C. LA CONFIDENTIALITÉ DES AVIS JURIDIQUES INTERNES

Comme on l'a vu précédemment, le défaut de toute confidentialité accordée aux avis juridiques échangés au sein de l'entreprise constitue, pour les entreprises françaises, un désavantage compétitif, qui peut peser sur la décision d'une société d'opter pour le droit français ou d'implanter en France sa direction des affaires juridiques.

Surtout, cette absence de confidentialité est susceptible de jouer contre la légalité, en conduisant les juristes d'entreprise à taire les objections juridiques qu'ils pourraient formuler ou à les transmettre de manière dissimulée afin d'éviter, si leur avis était saisi, qu'il soit utilisé pour prouver que l'entreprise a pris en connaissance de cause le risque juridique qu'ils lui avaient signalé.

Il apparaît donc opportun d'instaurer une telle confidentialité, pour peu qu'elle soit entourée de suffisamment de garanties pour éviter toute dérive.

Deux modèles sont envisageables.

Le premier modèle est celui d'un privilège de confidentialité qui serait la contrepartie du rôle de conseil juridique joué par le juriste d'entreprise. Il s'accompagnerait de la définition d'un certain nombre d'exigences déontologiques applicables aux intéressés, afin de parer à toute dérive. Telle est la solution retenue notamment par le droit belge.

Le second modèle, inspiré du droit anglo-saxon, est celui de l'avocat exerçant en entreprise. Ce dispositif présente le mérite de s'appuyer sur des corps de règle déjà connus, celui du secret professionnel de l'avocat et celui de la déontologie et de la régulation disciplinaire des ordres professionnels.

L'un et l'autre de ces deux modèles buttent toutefois sur la même difficulté : l'exercice salarié en entreprise implique nécessairement une relation de subordination entre l'employeur et le conseil juridique. Or, le juge peut considérer que ce rapport de subordination est incompatible avec la reconnaissance d'un privilège de confidentialité au profit du professionnel en cause.

Telle a été l'interprétation retenue par la Cour de justice de l'Union européenne 11 ( * ) . Son raisonnement s'articule en deux points. Tout d'abord, la Cour rappelle que la protection apportée aux échanges entre un avocat et son client « procède d'une conception du rôle de l'avocat, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin ». Cette protection, qui « a pour contrepartie la discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l'intérêt général », n'est donc justifiée qu'autant que l'avocat demeure bien indépendant de son client. Or, cette « exigence d'indépendance implique l'absence de tout rapport d'emploi entre l'avocat et son client ». La Cour en conclut que « la protection au titre du principe de la confidentialité ne s'étend pas aux échanges au sein d'une entreprise ou d'un groupe avec des avocats internes ».

L'arrêt de la Cour se limite toutefois à refuser l'opposabilité de ce principe de confidentialité invoqué par des avocats en entreprise salariés aux investigations conduite par la Commission européenne ou les services des institutions européennes. Il laisse toute latitude aux États membres pour retenir d'autres principes dans leur droit interne.

Le projet de loi précité pour la croissance et l'activité contenait initialement une demande d'habilitation à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la création d'un statut d'avocat en entreprise, devant permettre aux avis rendu par ces professionnels d'être couverts par le secret professionnel lié à la qualité d'avocat.

Toutefois, les vives contestations que cette disposition a soulevées, en particulier sur l'incompatibilité alléguée entre l'indépendance d'exercice propre à l'avocat et son recrutement en tant que salarié d'une société, ont conduit à la suppression de cette demande d'habilitation par l'Assemblée nationale.

Vos rapporteurs constatent toutefois que le problème reste entier et qu'en dépit de très nombreuses réflexions préalables, aucun des deux modèles ne fait l'unanimité. Il semble plus que jamais nécessaire que cette question soit tranchée, soit en faveur d'un privilège de confidentialité, soit en faveur d'un statut d'avocat en entreprise adapté aux conditions de l'exercice salarié .

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En conclusion de leurs travaux, vos rapporteurs souhaitent que les enjeux d'avenir et les questions pendantes qu'ils ont esquissées ne soient pas éludés. Ainsi, les deux questions aujourd'hui fondamentales de la protection du secret des affaires et de la confidentialité des avis juridiques internes devront être traitées, quelles qu'en soient les modalités, à brève échéance.

Ils estiment également que, dans l'intérêt de l'économie française et de nos entreprises, il convient de procéder régulièrement à une évaluation du droit français des entreprises à l'initiative de votre commission des lois, qui ne peut se satisfaire de la simple addition de mesures de simplification.


* 11 CJUE, 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals c. Commission , C-550/07 P.

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