2. Une absence contestée

La position de principe de la Cour de cassation, dont la formulation ne laisse augurer aucune exception, est contestée .

Elle l'est, en premier lieu, pour des considérations d'équité ou, à tout le moins, d'intérêt social.

M. Pierre Sargos, président du groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, a indiqué qu'une consécration de l'obligation de diminuer le dommage serait de nature à renforcer la place du principe de bonne foi dans le cadre du droit de la responsabilité, en particulier en matière contractuelle.

Il peut par ailleurs être souhaitable, du point de vue de l'intérêt général, que le coût de la responsabilité -qui pèse en définitive sur l'ensemble du corps social- soit réduit lorsque la victime est à même d'y contribuer par un comportement proportionné.

La contestation de la position de principe arrêtée par la Cour de cassation découle, en second lieu, de l'existence de ce type d'obligation dans d'autres systèmes juridiques, à commencer par le droit anglais et le droit américain. Cette obligation est aussi reconnue par les droits écossais et irlandais. La « mitigation » du dommage est en effet, avant tout, une notion de common law .

« The duty to mitigate the damage »

Institution de la common law , l'obligation de diminuer le dommage est présente tant en droit anglais qu'en droit américain, au niveau des États fédérés et de l'État fédéral.

Elle s'analyse comme le fait, pour le juge, de tenir compte dans le calcul des dommages et intérêts, le plus souvent dans un cadre contractuel, des efforts « raisonnables » fournis par le créancier pour limiter la valeur de son préjudice .

L'obligation de diminuer le dommage est une institution essentielle de la common law . La doctrine a même pu relever que « la modération du dommage occupe un rôle explicatif central au sein de la common law du contrat ; (...) elle exprime à elle seule un choix idéologique, ou de politique juridique, relatif à la place qu'il convient de reconnaître à la poursuite de l'efficience économique ou si l'on veut, aux besoins du marché, dans le régime juridique des échanges. » 61 ( * )

On estime en général que si cette obligation a pu prospérer au sein de la common law , c'est également que le préjudice y est apprécié, contrairement au droit français, à la date du dommage et non au jour où le juge statue.

Cette obligation se traduit, selon les hypothèses, soit par une obligation d'action , soit par une obligation d'abstention .

En tout état de cause, lorsque la victime a exposé des dépenses particulières afin de diminuer son préjudice, elle a droit au recouvrement des frais ainsi exposés, même si la mesure prise n'a pas permis une diminution effective, dès lors que, raisonnablement, elle aurait pu le permettre 62 ( * ) .

Pour autant, cette obligation est également présente dans certains droits d'inspiration civiliste. Tel est le cas, en particulier, du Québec, dont le code civil dispose, dans son article 1479, que « la personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter ».

Les constructions doctrinales au niveau international et européen retiennent également une telle obligation, tout au moins en matière contractuelle.

Les Principes du droit européen des contrats , établis par la Commission pour le droit européen des contrats, instituée dès 1980 à l'initiative du professeur Ole Lando, prévoient ainsi que le débiteur n'est pas tenu du préjudice souffert par le créancier pour autant que ce dernier aurait pu le réduire en prenant des mesures raisonnables. En conséquence, le créancier a droit au remboursement de tous frais qu'il a raisonnablement engagés en tentant de réduire le préjudice 63 ( * ) .

L'Institut international pour l'unification du droit privé ( Unidroit ), organisation intergouvernementale à laquelle la France est partie, a établi des Principes relatifs aux contrats du commerce international dont la version adoptée en 2004 comporte une obligation semblable. Aux termes de leur article 7.4.8, le débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier aurait pu l'atténuer par des moyens raisonnables, tandis que le créancier peut recouvrer les dépenses raisonnablement occasionnées en vue d'atténuer le préjudice.

Dans ce contexte, le groupe de travail présidé par M. Pierre Catala a proposé la consécration en droit français de l'obligation de diminuer le dommage.

Il a suggéré que le juge puisse tenir compte de la possibilité qu'avait la victime de réduire l'étendue de son préjudice ou d'en éviter l'aggravation, par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, afin de réduire son indemnisation. Cette mesure ne trouverait néanmoins pas à s'appliquer lorsque les mesures sont de nature à porter atteinte à son intégrité physique 64 ( * ) .

Comme l'a souligné devant vos rapporteurs Mme Geneviève Viney, professeur émérite de l'université de Paris 1, rédacteur de cette disposition, la reconnaissance de cette possibilité de modération répond au souci de responsabiliser les victimes.

* 61 H. Muir Watt, La modération des dommages en droit anglo-américain, Petites affiches, 2002, n° 232, p. 45.

* 62 Court of appeal of England and Wales, affaire Wilson v. United Counties Bank, 1920.

* 63 Article 9:505 des Principes.

* 64 Article 1373 de l'avant-projet de réforme du droit des obligations.

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