Rapport d'information n° 556 (2014-2015) de MM. Claude HAUT et Michel RAISON , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 25 juin 2015

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N° 556

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la situation du secteur laitier après les quotas ,

Par MM. Claude HAUT et Michel RAISON,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard.

AVANT-PROPOS

Inutile de refaire l'histoire. Les quotas laitiers (QL) seront bientôt aussi dépassés que le sont les « montagnes de beurre » qu'ils ont contribué à éliminer mais ils laisseront, sans doute, la même empreinte.

Pendant trente et un ans, entre 1984 et 2015, le secteur laitier a été le plus administré de l'agriculture européenne et tous les leviers de l'action publique ont été mobilisés : des outils pour assurer l'écoulement des productions en interne, par l'intervention, c'est-à-dire le retrait de productions du marché (stockage public ou privé) ; des subventions pour faciliter l'exportation (restitutions) ; une batterie d'aides (pas moins de 12 dispositifs !) pour soutenir la consommation intérieure (lait pour l'alimentation des veaux, lait pour écoliers, beurre de pâtisserie...) ; une gamme de prix directeurs qui orientent les prix du marché (prix de référence, prix de seuil, prix d'intervention) ; des primes pour abattre les troupeaux ; une taxation spécifique (prélèvement de responsabilité) et bien sûr, les quotas laitiers, pièce maîtresse du dispositif de régulation de l'offre.

Le 1 er avril 2015, le régime a changé. Définitivement changé. Depuis dix ans déjà, la plupart des instruments d'intervention avaient disparu ou n'étaient plus que des carcasses vides. Le secteur a basculé dans le libre marché. Le secteur est passé du presque trop au presque rien.

Un basculement générant une certaine appréhension, voire une certaine angoisse, au moins en France. Car la vie est dure pour l'éleveur laitier qui a sans doute, encore aujourd'hui, l'un des métiers les plus durs du monde agricole. Il faut entendre le témoignage d'un éleveur lors d'un colloque organisé par la société des agriculteurs de France (le think tank « saf agr'iDées »), en décembre 2014, au bord des larmes lorsqu'il évoque la solitude de l'éleveur. « Même à « L'amour est dans le pré », les éleveurs ne trouvent jamais . L'élevage est le secteur où il y a le plus de suicides et le plus de célibataires ».

C'est pour répondre à cette angoisse qu'est venue l'idée de ce rapport. C'est un sujet qui intéresse la commission des affaires européennes depuis longtemps puisque deux rapports ont déjà été publiés sur ce thème 1 ( * ) . Pour le présent rapport, ce sont deux nouveaux rapporteurs qui ont été à la tâche. L'un, familier du sujet 2 ( * ) , et ancien éleveur ; l'autre, d'un département viticole, plutôt néophyte en la matière. Le croisement de ces deux regards, de ces deux horizons, et la diversité des entretiens et des visites sur le terrain permettent d'avoir une vision réaliste et optimiste de l'avenir du secteur laitier en Europe, et en France en particulier.

La fin des quotas laitiers semblait coïncider avec un retournement de conjoncture et une nouvelle baisse des prix. Une crise s'annonçait même, pareille à celle de 2009.

« La crise ? Quelle crise ? », répondent les éleveurs allemands et les fonctionnaires de la Commission européenne. C'est juste un nouveau défi pour les éleveurs européens.

Un défi que les Français peuvent relever. Et peuvent gagner, bien entendu.

I. LA FIN DES QUOTAS LAITIERS

A. UNE ÉCHÉANCE PLUSIEURS FOIS REPORTÉE

1. Une fin programmée depuis... 1984

Les quotas laitiers ont structuré le secteur pendant trente et un ans. Ils auraient pu s'arrêter avant, car on oublie trop souvent que le dispositif a toujours été présenté comme « provisoire ». C'était le sens et la lettre des règlements du Conseil mais certains États préféraient lire « reconductible ». Le dispositif a d'ailleurs été reconduit quatre fois avant que le terme fixé
- 31 mars 2015 - soit enfin respecté.

L'histoire est connue. Au début des années 80, l'Union européenne doit faire face à une surproduction des produits laitiers, générant des stocks considérables (près de 1 million de tonnes de lait en poudre et 1 million de tonnes de beurre en 1983 et 1984). Une situation aussi absurde que coûteuse pour le budget européen (le seul secteur laitier absorbera jusqu'à un tiers du budget de la PAC !). Le régime des quotas est la mesure centrale de limitation de l'offre. C'est un système de plafonnement des productions (plafonnement par État et « références » individuelles) assorti de pénalités, financières en cas de dépassement (le « prélèvement supplémentaire »).

Le règlement initial de 1984 3 ( * ) a institué le régime pour cinq périodes de douze mois, soit cinq années, du 1 er avril 1984 au 31 mars 1989. Le dispositif a été plusieurs fois prorogé. Une première fois, en 1988, avec une prolongation de cinq ans, jusqu'en 1992. Une deuxième fois, en 1999, lors de l'agenda 2000. Cette date est considérée comme étant le vrai tournant des QL puisque, bien que le système fut prolongé de sept ans, le règlement de 1999 4 ( * ) disposait que « le Conseil, sur la base d'un rapport de la Commission, procédera en 2003 à un examen à mi-parcours en ayant pour objectif de mettre fin à l'actuel régime des quotas après 2006. »

Ce devait être « la dernière fois » précisa la Commission un peu plus tard, mais il y eut pourtant une ultime fois, en 2003, pour onze ans à compter de 2004. La fin des QL n'est pas explicite comme elle l'était en 1999, mais se déduit de la rédaction du règlement du Conseil qui établit un prélèvement supplémentaire pour onze périodes de douze mois, soit jusqu'au 31 mars 2015 5 ( * ) .

Cette échéance a été systématiquement confirmée par la suite. En 2007, dans le premier règlement OCM unique 6 ( * ) ; en 2008, dans le règlement dit du « bilan de santé de la PAC » 7 ( * ) ; en 2012, dans le règlement sur les relations contractuelles dans le secteur laitier 8 ( * ) .  Seul le dernier règlement OCM unique de 2013 9 ( * ) fait exception, puisqu'il se contente d'un considérant lacunaire sur « la suppression prochaine du système des quotas laitiers » (considérant 129), comme s'il était devenu inutile de rappeler l'évidence.

Pourquoi ce rappel ? Parce que si la fin des quotas laitiers est parfois vécue comme un changement radical de la réglementation, elle n'est, sur le strict plan juridique, que l'application retardée du régime prévu en 1984, qui aurait pu s'éteindre dès 1989 !

2. L'illusion d'un ultime retournement

Pourtant, jusqu'au bout, une partie de la filière laitière a cru que la réforme ne serait pas appliquée. Cette ténacité peut surprendre, mais elle avait un fondement. Deux ans auparavant, l'Union européenne avait renoncé à appliquer une réforme pourtant elle aussi engagée depuis longtemps.

L'affaire des droits de plantation est en effet un cas unique dans l'histoire de l'Union européenne où une réforme décidée par le législateur européen et une réglementation préparée par la Commission ont été pratiquement retirées sous la pression des professionnels, des politiques et des États membres.

L'expérience des droits de plantation

Depuis 1987, la réglementation européenne du marché vitivinicole repose sur un encadrement strict des plantations de vigne - en pratique, une quasi-interdiction des plantations nouvelles. Le choix de la politique de qualité avait pour contrepartie une stricte maitrise des volumes. Ce régime est connu sous le nom de « droits de plantation ».

En 2008, sur proposition de la Commission, le Conseil adopte un règlement qui met fin à ce régime d'encadrement des productions, afin d'aborder la croissance du marché mondial en libérant les potentiels de production. L'échéance était fixée au 31 décembre 2015 ou 2018.

En 2011 et 2012, à l'approche de l'échéance, la contestation s'amplifie et s'organise. En Allemagne et en France, les plus hautes autorités de l'État interviennent. Les parlements et les professionnels se mobilisent. 12 États finissent par former une coalition anti-réforme, inquiets des effets de la libéralisation sur la baisse des prix, la déprise des zones viticoles les moins productives, et la mainmise de l'agrobusiness sur la viticulture.

La Commission, qui se retranche d'abord derrière la légalité de la réforme (qui a été votée par le Conseil) doit se rendre à l'évidence : malgré un fondement juridique incontestable, l'opposition politique est trop forte. Elle réunit un groupe de haut niveau (composé de représentants des États membres) qui ouvre quelques pistes.

Fin 2012, sur proposition de la Commission, le Conseil adopte une nouvelle réforme du marché vitivinicole très sensiblement différente de la réforme initiale. Le régime des « droits de plantation » est supprimé. Il est remplacé par un régime à peine moins contraignant d'« autorisations de plantation ». La libéralisation du marché est très atténuée : l'augmentation des surfaces plantées est limitée à + 1 % par an.

Le Sénat a pris une part très active à ce retournement, notamment par la pression constante du groupe d'étude de la vigne et du vin et de la commission des affaires européennes. MM. Gérard César (Les Républicains - Gironde) et Simon Sutour (Socialiste et Républicain - Gard) ont joué un rôle décisif dans cette action au travers de nombreuses résolutions européennes.

Cette réforme présente de nombreux points communs avec celle des quotas laitiers (libéralisation du marché, crainte de baisse du prix, de déprise...). À une différence près : l'Allemagne et la France défendaient exactement les mêmes positions. C'est loin d'être le cas pour les quotas laitiers. D'ailleurs, cette fois, le retournement, vaguement espéré par quelques-uns, n'a pas eu lieu.

B. UN SUJET MARQUÉ PAR DE FORTES DIVERGENCES ENTRE ÉTATS MEMBRES

Du premier au dernier jour, le sujet des QL a toujours suscité de nombreux débats. Si l'on en croit certains observateurs, il semblerait que l'unanimité n'ait été constatée qu'à deux moments : une première fois, en 1984, lors de l'instauration des QL ; une deuxième fois, en 2000, lors de l'annonce de leur démantèlement... Entre ces deux dates et même après que la fin des QL eut été actée, le sujet semble avoir été toujours assez conflictuel. Plusieurs types de débats peuvent être identifiés.

1. Des divergences entre États membres

Il y a d'abord des divergences d'intérêt. Chaque État défend une position en fonction de ce qu'il croit être ses intérêts et en fonction de ses anticipations. Certains États (Allemagne, Irlande, Pays-Bas) se positionnent comme des futurs champions potentiels du paysage laitier européen et n'acceptent rien qui puisse brider leur performance. On peut aussi évoquer le cas des États pénalisés par des quotas jugés trop rigoureux et contraints de payer des prélèvements supplémentaires pour dépassement de quotas qui peuvent dépasser quelques dizaines de millions d'euros 10 ( * ) . Beaucoup d'États estimaient tout simplement que leur niveau de QL n'était pas cohérent avec leur potentiel de production et plutôt qu'ajuster les quotas, préféraient supprimer tout système d'encadrement. À l'inverse, même à la toute fin des QL, quelques États continuaient de demander un nouveau report de l'échéance (Portugal, Slovénie).

Mais il y a, plus fondamentalement, une différence d'analyse entre partisans d'une régulation raisonnée du marché et d'un accompagnement des opérateurs et ceux qui ne jurent que par la - dure - loi du marché et de la libre concurrence.

Ces divergences se sont aussi doublées d'hésitations. En effet, quelques États ont parfois hésité sur le principe des quotas et sur les dispositifs de substitution. Comme l'a explicité le chef du bureau agricole à la Représentation permanente de la France à Bruxelles 11 ( * ) , il y a eu beaucoup d'hésitations sur la fin des QL. Il y a eu une convergence d'intérêts entre ceux qui avaient un potentiel de production et ceux qui estimaient être plus compétitifs que les autres. Les États étaient divisés à l'époque et le sont restés. Mais la position de certains États membres peut aussi évoluer. Même ceux qui étaient hostiles aux QL ont changé d'avis et ont voulu, finalement, les garder le plus longtemps possible (Portugal, Belgique, Pologne) .

Même la Commission, dont on connaît la foi inébranlable dans les vertus (?) de la libre concurrence, a pu se lancer dans un plaidoyer que ne renierait aucun « pro quotas », comme ce fut le cas en 2001, en réponse à un rapport spécial de la Cour des comptes européenne particulièrement critique à l'égard des QL 12 ( * ) .

Le ton est évidemment totalement différent aujourd'hui, comme en témoigne l'échange avec la DG AGRI 13 ( * ) . C'est surtout « l'effet pervers » des QL, créateurs de rentes indues qui est souligné. Pourquoi avoir peur de la fin des QL ? Il y a des défis à relever, mais à aucun moment, il n'y a de peur ! Il y a même des gens très satisfaits de la fin des QL : ceux qui veulent investir, ceux qui ont été limités dans leur production. Le principal argument à l'origine des QL était de stabiliser la production laitière. La production a été maintenue mais tous les États ont perdu des producteurs ! Les partisans des QL veulent aujourd'hui stabiliser les structures actuelles. Pour les éleveurs les plus âgés, cela fonctionne comme une assurance complémentaire pour leur retraite. À l'inverse, il y a ceux - souvent les plus jeunes - qui jouent le jeu de la compétitivité. Résultat : soit ils ne peuvent pas produire soit ils doivent payer pour produire. Avant même de commencer à produire, ils doivent s'endetter pour avoir le droit de s'installer. À la fin, cela revient à une subvention des jeunes vers les vieux !

2. Trente années émaillées de disputes
a) Les débats entre États membres

À chaque époque son débat. Plusieurs États ont été mécontents de leur quota et des références historiques qui les fondaient (la production des années 1981-1983). Même la dernière année, alors que l'abandon des QL était acté, que le processus était engagé, que le terme était accepté, des États eurent des divergences sur le « soft landing », l'atterrissage en douceur 14 ( * ) qui permet de passer du système des quotas à une économie dérégulée. Le Conseil agricole du 11 mars 2014 fit à nouveau apparaître des divergences entre États membres, certains demandant un assouplissement des modes de calcul et des versements des prélèvements pour dépassement de quotas. Afin de réduire les pénalités, certains États (Allemagne, Irlande) demandèrent de modifier le mode de calcul du « correctif matières grasses » qui sert à finaliser les volumes sous quotas 15 ( * ) , puis contestèrent la base légale de calcul, puis demandèrent d'étaler les versements des prélèvements 16 ( * ) ....

Des micros et ultimes débats bien dérisoires, mais illustratifs des tensions persistantes autour de la question des QL.

b) Les débats franco-français

Le débat sur les QL a également agité le monde politique français. Les passes d'armes furent nombreuses, notamment en 2009, lors des débats sur la crise de la filière laitière, chaque camp accusant l'autre d'avoir abandonné les éleveurs.

Ce fut le cas à l'Assemblée nationale 17 ( * ) comme en témoigne ce vif échange entre le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Michel Barnier, et un ancien ministre de l'agriculture, M. Jean Glavany 18 ( * ) .

M. Jean Glavany : « Les quotas laitiers sont le reflet de l'Europe que nous voulons, c'est-à-dire une Europe qui protège les producteurs laitiers, qui régule les prix et la production et qui intervient sur les marchés. Lorsque l'Europe les a mis en place à l'initiative d'un gouvernement français socialiste, vous nous avez combattus. C'était à (vous) croire, une économie administrée, voire bolchevique. La réalité d'aujourd'hui, c'est celle d'une Europe qui se défait. Lorsque l'Europe a proposé, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, de démanteler les quotas laitiers, le gouvernement de l'époque, dirigé par Lionel Jospin, s'y est systématiquement opposé. Las, nous avons été mis en minorité par une coalition de gouvernements libéraux et conservateurs qui ne pensaient qu'à défaire l'Europe , notamment l'Europe agricole. Êtes-vous prêt à prendre l'engagement de demander, au nom de la France à Bruxelles, le rétablissement des quotas et celui des prix de référence ? »

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture : « Nous avons systématiquement maintenu tous les outils de régulation (...). On ne peut pas accepter la suppression des quotas laitiers, comme la première décision en a été prise quand vous étiez ministre , sans mettre en place en même temps un autre système de maîtrise de la production laitière en Europe. »

Un mois plus tard au Sénat 19 ( * ) , M. Bruno Le Maire, nouveau ministre de l'agriculture, doit à son tour affronter la fronde des sénateurs qui dénoncent « la libéralisation à outrance du marché laitier » (M. Gérard Le Cam - CRC), « la situation suicidaire » de l'abandon des QL (M. François Fortassin -RDSE), ou « le démantèlement des QL qui ont démontré leur utilité, à court terme en tant qu'instrument indispensable de la maîtrise de la production, et à moyen terme, en tant que condition de la survie financière d'une majorité de producteurs ». M. Yannick Botrel (Groupe socialiste et républicain).

La réponse de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, ne donne guère d'illusions sur l'avenir des QL qu'il qualifie de « ligne Maginot » du secteur laitier. « Je veux bien plaider matin, midi et soir auprès de la Commission européenne et du Conseil européen pour le rétablissement de quotas laitiers, mais je n'aime pas livrer des batailles inutiles ou perdues d'avance. Tout d'abord, je ne suis pas sûr d'obtenir la majorité nécessaire au Conseil européen pour obtenir le rétablissement de quotas laitiers. Ensuite, à supposer que j'obtienne ces quotas, j'ai bien peur de rétablir une ligne Maginot qui ne permettra pas de répondre aux interrogations des producteurs laitiers en France. ».

L'affaire est entendue. Mais la question restera posée jusqu'aux tout derniers jours. En janvier 2015, c'est-à-dire à trois mois de l'échéance, les eurodéputés non-inscrits, élus du Front National, membres de la COM Agri du Parlement Européen réclamèrent encore le rétablissement des QL.

C. UN BILAN NUANCÉ

Quel bilan dresser de ce dispositif qui a marqué la profession, et auquel les Français ont toujours été très attachés ?

1. Les quotas laitiers n'ont joué qu'un rôle secondaire pour atteindre l'objectif qui leur était assigné

En 1984, l'ambition de l'époque était de rétablir l'équilibre entre l'offre - excessive - et la demande de produits laitiers par un contingentement des productions, les quotas. L'objectif a été atteint. Les stocks ont disparu et l'image des « montagnes de beurre » si vivace - et encore utilisée aujourd'hui - est une image du temps de l'autochrome. Pourtant, force est de constater que les QL n'ont eu qu'un rôle assez mineur dans cette résorption.

Loin d'être « la camisole de force », selon l'expression de la Cour des comptes 20 ( * ) , les quotas n'ont jamais été très rigoureux. Les premiers quotas dépassaient largement la consommation européenne - ce fut d'ailleurs un élément important pour qu'ils soient acceptés par les éleveurs. La résorption des stocks a été très lente. Mieux même, le pic des stocks se situe après la mise en place des QL 21 ( * ) . Ce n'est qu'après quatre exercices que les quotas ont été effectivement réduits, pour, enfin, supprimer les fameux stocks. Mais dès que le seuil d'alerte s'est éloigné, les QL ont été augmentés et les stocks sont réapparus. Le niveau des QL étant fixé par le Conseil, la pression pour augmenter les quotas a toujours été forte, qu'il s'agisse de la pression des États s'estimant défavorisés par les seuils de référence, ou de la pression juridique, car les QL ont fait l'objet de nombreux contentieux. Après une courte phase de contraction dans les années 90, les QL ont été globalement augmentés ou périodiquement ajustés 22 ( * ) .

D'autres instruments ont été autrement plus efficaces pour réduire les volumes et supprimer les excédents, qu'il s'agisse des primes à l'abandon définitif de l'élevage laitier, de la baisse des prix d'intervention, de la suppression de l'intervention sur certains produits, de son maintien au titre de seul « filet de sécurité », de la suppression des restitutions, du découplage des aides (pour un paiement direct identique, l'exploitation céréalière était beaucoup moins contraignante que l'élevage). La profession, qui avait su préserver des quotas assez généreux, a immédiatement réagi aux baisses des soutiens financiers.

2. En revanche, les quotas laitiers se sont avérés très utiles et efficaces au soutien des politiques d'aménagement du territoire

Le régime des quotas laitiers a été organisé sur une base nationale, tant parce que tous les pays ont une production laitière, que pour éviter une concentration de la production dans les bassins les plus compétitifs. Les QL étaient ensuite répartis entre bassins et entre élevages qui bénéficiaient de « quantités de référence ». Ainsi, même si les QL avaient une vocation régulatrice, la production laitière s'est construite partout en Europe, en tenant compte de ses aspects socio-économiques.

Cet argument, souvent utilisé en France, a été parfaitement admis par la Commission à qui il est même arrivé de présenter un véritable plaidoyer des quotas laitiers face aux attaques d'autres institutions. En 2001, puis à nouveau en 2009, la Commission s'est montrée un défenseur raisonné des quotas laitiers. La Commission reste d'ailleurs sensible à cet argument d'aménagement du territoire et à la fragilité de la production laitière dans les régions défavorisées. 23 ( * )

D'ailleurs, les QL n'ont jamais été un carcan, figeant pour toujours le paysage laitier. Les QL et la répartition régionale n'ont pas empêché une restructuration rapide et considérable des élevages. La restructuration se poursuit 24 ( * ) . Certains pays comme l'Allemagne sont même allés plus loin, ont donné plus de souplesse encore au système des QL en créant un véritable marché d'échanges des quotas.

Les QL ne furent ni un carcan, ni un objectif, puisque beaucoup d'États étaient à la fin de la période, en sous-réalisation de quotas, c'est-à-dire que leur production n'atteignait pas le niveau qui leur était attribué. Loin d'être une camisole de force qu'ils n'ont d'ailleurs jamais été, les QL ont assuré une production laitière équilibrée dans l'ensemble de l'Union européenne.

D. DES REGRETS, MALGRÉ TOUT

1. Un bilan globalement positif

Si l'abandon des QL est acté, il reste un regret. Les QL ont été un bon outil, pas toujours bien utilisé, sans doute mal adapté à la diversité des situations nationales ou aux dynamiques laitières, sans doute trop sensible aux influences politiques ou catégorielles, mais ils ont permis d'assurer une production laitière partout en Europe, équilibrée, sans coûter au contribuable, sans que le consommateur n'ait eu à s'en plaindre. Voilà bien longtemps que la pression de la grande distribution a fait exploser l'argument rituel de l'OCDE sur le prétendu coût des politiques publiques de soutien de l'Union européenne !

Les QL ont structuré le secteur laitier et, malgré quelques effets contestables, le bilan est globalement positif. Les QL furent l'emblème d'un choix équilibré entre la politique et l'économie, entre la productivité et l'aménagement du territoire, entre l'homme et le marché.

Pour éviter toute accusation de plaidoyer pro domo , il suffira de reprendre un argumentaire extérieur, d'un observateur averti et peu connu pour son appétence régulatrice, celui de... la Commission européenne. L'argumentation a été développée en 2001, en réponse aux critiques de la Cour des comptes européenne qui appelait une libéralisation totale du secteur. « Le système de gestion des quotas par État membre a eu comme conséquence que la production a été maintenue dans les régions défavorisées de la Communauté, en premier lieu dans les zones de montagne où les coûts de production sont plus élevés et la production laitière souvent la seule activité agricole possible. La Commission pense également que la concentration de la production laitière risquerait de provoquer d'importants problèmes d' environnement . D'un autre côté, la richesse de l'Union européenne en matière de production de produits de qualité (...) serait compromise. En effet, la richesse, du secteur laitier réside entre autres dans la diversité de production dans certaines régions. La concentration de la production dans certaines régions conduirait à une standardisation des produits et donc à un appauvrissement de leur qualité. »

Tout est dit : l'appui aux régions défavorisées, l'environnement, la qualité des produits, permise par la diversité des productions, les risques liés à l'abandon des QL. Il ne surprendra personne que les sénateurs, représentant les collectivités territoriales de la République et par conséquent représentant les territoires, aient été sensibles à cette dimension économique, régionale. C'était en 2001. Depuis, la Commission a changé d'avis. Le contexte, lui aussi, a changé. Les perspectives de croissance du marché mondial, notamment dans les pays émergents (voir infra) a renforcé le camp des « anti-QL ».

Pourtant, on ne voit pas en quoi cette nouvelle zone de consommation modifie l'argumentaire présenté ci-dessus. En quoi la vente de lait infantile aux familles bourgeoises de Shanghaï change la perception de l'utilité des QL sur les régions défavorisées, la qualité et la diversité de production ?

2. Le maintien des quotas laitiers était sans doute possible avec quelques ajustements

Plusieurs pistes étaient envisageables :

- une augmentation des QL, pour répondre à la demande mondiale ;

- une nouvelle répartition entre États membres, pour éviter que des pays soient structurellement en situation de dépassement et soient obligés de payer, chaque année, des pénalités ;

- sans doute aussi un mécanisme d'ajustement des QL en période de déséquilibre qui soit plus neutre et automatique. L'utilisation des QL à des fins d'encadrement de la production, suppose une volonté politique et une rigueur qui ont parfois fait défaut. Il y avait probablement trop de pression de la part du monde agricole sur les gouvernements pour que les QL jouent effectivement le rôle pour lequel ils avaient été conçus. Un mécanisme d'ajustement automatique en cas de crise ou de déséquilibre aurait été plus efficace. L'observatoire du marché laitier, mis en place en 2014 par la Commission européenne dispose de suffisamment de données pour établir un système d'alerte qui aurait pu être utilisé lorsqu'une menace de surproduction apparaissait.

La force du courant « abolitionniste » était telle que cette option n'a guère été envisagée que par une poignée de professionnels. Hélas, sans succès.

Telle est l'histoire de la fin des QL.

Place au marché.

II. DES APPRÉHENSIONS LÉGITIMES

A. LE DISPOSITIF JURIDIQUE CENSÉ ASSURER LA TRANSITION DE LA FIN DES QUOTAS LAITIERS N'A PAS DONNÉ TOUTE SATISFACTION

1. Le dispositif de régulation des relations contractuelles entre éleveurs et fabricants

Le secteur laitier a toujours présenté des singularités fortes dans le monde agricole et dans la réglementation européenne. Cette spécificité demeure.

a) Le « Paquet lait »

Avant l'échéance annoncée du 31 mars 2015, la Commission avait évoqué, en 2010, un « atterrissage en douceur » par une augmentation ordonnée des volumes et une libération des prix. Sous l'insistance de quelques États membres, en particulier de la France, cette transition a été complétée par un ensemble de dispositions juridiques contenues, pour l'essentiel, dans un règlement connu sous le nom « Paquet lait » 25 ( * ) . Le « Paquet lait » a été une étape décisive pour l'organisation du secteur. Ce règlement concerne le rôle des organisations de producteurs (OP) dans le secteur laitier et évoque les relations contractuelles entre les éleveurs et les transformateurs.

Une OP est un regroupement de producteurs, à vocation économique, destiné à renforcer leur position dans le marché, notamment vis-à-vis des acheteurs, les industriels de l'agro-alimentaire. Une OP est reconnue par l'administration, après analyse de son influence potentielle sur le marché, de la qualité de son organisation, des moyens mis en oeuvre, etc. Il existe des OP dans plusieurs secteurs  (fruits et légumes, bovins...). L'OP a pour mission principale de vendre la production des agriculteurs, après que ces derniers leur aient transféré la propriété de marchandises.

Les OP du secteur laitier présentent des singularités avec les OP des autres secteurs agricoles. Le coeur de la mission reste la vente des productions - en l'espèce la négociation de contrats de livraison de lait - mais cette opération a trois spécificités :

- la négociation a lieu qu'il y ait ou non transfert de propriété (jusqu'alors le principe de transfert de propriété de produits agricoles à l'OP était une des conditions de leur reconnaissance). L'éleveur reste propriétaire et mandate un tiers pour négocier ses livraisons ;

- la négociation porte sur les prix et les volumes. La référence à une négociation collective sur les prix est une dérogation tout à fait exceptionnelle au droit commun de la concurrence, puisqu'il s'agit, en quelque sorte d'une autorisation explicite des ententes ;

- la compétence des OP est encadrée. Le volume de lait cru négocié ne doit pas être supérieur à 3,5 % de la production totale de l'Union, ou 33 % de la production totale de l'État membre.

La contractualisation des relations entre l'éleveur et le fabricant n'est pas obligatoire en Europe et reste au choix des États. En revanche, lorsque l'État a fait ce choix, le règlement européen prévoit un certain nombre de clauses obligatoires dans l'offre de contrat. Le contrat écrit comprend, en particulier, le prix à payer, le volume, le calendrier, les délais de paiement.

b) Le dispositif français

Le règlement européen laisse une latitude aux États. Ils peuvent décider que les livraisons de lait d'un agriculteur à un transformateur fassent l'objet d'un contrat. La France a fait ce choix. La contractualisation des livraisons figure dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche 26 ( * ) (LMAP).

La LMAP a été conçue et adoptée dans une période de fortes tensions sur le marché laitier, lors de l'effondrement des prix du lait. Pour les éleveurs de l'époque, la fin prochaine des QL allait encore aggraver cette baisse. Devant la montée des contestations, les pouvoirs publics devaient trouver, en urgence, une réponse, un outil qui permette de temporiser. La contractualisation, prévue de surcroît sur une période de 5 ans minimum, fut présentée comme une sorte de relais, de substitut aux QL, qui permettait de maintenir un cadre dans les relations entre éleveurs et fabricants. La LMAP introduit un article L. 631-24 du code rural qui prévoit la capacité pour le gouvernement d'imposer une obligation de formaliser par écrit la relation contractuelle entre le producteur et le transformateur. Cette faculté a été activée par le décret n° 2012-1753 du 30 décembre 2010 qui met en place une obligation d'engagement contractuel écrit d'une durée minimale de cinq ans.

c) La mise en oeuvre du dispositif

La mise en oeuvre du « Paquet lait » est très variable selon les pays, mais il faut être prudent dans les comparaisons.

D'abord parce le dispositif du paquet lait ne concerne en fait qu'une partie des producteurs et des États. OP et contractualisation ne peuvent concerner que les relations entre éleveurs et fabricants du secteur privé dit aussi « secteur non coopératif ». Or, une très large part de la filière laitière en Europe est organisée sous la forme de coopératives : les éleveurs sont les membres de la coopérative et livrent aux coopératives. Le lien entre l'éleveur et la coopérative ne relève pas du contrat mais du statut. Il y a donc nécessairement peu d'OP et peu de contrats dans les pays engagés dans la forme coopérative.

Ensuite, d'autres facteurs peuvent intervenir. L'OP évoque parfois une forme de collectivisation qui n'a pas toujours laissé de bons souvenirs dans les nouveaux États membres adhérents en 2004.

Treize États ont imposé que les laiteries fassent une offre de contrat écrit aux éleveurs. Dix États ont imposé une durée minimum (6 mois, un an, cinq ans - en France). La liste s'établit comme suit.

Offre de contrats obligatoires

Pays

LV

FR

IT

LT

ES

HU

SK

CY

PT

HR

BG

RO

SL

Durée des contrats

-

5 ans

6 mois

-

1 an

6 mois

-

1 an

6 mois

6 mois

6 mois

6 mois

6 mois

Début des contrats

Sept 2009

Avril 2011

Mars 2012

Oct. 2012

Oct. 2012

Dec. 2012

Dec. 2012

Juin 2013

Juin 2013

Juin 2013

Nov. 2013

Mars 2014

Janv. 2015

Source : DG agri - Milk package implementation - 22 mai 2015

La situation est encore plus diverse s'agissant des OP. Les OP reconnues dans le secteur laitier existent dans neuf États. Dans quatre d'entre eux, les OP ont un pouvoir de négociation des contrats. Les pays ont imposé un nombre minimum d'éleveurs pour constituer une OP mais dans une très large fourchette (de 5 à 200 éleveurs minimum - en France). La liste s'établit comme suit.

Nombre et importance des OP dans les États membres

OP avec pouvoir de négociation des contrats

OP sans pouvoir de négociation des contrats

Pays

CZ

DE

ES

FR

BE

IT

HR

PT

UK

Nombre d'OP

8

143

7

47

2

32

1

1

1

% de lait couvert par les OP

37 %

36 %

12 %

17 %

Source : DG agri - Milk package implementation - 22 mai 2015

En France, la situation est plutôt singulière, voire paradoxale. D'une façon générale, les observateurs de la Commission considèrent que « le Paquet lait a été construit sur mesure pour les Français. Mais une fois terminé, les Français n'ont pas revêtu le costume ». La mise en place des OP n'a pas rencontré le succès attendu. Après un démarrage poussif faisant craindre un échec du dispositif 27 ( * ) , les OP se sont mises en place. La situation est désormais qualifiée d'acceptable.

Le bilan dressé par le ministère est le suivant : On compte 50 OP en avril 2015 soit 18 % de la production de lait nationale. Les trois quarts sont des OP organisées par l'acheteur (dites « OP maison »). La taille est très variable, entre 6 et 1 500 producteurs (OP Val de Loire). Le potentiel serait de 120 OP. « Sur 12 000 producteurs lactaliens , 5 000 seulement seraient en OP », estime les Jeunes agriculteurs 28 ( * ) . Les OP recouvrent en moyenne 90 millions de litres soit 4,5 milliards de litres sur une production totale de 25 milliards de litres mais la production éligible du secteur non coopératif n'est que de 45 % du total Ainsi les OP recouvrent environ 40 % de la production éligible.

La mise en oeuvre du « Paquet lait » et de la contractualisation a été souvent critiquée.

2. Les critiques sévères du dispositif

Pour beaucoup de personnes auditionnées, la contractualisation et les OP n'ont rien apporté. Le feu nourri de critiques provient à la fois des deux parties, éleveurs et fabricants, et porte sur trois sujets : les OP, la durée des contrats, les clauses de prix.

a) les critiques des éleveurs

Les éleveurs sont très critiques sur les OP et la contractualisation.

L'idée courante est que les OP ne servent à rien, qu'elles n'ont aucune influence et qu'elles n'en auront jamais dans la prétendue négociation avec les industriels. D'abord, l'éleveur est dans une situation d'infériorité. Il a du lait et il DOIT le vendre L'acheteur a toujours le choix et si un éleveur ne lui convient pas, il ira en voir un autre. Mais surtout, que peut peser une OP de quelques centaines d'éleveurs de vaches face aux géants mondiaux de l'industrie laitière 29 ( * ) ? Que peut peser une OP dans la pyramide du marché laitier, dominé, in fine, par une poignée de centrales d'achat (70 000 producteurs, 100 transformateurs, 5 acheteurs) ? « La contractualisation est un échec dans la mesure où elle est incapable d'inverser les rapports de forces. Le désengagement des pouvoirs publics a amplifié ces difficultés » , estime la Confédération paysanne. 30 ( * )

Pour les éleveurs, le contrat ne peut qu'entériner les pratiques antérieures, qu'il s'agisse des clauses volumes ou de clauses prix 31 ( * ) . Dans les faits, le contrat n'est qu'un engagement d'apport de matières premières et prend acte des déséquilibres. Bien sûr, les contrats ont été signés ! Les fabricants avaient menacé de supprimer les primes si les contrats n'étaient pas signés ! déplore le coordinateur rural. 32 ( * ) En outre, même les clauses prix ne sont guère contraignantes puisque les contrats prévoient toujours des clauses de sauvegarde qui permettent aux industriels de s'en exonérer.

Ce constat désabusé s'appuie aussi sur une certaine maladresse française. En effet, l'articulation OP/contrats a été plutôt chaotique. L'idée des OP du paquet lait était de permettre aux éleveurs de parvenir à un potentiel suffisant pour renforcer le pouvoir de négociation des producteurs à l'approche de la contractualisation des livraisons de lait. Tout naturellement, la façon la plus logique de procéder aurait été de s'organiser avant de négocier. C'est le contraire qu'a fait la France, en imposant des contrats, avant la mise en place des OP. L'articulation est parfaitement nette : comme on l'a vu, la contractualisation a été prévue en 2010 tandis que la mise en place des OP a été prévue par un décret d'avril 2012 33 ( * ) , soit deux ans plus tard. « La structuration des producteurs au sein d'OP puissantes n'a donc pas été possible et les négociations commerciales n'ont pas placé les agriculteurs en position de force » 34 ( * ) , commentent les rapporteurs de la Loi de modernisation de l'agriculture. L'obligation de contractualisation a été immédiate alors que la création d'OP a été ultérieure et demande du temps. Résultat : quand les OP ont été créées, il n'y avait plus rien à négocier ! Une situation souvent raillée par les observateurs bruxellois. Selon eux, le paquet lait offre un pouvoir de négociation aux OP, y compris en matière de prix. La DG concurrence était totalement hostile à cette disposition mais elle a fini par accepter. Mais la France a mis la charrue avant les boeufs. Les contrats ont été signés avant que les OP soient constituées ! 35 ( * ) .

« Les OP actuelles sont des échecs . Les seules  OP qui marchent sont les OP qui sont entre les mains des laiteries pour coller au site industriel », commente le MODEF 36 ( * ) . Telle l'OP UNELL (Union nationale des éleveurs livrant à Lactalis, organisée par Lactalis pour les « Lactaliens » comme ils s'appellent eux-mêmes). Alors, « OP maison - OP bidon » pour reprendre l'expression savoureuse de M. Jean Bizet ?

b) les critiques des industriels


• Les critiques des industriels sur la durée des contrats

Le décret de 2012 relatif aux relations contractuelles entre producteurs et acheteurs met en place une obligation d'engagement contractuel écrit d'une durée minimale de cinq ans. Cette disposition suscite de très vives critiques de la part des industriels. C'est à la fois, à les entendre, une anomalie et une bêtise. Force est de reconnaître qu'il s'agit d'une spécificité française. Une douzaine de pays ont choisi la formule de contractualisation obligatoire, mais seule la France a choisi une durée de contractualisation de 5 ans. Dans tous les autres pays, le contrat est de 6 mois, sauf en Espagne où la durée est d'un an.

Pour la Fédération nationale des industries laitières (FNIL), en cherchant à sécuriser les relations entre producteurs et éleveurs, la France a tout simplement réussi à casser la dynamique laitière. « Pourquoi n'y a-t-il pas de nouvel industriel dans le secteur ? Non seulement le coût d'installation est considérable, mais les pouvoirs publics ont mis une barrière à l'entrée : le contrat est de 5 ans. Quel industriel, qui n'a encore rien produit, peut s'engager sur 5 ans ?! Personne ne peut s'installer en France ! La durée a été calée sur une disposition du code rural relative aux coopératives, sans qu'on ait étudié la question. Pour lisser la sortie des quotas laitiers, les pouvoirs publics ont décidé des contrats en précisant même la date : signés au 1 er avril 2011, avec échéance au 1 er avril 2016. Sous la menace de 75 000 € d'amende (soit plus d'un milliard d'euros pour Lactalis et ses 15 000 producteurs).

Les industriels entendent les critiques sur « l'industrie timorée », mais la réalité est que la régulation d'État est totalement inadaptée. Pourquoi Arla Foods, géant laitier danois, s'implante au Royaume-Uni, en Allemagne et pas en France ? Il n'y a qu'un étranger chinois qui a investi en France, mais seulement pour une tour de séchage 37 ( * ) . »


• La critique des industriels sur le prix

Le contrat contient une clause de fixation des prix. Mais le système est trop lourd. Trois éléments sont évoqués :

- la nécessité de clause de sauvegarde : les contrats actuels sont de 5 ans, mais les formules de prix sont applicables pendant trois ans. Pour adapter un prix, il faut passer par un avenant. Alors, pour éviter des renégociations périodiques, les industriels multiplient les clauses de sauvegarde dans les contrats ;

- la méconnaissance des réalités du marché : « les contrats entre éleveurs et fabricants omettent l'élément clef : la négociation avec la distribution. Pour cette dernière, le prix du lait est un produit d'appel, homogène, facilement identifiable et facilement comparable. Il y a une très forte pression sur les fournisseurs. C'est la distribution qui fait le prix du lait. Les industriels sont victimes de la Loi de modernisation de l'économie. Les pouvoirs publics ont toujours joué les grandes surfaces contre les industriels, parce que ce sont elles qui ont le levier du pouvoir d'achat. Leclerc a engagé une guerre des prix parce qu'il savait qu'il aurait les soutiens des pouvoirs publics et du consommateur, qu'il ne pouvait que gagner. Qui résiste à l'argument « Payer moins cher » ? Les industriels font les frais de la guerre des prix de la grande distribution mais, par ricochet, ce sont les éleveurs qui sont pénalisés » ;

- le décalage avec le prix des coopératives : « quand les industriels négociaient les contrats, le prix du lait était fixé par rapport au marché, aux concurrents et, de fait, par rapport aux coopératives. Le problème est que dans les coopératives, les contrats d'apport et de prix suivent le marché en temps réel, et peuvent donc changer périodiquement, très vite, tandis que les industriels doivent passer par un avenant. Quand le décalage entre coopératives et industriels devient insupportable, le contrat est dénoncé. C'est aussi simple que ça. C'est ce décalage qui explique la dénonciation du contrat Lactalis. En appliquant son contrat, il payait 20 % plus cher que Sodiaal ».

Ainsi, personne ne semble satisfait du mécanisme mis en place. Ces critiques doivent être entendues mais aussi analysées avec circonspection. Selon les observateurs, elles ne seraient pas exemptes d'arrières pensées et seraient excessives en omettant l'effet des relations contractuelles formalisées dans les relations de marché.

3. Des critiques à nuancer
a) Des critiques pas exemptes d'arrière-pensées

Il y a bien sûr des raisons objectives à la lenteur de mise en place des OP, mais pour les observateurs, les oppositions aux OP sont aussi et surtout de nature politique.


Les difficultés pratiques de mise en oeuvre des OP

L'OP impose un formalisme lourd. La reconnaissance d'une OP suit un parcours administratif complexe et l'OP doit recueillir les mandats auprès des éleveurs.

Les éleveurs apprécient le dialogue direct avec les industriels et ont des réticences à confier à un tiers le soin de négocier un contrat.

Une OP est une structure nouvelle, qui vient se superposer aux autres formes de groupements d'éleveurs. Sachant qu'une association, c'est aussi un président, une structure qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée d'une structure nouvelle au rôle déterminant puisqu'elle négocie les contrats.

Quand elles existent, les OP sont relativement étanches, ne se regroupent pas en associations d'OP-AOP - et ne discutent guère entre elles.


la vigilance des coopératives

A priori , les coopératives ne sont pas concernées par les OP. Les relations entre la coopérative et ses adhérents relèvent du statut et non du contrat. « Cela ne nous concerne pas » dit la FNCL. Pas si sûr. La frontière, encore nette, entre secteur coopératif et secteur non coopératif, pourrait être plus perméable à l'avenir. Certes, en France, les éleveurs sont fidèles à leur laiterie mais c'est une tradition qui pourrait changer. Rien n'est gravé. Et la mobilité peut parfaitement être imaginée. Un écart de prix durable entre les deux secteurs pourrait être une incitation à changer. Comme ce fut le cas en Pologne, où OP et coopératives ont été en concurrence. « L'État a encouragé les regroupements via les organisations de producteurs par une prime en cas d'adhésion. Cela a été très mauvais. Les agriculteurs ont quitté les coopératives pour adhérer aux OP. OP et coopératives ont été en concurrence. Ce mouvement s'est arrêté dès que les primes ont cessé, illustrant le fait que les primes publiques ont un effet très direct sur les comportements. Les agriculteurs préfèrent rester dans les coopératives lorsque les prix baissent. C'est plus sûr . ». 38 ( * )


les réticences des syndicats

Les OP viennent aussi et surtout en concurrence avec les structures syndicales. Officiellement, le discours syndical est favorable à ces regroupements censés donner une force aux éleveurs. L'ironie affichée (car il est probable que les OP ne pèseront jamais bien lourd face aux géants de l'industrie laitière) masque une vraie critique de fond qui paraît évidente aux observateurs, notamment au médiateur des contrats, qui a suivi la mise en place des contrats et des OP depuis leur origine.

Les structures syndicales peuvent voir dans les OP une concurrence, une menace, une redistribution des rôles. Tandis que les syndicats auraient une action d'influence, les OP auraient la charge de négocier et signer les contrats. Selon le médiateur des contrats, « le discours anti-OP, anti-contrats reste entretenu par le syndicalisme agricole. Il y a un combat d'arrière-garde, notamment par ceux, qui pétris de syndicalisme agricole, déplorent leur perte d'influence. L'OP a exproprié une partie de leur pouvoir et leur capacité à faire pression . L'OP a une discussion plus technique que politique » 39 ( * ) .

b) Quelques raisons d'espérer

Dans ce flot de critiques, entendu pendant plusieurs mois, il y eut pourtant quelques voix discordantes... et encourageantes. Le discours anti-OP est largement répandu, mais, lorsque les relations avec les producteurs étaient bonnes, la contractualisation ne change rien et les relations restent bonnes « La contractualisation des volumes et des prix se passe bien » estime Denis Milleret par exemple, de la fromagerie Milleret. « Le contrat apporte de la sécurité aux deux parties. La contrepartie est que les prix préfixés ne donnent pas beaucoup de perspective aux éleveurs » 40 ( * ) .

Et puis, « sur le terrain, il y a une évolution », rappelle le médiateur des contrats. C'est cette évolution qu'il faut capter, qu'il faut encourager même.

Il y a d'abord des résultats : 90 % des contrats sont signés dans le cadre d'OP. Il y a surtout un changement de nature dans les relations entre éleveurs et fabricants Un changement lent mais profond. Telle est l'analyse de Francis Amand, médiateur des contrats, qui est résolument optimiste. « Le premier bilan de la réforme de 2012 est très positif. Globalement, on peut être satisfait de la réforme du paquet lait, très satisfait même. Les contrats et les OP ont apporté des progrès dans les relations entre éleveurs et fabricants. On est sorti de la confrontation syndicale. Avant, les éleveurs se contentaient de livrer ce qu'ils étaient autorisés à livrer (encadrés par les quotas laitiers) et au prix prédéterminé, soit par entente, au temps du modérateur du CNIEL, soit au prix fixé par la laiterie. Il y a maintenant un discours et une relation différente entre éleveurs et industriels. Les producteurs rentrent dans une logique économique et s'intéressent à la valorisation des produits. Les OP discutent avec les collecteurs. »

Ensuite, même si les industriels sont très vigilants et souhaitent « garder la main » dans la négociation contractuelle, se contentant souvent d'adopter des formules de prix héritières des recommandations du CNIEL, les OP sont loin d'être « à la botte des industriels ». Alors « OP maison - OP bidon ? ». On l'a cru, mais aujourd'hui ce n'est pas le cas, répond le médiateur.

Le contentieux récent entre une OP et Lactalis, loin d'être un échec des relations commerciales, est, au contraire, aux yeux du médiateur, le signe d'un vrai pouvoir des OP et de la maturité des relations contractuelles. « Tout va très vite. En agriculture, le fait que les OP entament une action collective contre un industriel était tout simplement inimaginable en 2012. On assiste à une mutation du secteur, qui a été organisée autrefois par les syndicats agricoles et qui évolue vers des relations normalisées ouvertes à la négociation collective sous le contrôle du juge. »


L'action de groupe contre Lactalis - janvier-juin 2015

- Les faits : En 2014, Lactalis - premier groupe laitier mondial - a baissé ses prix d'achat du lait, s'alignant pratiquement sur les prix de Sodiaal - première coopérative française. La coopérative avait baissé le prix en début d'année (moins 5 euros les 1 000 litres), lors des négociations des prix avec la grande distribution.

Lactalis rappelle que, au moment de la conclusion des contrats en 2012, les industriels se calent sur le prix du marché - sur le prix des coopératives-, mais que ces dernières ont plus de réactivité que les industriels, qui sont dans une relation contractuelle. Quand les coopératives peuvent changer leurs prix tous les trois mois, les industriels doivent normalement attendre trois ans.

- La procédure : La loi d'avenir pour l'agriculture de 2014 41 ( * ) introduit une procédure qui permet à toute organisation de producteurs (avec ou sans transfert de propriété) d'agir en justice dans l'intérêt de ses membres pour les litiges mettant en cause un même acheteur (le fabricant) et portant l'application d'une même clause. Jusqu'à cette loi, le producteur ne pouvait agir en justice que pour son propre compte, s'exposant à des dépenses élevées et à de possibles mesures de rétorsion (listes noires ?) de la part des industriels.

Cette procédure, dite « d'action de groupe », avait été ouverte aux consommateurs par la loi de consommation du 17 mars 2014. La procédure est désormais ouverte aux producteurs, réunis en OP, à la seule condition que l'OP ait été mandatée par au moins un des producteurs adhérents. La FNPL a joué un rôle très actif pour incorporer ce dispositif dans la loi d'avenir.

Le contentieux doit être précédé d'une phase de médiation. Comme ce fut le cas en 2013, lorsque le médiateur fut saisi par un groupement de producteurs qui s'estimaient lésés par la baisse de 25 euros proposée par Lactalis, qui s'affranchissait ainsi des indicateurs contractuels déterminant le prix du lait.

- La médiation - réussie - de 2015 : En janvier 2015, les 500 producteurs de lait de l'OP Normandie, bientôt rejoints par le FNPL,  ont déclenché une action collective contre la baisse du prix du lait décidée par Lactalis.

Lors de son audition en avril 2015, le médiateur des relations contractuelles agricoles a posé les enjeux. « À la base, il y a un problème classique entre un fournisseur et un producteur. Si un industriel peut s'affranchir d'un contrat, cela serait un échec du contrat. Si un contrat inclut une clause qui permet à l'industriel de ne pas respecter le contrat, ce serait pire encore ! Mais il y a aussi un enjeu politique. L'enjeu dépasse les parties. C'est tout le système qui est en jeu. Personne n'a droit à l'échec. Il y a beaucoup de détracteurs, en particulier chez les syndicalistes agricoles. Il y a une très grosse pression sur cette médiation qui est un test de crédibilité pour tout le monde. Les détracteurs de la loi feront leur miel de l'échec de la médiation. »

Il s'estimait cependant confiant dans l'issue de la médiation. Le 3 juin 2015, lors de son audition par la commission des affaires économiques du Sénat, M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, a indiqué que la médiation avait abouti.

4. Le dispositif de l'OCM unique

Si le « Paquet lait » est dédié au secteur laitier, ce dernier est aussi encadré par le règlement général de la PAC sur l'organisation commune des marchés, dit règlement OCM unique 42 ( * ) . Le règlement OCM unique reprend les dispositions du paquet lait et précise les conditions d'intervention sur les marchés. Ce texte a fait l'objet d'intenses négociations. L'influence des eurodéputés français a été déterminante, notamment celle de M. Michel Dantin, rapporteur du texte à la COM Agri du Parlement européen.

a) L'intervention sur les marchés

Toute une partie du règlement OCM unique est consacrée à l'intervention sur le marché. L'intervention européenne est l'héritage de l'ancienne PAC. Même si son importance économique et budgétaire n'est plus que marginale (par rapport aux paiements directs), il reste toujours un cadre juridique.

L'intervention implique le rachat par l'UE (dans le cas du stockage public) ou le soutien budgétaire au stockage privé. Le règlement fixe un cadre pour l'intervention : un prix de référence (art. 7) ; une période (art. 12) : 1 er mars au 30 septembre ; des conditions techniques (art. 11) - teneur en matières grasses etc... Le règlement précise que « l'écoulement des produits achetés dans le cadre de l'intervention publique a lieu dans des conditions telles que toute perturbation du marché est évitée » .

L'intervention relève de la compétence du Conseil sur proposition de la Commission. Elle est prévue à l'article 4.3, paragraphe 3 du TFUE : « Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte les mesures relatives à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives » .

Concernant le prix, « les mesures relatives à la fixation du niveau de prix d'intervention publique, y compris les montants des augmentations et des réductions, sont adoptées par le Conseil, sur proposition de la Commission » (art. 15, paragraphe 2 du règlement OCM unique). L'intervention peut se faire soit à prix fixe (par rapport au seuil de référence), soit dans le cadre d'adjudications. Le prix d'intervention (PI) est fixé par rapport à un « seuil de référence », qui, lui, est fixé par le règlement. Concernant les produits laitiers, le prix est de 246,39 € par 100 kg de beurre et 169,80 € par 100 kg de lait écrémé en poudre. Cela correspond à 220/230 € les 1 000 litres.

« Le seuil de référence sera régulièrement examiné par la Commission compte tenu de critères objectifs, notamment l'évolution de la production, des coûts de production (en particulier du prix des entrants) et des tendances du marché » (art. 7, paragraphe 2).

L'intervention implique une sortie du marché. Même si les prix étaient plus élevés, la décision de recourir à l'intervention n'est pas facile pour un opérateur. Beaucoup préfèrent livrer à des prix jugés trop bas, mais garder leurs clients, que de recourir à l'intervention. À la suite de l'embargo russe sur les produits agricoles, notamment sur la filière des fruits et légumes, pratiquement aucun producteur français n'a choisi de recourir à l'intervention européenne.

b) Les mesures exceptionnelles

En complément de l'intervention, le règlement OCM unique prévoit un certain nombre de dispositions adaptées aux circonstances exceptionnelles.

Art. 219 - Les mesures de prévention des perturbations du marché

En cas de « perturbation du marché » , la Commission est habilitée à prendre des actes délégués qui vont étendre la portée ou la durée des mécanismes de gestion de marché prévus dans le règlement, y compris les restitutions et les restrictions d'échanges. C'est ce mécanisme qui a été utilisé pour la filière des fruits et légumes après l'embargo russe.

La notion de perturbation du marché n'est pas définie. Elle est  à l'appréciation de la Commission Elle s'impose par consensus, mais la Commission a la main. Elle suit la majorité des États membres, mais « elle a toujours joué le jeu », montrant ainsi que, garante de l'intérêt communautaire, elle est solidaire des États membres.

Art. 220 - Les mesures de soutien du marché liées aux maladies animales ou à la perte de confiance des consommateurs

C'est un autre cas de figure, indépendant des surproductions : le consommateur, inquiet, n'achète plus les produits (exemple : la chute de la consommation de viande de boeuf après la crise de l'ESB). La Commission peut adopter des actes d'exécution prévoyant des mesures exceptionnelles de soutien (promotion...). Les actions sont cofinancées 50/50 % par l'UE et l'État membre (la part du financement européen est portée à 60 % en cas de fièvre aphteuse).

Cette disposition existait pour les productions animales dans l'ancien règlement OCM unique de 1999. Elle a été étendue à tous les produits. La Commission intervient alors par acte délégué.

Art. 221 - Les mesures destinées à résoudre des problèmes spécifiques

Cet « article-balai » vise à répondre à des situations ou à prendre des mesures qui n'ont pas été prévues par le règlement OCM unique. La Commission intervient alors par acte d'exécution. L'idée est d'éviter d'aller au Conseil pour gérer la crise dans les concombres, par exemple.

Art. 222 - La dérogation au droit de la concurrence

Avec l'article 222, on quitte le champ de l'intervention économique et de l'action budgétaire, pour aborder le champ juridique. Durant une période de « déséquilibre grave sur les marchés », la Commission peut adopter des actes d'exécution prévoyant que les règles de la concurrence prévues à l'article 101, paragraphe 1 du TFUE ne s'appliqueront pas aux OP. Cela correspond à l'idée que, en cas de « déséquilibre grave » du marché, les entreprises pourront organiser des ententes, par ailleurs fermement condamnées par les autorités de la concurrence. L'article 222 permet de valider des comportements qui, en temps normal, seraient sanctionnés (entente pour retirer des produits du marché lorsque les prix sont trop bas, par exemple, actions de promotion conjointe).

Cette exception au droit de la concurrence suppose toutefois que les mesures de marché décrites ci-dessus ont été actionnées au préalable.

Art. 226 - Utilisation de la réserve de crise

Il s'agit là d'une disposition purement budgétaire, qui permet de financer les mesures de soutien et d'intervention par la réserve de crise (400 millions d'euros), constituée en début d'année par prélèvement sur les paiements directs.

La première tentative de la Commission pour faire jouer cette disposition s'est soldée par un échec. Fin 2014, une majorité d'États membres s'est opposée à l'utilisation de la réserve de crise pour financer les dépenses liées à l'embargo russe. Ces dépenses ont été financées sur les recettes imprévues, notamment les prélèvements liés aux dépassements des quotas laitiers.

Formellement, l'Union européenne a donc conservé un cadre juridique et budgétaire très complet pour répondre aux situations de déséquilibre et de tensions sur le marché laitier. Il ne faut cependant pas trop attendre de ces dispositions, beaucoup d'États membres étant, par principe, hostiles à ces régulations administrées.

Même le règlement « OCM unique » continue à susciter des débats entre États membres. L'Allemagne est le seul État membre à avoir voté contre le règlement lors de la réunion du Conseil du 16 décembre 2013 (le Royaume-Uni s'est contenté de s'abstenir ; tous les autres ont voté pour). L'Allemagne a même déposé le 10 mars 2014 un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) contre le règlement « OCM unique ». L'Allemagne demande l'annulation de l'article 7 du règlement et de l'article 2 du règlement paiements directs n° 1307/2013 (règlement du Conseil seul, pris sur la base de l'article 43-2 du TFUE). Le contentieux porte sur l'interprétation et le champ d'application des articles 43-2 (codécision) et 43-3 (décision du Conseil seul) du TFUE.

B. DES HYPOTHÈSES DE MARCHÉ PEUT-ÊTRE OPTIMISTES

1. Les perspectives du marché mondial
a) La croissance du marché mondial

Cette croissance semble acquise. Selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'agriculture (FAO), de tous les produits agricoles, les produits laitiers sont ceux dont la demande augmentera le plus. Cette progression est le résultat de trois facteurs : l'augmentation de la population mondiale, l'augmentation du niveau de vie dans les pays émergents et le changement d'habitudes alimentaires qu'il induit, notamment en faveur des aliments protéinés et, enfin, les changements dans les techniques de production et d'approvisionnement.

Ainsi, tous les professionnels répètent à l'envi que la consommation mondiale progressera de 2 % par an. Les experts de l'OCDE tablent plus précisément sur une croissance annuelle de 1,9 %, mais avec des évolutions contrastées selon les segments de marché : « Le taux de croissance sera de 1,9 % par an. Le lactosérum, le fromage et le lait écrémé en poudre devraient se distinguer avec une croissance annuelle de plus de 2 % par an. On attend une tendance moins marquée par le lait entier en poudre (+ 1,7 %) et moins encore pour le beurre (+ 0,7 %) ». Les données chiffrées sont présentées dans le tableau ci-après :

Perspectives du marché mondial des produits laitiers (2014-2023)
(en millions de tonnes)

2014

2020

2023

Évolution

Lait

783,7

879,9

928,2

+ 18,4 %

Produits frais

532,9

614,2

658,6

+ 23,5 %

Beurre

10,5

11,8

12,6

+ 20 %

Fromage

21,6

24,2

25

+ 17 %

Lait écrémé en poudre

3,9

4,4

4,6

+ 18 %

Lait entier en poudre

4,9

5,7

6,0

+ 22,8 %

Poudre de lactosérum

np

np

np

np

Caséine

0,29

0,34

0,36

+ 24 %

Source : OCDE/FAO 2014

b) Le positionnement de l'Union européenne

Comment se positionne l'Union européenne dans ce marché mondial, apparemment très porteur ? La Commission estime qu'au niveau global, l'abolition des QL n'aura qu'une faible incidence sur les volumes dans la mesure où la plupart des États membres étaient en sous-réalisation. Le niveau global de collecte devrait même être en dessous du niveau de quotas prévu en 2014 (150 millions de tonnes de QL et une prévision de collecte comprise entre 140 et 145 millions de tonnes entre 2015 et 2020). La part de l'Union européenne dans la production mondiale devrait cependant décliner, avec la croissance attendue des productions d'autres pays. L'évolution du marché est indiquée dans le tableau ci-dessous. Le tableau reprend les données établies par deux institutions et à deux moments différents (Commission en 2011 et l'OCDE/FAO en 2014) 43 ( * ) .

Les prévisions du marché laitier dans l'Union européenne
(en milliers de tonnes)*

2009

2014

2020

2023

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Lait

Production
Collecte

147,6
133,2

np

151,8
138,6

153,7

157,8
146,9

158

np

160,5
np

Fromage

Production
Exportation

8 680
578

np

9 030
695

9 738
827

9 542
727

10 467
1 081

np

10 690
1 143

Beurre

Production
Exportation

2 137
154

np

2 115
134

2 327
132

2 108
129

2 330
142

np

2 330
138

Lait écrémé en poudre

Production
Exportation


941
231


np


1 017
412


1 140
480


1 035
443


1 244
615


np


1 242
624

Lait entier en poudre

Production
Exportation

762
459

np

769
424

642
356

788
441

640
350

np

638
348

Poudre de lactosérum

Production
Exportation

np

np

np

1 920
603

np

2 102
772

np

2 146
803

Caséine

Production
Exportation

np

np

np

134
74

np

150
81

np

156
80

Sauf lait : millions de tonnes

Concernant les exportations, les évolutions seront contrastées selon que l'on considère les volumes ou les parts dans le marché mondial. Concernant les volumes, l'Union européenne devrait accroître ses exportations de fromage et de lait écrémé en poudre (les exportations devraient en revanche baisser sur le beurre et le lait entier en poudre). Elle devrait également réaliser de belles performances sur la poudre de lactosérum (+ 33 % en 10 ans selon l'OCDE), produit émergent (qui n'est d'ailleurs même pas documenté par la Commission en 2011). Les parts de marché de l'Union européenne devraient se maintenir, voire légèrement augmenter (fromage). Ces données sont présentées dans le tableau ci-dessous.

Place de l'Union européenne dans les échanges de produits laitiers

Quantité Monde*

Quantité UE*

Part UE

2014

2023

2014

2023

2014

2023

Beurre

883

923

132

138

14,9 %

14,9 %

Fromage

2 397

2 946

827

1 143

34,5 %

38,7 %

Lait écrémé en poudre

1 943

2 418

480

624

24,7 %

25,8 %

Lait entier en poudre

2 364

2 743

356

348

15 %

12,6 %

Lactosérum

np

np

603

803

np

np

Caséine

223

292

69

86

30,9 %

29,4 %

*Milliers de tonnes Source OCDE/FAO - 2014

Le marché international serait donc extrêmement porteur et l'Union européenne doit et peut y prendre sa place. Pourtant, certains préfèrent tempérer cet enthousiasme, en évoquant de possibles déconvenues, sur deux sujets : les prix ; les inconnues du marché.

2. Les prix

L'idée de ce rapport est née au moment de l'amorce d'une baisse sensible du prix du lait. Le souvenir de la crise de 2009 était encore bien présent. La perspective d'un effondrement s'est éloignée et la seule évocation d'une nouvelle crise du secteur laitier interloqua plus d'un interlocuteur. Certains préférant souligner au contraire que les niveaux de 2014 avaient atteint des records historiques.

a) Le passage de 2015

• Le prix moyen du marché.

La moyenne annuelle 2014 est d'environ 365 €/1 000 l, « un niveau record » fait observer la DG Agri (+ 6 % par rapport à 2013, + 21 €/1 000 l). La baisse des prix est sensible depuis septembre 2014 (388 €) en cohérence avec la baisse générale en Europe et des produits transformés industriels sur le marché international. Plusieurs éléments peuvent amplifier les variations saisonnières :

- les effets de l'embargo russe, par report de quantités non exportées vers la Russie sur les marchés européens ;

- l'offensive de certains pays producteurs qui souhaitent profiter de la fin des QL pour développer leur production, prendre des parts de marché, y compris par une concurrence sur les prix ;

- la période de la baisse coïnciderait avec la période des négociations commerciales dans le secteur.

Dans ce contexte, le point bas point de 2015 correspondrait à une baisse de - 15 à - 20 % à la fin du premier trimestre (302 euros en avril) mais l'ampleur de la baisse sur l'année devrait être plus mesurée. Début 2015, les prix de base du lait est d'environ 310-320 €/1 000 l et pourraient descendre sous les 300 € compte tenu de la saisonnalité. En moyenne sur le premier semestre 2015, le prix serait entre 304 € et 315 €/1 000 l, soit une baisse de 15-17 % par rapport au premier semestre 2014. Le prix du lait retrouverait, en moyenne, au premier semestre 2015, un niveau proche ou légèrement inférieur à celui des premiers semestres des années 2011 ou 2012 ou de la moyenne des années 2009-2013 qui se situe à 304 €/1 000 l. Le prix serait toutefois assez nettement supérieur à ceux constatés en 2009.

• Le prix de l'éleveur.

Malgré les efforts de prévision et sans même compter les « correctifs qualité » apportés au prix de base 44 ( * ) , il est difficile de prévoir l'évolution du prix du lait payé effectivement à l'éleveur. Si les indicateurs retenus dans les clauses prix des contrats sont connus, de nombreuses entreprises n'utilisent pas directement ou pas totalement ces indicateurs. Par exemple, les coopératives (Sodiaal notamment) fixent de plus en plus via leurs conseils d'administration des prix d'acompte mensuels et des objectifs annuels qui reflètent la valorisation attendue par les marchés.

Par ailleurs, les prix sont de plus en plus lissés sur l'année, afin d'éviter des effets contre productifs (pas d'incitation à la production de lait d'été, trop grand écart de prix entre mois...).

D'une façon générale, les politiques de prix des entreprises sont de plus en plus individuelles. Cette individualisation ne s'oppose pas à ce que les entreprises comparent sur une période donnée (moyenne annuelle par exemple) les prix qu'elles paient par rapport à ceux de leurs principaux concurrents, le cas échéant pour effectuer des recalages. En outre, il faut rappeler que l'évolution du marché des Produits de Grande Consommation (PGC) n'est pas prise en compte directement par les indicateurs de marché relatifs aux produits industriels. En cas de forte baisse de la valorisation des PGC, des ajustements complémentaires à la baisse du prix du lait sont à prévoir. Ces ajustements se feraient, dans les coopératives, par une décision au niveau des conseils d'Administration et, pour les industriels privés, en invoquant une clause de sauvegarde (qui n'est parfois pas très explicite dans les contrats). Les négociations commerciales avec les GMS peuvent également conduire à une baisse additionnelle des prix de vente des produits laitiers.

Ces incertitudes doivent être pondérées par l'évolution plutôt favorable, en 2015, des coûts de production (aliments, énergie).

b) Une tendance à la baisse des prix ?

« La compétition laitière sur le marché international se fera en grande partie sur les prix. Le lait est un élément de ce que les anglo-saxons appellent les « commodities » et les « commodities » sont les marchés de prix », relève Olivier Picot, président de la FNIL. Beaucoup d'éleveurs craignent que le marché mondial soit un marché de dupes. « En Pologne, les fermiers sont réticents, l'idée générale est qu'il faudra produire plus à moindre prix », nous confie le ministre conseiller de la Représentation permanente de Pologne à Bruxelles. Plus de volume à des prix plus faibles. Autrement dit : « travailler plus, pour gagner moins ».

Il est tout à fait frappant, en effet, de constater que les observateurs, si prompts à afficher les belles perspectives de consommation mondiale, affichées par l'OCDE, sont plus diserts sur les perspectives, beaucoup moins bonnes, des prix - en dollars courants-, pourtant issues du même organisme, comme on peut le constater dans le tableau ci-dessus. À l'exception du fromage et de la caséine, le prix de tous les produits exportés accuserait une baisse de 7 à 14 %.

Perspectives de prix de l'OCDE 2013 / 2023

Évolution

Lait

- 8 %

Fromage

+ 10,7 %

Lait écrémé en poudre

- 14 %

Lait entier en poudre

- 9 %

Poudre de lactosérum

- 7 %

Caséine

+ 3,8 %

c) La volatilité des prix

Le phénomène est bien connu et a été étudié à de nombreuses reprises. Il s'est manifesté de façon éclatante lors de la crise laitière de 2009, avec des variations de près de 50 % en quelques mois. La volatilité des prix, presque naturelle en agriculture a été masquée en Europe par la pratique des prix institutionnels. La fin des prix officiels a fait entrer le monde agricole dans les fluctuations du marché. Cette volatilité a été amplifiée par la financiarisation du marché et l'influence croissance du marché mondial. En général, la demande est prévisible et régulière. Ce sont les variations de l'offre, souvent liées aux aléas climatiques, qui font la fluctuation des prix. Mais l'arrivée sur le marché mondial d'un consommateur poids lourd - la Chine - multiplie les à-coups : quand la Chine consomme ou stocke, cela déclenche une frénésie sur le marché. Quand elle déstocke, le prix chute. L'évolution du prix de la poudre de lait se diffuse à l'ensemble de la filière.

Cette volatilité est perçue très négativement par les éleveurs. Il y a d'abord une incompréhension, qui elle, est bien compréhensible ! L'éleveur admet parfaitement que son prix dépende de la pluie et du beau temps ; il ne peut comprendre qu'il dépende aussi des nurseries de Shanghai !

Il y a surtout ce constat que la volatilité des prix est déconnectée de la volatilité des coûts, notamment de l'énergie et de l'alimentation.

La profession avait anticipé une chute des prix du lait en 2015. « Par rapport au record de 2014 » relativise la DG AGRI à Bruxelles. La diminution est bien réelle, mais s'avère beaucoup moins pénalisante que ce qui était prévu, car le prix des intrants a lui aussi chuté sous l'effet de la baisse, plus importante encore, du prix de l'énergie. Le risque que craint le plus la profession est la conjonction d'une baisse de prix et de l'augmentation des coûts. Cela est parfaitement possible. Mieux : les perspectives du marché sont à l'international. Mais aller à l'exportation, c'est s'exposer aux concurrences mondiales et aux soubresauts des prix mondiaux. Le marché mondial implique la volatilité des prix. « La fin des QL ne fait que rajouter de l'incertitude à un contexte déjà anxiogène » , analyse Julien Turenne, sous-directeur produits et marchés à la DGPAAT du ministère de l'agriculture 45 ( * ) .

D'autant plus anxiogène qu'il n'y a guère de solution pratique. La tentative de régulation internationale en 2011 s'est soldée par de vagues promesses d'observations statistiques. En Europe, il ne faut pas non plus attendre trop d'initiatives. Il est tout à fait frappant de constater que la volatilité des prix n'entame en rien la confiance des grands États laitiers dans les vertus du libre marché . Les pays les plus engagés dans la libéralisation du marché sont aussi les pays où le prix a le plus baissé, pratiquement deux fois plus qu'en France !, comme en le voit dans le tableau suivant :

Variations récentes du prix du lait (2014/2015)

(en euros par litre et en %)

France

Allemagne

Pays-Bas*

Danemark

Irlande

Avril 2014

34,25

39,72

42

43

38,55

Avril 2015

30,20

30,79

32

30,83

29,89

Variation un an

-11,8 %

-22,4 %

-23,8 %

-28,3 %

-22,5 %

Écart max sur deux ans**

29%

38%

45%

41%

50 %

Source : Milk Market Observatory 2015

*Mai 2014 - mai 2015

** L'écart maximum est calculé entre le point haut et le point bas entre 2013 et 2015

Source : ibid

Cette exposition à la volatilité est le prix à payer, le risque du marché, parfaitement assumé par les intéressés et qui, à aucun moment, ne les ferait regretter leur choix. Il est peu probable que l'Union européenne intervienne dans ce domaine. Non seulement la Commission, qui a l'initiative des propositions, n'a pas semblé ouverte à cette idée, mais au Conseil, de nombreux États y seraient opposés. « La PAC s'est soigneusement éloignée du sujet sous la pression d'États membres qui y verraient un frein à leurs avantages comparatifs supposés » 46 ( * ) . La gestion de cet aléa relève davantage de l'initiative individuelle ou des relations entre producteurs (OP) et transformateurs.

3. Des déconvenues possibles sur les perspectives de marché
a) Les inconnues du marché

Il y a beaucoup d'inconnues sur les prévisions d'échange.

Tous les familiers du secteur connaissent le chiffre emblématique de 2 % de croissance annuelle. Un affinage des statistiques montre pourtant que les perspectives, même très favorables, ne sont pas toujours aussi bonnes. Car, non seulement le chiffre précis de l'OCDE est de 1,9 % mais surtout cette hausse est calculée par rapport à une période de référence 2011-2013 et pas 2015. Or, sur la plupart des produits, la hausse du marché se constate en début de période. Sur le fromage par exemple, secteur annoncé comme très porteur et très favorable aux productions françaises, le rythme de croissance s'affaiblit au fur et à mesure des années : + 12,4 % les trois premières années (2013/2015), puis + 8 % les trois années suivantes, puis + 6,1 %, les trois suivantes. La tendance reste largement positive mais une analyse plus fine permet de tempérer. En d'autres termes, la fameuse hausse du marché mondial sera sans doute moins forte que prévu.

Il ne s'agit que d'une observation technique. Les vraies inconnues sont ailleurs.

La sensibilité des échanges aux parités monétaires est évidemment cruciale. Or, cette donnée est totalement imprévisible. En témoigne cette analyse des « experts » de la Commission, publiée en 2011, sur l'évolution des parités euro/dollar. « Il existe un potentiel d'augmentation des exportations (de produits laitiers) à court terme, car l'euro devrait baisser par rapport au dollar, mais, à plus long terme, les prévisions sont moins favorables car l'euro devrait remonter à partir de 2014 »47 ( * ) . On conviendra que pronostiquer une baisse de l'euro quand il atteint des sommets historiques (1 € = 1,38 US $ en août 2011) n'était pas spécialement audacieux. En revanche, prévoir une remontée du taux de change à partir de 2014, alors que c'est précisément le moment où la parité s'est effondrée (1 € = 1,38 US $ en avril 2014 ; 1 € = 1,08 US $ en avril 2015 : soit - 22 %) montre les limites des prévisions des « experts ». Cela ne serait d'ailleurs pas la première fois. La Commission avait également très mal anticipé la crise laitière de 2008/2009 et avait augmenté les quotas au pire moment, juste au moment du retournement de marché, aggravant le déséquilibre offre/demande.

D'autres facteurs peuvent contrecarrer les prévisions. La force des productions européennes est leur image de qualité et de sécurité. Mais le monde agricole est très vulnérable aux incidents . Un accident peut vite se transformer en crise agricole et stopper tous les échanges 48 ( * ) .

De même, toutes les prévisions de marché se fondent sur la croissance du marché asiatique et dans une moindre mesure, du Moyen-Orient et de l'Afrique. Sans nier ce potentiel, deux éléments sont à prendre en compte. D'une part, un écart, même minime, sur le taux de croissance de la zone a un impact immédiat sur les importations de ces pays, et par conséquent sur les exportations européennes, en particulier lorsqu'elles concernent des produits de consommation s'inspirant du mode de vie occidental. D'autre part, il ne faut pas raisonner comme si le développement du marché signifiait ipso facto un potentiel équivalent pour les exportations mondiales. La conquête du marché chinois suppose - exige - très souvent une alliance entre un producteur international et un producteur chinois 49 ( * ) . Il n'y a pas de superposition entre croissance du marché et exportations.

Enfin, il faut envisager l'hypothèse où le marché intérieur (européen), présenté comme mature ne serait pas stable mais légèrement déclinant. Une baisse, même légère du marché intérieur aurait des répercussions immédiates et amplifiées sur la compétition sur les marchés extérieurs. « Il ne fait aucun doute qu'il y aura une augmentation de la production en Europe. Mais dès lors que le marché intérieur est mature, au mieux puisque certains prédisent même l'amorce d'une contraction du marché européen, tout le complément sera logiquement destiné au marché mondial. Soit le marché mondial absorbe la production européenne et ça passe. Soit il n'absorbe pas et ça casse », analysent les spécialistes de France Agrimer 50 ( * ) .

b) Les nouveaux compétiteurs

L'Union européenne ne sera pas seule sur ce marché supposé florissant. Certains pronostiquent que les cartes seront rebattues. Tout d'abord, les grands pays de consommation ne vont pas rester inertes et accepter d'être dépendants pour leur approvisionnement alimentaire. L'Inde sera le premier producteur mondial de lait par exemple. Mais surtout, « d'anciens joueurs vont recommencer à miser ». L'incertitude majeure porte sur les concurrents américains. « Certains producteurs d'Amérique du Sud sont à surveiller (Argentine, Uruguay) », analyse Olivier Blanchard de France Agrimer. Mais surtout, les États-Unis sont une très grande puissance laitière, mais qui est encore peu présente sur le marché international au regard de ses capacités. Une sorte de « géant américain endormi ».

« Le géant américain endormi »

L'analyse de M. Olivier Picot, président de la FNIL

La concurrence internationale va se transformer. Jusqu'à présent, le pays de référence est la Nouvelle-Zélande qui fixe le prix de la poudre de lait, qui sert de référence aux autres produits laitiers. L'écart entre les deux prix, français et néo-zélandais, paraissait insurmontable (élevages extensifs, prix des terres, prix des bâtiments, effet taille...), mais c'est beaucoup moins sûr aujourd'hui. Le prix de revient va augmenter en Nouvelle-Zélande, en lien avec le prix du foncier, qui augmente partout, tandis que le prix français pourrait baisser.

Le nouveau concurrent sera américain. Aujourd'hui, il y a très peu d'exportations américaines. Il y a une capacité industrielle mais pas de prix adapté. Le prix du lait aux États-Unis est élevé et est pratiquement déconnecté du marché mondial. Le secteur laitier fonctionne en circuit fermé. Le prix du lait est réglementé par les États et dépend de l'usage : il existe un prix pour le fromage, un prix pour les laitages, etc. L'idée est de privilégier le producteur au détriment du consommateur. Les chocs sont amortis par un système d'assurance. Quand les prix baissent, l'agriculteur est assuré de maintenir son revenu, avec une aide de l'État.

Aujourd'hui, les Américains sont quasi absents du marché mondial. Alors que leur outil de production est énorme : plus de 50 % du lait est issu de fermes de plus de 10 000 vaches. Les États-Unis sont une ancienne puissance laitière qui ne s'exprime pas. Quand elle abordera le marché mondial, cela va entraîner de grands bouleversements. On assistera alors à la libre expression de la compétitivité et les Américains sont préparés à ce type de compétition.

Les Européens raisonnent sur le marché asiatique et mondial comme s'il n'y avait pas de concurrence américaine. Le Traité d'échange et de partenariat transatlantique (TTIP) est, clairement, le signal d'une volonté américaine de revenir sur le marché mondial.

c) Le positionnement français

Les belles performances françaises à l'exportation ne parviennent pas à faire disparaître une certaine inquiétude.

Exportation de produits laitiers (M€)

2010

2011

2012

2013

2014

Total M€

5 706

6 435

6 630

6 966

7 323

Part de l'international dans le CA de la filière

44,2 %

48,3 %

52,8 %

51,9 %

Sources : CNIEL - L'économie laitière 2015, et Crédit agricole - L'observatoire - novembre 2014

La plupart des professionnels du secteur gardent une certaine retenue devant les perspectives du marché mondial. Certes, selon un sondage interne du FNCL, 45 % des éleveurs souhaitent profiter des opportunités, 30 % tablent sur une production stable. Mais d'autres professionnels sont moins optimistes... « La tradition française a orienté le marché vers les produits à haute valeur ajoutée (fromages, laitages....). Les fabricants ont refusé de faire de la poudre de lait. Le paradoxe est qu'aujourd'hui, c'est sur la poudre qu'il faut aller », estime Patrick Ferrère, du think tank « saf agr'iDées ».

Les perspectives pour le fromage sont excellentes, entend-on souvent. Mais c'est le fromage ingrédient qui s'exporte (l'emmental, le gouda...), et non les morbier, cancoillotte, les pâtes molles à croûte persillée... D'ailleurs, la France n'est que le deuxième exportateur européen de fromages, très loin derrière l'Allemagne (672 tonnes contre 1 157 tonnes en 2014).

Il faut également se méfier de la médiatisation qui fait faire parfois de mauvais choix. Il y a deux ans, il y a eu l'euphorie sur le lait infantile, avec une superbe embellie du marché chinois (augmentation du volume exporté en Chine de 35 % entre 2013 et 2012). Une fois que la Chine a stocké, le marché s'est écroulé (- 40 % en 2014 !).

La question qui se pose est celle du choix stratégique. Faire de la poudre de lait pour coller au marché, ou rester sur des segments à haute valeur ajoutée, mais à petits volumes ? C'est évidemment une responsabilité d'industriel. La libéralisation et l'internationalisation du marché apportent de la volatilité dans tous les domaines : les prix, bien sûr, mais aussi les marchés.

C. LA RECOMPOSITION DU PAYSAGE LAITIER EUROPÉEN

La recomposition du paysage laitier européen est en cours depuis plusieurs années. La libéralisation du marché va amplifier ces évolutions. Plusieurs études économiques ont analysé ces perspectives 51 ( * ) . Le présent rapport ne fait qu'apporter un témoignage à une analyse déjà très avancée.

1. Des dynamiques laitières différenciées

L'Union européenne est encore le premier producteur de lait et de produits laitiers du monde. Près de la moitié de la production (44 %) est assurée par l'Allemagne et la France. Mais il y a aussi des producteurs plus modestes avec une réelle dynamique laitière (Pays-Bas, Danemark, Autriche, Irlande...) qui résulte de deux effets conjugués.

Il y a d'abord l'attitude face à l'encadrement administratif des QL. Les QL n'ont jamais été ni figés, ni dissuasifs. Certains pays étaient en sous réalisation (la France et le Royaume-Uni sont les deux grands pays laitiers avec des sous-réalisations chroniques parmi les plus élevées de l'Union européenne 52 ( * ) ), tandis que d'autres dépassaient leurs quotas, même au prix de pénalités financières (comme ce fut souvent le cas de l'Autriche, l'Italie, les Pays-Bas, l'Allemagne). Depuis dix ans, les dépassements des uns n'ont jamais compensé la sous réalisation des autres et globalement, au niveau de l'Union européenne, les livraisons aux laitiers sont inférieures de 1 % au quota global.

Ensuite, les réactions face aux crises ont été très différentes selon les États. La dernière « crise laitière » est celle de 2008-2009, lorsque le prix avait chuté de près de 50 % en quelques mois. Face à cette chute brutale, il y eut, clairement, deux réactions opposées, des deux principaux pays laitiers d'Europe : la France et l'Allemagne.

La France n'est pas le seul pays à avoir réduit sa production 53 ( * ) , mais c'est un pays où cette baisse s'est inscrite dans une stratégie. Il s'agissait de limiter les volumes pour contrer un effondrement encore plus important des prix à la production. « En revanche, dans un contexte de stagnation, voire d'un recul de la consommation européenne, le Danemark, les Pays-Bas (+ 1,9 %) et, plus étonnement, l'Allemagne (+ 2,4 %), ont opté pour la stratégie inverse consistant à produire davantage, dans une stratégie de conquête de parts de marché ». Cette stratégie que l'on pourrait qualifier de « défensive » et l'autre « d'offensive » est un élément important à prendre en compte dans les années à venir ». 54 ( * )

Ainsi, le même signal prix a suscité deux réactions, deux stratégies opposées. On retiendra surtout le cas allemand où la hausse de production n'est pas seulement conçue comme un effet de compensation (compensation de la baisse des prix par une augmentation des quantités), mais aussi comme support d'une stratégie de conquête. C'est tout à fait crucial pour anticiper le futur paysage laitier. Certes, contrairement à l'épisode de 2008-2009, l'Allemagne n'a pas augmenté sa production au moment où les prix ont commencé à baisser, à partir de la fin 2014. « C'est une réaction plus réfléchie », commente l'entreprise Frischli. On peut douter de cette solidarité. En réalité, l'embargo russe a joué un rôle déterminant dans cette évolution et les fondamentaux restent.

2. Des ambitions nationales affichées
a) Le leadership de l'Allemagne

Cette dualité, sous-jacente, et cette dynamique qui, jusque-là, ne faisaient qu'affleurer au moment des crises, vont vraisemblablement s'exprimer avec la libéralisation du marché. Certains pays ont affiché clairement des ambitions laitières offensives.

Le cas le plus emblématique est la situation de l'Allemagne, leader laitier européen et qui entend bien le rester. Notre mission nous a ainsi conduits en Basse-Saxe. Cette mission, pour laquelle la contribution de l'Ambassade d'Allemagne à Paris et de l'Institut Goethe a été essentielle, nous a conduits à visiter une « grande ferme », une laiterie et à rencontrer les différentes autorités impliquées : ministère de la santé et de l'agriculture de Basse-Saxe, syndicats agricoles, chambre d'agriculture 55 ( * ) . Il ne serait pas inutile que les éleveurs et les syndicats agricoles se rendent régulièrement en Allemagne pour y voir et comprendre ce qu'il est convenu d'appeler « nos partenaires ».

La Basse-Saxe ou l'exemple d'une ambition laitière allemande

La Basse-Saxe , est devenu en quelques années un acteur laitier majeur. L'agriculture en Basse-Saxe représente 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont près de la moitié vient de l'élevage et de l'industrie laitière. En dix ans, depuis l'ouverture du marché des QL en Allemagnes, la Basse-Saxe est devenue l'un des deux principaux land laitiers d'Allemagne (à égalité avec la Bavière).

L'élevage : L'élevage laitier s'est totalement restructuré. La Basse-Saxe comptait 380 000 fermes en 1984, 80 000 en 2014. En 1992, on comptait 25 vaches par exploitation, 50 vaches en 2007, 74 vaches en 2013. Aujourd'hui, 50 % des fermes ont moins de 50 vaches et 10 % ont plus de 100 vaches. On compte aussi une dizaine de fermes de 1 000 vaches. La dynamique est en faveur des grandes installations. L'évolution est surtout spectaculaire depuis quatre ans : le nombre de fermes de plus de 100 vaches a augmenté d'un tiers, alors que les élevages de moins de 50 vaches, diminuaient de 20 %.

Les éleveurs de Basse-Saxe se sont préparés à l'après QL. Ils ont construit des étables, ont déposé des permis de construire. Les formalités administratives ne sont pas très lourdes pour les créations de fermes. Au-delà de 600 vaches, c'est la réglementation fédérale qui s'applique et impose une enquête publique. En dessous, c'est la procédure du Land, l'enquête n'est pas généralisée, cela dépend des sites. « Le coût administratif est faible, comparé à la France ». La plupart des nouvelles fermes ont entre 200 et 400 vaches. Tous les producteurs et toutes les laiteries attendent la fin des QL avec impatience.

L'augmentation de la production se fera par les grands élevages. Les facteurs limitant à l'expansion sont la contestation sociale (« Il y a eu l'époque de l'énergie, des antinucléaires, maintenant, l'agriculture est le nouveau cheval de bataille des Verts ») et le prix des terres. (Le matin même de la visite des sénateurs, l'exploitant avait procédé à une acquisition de terres à 58 000 € l'hectare).

Les laiteries : aujourd'hui les laiteries disent « produisez tout ce que vous pouvez, on prend tout ». Mais les laiteries font avec ce que les éleveurs pourront livrer. « La production laitière ne marche pas en appuyant sur un bouton ». Seules les grandes fermes ont la possibilité de jouer sur les volumes.

La laiterie Frischli par exemple, a une ambition de production (+ 20 % en cinq ans), pour atteindre 1 milliard de litres par an. Mais la laiterie veut utiliser le nouveau potentiel créé par la fin des QL, marquer son territoire et prendre des positions tout de suite, dès la première année avec une prévision d'augmentation de production de 12 % dès 2016.

La laiterie a aussi une ambition d'exportation (50 % de la production est exportée), y compris en Europe, en France et en Hongrie (sur un fromage battu de moyenne gamme), mais aussi, bien sûr, en Asie, dans la poudre de lait. Pour la société, « il faut un socle d'exportations stables et des exportations d'opportunité ». Mais pour aborder le marché chinois, il faut une coopération avec d'autres industriels. « C'est impératif. Aucune entreprise ne peut aborder le marché chinois seul ».

Il ne s'agit en aucune façon de faire de l'Allemagne un exemple, encore moins un modèle, car la réussite allemande repose aussi sur une combinaison entre agriculture et énergie (usines de biogaz) qui mérite réflexion. Une partie des exploitations céréalières est destinée à fournir du maïs pour la filière énergétique. De même, les grandes fermes sont associées à des installations de biogaz, alimentées pour partie en lisier des vaches de l'étable. En pratique, la moitié des revenus de l'exploitation provient de l'énergie (et non de la laiterie).

Jusqu'où pousser la dualité agriculture/énergie ? La question se pose dans d'autres filières, notamment la filière éthanol, mais, à l'occasion de cette mission en Allemagne, les dérives de ces mélanges (élevage + biogaz) sont apparues au grand jour. En Basse-Saxe, sur 2,6 millions d'hectares, 400 000 hectares sont utilisés pour le biogaz (340 000 hectares de maïs et 60 000 hectares d'autres cultures), 400 000 hectares, soit l'équivalent de 4 000 exploitations à 100 hectares, sont dédiés au maïs de méthanisation !

Cette énergie allemande se décline dans tous les domaines agricoles. Par exemple, l'Allemagne a investi dans le machinisme agricole. En quelques années, la filière s'est substituée aux machines américaines, s'est hissée aux tout premiers rangs mondiaux, et est devenue le premier exportateur mondial. 70 % du chiffre d'affaires de la filière (5 milliards d'euros au total) est réalisée à l'exportation...

L'Allemagne n'est pas un modèle pour la France, mais, elle a une ambition, une stratégie qui la fait peser en Europe. C'est cette leçon qu'il faut garder en mémoire.

b) Aperçu des autres pays de l'Union européenne

L'Allemagne n'est pas seule à avoir de grandes ambitions laitières européennes et internationales. La filière laitière hollandaise est la plus compétitive en Europe (grâce à la taille des fermes, l'accès à l'herbe, la robotisation, l'organisation de la filière) et est déjà très tournée vers l'exportation. La filière garderait pourtant encore des marges de progression, avec une augmentation estimée entre + 20 % et + 30 % entre 2013 et 2020.

La situation de l'Irlande est plus intéressante, car pour ce pays, la fin des QL est une occasion de se positionner de façon différente dans le paysage laitier européen et même mondial. « L'Irlande veut devenir la Nouvelle-Zélande de l'Europe », c'est-à-dire un pays sans vrai marché intérieur, mais avec un gros potentiel de production uniquement tournée vers l'export. Les professionnels ont annoncé une augmentation de la production de 50 % d'ici 2020 « Cela paraît excessif et cela entraînerait alors des arbitrages difficiles entre le lait et l'élevage ovin, une autre spécialité irlandaise, mais une augmentation de 20 % paraît probable », estime France Agrimer 56 ( * ) . Une réserve balayée par les Irlandais qui maintiennent leur objectif de 50 %.

Même la Finlande, modeste pays laitier, croit en ses chances. « Les pays du Nord font beaucoup pour leur production laitière. En Finlande, par exemple, tous les outils sont activés : aides couplées du 1 er pilier, aides complémentaires du 2 e pilier. Mais tous les PDR ont au moins un élément qui concerne la production laitière. La structure du marché est très particulière puisque une grande coopérative assure 95 % de la collecte de lait en Finlande. C'est une coopérative très innovante, qui se diversifie en transformation en préparant une large gamme de laits : alimentation infantile, pâtisserie... L'argument de la production locale joue beaucoup. La Finlande est l'un des pays où l'on boit le plus de lait. En complément du marché local, la Finlande a beaucoup misé sur le marché russe, avec des exportations de beurre et de fromage. Ce sont de petits producteurs face aux grands, mais ils ont réussi », explique-t-on à la DG Agri.

À l'inverse, certains pays pourraient avoir de grandes difficultés à trouver leur place dans le nouveau paysage laitier européen (Portugal, Espagne, Roumanie par exemple).

On pourrait multiplier les exemples. Beaucoup d'États, d'éleveurs et de laiteries se sentant libérés par la fin des QL et se fixent des objectifs. Notons que tous convergent vers le même but, le même podium  et qu'il n'y a peut-être pas de place pour tout le monde. Les grands pays affichent des ambitions, + 10 %, + 20 %, + 30 %. Mais à aucun moment l'Allemagne n'évoque une quelconque menace irlandaise, ou l'Irlande n'évoque une menace allemande. Que le meilleur gagne. Et chacun croit en ses chances.

Quel contraste avec la France !

c) Aperçu de la situation française

À la relecture des comptes rendus d'auditions, force est de reconnaître que les personnes auditionnées ont rarement évoqué cette perspective. Il semble même qu'à aucun moment le mot « objectif » n'a été prononcé, sauf, peut-être, lorsqu'a été mentionné le marché du lactosérum.

Les Français ne semblent pas être dans une stratégie de développement, encore moins dans une posture de conquête. « Le manque d'anticipation est criant et a été entretenu par tout le monde. Y compris par les pouvoirs publics, les ministres (MM. Le Maire et Le Foll) ont parfois été flous en laissant entendre que, peut-être, la Commission pourrait évoluer » estime M. Patrick Ferrère, du think tank « saf agr'iDées » 57 ( * ) .

Les entreprises semblent très prudentes sur ce sujet. L'audition de M. Olivier Picot le confirme : les ambitions des laiteries internationales sont à l'international. Lors d'un colloque passionnant organisé par le think tank « saf agr'iDées », en janvier 2015, un intervenant avait présenté un graphique sur les perspectives d'investissements industriels en Europe. Les perspectives sont très positives en Allemagne, aux Pays-Bas, en Irlande, par exemple, mais on constate une quasi-stagnation en France. Interrogé sur ce sujet, un industriel, passablement gêné par ce graphique, avait eu cette réponse : « le tableau est établi sur les données publiques et on ne communique pas tout ». Suscitant l'ironie d'un éleveur : « C'est vrai, en France, les Chinois investissent dans les tours de séchage »... À l'évidence, ce ne sont pas les tours de séchage qui vont booster la filière française. La filière laitière n'est pas menacée, c'est sa place en Europe qui l'est. Les tours chinoises peuvent-elles maintenir la France sur le podium des grands pays laitiers européens?

Laissons le mot de la fin à M. Henri Brichard, vice-président de la FNSEA et ancien président du FNPL et sans doute l'un des meilleurs connaisseurs du dossier : « La France a le potentiel laitier. Mais le potentiel ne suffit pas. Demain, on sera à 30 milliards de litres ou à 15 milliards ? » 58 ( * )

3. La redistribution régionale
a) En France, des dynamiques laitières territoriales contrastées.

La France est dans une situation particulière avec une présence laitière pratiquement partout mais des dynamiques territoriales contrastées.

Le paysage laitier a été longtemps remarquablement stable. Il y avait une situation hétérogène certes, mais presque figée. En 2014, France Agrimer reconnaît encore que « les producteurs laitiers se caractérisent en France par une présence sur la quasi-totalité du territoire 59 ( * ) . » Les quotas ont eu leur rôle dans cette situation, même si l'on peut avoir deux lectures du phénomène. Certes, ils ont favorisé cet ancrage territorial, mais ils ont aussi « bloqué pendant près de 30 ans, du moins en France, l'expression des avantages comparatifs 60 ( * ) ».

Ce que l'on peut qualifier de « dynamique laitière » n'est vraiment apparu qu'à partir des années 2007. À la fois sous l'effet de l'annonce du changement règlementaire - « la sortie progressive du système des quotas a permis à certaines régions françaises de reprendre leur élan 61 ( * ) » - et sous l'effet du signal prix. Les éleveurs laitiers ont alors subi « la pression concurrentielle des cultures de vente », en d'autres termes, la hausse du prix des céréales, doublée des aides directes aux revenus du premier pilier de la PAC et de conditions de vie moins difficiles, ont fait hésiter certains éleveurs. C'est à cette époque que sont apparues des trajectoires d'exploitation bien différenciées avec des hausses de collecte dans les zones d'élevage ou de polyculture élevage, à bonne densité laitière, et des baisses marquées dans les zones à faible densité.

La France a donc, elle aussi, des dynamiques territoriales qui prennent ancrage sur des spécificités régionales. Ces dernières sont bien connues. « La France laitière se caractérise historiquement par une zone que l'on dénomme « le croissant laitier » ou « l'arc laitier » allant des Pays de la Loire au Massif central en passant par la Bretagne, la Normandie, le Nord, les plaines de l'Est et où l'essentiel des exploitations laitières sont localisées 62 ( * ) . » La politique des appellations d'origine renforce cette spécificité territoriale. Le croissant laitier n'excluait d'ailleurs pas la présence d'élevages dans d'autres régions, notamment en montagne.

L'évolution des deux dernières années confirme cet écart croissant. À la faveur du prix élevé du lait en 2014, le cheptel français s'est accru dans de larges zones de la moitié nord et des zones de montagne. La concentration au profit du grand ouest est d'autant plus marquée qu'elle s'accompagne de la poursuite du recul dans une large moitié sud.

b) Une affirmation des contrastes avec la fin des quotas laitiers

La fin des QL est parfois vécue comme une rupture politique. « Les QL ont permis de maintenir la production dans la plupart des régions. La fin des QL fait craindre l'abandon d'une politique territoriale » commente la Confédération paysanne 63 ( * ) . En réalité, si les QL ont bien freiné le mouvement, ils ne l'ont pas empêché, puisque la concentration est apparue au moment des quotas. La fin des QL va maintenant l'amplifier.

La recomposition du paysage laitier européen aura aussi lieu à l'intérieur des États membres, car les grands États laitiers ont aussi leur dynamique interne.

C'est le cas en Pologne. « La fin des QL va entraîner des modifications dans le paysage laitier du pays . Les Polonais de l'ouest vont vendre le lait aux Allemands, avec un petit différentiel de prix, mais les Lituaniens vont vendre leur lait en Pologne. L'Ouest du pays va profiter de la libéralisation et l'Est va être en concurrence », estime le ministre conseiller polonais 64 ( * ) .

C'est aussi le cas en Allemagne. « Les deux Länder laitiers - la Bavière et la Basse-Saxe - ont des productions quasi équivalentes en 2014 (90 millions de tonnes de quotas en Bavière, 92 millions de tonnes en Basse-Saxe), mais la dynamique est en faveur de la Basse-Saxe. Cette évolution était déjà entrevue en 1960 ! Le transfert des QL par l'ouverture d'un marché des quotas à partir de 2005 a été l'élément déclencheur qui a fait basculer la production du sud au nord de l'Allemagne. Les structures de production restent encore différentes, avec beaucoup plus de grandes fermes au nord, mais les petites fermes de Bavière (autour de 50 vaches) vont devoir évoluer. En Basse-Saxe, un tiers des vaches sont encore attachées dans l'étable. En Bavière, c'est la moitié. La pression sociale pour le bien-être animal est une grande contrainte pour les petites fermes et accélère la recomposition du paysage laitier 65 ( * ) . »

Cette recomposition va vraisemblablement se poursuivre en France.

Pour les opérateurs sur le terrain, l'affaire est entendue. Trois points de vue - syndicat, think tank , industriel -, trois angles
- la collecte, l'ambiance laitière, l'investissement -, mais une seule et même conclusion : la déprise laitière de certaines régions sera lente mais semble inéluctable.

Confédération paysanne - 16 décembre 2015 : « Il y a un gros risque de concentration dans les régions dynamiques bénéficiant de conditions climatiques favorables. Même dans ces régions favorisées, il y aura des mouvements. L'impact de la suppression des QL sera la disparition des zones de collecte . Aujourd'hui, on incite toutes les exploitations situées à plus de 15 km d'une route nationale à arrêter leur activité parce que le coût de la collecte est considéré comme trop élevé. Ce que la restructuration ne fera pas, la collecte le fera. »

Le think tank « saf agr'iDées » - 9 décembre 2014 - « La clef est l'ambiance laitière. On ne fait pas de lait tout seul. L'ambiance laitière est d'abord liée à des facteurs privés. Avant, toute la famille était derrière l'éleveur, aujourd'hui, si l'éleveur est souvent du milieu, les ménages sont composites et la famille n'a plus de rapport avec le monde de l'élevage. L'éleveur doit composer. L'ambiance laitière est aussi liée à des facteurs économiques, au tissu, à la densité. Quand la densité des fermes diminue, les coûts de collecte augmentent. La collecte diminue et l'engrenage est fatal . Il y a des zones fragiles, notamment le Massif Central. »

FNIL - 15 avril 2015 - « La bataille de la compétition mondiale se gagnera aussi avec un amont compétitif . Les industriels n'ont aucune intention de fermer les outils industriels et les élevages, par ricochet. Le tissu industriel est présent dans toute la France, et c'est bien ainsi. Il subsistera, aux aléas près, des PME. Même à Montauban, on ne fermera pas d'usine. Mais on n'investira pas. D'ores et déjà, les laiteries françaises sont marginales dans les stratégies mondiales des grands industriels et leurs investissements se font à l'étranger. Lactalis investit en Inde, Bel a une usine dans le Dakota... »

Ainsi, la recomposition du paysage laitier semble inéluctable, mais elle a changé de nature. Jusqu'à la fin des QL, l'éleveur avait une part de choix, et la dynamique laitière résultait de plusieurs facteurs. Pour simplifier, plus la densité laitière est faible et plus les alternatives à la production laitière sont accessibles et séduisantes et plus la production laitière recule. Depuis la fin des QL, la concentration relève davantage de la contrainte. Plus la densité laitière est faible, plus la collecte est fragile et plus la production laitière recule.

c) Une recomposition qui pose de sérieuses difficultés

- En premier lieu, la recomposition régionale, qui paraît pour certains inéluctable, a un effet sur la compétitivité nationale. Il est parfaitement possible que la production se concentre et que cette concentration se fasse par transfert. C'est techniquement possible : « 40. 000 exploitations pourraient gérer en 2020 le même nombre de vaches laitières qu'en 2013 (3,7 millions) autorisant une petite progression de la collecte laitière ». Mais cela suppose un effort financier dont il faut prendre la mesure. « Ce mouvement suppose néanmoins la poursuite d'une restructuration du secteur avec des investissements en bâtiments-équipements conséquents pour reloger 1 million de vaches laitières dans 40 000 exploitations ». Sur la base de l'expérience des années 2000, on peut estimer cette somme à 800 millions d'euros par an 66 ( * ) .

Ainsi, qu'il s'agisse de freiner cette recomposition irrépressible du paysage laitier ou qu'il s'agisse d'accompagner cette transition pour maintenir des volumes, il faut investir des sommes tout à fait considérables. Les éleveurs peuvent-ils investir 800 millions d'euros par an si les laiteries ne suivent pas ?

Voilà pourquoi les éleveurs français sont tant attachés à voir figurer des clauses volumes dans les contrats, à la surprise de nos partenaires. Quand les Allemands disent aux éleveurs : « produisez ce que vous pouvez, on prend tout », en France, les volumes ne sont nullement garantis. Tout dépend de la stratégie de l'entreprise avec laquelle ils auront contractualisé et donc, des perspectives de marché. Pendant les QL, c'est l'offre qui régulait le marché. Sans les QL, c'est la demande. Cela induit des changements fondamentaux pour l'ensemble de la filière.

- En deuxième lieu, cette recomposition pose un problème politique. Si la plupart des professionnels admettent cette évolution et si tous les indicateurs le confirment, le positionnement officiel laisse toujours planer l'ambiguïté. Que dit France Agrimer par exemple sur ce sujet ? « Le quart Sud-Ouest est-il en train de devenir un désert laitier ? (...) Comment stopper l'érosion de la production laitière dans la région ? 67 ( * ) » . Ce n'est pas comment accompagner les transitions régionales, ni même comment freiner la déprise laitière, mais comment stopper l'érosion de la production laitière ? Les propos sont encore plus nets dans ce qui a été présenté comme « une stratégie de filière ». « Le premier enjeu identifié par la filière est le maintien des exploitations et des laiteries viables sur l'ensemble des zones laitières. » 68 ( * )

Ce que l'économie semble imposer, la politique continue de le nier. Est-ce un manque d'anticipation, une fuite devant les responsabilités ou une confusion des rôles entre État et régions ? La gêne longtemps entretenue sur la fin des QL se poursuit sur la question de ses conséquences régionales. Ambiguïtés, non-dits, voire, parfois, une certaine hypocrisie, sont légion.

Ce sujet de la concentration régionale est déterminant pour les éleveurs et pour l'ensemble de la filière laitière française. Il n'a jamais été vraiment traité. Le contenu d'une « stratégie filière » passablement confuse ne semble absolument pas à la hauteur des défis du moment.

III. PERSPECTIVES

A. DÉFINIR UNE STRATÉGIE ET LUI DONNER DES MOYENS

1. Définir une stratégie

« Définir une stratégie ? » Mais c'est fait, pourrait répondre le ministère. Telle fut la mission confiée par le ministre à France Agrimer qui, en juin 2014, publie un document supposé devenir un document de référence intitulé : « Stratégies de filières pour une agriculture compétitive au service des hommes ». La stratégie pour la filière laitière est ainsi exposée :

La stratégie française pour la filière laitière

« Le premier enjeu identifié par la filière est le maintien des exploitations et de laiteries viables sur l'ensemble des zones laitières, ce qui suppose notamment d'assurer le renouvellement des générations. Pour y parvenir, il est nécessaire d'améliorer les marges dégagées à la production afin de préserver le revenu des producteurs, par la productivité du travail et la maîtrise des coûts de production. Par ailleurs, il est indispensable de combiner performance économique et performance écologique des producteurs (autonomie alimentaire, réduction des intrants), et transformer les contraintes environnementales en leviers de compétitivité, notamment dans les zones les plus fragiles. Enfin, il faut améliorer la valorisation des produits, tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation pour redonner des marges aux entreprises afin qu'elles puissent innover et investir.

Pour le secteur du lait de vache, l'enjeu majeur est d'accompagner les évolutions du secteur liées à la fin des quotas, qui induiront des évolutions structurelles de la production laitière et une évolution des relations contractuelles entre les producteurs et leurs acheteurs. Pour cela, la filière préconise d'organiser, au moyen de dispositions communautaires, les possibilités de s'adapter à la volatilité des prix et des charges sur le marché intérieur, et de prévenir et gérer les crises sur le marché européen, notamment en cas de perte de débouchés à l'exportation.

Il convient également d'accompagner le développement de la production et de la transformation attendu dans les zones les plus performantes, pour profiter de la croissance des marchés émergents à l'international, en cherchant à exporter des produits ayant le plus possible de valeur ajoutée pour se protéger autant que possible de la volatilité des marchés internationaux ».

France Agrimer - Stratégies de filière - La filière laitière - Juin 2014

France Agrimer est un remarquable outil d'information et d'analyse. L'audition de quelques-uns des membres de son équipe fut parmi les plus riches de toute la série d'auditions conduites dans le cadre de cette mission. Mais sa capacité à définir une stratégie reste à démontrer. Une stratégie suppose un cap, un objectif clair. Mais force est de reconnaître que cette liste tient plus du catalogue que de la stratégie .

On touche là un problème de fond. Il y a des pays qui ont une stratégie. L'Allemagne, de toute évidence, a une stratégie : être compétitive dans la compétition mondiale. Tout est orienté vers ce but unique. Le cap est fixé. Face à cela, la France présente un catalogue où rien ne manque : l'aménagement de territoires, le maintien des exploitations et des laiteries partout en France, les marges des entreprises, les revenus des producteurs, la performance économique, la performance écologique, le calendrier des produits, l'exportation, l'innovation, les relations contractuelles, la volatilité des prix et du marché... Il ne manque plus que le paysage et la lutte contre le changement climatique pour que le catalogue soit complet, consensuel, et, en réalité... vain. Il y a tout. Autrement dit, il n'y a rien.

Une stratégie impose des choix. C'est une responsabilité sans doute écrasante, mais c'est, dans les circonstances du moment, un devoir. Comme on l'a vu, les pouvoirs publics n'ont jamais fait preuve d'une grande audace lorsqu'il s'est agi d'aborder les réformes de la filière laitière. Ils continuent d'entretenir un certain flou, voire une certaine illusion.

Il y a des dynamiques laitières différenciées. Il est tout à fait certain qu'il y aura des restructurations, interrégionales, intrarégionales, c'est-à-dire, pour être clair, des disparitions d'exploitations. Il faut accompagner le mouvement et non pas nier la réalité.

La démographie s'impose lentement. Même devant les perspectives du marché mondial, des éleveurs envisagent d'arrêter leur exploitation et près de la moitié des producteurs partent à la retraite dans les deux ans. Aujourd'hui un départ sur quatre est remplacé. Et pour ceux qui ne partiront pas à la retraite, un autre problème se pose : celui du départ des parents, qui, bien souvent, accompagnent encore les éleveurs. Les vieux parents restent, en fait, en demi-activité et représentent une main-d'oeuvre presque gratuite. Que se passera-t-il quand ils disparaîtront ? Par qui seront-ils remplacés ? Par des travailleurs détachés ? Pour éviter de répondre, on ne pose pas la question ! La fragilité de certaines exploitations sera alors criante et beaucoup d'entre elles n'y survivront pas.

Ce que la démographie ne fera pas, lentement, la concurrence l'imposera, brutalement.

Il paraît nécessaire de bien séparer les deux notions : la stratégie économique et l'objectif politique d'aménagement du territoire. À l'État de définir un cap, une stratégie de compétitivité pour la filière, élaborée avec la profession laitière, orientée vers les marchés. Aux régions, aidées par l'Union européenne, d'avoir un objectif de localisation, d'équilibre, pour aider les zones dites défavorisées (ex. zones à handicaps naturels, régions ultrapériphériques...).

Ce travail stratégique reste à mener.

2. Accompagner la stratégie
a) Avoir confiance

Ce qui frappe le plus dans ces quelques mois d'investigation, c'est cette impression de pessimisme ambiant, le regret d'une situation révolue, la crainte des concurrences, l'impression d'une inadaptation, l'absence de perspective claire et, plus que tout, le sentiment diffus de ne pas savoir où aller. Une situation simplement invraisemblable aux yeux de nos principaux compétiteurs qui mettent en avant les formidables atouts français.

Les atouts objectifs sont bien connus : la France a tous les climats, elle a de l'eau - à supposer qu'elle puisse organiser sa collecte par des retenues -, le prix des terres est parmi les plus faibles de l'Union européenne, etc. Mais surtout la France a un atout considérable dans la compétition moderne des produits laitiers : elle a une notoriété mondiale, une réputation fondée sur des productions d'excellence. La France, grâce à ses chefs et son histoire culinaire, a réussi à fabriquer des icônes alimentaires. Il y a un lien entre production, alimentation et gastronomie. La réputation de l'un rejaillit sur les autres.

C'est sur cette réputation qu'il faut veiller. Certains pays savent parfaitement entretenir la leur. « C'est une allemande » reprend une fameuse publicité. Cela suffit, tout est dit. Les Français le font-ils ? La cuisine française fait encore rêver le monde entier mais pour combien de temps ? La cuisine française est un savoir-faire qui demande un effort. Cette réputation pourrait vite être anéantie si nous n'y prenons garde ! Le flux des touristes du monde entier savent reconnaître les talents. Un héritage se cultive, s'entretient. Sinon, il perd de sa valeur.

La France a encore ces atouts et ce sont ces atouts qu'elle doit valoriser. Les perspectives du marché mondial sont sur la poudre de lait et les fromages ingrédients. Soit. Il y a, on le sait, des rouleaux compresseurs et d'autres qui ont des ambitions mondiales. La France a les capacités de répondre si on laisse les dynamiques laitières s'exprimer. Mais, sur ce terrain, la France sera en concurrence avec le monde entier .

Et puis, il y a aussi des créneaux de qualité, d'excellence, de typicité, qui certes, n'intéressent sans doute qu'une fraction de la population la plus fortunée des pays émergents 69 ( * ) mais sur ce terrain, la France reste encore la meilleure. Mais attention, comme pour le vin, d'autres en fabriquent déjà et peuvent apprendre à faire mieux .

La politique française des signes de qualité, des appellations d'origine protégées (AOP), a fait la réputation des produits français. La famille des AOP laitières en Europe compte 175 fromages beurres et crèmes dont 50 françaises, dont 45 fromages, dont 28 de fromages de lait de vaches dont quelques-uns comptent parmi les plus connus au monde. C'est un atout considérable. À condition de savoir le valoriser. Il y a une agriculture qui produit du lait que nous pouvons appeler mondialisée et qui cherche des prix et des volumes, et une agriculture qui crée de l'image et de la valeur ajoutée. Les deux sont utiles à l'économie du pays car nous avons aussi besoin en France, en Europe et dans le monde de ce lait basique qui n'est pas à mépriser.

La France a même une chance que les autres n'ont pas. Les Appellations d'origine dans le secteur laitier peuvent parfaitement être associées à d'autres produits français de renommée mondiale, à commencer par le vin, bien sûr. Cela paraît tellement évident à la DG Agri : « le fromage est associé au vin. L'un porte l'autre. La France a cette chance d'être forte dans les deux ». C'est même un art de vivre. Les organisations de producteurs pourraient utilement se rapprocher des viticulteurs pour mener des opérations combinées de promotion.

L'innovation et les Appellations d'Origine sont les atouts maîtres de la France. Dans la guerre commerciale dans le secteur laitier, les AOP sont les forces spéciales de l'industrie laitière française.

Raison de plus pour veiller à les protéger et à les faire aimer dans les pays qui en consomment encore peu.

b) Préserver les intérêts de la filière française dans la négociation du traité commercial transatlantique

Le manque d'anticipation fut l'une des critiques les plus fréquentes entendues au cours de ces auditions. Le plus extravagant est que ce défaut apparaît même lorsque l'échéance est donnée, au jour près ! Une autre échéance va être cruciale pour le secteur laitier : celle de la négociation du traité commercial transatlantique ( Transatlantic Trade and Investment Partnership ou TTIP).

Le TTIP intéresse très directement la filière laitière française. D'une part, il y a une négociation tarifaire sur les droits de douane et en particulier sur les pics tarifaires appliqués sur certains produits laitiers : 39 % sur les fromages à pâte persillée, 112 % sur le lactosérum, par exemple.

D'autre part, les indications géographiques et les signes de qualité constituent un enjeu considérable pour la France et pour quelques autres pays de l'Union européenne. C'est un poids économique, un enjeu majeur de développement local et, même, comme on vient de le voir, un atout décisif dans la compétition mondiale.

Le sujet est connu : les Européens cherchent à protéger leur système et éviter des usurpations de noms et qualités. Les Américains protègent leurs produits par le droit des marques. Ils considèrent que le régime des indications et des appellations d'origine est un système protectionniste.

Ce qui est moins connu est que cette confrontation porte principalement sur les produits laitiers et sur les fromages en particulier. L'Union européenne a présenté une liste de 42 IG dont 32 fromages. Aux États-Unis, c'est l'industrie laitière qui est la plus hostile aux IG européennes. Car s'il existe aussi quelques labels d'origine géographique aux États-Unis tels que le vin de la Napa Valley, les oranges de Floride, les pommes de terre Idaho, l'industrie laitière américaine produit de nombreux fromages « européens » créés sans usurpation mais simplement à partir du savoir-faire des immigrants européens au cours des siècles passés, et estime que les termes sont devenus génériques : feta, gouda, emmenthal, gruyère. L'industrie laitière américaine représente un lobby très important. Elle refuse d'être freinée par un système d'indications géographiques qui l'empêcherait de fabriquer du Munster (74 000 tonnes fabriquées aux États-Unis contre 20 tonnes exportées de France vers les États-Unis) ou de la Fourme.

Ainsi, les difficultés rencontrées par nos IG aux États-Unis sont de trois ordres :

- des conflits avec des marques enregistrées telles que Morbier, Reblochon, Fourme d'Ambert par exemple.

- un usage antérieur du nom tel que Chaource,

- des conflits avec des noms considérés comme génériques qui ne peuvent être protégés. L'affaire est entendue pour le camembert ou le brie par exemple (d'ailleurs ce ne sont pas ces appellations qui sont protégées mais le camembert de Normandie, le brie de Meaux ou le brie de Melun sont des AOP) ; en revanche, les discussions s'annoncent plus serrées concernant Neufchâtel, Munster ou Gruyère.

C'est un sujet extrêmement sensible pour les Français. Selon la DG Trésor qui suit ces négociations commerciales, la Commission européenne est très mobilisée et défend très loyalement - et c'est la moindre des choses - les intérêts des IG nationales. Elle reconnait toutefois qu'il peut y avoir des divergences entre États membres. La position de l'Allemagne est encore ambigüe sur ce point. En janvier 2015, les déclarations du ministre allemand de l'agriculture, M. Christian Schmidt, au journal Der Spiegel et au Bundestag, avaient été comprises comme le signe d'un possible lâchage: « Si nous voulons profiter des avantages du libre-échange avec le gigantesque marché américain, nous ne pourrons plus protéger chaque type de saucisse et de fromage comme une spécialité ». Une polémique avait suivi en Allemagne mais une prudence élémentaire oblige à considérer que rien n'est joué.

On peut aussi imaginer que même au sein du secteur laitier français, il peut y avoir des tensions, entre fabricants de poudre de lactosérum (très intéressés par supprimer des droits de douane américains de 112 %) et les fabricants de Munster et autres IG... Il y a, derrière ces querelles, des enjeux industriels et des enjeux régionaux. L'affaire pourrait s'avérer politiquement délicate.

La France et l'Union européenne passent par des phases d'optimisme et des phases de pessimisme. Presque tous les accords commerciaux conclus par l'Union européenne ont contenu une clause de reconnaissance des indications géographiques. La négociation sera un tout. Il y aura un équilibre entre concessions réciproques.

La France n'est pas seule à défendre ses indications géographiques. Une initiative politique franco-italienne - du Sénat français et du Sénat italien - pourrait avoir du sens pour appeler les gouvernements et la Commission, mandatée par le Conseil, pour mener ces négociations avec une grande vigilance.

c) Se former

La fin des QL fait entrer les éleveurs dans un monde de turbulences. Ce ne sont ni les seuls ni les premiers ! D'autres agriculteurs ont connu cette transition. Voilà bien longtemps que les céréaliers sont connectés tous les jours au prix mondial de la bourse de Chicago. Voilà longtemps que les producteurs de porcs sont confrontés aux fluctuations du prix des intrants et savent moduler l'engraissement. C'est aujourd'hui le tour des éleveurs laitiers.

« La formation à la gestion est une priorité. Cela doit être une priorité de l'enseignement professionnel et une priorité de la formation permanente. Il faudra une gestion plus fine, adaptée à gérer les aléas. Hier, les éleveurs qui faisaient une bonne année en profitaient pour changer de tracteur. Il n'y avait pas d'anticipation. La difficulté est de combiner une gestion du quotidien avec un cycle long (matériel/durée de vie d'une vache...). Il manque un outil de gestion des risques ». disent les Jeunes Agriculteurs 70 ( * ) . Tôt ou tard, la technique des marchés à terme sera expérimentée par les producteurs laitiers. Il faudra évidemment une formation en ce sens.

Ce type de formation intéresse tous les agriculteurs. Cela serait certainement bien plus judicieux que les formations aux conversions bio qui sont également très utiles mais qui n'intéressent qu'une minorité d'exploitants et resteront vraisemblablement une niche.

Il y a un besoin criant de formation. À qui incombe cette formation ? L'Union européenne a seulement prévu un observatoire européen. C'est très insuffisant. « Il faut gérer sa trésorerie pour supporter la volatilité, jouer sur les distributeurs, la fiscalité... C'est aux pouvoirs publics de donner les moyens légaux de se préparer à cette compétition » estime la FNIL. Les pouvoirs publics ont leur rôle mais c'est surtout la mission des structures professionnelles, syndicats et chambres d'agriculture. Les agricultures comptent parmi les professions les mieux organisées, les plus structurées. Mais ces structures qui vivent parfois sur un passé révolu manqueraient à leur mission si elles ne préparaient pas les agriculteurs, en l'espèce les éleveurs laitiers, à anticiper les évolutions, si elles n'investissaient pas dans la formation.

Combien de fois a-t-on entendu les observateurs faire le constat navrant du manque d'anticipation. « Les producteurs laitiers ont découvert la fin des quotas laitiers il y a deux semaines. Ils croyaient toujours que les quotas allaient être maintenus. On est à cinq semaines d'une révolution et les éleveurs sont en train de se demander comment marchent les organisations de producteurs et s'il n'est pas temps de se regrouper », déplore l'un d'eux.

Les organisations agricoles n'ont pas été non plus très réactives et sont restées dans une position de suivisme, d'observation. Ceux qui ont suivi la préparation de la dernière réforme de la PAC ont pu constater le décalage entre le discours des agriculteurs français, certes plein de bon sens et d'humanité, et les aspects pratiques de la négociation. Il faut passer des débats politiques de principe dont les Français sont coutumiers, aux réponses pratiques et aux formations techniques.

d) Innover

Le marché national reste le premier débouché de la filière laitière. Un affaissement de ce marché comme certains le prévoient, aurait des conséquences désastreuses. La filière doit se mobiliser. Il n'y aura pas de succès sans innovation. L'innovation concerne l'amont, la production, et surtout l'aval, c'est-à-dire la transformation et la distribution.

- L'innovation dans les techniques

« Il faut accepter la modernité. Une partie de la société a toujours une vision misérabiliste de l'éleveur ! Non, il faut des robots de traite, des caméras de surveillance, des outils d'analyse des troupeaux. « On peut aimer élever des animaux sans être obligé d'être derrière le cul des vaches 24 heures sur 24 ». Une évolution comparable a touché le secteur céréalier : plus un tracteur sans son GPS ! C'est aussi la réduction des contraintes et les nouvelles technologies qui attirent les jeunes » commente Thierry Roquefeuil, président de la FNIL.

- L'innovation dans les productions

Le lait est un produit basique. Pas si sûr. Comme en témoigne cette petite histoire du lactosérum.


L e lactosérum, histoire d'un déchet devenu minerai

Le lactosérum est la partie issue de la coagulation du lait, un liquide jaune verdâtre, formé de 94 % d'eau ( petit lait) et de lactose, glucide, dit aussi « sucre de lait ». Le lactosérum est un produit généré en grande quantité par l'industrie fromagère.

Il y a 30 ans, le petit lait allait dans les rivières ou était donné aux cochons. Des porcheries ont même été développées pour consommer le lactoserum. L'élevage porcin s'adossait à l'élevage laitier. Les deux élevages étaient en synergie.

Le progrès dans la connaissance scientifique et le progrès technique ont transformé l'usage du lactosérum. Ses bienfaits ont été mis en évidence: le lactosérum a une très haute valeur nutritionnelle. Il est très riche en protéines et très pauvre en matières grasses. Il améliorer la digestibilité.

Le lactosérum a un gros potentiel alimentaire. Il est utilisé en biscuiterie, glaces, chocolaterie, diététique - en remplacement du lait - et pour certains publics : aliments pour sportifs. Un nouveau créneau s'est ouvert, à partir des années 2000, avec le marché du lait infantile.

La progression a été fulgurante avec l'ouverture du marché asiatique et chinois, très demandeur depuis la crise de la mélamine 71 ( * ) .

Ce sont les coopératives qui ont opéré ce tournant technologique et commercial. Eurosérum est le numéro 1 mondial sur le marché des poudres de lactosérum déminéralisé, un ingrédient utilisé pour la fabrication du lait infantile. L'entreprise a été créée en 1973 en Haute-Saône. Entremont devient l'actionnaire majoritaire en 2000. La société rejoint la coopérative Sodiaal. Le siège et la principale unité de transformation se trouvent à Port-sur-Saône en Haute-Saône.

Le progrès technique va apporter une nouvelle impulsion. Chaque fabrication fromagère génère un type de lactosérum. Il existe un lactosérum dense, issu des pâtes pressées - emmental - et un lactosérum acide, issu des pâtes molles. Les techniques récentes portent sur la séparation des protéines. Chacune peut être valorisée et a son marché. La filière est à la veille d'un immense chantier.

La France s'est montrée innovante et est au tout premier rang mondial. C'est un atout considérable dans la compétition mondiale.

- L'innovation dans les marchés

Le lait est un produit standardisé. Mais tout peut changer si les producteurs parviennent à sortir de cet anonymat pour créer des productions dédiées, des productions de niche qui répondent aux besoins et aux envies du client consommateur.

Dans ce registre, il faut évidemment mentionner la production du lait bio qui est un marché de niche prometteur mais ce positionnement sur des segments à forte valeur ajoutée va bien au-delà. Il peut être d'ailleurs noté qu'un producteur de lait bio, à exploitation comparable, ne dispose pas de revenus supérieurs à celui d'un producteur de lait traditionnel.

Les éleveurs peuvent s'engager dans la production. Ce type d'initiative est considéré avec ironie voire un peu de dédain par les industriels. « À chacun son métier », semble dire la FNIL. Cette attitude n'a pas lieu d'être. Que craignent les géants de l'industrie laitière à voir se développer quelques filières de production locale ? Ils devraient plutôt les encourager et s'y associer !

La carte de la proximité reste à jouer. « Pour l'agriculture, nombre de personnes dans l'entourage de l'écologie se demandent pourquoi les agriculteurs français ne développent pas des filières locales et de qualité plutôt que d'essayer de concurrencer les Néo-Zélandais sans aucune chance d'y arriver. Développer une agriculture différente, bonne pour le climat et pour la santé, permettrait de remettre des prairies à foin dans les zones d'alimentation de captages... et réduirait les transports. Il semble y avoir de la demande non satisfaite pour ce genre de produits », estime Claire Tutenuit, co-fondatrice de l'association Bon pour le climat . Bien sûr, ce n'est qu'un avis.

De même, puisque le lien entre lait et cuisine a été évoqué, l'interprofession pourrait multiplier les initiatives avec la grande distribution pour réaliser des campagnes publicitaires visant à encourager les préparations de desserts extrêmement simples à réaliser mais qui ont presque complètement disparu des tables familiales - crêpes, crèmes caramel, crèmes brulées, clafoutis, flognardes... 72 ( * ) Une préparation mensuelle par ménage représenterait plusieurs dizaines de millions de litres ! Des propositions anecdotiques voire dérisoires sans doute mais qui ont pour seul objet d'appeler à la mobilisation des producteurs.

B. AJUSTER LE CADRE DE RÉGULATION

1. Un contexte plus porteur qu'il n'y paraît

A priori , il peut sembler provocateur d'imaginer un cadre de régulation puissant alors que les États y sont opposés et qu'ils ont mis trente ans à s'en débarrasser. Néanmoins, trois évolutions doivent être prises en compte :

a) Une évolution conceptuelle de la régulation

En premier lieu, la profession admet que la régulation suppose de passer d'une gestion de l'offre à une gestion de crise.

La gestion de l'offre est une politique publique très controversée. Elle continue pourtant à bénéficier des faveurs de quelques producteurs. Plusieurs ont évoqué l'exemple canadien, il est vrai, globalement très favorable aux exploitants.


Le système canadien d'encadrement du secteur laitier

La gestion de l'offre - la production de lait - repose sur trois leviers : les prix administrés, les licences de production (les quotas) et les barrières aux importations.

Les prix - Le système est axé sur un prix indicatif qui mêle les coûts de production moyens et d'autres facteurs du marché. Les prix sont établis par catégorie. Le lait est vendu par des offices de mise en marché aux industries de transformation à des prix qui dépendent de son utilisation finale (beurre/poudre de lait...). Le prix payé à l'éleveur est une moyenne pondérée de différentes catégories de lait.

Les productions sont ajustées de manière à s'assurer que les ventes équilibrent le marché.

Le marché intérieur est également protégé par des droits de douane.

La gestion se fait par des associations de producteurs regroupés par bassins laitiers, dit bassins de « mise en commun ». Il y a la « mise en commun de l'Ouest », et la « mise en commun nationale de tout le lait » de l'Est, dit « P5 », qui recouvre les cinq provinces de l'Est.

Le système est aujourd'hui très contesté. Le strict contrôle des volumes crée des goulets d'étranglement et les industriels manquent de matières premières. Avec le système actuel, totalement orienté sur la défense des producteurs, il n'y a aucun investissement de transformation et le Canada semble largement exclu du marché mondial.

Il faut être tout à fait clair : un tel système est évidemment totalement exclu en Europe. Il n'est mentionné que pour mémoire et parce qu'il fut évoqué parfois au cours des entretiens. La plupart des éleveurs reconnaissent que l'intervention et le contrôle des volumes ne sont plus possibles et ont des effets pervers considérables. En raison d'un défaut originel : l'intervention gérait les surproductions - l'Union européenne retirait du marché des productions. L'Union européenne intervenait après la production. Une gestion de l'offre responsable doit prévenir les surproductions.

Éviter les surproductions plutôt que les écouler, anticiper la crise plutôt que la gérer . Du simple bon sens, bien entendu. Mais il a fallu trente ans pour s'en convaincre.

Même s'il y a des initiatives.

b) Un foisonnement d'initiatives concernant la gestion des volumes

En deuxième lieu, on peut être frappé par le nombre d'initiatives qui montrent une incontestable mobilisation sur le sujet. Plusieurs intervenants ont proposé d'anticiper les crises, en cas d'alerte sur les marchés, par une maîtrise des volumes souvent combinée à une action sur les revenus.

- La proposition Dantin : le système du bonus/malus

En 2013, M. Michel Dantin, eurodéputé français, fut le rapporteur du règlement OCM unique texte, au sein de la COM AGRI. Les amendements adoptés par la Commission, visaient à maintenir un système de régulation en cas de déséquilibre grave sur le marché du lait, sous forme de bonus/malus. La production serait régulée au moyen d'un système de bonus/malus : les producteurs qui accepteraient de baisser leur production bénéficieraient d'une prime, tandis que ceux qui augmenteraient leur production seraient pénalisés financièrement. La décision relèverait de la Commission qui pourrait décider d'octroyer une aide aux producteurs de lait qui réduiraient volontairement leur production d'au moins 5 % par rapport à la même période de l'année précédente, et inversement, pourrait décider un prélèvement aux producteurs de lait qui augmenteraient leur production d'au moins 5 % par rapport à la même période de l'année précédente.

Les amendements adoptés par la COM Agri furent repoussés en séance publique, après « une intense pression de certains États membres - notamment de l'Allemagne - auprès de leurs eurodéputés », commente M. Michel Dantin.

- Le corridor de prix d'European Milk Board (EMB).

Pour EMB, il faut d'abord fixer un « corridor de prix », prenant en compte les coûts de production. Si le prix moyen du marché, dans l'Union européenne, s'écarte du corridor, la production est ajustée. Par exemple, quand le prix baisse sous la limite basse du corridor, la production est elle aussi diminuée. La sensibilité des prix aux variations de volumes est telle qu'une faible variation de volume a un effet rapide sur les prix. Pour l'EMB, la réduction doit s'appliquer à tous les producteurs. Il s'agit d'une décision collective de la filière, notamment des organisations de producteurs L'ajustement est à coût nul puisqu'il n'y a pas d'intervention budgétaire.

Le ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de santé publique de Basse-Saxe a proposé un système assez comparable. Le ministère évoque le soutien de plusieurs autres Länder.

- Intervention et coût de production.

On note également plusieurs initiatives de la Belgique, du Portugal et même du Parlement européen (rapport Nicholson) pour prendre en compte les coûts de production comme élément de déclenchement de l'intervention. Si le principe peut être aisément admis, l'application pratique pourrait cependant s'avérer conflictuelle. Quel est le coût de production pertinent ? Celui des élevages les plus performants, les moins performants, le coût moyen ? Il y a également des différences entre les élevages qui ont leur alimentation autonome grâce à la poly-activité (culture/élevage) et les élevages totalement tributaires des apports extérieurs. Cette logique induirait également une comparaison, une concurrence entre élevages, entre régions, qui n'est pas le but recherché. La question mérite d'être étudiée avec beaucoup de prudence.

Mais ces initiatives peuvent servir de pistes.

Les différences portent souvent sur des détails techniques : l'autorité décisionnaire (Commission européenne, automatisme ?), les seuils d'alerte, le montant des primes et des pénalités, la progressivité des pénalités (pénalités à ceux qui maintiennent leur production ou seulement à ceux qui l'augmentent ?). La gestion doit-elle être nationale ou européenne ? Comment calculer les coûts ? etc.

Beaucoup doutent également de la faisabilité du système, et même de son efficacité : une action nationale n'a aucun impact sur le marché, une action européenne n'en a guère plus. Les mouvements des prix sont des mouvements mondiaux. À supposer qu'elle soit possible, que pèserait une contraction de production de 1 000 ou 10 000 producteurs de lait de Normandie ou de Podlachie (Nord-Est de la Pologne) ?

Enfin, il est peu probable que le législateur européen revienne aujourd'hui sur une position adoptée il y a quelques mois à peine. L'opposition de certains membres reste frontale car il n'y a aujourd'hui, en vérité, ni pression ni urgence à changer. Les perspectives sont globalement bonnes et le règlement OCM unique contient d'ores et déjà des outils juridiques et budgétaires de gestion des déséquilibres. Il n'y a manifestement pas d'urgence. Mais ces propositions pourraient rebondir en cas de tension.

c) L'évolution de la Commission européenne

Le signal le plus important vient de la Commission elle-même. « Des doutes subsistent sur la capacité du cadre réglementaire de l'Union européenne à faire face à des épisodes d'extrême volatilité des marchés ou à une situation de crise après la fin du régime des quotas, en particulier pour garantir un développement équilibré de la production laitière dans l'ensemble de l'Union européenne et d'éviter une concentration extrême dans les zones les plus productives. La Commission poursuivra le débat afin de répondre à ces préoccupations. En particulier, elle examinera la nécessité et la possibilité d'outils supplémentaires pour mieux anticiper les situations de crise et la volatilité du marché et pouvoir mieux y faire face 73 ( * ) . »

Ce n'est pas un syndicaliste contestataire, un éleveur exaspéré, un politique idéaliste, un observateur irréaliste qui le dit, c'est la Commission ! « Des doutes subsistent sur la capacité réglementaire de l'Union européenne à faire face à la volatilité des prix ou à une situation de crise » .

Ainsi, la Commission reconnaît les limites du dispositif actuel. Qu'attendre de plus ? C'est déjà un pas considérable de la part d'une institution fort peu encline à douter des vertus du libre marché, et, encore moins, à douter d'elle-même 74 ( * ) .

Il faut profiter de cet état d'esprit positif et ouvert et d'une conjoncture satisfaisante pour réfléchir, proposer. L'initiative réglementaire revient à la Commission européenne mais il arrive aussi que les États aient des idées... Dans le passé, la Commission a déjà eu la sagesse de « passer la main » aux États membres - en fait aux experts des États membres réunis dans des « Groupes de Haut Niveau » - pour résoudre des situations passablement embrouillées (lors de la crise du secteur laitier en 2009 ou lors de la fronde sur les droits de plantation par exemple). Pourquoi attendre une éventuelle situation de crise ? Pourquoi ne pas réunir à nouveau un groupe de Haut niveau, qui serait chargé de suggérer des modalités de régulation du secteur laitier en cas d'alerte ?

2. Faire cesser l'humiliation du prix d'intervention

Parmi les mesures à envisager, il y a une mesure symbolique : faire cesser l'humiliation du prix d'intervention.

Le prix d'intervention (PI) ne concerne plus, aujourd'hui, que le beurre et la poudre de lait écrémé. Le PI est déterminé par rapport à un seuil de référence lui-même fixé à l'article 7 du règlement OCM unique 75 ( * ) . Le deuxième alinéa prévoit que « les seuils de référence sont régulièrement examinés par la Commission compte tenu de critères objectifs, notamment de l'évolution du marché, des coûts de production (en particulier le prix des entrants) et des tendances du marché » .

Interrogée à ce sujet, la DG Agri a indiqué qu'elle procédait régulièrement une fois par an à cet examen, mais qu'elle n'avait pas considéré qu'une modification du prix de référence était nécessaire 76 ( * ) .

En effet, elle n'est pas nécessaire. Elle est indispensable.

Le PI correspond à un prix du lait de 220-230 euros les 1 000 litres. Un prix de casse, en quelque sorte. Il n'a cessé de baisser depuis vingt ans 77 ( * ) . Une baisse en euros constants mais aussi en euros courants. Pour le beurre, le prix d'intervention aurait ainsi baissé de près de 50 % depuis 2000, comme il est indiqué dans le tableau ci-après. Si l'Union européenne avait gardé un niveau de prix de 2000, le prix d'intervention actualisé serait autour de 320/330 € les 1 000 litres.

Évolution du prix d'intervention/prix de référence

ANNÉES

2000/2005

2005/2006

2006/2007

2007/2008

2008/2013

2014/2020

Base juridique

Règlement 1255/1999 du Conseil du 17.05.1999

Règlement 1255/1999 du Conseil du 17.05.1999

Règlement 1255/1999 du Conseil du 17.05.1999

Règlement 1255/1999 du Conseil du 17.05.1999

Règlement 1234 /2007 du Conseil du 22.10.2007

Règlement 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 23.12.2013

Beurre (100 kg)

€ courants

328,20

311,79

295,38

278,97

246,39

246,39

Indice (2000 = 100)

100

95

90

85

75

75

€ actualisés 2014

443,00

383,50

354,45

329,18

283,34

246,39

Indice (2000 = 100)

100

86

80

74

64

55

Poudre de lait écrémé (100 kg)

€ courants

205,52

195,24

184,97

174,69

174,69

169,80

Indice (2000 = 100)

100

95

90

85

85

82

€ actualisés 2014

277,45

240,14

221,96

206,13

200,90

169,80

Indice (2000 = 100)

100

86

80

74

72

61

Actualisation sur le taux d'inflation moyen dans l'UE - Source Eurostat

Cette situation est humiliante pour les fabricants qui vont à l'intervention et, par ricochet, pour les éleveurs. L'intervention restant une action exceptionnelle, il ne coûterait rien d'ajuster ce prix d'intervention à un niveau moins infâmant, se rapprochant, par exemple, du prix de revient moyen.

L'intervention doit rester un filet de sécurité et non un moyen facile de dégager des productions comme elle fut jadis. D'ailleurs, recourir à l'intervention reste un choix d'entreprise, car, en recourant à l'intervention le fabricant se retire du marché, en quelque sorte. Et se retirer du marché présente toujours le risque de laisser la place aux concurrents. Même à des prix plus convenables, les industriels hésiteront toujours à utiliser ce dispositif. Ainsi, la majoration du PI ne rendra pas l'intervention plus facile ou courante, elle évitera simplement d'être traité en rebut à qui l'on concède un prix de casse. Si le filet du trapéziste est placé au ras du sol, la chute est mortelle.

3. Miser sur la réactivité mais dans un cadre fixé par le législateur européen

Les quotas sont supprimés. La gestion des volumes est donc exclue et même inadaptée au nouveau contexte du secteur laitier. Le principal défi du secteur est celui de la volatilité des prix. « Les mesures actuelles de filet de sécurité comme l'intervention publique et l'aide du stockage privé ne sont pas adaptées à la volatilité permanente des prix ou à une crise dans le secteur laitier », estime l'eurodéputé James Nicholson 78 ( * ) .

Cette réactivité suppose d'abord de disposer d'une information complète et immédiate. Le rôle de l'observatoire des marchés est crucial et reste à améliorer car beaucoup d'informations restent encore éclatées entre l'observatoire - qui est en fait un service de la Commission - et les autres services de la DG Agri.

Elle suppose aussi une procédure allégée, voire automatique. Seul l'automatisme est garant d'une absolue neutralité et de la réactivité suffisante.

La Commission doit s'attacher à proposer des moyens adaptés aux enjeux. Les propositions formulées par des eurodéputés et des corporations reconnues ne doivent pas être écartées d'emblée. Le couple prime/pénalité est un levier efficace de l'action publique à condition que son utilisation soit rapide.

Ce dispositif doit s'appliquer dans un cadre prédéfini par le législateur européen. Nous le disons bien, par le législateur européen - Parlement européen et Conseil -, et non par le législateur dérivé - la Commission. Cette question renvoie à la question des compétences déléguées de la Commission qui peut être habilitée à prendre des actes délégués et des actes d'exécution. Les deux procédures sont présentées dans le tableau ci-après.

Règlements dérivés de la Commission

Règlement délégué

Règlement d'exécution

Base juridique

Art. 290 du TFUE

Art. 291 du TFUE

Définition

Acte non législatif de portée générale qui modifie ou complète un élément non essentiel de l'acte législatif.

(ex : conditions d'éligibilité à une aide, étiquetage des produits)

Acte pris par la Commission lorsqu'un acte de base exige des conditions d'exécution uniformes.

(ex : procédures de stockage privé /calculs des paiements directs).

Procédure/avis

La Commission peut être assistée d'un « groupe d'experts » (pas forcément des experts des États membres).

L'avis n'est pas nécessaire.

La Commission est assistée d'un comité composé de représentants des États membres. Ce comité rend un avis (i.e. vote), dans la plupart des cas à la majorité qualifiée.

La Commission n'est pas tenue de suivre l'avis du comité.

En cas d'avis défavorable du comité, la Commission peut soumettre le projet à un comité d'appel (le Conseil).

Délégation

La délégation doit être explicitement prévue dans l'acte de base.

Le texte propose les objectifs, le contenu, la portée et la durée de la délégation.

La délégation est prévue dans le règlement de base mais la Commission pourrait prendre des actes d'exécution en cas de nécessité.

Contrôle du
législateur

L'acte délégué ne peut entrer en vigueur que si le Parlement européen (à la majorité simple) ou le Conseil (à la majorité qualifiée) n'expriment pas d'objection.

Le délai d'« appréciation » est de 2 mois.

Le Parlement européen et le Conseil peuvent à tout moment exercer un droit de regard sur le projet de texte par l'adoption d'une résolution.

Les États membres sont représentés par le comité auprès de la Commission.

De plus en plus souvent, les textes votés par le législateur renvoient à un nombre considérable d'actes dérivés entre les mains de la Commission (actes délégués et actes d'exécution). « Les textes ne sont que des coquilles vides qui seront remplies plus tard. Remplies par la Commission » constatait Simon Sutour en 2013 79 ( * ) . Sans que le contrôle des États ne soit toujours bien clair. On retiendra par exemple, dans le tableau présenté ci-dessus que dans les actes délégués, l'avis d'un comité d'experts n'est pas nécessaire et que dans le cas des actes d'exécution la Commission n'est pas tenue de suivre l'avis des représentants des États membres ! Dans son rapport, notre collègue Simon Sutour relevait les nombreuses situations dans lesquelles la Commission s'était affranchie délibérément de la délégation donnée par le législateur. Selon les fonctionnaires du ministère de l'agriculture, cette situation semble avoir évolué et « la Commission joue le jeu » mais il convient d'encadrer strictement ces délégations.

C. UTILISER LE POTENTIEL DES OUTILS EXISTANTS

1. Croire aux organisations de producteurs
a) Renforcer les OP : AOP et OP territoriales

On a vu, plus haut, le bilan encore mitigé des organisations de producteurs. Et pourtant, le potentiel existe, soutenu par la Commission européenne. Ce soutien ne s'imposait pas avec évidence, tant certaines directions de la Commission ont considéré les OP et surtout leur rôle dans la négociation des prix comme une dérogation tout à fait exceptionnelle - voire, dans l'esprit des anges-gardiens de la DG concurrence, carrément scandaleuse ! - au droit commun de la concurrence. Pourtant, les récentes publications de la Commission ne laissent planer aucun doute. La tonalité a totalement changé.

« La diversité relativement grande des exigences minimales montre la difficulté de trouver un équilibre entre la volonté de tendre vers de grandes OP qui ont un potentiel suffisant pour renforcer le pouvoir de négociation des producteurs et l'encouragement à la création d'OP en fixant des seuils réalistes. Néanmoins, il convient de se rappeler que, dans un deuxième temps, plusieurs organisations de producteurs peuvent se réunir dans une association d'OP qui a les mêmes possibilités de négociation collective qu'une OP, mais à une plus grande échelle.

Dans leur rapport « Analysis on the future developments in the dairy sector », les experts ont suggéré notamment de renforcer le rôle des OP, en particulier en veillant à ce qu'elles aient une taille adéquate pour avoir un pouvoir de négociation suffisant » 80 ( * ) .

Ce renforcement peut se faire dans deux directions : par les Associations d'Organisations de Producteurs et par les OP territoriales.

Les OP ont la faculté de se regrouper en Association d'Organisations de Producteurs (AOP). Les regroupements paraissent cependant difficiles. En Europe, il n'y a que trois AOP, en Allemagne. Il n'existe, en France, aucune AOP. Les projets dans ce domaine concernent une OP dédiée au lait bio et des OP regroupant des éleveurs sous signe de qualité (une AOP des éleveurs fournisseurs de camemberts de Normandie par exemple). Rien n'est exclu à l'avenir même si la compétence des AOP devra être tranchée. Pour le médiateur des contrats, les AOP n'auraient pas la compétence de négociation des contrats, qui relève des seules OP. La position de la Commission est différente: « Une AOP a la même possibilité de négociation collective qu'une OP, mais à une plus grande échelle » . Cette ambiguïté devra être levée.

L'OP territoriale. Mais une OP peut aussi rassembler des producteurs sur des bases diverses : une affinité, une proximité, un même collecteur, un label de qualité, une localité, voire un bassin laitier tout entier. La seule limite fixée par le règlement est le volume collecté : 3,5 % de la production européenne et 33 % de la production nationale de lait cru, soit 5,3 milliards de litres (3,5 % de 151 milliards dans l'Union européenne) et 8,6 milliards de litres (33 % de 26 milliards en France). On rappelle que la plus grande OP française - OP Val de Loire - regroupe 1 500 producteurs et 600 millions de litres, soit environ le dixième seulement de la limite autorisée.

L'OP territoriale semble avoir plus d'avenir que les AOP. Plusieurs éleveurs l'appellent même de leurs voeux, à la condition que les pouvoirs publics soient impliqués, estime le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF). « Les pouvoirs publics se sont désengagés. Ils ne redeviendront pas des acteurs directs, mais ils peuvent garder un rôle d'arbitre et de suivi stratégique. La gestion de l'offre repose sur un tryptique : l'éleveur, l'industriel, et l'arbitre (les pouvoirs publics) » 81 ( * ) . Sachant que l'intérêt d''une OP territoriale est non seulement d'avoir un effet taille mais aussi qu'elle peut négocier avec plusieurs acheteurs.

C'est donc cette idée d'OP territoriales qu'il faut analyser.

À quel niveau ? Au niveau du bassin laitier puisqu'il existe déjà des « conférences de bassin » 82 ( * ) .

b) Surmonter les réticences des industriels

Cette perspective rencontre les plus vives réticences des industriels qui voient dans les OP de bassin « une très mauvaise idée. (...). La grande OP est une façon de collectiviser la gestion - on sort de la gestion administrée, on ne va tout de même pas en recréer ! » .

On conçoit aisément que les industriels préfèrent contractualiser avec « leur » OP ou avec des OP de petite taille plus qu'avec de grandes OP régionales, voire nationales. France Milk Board , par exemple, créée à la suite d'ATLA, aurait l'ambition de créer une OP d'envergure nationale.

Mais derrière cette appréhension bien compréhensible, la FNIL avance un autre argument plus qualitatif. « L'éleveur a un choix simple : ou il reste dans une relation individuelle de fournisseur à client, ou il se regroupe avec d'autres éleveurs. Toutes les formes sont possibles. Il n'y a qu'une question qui vaille : est-ce qu'il y a du commerce ? (...) La règle de tout business est qu'il faut convaincre de faire des affaires ensemble. » Pour la FNIL, c'est là que les problèmes commencent. « L'OP doit être abordée comme un objet commercial, pas comme un objet administratif, encore moins comme un outil de combat. Ceux qui prônent l'idée d'OP de bassin se posent d'ores et déjà, avant même qu'elles existent, en position agressive. Se regrouper soit, mais pour commencer, on veut faire la guerre ! ? Il faut privilégier la relation de confiance avec l'entreprise . Une OP doit faire envie : elle doit assurer une qualité, une régularité, une capacité de répondre à un cahier des charges, qu'il soit imposé par une AOC (brie de Meaux) ou à des spécificités demandées par l'industriel, et pas être une menace. »

Ces craintes doivent être entendues mais ces obstacles ne semblent pas irrémédiables. L'OP territoriale a certainement un avenir dès lors qu'elle saura se montrer ouverte à la négociation et qu'elle sera dans une démarche positive avec les industriels. Pour la DG Agri de la Commission, l'enjeu dépasse les relations entre éleveurs et fabricants. Pour elle, « la contractualisation a été voulue par les Français mais ce n'est pas le pays où elle fonctionne le mieux ! La France est engluée dans un système construit sur la confrontation syndicale, « la lutte ». Si on arrivait à sortir de ce carcan, et si on pouvait faire vivre ce système de négociation, ce serait un pas considérable. Il faut trouver les moyens d'avancer ensemble. 83 ( * ) »

Avancer ensemble... c'est sans doute l'une des clefs de la réussite de la filière pour les prochaines années.

2. Préparer de nouveaux contrats
a) L'échéance 2016

La plupart des contrats de livraison ont été signés en 2011 pour une durée minimale de cinq ans. Mais il y a aussi des contrats de six, voire de sept ans. La première vague arrivera à échéance en 2016. Les premiers contrats ont engendré beaucoup de frustration. De part et d'autre, on espère une évolution. Les premiers échanges ont commencé entre OP et laiteries. Que demandent les éleveurs ? Des prix et la prise en compte de leurs charges... Que demandent les industriels ? Des formules de prix et, avant tout, la prise en compte de leurs contraintes de marché, c'est-à-dire les concurrences nationales et internationales et, surtout, le poids déterminant de la grande distribution.

Chacun demande un pas, l'un vers l'autre. Et nous pensons que ce pas est possible. En dépit d'un discours négatif, il y a, en réalité, beaucoup d'initiatives, de projets.

Les premiers à avoir innové sont les coopératives, ou plutôt la coopérative Sodiaal. La coopérative mise sur le double prix : un prix minimum sur un volume déterminé dit volume A que la coopérative s'engage à prendre à prix donné (310 €/tonne) sur une quantité donnée. Au-dessus, un prix fixé en fonction de la valorisation du moment et des conditions du marché. Pour l'éleveur, il y a donc une part de revenu garantie et une part de revenu aléatoire. Au producteur d'arbitrer, en fonction de son prix de revient.

Du côté du secteur non coopératif, les initiatives se multiplient. Danone serait en train de discuter un nouveau modèle contractuel qui inclurait la prise en compte des coûts de production. À la base, il y a une idée simple : « nous fabricants, nous demandons aux éleveurs d'intégrer nos préoccupations de valorisation et nos contraintes face à la GMS. En échange, nous sommes disposés à intégrer vos préoccupations légitimes sur vos coûts de production » . Si cette négociation avec Danone aboutit, cela aurait évidemment un très grand retentissement. Le prix du lait ferait référence au coût de production. Ainsi, ce qu' European Milk Board revendique depuis des années, est en train d'être discuté par le premier fabricant mondial !

Il est très difficile de calculer le prix de revient du lait, et a fortiori , des éleveurs d'une OP. Mais, au-delà des difficultés techniques, cette évolution fait entrer les éleveurs dans une discussion économique. Peu à peu, la transition se fait. Il faudra trouver des critères et des références au niveau national adoptés par région.

Le succès de la négociation de Danone aurait un très grand impact. Non seulement pour les éleveurs, mais même au-delà, y compris dans les relations entre industriels et distribution car une voie pourrait s'engager pour que les distributeurs tiennent compte des prix de revient des transformateurs.

Bongrain imagine lui aussi une évolution de son modèle contractuel qui permettrait de lisser les productions avec une sorte de système de bonus quand l'éleveur réduirait sa production quand il y a trop de lait et l'augmenterait quand le lait manque...

Selon le médiateur des contrats, « tous les industriels tentent de passer d'un modèle aveugle, rigide, à un système d'échange où le producteur va s'intéresser au coût de son collecteur » .

b) Le rôle de la distribution

Bien sûr, le rôle écrasant de la grande distribution - grandes et moyennes surfaces (GMS) - dans la fixation des prix a été évoqué par tous. Y compris à Bruxelles. « La France a exporté son modèle de distribution et les problèmes que connaissent les fabricants en France sont maintenant les problèmes de toute l'Europe, de l'Espagne à la Pologne » indique la DG agri. Partout où les grandes enseignes, jadis françaises, se sont implantées, ce sont elles qui ont fait la loi, leur loi, qui est la loi de la guerre des prix et de la seule comparaison des prix du concurrent !... et non une vraie loi du marché qui ne peut être complètement déconnectée des prix de revient.

Il y a néanmoins quelques raisons d'espérer. D'espérer une relation à trois - éleveurs, industriels-distribution.

L'expérience de la laiterie « Saint Denis de l'Hôtel » dans le Loiret est intéressante. Face aux concurrents de taille internationale, elle a réussi à développer un marché avec de nouveaux conditionnements (en sus d'opérations de croissance externe qui se sont traduites par l'acquisition de sociétés de jus de fruits et de légumes prêts à l'emploi). Sur la partie laitière, la laiterie a misé sur une « élaboration contractualisée », en travaillant à la fois en amont avec les éleveurs et en aval avec les GMS. C'était inimaginable en 2012.

De même, si Danone parvenait à contractualiser avec les éleveurs sur les bases évoquées, elle parviendrait à faire ce que les GMS n'ont jamais réussi à faire avec les transformateurs. Cela pourrait enclencher un mouvement. En Allemagne, la grande distribution, bien consciente de la demande sociale en faveur du bien-être animal, s'est engagée à financer les surcoûts en accordant une sorte de prime aux éleveurs (80 millions d'euros !)

Il reste néanmoins un problème à résoudre. Pour les GMS et leurs centrales d'achat, le prix du marché est celui du concurrent. Les grandes enseignes vendent pratiquement les mêmes produits. Seul le prix les différencie. L'ouverture aux producteurs locaux n'est qu'un artifice de marketing, une opération d'image. Il y a deux produits qui sont rigoureusement identiques partout, dans toutes les grandes surfaces : le lait et l'essence. Le lait et les produits laitiers sont des produits standards et des produits d'appel. En d'autres termes, une grande enseigne aura beaucoup de mal à accepter une hausse, jugée impérative par les éleveurs, si leur concurrent ne le fait pas.

Une majoration du prix du lait de quelques centimes ne peut, en réalité, être décidée que conjointement, collectivement. Au risque de tomber sous le coup des ententes, prohibées par le droit de la concurrence.

Il semble que ce cas de figure n'a jamais été envisagé. C'est évidemment le cas contraire qui est le plus logique (une entente entre acheteurs pour payer le moins possible à son fournisseur et vendre aussi cher que possible à sa clientèle). Mais il faut aussi envisager le cas où une entente se ferait pour accepter une augmentation du prix payé au producteur.

L'hypothèse n'est pas purement théorique. Face à la crise du porc, par exemple, on peut parfaitement imaginer que quelques grandes enseignes acceptent d'augmenter le prix d'achat de quelques centimes par kilo. Il serait navrant qu'une telle initiative soit condamnée par l'Autorité de la concurrence.

3. Utiliser pleinement les aides de la PAC

Il ne faut pas oublier que les QL et le paquet lait ne sont que des volets particuliers et ciblés d'une politique agricole commune (PAC) qui accompagne et soutient les éleveurs par d'autres relais. Trois dispositions budgétaires méritent une attention particulière : les aides couplées du 1 er pilier, la conditionnalité, et les aides régionalisées du 2 ème pilier.

a) Les aides couplées du 1er pilier

Le découplage est un choix politique, économique et budgétaire. Ce fut l'innovation majeure de la réforme de la PAC de 2003. L'idée était de disposer d'aides qui soient neutres sur le plan économique, afin que les agriculteurs produisent des biens agricoles en fonction des indicateurs de marché et non en fonction des soutiens budgétaires. Ainsi, ces aides ne soulèvent pas d'objection devant l'Organisation Mondiale du Commerce (« boîte verte »).

Les États avaient alors le choix entre un découplage total (choix de l'Allemagne) et un découplage partiel. La France a choisi cette dernière option en maintenant un couplage pour l'élevage bovin-viande notamment. L'aide à l'élevage laitier a été en revanche découplée. À partir de 2006, l'aide directe laitière a été intégrée au paiement unique par exploitation. En application du principe de découplage, l'aide est indépendante de l'évolution du troupeau et de la production. Elle est calculée sur une référence historique qui correspond à la référence laitière de la campagne 2005-2006 (c'est-à-dire avant l'augmentation des quotas de 2006-2008). En 2009, la part des aides découplées a été fixée à 10 % des aides directes du 1 er pilier.

Le découplage total, s'il répond à une exigence juridique et une logique économique, présente néanmoins un travers de nature politique : il conduit à attribuer une aide au revenu à un agriculteur, non parce qu'il produit des biens alimentaires, mais simplement parce qu'il est agriculteur. Qu'il produise ou non, l'agriculteur reçoit une aide directe au revenu. Le découplage a autant d'effets pervers que l'intervention en avait eus, en son temps. L'intervention générait des surproductions. Le découplage général pose la question, politique, de la légitimité de la PAC ! Certains ont pu penser que maintenir un lien entre l'aide et la production n'est pas absurde, notamment dans les régions défavorisées. La France a ainsi milité pour que les possibilités de recouplage soient étendues.

La dernière réforme de la PAC de 2013 élargit les possibilités de recouplage, tant en augmentant la part des paiements couplés qu'en étendant la liste des secteurs éligibles aux aides couplées. La filière est directement impactée par cette réforme puisqu'une aide laitière couplée aux vaches laitières est à nouveau possible. Elle sera mise en place en 2015.

C'est un signal très positif pour la filière.

Les aides couplées dans l'OCM unique de 2013

Une aide couplée consiste à aider spécifiquement une exploitation agricole lorsqu'elle génère un certain produit.

Des aides couplées peuvent être accordées à tout secteur « en difficulté économique », à condition d'être dans la liste prévue par le texte communautaire.

Ces aides couplées peuvent être octroyées dans la limite maximum de 15 % de l'enveloppe des aides directes (1 % représente 75 M€ accordées à la ferme France).

La France utilisera les aides couplées au maximum des possibilités offertes par le texte communautaire, car c'est un outil déterminant pour l'orientation des productions. À partir de 2015, ces aides représenteront 15 % de l'enveloppe totale du 1 er pilier, contre 10 % précédemment.

Les productions qui pourront bénéficier d'aides couplées sont très majoritairement dédiées à l'élevage (1 053 M€ par an consacrés à l'élevage sur un total d'aides couplées de 1 133 M€) :

- vaches allaitantes (aide prenant la suite de l'actuelle PMTVA) ;

- vaches laitières (aide nouvelle mise en place en 2015) .

(...)

Source : Ministère de l'agriculture

b) La conditionnalité des aides : l'exemple du bien-être animal

• Le découplage ne fut pas la seule innovation de la réforme de 2003. L'autre grande innovation fut la conditionnalité : le versement des aides directes est subordonné - conditionné - au respect d'une liste de règlements européens et de bonnes pratiques agricoles et environnementales fixées par les États. La conditionnalité des aides est un ensemble de règles à respecter pour tout agriculteur qui bénéficie d'aides liées à la surface ou à la tête. Un manquement à une de ces exigences entraîne une réfaction des aides à taux progressif, en fonction de la gravité du manquement.

Parmi ces règles et règlements, figurent les règles d'identification des animaux et de bien-être animal. Ce dernier point, en particulier, suscite une vive irritation des éleveurs. Cette irritation est bien compréhensible. L'attente d'une simplification des normes est également pressante. Cependant, les éleveurs doivent admettre qu'il s'agit d'une contrepartie au maintien d'un budget de la PAC qui reste conséquent 84 ( * ) . Le budget agricole fut et reste décrié. Il demeure, au prix de quelques concessions, dont celle de la conditionnalité. C'est en quelque sorte « le prix à payer pour garder un budget »... Société de communication oblige !!

• Les éleveurs français doivent aussi savoir que leurs homologues d'autres pays n'ont pas les mêmes réticences et admettent plus facilement ces « contraintes sociétales » qu'ils comprennent et anticipent souvent mieux que les Français. Si les Allemands, par exemple, se plaignent des normes européennes, c'est moins parce qu'elles les gênent que parce qu'ils estiment qu'ils n'ont pas besoin d'une formalisation rigide car les Allemands répondent d'eux-mêmes aux signaux du marché et aux attentes sociales.

À aucun moment, les éleveurs et leurs représentants rencontrés en Allemagne ne se sont plaints de ces règles du bien-être animal. Ils ont simplement considéré qu'il s'agissait d'une nouvelle exigence du marché et que, par conséquent, le respect du bien-être animal serait un élément de leur compétitivité. Autrement dit, ils sont parvenus à faire d'une contrainte un élément de compétitivité. Mieux, la prise en compte du bien-être animal aurait été initiée par le syndicat agricole lui-même pour éviter des mesures obligatoires !

D'ailleurs, les Allemands savent tirer les conséquences de cette revendication sociétale. Puisqu'il s'agit d'une demande de la société, les industriels de la filière laitière sont parvenus à négocier avec la distribution le principe d'une prime aux éleveurs impliqués dans cette démarche. 80 millions d'euros auraient ainsi été payés par la distribution au profit des éleveurs impliqués dans une démarche de qualité. Une prime volontaire payée par la distribution qui s'ajoute aux primes publiques.

Cette expérience allemande est aussi une leçon. Il y a des pays qui savent anticiper et d'autres qui attendent d'être contraints pour réagir.

c) Le 2ème pilier

Voici un autre exemple d'un travers qui est rencontré parfois dans le monde agricole : garder des réflexes et des références historiques sans voir que le monde a changé ; déverser du lisier dans les sous-préfectures alors que toute la PAC est décidée à Bruxelles, faire pression sur les ministres alors que les eurodéputés sont tout aussi importants depuis que le Parlement européen est devenu colégislateur, à égalité avec le Conseil et... s'intéresser au 1 er pilier de la PAC en ignorant le 2 ème pilier.

La France compte parmi les pays qui utilisent le moins et le moins bien le 2 ème pilier.

C'est une très grave erreur car les aides cofinancées par l'Union européenne et l'État membre peuvent être très importantes pour l'élevage laitier. L'enveloppe globale représente environ 16,5 milliards d'euros sur sept ans, soit 11,5 milliards de l'UE et 5 milliards des financeurs nationaux. On rappellera que, pour la première fois, la France a fait le choix de régionaliser le 2 ème pilier de la PAC réformée en 2013. Ce sont les régions qui portent, gèrent et présentent des programmes de développement rural (PDR).

L'État encadre encore très strictement certaines aides du 2 ème pilier, notamment l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) et les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC). Mais les aides qui intéressent directement les éleveurs relèvent désormais des seules régions. C'est le cas de l'installation des aides aux regroupements, de la formation, du bio... Même dans le cas d'aides encadrées par l'État, comme le sont les MAEC, les régions ont une marge d'action concernant les indicateurs, le zonage... La MAEC, système polyculture-élevage par exemple, est très intéressante pour les éleveurs car elle favorise l'autonomie alimentaire des élevages.

Ces mesures présentent un très gros potentiel pour l'élevage laitier. Mais on en revient toujours aux mêmes constats : le potentiel existe, mais ne suffit pas toujours. Donc, il faut anticiper et saisir les opportunités.

Les régions ont préparé leur PDR à la fin 2014 et les ont présentés à la Commission au début 2015. Il n'a pas été possible de savoir si ces PDR s'étaient préoccupés de la fin des QL, car les aides du 2 ème pilier sont rarement classées par secteur (bovins, lait...), mais le sont par type d'action (bio, installation...). Si ce n'est pas le cas, cela aura été une occasion gâchée.

Les régions disposent aujourd'hui des outils juridiques et d'un potentiel budgétaire pour accompagner l'élevage laitier dans sa restructuration et la compétition mondiale. Ces mesures figurent vraisemblablement dans la plupart des PDR présentés à la Commission. Le ministère de l'agriculture ferait oeuvre utile en recensant les aides dédiées au secteur laitier.

D. OSER L'EXPÉRIMENTATION DES TRÈS GRANDES FERMES

Le sujet des très grandes fermes est La polémique du moment. Bien qu'il existe, en Europe, beaucoup de fermes de grande capacité, le projet de ferme dite des « 1 000 vaches » dans la Somme suscite de très nombreuses oppositions. L'affaire a même eu un retentissement international puisque les télévisions britannique, israélienne, sont venues en reportage sur le site. La ferme serait, à les écouter, le symbole d'une décadence mercantile, du libéralisme outrancier. Place à la morale : « le verbe sauver doit prendre la place du verbe changer dans notre vocabulaire politique. Il faut sauver les vaches en mettant fin à l'élevage en batterie et aux gigantesques fermes usines » dit Alain Finkielkraut.

Sauvons les vaches !

Mais d'abord, allons voir 85 ( * ) .

1. La problématique de l'extension des fermes
a) Les seuils

Il y a une évolution naturelle vers l'augmentation des tailles des troupeaux. Il y a 30 ans, il y avait 3 fermes de plus de 100 vaches en France. Aujourd'hui, 3 % du lait vient de fermes de plus de 200 vaches. Ce mouvement va se poursuivre. Mais l'augmentation de la taille de la ferme entraîne aussi différentes ruptures.

À moins de 50 vaches, la ferme est une structure familiale, avec deux unités de main d'oeuvre.

60 vaches est le nombre adapté aux robots de traite. Un robot de traite, 60 vaches, deux robots, 120 vaches.

Jusqu'à 100 vaches, la ferme reste souvent familiale, ou sous forme de GAEC, pas obligatoirement familial.

De 100 à 200 vaches, il faut un salarié au Gaec.

De 200 à 500 vaches, la structure de la société change et il faut une équipe, de 3 à 4 salariés ou associés. C'est le seuil de vulnérabilité, là où se situent les difficultés . La gestion devient plus complexe. Avec 3 ou 4 salariés, c'est un seuil très délicat parce que chacun est indispensable. Dès qu'il y a une maladie, un congé, un arrêt de travail..., tout est compliqué. La robotisation - robot de traite, robot d'alimentation, robot de distribution automatique de lait pour les veaux - est une option qui permet d'économiser la main d'oeuvre mais qui présente aussi beaucoup d'inconvénients. Il y a un coût d'investissement et de maintenance très lourd, une fragilité technique, et une perte de savoir-faire.

Au-delà de 500 vaches, l'élevage passe au stade plus industriel dans le fonctionnement, ce qui ne change rien pour le respect de l'environnement et le bien-être animal, mais peut améliorer les conditions de travail des éleveurs et de leurs salariés.

Au-delà de 2 000/3 000 vaches, il faut plusieurs salles de traite (par exemple, une ferme américaine de 44 000 vaches dans les environs de Chicago a 11 salles de traite).

b) Les oppositions au projet français

La ferme des 1000 vaches dans la Somme a focalisé les oppositions alors qu'il existe des très grandes fermes de ce type dans d'autres pays (il existe environ 200 fermes de plus de 1000 vaches en Allemagne). Comment expliquer cette crispation sur la ferme française ?

Deux explications peuvent être données.

Il y a eu, d'abord, le choc de la nouveauté. Il existe, par exemple, de très grandes fermes au nord et à l'est de l'Allemagne. Elles ont été constituées par deux voies distinctes : soit par héritage des anciennes très grandes exploitations qui se trouvaient en ex-RDA, elles-mêmes issues de l'époque prussienne ou de l'époque de la collectivisation soviétique, soit par agrandissements successifs. La ferme des 1000 vaches visitée en Basse-Saxe a commencé à 70 vaches, puis s'est agrandie à 200, une nouvelle étable de 500 vaches a été construite à côté, puis une seconde. Ainsi, la ferme des 1000 vaches se compose en réalité des trois bâtiments distincts, et ne donne ainsi aucune impression de gigantisme. Au contraire de l'expérience française qui s'est construite d'un seul coup.

Ensuite, la construction s'est déroulée à un moment de basculement de l'opinion. En une génération, le paysan nourricier est devenu l'agriculteur pollueur. « L'agriculture est le nouveau cheval de bataille des Verts » , commente le propriétaire de la ferme allemande. La très grande ferme est le symbole de cette dérive productiviste. L'émergence d'un courant végétarien/végétalien, les calculs de pollution par le méthane, puissant gaz à effet de serre, comme l'appel au bien-être animal, sont arrivés au même moment. En Allemagne, on reconnaît d'ailleurs que plus aucune grande ferme de 1000 vaches ne serait autorisée aujourd'hui. L'époque est passée.

c) Les fondements du projet.

« Le débat sur la taille des fermes se pose, moins par calcul économique ou par comparaison avec certains grands producteurs mais parce que la reprise des exploitations après le départ en retraite des exploitants actuels imposera probablement des regroupements » commente Thierry Roquefeuil, président de la FNPL.

Néanmoins, la clef du succès est le seuil de rentabilité. Le prix du lait est exogène. Il faut travailler sur les coûts de production.

Le calcul des économies d'échelle est un sujet à lui seul. Ces économies ont été rarement démontrées (même si c'est le cas au Canada par exemple : selon une étude du Centre de l'alimentation du Canada, le passage d'un troupeau de 35 têtes à un troupeau de 200 têtes fait diminuer le coût de 5 centimes, de 40 cents le litre à 35 cents). Elles paraissent souvent trop évidentes pour être vraiment calculées (en Allemagne) et ont même été relativisées par France Agrimer.

Les économies sont souvent évaluées de façon empirique. Où se trouvent les économies ? Voici l'analyse de la ferme des 1 000 vaches :

« Ce n'est pas dans les surfaces. Dans la Somme, une ferme moyenne de 57 vaches a une cinquantaine d'ha ; la ferme des 1 000 vaches a 1 000 ha : les proportions sont identiques.

Ce n'est pas dans les équipements. La grande ferme impose de grosses dépenses d'équipement (l'investissement en bâtiments et en équipement se monte à 7 millions d'euros), mais aussi de fonctionnement : le seul poste de l'électricité, par exemple, représente 600 000 euros annuels ! C'est très dissuasif. « Sans compter un « budget emmerdes » de 800 000 € », ajoute Michel Welter.

Ce n'est pas dans l'alimentation La moitié des charges concerne l'alimentation. C'est sur ce poste que la Nouvelle-Zélande arrive à faire des économies et peut vendre à des prix beaucoup plus bas qu'ailleurs. L'autre moitié vient du bâtiment et de la main-d'oeuvre.

Ce n'est pas dans l'emploi. La très grande ferme ne veut pas dire moins d'emplois. Il y a moins d'exploitants, mais il y a autant d'unités de travailleurs : 14 emplois, plus un directeur. Sur les 14 personnes, il y a 4 chefs d'équipe qui sont des éleveurs de métier, et 10 exécutants (6 sont à la traite et 4 sont polyvalents). La société emploie 22 personnes au total (14 en production laitière + 4 employés sur l'activité céréalière + 4 encadrement et bureau). Les salariés sont français. Les recrutements sont néanmoins difficiles. Il faut l'envie et une formation, ce qui n'est pas toujours facile à trouver localement. La règle est de 35 heures/semaine (avec deux équipes), au lieu de 60 heures quand l'éleveur est tout seul.

En revanche, il y a des économies sur la collecte. Les industriels ont compris que si le prix du lait est variable, le coût de collecte, lui, est fixe. Ils vont travailler sur la collecte et privilégier la collecte de 20 000 litres d'un coup. C'est l'effet d'échelle, notamment sur la collecte, qui permet de baisser les coûts (même si, en l'espèce, cet avantage n'est que potentiel - voir paragraphe suivant).

Il y a aussi des économies de détail. Dans la sélection des animaux, la reproduction. Par exemple, avec la grande ferme, le métier de vétérinaire change. On passe progressivement du vétérinaire de vache qui s'occupe de la vache malade, au vétérinaire de troupeau, qui s'occupe de la santé du troupeau. Si on répartit les performances des animaux sur une courbe de Gauss, il faut renforcer le niveau moyen (le chapeau central de la courbe) et moins s'attacher aux extrêmes qui prennent beaucoup de temps (la vache malade ou la championne à 65 litres de lait par jour). »

2. Le développement du projet

La ferme des 1 000 vaches est adaptée au contexte local. La ferme n'est pas un modèle, mais un exemple. La Picardie est avant tout une région de polyculture et l'élevage y est une activité secondaire, sinon accessoire. De nombreux exploitants d'un format classique cessaient leur activité, soit faute de trouver un repreneur, soit par dépit. La nouvelle structure de la grande ferme offrait une ouverture.

Les exploitations regroupées comptent 1 000 hectares, dont 50 ha d'herbage. Le quota laitier du fondateur était de 550 000 litres en 1997. Avec les 7 autres associés de la SCL lait pis carde , ils disposaient d'un quota de 3 600 000 litres.

En février 2013, deux arrêtés préfectoraux permettent de lancer l'opération : un arrêté accorde un permis de construire pour un établissement de 1 000 vaches ; un autre arrêté donne une autorisation d'exploitation pour 500 vaches (qui correspond à la limitation induite par les contrats d'épandage présentés par la société). Un différend - de plus - oppose l'administration et l'entreprise au sujet de l'extension du troupeau à 880 vaches 86 ( * ) .

Il ne faut pas nier un certain nombre de difficultés au démarrage.

Un temps d'adaptation est nécessaire. Le rendement laitier est encore celui des fermes traditionnelles (8 700 litres par vache) parce que les animaux ont subi beaucoup de stress : déplacement, nouvelle étable, manifestations... Beaucoup de vaches sont pleines et reprendront la lactation au printemps, après la naissance des veaux.

Il y a eu aussi des problèmes de boiteries, liés au passage de l'enclos précédent en litière au sol en béton. Avec la litière paillée, le pied de la vache se ramollit et est moins préparé au sol dur. Il faut laisser le temps que les vaches s'adaptent au rythme, au couchage - un torchis fait d'un mélange de paille, de chaux et d'eau, « la meilleure literie qui existe après le sable », selon le directeur de la ferme.

Il y a aussi une mortalité assez importante. Le taux de mortalité d'un troupeau est autour de 10 % du cheptel. Il est couramment admis que les déplacements, les regroupements multiplient ce taux par trois la première année. Il y a donc une mortalité assez importante d'autant plus que la grande ferme achète ou reçoit des troupeaux entiers déjà constitués, avec des animaux de tous âges et des hiérarchies établies. Le regroupement est encore plus difficile.

Pour l'instant, il n'y a pas non plus d'économie sur la collecte car la ferme a d'abord vendu son lait... en Normandie. En effet, la coopérative locale ne voulait pas prendre le lait de la grande ferme. Mais « s i le lait part en Normandie, ce n'est pas à cause de nous... ». Mais même le collecteur normand (Senagral, une filiale d'Agrial) s'est défaussé au printemps 2015 de peur d'être référencé par la grande distribution, selon Michel Welter. Aujourd'hui (juin 2015), le lait part en Belgique. La distance est la même que la Normandie mais c'est une laiterie étrangère.

3. Des contestations à relativiser.
a) Les questions environnementales

Personne ne sera étonné d'apprendre que les éleveurs sont souvent irrités par les critiques des écologistes et des urbains. « La plupart des écologistes ne viennent pas du monde agricole et pensent à la place des paysans sans rien connaître de leur vie », commente M. Welter.

Sans compter les illusions des modèles des petites fermes qui a les faveurs des Verts et de l'opinion. Pour les professionnels, il y a un côté naïf et artificiel à cet engagement. Derrière la vision bucolique, il y a très souvent des fermes où les vaches ne sortent jamais, sont immobiles, attachées à l'anneau. D'ailleurs, dans les très grandes fermes, la traite est encore manuelle, en salle de traite, alors que les fameuses petites fermes sont de plus en plus souvent équipées de robots de traite. Alors que vaut-il mieux : des grandes fermes avec une traite manuelle ou des petites complètement robotisées ?

Les éleveurs regroupés dans la grande ferme dénoncent aussi le côté irrationnel de certaines critiques. Ainsi, des collecteurs refuseraient le lait de la grande ferme alors que ce sont les mêmes vaches, avec la même alimentation, et le même lait !

L'éleveur de la grande ferme de 1 000 vaches, rencontré en Basse-Saxe, va même plus loin en considérant que le bien-être animal est plus à la portée des grandes fermes que des petites. « Le paradoxe est que ce sont les grandes exploitations qui sont visées par la contestation sociale mais que ce sont les petites qui ont le plus de mal à se mettre aux normes. Pour l'élevage bovin, les exigences en matière de bien-être animal condamnent les petites exploitations. Les grandes exploitations ont beaucoup plus de facilités pour s'adapter. En revanche quand les petites devront changer, cela sera très difficile. 87 ( * ) »

Pour la Copa-Cogeca, les questions de la taille des fermes et du bien-être animal sont dissociées. « En Australie, j'ai visité une ferme de 3 000 vaches, et concernant le bien-être animal, c'est le meilleur de ce que j'ai vu » , rappelle le secrétaire général de l'association européenne

Au cours de cette visite, le directeur de l'exploitation a évoqué les effets positifs de l'intensification :

« - les émissions de gaz à effet de serre. Les bovins sont des émetteurs de gaz à effet de serre. Mais les émissions sont liées à l'animal, pas à la production : 2 vaches à 20 litres polluent deux fois plus qu'une vache à 40 litres. Ramenée aux productions laitières réelles, une vache à 8 500 litres pollue autant qu'une vache à 11 000 litres, mais à volume égal, la grande ferme génère 30 % de moins de gaz à effet de serre que des petites. Une ferme de 1000 vaches pollue moins que 10 de 100 vaches.

- la collecte est également moins polluante : le camion collecteur fait moins de kilomètres. La règle est de 100 litres de lait collecté/km parcouru. Avec 1 000 vaches, la collecte serait de 125 litres, soit une baisse de 25 % de gaz à effet de serre.

- la grande ferme économise l'eau (nettoyage).

- les animaux sont sous hangar ouvert. La circulation d'air est bien meilleure que celle de nombreuses petites fermes où les vaches sont souvent à l'étable toute l'année.

- il y a aussi des effets indirects sur les cultures. L'élevage impose un certain type de cultures (fourrage, luzerne, herbage) qui sont excellentes pour les sols. On refait un sol avec trois ans de luzerne. Ceci est important dans une région vouée aux grandes cultures.

- les effluents d'élevage permettent de réduire l'utilisation des engrais chimiques en grandes cultures.

- L'installation de la ferme dans un milieu de culture est un atout : la ferme utilise une alimentation locale, notamment de la pulpe de betteraves rouges. Moins de 5 % de l'alimentation est importée (soja). »

b) La question du capital

Le monde agricole est lui aussi assez réservé sur la question des très grandes fermes mais pour une toute autre raison. L'investissement nécessaire à ce type de réalisation ne peut être réalisé sans un apport de capitaux voire sans capitaux extérieurs. En d'autres termes, les agriculteurs craignent que l'activité d'élevage ne leur échappe pour des raisons financières.

Cette crainte est bien compréhensible mais paraît déconnectée des réalités. L'argument n'est pas pertinent dans le cas présent. La ferme des 1000 vaches a été fondée par un industriel qui a réussi dans le matériel agricole et les travaux publics, mais qui est issu du milieu agricole. Mais force est de reconnaître qu'un autre sans aucune attache agricole aurait pu (s') investir de la même façon et rien ne dit surtout, que ce lien familial ne se dissolve et ne disparaisse un jour. Faut-il y voir un drame ? L'agriculture serait-elle le seul secteur de production qui n'a pas besoin de capitaux extérieurs ? Comment nier cette évolution ? Il y a en effet une pression croissante des industriels, des banques, des institutions financières, voire même des fonds de pension pour investir dans les terres et l'agriculture. Il faut, là encore, accompagner cette évolution plutôt que la refuser.

4. Un projet favorable à l'aménagement du territoire

Il y a beaucoup d'oppositions, mais il faut être bien conscient des conséquences de l'échec du projet.

Les quotas laitiers ont permis d'assurer l'élevage et ont eu une mission d'aménagement du territoire. La fin des quotas laitiers fragilise cette situation. Certaines régions en marge du croissant laitier sont très fragiles. Les exploitations ferment, faute de repreneurs, et la spirale de la déprise se met en place : moins d'exploitations, moins de lait, moins de collectes, moins (plus du tout !) de laiteries, de transformateurs.

Ce type de projet est un moyen de ramener de l'élevage dans une région de grande culture et de maintenir une activité laitière dans une région en déprise laitière. Cette action va bien au-delà du seul effet de masse avec une collecte massive en un seul lieu. Il existe toujours des vétérinaires qui connaissent les bovins. Il existe toujours des sociétés qui proposent de l'alimentation animale. La grande ferme préserve une ambiance laitière. Ainsi, des fermes plus petites peuvent être maintenues plus facilement

La grande ferme permet de maintenir une masse critique et offre une alternative. La Somme produit un peu plus de 400 millions de litres de lait par an. Si trop de freins sont mis pour faciliter le regroupement des exploitations et l'investissement dans de nouvelles infrastructures de production, il y a un risque élevé de déprise laitière. Actuellement, la tentation des polyculteurs/éleveurs disposant de surfaces importantes est forte de cesser l'activité laitière.

Cet exemple peut être utile aux régions qui risquent de perdre leur production laitière. La grande ferme est un élément de force pour l'aménagement du territoire, au contraire de tout ce qui se dit ! Autant pour des raisons économiques que sociales.

La formule est adaptée à la région et serait inadaptée à d'autres. Ce serait une aberration en Bretagne ou en Normandie, parce qu'il existe une ambiance herbagère qu'il ne faut pas briser. En revanche, dans la Somme, le projet peut trouver sa place. C'est même une expérience cruciale pour d'autres régions confrontées au risque de déprise laitière.

La France doit oser cette expérimentation afin de faire le bilan dans quelques années.

La France, aux productions si diverses doit aussi accepter la diversité des modes de production.

CONCLUSION

Notre rapport n'a aucunement la prétention de proposer des mesures précises pour faire face à la nouvelle donne de l'après-quota laitier.

Nous avons voulu faire un tableau de l'histoire de la politique laitière européenne, photographier l'existant et se poser les questions sur ce qui peut arriver dans les années à venir.

Nous pouvons raisonnablement être optimistes à condition que chaque acteur corrige un certain nombre de règles ou d'habitudes.


• Considérant que les prix seront plus fluctuants et peut-être en moyenne plus bas, les exploitants et les organismes agricoles devront ensemble réfléchir à des méthodes de gestion et d'adoption des exploitations encore plus performantes.

Or, de gros progrès ont déjà été faits ces dernières années, la marge de manoeuvre est donc faible. Après 30 ans de système de quotas, le bouleversement est de taille.

En France, le législateur devra aider la profession tant sur les règles fiscales que sur tous les types de normes afin d'améliorer le fonctionnement et le revenu des éleveurs.

Au niveau européen, nos systèmes de régulation sont réduits quasi à néant. Avec les quotas laitiers, cela peut sembler normal. Nous préconisons un système renforcé pour mieux prévoir les crises et intervenir avant d'être au plus profond de la crise.


• Les zones les plus défavorisées, avec des coûts de production plus élevés que la moyenne, devront être spécifiquement aidées (aides européennes et régionales, ...). En effet, les conséquences de cette nouvelle organisation seront différentes en fonction des territoires.


• Nous devons faire preuve d'ouverture d'esprit et accepter que tous les types de production doivent se côtoyer. C'est-à-dire ne pas opposer les petits aux gros, le bio au traditionnel, les AOP aux productions sans signe de qualité.

La France a besoin de toute cette palette en fonction des marchés et des territoires. Chaque producteur doit être respecté à condition qu'il respecte, lui, les règles de base d'un bon éleveur. Mais chassons l'idéologie au profit du pragmatisme.


• La relation entre les producteurs et les transformateurs devra obligatoirement évoluer. Le transformateur, coopérative ou privé, devra tenir compte plus qu'auparavant des prix de revient de la production (des critères peuvent être facilement définis) dans le cadre de la fixation du prix du lait.

En contrepartie, le producteur ne peut pas ignorer le marché. Ainsi, le système du double prix reste une piste à creuser : un prix « A » qui correspond à la quantité que peut réellement valoriser le transformateur et un prix « B » correspondant à la quantité moins bien ou pas valorisée.


• Pour le marché intérieur, la relation entre les fournisseurs et les distributeurs est un problème important et grave dans notre Pays. La fixation du prix ne tient pas compte du prix de revient du transformateur, ni du marché. Le prix résulte d'une négociation déconnectée des réalités. En plus, les contrats ne sont pas respectés. Des pénalités injustifiées viennent en cours d'année grever encore la marge du fournisseur. Le problème n'est plus législatif mais moral.

Ce système commercial ne peut pas continuer ainsi et devra obligatoirement évoluer car les conséquences à terme peuvent être graves, très graves.

La France doit être combative. Nous avons une vocation exportatrice en denrées agricoles. Le lait doit apporter aussi sa part à l'équilibre de la balance commerciale.

2 % de croissance de la demande mondiale ! Dans le domaine économique, les prévisions sont souvent peu fiables. Fixons-nous des objectifs, mettons en place les outils pour que les producteurs de lait puissent vivre de leur métier. L'économie a besoin de régulation pour que l'homme soit respecté.

Nous devons nous battre pour gagner les parts de marché. Même si pour le moment ce marché est peu rémunérateur, soyons présents, l'avenir devra nous donner raison.

La France bénéficie d'une image forte grâce aux AOP et à la qualité de tous nos produits agroalimentaires : utilisons avec fierté cette image pour mieux exporter.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 25 juin 2015 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Claude Haut et Michel Raison, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - La question cruciale posée par le rapporteur est : « La France sera-t-elle encore un grand pays laitier ou veut-elle simplement gérer les acquis ? » Je retiens aussi les enjeux du TTIP qui concernent à la fois les indications géographiques mais qui révèlent surtout les ambitions de notre partenaire américain. Ce que vous avez appelé le « géant américain endormi ».

M. Jean-Paul Emorine . - Attention de ne pas se faire trop d'illusions. Certes, la France peut être un grand pays laitier mais je rappelle que l'espace agricole français ne représente que 1 % de l'espace agricole mondial. Vous avez parlé de la restructuration. La diminution du nombre d'exploitations est très ancienne et va certainement se poursuivre. Vous indiquez le chiffre de 40 000 exploitants dans 10 ans mais la question qui se pose est : « Est-ce que ces 40 000 exploitants vont gagner leur vie ? » Il y a la question du prix, bien sûr, mais aussi la question de la pression de la grande distribution et des coûts d'exploitation. Il faut aller vers la sécurisation des revenus des agriculteurs. La concentration de la production laitière en Bretagne et en Normandie est possible. Les régions avec des AOP sont également protégées. Mais quid des régions intermédiaires ? La ferme des 1 000 vaches a un effet détonateur. Déjà le seuil de 400 ou 500 vaches révélait la nature industrielle de certains élevages. La ferme de très grande capacité est perçue comme déstabilisante pour les régions intermédiaires.

M. André Gattolin . -Notre ordre du jour est chargé. Nous devons traiter des dossiers importants dans un délai qui est limité.

Concernant le rapport sur le secteur laitier, je déplore la quasi-absence de l'évocation du bio. C'est un outil de valorisation des produits et de stabilisation des revenus. Or, il n'y a quasiment rien dans le rapport. Mais mes remarques portent surtout sur la partie concernant les très grandes fermes.

Le rapport cite des oppositions jugées irrationnelles. Cette critique n'a pas de sens. Ce sont des positions qui ne sont en rien irrationnelles. Vous citez Brigitte Bardot comme pour dévaloriser la position de ceux qui contestent ce projet. Il faut prendre en compte tous les points de vue. Je suis d'accord pour écouter les promoteurs de la ferme des 1 000 vaches comme vous l'avez fait abondamment, mais il faut écouter tout le monde et ne pas se contenter d'une formule ambiguë telle que « oser l'expérimentation des grandes fermes ».

M. Michel Billout . - Il n'est en effet pas possible de traiter des sujets aussi importants en deux heures.

Je regrette que dans la proposition de résolution européenne, on ne trouve aucun élément qui permette de préserver un mode de production diversifié. Certes, la conclusion du rapporteur est de prôner la cohabitation de tous les modes de production, mais c'est une phrase « bateau », un peu naïve. Il y a deux parties dans ce rapport : une partie très documentée et très équilibrée sur la fin des quotas laitiers et les inquiétudes des éleveurs, et une deuxième partie où le rapporteur « se lâche » sur la ferme des 1 000 vaches en exposant les points de vue de façon très caricaturale, en développant l'argumentaire du directeur de la ferme sans donner la parole aux opposants. On oublie de dire que ce type de ferme favorise la financiarisation de l'économie agricole. Ce n'est pas du tout une évolution choisie par les agriculteurs. Si on laisse se développer ce modèle, demain il y aura des régions où il n'y aura plus du tout de lait. En revanche, j'adhère complètement à l'analyse du rapporteur sur l'importance de la négociation commerciale sur les indications géographiques.

M. Simon Sutour . - Je confirme qu'avec cette organisation des travaux, le Sénat ne peut pas remplir son rôle. Le 22 juillet prochain, le président du Sénat s'est engagé à rencontrer le bureau de la commission des affaires européennes. Nous devrons lui exprimer nos réserves sur nos conditions de travail. Notre commission a un rôle très important sur la législation européenne et il nous faut garder une possibilité de travailler sérieusement.

Sur le lait, c'est un rapport très complet, un rapport de référence qui méritait un long exposé mais qui mérite aussi un long débat. Je ne suis pas spécialiste de ce secteur mais le modèle des 1 000 vaches ne me plaît pas. Il y a d'ailleurs beaucoup de rapport entre l'évolution du secteur laitier et l'évolution du secteur viticole avec l'arrivée des capitaux extérieurs et des vins de cépage orientés vers un produit standardisé.

M. Richard Yung . - Je sais toute l'importance des appellations d'origine. C'est une des très grandes forces de la France. Nous avons un niveau d'excellence, reconnu dans le monde entier, qui doit être absolument préservé. Je retiens aussi de l'exposé l'idée que les gens d'une même filière n'arrivent pas à parler ensemble, que nous restons dans la culture de l'affrontement. La grande force de l'Allemagne n'est pas dans les grandes fermes de 1 000 vaches mais bien dans cette capacité à débattre et à avancer ensemble.

M. Claude Haut . - Mon avantage était d'être totalement extérieur au secteur laitier et d'avoir un regard neutre. C'est pourquoi j'ai pensé que ce choix de l'expérimentation était possible. Ce n'était pas pour les multiplier mais pour voir comment ça marche, quitte à dresser un bilan économique et écologique après deux ou trois ans.

M. André Gattolin . - Mais la tonalité du rapport est très différente. On sent qu'il y a un parti pris.

M. Claude Haut . - L'expérimentation a pourtant un sens. Il faudra mesurer les résultats à la fin.

M. Michel Raison . - J'étais bien conscient que la ferme des 1 000 vaches allait être un sujet de débat. C'est pourquoi nous avons choisi d'y aller pour voir effectivement ce qui se passait, pour voir les conditions d'élevage, pour y rencontrer le directeur et les éleveurs. Ce sont eux qui ont utilisé le mot « irrationnel ». Que disaient-ils exactement ? « Le lait de la grande ferme n'est pas ramassé parce que ce ne serait pas le même lait que les autres. » C'est ça qui est irrationnel. Ce sont les mêmes vaches, avec la même alimentation qui produisent le même lait. Cette opposition est irrationnelle. De même, casser 300 000 euros de matériel est irrationnel.

Je souhaite insister surtout sur le lien entre la grande ferme et les zones de déprise laitière. La grande ferme ne provoque pas la déprise mais, au contraire, est un moyen d'y faire face. Son implantation dans la Somme est une implantation dans une zone extrêmement fragile sur le plan laitier. C'est un moyen de maintenir une ambiance laitière dans une région où les fermes sont peu nombreuses et vont probablement se réduire encore. C'est un moyen de maintenir l'activité laitière.

Concernant les appellations d'origine, il y a une unanimité sur ce point. C'est évidemment notre cheval de bataille. Dans mon rapport, j'évoque une publicité sur une automobile qui se conclut par « C'est une allemande ». En fait, cette voiture n'est pas meilleure qu'une voiture française mais elle a une image de qualité. Nous avons cette image-là dans le domaine laitier, avec une tradition laitière, des appellations protégées et des investissements en haute technologie. C'est cette image qu'il faut préserver et utiliser.

Attention toutefois à ne pas se leurrer. L'appellation d'origine n'est pas à elle seule une garantie de valorisation. Il y a des valorisations très fortes sur le Comté et le Beaufort par exemple, mais c'est beaucoup moins vrai sur le Cantal où, malgré l'AOC, le prix du lait est médiocre.

M. Jean Bizet , président . - Vous insistez aussi, avec raison, sur le deuxième pilier. En France, on ne sait pas utiliser le deuxième pilier et j'espère que la régionalisation améliorera les choses. Il est vrai que l'articulation entre contractualisation et organisation professionnelle n'a pas été très adaptée. Nous avons fait les contrats avant les OP, mais de nouvelles générations sont en préparation. Même s'il y a des réticences de la part des industriels, je crois aux OP territoriales de bassin. Il y a quelques années, le partage de la valeur ajoutée dans la filière agricole était d'un tiers pour le producteur, un tiers pour le fabricant, un tiers pour le distributeur. Aujourd'hui, la distribution capte la moitié de la valeur ajoutée. Il est impératif de rétablir un meilleur équilibre et les OP territoriales peuvent être un outil.

M. Michel Raison . - Vous faites bien de rappeler le rôle crucial de la grande distribution. Sous prétexte de défendre le consommateur, elle écrase les producteurs et les fabricants. Les négociations sont irréalistes, la grande distribution ne respecte pas les contrats ou prévoit des pénalités énormes. C'est un sujet bien connu. J'ajoute que pour la Commission européenne, nous avons exporté ce modèle partout en Europe et que ces difficultés franco-françaises sont maintenant des difficultés dans l'Union européenne.

M. Michel Billout . - J'adhère à la proposition de résolution européenne mais les sénateurs de mon groupe ne peuvent souscrire au rapport. Le passage sur la ferme des 1 000 vaches ne me convient pas.

M. André Gattolin . - Je suis sur la même position avec en outre une réserve sur la formulation du point 25 de la proposition de résolution européenne qui semble laisser aux seules régions le soin d'aider les secteurs en difficulté, comme s'il ne s'agissait pas d'un objectif national.

M. Jean Bizet , président . - Nous allons vous proposer une modification qui atténue ce clivage entre stratégie nationale et équilibre territorial.

Le rapport met bien en lumière que nous sommes à la veille d'une grande redistribution, qu'il ne faut pas se leurrer. Il y a des dynamiques laitières et des régions en déprise. Pour être encore plus clair, il y aura un jour des régions sans lait. Il y a un passage du rapport qui le dit clairement, les industriels ont annoncé qu'ils ne fermeront aucune usine mais qu'ils n'investiront pas. C'est la mort lente mais quasi-certaine pour ces régions.

Concernant la sécurisation des revenus des agriculteurs, qui est une demande de M. Emorine, il faut faire une analyse de notre modèle de politique agricole. La politique agricole commune (PAC) européenne et le Farm bill américain sont deux modèles opposés. L'un assure des primes, l'autre assure des revenus. La dernière réforme de la PAC de 2013 prévoit une clause de révision en 2016 qui est une clause financière. Ce sera le moment de poser les jalons d'une vraie réforme de la PAC.

La négociation du TTIP sera très importante pour les agriculteurs. Au-delà des appellations d'origine, il y a en effet une offensive américaine sur le terrain agricole. Il faut penser à une coopération avec l'Italie sur les signes de qualité.

Hélas, je pense que la financiarisation de l'agriculture est en marche. Les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ont longtemps refusé l'apport de capitaux extérieurs mais les demandes se multiplient aujourd'hui. Le prix du foncier pourrait évoluer. Le rapport cite un prix du foncier de 60 000 euros l'hectare en Allemagne. C'est évidemment encore impensable en France. C'est aussi le résultat d'une politique allemande qui a équilibré l'activité agricole avec l'activité énergétique. Produire pour l'énergie est choquant. Le rapport cite le chiffre hallucinant de 400 000 hectares en Basse-Saxe consacrés aux cultures dédiées à la méthanisation. La France a eu raison de ne pas aller trop vite, et quand la France se lance dans la méthanisation, c'est plutôt à partir d'effluents d'élevages.

Je confirme que ma visite de la ferme des 1 000 vaches m'a impressionné et rassuré. Je pense que la formule de l'expérimentation est la plus opportune.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L

Le Sénat,

M

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

N

Vu le règlement (UE) n° 261/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers, dit « paquet lait »,

O

Vu le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles dit « règlement OCM unique »,

P

Vu le rapport de la Commission du 13 juin 2014 intitulé : « Évolution de la situation du marché des produits laitiers et de la mise en oeuvre du paquet lait » (COM (2014) 354),

Q

- Sur le dispositif de régulation prévu par le règlement « OCM unique » :

R

Souligne que la Commission elle-même estime que « des doutes subsistent sur la capacité réglementaire de l'Union européenne à faire face à la volatilité des prix et à une situation de crise » ;

S

Appelle à mettre en oeuvre des filets de sécurité plus réactifs ;

T

Considère qu'un groupe de haut niveau constitué auprès de la Commission pourrait étudier la création d'un dispositif d'alerte ainsi que des modalités de régulation du secteur laitier en cas d'alerte ;

1a

Souhaite que cette régulation prenne en compte les prix de revient des éleveurs, en dépit des difficultés de mesure ;

1b

Rappelle que les prix de référence, prévus à l'article 7 du règlement « OCM unique » pour le beurre et la poudre de lait écrémé ont baissé de 50 % depuis 2000 en euros constants et ont aujourd'hui atteint un niveau humiliant pour les éleveurs ;

1c

Souligne la nécessité d'ajuster ces prix afin qu'ils reflètent davantage les coûts de production ;

1d

- Sur la négociation de l'accord de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) :

1e

Souligne l'importance économique des appellations d'origine pour les filières agricoles en particulier françaises, et pour le secteur laitier ;

1f

Considère que ces appellations sont un atout précieux dans la compétition mondiale ;

1g

Insiste sur la nécessité de préserver ces appellations dans la négociation conduite par la Commission européenne et souhaite que le Gouvernement soit extrêmement vigilant sur ce point ;

1h

Appelle à une coopération de la France avec ses partenaires européens intéressés par ce thème, notamment l'Italie ;

1i

- Sur les dispositions du « paquet lait » :

1j

Souligne que la mise en oeuvre du paquet lait est encore perfectible ;

2a

Estime que le rôle des organisations de producteurs dans la négociation avec les transformateurs ne doit pas être négligé et est appelé à se renforcer avec la création de grandes organisations à vocation territoriale;

2b

Considère que la contractualisation des livraisons de lait a été très utile aux relations entre éleveurs et fabricants et souhaite que lors de la négociation de nouveaux contrats, ces derniers prennent mieux en compte les coûts de production des éleveurs et les contraintes de marché des transformateurs.

2c

- Sur la stratégie française de la filière laitière et les moyens de l'accompagner :

2d

Considère que la fin des quotas laitiers va renouveler profondément le paysage laitier européen en libérant les dynamiques laitières de certains pays ;

2e

Appelle, en conséquence, à mieux définir une véritable stratégie de filière ;

2f

Souhaite distinguer plus clairement ce qui ressort de la stratégie nationale qui doit être orientée vers la compétitivité de la filière, et ce qui relève de l'équilibre des productions laitières sur le territoire, qui repose aussi sur les soutiens des régions ;

2g

Appelle les régions à mobiliser les outils juridiques et budgétaires du 2 ème pilier en faveur de leur filière laitière ;

2h

Estime que dans le nouveau contexte laitier, les éleveurs ont un besoin impérieux de formation à la gestion des entreprises et à la gestion financière pour les familiariser aux fluctuations du marché et à la volatilité des prix qui en découle ;

2i

Souhaite que les autorités chargées de la formation impliquent les structures professionnelles et syndicales dans cette mission.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

M. Olivier Blanchard , délégué filière lait et M. Olivier Trégaro , chef d'unité productions animales, France-Agrimer, le 2 décembre 2014

M. Julien Turenne , sous-directeur produits et marchés, Ministère de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT), le 2 décembre 2014

M. Florian Salmon , membre du bureau, M. Maxime Chaumet , conseiller productions animales, M. Régis Rivailler , conseiller parlementaire, Jeunes agriculteurs, le 9 décembre 2014

M. Patrick Ferrère , délégué général, M. Philippe Faucon , administrateur, think tank « saf agr'iDées », le 9 décembre 2014

M. François Champanhet , sous-directeur de l'organisation économique, des industries agroalimentaires et de l'emploi, Ministère de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT), le 10 décembre 2014

M. Yann Louguet , chef de bureau, Ministère de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT), le 2 décembre 2014

Mme Véronique Le Floch'h , présidente du secteur lait, Coordination rurale, le 16 décembre 2014

M. Laurent Pinatel , porte-parole, M. Laurent Leray , secrétaire national en charge de l'élevage, M. Victor Pereira , coordonnateur du pôle élevage, Confédération paysanne, le 16 décembre 2014

M. Gérard You , chef du service économie des filières, M. Christophe Perrot , conseiller, Institut de l'élevage, département économie, le 16 décembre 2014

M. Dominique Chargé , président, Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL), le 18 février 2015

M. Thierry Roquefeuil , président, Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), le 18 février 2015

M. Denis Milleret , président de la Fromagerie Milleret, le 26 février 2015

M. Francis Amand , médiateur des contrats agricoles, le 9 avril 2015

M. Olivier Picot , président de l'Association de la transformation laitière française (ATLA), le 9 avril 2015

M. Jean Mouzat , président du Syndicat agricole des exploitants familiaux MODEF, le 15 avril 2015

M. Julien Turenne , sous-directeur produits et marchés, Ministère de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT), le 15 avril 2015

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Allemagne - Basse-Saxe - 12-13 février 2015

Mme Anke Wiecheing-Sudmann , exploitation laitière

M. Hans Holtorf , gérant de l'usine Frischli Milchwerke GmbH

Mme Johanna Böse-Hartje , présidente régionale de la Fédération allemande des producteurs laitiers (BDM)

M. Heinz Korte , vice-président de la Fédération agricole du Land Basse-Saxe

M. Ingo Stürmer , conseiller à la coopération internationale, Ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la protection des consommateurs du Land de Basse-Saxe

M. Hans-Georg Hassenpflug , directeur

Somme - Visite de la Ferme dite « des 1 000 vaches » - 24 février 2015

M. Michel Welter

M. Raphaël Decayeux

M. Francis Poiré

Bruxelles - 28 avril 2015

M. Michel Dantin, eurodéputé, membre de la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement européen

M. Philippe Duclaud , chef du service agricole de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

M. Jens Schaps , directeur « marchés agricoles » à la DG AGRI de la Commission européenne

M. Andrej Babuchowski , ministre-conseiller, chef du service agricole de la Représentation permanente polonaise

M. Pekka Pesonen , secrétaire général du Copa et de la Cogeca


* 1 Rapport d'information de M. Jean Bizet sur le prix du lait dans les États membres de l'Union européenne (Sénat n° 481, 2008-2009) ; Rapport d'information de M. Jean Bizet sur le rôle des organisations de producteurs dans la négociation du prix du lait (Sénat n° 721 2011-2012).

* 2 Rapports de M. Michel Raison député, sur une proposition de résolution européenne sur la situation du secteur laitier (AN N° 2067 treizième législature), et sur une proposition de résolution sur les relations contractuelles dans le secteur laitier (AN N  3383 treizième législature).

* 3 Règlement (CEE) n° 356/84 du Conseil du 31 mars 1984.

* 4 Règlement (CE) 1256/1999 du Conseil du 17 mai 1999, article 3.

* 5 Règlement (CE) 1788/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 établissant un prélèvement dans le secteur du lait et des produits laitiers, article 1 er : « À partir du 1 er avril 2004 et pendant onze périodes consécutives de douze mois débutant le 1 er avril, il est institué un prélèvement sur les quantités de lait de vache ou d'autres produits laitiers commercialisées pendant la période de douze mois en question et qui dépassent les quantités de référence nationales fixées à l'annexe I. »

* 6 Art. 66 du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007.

* 7 Règlement (CE) n° 72/2008 du Conseil du 19 janvier 2009, considérant 8 : « La disparition des quotas est prévue en 2015 . »

* 8 Règlement (UE) n° 261/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012, considérant 1 : « assurer la suppression progressive du système des quotas laitiers programmée pour 2015 au plus tard. »

* 9 Règlement (UE) 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

* 10 L'Allemagne et l'Italie ont été fréquemment soumis à ces prélèvements supplémentaires. En 2013, le montant des prélèvements supplémentaires a atteint 80 millions d'euros, (poste 6703 du budget de l'Union européenne).

* 11 Entretien du 28 avril 2015.

* 12 Voir plus loin, page 17.

* 13 Entretien avec M. Jens Schaps, directeur des marchés agricoles DG agri de la Commission, 28 avril 2015.

* 14 L'expression a été utilisée par la Commission en 2010. « Tant l'évolution de la production par rapport aux QL que la tendance à la baisse des prix indiquent l'amorçage d'un « atterrissage en douceur ». Rapport de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil - Évolution de la situation du marché et des conditions relatives à la suppression progressive du système des quotas laitiers COM (2010) 727 final, 8 décembre 2010.

* 15 Le quota laitier est exprimé en litres de lait mais chaque lait est plus ou moins riche en matières grasses, comptabilisées en grammes par litre, et le droit à produire est exprimé en litre équivalent matières grasses. 0,1 gramme d'écart de matières grasses par rapport à sa référence initiale fait varier le volume total de 2,5 %, ce qui est important pour les pays pénalisés par des superprélèvements appliqués en cas de dépassement de quota.

* 16 Un compromis a été trouvé : les pénalités seront appliquées, l'État paiera en une fois, mais le paiement de l'éleveur sera étalé.

* 17 M. Michel Barnier fut ministre de l'agriculture dans le gouvernement Fillon (2007-2009), M. Jean Glavany fut ministre de l'agriculture dans le gouvernement Jospin (1998-2002).

* 18 Assemblée nationale, séance du 27 mai 2009.

* 19 Sénat, séance du 25 juin 2009.

* 20 Cour des comptes européenne, rapport spécial n° 4/93 sur les quotas laitiers, § 1.1.

* 21 Le stock de beurre atteindra près de 1,4 million de tonnes en 1987.

* 22 Lors du bilan de santé par exemple avec une hausse des QL de + 2 %pour l'Italie contre + 1 % pour les autres États.

* 23 Voir notamment le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'évolution de la situation du marché des produits laitiers (COM (2014) 354 final.

* 24 La restructuration est, il est vrai, moins rapide dans les douze nouveaux adhérents, de 2004-2007 malgré des quotas plutôt stricts. Cette relative inertie est liée à la présence de très nombreux micros élevages destinés à une autoconsommation.

* 25 Règlement UE n° 261/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 relatif aux relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers.

* 26 Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

* 27 Voir notamment le rapport d'information de M. Jean Bizet, Le rôle des OP dans la négociation des prix du lait , Sénat n° 721 (2011-2012).

* 28 Audition du 9 décembre 2014.

* 29 Lactalis, premier transformateur laitier mondial, Danone, troisième rang mondial, Bongrain, dix-huitième rang mondial.

* 30 Audition du 16 décembre 2015.

* 31 Jusqu'en 2008, les clauses de prix étaient des « recommandations », établies par l'interprofession laitière, le CNIEL. Ce système a été être supprimé en 2008 à la demande de la DGCCRF qui considérait ces recommandations interprofessionnelles comme une forme d'entente illicite, prohibée par le droit de la concurrence. Il a été remplacé par un dispositif plus neutre d'« indices de tendances » qui restent néanmoins assez proches des recommandations antérieures. Art. L632-14 du code rural, créé par l'article 141 de la loi n° 1425 du 28 décembre 2008 de finances pour 2009.

* 32 Audition du 16 décembre 2015.

* 33 Décret n° 2012/512 du 19 avril 2012.

* 34 Didier Guillaume et Philippe Leroy, rapport sur le projet de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, Sénat n° 386 (2012-2013).

* 35 Audition de M. Jens Schaps, directeur marchés agricoles à la DG AGRI de la Commission européenne, le 28 avril 2015.

* 36 Audition du 15 avril 2015.

* 37 Audition de M. Olivier Picot, président de la FNIL, 15 avril 2015.

* 38 Ministre conseiller de la RP polonaise à Bruxelles, entretien du 28 avril 2015.

* 39 Audition de M. Francis Amand, médiateur des contrats agricoles, le 9 avril 2015.

* 40 Audition de M. Denis Milleret, le 11 mars 2015.

* 41 Article L 551 du code rural et de la pêche maritime, introduit par l'article 15 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 pour l'avenir de l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

* 42 Le texte de base est le règlement OCM unique (règlement UE n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013) portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

* 43 Commission européenne - Prospects for Agricultural Markets and Income in the EU - 2011-2020 - Décembre 2011. Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO - 2014-2023 - Mars 2014

* 44 Exemple de primes et compléments de prix figurant dans les contrats de vente de lait entre l'OP Milleret et la fromagerie Milleret : prime froid, prime de contrat, prime de saisonnalité, prime multicritères, prime de groupement de vente...

* 45 Audition de M. Julien Turenne, le 2 décembre 2014.

* 46 M. Christophe Perrot, Dominique Caillaud, Vincent Chatellier, Myriam Ennifar, Gérard You , la diversité des exploitations et des territoires laitiers français face à la fin des quotas- 2 èmes Rencontres Recherches Ruminants - 3-4 décembre 2014.

* 47 Commission européenne - Prospects for agricultural markets - décembre 2014.

* 48 Les exemples sont légion : la crise de l'ESB, bien sûr, mais aussi au cours des derniers mois, on peut citer la peste porcine, décelée sur un sanglier en Lituanie et entraînant une suspension des importations de porc de toute l'Union européenne, ou bien la xylella, une bactérie qui s'attaque aux oliviers et qui a entraîné un arrêt total des exportations végétales de l'Italie vers le Maroc.

* 49 En 2014, deux des plus grands groupes laitiers mondiaux ont investi dans des usines de fabrication de lait infantile en Chine : Danone et Yashiti, Fonterra (NZ) et Beingmati.

* 50 Audition du 2 décembre 2014.

* 51 Voir notamment INRA - Sortie des quotas laitiers - état des lieux et perspectives en Europe - 2010.

* 52 Les sous-réalisations dans les nouveaux États membres peuvent être beaucoup plus importantes, mais les structures de production ne leur permettent pas encore d'être de véritables acteurs au niveau international. Le délaissement de la production laitière au Royaume-Uni est une énigme aux yeux de nombreux observateurs. Voilà un pays qui a le potentiel, le climat, l'herbe, un marché captif pour une grande production laitière et qui n'a jamais fait jouer ses avantages comparatifs.

* 53 C'est aussi le cas de l'Irlande - 5,7 %, entre les campagnes laitières 2008-2009 et 2009-2010, et des nouveaux États membres.

* 54 INRA, ibid .

* 55 Voir annexe.

* 56 Audition de MM. Olivier Blanchard, délégué filière laitière, et Yves Tregaro, chef d'unité productions animales, France Agrimer, 2 décembre 2014.

* 57 Audition de MM. Patrick Ferrère, délégué général et Philippe Faucon, du think tank « saf agr'iDées », 9 décembre 2014.

* 58 Audition de M. Henri Brichard, vice-président de la FNSEA, 25 février 2015.

* 59 France Agrimer - Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - « Stratégies de filière : pour une agriculture compétitive au service des hommes » - juin 2014.

* 60 C. Perrot, D. Caillaud, V. Chatellier, M. Ennifar, G. You - « La diversité des exploitations et des territoires laitiers français face à la fin des quotas » - décembre 2014.

* 61 ibid .

* 62 France Agrimer - « La dynamique des troupeaux laitiers » - février 2013.

* 63 Audition du 16 décembre 2014.

* 64 Compte rendu de l'entretien M. Andrej Babuchowski, ministre conseiller chef du service agricole de la représentation permanente polonaise - 29 avril 2015.

* 65 Compte rendu de l'entretien M. Hans Georg Hassenplug, directeur scientifique et de la coopération internationale, chambre d'agriculture du Land de Basse-Saxe - 13 février 2015.

* 66 C. Perrot, D. Caillaud, V. Chatellier, M. Ennifar, G. You - « La diversité des exploitations et des territoires laitiers français face à la fin des quotas » - décembre 2014.

* 67 France Agrimer - La dynamique des troupeaux laitiers français à l'approche de la fin des quotas - Février 2013.

* 68 France Agrimer. stratégies de filières, ibid

* 69 Mais une petite fraction d'une telle base : rappelons que un millième de la population chinoise représente pratiquement autant que les villes de Marseille et Lyon réunies !

* 70 Audition du 9 décembre 2014

* 71 Voir France-Agrimer : le marché mondial du lactosérum, septembre 2013.

* 72 Toutes ces préparations supposent également de la vanille, laissant entrevoir des coopérations fructueuses entre les régions laitières et les Antilles.

* 73 Rapport de la Commission, du Parlement européen et du Conseil - Évolution de la situation du marché des produits laitiers et de la mise en oeuvre du « Paquet lait » - COM (2014) 354 final - 13 juin 2014.

* 74 Les positions de la Commission européenne lors de la crise mondiale de 2007-2009 restent sur ce point particulièrement éclairantes !

* 75 Règlement UE n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés de produits agricoles.

* 76 Devant la COM Agri, le 25 mai 2015, le commissaire européen, Phil Hogan, a exclu tout relèvement du PI.

* 77 Jusqu'en 1999, le PI était débattu chaque année par le Conseil. « Un bon ministre est un ministre qui ramène de bons prix », avait coutume de dire le professeur Chalmin. Après 1999, le PI est fixé dans le règlement OCM.

* 78 Projet de rapport sur l'avenir du secteur laitier européen - Bilan de la mise en oeuvre du paquet lait - James Nicholson - Com Agri - 2014/2146 - 23 février 2015.

* 79 Simon Sutour - La place des actes délégués dans la législation européenne - Sénat n°  22 (2013-2014).

* 80 Commission - COM (2014) 354 final - 13 juin 2014 - p. 6 et 7.

* 81 Audition du 15 avril 2015.

* 82 Les conférences de bassin laitier ont été créées par décret en 2011. Elles étaient alors chargées de rendre un avis sur la mise en oeuvre des QL, en particulier sur les critères de redistribution des quotas. Décret n° 2011-260 du 10 mars 2011.

* 83 Audition de M. Tens Shaps, direction des marchés agricoles à la DG Agri - Commission européenne - 28 avril 2015.

* 84 54 milliards d'euros dans le budget 2015.

* 85 Une visite de la ferme dite des 1000 vaches a été organisée le 25 février 2015. Participaient à cette visite : M Jean Bizet, sénateur de la Manche, président de la commission des affaires européennes, M. Michel Raison, sénateur de Haute Saône, rapporteur de la présente mission, Mme Pascale Gruny, sénatrice de l'Aisne. M. Marcel Deneux, ancien sénateur de la Somme, accompagnait la délégation. Celle-ci a été reçue par M. Michel Welter, directeur de la ferme, ainsi que quelques éleveurs associés.

* 86 Le régime des regroupements d'élevage est fixé par le décret n° 2011-63 du 17 janvier 2011 relatif au regroupement et à la modernisation de certaines installations classées d'élevage. Les dispositions du décret permettent d'exonérer d'étude d'impact et d'enquête publique les regroupements et les modernisations d'élevages déjà soumis à la règlementation des installations classées lorsqu'ils répondent à certaines conditions. Au titre de ce régime simplifié, le pétitionnaire soumet au préfet un dossier démontrant que le regroupement ou la modernisation n'entraîne ni pollution de l'environnement ni nuisances pour le voisinage qui ne soient maîtrisées. Il ne doit en résulter, en particulier, aucune modification substantielle du plan d'épandage de l'installation ou du total des effectifs d'animaux. Pour l'installation de regroupement, l'effectif final doit être inférieur à deux fois l'effectif initial et l'augmentation de l'effectif doit rester inférieure à deux fois le seuil de l'autorisation, soit, par exemple, 200 vaches laitières (soit 500 vaches + 200 + 499 = 899 vaches).

* 87 Compte rendu de l'entretien avec M. Wiechering-Sudmann, gérant d'exploitation laitière à Diepholz - 12 février 2015.

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