b) Une activité économique qui reste accessoire à la mission culturelle

Le groupe de travail a particulièrement été frappé par la façon dont tous les projets économiques menés par le CMN sont appréhendés. Ils s'inscrivent tous dans une logique où « l'économie est au service du culturel », selon l'expression utilisée par Mme Isabelle Lesmesle au cours de son audition. La recherche de ressources propres plus importantes ne doit jamais se faire au détriment de l'accès à la culture qui constitue la mission première de l'établissement public administratif.

L'action du CMN dans le domaine de la valorisation touristique du patrimoine monumental illustre bien ce constat. Il s'agit de mettre en oeuvre l'objectif défini par une convention « Culture-Tourisme », signée le 6 novembre 2009 par le ministre de la culture et le secrétaire d'État en charge du tourisme : favoriser l'innovation et les pratiques de valorisation touristique portant sur le patrimoine monumental. Cette nouvelle orientation a suscité des craintes chez nombre de personnes auditionnées : elles refusent le développement des modèles de paradores espagnols dont plusieurs membres du groupe de travail ont d'ailleurs constaté personnellement les carences consternantes en matière d'information culturelle pour les visiteurs.

Cependant, l'approche développée par le CMN est toute autre puisqu'il a décidé de lancer des études visant à apprécier la « faisabilité » de projets d'hébergement au sein de 20 monuments nationaux , dans le strict respect de la mission de service public culturel. Ainsi, l'agence Atout France a-t-elle été désignée comme maître d'ouvrage pour ce projet d'étude dont un extrait est présenté ci-dessous.

ÉTUDE SUR LES CONDITIONS DE CRÉATION DE STRUCTURES D'HÉBERGEMENTS DANS LES MONUMENTS NATIONAUX

PÉRIMÈTRE DE L'ÉTUDE

L'étude portera sur les 20 monuments suivants :

- le château d'Assier dans le Lot ;

- le château de Bussy-Rabutin en Côte-d'Or ;

- le château de Cadillac en Gironde ;

- le château de Carrouges, dans l'Orne ;

- la Cité de Carcassonne, dans l'Aude ;

- le château de Champs-sur-Marne, en Seine-et-Marne ;

- le château de Chareil-Cintrat, dans l'Allier ;

- le château de Gramont, dans le Tarn-et-Garonne ;

- le château de Jossigny, en Seine-et-Marne ;

- le château de la Motte-Tilly, dans l'Aube ;

- l'Hôtel de Lunas, dans l'Hérault ;

- l'Hôtel de Sade, dans les Bouches-du-Rhône ;

- la place forte de Mont-Dauphin, dans les Hautes-Alpes ;

- l'abbaye de Montmajour, dans les Bouches du Rhône ;

- le château d'Oiron, dans les Deux-Sèvres ;

- le domaine national de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine ;

- l'abbaye de la Sauve-Majeure, en Gironde ;

- le monastère de Saorge, dans les Alpes Maritimes ;

- la forteresse de Salses, dans les Pyrénées Orientales ;

- le fort Saint-André, dans le Gard à proximité d'Avignon.

CHAMP GÉNÉRAL DE L'ÉTUDE

Première phase : Diagnostic d'opportunité

Pour chacun des 20 monuments, le prestataire étudie l'opportunité de développer une offre d'hébergements et propose différents scénarii envisageables tout en décrivant les pré-requis nécessaires à la mise en oeuvre et au bon fonctionnement de cette activité d'hébergement.

Le prestataire procède à l'analyse de chacun des 20 monuments au regard :

- des espaces disponibles susceptibles de permettre l'implantation des hébergements et des services et prestations associés indispensables (restaurants par exemple) : voir les observations particulières pour chaque monument notées ci-dessous ;

- de la fréquentation du monument (document remis par le CMN) et de la cohabitation entre visite des lieux et exploitation hôtelière ;

- du potentiel touristique de la destination ;

- de l'offre d'hébergement concurrentielle environnante ;

- des flux touristiques (hors excursionnistes) ;

- de la clientèle cible (typologie, groupes séminaires, groupes touristes étrangers, individuels, niveau de gamme, ...) ;

- des contraintes règlementaires liées à l'implantation d'hébergement notamment dans des sites classés au titre de la législation « monument historique », y compris les problèmes d'accessibilité ;

- du développement d'autres activités marchandes (séminaires, incentives, soirées privées...) en complément ou indépendamment.

Au terme de cette première phase le prestataire indiquera quels types d'offre d'hébergements (niveau de gamme, dimensionnement,...) peuvent être envisagés ou pas pour chacun des monuments analysés et explicitera ses conclusions favorables ou non à l'implantation d'un tel équipement.

Seconde phase : Étude de faisabilité technique et de viabilité économique

Pour chacun des monuments sélectionnés à l'issue de la première phase, le prestataire déterminera les conditions nécessaires à la création de la structure d'hébergements préconisée et présentera des bilans prévisionnels d'exploitation et d'investissement, ainsi que toute simulation financière complémentaire utile. Il précisera notamment :

- les surfaces indispensables à l'exploitation de la structure ;

- la nature des aménagements à effectuer : chambres, espaces communs, installations techniques et réseaux, équipements pour la restauration éventuelle, sanitaires, etc. ;

- la saisonnalité ou non de l'ouverture ;

- le niveau de prix recommandé et les recommandations en terme de marque ;

- le type de concession envisageable, comprenant notamment la participation éventuelle du cocontractant à l'investissement et le montant de la redevance exigible ;

- une hypothèse budgétaire du coût d'investissement et d'exploitation ;

- une simulation de fréquentation ;

- une hypothèse de chiffres d'affaires.

À l'issue de cette seconde phase, pour chacun des monuments analysés et sous forme de cahier des charges, le prestataire indiquera les modalités économiques, juridiques et financières adaptées à l'exploitation du service d'hébergement.

Source : Centre des monuments nationaux - Extrait du document de présentation de l'étude.

Le CMN pourra apprécier, au regard des possibilités techniques, si l'installation de structures d'hébergement est pertinente. Lors de son audition, le directeur général d'Atout France, M. Christian Mantéi, a fortement insisté sur la prise en compte des contraintes culturelles qui sont autant de défis pour un projet d'hébergement : accessibilité des lieux, impact des horaires d'ouverture et des flux de visiteurs pour apprécier la gêne qui pourrait naître pour des clients, dynamique du territoire, etc. Le groupe de travail a ainsi pu être rassuré sur le modèle qui pourrait devenir celui de la valorisation touristique des monuments nationaux.

LES « HÔTELS DU PATRIMOINE » EN INDE

Extrait de l'intervention transmise par Mme Namrata Kumar, conseiller presse, information et culture de l'ambassade de l'Inde en France, à l'issue de son audition du 24 mars 2010.

La gestion des hôtels du patrimoine est un domaine où les sociétés jouent un rôle actif. En dehors des acteurs majeurs du secteur hôtelier tels que Taj, Oberoi, et ITC, plusieurs autres hôtels appartiennent à des descendants d'anciens dirigeants et aristocrates. Le ministère du tourisme classe les hôtels du patrimoine de cette manière :

- Le patrimoine de base - Cette catégorie inclut les hôtels qui se trouvent dans des résidences, havelis, pavillons de chasse, châteaux, forts et palais construits avant 1950. Les hôtels de cette catégorie doivent avoir au minimum cinq chambres (10 lits).

- Le patrimoine classique - Cette catégorie inclut les hôtels qui se trouvent dans des résidences, havelis, pavillons de chasse, châteaux, forts et palais construit avant 1935. Les hôtels de cette catégorie doivent avoir un minimum de 15 chambres (30 lits).

- Le grand patrimoine - Cette catégorie inclut les hôtels qui se trouvent dans des résidences, havelis, pavillons de chasse, châteaux, forts et palais construits avant 1950. Les hôtels de cette catégorie doivent avoir un minimum de cinq chambres (dix lits). Toutes les chambres de cette catégorie d'hôtels doivent avoir l'air conditionné.

- Le patrimoine de la Renaissance - Cette catégorie inclut les hôtels qui se trouvent dans des résidences, havelis, pavillons de chasse, châteaux, forts et palais construits avant 1950. Les hôtels de cette catégorie doivent avoir un minimum de cinq chambres (dix pièces). Cette catégorie inclut les propriétés construites avant 1950 qui ont été démontées et reconstruites dans de nouveaux lieux.

Les acteurs reconnus du secteur hôtelier comme Taj et Oberoi sont fiers d'utiliser leurs propriétés du patrimoine. Taj gère des palais et des pavillons de safari rustiques comme le Fort Aguada Beach Resort à Goa, l'Usha Kiran Palace à Gwalior, le Rambagh Palace à Jaipur, l'Umaid Bhawan Palace à Jodhpur et le Sawai Madhopur Lodge à Ranthambore à Sawai Madhopur. Les Oberois possèdent des propriétés faisant partie du patrimoine comme par exemple l'Oberoi Cecil à Shimla et le Maidens à Delhi.

Le respect de la mission de service public culturel semble également primer sur les objectifs économiques de développement des ressources propres. C'est ce qu'a constaté le groupe de travail lors de la présentation des différents travaux sur les monuments visités, ou au cours de ses auditions. Le rôle de chef d'orchestre du CMN pour tous les projets à dimension économique constitue, pour votre commission, une garantie du respect de ce principe . Elle apparaît comme une voie à privilégier, ce que vient conforter l'exemple italien.

Ainsi, au cours de son déplacement à Rome, le groupe de travail a pris connaissance de l'évolution de la dynamique économique qui caractérise les lieux de culture, qu'il s'agisse des musées ou des monuments ouverts à la visite. L'association Civita, qu'il a rencontrée, est un organisme à but non lucratif regroupant 160 partenaires publics et privés. Elle est devenue un acteur du monde culturel à part entière. Cette association a su développer une expertise dans tous les domaines de la culture et, faisant appel aux compétences de professionnels de la restauration ou de l'animation, a pu ainsi répondre à de nombreux appels d'offres lancés pour organiser les services des lieux culturels. Toutefois, la logique aujourd'hui développée par le ministère 27 ( * ) des biens culturels italien semble subir une certaine inflexion. Ce dernier semblerait désormais privilégier la rentabilité économique et promouvoir les professionnels indépendants dans chaque domaine concerné, au détriment de ceux associés à des acteurs tels que Civita qui ont pourtant une expertise d'ensemble des problématiques culturelles. La coordination des délais d'appels d'offres entre tous les prestataires sans une vision commune entraîne pourtant des difficultés. Ainsi, lors de sa visite au Château Saint-Ange, le groupe de travail a constaté que plusieurs services (billetterie, restauration) ne fonctionnaient pas, la sélection des nouveaux prestataires ayant été retardée par manque de coordination globale. Il existerait donc une tendance au « saucissonnage » des services offerts aux visiteurs, dont le groupe de travail a pu mesurer les risques.

Cependant, cette observation doit être nuancée par les projets d'hébergement décrits par le président de la commission de la culture du Sénat italien lors de son audition du 5 mai 2010. En effet, le 25 février 2009, l'association Civita et l'association nationale des constructeurs immobiliers ont, avec le soutien des fondations bancaires 28 ( * ) , présenté le projet dénommé « Hôtels de la culture ». Ces hôtels se distingueront d'autres types tels que les paradores espagnols ou les pousadas portugaises dans la mesure où ils seront conçus pour promouvoir l'intégration entre l'offre touristique (qualité de l'hébergement) et l'offre culturelle (présentation de l'histoire des lieux, programmation d'événements culturels avec des artistes locaux, etc.) du territoire.

Forte de ces constats, votre commission rappelle son attachement à :

- un développement économique respectueux de la vocation culturelle des monuments historiques ;

- une politique nationale ou locale qui appréhende les monuments historiques comme un tout, et non pas comme la juxtaposition de parcelles classées où chacune aurait une vocation distincte (culturelle d'un côté, économique de l'autre) ;

- la stratégie telle que définie aujourd'hui par le Centre des monuments nationaux dont le savoir-faire et l'expertise globale constituent un outil précieux pour la mise en oeuvre d'une politique patrimoniale nationale respectueuse de ses monuments nationaux.


* 27 dont la direction de la valorisation du patrimoine vient d'être créée. En Italie, la conservation et la protection du patrimoine est une compétence de l'État (article 117 de la constitution), tandis que la valorisation est une compétence partagée entre l'État (qui définit les principes fondamentaux) et les régions (qui ont une compétence législative qu'elles définissent dans le respect de ces principes). En outre, le code des biens culturels prévoit que les régions et autres collectivités décentralisées coopèrent avec le ministère des biens culturels dans l'exercice des fonctions de protection.

* 28 Les fondations bancaires ont un rôle prééminent dans le domaine culturel en Italie et contribuent en grande partie au financement de tous les projets culturels.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page