers existent : des produits autorisés peuvent être utilisés de manière inadaptée, notamment sur des cultures pour lesquels ils ne sont pas autorisés.

M. Youri Uneau . - Par exemple, un produit visait à lutter contre la fourmi-manioc, l'un des ravageurs les plus actifs sur l'île. Ce produit a été retiré et aujourd'hui les producteurs, en l'absence de solution alternative, utilisent du produit dont ils détournent l'utilisation puisqu'il s'agit d'un produit antipuce sur des granulés destinés au bétail. Les producteurs sont dans l'impasse et n'ont pas d'autres solutions. Des solutions locales sont développées mais ne peuvent être utilisées tant qu'elles n'ont pas été autorisées aux niveaux européen et national.

M. Manuel Gérard . - Ces produits ont en outre un coût important et des problématiques de disponibilité des produits se posent également. Aucune clinique des plantes n'existe en Guadeloupe et lors d'une suspicion de maladie, les analyses sont réalisées en métropole : les délais d'analyse sont longs, ce qui peut provoquer la perte de la production.

M. Michel Magras , président . - La démarche de validation des produits incombe-t-elle aux producteurs ou aux organismes de recherche présents sur le territoire ?

M. Youri Uneau . - L'institut technique, accompagné d'un organisme Bonnes Pratiques Expérimentales (BPE), certifie des produits phytosanitaires. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) valide ensuite.

M. Michel Magras , président . - L'Anses est-elle représentée en Guadeloupe ?

M. Youri Uneau . - Non, uniquement en métropole.

Par ailleurs, je souhaiterais souligner un autre problème commun à tous les DOM. Des suivis épidémiologiques mensuels sont réalisés pour certains parasites, sur certaines filières. Ces suivis sont réalisés au niveau national. Or, les protocoles de suivi établis par les experts n'ont pas été validés par la direction générale de l'alimentation (DGAL). Ils ne peuvent donc être intégrés à la base nationale de suivi épidémiologique.

M. Michel Magras , président . - Vos observations sont instructives pour notre étude sur les normes et nous sommes à l'écoute de vos préconisations. Nous vous remercions de nous adresser vos réponses formalisées.

Jeudi 26 mai 2016
Audition de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos investigations sur le thème des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'ensemble des filières agricoles de nos outre-mer, végétales, animales et aquacoles.

Nous avons, au cours des auditions précédentes, notamment grâce aux visioconférences réalisées avec les producteurs et responsables des filières dans plusieurs territoires, rassemblé des informations nous permettant de mieux comprendre comment, et dans quelle mesure, les contraintes normatives s'exercent en matière sanitaire et phytosanitaire, creusant parfois les différentiels de compétitivité avec les productions similaires des États tiers.

Si nous comprenons que les logiques économiques, en particulier celles qui sont liées aux économies d'échelle, jouent en défaveur de nos petites économies insulaires et font obstacle à l'autorisation de certaines substances ou de certains procédés adaptés aux productions tropicales, nous militons pour que les spécificités de nos territoires puissent être davantage prises en considération, qu'il s'agisse des types de productions, des conditions climatiques ou encore de la nature des sols. Il y va parfois de la survie de certaines filières, et par conséquent des emplois de ces filières !

Nous voulons faire en sorte que les préoccupations de nos territoires ultramarins soient en permanence dans le champ de vision des autorités françaises et européennes... et ce n'est, semble-t-il, pas tout à fait le cas aujourd'hui.

Il importe que cette « veille ultramarine » soit présente dès l'amont, lors du processus de formation des normes : c'est pourquoi nos rapporteurs ont souhaité cet entretien avec les représentants de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui, depuis sa création en 2002, émet des avis scientifiques sur les risques relatifs à la sécurité des aliments destinés à l'alimentation humaine et animale, la nutrition, la santé et le bien-être des animaux, ainsi que la santé et la protection des plantes. Par ses avis, l'EFSA contribue activement à la définition de la réglementation sanitaire et phytosanitaire européenne.

Nous sommes donc en liaison avec Parme pour échanger avec plusieurs représentants de l'EFSA, que je remercie de s'être rendus disponibles pour notre visioconférence.

Messieurs, une trame vous a été adressée pour servir de fil conducteur à notre entretien et vous informer des nombreuses questions sur lesquelles nous souhaitons recueillir des éléments de réponse.

Je n'ai à mes côtés qu'un seul de nos trois rapporteurs, Mme Catherine Procaccia. MM. Éric Doligé et Jacques Gillot devraient nous rejoindre dans un instant.

À moins que Madame le rapporteur ne souhaite dire un mot d'introduction, je vous cède la parole sur la base de la trame qui vous a été transmise.

M. Bernard Bottex, scientific officer de l'Unité du Comité scientifique et des risques émergents . - L'EFSA a été créée en 2002, à la suite d'un certain nombre de crises alimentaires, afin de séparer l'évaluation des risques de la gestion des risques. Elle rend donc des avis scientifiques, mais n'édicte pas de normes.

Nos travaux sont de deux ordres. Nous pouvons être saisis sur une question par un nombre limité d'acteurs : la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil et les autorités compétentes des pays membres. Nous procédons également à l'évaluation, sur dossier, de produits réglementés. Nous travaillons parfois sans dossier, par exemple sur les contaminants entrant dans l'alimentation.

Nos travaux se fondent sur les données scientifiques publiées ou les dossiers que nous recevons. Nous ne menons pas d'activité de recherche scientifique.

M. Christophe Wolff, chargé des relations interinstitutionnelles du département communication et relations extérieures . - À cela s'ajoutent des actions de communication, portant, bien évidemment, sur nos avis sur les risques, et non sur les mesures de gestion.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Est-ce l'EFSA qui rendra l'avis sur les néonicotinoïdes ?

M. Jean-Pierre Cugier, chef de section « résidus de pesticides - santé des consommateurs », unité pesticides . - Oui, nous avons été saisis sur la question de l'utilisation des néonicotinoïdes et de ses conséquences, conformément au cadre réglementaire qui autorise la Commission ou les États membres à le faire, qu'il s'agisse du règlement (CE) n° 1107/2009 sur les pesticides ou le règlement (CE) n° 396/2005 sur les limites maximales de résidus. Nous sommes compétents pour travailler sur ce sujet, mais, encore une fois, nos avis reposent sur les seules études et informations dont nous disposons, notamment fournis par les sociétés phytosanitaires ou des organismes nationaux ou internationaux car nous n'avons pas de laboratoire.

M. Bernard Bottex . - Nos évaluations des risques concernent la population européenne globale. Nous ne distinguons pas a priori un pays donné ou l'outre-mer. Toutefois, si nous identifions un sous-groupe de population potentiellement à risque, nous pouvons cibler notre évaluation sur celle-ci.

M. Christophe Wolff . - Nos missions ne sont pas des missions d'inspection ; elles ne portent ni sur le contrôle de qualité ni sur la traçabilité. J'insiste sur ce point, car nous souhaitons bien préciser le champ de nos responsabilités.

M. Jean-Pierre Cugier . - L'EFSA rend des avis scientifiques, mais ne prend aucune décision, les autorisations étant accordées par la Commission européenne et les États membres. Ces avis, qui se fondent sur la notion de sécurité du consommateur, sont généralement suivis, mais les gestionnaires de risques peuvent être amenés à prendre d'autres éléments en compte, notamment des intérêts économiques ou techniques.

Les mieux placés pour vous éclairer sur l'impact des avis scientifiques de l'EFSA sur l'évolution de la réglementation européenne sont probablement les représentants de la Commission européenne ou des États membres.

M. Michel Magras, président . - Nous avons déjà auditionné quelques directions de la Commission européenne. Grâce à un large panel d'auditions, nous cherchons à mesurer l'impact normatif sur la situation agricole de nos outre-mer.

M. Christophe Wolff . - Il faut également préciser que nous évaluons les risques liés aux substances actives présentes dans les pesticides, et non les produits en eux-mêmes, qui peuvent contenir des coformulants. Les autorisations de mise sur le marché sont délivrées par les États membres.

M. Jean-Pierre Cugier . - Effectivement, nous avons la compétence de l'évaluation sur les substances actives, les États membres celle de la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits commerciaux contenant ces substances actives dès lors qu'elles auront été autorisées au niveau européen.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Jouez-vous également un rôle de conseil des États membres ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Comment procédez-vous pour émettre un avis ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Nous travaillons selon des procédures fixées dans un corpus de textes réglementaires : le règlement n° 1107/2009 établit les procédures d'évaluation des pesticides ; le règlement n° 283/2013 dresse la liste de toutes les études techniques ou toxicologiques que l'appliquant, c'est-à-dire la société chimique qui possède la molécule active, doit fournir ; le règlement n° 284/2013, enfin, traite plus particulièrement des produits phytosanitaires, c'est-à-dire les produits commercialisés.

Nous travaillons, pour les pesticides, à partir des études fournies par l'appliquant. Celui-ci en a la propriété, mais ne les a pas forcément réalisées. Souvent, ces travaux sont sous-traités à des laboratoires privés soumis à des contraintes destinées à garantir la qualité des expertises.

M. Michel Magras, président . - Quand l'État français vous saisit d'une question, avez-vous connaissance de l'objectif précis et de la zone ciblée - outre-mer ou France continentale ?

M. Bernard Bottex . - Si la France saisit l'EFSA sur un sujet donné, un dialogue va s'instaurer pour cerner la problématique. Un point particulier propre à l'outre-mer pourra être signalé dans le cadre de ce processus de « formulation du problème », pour reprendre les termes que nous employons habituellement. Il sera alors pris en compte dans l'évaluation du risque.

Sauf à avoir des sous-groupes génétiques différents, le niveau de toxicité d'une substance active est le même pour tout le monde. En revanche, les niveaux d'expositions varient entre l'Europe du Nord, l'Europe du Sud et l'outre-mer. Ils sont pris en compte dans l'évaluation du risque.

Je précise à nouveau la spécificité de l'évaluation et de l'autorisation des pesticides. Première étape, une industrie souhaite voir autoriser une substance active. Deuxième étape, une première évaluation de cette substance est opérée par un État membre. Troisième étape, l'EFSA procède à une révision, par les pairs, de cette évaluation, dont les conclusions sont transmises à la Commission européenne. Quatrième étape, celle-ci, en accord avec les États membres, autorise l'emploi de la substance active avec les limites maximales de résidus notamment.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Pouvez-vous aussi préconiser une interdiction ? Êtes-vous uniquement saisis pour les nouveaux produits mis sur le marché ?

M. Jean-Pierre Cugier . - La règlementation européenne a été initiée en 1991 par la directive n° 91-414 et les évaluations ont commencé à être réalisées en 1993. En 1993, l'Union européenne nous a donné dix ans pour réévaluer les 725 substances actives qui étaient alors autorisées dans les États membres - ils étaient douze à l'époque. Cette opération a pris en réalité vingt ans et a conduit au retrait de près de 500 substances actives du marché européen. Des 70 types d'organophosphorés alors présents sur ce marché, il n'en reste plus qu'une dizaine, et d'autres familles de produits ont complètement disparu.

Contrairement à l'appréciation de certains organismes, les évaluations européennes n'ont donc pas été forcément favorables aux produits phytosanitaires. En revanche, l'harmonisation des lignes directrices en matière d'évaluation des pesticides a eu une conséquence : on a vu arriver sur le marché à partir des années 2000 de nouvelles molécules au profil toxicologique bien moins problématique, ce qui explique le faible nombre de refus sur les nouvelles substances actives. L'EFSA est saisie en moyenne par an d'une dizaine de dossiers pour de nouvelles substances actives.

M. Bernard Bottex . - Dans tous les domaines, l'EFSA peut être amenée à émettre des avis négatifs. Dans 99,9 % des cas, la Commission européenne suit ces avis et interdit la substance que l'EFSA considère comme présentant un risque pour le consommateur.

M. Christophe Wolff . - On peut aussi nous demander de formuler des recommandations en termes de gestion du risque, d'où l'importance de l'étape de formulation du problème.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Avez-vous eu la possibilité de travailler sur le chlordécone, dont l'interdiction est antérieure à 1993 ?

M. Jean-Pierre Cugier . - J'ai étudié cette question entre 2006 et 2008, une époque où je ne travaillais pas encore pour l'EFSA. J'avais collecté, en collaboration avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), les données issues d'enquêtes réalisées en Martinique et à la Guadeloupe, dans le cadre du règlement n° 396/2005 qui visait à harmoniser les limitations maximales de résidus de pesticides au niveau de l'Union européenne, limites précédemment fixées par les États par transposition d'une directive. Ce travail avait donc pour but de fixer les limites, au plan européen, pour le chlordécone.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Dans le cadre du travail que nous avons mené sur la question au sein du Parlement français, nous avons découvert que le chlordécone avait été utilisé en grande quantité en RFA ou en Pologne, mais nous n'avons jamais réussi à mettre la main sur de véritables études qui auraient été menées dans ces pays. Qu'en est-il de la surveillance une fois les limites fixées ?

M. Jean-Pierre Cugier . -Le règlement précédemment cité impose aux États membres de mettre en place des plans annuels de surveillance des résidus.

Deux types d'enquêtes existent. Les enquêtes dites « coordonnées » sont obligatoires ; elles concernent des substances actives et des cultures dont la liste est établie, de manière harmonisée, au niveau européen, le nombre d'échantillons à récolter étant proportionnel à la population et au minimum de 600 pour chaque groupe de cultures. S'y ajoutent toutes les enquêtes laissées à l'initiative des États membres, chacun pouvant décider des molécules à rechercher en fonction de ses propres problématiques. Chaque année, ce sont ainsi 80 000 échantillons, environ, qui sont collectés pour la recherche de 200 pesticides, soit 16 millions de données.

L'EFSA, toujours dans le cadre de ce règlement, a pour mission de collecter l'ensemble de ces données de surveillance et d'établir, sur ces bases, un rapport annuel dressant un bilan de la situation au regard des limites maximales de résidus et d'éventuels impacts sur la santé des consommateurs.

Plus d'un millier d'échantillons ont été analysés dans le cadre de la recherche spécifique du chlordécone.

Le bilan tiré des enquêtes réalisées aux niveaux européen et international, année après année, varie relativement peu : 50 % des échantillons ne présentent aucune trace de résidus, 47 % présentent des traces, sans dépassement des limites maximales et 3 % sont en dehors des normes, du fait soit d'un dépassement des limites, soit d'une non-conformité.

M. Michel Magras, président . - Des études ont-elles été réalisées sur le malathion ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Les enquêtes coordonnées ont démarré dès 1997. Des progrès notables ont été réalisés dans ce domaine, avec une forte augmentation du nombre d'échantillons prélevés et de pesticides recherchés. On est passé pour ces derniers d'une centaine à 200 actuellement. L'apparition de la chromatographie en phase liquide, la HPLC MS-MS, a apporté un profond bouleversement dans les années 2000, en ouvrant les analyses à un nouveau type de pesticides.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Pouvez-vous nous parler du fipronil ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Je l'ai dit, nos évaluations de pesticides sont réalisées en conformité avec une réglementation très stricte. Celle-ci exige qu'elles soient menées sur les usages dits « représentatifs ».

Pour le fipronil, les usages évalués à partir du dossier présenté dans les années 2004-2005 étaient le traitement de semences sur le tournesol et le maïs. Mais l'autorisation d'une substance active étant donnée pour dix à quinze ans, le dossier du fipronil devra être revu en 2017. L'évaluation ne concernait pas la fourmi-manioc.

La notion d'usages représentatifs n'est pas précisément définie : mais il s'agit d'usages s'appliquant à des cultures courantes au sein des États membres. Les sociétés peuvent donc être tentées de choisir des usages représentatifs en ce sens, comme par exemple les céréales, mais pas forcément au plan environnemental ou de la santé du consommateur.

La « représentativité » de l'usage pourrait donc parfois être contestée, mais il ne nous appartient pas de le faire.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - La fourmi manioc est un véritable fléau pour les agricultures antillaise et guyanaise. Ce problème sera-t-il étudié en 2017 ? Est-ce un problème purement franco-français ?

M. Jean-Pierre Cugier . - J'insiste sur le fait que nous n'avons aucune marge de manoeuvre sur cette problématique des usages représentatifs. Tout dépend du choix ciblé par l'appliquant à l'origine de la saisine.

Effectivement, les conditions climatiques dans les outre-mer sont complètement différentes de celles de l'Europe continentale. Or, nos évaluations sur l'impact sur l'environnement ou le transfert dans les eaux de surface et les eaux souterraines s'appuient sur neuf sites représentatifs des cultures européennes - Châteaudun pour la France ou Piacenza pour l'Italie -, tous situés dans le périmètre européen. De ce fait, ces évaluations ne sont probablement pas représentatives de la situation en outre-mer.

M. Bernard Bottex . - L'EFSA n'est pas en mesure de demander à recueillir des données sur l'utilisation d'une substance active au niveau d'un territoire précis. En revanche, la France peut intervenir dans le cadre du comité chargé de délivrer l'autorisation pour la substance active en signalant que les pratiques agricoles sur lesquelles repose l'évaluation ne sont pas compatibles avec la situation en outre-mer. C'est à ce niveau qu'il faut agir.

M. Michel Vergoz . - La Réunion en est actuellement à la phase 2b d'un plan de lutte antivectorielle pour faire face à une crise d'arbovirose. Confrontées à une autre crise de nature similaire en 2005 et 2006, nos populations ont été ébranlées par l'utilisation de pesticides qui, selon elles, représentaient un grand danger pour la qualité de l'air et la santé animale ou végétale. Dix ans plus tard, l'EFSA s'est-elle penchée sur l'innocuité des produits larvicides et adulticides employés dans le cadre de cette lutte antivectorielle ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Nous n'avons pas compétence à travailler sur les produits à usages non agricoles. L'impact des produits destinés à la destruction des moustiques que vous évoquez a dû être étudié au niveau de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) dont le siège est à Helsinki.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Peut-on considérer que vous ne travaillez jamais sur les préparations naturelles utilisées en outre-mer, dès lors qu'aucune société ne va diligenter d'études sur ces préparations ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Le règlement n° 1107/2009 prévoit toute une procédure d'évaluation des substances dites naturelles. Nous disposons également d'une procédure simplifiée pour ce que nous appelons les produits basiques, c'est-à-dire des molécules dont la fonction principale ne correspond pas à un usage de pesticide, mais qui peuvent être utilisées comme tel.

Chaque année, nous recevons un nombre significatif de dossiers concernant des substances naturelles. Ils nous sont adressés par les États membres ; dans le cas de la France, beaucoup nous sont transmis par l'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB). Il peut s'agir d'extraits de plantes ou des produits utilisés comme additifs alimentaires.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Existe-t-il un institut spécifique à l'outre-mer qui serait en mesure de saisir l'EFSA ?

M. Jean-Pierre Cugier . - L'autorité compétente avec laquelle nous travaillons en France est l'Anses. Si des instituts voulaient développer le type de produits auxquels vous faites référence, ils devraient passer par elle pour que nous puissions nous emparer du dossier.

M. Michel Magras, président . - La signature, par l'Union européenne, d'accords de libre-échange avec des pays tiers entraîne l'entrée de substances sur le territoire européen. Celles-ci, j'imagine, sont évaluées. Vous arrive-t-il d'être saisis de ce type de dossiers ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Nous le sommes, selon une procédure dite d'« import tolerance ». Si une molécule, interdite en Europe, est autorisée aux États-Unis ou dans un pays d'Amérique latine, un État membre peut introduire une demande d' import tolerance . L'évaluation est réalisée à notre niveau et pourra se traduire par la fixation d'une limite de résidus. Ainsi, si le Honduras utilise une molécule sur la banane qui n'est pas autorisée dans l'espace européen, il s'adresse à un État membre qui procède à une évaluation et transmet le rapport à l'EFSA qui fixera la limite maximale de résidu pour la molécule concernée.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Pensez-vous que, dans le cadre de l'action que la délégation sénatoriale à l'outre-mer entend mener au niveau du Parlement, nous pouvons directement intervenir auprès de vous. Le passage par l'État membre est-il incontournable ? Tiendrez-vous compte des problématiques spécifiques à l'outre-mer ?

M. Jean-Pierre Cugier . - Vous êtes tenus de passer par l'autorité compétente pour la France pour exposer une problématique propre à l'outre-mer. En revanche, s'il s'agit d'oeuvrer à la prise en compte, dans la réglementation européenne, de la spécificité des outre-mer, alors il faut travailler à une modification de cette réglementation. Nous ne sommes pas compétents dans ce domaine.

M. Bernard Bottex . - Si l'EFSA ou les experts auxquels nous avons recours sont informés d'un risque ou d'une utilisation non décrits dans le dossier d'évaluation, tous ont la liberté d'aller chercher des informations supplémentaires et de les faire remonter au niveau de la Commission européenne ou du gestionnaire de risque en les mentionnant dans les conclusions de l'évaluation. Nous ne pouvons pas aller au-delà, mais toutes les informations pertinentes sont évidemment bienvenues et nous avons le devoir de les prendre en considération.

M. Michel Magras, président . - Je vous remercie pour cette intervention, d'une grande clarté et d'une grande rigueur, qui nous permet d'apprécier le périmètre de vos missions.

Audition de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)

M. Michel Magras, président . - Après l'Autorité européenne de sécurité sanitaire, nous recevons maintenant les représentants de l'Agence nationale de sécurité sanitaire : Mmes Françoise Weber, directrice générale adjointe en charge des produits réglementés, et Alima Marie, directrice de l'information, de la communication et du dialogue avec la société, qui sont accompagnées de M. Jérôme Laville, coordinateur référent pour l'outre-mer.

Nous vous remercions d'être venus jusqu'à nous. Vous aurez compris le sens de nos préoccupations en prenant connaissance de la trame de questions qui vous a été adressée par le secrétariat de la délégation. Notre quête est celle d'une meilleure prise en compte des spécificités de nos productions ultramarines : vous pouvez y tenir un rôle majeur et il y a sans doute des progrès possibles. Nous voulons comprendre précisément les procédures actuelles et envisager avec vous les pistes d'amélioration.

À mes côtés se trouvent deux de nos rapporteurs, Catherine Procaccia et Jacques Gillot. À moins qu'ils ne souhaitent intervenir en préambule, je vous propose de prendre la parole en suivant la trame de questions qui servira de fil conducteur à nos échanges.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Je vous serais reconnaissante, par souci de continuité avec l'audition précédente, d'évoquer en priorité les saisines de l'EFSA par l'Anses.

Mme Françoise Weber, directrice générale adjointe en charge des produits réglementés . - L'Anses a une très vaste responsabilité, puisqu'elle est chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Elle exerce donc une expertise très transversale sur l'ensemble des risques auxquels la population et l'environnement sont exposés, risques liés aux aliments, aux modes de vie ou au travail.

Depuis le 1 er juillet, elle a en outre la responsabilité de délivrer les autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture.

Par le passé, elle n'était responsable que de l'évaluation scientifique de ces produits, la décision finale revenant au ministère de l'agriculture. Désormais, elle prend aussi en charge la décision, laquelle tient compte d'éléments allant bien au-delà de la seule évaluation scientifique tels que des mesures de gestion ou de contrôle des risques, la praticabilité des conditions d'emploi ou l'intérêt agronomique des produits.

Elle accomplit ces missions dans le respect de ses principes fondateurs : rigueur et indépendance de l'expertise. La mise en place d'un dispositif de phytopharmacoviligance témoigne aussi de sa préoccupation d'une détection précoce des signaux relatifs aux effets nocifs de ces produits. L'agence a désormais les moyens de mener des études indépendantes dans ce domaine. Enfin, elle travaille dans un souci d'ouverture et de dialogue avec la société.

Dans ses travaux sur les produits utilisés outre-mer, elle a une exigence très haute de sécurité sanitaire et applique les critères européens qui sont parmi les plus stricts au monde. Cela explique, concernant la gamme de produits disponibles, les différences constatées avec les pays voisins extérieurs à l'Union européenne.

L'Anses est néanmoins sensible aux besoins de l'outre-mer et très engagée dans la recherche de solutions spécifiques.

Ainsi, elle dispose sur l'île de La Réunion d'une unité spécifique dédiée à la recherche sur les agents pathogènes et particulièrement active en matière de protection des végétaux implantés. Il s'agit d'un laboratoire national de référence, en charge de la validation de méthodes de diagnostic très importantes et engagé dans de nombreuses collaborations avec le Cirad, l'INRA et les acteurs locaux.

L'Anses s'implique également dans la recherche de solutions au niveau ministériel, à travers le comité des usages outre-mer et orphelins. Cette structure, dans laquelle elle est très active, a pour mission de repérer les besoins prioritaires et de rechercher des solutions. Certaines ont déjà pu être trouvées, pour des usages mineurs.

Nous comptons maintenir cet engagement sur les sujets propres à l'outre-mer. En témoigne la présence de Jérôme Laville, agronome expérimenté à qui nous avons confié la responsabilité de porter les préoccupations outre-mer dans toutes nos activités relatives aux produits phytopharmaceutiques.

Nous avons également mis en place des procédures prioritaires, notamment pour les usages mineurs qui n'intéressent pas les firmes. Les dossiers sont allégés et traités dans un délai de six mois au lieu d'un an.

Malgré tous ces efforts, beaucoup reste à faire car les besoins phytopharmaceutiques en outre-mer ne trouvent souvent pas de solutions.

Pour les grandes cultures, comme la banane ou la canne à sucre, on en trouve, mais la couverture demeure fragile. Pour les usages mineurs, les besoins sont immenses et non couverts.

En outre, les conditions d'emploi prévues dans les dossiers par les firmes ne sont pas toujours adaptées à l'outre-mer. Malheureusement, la réglementation ne nous laisse pas beaucoup de capacité d'initiative dans ce domaine, puisque, si nous pouvons limiter les conditions d'emploi, nous ne pouvons pas en proposer de nouvelles.

Cela ne nous empêche pas d'intervenir auprès de toutes les parties prenantes, notamment dans le cadre du comité ministériel, pour essayer de trouver des solutions.

Selon nous, la lutte biologique, notamment les macroorganismes, suscite beaucoup d'espoir. Nous travaillons sur ces solutions, ainsi que sur la sécurité des agriculteurs et des consommateurs, avec, par exemple, des études portant sur les travailleurs dans les bananeraies ou les spécificités de la consommation outre-mer.

Un des problèmes que nous rencontrons est lié à la quasi-inexistence des modèles ultramarins dans les modèles scientifiques que nous utilisons, notamment prenant en compte les conditions climatiques spécifiques et la grande diversité des sols. De la même manière, nos modèles alimentaires se réduisent au périmètre européen.

La France étant l'un des principaux pays concernés par les régions ultrapériphériques, nous travaillons à développer des modèles spécifiques et à les porter au niveau européen afin qu'ils puissent être pris en compte dans les prochains documents guides servant de base à l'évaluation. Il s'agit de modèles d'exposition environnementale des sols et des eaux et d'un modèle de consommation caribéen.

L'Anses est donc très engagée sur deux fronts. D'une part, elle cherche à assurer la délivrance des autorisations de mise sur le marché dans les meilleures conditions de sécurité et d'efficacité agronomique ; d'autre part, elle développe une très grande expertise en matière de protection des végétaux et de recherche d'alternatives.

M. Michel Magras, président . - Les représentants de l'EFSA nous ont très clairement expliqué que leur autorité ne pouvait être saisie que par un État membre ou son agence nationale - l'Anses en France. Elle ne pourrait répondre à des sollicitations des régions périphériques elles-mêmes. Si une problématique propre à l'outre-mer surgit, n'est-ce pas à l'Anses de s'en saisir de manière très officielle et de se tourner vers l'EFSA ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - J'ai noté que vous étiez conscients des spécificités de l'outre-mer et développiez des modèles permettant de les prendre en compte. Il y a lieu de s'en réjouir. Cette prise en considération date-t-elle du mois de juillet dernier, quand vos compétences ont été étendues, ou le sujet était-il exploré auparavant ?

Mme Françoise Weber . - Cette démarche ne date pas de juillet dernier, même si la mise en place du référent outre-mer est récente. L'AFSSA y était déjà engagée et le laboratoire de la santé des végétaux est implanté à La Réunion depuis plusieurs années.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Dans ce cas, pourquoi la réglementation européenne ne tient-elle absolument pas compte des spécificités de l'outre-mer ?

Mme Françoise Weber . - Au-delà du règlement, datant de 2009, il a fallu mettre en place des documents guides pour l'évaluation, qui sont toujours en évolution. C'est un long travail, et il nous faut également du temps pour mener à bien nos études.

Les relations entre la France et l'Europe s'établissent à deux niveaux : un niveau ministériel faisant intervenir le gouvernement français et la Commission européenne pour l'autorisation des substances actives et le niveau des évaluateurs techniques, c'est-à-dire l'Anses et l'EFSA.

Nous pouvons donc saisir l'EFSA sur des questions techniques, notamment sur l'intégration de modèles dans les documents guides, ou l'alerter sur certains sujets. J'ajoute que nous sommes responsables de la mise sur le marché des préparations, c'est-à-dire la substance active dans sa préparation et son emballage, alors que le niveau européen prend en charge l'évaluation et l'autorisation des seules substances actives.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Avez-vous des produits spécifiques à l'outre-mer sur lesquels l'Anses a travaillé ?

Mme Françoise Weber . - Nous avons des produits adaptés à l'outre-mer, mais ils ne sont pas forcément spécifiques à ces régions. Actuellement, environ un tiers des besoins sont couverts pour les cultures tropicales. C'est largement insuffisant !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Vous arrive-t-il, contrairement à l'EFSA, de travailler sur un produit, même sans spécification d'un usage particulier en outre-mer par un fabricant ?

Mme Françoise Weber . - L'Anses ne peut se saisir d'un usage de sa propre initiative - il faut un pétitionnaire, la demande pouvant émaner des filières. En effet, l'agence ne peut être directement le promoteur d'une solution et son évaluateur. Elle n'est en outre pas en mesure de produire des expérimentations. Cela explique notre participation en amont, au niveau ministériel, à la recherche de partenaires susceptibles de développer des solutions et de fournir des données à la fois sur l'efficacité du produit et son innocuité en termes de sécurité. On essaie de stimuler les acteurs potentiels.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Certains produits qui ne seraient pas employables dans l'Hexagone pourraient l'être en outre-mer, notamment du fait du climat tropical. Par ailleurs, dans certains de nos territoires, le développement agricole se trouve à l'arrêt du fait de la fourmi manioc. Pouvez-vous intervenir pour faire observer qu'un produit comme le fipronil pourrait être utilisé pour un usage spécifique en outre-mer ?

Mme Françoise Weber . - Le fipronil a posé de sérieux problèmes et le cas du chlordécone nous rappelle qu'il faut être prudent. Néanmoins, en toute hypothèse, certains produits pourraient être acceptables en outre-mer, et ne pas l'être ailleurs. C'est pourquoi nous développons des modèles spécifiques, notamment en matière de consommation.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Les dossiers de cette nature, qui, pour des raisons financières, n'intéressent pas les firmes, pourraient être pris en charge par l'État.

Mme Françoise Weber . - Le ministère de l'agriculture, à travers la cellule que j'ai évoquée à plusieurs reprises, a pris en charge un certain nombre d'essais et d'expérimentations ayant permis d'alimenter des dossiers d'autorisation de mise sur le marché.

M. Michel Magras, président . - Le fait qu'un produit, que l'on a jugé, sur des bases scientifiques, non utilisable dans un endroit donné pour des raisons de santé humaine puisse l'être ailleurs m'interpelle.

Par ailleurs, l'Europe autorise de plus en plus l'entrée sur son territoire de produits en provenance de pays tiers. Effectuez-vous un contrôle a posteriori , pour vérifier que ces produits ne contiennent pas de substances interdites ?

Mme Françoise Weber . - S'agissant de votre première remarque, je n'évoquais pas la possibilité d'une moindre exigence en matière de sécurité sanitaire. Mais les modes de consommation peuvent très largement varier entre l'Europe et l'outre-mer. Cela explique que l'on puisse envisager l'utilisation, en outre-mer, de produits interdits en métropole.

Nous ne sommes pas responsables des contrôles sur les produits de consommation, ce sont les services déconcentrés du ministère de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DAAF) qui sont compétents ainsi que ceux de la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). L'Anses ne contrôle que l'étiquetage des produits phytopharmaceutiques et le respect de l'AMM pour ces produits. Des contrôles sont mis en place, mais on peut probablement considérer qu'ils sont insuffisants.

M. Michel Vergoz . - Voilà une dizaine d'années, l'île de La Réunion a connu une crise très grave, celle du chikungunya. À l'époque, les populations ont été très perturbées par une utilisation massive de pesticides. Dans le cadre de la lutte antivectorielle que nous menons actuellement, suis-je en mesure de rassurer la population quant aux larvicides et adulticides utilisés ?

Par ailleurs, nous sommes nombreux à avoir été troublés par les réponses qui sont tombées dans le dossier du glyphosate. L'OMS évoque un probable caractère cancérigène, l'Europe, au motif que ce caractère est probable, envisage une prolongation de l'autorisation tandis que la France décide d'interdire. Que pensez-vous de ces différentes réactions ?

Mme Françoise Weber . - Nous travaillons depuis longtemps sur la lutte antivectorielle et nous serons décisionnaires, au 1 er juillet 2016, sur l'autorisation de mise sur le marché des biocides. Nous avons été mobilisés lors des graves crises en outre-mer et saisis à deux reprises par nos ministères de tutelle sur cette question. Celle-ci est complexe, et nous sommes loin de disposer du produit idéal. Nous menons donc actuellement une expertise sur des produits susceptibles d'être utilisés en toute sécurité, sachant que les phénomènes de résistance se développent. Nous travaillons également sur des conditions d'utilisation garantissant la sécurité et l'efficacité.

Le sujet du glyphosate nous occupe beaucoup. Deux avis scientifiques divergents ont été rendus : le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), dépendant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a considéré le produit comme un probable cancérigène, correspondant au niveau 1b dans notre classification actuelle ; l'EFSA, sur la base d'une étude allemande de l'Institut fédéral d'évaluation des risques (BFR), a estimé que seul un classement dans les cancérigènes de catégorie 2 pouvait être éventuellement envisagé. L'EFSA a également interrogé l'Agence européenne des produits chimiques, l'ECHA, sur la cancérogénicité du produit et sur un éventuel effet de perturbateur endocrinien. Le BFR et l'EFSA se sont donc prononcés en faveur d'une faible probabilité de cancérogénicité.

Interrogés sur cette divergence d'appréciation par nos ministères de tutelle, nous avons réuni un groupe d'experts pour trancher entre ces deux avis. Celui-ci a conclu que, s'il était peu probable que le glyphosate soit un cancérigène de catégorie 1b, on pouvait s'interroger sur son classement en catégorie 2. Donc il est légitime de se tourner vers l'ECHA qui étudie les dangers de la substance active. Le danger se différencie du risque qui prend en compte l'exposition.

Pendant ce temps, des débats ont été engagés au niveau de la Commission européenne sur le possible renouvellement de l'approbation de la substance au 30 juin prochain. Ces discussions sont toujours en cours.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Comment l'Anses traite-t-elle les préparations naturelles utilisées de manière traditionnelle ?

Mme Françoise Weber . - Plusieurs dossiers de cette nature ont été portés à notre connaissance, et nous les accueillons avec bienveillance. Mais nous rencontrons régulièrement un obstacle dans ce domaine : pour pouvoir évaluer ces préparations, leur composition exacte doit être à peu près stabilisée et, surtout, portée à notre connaissance. Ce problème s'est présenté pour le lixiviado dans la culture de la banane.

M. Jacques Gillot, rapporteur . - Nous en revenons à la même question : que faire sans laboratoire ou société pour porter le dossier ? Nous avons des solutions naturelles pour lutter contre la fourmi manioc, mais nous ne pouvons pas les mettre à l'oeuvre faute d'homologation et de moyens financiers adéquats ! Pouvez-vous intervenir ?

Mme Françoise Weber . - Notre capacité d'intervention se limite à notre participation au comité des usages outre-mer et orphelins. Au-delà, il revient au ministère de l'agriculture d'agir. Nous pouvons également vous conseiller sur les données minimales qu'il faudrait fournir dans le cadre d'une demande d'autorisation de mise sur le marché.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Les filières peuvent également vous saisir...

Mme Françoise Weber . - Nous entretenons un dialogue permanent avec les filières, et nous pouvons engager avec elles des discussions techniques sur le développement de certaines solutions.

M. Gilbert Roger . - Combien d'argent faudrait-il mettre sur la table pour financer les expertises dont il est ici question ?

M. Michel Magras, président . - Vous avez évoqué une implantation sur l'île de La Réunion. Comment l'Anses intervient-elle concrètement en outre-mer ?

Mme Françoise Weber . - Je ne suis pas développeur, mais je pense que nous parlons de quelques dizaines de milliers d'euros par expérimentation pour évaluer l'efficacité d'un produit.

M. Gilbert Roger . - Je veux bien y consacrer une partie de ma réserve parlementaire. À dix, nous pourrions réunir la somme...

Mme Françoise Weber . - Par ailleurs, même si nous ne sommes pas sur place, nous travaillons en contact très étroit avec les territoires.

M. Jérôme Laville, coordinateur référent pour l'outre-mer . - Les dossiers de demande d'homologation, particulièrement pour les cultures tropicales, nous sont connus plusieurs mois avant de nous être officiellement transmis. Nous identifions d'éventuels points de blocage pour l'homologation et entrons en contact avec les filières agricoles, notre point de passage privilégié étant l'Institut technique tropical pour éviter la multiplicité des interlocuteurs. Nous laissons donc l'évaluateur faire son travail scientifique, mais lors du processus de décision, nous pouvons introduire des informations supplémentaires à l'attention de la direction générale sur l'impact économique ou technique de la décision ou sur d'éventuelles mesures qui pourraient l'accompagner.

Dans ce processus de contextualisation, je m'appuie sur les compétences des personnes aux commandes et des instituts techniques. La décision étant nationale et s'imposant à tous les territoires, la prise en compte, en amont, des spécificités de chacun est essentielle.

Dans le cas du dossier Banol, l'évaluation a posé une difficulté du fait de la non-intégration, dans les modèles d'évaluation du risque environnemental, de certains insectes présents en outre-mer et pas dans l'Hexagone. Mais nous avons pu trouver un compromis entre la préservation de ce risque environnemental et les besoins des professionnels en termes de cadences d'application.

Ce qu'il faut retenir, dans cet exemple, c'est que les professionnels, à partir d'une demande de la société détentrice du produit, ont travaillé en amont pour faire évoluer les choses. Nous n'intervenons pas dans ce travail entre les professionnels, le pétitionnaire et l'institut technique, mais nous vérifions la cohérence des propositions et leur applicabilité sur l'ensemble des territoires français produisant de la banane.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Une démarche valable pour la filière de la banane, qui occupe une place importante aux Antilles, est peut-être plus difficile à mener sur les petites filières.

M. Jérôme Laville . - Nous procédons de la même manière, que la culture soit majeure ou mineure, même s'il y a davantage de données disponibles sur une grande culture comme la banane. On s'appuie également sur le groupe de travail animé par la direction générale de l'alimentation (DGAL) en concertation avec l'expert national du ministère de l'agriculture.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Avez-vous reçu des sollicitations concernant le département de Mayotte, qui dispose de certaines cultures propres ?

M. Jérôme Laville . - Une refonte du catalogue des usages a permis de regrouper, sous la terminologie globale de « cultures tropicales », un certain nombre de cultures orphelines qui n'y figuraient pas. Il faudrait vérifier que les cultures auxquelles vous pensez ont bien été incluses dans cette catégorie. En effet, les produits autorisés sur la culture principale sont de facto utilisables sur l'ensemble des cultures voisines.

Par ailleurs, nous ne pouvons prendre en considération un dossier d'homologation que s'il est déposé. Une éventuelle problématique sur ces cultures devrait être remontée à l'agence par le biais de l'Institut technique tropical. Il faudrait également alerter la Commission des usages orphelins et des cultures tropicales de la DGAL pour que les groupes de travail prennent en charge ces problématiques.

M. Charles Revet . - Suggérez-vous qu'un produit serait utilisable pour la culture principale, mais ne le serait pas pour d'autres cultures, que le danger n'existerait que pour certaines cultures ?

M. Jérôme Laville . - Le regroupement des cultures dans le catalogue a été effectué en se fondant sur une problématique « résidus ». On considère que le niveau de résidus acceptable pour une application à une dose déterminée d'un produit peut être extrapolé entre certaines cultures aux caractéristiques similaires, par exemple de la tomate vers l'aubergine ou du blé vers l'épeautre.

Mme Françoise Weber . - Les effets d'un produit sur le consommateur ou l'environnement dépendent du type de culture. Un produit peut être sans effet délétère pour une utilisation sur le sol avec des légumes racines, mais en avoir pour une autre utilisation, en arboriculture par exemple. Le progrès réside dans le fait qu'auparavant les données devaient être fournies culture par culture et que grâce au catalogue, il est désormais possible de procéder à des extrapolations. Cependant, selon la culture considérée, certains usages ou certaines conditions d'utilisation peuvent être déclarés non conformes.

M. Charles Revet . - Quels sont vos moyens de contrôle et de sanctions ?

Mme Françoise Weber . - Les organismes de contrôle sont nombreux, les contrôles pouvant porter sur les exploitations ou les denrées. Il faut également citer le dispositif de phytopharamacovigilance que nous sommes en train de mettre en place pour collecter les signaux relatifs aux effets nocifs.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - L'Europe, qui ne tient jamais compte de la situation outre-mer, suit-elle systématiquement les avis que vous émettez ?

Mme Françoise Weber . - L'avis au niveau européen porte sur la substance active, et s'appuie sur les données relatives à cette substance et à une préparation de référence. Les pays ne peuvent autoriser un produit que si la substance active qu'il contient est autorisée par l'Europe. Celle-ci ne peut pas contester l'autorisation de mise sur le marché délivrée par un État membre dès lors qu'elle a autorisé la substance active.

M. Maurice Antiste . - Avez-vous des informations sur le rythme d'apparition ou de disparition de certains produits ? Pouvez-vous nous donner un nombre de produits existants ? Avez-vous la maîtrise de toutes les filières internationales de circulation des produits ? Existe-t-il un lieu d'échange international permettant de partager les expériences vécues, voire les analyses ?

Mme Françoise Weber . - Nous examinons environ 1 300 produits par an, dans le cadre soit d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, soit d'une hypothèse de retrait. Actuellement, nous avons une vingtaine d'autorisations en cours de réexamen pour la banane et un peu plus d'une dizaine pour la canne à sucre. C'est donc un ensemble très évolutif.

Il n'existe pas d'instance internationale d'échanges officielle, en dehors de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ou de quelques autres instances des Nations unies. Mais, en dehors des colloques scientifiques, nous essayons de développer des contacts avec nos homologues européens, au travers de l'EFSA, ainsi qu'à l'international.

M. Michel Magras, président . - Donc, l'EFSA évalue la dangerosité de la substance active et vous analysez l'impact du produit sur la santé humaine...

Mme Françoise Weber . - Nous évaluons le risque, soit une combinaison de la dangerosité du produit et de l'exposition à ce produit. On trouve de l'eau de javel, un produit extrêmement dangereux, dans toutes les maisons. La question est bien de savoir quelle est votre exposition à ce produit et dans quelle mesure le risque est acceptable.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur . - Dans le cas du chlordécone, si les travailleurs avaient été bien protégés, l'Anses ou l'EFSA n'auraient strictement rien trouvé dans les bananes. Comment auriez-vous pu mesurer son incidence sur les légumes racines ?

Mme Françoise Weber . - Dans le dossier d'autorisation de mise sur le marché, nous aurions obligatoirement examiné les questions de persistance dans les sols ou de présence dans l'eau. Aujourd'hui, le chlordécone ne serait autorisé ni au niveau européen pour la substance active ni à notre niveau pour les préparations.

Pour le glyphosate, nous nous intéressons à la préparation au niveau national et nous sommes surtout préoccupés par les coformulants qu'elle contient, notamment la tallowamine pour laquelle les garanties d'innocuité ne sont pas avérées. La décision peut différer selon les coformulants utilisés.

M. Michel Magras, président . - Pourriez-vous nous dire deux mots sur votre action en termes de communication ?

Mme Françoise Weber . - Notre préoccupation est double : être en contact avec l'ensemble des parties prenantes, ONG, citoyens ou élus, prendre en compte leurs avis et soumettre à leur regard nos réalisations, d'une part ; travailler dans la plus grande transparence en communiquant sur notre façon de travailler et sur nos avis, d'autre part. Nous tenons des comités d'orientation thématiques, par exemple très récemment sur la santé des végétaux. Nous organisons également des lieux d'échanges sur les sujets thématiques pour lesquels nous faisons le point à échéances régulières.

Mme Alima Marie, directrice de l'information, de la communication et du dialogue avec la société . - Nous distinguons la question des relations avec les parties prenantes, qui est fondamentale pour nous, de nos actions de communication. Nous cherchons effectivement à constituer de véritables lieux d'échanges pour recueillir leurs réactions et observations et expliquer en retour le processus de décision.

Nous sommes également très sollicités par les médias, qui, nous le notons, s'intéressent de plus en plus au fond. Nous nous en félicitons et nous rendons disponibles pour donner toutes les explications nécessaires.

M. Michel Magras, président . - Cet entretien nous conforte dans l'appréciation portée, au sein du Sénat, sur l'Anses. Votre structure est perçue comme un organisme de référence, qu'il est important d'encourager, d'aider et de valoriser. Cet échange est porteur d'espoir pour nos outre-mer.

Jeudi 2 juin 2016
Audition de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

M. Éric Doligé, président . - Mes chers collègues, notre collègue Michel Magras, aujourd'hui empêché, m'a demandé d'ajouter à ma casquette de rapporteur coordonnateur celle de président de séance. En outre, je dois également excuser Catherine Procaccia qui se trouve aujourd'hui aux États-Unis pour les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Notre autre rapporteur sur les normes applicables à l'agriculture dans les outre-mer, Jacques Gillot, est quant à lui retenu en Guadeloupe.

Avant d'aborder notre ordre du jour, et pour faciliter la gestion de vos agendas, je vous informe que le deuxième volet de notre étude sur le foncier sera examiné en réunion plénière le jeudi 23 juin et le rapport sur les normes applicables à l'agriculture dans les outre-mer, le 7 juillet.

Nous accueillons aujourd'hui des représentants de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) pour compléter nos investigations sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'ensemble des filières agricoles de nos outre-mer, végétales, animales et aquacoles.

Notre cycle d'auditions s'achève sur la thématique du contrôle. Nous souhaitons notamment comparer en la matière le traitement respectivement réservé aux productions agricoles de nos outre-mer et à celles qui sont importées de pays tiers.

En outre, les auditions que nous avons menées nous ont alertés sur un certain nombre de sujets sur lesquels nous aimerions recueillir vos observations.

Je pense par exemple aux « trous dans les mailles du filet » du contrôle douanier à Marie-Galante, qui est un point d'entrée sur le territoire européen dépourvu de poste de contrôle.

Nous avons aussi des interrogations relatives à l'information du consommateur : je pense à la respectabilité découlant de la labellisation « bio », pour la banane, par exemple, alors que les conditions de production de la banane « bio » importée sont généralement moins vertueuses que celles de la banane conventionnelle des Antilles françaises. Pour ce produit phare, en effet, la concurrence est rude.

Mais ces questions, et d'autres encore, figurent dans le questionnaire qui vous a été adressé, mesdames, messieurs, pour préparer l'audition d'aujourd'hui et lui servir de fil conducteur.

Nos questions sont précises. Vos réponses nous permettront de connaître la façon dont vous intervenez et les moyens dont vous disposez, de comprendre la complémentarité entre la DGCCRF et les douanes. Vous nous donnerez des informations sur votre présence géographique, sur les secteurs qui connaissent des faiblesses et qu'il conviendrait de renforcer.

Nous avons également constaté que les produits « pays », ou dits tels, ne venaient pas seulement des territoires ultramarins, mais des pays du voisinage, et que nombre de produits importés en Europe peuvent pénétrer par plusieurs points d'entrée, ce qui pose des problèmes en termes de normes sanitaires et phytosanitaires.

Vous êtes les derniers interlocuteurs que nous auditionnons sur ce sujet. J'espère donc que nous pourrons terminer sur un feu d'artifices et compléter ainsi nos informations.

Je vous cède la parole.

M. Jean Fouché, chef du bureau de la programmation des enquêtes, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) . - Je présenterai en quelques mots l'organisation de nos services de contrôle outre-mer avant de répondre à vos questions.

À la différence des services de la DGCCRF de métropole, ceux d'outre-mer sont implantés au sein des directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE). Ils assument l'ensemble des missions de la DGCCRF, qu'elles concernent la concurrence, comme la lutte contre les pratiques commerciales restrictives ou anti-concurrentielles, ou le volet « qualité, sécurité, information du consommateur ».

Les DIECCTE, à l'instar des DRIECCTE en métropole, sont divisées en plusieurs pôles. Le pôle C, « concurrence-consommation », dirigé par un chef de pôle, est chargé des missions de la DGCCRF au sein de cette entité administrative.

Pour ce qui concerne les contrôles, nous bâtissons chaque année un programme national d'enquêtes, ou PNE, élaboré à partir d'orientations définies au niveau de l'administration centrale, et qui se traduit par des enquêtes et des vérifications. Sur les quelque 180 enquêtes lancées chaque année, certaines sont obligatoires pour les services, d'autres leur sont proposées : les services qui décident de les mener font ce choix en fonction de leur analyse propre des enjeux régionaux à couvrir.

Les services disposent donc d'une certaine latitude pour exercer leur mission de contrôle.

En outre-mer, et c'est une particularité de ces territoires, les services locaux ont la possibilité de définir des orientations régionales, afin de couvrir des thématiques propres à la région qui ne figureraient pas parmi les orientations nationales.

On retrouve, à quelque chose près, les mêmes orientations dans toutes les entités outre-mer. Je pense, par exemple, au suivi du bouclier qualité-prix, c'est-à-dire l'évolution des prix. Il s'agit de détecter, grâce à une surveillance étroite, les comportements pouvant être à l'origine de hausses artificielles de prix, ou des problèmes de qualité, comme la présence de chlordécone aux Antilles.

L'engagement dans le PNE représente 70 % à 75 % de l'activité d'une direction, les autres activités relevant de sa propre initiative. Elle peut ainsi traiter les plaintes de consommateurs ou de professionnels qui lui sont adressées.

En outre-mer, cet engagement se traduit, pour une large part, par la mise en oeuvre des orientations régionales, qui représente 20 % de l'activité de la direction, au travers d'enquêtes spécifiques diligentées dans l'un ou l'autre champ - le marché de l'automobile, par exemple - du secteur de la distribution.

Les effectifs de Guadeloupe et de Martinique sont composés d'un peu moins de 30 agents, encadrement compris, ceux de La Réunion de 20 ou 21 agents. À l'exception de ce département, qui peut être comparé avec d'autres de taille similaire en métropole, aux Antilles, les niveaux d'effectifs par rapport à la population sont plutôt au-dessus de la moyenne métropolitaine.

Au sein de la DGCCRF, les effectifs sont répartis au terme de dialogues de gestion avec les entités régionales. La règle de répartition est fondée sur l'indice de richesse vive, l'IRV, des départements, c'est-à-dire l'indice de richesse économique pour les secteurs compris dans le périmètre des missions de la DGCCRF. L'activité de production aéronautique, par exemple - si l'on excepte, peut-être, les aspects de sous-traitance - ne concerne que de très loin le coeur de notre métier.

Il nous faut donc corriger cette richesse vive, laquelle est mesurée par l'indice PROSCOP, du nom du cabinet d'études économiques qui nous fournit les données. Nous procédons à cette pondération en utilisant des indicateurs davantage en rapport avec nos missions. Cette clef de répartition permet de distribuer la masse des effectifs, moyennant quelques ajustements entre petits et gros départements. En effet, si l'on appliquait de façon stricte cet indice, des disparités importantes apparaîtraient. Pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique, le correctif est plutôt au-dessus de la moyenne de l'IRV.

M. Éric Doligé, président . - Les résultats de vos enquêtes sont-ils rendus publics ou bien sont-ils confidentiels ?

M. Jean Fouché. - Chacune des 180 enquêtes menées par la DGCCRF donnent lieu à une instruction précise sur le contexte de son lancement et la façon de procéder au contrôle.

Chaque direction départementale ou régionale engagée dans une enquête doit, à la fin de celle-ci, transmettre au bureau de l'administration centrale un compte rendu reprenant les données sectorielles. Un document récapitulatif global est également rédigé, afin d'établir le bilan de l'enquête. Il est communicable au sens administratif. On choisit parmi les résultats qu'il contient ceux qui nécessitent une publicité plus importante et on les publie sur le site de la DGCCRF.

M. Éric Doligé, président . - Vous avez cité les effectifs en Martinique, à La Réunion et en Guadeloupe. Combien y a-t-il d'agents de la DGCCRF en Guyane et à Mayotte ?

J'ai eu l'impression que La Réunion était moins bien dotée en effectifs que les autres territoires que vous avez cités, alors que la richesse y est plus importante. Ce décalage, en proportion de la population et de la richesse de ce département, est significatif. Cette situation est-elle liée à la géographie locale ? Pouvez-vous nous donner une explication ?

M. Jean Fouché . - Je n'en ai pas sur ce phénomène précis, mais je vais examiner ce point et vous fournirai une explication. La DIECCTE de Mayotte compte 4 agents et celle de Guyane 13.

M. Michel Marin, chef du bureau chargé de la politique des contrôles, Direction générale des douanes et droits indirects . - La douane est implantée dans tous les départements et collectivités d'outre-mer. Elle y a déployé un dispositif complet à la fois de soutien à l'activité économique et de contrôle, qui se traduit par la présence, dans certains cas, de directions régionales des douanes et, dans d'autres, d'un bureau de douane, d'une brigade de surveillance des douanes, de services d'enquête, voire de services de garde-côtes.

L'organisation des services douaniers dans ces territoires est similaire à celle des services implantés en France continentale, tout en tenant compte de la spécificité de chacun des territoires au regard, à la fois, du droit interne et du droit de l'Union européenne.

Pour ce qui concerne les régions ultrapériphériques, et donc les cinq départements d'outre-mer, nous avons une direction interrégionale Antilles-Guyane qui regroupe les directions régionales de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, ainsi qu'une direction régionale garde-côtes Antilles-Guyane.

La direction régionale de Guadeloupe est également chargée des contrôles effectués dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Du côté de l'océan Indien, il existe aussi deux directions régionales des douanes, l'une à La Réunion, l'autre à Mayotte.

Pour ce qui concerne l'organisation de la douane dans les pays et territoires d'outre-mer, il faut aussi citer les directions régionales de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, et une présence douanière à Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.

Dans tous les cas, la douane exerce trois missions principales en outre-mer :

- la première mission est fiscale : perception des droits et taxes à l'importation, des contributions indirectes et de la fiscalité énergétique ;

- la deuxième est une mission économique de soutien et de conseil aux entreprises, qui tend à fluidifier les flux commerciaux ;

- la troisième mission douanière est de protection du territoire : sécurisation du commerce international ; protection du consommateur, de l'environnement ; lutte contre la fraude et les grands trafics.

Les risques sont multiples en outre-mer et relèvent de sphères diverses : sûreté, sécurité, problèmes sanitaires et phytosanitaires. Ils concernent aussi l'économie et la fiscalité.

Aujourd'hui, les frontières cristallisent de nombreuses menaces. À ce titre, la douane se doit d'être présente sur tout le territoire et de moderniser en permanence ses méthodes de travail, ses outils et son organisation pour s'adapter à la multiplicité de ces risques.

Comme le disait mon collègue de la DGCCRF, nous avons, en termes de politique des contrôles, une approche nationale qui décline des priorités applicables à l'ensemble des directions interrégionales des douanes, lesquelles mettent ensuite en oeuvre des plans d'action et des directives opérationnelles. Les directeurs interrégionaux disposent néanmoins d'une marge de manoeuvre, de façon à pouvoir s'adapter aux spécificités de leur ressort.

Dans la pratique, les dispositifs réglementaires de protection se traduisent, à l'importation, par l'obligation faite aux entreprises de démontrer au moment du dédouanement qu'elles ont une attestation délivrée par l'autorité compétente. La douane agit en complémentarité avec d'autres administrations, comme la DGCCRF et la Direction générale de l'alimentation (DGAL), et apporte un concours à la mise en oeuvre des réglementations, de façon à prévenir les importations illégales en particulier.

De fait, la douane entretient un réseau assez large de coopération avec les acteurs et administrations partenaires. Cette coopération peut porter sur l'application de la loi, la gestion des procédures, les échanges d'informations ou le bénéfice d'expertise. Ces échanges sont encadrés par des protocoles nationaux de coopération.

M. Éric Doligé, président . - On imagine que le métier de douanier dans les territoires d'outre-mer doit être assez différent de ce qu'il est en métropole, notamment du fait du caractère essentiellement maritime des frontières.

Ce métier est-il plus complexe à exercer dans certains de ces territoires, comme la Guyane ? On imagine que les frontières forestières et fluviales sont difficiles à surveiller et que les tentatives pour les franchir sont nombreuses.

M. Michel Marin . - Nous devons faire face, en effet, à des enjeux particuliers.

Je veux insister sur un point particulier : l'organisation douanière est déclinée de façon harmonisée dans les départements d'outre-mer, par rapport à la métropole. Il y a des risques spécifiques certes en Guyane, mais, de façon générale, dans la zone des Caraïbes, comme les entrées illégales de produits stupéfiants.

Les missions exercées dans les départements d'outre-mer sont donc diverses, complexes et nécessitent une vigilance constante. Le caractère archipélagique de la Guadeloupe, par exemple, favorise les entrées illégales.

Les moyens mis à disposition des douanes sont à la hauteur des enjeux. Sur le plan des effectifs, la direction interrégionale Antilles-Guyane emploie 800 agents, répartis entre la Martinique - 375 agents -, la Guadeloupe - 266 - et la Guyane - 157. Il y a, par ailleurs, environ 200 agents à La Réunion, et 90 à Mayotte.

Les effectifs douaniers sont donc importants, pour faire face à des enjeux très diversifiés.

M. Michel Vergoz . - Les effectifs des douanes et de la DGCCRF ont-ils augmenté ou baissé au cours des dix dernières années ? Avez-vous suffisamment de moyens humains ?

Mme Vivette Lopez . - Et qu'en est-il par rapport à la métropole ?

M. Michel Marin . - Les effectifs douaniers, de manière générale, ont diminué au cours des dernières années. Ils ont cependant été abondés récemment, dans le cadre du programme, qui s'étendra sur deux années, de lutte contre le terrorisme. Les directions interrégionales des douanes, quel que soit leur positionnement sur le territoire national, en métropole ou dans les départements d'outre-mer, ont bénéficié de ces abondements.

Des efforts ont été faits pour tenir compte, dans le cadre des dialogues de gestion, des besoins de chaque direction interrégionale et pour adapter les moyens aux enjeux locaux. Je pense, en particulier, aux risques de fraudes relevant de la lutte contre les grands trafics, qui se concentrent dans certaines zones « sensibles ». Il y a aussi un risque de porosité : un secteur comme la zone des Caraïbes sert de point d'entrée vers l'Europe continentale.

Le dispositif douanier a toujours été adapté pour prévenir ces risques, dans le cadre d'un dialogue avec les responsables des services déconcentrés que sont les directeurs interrégionaux. Je vous apporterai, dans une réponse écrite, davantage de précisions sur ce domaine, qui ne relève pas directement de la compétence de mon bureau.

M. Éric Doligé, président . - Vos effectifs, notamment ceux des douanes, ont globalement diminué au cours des dix dernières années. Cette baisse a-t-elle été moins forte dans les territoires d'outre-mer ?

M. Michel Marin . - Dans ces territoires, les effectifs ont été, en quelque sorte, sanctuarisés.

M. Michel Vergoz . - Il est important de bien mesurer l'évolution de ces effectifs dans le temps car, sans moyens, on ne peut pas mener de politiques.

Pourrions-nous êtes destinataires d'un document chiffré sur cette évolution, à la fois en métropole et dans les territoires ultramarins ?

M. Michel Marin . - Nous vous ferons parvenir ces informations. Avez-vous un souhait particulier concernant leur périmètre ?

M. Michel Vergoz . - Afin d'avoir une vision objective, il nous faudrait les chiffres des six ou sept dernières années.

Mme Vivette Lopez . - Vous avez parlé de baisse des effectifs. Avez-vous constaté, ou non, une baisse de la fraude ?

M. Félix Desplan . - Le caractère archipélagique de la Guadeloupe implique ainsi un plus grand nombre de côtes à surveiller, avec de nombreuses tentatives d'entrée sur le territoire de flux de marchandises illicites et les trafics de stupéfiants.

Voilà sept ou huit ans, les moyens consacrés à ces missions n'étaient pas à la hauteur, à telle enseigne que le président de la région avait même dû proposer aux services des douanes de financer un bateau garde-côtes.

Vous dites, messieurs, que les moyens sont désormais à la hauteur de la mission. La situation se serait-elle améliorée ?

M. Jacques Cornano . - Nous l'avons répété au Président de la République lors de sa venue en Guadeloupe, le caractère archipélagique de notre territoire n'a jamais été pris en compte.

Contrairement à la Guyane, à La Réunion et à la Martinique, la Guadeloupe est un archipel. Je puis vous dire, en tant que maire de Saint-Louis-de-Marie-Galante, que la police aux frontières a été supprimée sur l'île de Marie-Galante. Cela ouvre un passage pour le trafic de drogue en provenance de l'île de la Dominique vers Pointe-à-Pitre. Le nombre de douaniers est insuffisant par rapport aux normes en vigueur, que ce soit à Marie-Galante ou à Basse-Terre.

Par ailleurs, la question de l'octroi de mer a déclenché une polémique entre le conseil régional et les autorités de l'État.

Avez-vous des informations à nous apporter sur ces points ?

M. Michel Marin . - Les douanes disposent dans la zone Antilles-Guyane d'une direction régionale garde-côtes, dont le siège est en Martinique, et qui bénéfice de moyens navals et aériens avec des implantations en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

La prise en compte des risques particuliers existe bien dans cette zone. La douane y contribue à la lutte contre les grands trafics et mène régulièrement des actions contre la pêche illégale, en obtenant des résultats significatifs. Elle participe également, de façon générale, à l'action de l'État en mer.

La douane est présente à Marie-Galante sous la forme d'une brigade de surveillance qui est compétente pour procéder à un certain nombre de contrôles. En revanche, Marie-Galante ne dispose pas de point de contrôle pour l'entrée des marchandises telles que les végétaux et les animaux. Ce problème n'est pas simplement douanier, mais d'ordre transversal. L'enjeu que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, est à mettre en relation avec le volume des importations qui transitent officiellement par cette île.

La question de l'octroi de mer est en cours de traitement au sein de mon administration. Il s'agit d'un enjeu important pour les départements d'outre-mer, le dispositif ayant fait l'objet une refonte en 2015. Nous vous transmettrons une réponse sur ce point.

Mme Christine Dubois, chef du bureau chargé des prohibitions, de l'agriculture et de la protection du consommateur à la Direction générale des douanes et droits indirects . - Il faut avoir à l'esprit trois principes, essentiels pour comprendre les modalités de notre implication.

Premier principe : les douanes ont un statut d'administration coopérante.

Deuxième principe : la coopération est développée en pratique entre les administrations parties prenantes dans ce secteur.

Troisième principe : les méthodes de travail de la douane sont fondées, non pas sur un contrôle systématique et physique des marchandises, mais sur un mécanisme d'analyse de risque et de ciblage. Ce mécanisme conduit à un niveau de contrôle très limité à l'importation, et encore davantage à l'exportation, ce qui n'est pas exclusif d'un travail riche et approfondi d'analyse documentaire. Le ciblage ainsi mis en place conduit les services des douanes, dans les DOM comme en métropole, à orienter leurs contrôles physiques sur des déclarations suspectes.

La position d'administration coopérante des douanes, coopération qui concerne principalement la DGAL et la DGCCRF, aboutit au dispositif suivant : les marchandises à contrôler passent, au moment du franchissement de la frontière, dans des postes de contrôle - postes d'inspection frontaliers (PIF), postes d'entrée communautaire (PEC), ou points d'entrée désignés (PED).

À l'issue du contrôle à l'importation à ces points de contrôle, lorsque les services ont conclu à la conformité du produit, l'inspecteur en poste délivre une attestation de contrôle conforme. Le rôle de la douane, en deuxième ligne, consiste à s'assurer que cette attestation de conformité est bien jointe au document de déclaration, étant entendu que l'opérateur choisit le lieu de dédouanement.

L'agent des douanes vérifie donc que le document est joint, qu'il est authentique et qu'il couvre bien le lot de marchandises concerné.

Comment contrôler les éventuelles fraudes par rapport à cette exigence de production documentaire vérifiée par la DGAL et par la DGCCRF ?

L'informatique douanière intègre des critères de risque permettant de filtrer les déclarations douanières qui, au terme de l'analyse du risque, nous paraissent pouvoir échapper à la rigueur d'exécution des obligations réglementaires. Dans ces cas-là, nous pouvons intervenir sur ces déclarations de douane et approfondir la situation des marchandises présentées en douane sans certificat relatif au phytopharmaceutique, sans document vétérinaire commun d'entrée (DVCE) ou document commun d'entrée (DCE).

L'infraction douanière est alors constituée et le mécanisme de coopération inter-administrative se met systématiquement en place. En application des protocoles de coopération que nous avons passés autant avec la DGAL qu'avec la DGCCRF, il est procédé à un échange de fiches d'information entre le service douanier et les autorités compétentes.

Tels sont, à grands traits, le niveau d'intervention de la douane dans ce mécanisme global du contrôle des normes sanitaires et phytosanitaires aux frontières et son statut d'administration coopérante avec les administrations compétentes telles qu'elles sont désignées par les règlements et directives européens applicables au secteur, pour l'exercice du contrôle des normes au moment du franchissement de frontières.

M. Éric Doligé, président . - J'ai entendu dire, mais peut-être ai-je mal compris, que lorsqu'un bateau arrivait dans un port des Antilles la douane demandait que soit présentée la totalité des documents relatifs aux produits à son bord, que cette cargaison soit déchargée ou non, c'est-à-dire qu'elle entre ou non sur le territoire national.

Il semble que, dans des territoires voisins, on ne demande les documents que pour les produits importés ou exportés, et pas pour la totalité des produits que contient le bateau. Cela poserait des problèmes pour le développement de nos ports, les bateaux chinois ayant ainsi tendance à passer leur route pour ne pas avoir à livrer des informations sur l'ensemble de leur cargaison. Cette information est-elle exacte ?

Par ailleurs, qu'en est-il du contrôle des produits phytosanitaires et des produits alimentaires comme la banane, le rhum, la canne à sucre, qui sont essentiels pour les échanges de nos territoires ?

M. Michel Marin . - L'administration des douanes s'intéresse, il est vrai, en premier lieu aux marchandises déchargées sur le territoire national ou européen. Il y a une exception : dans le cadre de l' Import Control System (ICS), qui vise à protéger l'espace européen, certains transporteurs doivent fournir un jeu de données dématérialisées pour les marchandises touchant le premier point communautaire. Cela peut être, par exemple, un port d'un département d'outre-mer qui sera le premier point communautaire atteint depuis un pays tiers.

Cette obligation relève non pas des contrôles douaniers classiques ou des contrôles sanitaires ou phytosanitaires, mais de la mise en oeuvre de mesures de sûreté. Elle n'est pas exercée lorsque le bateau arrive, mais quand la marchandise va quitter le pays tiers.

En dehors de ce cas précis, la douane s'intéresse plutôt aux marchandises déchargées. Je suis donc quelque peu surpris et, sauf l'exception de l'ICS, je ne vois pas à quoi la situation que vous avez décrite correspond.

M. Éric Doligé, président . - Je tiens cette information d'un collègue ultramarin. Il y a de grands projets de développement de ports dans certains départements d'outre-mer. Certains bateaux, chinois ou russes, n'ont pas envie de communiquer à l'avance, même de façon dématérialisée, les documents concernant la totalité des marchandises à leur bord. Pour aller à Saint-Domingue, par exemple, ce n'est pas le cas.

Si j'ai bien compris, il s'agit d'une réglementation européenne, mais cela explique peut-être pourquoi des ports bien placés sur des axes maritimes voient passer les bateaux...

M. Michel Marin . - Nous ne rencontrons pas forcément cette problématique en métropole. Avec le range nord-européen Le Havre, Rotterdam, Anvers, Hambourg, l'application est la même, mais le contexte est différent et renvoie à l'obligation communautaire que j'évoquais, justifiée par des soucis de sûreté et de sécurité. Cette réglementation est inspirée par des préconisations de l'Organisation mondiale des douanes (OMD). Des règles similaires s'appliquent en Amérique du Nord, afin de prévenir des risques importants qui peuvent survenir, y compris par la voie maritime.

M. Jean Fouché . - Je rappelle que la DGCCRF est une autorité de contrôle du marché intérieur, contrairement à la Direction générale des douanes qui est une autorité de contrôle douanier sur les importations. La DGCCRF travaille donc sur les produits mis sur le marché, alors que la douane intervient à l'importation.

Nous participons directement au contrôle des produits importés dans un cas : les contrôles renforcés à l'importation, qui répondent à des exigences communautaires très précises, sur des produits spécifiques et dans des ports et points d'entrée désignés et nommés. Nous exerçons notre compétence de contrôle de manière assez systématique, et nous sommes soumis à des obligations de couverture et de fréquence sur les produits importés.

Sur le marché intérieur, notre action de contrôle porte, comme en métropole, sur la distribution et les responsables de la première mise sur le marché, c'est-à-dire les producteurs et les fabricants.

Mme Claire Servoz, adjointe au chef du bureau de la qualité et de la valorisation des denrées alimentaires de la DGCCRF . - Sur les contrôles renforcés à l'importation, Mme Dubois a bien expliqué le rôle respectif des autorités de contrôle officiel que sont la DGAL et la DGCCRF, la douane étant une autorité coopérante.

La DGCCRF déploie un dispositif de contrôles renforcés à l'importation, qui s'exercent en amont du contrôle douanier, sur des produits pour lesquels des risques particuliers ont été identifiés à la suite d'une analyse des risques menée au niveau communautaire. Nous disposons d'une liste UE de denrées provenant de pays tiers pour lesquels un risque particulier a été identifié. Ces denrées alimentaires sont soumises au contrôle renforcé à l'importation, ce qui veut dire que les marchandises n'entrent pas n'importe où sur le territoire national. Elles sont contrôlées à la frontière externe de l'Union européenne et sur des points d'entrée désignés. Dans les DOM, il y a un point d'entrée à La Réunion - le port de la Pointe des Galets -, un autre en Guadeloupe - Pointe-à-Pitre - et un autre encore en Guyane - le port de Dégrad-des-Cannes.

La DGCCRF exerce ses contrôles sur les denrées alimentaires d'origine non animale, donc sur tout ce qui est végétal, et uniquement des contrôles sanitaires, par exemple de résidus de pesticides. Les contrôles phytosanitaires et vétérinaires - risques de transmission de maladies des végétaux - relèvent exclusivement du ministère de l'agriculture.

Dans le cadre d'un dispositif de contrôle renforcé à l'importation, ces denrées font obligatoirement l'objet en amont d'un contrôle de la mise en libre pratique.

Il appartient aux opérateurs de notifier au préalable l'arrivée des lots au niveau de nos contrôles. Nous faisons un contrôle documentaire systématique et par sondage, et selon une fréquence fixée au plan communautaire qui varie de 10 % à 100 % des lots, nous opérons des contrôles physiques : nous exigeons que la marchandise soit déchargée, des échantillons sont prélevés sur les lots et soumis à analyse en laboratoire.

Si, à l'issue de notre contrôle, nous jugeons la marchandise conforme, nous remplissons un document, le document commun d'entrée ; la marchandise ne pourra être libérée par la douane que sous réserve de la présentation de ce document, dûment validé par nos services.

Il est possible de bloquer la marchandise si un lot est présenté à la douane pour mise en libre pratique et que la marchandise n'a pas fait l'objet d'une notification auprès de nos services. La douane doit en effet absolument vérifier la présence de ce certificat

Par rapport aux types de marchandises soumises à contrôle renforcé à l'importation, le flux de marchandises que nous constatons - les PED nous font remonter des statistiques trimestrielles - pourrait être qualifié de négligeable. Peu de marchandises sont notifiées via les points d'entrée situés dans les DOM. Cela peut fluctuer selon la nature des marchandises soumises au contrôle, mais je sais que, depuis le 1 er avril, on a fait entrer dans le dispositif les arachides de Madagascar et j'ai appris que La Réunion commence à en recevoir.

Nous contrôlons également les marchandises importées de pays tiers dans le cadre d'enquêtes déployées une fois les marchandises mises sur le marché.

M. Éric Doligé, président . - Disposez-vous de laboratoires sur place, pour effectuer les contrôles techniques des produits qui sont de votre ressort ?

M. Jean Fouché . - Nous avons un laboratoire en Guadeloupe - à Jarry -, un laboratoire sur l'île de La Réunion, ainsi que huit laboratoires en métropole, qui sont communs à notre direction et à la direction des douanes.

Les établissements métropolitains se sont engagés dans une démarche de spécialisation qui n'a pas affecté les deux structures ultramarines, compte tenu de la diversité des prélèvements effectués en outre-mer.

Nos équipes en outre-mer essaient, autant que faire se peut, de s'adresser au laboratoire local, mais certains prélèvements, par exemple les recherches de résidus de pesticides à La Réunion, doivent parfois être envoyés aux laboratoires métropolitains pour des raisons d'accréditation. Certains prélèvements ne supporteraient pas cette transmission à un laboratoire éloigné ; ce n'est pas le cas pour les résidus de pesticides.

Avec l'affaire du chlordécone, le laboratoire de Jarry a acquis des compétences dans le domaine des pesticides, pour lequel il est accrédité. Il développe actuellement des méthodes de recherche de résidus dans les algues maritimes.

Nous vous transmettrons de plus amples détails sur les capacités et compétences des deux laboratoires ultramarins.

Nous nous adressons aussi à des laboratoires privés ou aux laboratoires départementaux, notamment pour les prélèvements de microbiologie.

M. Éric Doligé, président . - Quelles marchandises suivez-vous de très près, sachant la sensibilité de certains produits et les conséquences qui peuvent rejaillir sur l'économie locale ?

M. Félix Desplan . - Je citerai, à cet égard, l'exemple des oeufs en Guadeloupe.

Introduits en quantité dans l'archipel, des oeufs sont achetés par des particuliers n'ayant déclaré aucune activité de commerce, puis vendus au bord des routes. Aucun contrôle n'est exercé sur ces produits, alors même que leur commercialisation engendre un véritable problème sanitaire et que leur introduction vient concurrencer la production locale. Celle-ci, de ce fait, ne peut se développer autant qu'il serait souhaitable.

Dans un archipel comme celui de la Guadeloupe, le contrôle pose de sérieuses difficultés. Nous recevons par exemple de grandes quantités de produits agricoles en provenance directe de l'île de la Dominique. Ces produits sont acheminés par bateau et livrés directement à des marchands car, du fait de la proximité entre les îles, les gens se connaissent. Sans être totalement opposé à cette pratique, je souhaiterais tout de même savoir si l'on peut instaurer des contrôles sur ces marchandises, afin de s'assurer qu'elles ont été produites dans le respect des règles sanitaires.

M. Jean Fouché . - Les contrôles renforcés à l'import concernent, comme nous l'avons mentionné, des produits bien identifiés au niveau de l'Union européenne. La production locale et les autres importations sont contrôlées, soit par les douanes au moment du dédouanement, soit par nos services au moment de la mise sur le marché.

Les produits en provenance de l'île de la Dominique entrent dans ce cadre-là. Le fait que les oeufs soient vendus sur le bord des routes pose déjà un problème d'occupation de l'espace public, dont nous pouvons nous occuper avant même de traiter la question de la qualité de ces produits, cette dernière étant vérifiée dans le cadre des enquêtes programmées ou des initiatives prises, lors de la distribution des produits.

M. Arnaud Maillé, chef du bureau des marchés des produits d'origine végétale et des boissons de la DGCCRF . - Je ferai remonter la problématique liée aux oeufs au bureau qui s'occupe des produits d'origine animale.

Celui que je dirige s'intéresse aux produits d'origine végétale, frais et transformés, ainsi qu'aux boissons. Le contrôle des résidus de pesticides entre dans son champ d'intervention lorsqu'il s'exerce, non pas dans le cadre des contrôles renforcés, mais en vertu du règlement (CE) n° 396/2005 sur les limites maximales de résidus.

Nous procédons à deux types de contrôles, qui se déclinent en métropole comme en outre-mer.

Tout d'abord, nous mettons en oeuvre un plan de surveillance reposant sur des prélèvements effectués en fonction de l'alimentation effective des Français. Ce plan prend en compte un avis annuel de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) nous donnant des couples denrées/résidus présentant des risques de toxicité chronique aiguë. Le but est de couvrir le champ le plus large possible en matière de denrées à prélever et de résidus à rechercher. Les prélèvements, aléatoires et non ciblés, sont réalisés au niveau national, puis déclinés au niveau régional.

Par ailleurs, un plan de contrôle est fondé sur l'analyse de risque. Ces opérations ciblent des denrées et les opérateurs ayant déjà présenté des taux de non-conformité lors d'exercices antérieurs. Dans ce cadre, des poursuites pénales peuvent être engagées.

Nous recourons régulièrement à ces deux types de contrôles - contrôles aléatoires sur le marché à la distribution et contrôles ciblés sur des denrées ou des opérateurs, avec d'éventuelles suites pénales.

Dans ce cadre, nous tenons compte de la consommation locale, mais aussi de la part de la production locale et de la proportion de l'alimentation couverte par l'importation. Ainsi, pour la Martinique, la production locale représente 70 % de la consommation.

M. Michel Marin . - Effectivement, les liaisons entre îles sont à l'origine d'une introduction illégale de produits. Les services douaniers de surveillance - les équipes en uniforme - ont pour mission de contrôler ces importations illégales au travers, notamment, du contrôle des voyageurs, du fret postal ou du fret express.

Ces contrôles donnent régulièrement lieu à des constatations, dont certaines portent sur des produits soumis à contrôle sanitaire. En 2015, en Guadeloupe, les services ont procédé à 171 dessaisissements de voyageurs, dont 85 concernant des produits qui auraient dû faire l'objet de contrôles phytosanitaires. Dans de tels cas, la marchandise est détruite.

On retrouve ces importations illégales dans d'autres départements, par exemple en Guyane où nous interceptons des produits phytosanitaires en provenance du Suriname.

Nous sommes donc sensibilisés à cette problématique et apportons notre concours à ce contrôle.

M. Jacques Cornano . - Voyageant régulièrement, parfois quatre fois par semaine, je peux garantir que les contrôles sont pratiquement inexistants. J'aimerais vraiment vous sensibiliser à l'insuffisance des moyens. Les équipes sont réduites et, souvent, un seul agent croule sous le travail.

À deux heures du matin, sur le port de ma ville, je vois des vedettes rapides arriver, transportant de la drogue. Voilà pourquoi nous avions demandé la présence de la Police aux frontières. Comment a-t-on pu la supprimer ?

Avez-vous eu l'occasion de vous rendre sur une île : à La Désirade, aux Saintes, à Marie-Galante ? J'ai fait venir des sénateurs : « Comment faites-vous ? », m'ont-ils demandé. Le Président de la République a également été sensibilisé au problème et s'est engagé à prendre en compte le caractère archipélagique. Ce n'est pas encore fait !

S'agissant des produits, j'ai visité le marché de Rungis, ainsi qu'un marché à Saint-Denis. On y trouve des bananes et de très nombreuses denrées qui n'ont rien à voir avec les productions de nos territoires.

Je voudrais que nous nous arrêtions un instant sur les questions relatives à l'amélioration de l'étiquetage et à l'information du consommateur. Deux exemples montrent que le consommateur est parfois induit en erreur par la labellisation ou l'étiquetage. Ainsi, 80 % de la banane « bio » écoulée en Europe vient de la République dominicaine ; elle bénéficie d'une aura positive grâce à ce label alors qu'elle est traitée avec du Banol et qu'elle est donc moins respectueuse de l'environnement et plus traitée que la banane conventionnelle des Antilles. La même remarque vaudrait pour du sucre « bio » produit au Brésil, à Maurice ou au Vietnam. Autre exemple, les produits dits « pays » sont très présents dans les magasins des outre-mer ; cette désignation laisse penser qu'ils sont issus de producteurs locaux et de circuits courts alors que ces produits sont souvent importés depuis les pays tiers de l'environnement régional.

Les interrogations sont si nombreuses ! Comme j'ai eu l'occasion d'en alerter notre nouveau préfet, il faut bien comprendre le problème de l'archipel guadeloupéen !

Revoyez le problème que j'ai évoqué sur l'octroi de mer. Depuis 1960, la douane reçoit et répartit cet octroi de mer. Certes, la loi du 29 juin 2015 modifiant la loi relative à l'octroi de mer a été appliquée, mais il y a la théorie et la pratique ! La Direction générale des douanes a demandé au préfet de prendre le dossier en charge, alors même que les services de douanes de la Guadeloupe sont expérimentés dans ce domaine. Pourquoi changer une équipe qui gagne ?

M. Éric Doligé, président . - Lorsqu'on connaît ces territoires, on sait combien leurs spécificités sont importantes et combien ils sont fragiles du fait de l'insuffisance des contrôles à certains points d'entrée, comme à Marie-Galante, et de l'extrême sensibilité de certaines productions aux importations en provenance de pays tiers. Les importations sont nécessaires mais les territoires ne peuvent se développer du fait de la concurrence de pays n'ayant pas les mêmes modes de production et de contrôle.

Notre délégation cherche précisément à identifier des solutions pour redonner de la compétitivité à nos territoires, en jouant sur la qualité et l'image de marque de leurs produits. Comment peut-on freiner les flux de marchandises extérieures qui nous font une concurrence déloyale et comment peut-on protéger nos frontières de certaines pénétrations ?

M. Jean Fouché . - Nous nous intéressons à la conformité des produits à la réglementation communautaire.

M. Éric Doligé, président . - Certes, la réglementation communautaire s'applique, mais nous connaissons la spécificité de l'outre-mer. Ne faut-il pas demander à avoir des systèmes spécifiques plus protecteurs et valorisants pour nos territoires ultramarins ? Avez-vous identifié des points sur lesquels il serait intéressant que nous intervenions ?

M. Jean Fouché . - Nous pouvons déjà agir dans le cadre de la réglementation actuelle.

Ainsi, je peux proposer que les services, via le préfet, soient sensibilisés pour cibler plus finement les produits présentant le plus de risques ou occasionnant une concurrence déloyale.

Toutefois, le contrôle de conformité ne s'attache que relativement peu à la provenance. Nous vous transmettrons tous les chiffres concernant les contrôles effectués et les taux de non-conformité.

Une de vos questions porte sur la comparaison des taux de non-conformité entre métropole et outre-mer. La différence est minime, le taux en outre-mer étant légèrement plus favorable que celui enregistré sur le territoire métropolitain.

Nos services sur place sont aussi en mesure de prendre des initiatives, ayant la capacité d'identifier et de traiter une problématique locale, comme l'illustre le cas du chlordécone. Nous les sensibiliserons sur la nécessité d'un meilleur ciblage.

M. Arnaud Maillé . - Vous avez souligné tout l'intérêt qu'il y aurait à ce que nous soyons force de proposition dans la prise en compte des spécificités des territoires ultramarins et la valorisation de leurs produits. La mention des produits « pays », voulue par le législateur, et son équivalent en créole sont précisément la marque d'une politique de valorisation des produits.

Vous évoquez des problèmes à cet égard, monsieur Cornano. À La Réunion, tous les produits « pays » proviennent de l'île, sans difficulté particulière. En Guyane, on m'a expliqué que la concurrence était provoquée par l'import de produits « pays » en provenance de la Guadeloupe et de la Martinique. Dans ces derniers territoires, peut-être l'introduction de produits en provenance de pays de l'environnement régional, avec possible tentative de tromperie, provoque-t-elle des difficultés, mais, dans ce cas, nous nous appuyons sur les règles de droit pour intervenir.

Bien évidemment, nous porterons une attention particulière à la problématique que vous soulevez, mais la situation n'est pas la même selon les zones.

M. Félix Desplan . - Les producteurs de Marie-Galante nous fournissent certains produits, des poires notamment. Si leur production était insuffisante, en quoi seraient-ils empêchés de faire appel à l'île de la Dominique, qui, je le précise, travaille beaucoup avec la Chine actuellement, puis d'introduire cette production en Guadeloupe comme s'il s'agissait d'une production de Marie-Galante ?

Nos coopératives produisant du miel subissent une forte concurrence de productions importées de pays tiers. Quel contrôle sur ce miel ?

Compte tenu de la proximité de nos territoires avec des pays tiers, ne serait-il pas souhaitable que des contrôles soient effectués par l'Europe, afin de vérifier que l'essentiel des normes auxquelles nous sommes astreints sont respectées pour tous les produits ?

M. Jean Fouché . - Les problèmes sont de plusieurs ordres : conformité aux normes du produit, allégations mensongères sur son origine - pour ce point, le code de la consommation peut servir de fondement à une intervention -, arrivages ou importations frauduleuses sur les côtes.

Pour les actions menées au niveau local, nous disposons de protocoles de coopération avec la douane visant à cibler les produits présentant des risques et les filières. Je pense notamment à des actions récentes sur une importation frauduleuse de miel ou des importations en provenance de l'île de la Dominique. Il est illusoire de vouloir mettre en place un contrôle systématique, mais, par ce biais, et notamment grâce à un relais dans la presse locale, nous pouvons essayer de frapper les esprits.

M. Jacques Cornano . - Avez-vous les moyens d'améliorer la répartition des agents et l'organisation en place ?

M. Jean Fouché . - Nous n'avons clairement pas les moyens de réaliser des contrôles systématiques, mais nous pouvons améliorer le ciblage.

Lorsque, sous l'impulsion du préfet, il a fallu s'occuper du suivi des prix, nous nous sommes donné les moyens de le faire. Peut-être le dispositif peut-il désormais être assoupli pour libérer des capacités de contrôle qui seraient alors reportées sur d'autres problématiques... De tels arbitrages peuvent être opérés au niveau local.

Nous organisons à intervalle régulier - toutes les six semaines ou deux mois - des réunions spécifiques aux problématiques ultramarines. Nous pouvons relayer cette préoccupation auprès de nos collègues concernés, notamment dans le cadre de la réflexion que nous allons entamer sur les problématiques pour 2017. En tout cas, nous leur ferons un retour dès la prochaine réunion, prévue à la fin du mois de juin, sur les échanges que nous avons eus avec vous et la traduction que ceux-ci méritent sur le plan opérationnel.

M. Jacques Cornano . - L'aéroport de Marie-Galante n'accueille plus que des vols privés, et les contrôles sont inexistants ! Les douaniers ne parviennent pas à se trouver simultanément au port de Saint-Louis et à celui de Grand-Bourg pour contrôler les bateaux !

Il faut agir ! Le préfet a déjà été sensibilisé. Il a instauré des contrôles à Pointe-à-Pitre, mais les téléphones portables permettent désormais de signaler très rapidement la présence d'équipes de contrôle.

Nous avons voulu faire des îles le poumon du développement économique en matière de tourisme, mais nous nous interrogeons. Plusieurs jeunes sont décédés en quelques jours, à cause des drogues, et c'est vrai que celles-ci ont une capacité d'attraction certaine quand le taux de chômage dépasse 30 %. C'est pourquoi je demande, et j'ai présenté la requête au préfet, que la Police aux frontières soit remise en place.

M. Michel Marin . - Je ne m'engagerai pas dans une discussion sur les effectifs, mais des directeurs inter-régionaux sont en place en Guyane et en Guadeloupe, ont une organisation en main et peuvent la faire évoluer.

Nous ne nous inscrivons pas non plus dans une systématisation des contrôles, mais nous essayons de procéder selon une approche d'analyse de risques. Ainsi, nous disposons de services d'enquête aux Antilles, lesquels effectuent un travail qui n'est pas forcément lisible. Une brigade de surveillance de Basse-Terre a contribué à une saisie qui portait tout de même sur trois tonnes de miel !

M. Jacques Cornano . - Une goutte d'eau dans la mer !

M. Félix Desplan . - Nous vous dépeignons la situation telle qu'elle est, en dépit de tous vos efforts pour obtenir des moyens - qui ne seront jamais suffisants - et appliquer les bonnes méthodes. D'ailleurs, les mêmes méthodes peuvent-elles être employées en métropole et dans un archipel tel celui de la Guadeloupe ?

Nous - j'entends la population de la Guadeloupe - avons aussi une responsabilité, car nos compatriotes sont parfois tentés de favoriser les entrées de produits. Mais une administration représentant un État doit avoir une vue globale de la situation et anticiper les évolutions pour les maîtriser.

Les Mahorais ont été les premiers à favoriser la venue de leurs parents depuis le reste des Comores. Le territoire est désormais au bord de l'explosion et cet exemple doit nous faire réfléchir. Chez nous, ce sont des producteurs de l'île de la Dominique qui introduisent leurs marchandises, avec la complicité d'acheteurs locaux. Donc tout le tort n'incombe pas à l'administration, mais il faut rechercher une solution en termes d'organisation afin d'éviter que la situation en Guadeloupe ne dégénère.

M. Éric Doligé, président . - Nous devons remercier nos collègues de ces témoignages forts. Effectivement, les problématiques liées aux contrôles, aux douanes, éventuellement aux impôts, sont plus prégnantes en outre-mer qu'en métropole, compte tenu des spécificités et de la fragilité de ces territoires. Il nous paraît essentiel de bien repérer leurs forces et leurs faiblesses, et tout ce qui pourrait permettre de leur rendre vigueur.

J'ai bien noté que les programmes de contrôle sont mis en place, chaque année, avec une certaine latitude. Un travail pourrait probablement être effectué dans ce cadre.

À cet égard, qu'en est-il de l'implication des élus locaux ? Certains d'entre eux font remonter des problématiques à l'occasion du présent entretien. Une collaboration entre élus locaux et services de l'État présents sur place ne permettrait-elle pas d'élaborer des solutions ? Ne serait-il pas utile de mettre ces élus en contact avec vos responsables ultramarins, notamment dans le cadre de la réunion précédemment évoquée ?

Quand le maire de Saint-Louis-de-Marie-Galante fait part de ses constatations, peut-être le préfet et les responsables locaux peuvent-ils considérer qu'il y a là un véritable sujet... En tout cas, j'ai le sentiment que la présence des élus pourrait être confortée dans le processus, notamment en relation avec la représentation de vos administrations au plan local.

Nous vous remercions des compléments chiffrés et détaillés que vous pourrez nous transmettre à l'issue de cette réunion. Ces réponses nous permettront d'élaborer un rapport qui, à son tour, pourra nourrir vos réflexions et faire avancer un certain nombre de sujets.

Nous sommes tous convaincus du potentiel des outre-mer, potentiel que nous sous-utilisons.


* 1 C. Procaccia & J.-Y. Le Déaut, Impacts de l'utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d'évolution, OPECST, rapport n° 487 (2008-2009).

* 2 Audition de M. Alain Joly, délégué ministériel aux outre-mer du 18 février 2016.

* 3 Article 8 du règlement (CE) 1107/2009.

* 4 Pour certains usages de produits comme le traitement des semences et le traitement post-récolte, le règlement de 2009 prévoit que l'Union européenne soit considérée comme une zone unique. L'État membre désigné rapporteur évalue alors les effets du produit phytopharmaceutique pour l'ensemble des autres États de l'Union.

Zone A - Nord : Danemark, Estonie, Lettonie, Lituanie, Finlande, Suède.

Zone B - Centre : Belgique, République tchèque, Allemagne, Irlande, Luxembourg, Hongrie, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Royaume-Uni.

Zone C - Sud : Bulgarie, Grèce, Espagne, France, Italie, Chypre, Malte, Portugal.

* 5 De même que l'Espagne et le Portugal et leurs RUP, si bien que l'ensemble des RUP européennes sont classées dans la zone Sud.

* 6 Un usage correspond à un emploi défini d'une préparation phytopharmaceutique, caractérisé par un couple plante-organisme nuisible et complété par des précisions sur le mode ou le champ d'application. L'ensemble des usages agricoles est rassemblé dans un catalogue.

* 7 Ou sur une autre culture très proche dont on peut considérer qu'ils appartiennent à la même sous-famille végétale et réagissent de façon très proche aux pesticides.

* 8 Substances ou préparations destinées à détruire, repousser ou neutraliser, préventivement ou à tire curatif, des organismes nuisibles, par une action chimique ou biologique. L'Anses procède à leur évaluation. Elles sont soumises à une réglementation européenne de 2012, différente de celle qui porte sur les pesticides et contrôlée par l'ECHA et non par l'EFSA.

* 9 Biocides contenant une ou plusieurs substance(s) active(s) ou une préparation ayant la propriété de tuer les vers parasitaires de la famille des nématodes.

* 10 L'IFT comptabilise le nombre de doses de référence utilisées par hectare au cours d'une campagne culturale.

* 11 250 000 plantes par an.

* 12 D. Potier, Pesticides et agroécologie - Les champs du possible, rapport au Premier ministre, novembre 2014, pp. 179-180.

* 13 Audition de l'Anses du 26 mai 2016.

* 14 La numérotation reprend le classement de la liste des recommandations figurant en tête du rapport.

* 15 Restes d'aliments et fèces

* 16 Audition conjointe de la DGDDI et de la DGCCRF du 2 juin 2016.

* 17 Présentes naturellement dans l'environnement, ces substances peuvent être d'origine végétale, (prêle), animale (petit lait) ou minérale (kaolin).

* 18 Le Règlement (UE) 283/2013 énumère en partie B la liste des études à fournir pour les préparations à base de micro-organismes, y compris les virus.

* 19 Audition du 17 mars 2016.

* 20 Good Agricultural Practices

* 21 La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont adopté des réglementations spécifiques qui définissent leur propre politique autonome d'origine et de qualité.

* 22 Audition de M. Christian Renault, associé du cabinet AND-International du 31 mars 2016.

* 23 Audition du Syndicat du sucre de La Réunion du 24 mars 2016.

* 24 Audition de M. Christian Renault, associé du cabinet AND-International du 31 mars 2016.

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