Rapport d'information n° 361 (2007-2008) de Mme Fabienne KELLER , fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, déposé le 28 mai 2008

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N° 361

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 mai 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la Délégation pour l'Union européenne (1) sur la proposition de règlement établissant des normes d' émissions de CO 2 des voitures neuves (Texte E 3756),

Par Mme Fabienne KELLER,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Charles Josselin, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Alex Türk.

proposition de règlement sur les émissions
de co 2 des voitures particulières
COM (2007) 856 final

Cette proposition de règlement vise à réduire les émissions de CO 2 des voitures particulières dans l'Union européenne. Cet objectif serait atteint par la fixation d'une norme de rejet d'émission, applicable à la moyenne des émissions de CO 2 des automobiles neuves vendues en Europe, et assortie de pénalités en cas de dépassement.

Ce texte a fait l'objet d'un premier examen par la délégation, le 30 avril dernier, limité aux questions juridiques et institutionnelles. Mais la délégation avait aussi souhaité une analyse au fond, qui fait l'objet du présent rapport.

Malgré un objectif consensuel et une évidente adhésion au principe, la proposition de règlement appelle quelques réserves.

I. ELÉMENTS DE CONTEXTE

A. L'ENGAGEMENT EUROPÉEN DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Depuis dix ans, devant le renforcement des certitudes scientifiques sur la menace d'un changement climatique, l'Europe a multiplié ses engagements en vue de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, en particulier le dioxyde de carbone (CO 2 ), qui représente à lui seul plus de 80 % du potentiel de réchauffement de la planète. On rappellera que la source de CO 2 est la combustion de combustibles fossiles (essentiellement charbon, pétrole).

Il y a dix ans, le protocole de Kyoto adopté en 1997 avait constitué un tournant symbolique : les signataires s'engageaient à réduire les émissions de CO 2 de 5,2 % d'ici 2012 par rapport à 1990. L'Europe se fixait même un objectif plus contraignant de - 8 %.

L'examen à mi-parcours a montré que cet engagement ne serait pas tenu. Certes, dans ses motifs, la Commission se veut apaisante en mentionnant une diminution de 5 % en quinze ans (1990-2004), mais tout dépend des années de comparaison. Les émissions se sont à nouveau accrues de 2 % depuis 2002. En 1995 et 2004, les émissions de CO 2 a ont augmenté de 8 % dans l'Europe des Quinze. Les vingt-sept États membres de l'Union européenne dégagent 4,2 milliards de tonnes de CO 2 . Les émissions émanent surtout des pays les plus peuplés et les plus urbanisés. L'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie concentrent à eux seuls près de la moitié des émissions totales européennes (voir annexe 1).

Face à cet échec annoncé, plutôt dramatique sur le plan environnemental et sur le plan politique, l'Union européenne a adopté, au cours des derniers mois, une série de mesures sectorielles plus restrictives. Trois dispositions peuvent être rappelées.

En mars 2007, le Conseil européen prenait « l'engagement ferme de réduire les émissions totales de gaz à effet de serre de 20 % d'ici 2020 » .

Fin 2007, la Commission adoptait une série de propositions de règlements sur l'utilisation des véhicules. On peut citer des normes sur la qualité des carburants ; des normes d'émissions polluantes des véhicules utilitaires dites normes Euro VI. On retiendra toutefois qu'il s'agit de la sixième modification depuis 1990, et que ces normes portent sur les émissions d'oxyde d'azote (Nox) et de particules pour les poids lourds et non sur les émissions de CO 2 ; enfin, la présente proposition porte sur l'émission de CO 2 des voitures particulières neuves.

Dernière initiative : en janvier 2008, la Commission adoptait quatre propositions législatives communes sous le nom de « paquet énergie climat », à la suite des conclusions du Conseil européen du 9 mars 2007 visant à développer une politique européenne en faveur du climat et de l'énergie. Ce « paquet » porte sur le système d'échanges des permis d'émissions, sur le contrôle des gaz à effet de serre autres que le CO 2 , sur la promotion d'énergies renouvelables et « d'investissements dans des technologies novatrices à haut rendement énergétique et à faible émission de composés carbonés ». Le paquet énergie climat rappelle enfin l'engagement déjà pris l'année précédente de réduire globalement de 20 % d'ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre.

La présente proposition est donc un élément d'un ensemble ambitieux visant, soit par l'incitation, soit par la sanction, à maîtriser les émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique, probables clés de risques climatiques majeurs.

B. LE CONTRÔLE DES ÉMISSIONS DE CO2 DES VOITURES PARTICULIÈRES

Le contrôle des émissions de CO 2 des voitures particulières (VP) est au coeur de l'engagement européen contre le changement climatique. Outre la raison technique évidente, la mobilisation européenne s'explique aussi par la faible portée des engagements volontaires.

1. Les voitures particulières prennent une part importante dans les émissions de CO2

Si l'on met à part quelques exceptions tout à fait marginales, le secteur du transport routier fonctionne intégralement sur la combustion des produits pétroliers. Les émissions du secteur transport routier comprennent principalement les émissions des voitures particulières (VP) et les émissions des véhicules utilitaires de livraison et de transport. La part relative du secteur automobile dépend à la fois du taux d'équipement automobile et de l'importance prise par les émissions des autres secteurs.

Pour donner quelques repères :

- les VP représentent 12 % des émissions totales de CO 2 en Europe (10 % au niveau mondial) ;

- en France, le secteur routier représente, selon les sources, entre 26 % et 30 % des émissions totales de CO 2 ;

-  en France, les émissions de CO 2 du secteur routier proviennent de deux sources : les VP et les véhicules utilitaires et poids lourds représentent respectivement 58 % et 40 % de l'ensemble (voir tableaux en annexe 2).

2. Certains engagements ont été mal respectés

Dès 1995, la Commission a adopté une communication établissant une « stratégie communautaire » [COM (1995) 689 final], puis une recommandation en 1999 visant à réduire les émissions de CO 2 des voitures particulières. Le niveau moyen d'émissions des voitures particulières neuves en Europe était alors de 186 g/km. L'objectif fixé à l'horizon 2005 (ou « au plus tard, 2010 »), était de 120 g/km. Cette stratégie a été complétée en 2000 par une décision du Parlement européen et du Conseil établissant « un programme de surveillance » des émissions de CO 2 des voitures particulières (décision 1753/2000 du 22 juin 2000). De leur côté, en 1998, les constructeurs européens, par la voie d'un engagement volontaire de l'association des constructeurs européens d'automobiles, avaient repoussé cette limite jusqu'en 2012, mais s'étaient fixés comme objectif intermédiaire de parvenir à 140 g de CO 2 par kilomètre d'ici 2008.

Force est de constater que ces objectifs n'ont pas été et ne seront pas atteints et que les résultats ont été décevants. Une diminution moyenne a bien été constatée, mais bien en-deçà des objectifs : le niveau moyen en Europe a été réduit de 186 g/km en 1995 à 160 g/km en 2006. Le mouvement de baisse, très net dans les années 90, s'est ralenti au cours des dernières années (voir annexe 3). Mais cette réduction du niveau moyen des émissions de CO 2 a été plus que compensée par un effet de masse, lié à l'augmentation du parc automobile et du trafic en relation directe avec l'amélioration du niveau de vie en particulier dans les nouveaux États membres. Ainsi, au total, la réduction d'émissions, calculée en moyenne au niveau européen, a été beaucoup plus faible que prévu et qu'espéré. Pire même : tandis que l'Union européenne est parvenue à stabiliser ses émissions globales, les émissions dues au transport individuel routier ont, elles, augmenté de 26 % entre 1990 et 2004 !

Devant ce constat d'échec relatif, et pour respecter les engagements européens dans le domaine de l'environnement, la Commission a été conduite à faire cette proposition de règlement.

II. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT

A. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT

Le dispositif est articulé autour de deux volets.

- En premier lieu, la proposition de règlement fixe une norme d'émission pour les voitures particulières. L'objectif est de 120 g d'émission de CO 2 par kilomètre à l'horizon 2012. Il s'agit d'un objectif moyen valable pour l'ensemble de l'Union européenne. Ce niveau sera atteint par deux mesures. La principale est une limitation des émissions directes à 130 g/km ; la réduction supplémentaire de 10 g pour parvenir à l'objectif résulterait de mesures d'accompagnement sur les pneumatiques, la climatisation, etc...

Le seuil s'applique aux voitures neuves vendues et immatriculées en Europe. La mesure s'applique donc aussi bien aux voitures vendues par les constructeurs européens qu'aux voitures vendues en Europe par les constructeurs non européens.

Le seuil est une moyenne calculée sur l'ensemble des émissions de CO 2 des véhicules vendus en Europe. Cette disposition est fondamentale : il ne s'agit pas d'une norme unique par véhicule, mais d'une norme globale qui doit conduire à un niveau moyen d'émission en Europe de 130 g/km. Cette norme est ensuite déclinée par constructeur. Chaque constructeur se voit désigner une cible propre en fonction des caractéristiques liées au type de véhicule qu'il fabrique.

En effet, la quantité de rejets de CO 2 est très variable selon la puissance et le poids de la voiture. Les émissions suivent une règle simple : plus un véhicule est lourd ou puissant, plus il consomme en carburant ; et plus il consomme, plus les émissions de CO 2 sont élevées. Une norme unique par véhicule avantagerait les petites voitures au détriment des grosses voitures qui seraient toutes au-delà du seuil. Pour éviter cette discrimination, les constructeurs de grosses voitures se voient appliquer une norme d'émission distincte des constructeurs dits généralistes ayant une large gamme de petites voitures. Ainsi, ces derniers ont une cible inférieure à 130 g, tandis que les constructeurs de grosses voitures ont une cible supérieure à 130 g. Les constructeurs peuvent cependant se regrouper par pool et former des alliances qui permettent de calculer le seuil autorisé au niveau du pool et non entreprise par entreprise. L'objectif est que les rejets moyens globaux européens soient de 130 g/km.

- En second lieu, le dispositif est contraignant puisque le dépassement de ce seuil est assorti de pénalités financières . Ces pénalités - qui s'analysent au sens budgétaire comme des amendes - s'appliqueraient à compter de 2012 et sont le produit de trois facteurs :

1/ le dépassement, exprimé en grammes par kilomètre, par rapport à la cible ;

2/ le nombre de voitures vendues en Europe ;

3/ un prix du gramme de CO 2 excédentaire.

Ce prix augmenterait avec le temps et passerait de 20 euros le gramme en 2012 à 35 euros en 2013, 60 euros en 2014 et 95 euros à partir de 2015.

B. LES APPORTS DE LA PROPOSITION

Si ce texte constitue « une chance pour l'innovation » selon l'expression du commissaire aux entreprises Günter Verheugen, il apporte aussi une contrainte nouvelle aux constructeurs. Cette contrainte est souvent très mal ressentie de la part d'industriels qui rappellent que 88 % des émissions anthropiques de CO 2 ne sont pas liées au transport automobile, et que la plupart ont fait de gros efforts de maîtrise des pollutions. Néanmoins, l'effort de la Commission mérite d'être soutenu.

1. Est-ce à l'Union européenne d'imposer des règles communautaires sur les émissions de CO2 ?

Nul ne peut disconvenir que l'objectif de contrôle des émissions de CO 2 ne peut être atteint que par une action au niveau communautaire (à défaut d'une action mondiale qui, seule, serait véritablement efficace). L'augmentation des émissions de CO 2 due au transport des voitures est le signe de l'insuffisance des recommandations institutionnelles et des démarches volontaristes des constructeurs automobiles. L'action des industriels pour maîtriser les émissions est en effet variable et l'attraction des consommateurs pour certains modèles est une donnée du marché dans lequel les préoccupations environnementales n'interviennent pas. Un monospace par exemple consomme et rejette 20 g de plus qu'une berline classique ; le dernier modèle de Porsche dégage 300 g/km (cf. publicité parue dans Le Monde du 11 avril 2008), un célèbre 4x4 « exotique » dégage jusqu'à 346 g de CO 2 par kilomètre...

On pourra noter que la France est bien placée dans ce domaine. D'abord parce que le marché français est plutôt orienté vers des voitures de petite et moyenne gamme relativement peu consommatrices de carburant et par conséquent peu émettrices de CO 2 , ensuite parce que les constructeurs français ont fait de gros efforts pour réduire ces émissions. Ainsi, si le niveau moyen d'émission de CO 2 des voitures mises en circulation en Europe est de 160 g/km en 2007, la moyenne en France est à 149 g. Les deux constructeurs Peugeot et Renault enregistraient les meilleurs résultats avec respectivement 140 g et 143 g, loin devant la plupart des autres constructeurs (voir annexe 4).

2. Les normes fixées sont-elles trop rigoureuses ?

L'Europe, le monde, ne peuvent se satisfaire de demi-mesures. Chaque année, le constat sur le dérèglement climatique se fait plus précis et plus inquiétant. L'Europe doit s'engager dans cette lutte. Même s'il est désespérant que d'autres pays développés ne s'engagent pas autant dans la lutte contre le changement climatique, même si le consommateur européen, écartelé entre l'attention au pouvoir d'achat et sa conscience citoyenne, privilégie les produits en provenance de pays encore fort peu attentifs à ces questions, l'Europe doit prendre sa place, toute sa place, dans ce combat mondial. L'exemple de l'Europe, prise à défaut malgré son engagement en faveur du protocole de Kyoto, est un très mauvais signal. L'Europe peut et doit prendre la première place dans ce combat humanitaire et cette responsabilité. Le modèle écologique européen s'imposera tôt ou tard au reste du monde.

Certes, la norme sera très contraignante pour les constructeurs (la réglementation s'applique aux seules voitures neuves et non aux émissions de CO 2 dans un pays déterminé ou dans l'ensemble de l'UE.). Mais le défi climatique mondial impose certainement ce type de mesures. D'ailleurs la norme n'est pas impossible à atteindre. Des véhicules hybrides (propulsion électrique et essence) ont des taux d'émission inférieurs à 100 g/km.

3. Les pénalités prévues sont-elles excessives ?

L'argument est fréquemment soulevé par les constructeurs. Le prix du gramme (95 euros par gramme de dépassement à partir de 2015) est en effet supérieur au prix du carbone habituellement retenu dans les instances internationales et peut conduire à des pénalités considérables, supérieures à un milliard d'euros par constructeur généraliste. Pourtant, il faut accepter l'idée qu'il n'y aura pas de changement de comportement sans contrainte forte : c'est la hausse du prix du pétrole qui a fait diminuer la consommation pétrolière ; c'est la multiplication des amendes pour excès de vitesse qui a fait réduire la vitesse sur les routes. L'engagement volontaire est souvent insuffisant.

On pourra cependant discuter de la mise en oeuvre de ces pénalités. Dès lors qu'il faut compter de l'ordre de huit ans pour réaliser un moteur neuf, l'application de pénalités dès 2012 paraît injuste. Le système est ainsi conçu que, quel que soit son choix, qu'il s'adapte ou non, l'industriel est soumis à des coûts supplémentaires !

Cette grande injustice pourrait être réparée soit par une diminution ou un report des pénalités, soit, plutôt, par une modulation des pénalités en fonction de l'importance du dépassement . Il s'agit de faire en sorte que les dépassements à la marge de 2, 3 ou 5 grammes (niveau à débattre) soient moins pénalisés que les dépassements de 10, 20 grammes ou au-delà.

C. L'ANALYSE DU TEXTE SUR LE PLAN DE LA SUBSIDIARITÉ ET DE LA PROPORTIONNALITÉ

Le 30 avril 2008, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a procédé à un examen de la compétence de la Commission au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité. Il suffit de reprendre cette analyse :

« À l'évidence, cette proposition ne soulève pas de difficulté sur le plan de la subsidiarité . Il suffit de considérer la définition du principe telle qu'elle figure dans les traités pour le constater : on est typiquement dans un cas où « les objectifs de l'action envisagée » - c'est-à-dire la réduction des émissions de CO 2 - « peuvent, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire » . (...) L'argument supplémentaire qu'ajoute la Commission de vouloir éviter une « fragmentation » du marché intérieur est inutile, puisqu'en l'occurrence le respect de la subsidiarité est indiscutable (...). Il paraît donc préférable que la Commission s'en tienne à l'argument parfaitement suffisant suivant lequel la réduction de CO 2 sera plus efficace si elle s'applique à toute l'Union.

« Sur le plan de la proportionnalité , la proposition de la Commission paraît en revanche critiquable.

« En effet, le principe de proportionnalité implique que les moyens soient bien adaptés au but poursuivi, qu'ils ne soient pas inutilement lourds et complexes, et qu'ils ne portent pas atteinte à des principes fondamentaux d'une manière disproportionnée par rapport à l'intérêt général poursuivi. Or, la proposition de la Commission ne paraît pas satisfaisante au regard de ces critères.

« Les moyens retenus ne paraissent pas bien adaptés au but poursuivi puisque, dans l'état actuel, la proposition fixe des normes moins sévères pour les véhicules plus lourds et donc plus polluants, ce qui n'est pas en harmonie avec le but recherché.

« Ensuite, le dispositif est inutilement lourd et complexe.

« Enfin, la proposition porte atteinte au principe d'égalité par rapport aux avantages attendus en termes d'intérêt général. Il paraît notamment contraire au principe d'égalité que des constructeurs de voitures très polluantes puissent s'allier pour l'occasion avec des constructeurs spécialisés dans les voitures peu polluantes et se soustraire de cette manière à toute pénalité. Certes, on peut admettre une atteinte limitée à un principe fondamental pour avoir en contrepartie un avantage important en termes d'intérêt général. Mais tel n'est pas le cas ici, puisqu'il y a une atteinte au principe d'égalité sans véritable bénéfice en termes d'intérêt général.

« Il semble donc que la proposition soit critiquable du point de vue du principe de proportionnalité, l'argument essentiel étant que l'objectif poursuivi pourrait être atteint d'une manière plus efficace, plus simple, et moins dérogatoire au principe d'égalité, en adoptant un mécanisme de bonus/malus . »

III. APPRÉCIATION CRITIQUE AU FOND

Outre ces observations d'ordre institutionnel et malgré l'objectif consensuel affiché, ce texte appelle au fond de sérieuses réserves. Le système proposé par la Commission est à la fois complexe, discutable et présente des risques d'effets pervers non négligeables.

A. UNE RÉGLEMENTATION COMPLEXE

1. Le système proposé par la Commission

La Commission a choisi de définir un seuil moyen par constructeur et non pas un niveau d'émission par automobile. Le niveau autorisé est établi en fonction de la masse des véhicules de telle sorte que si les contraintes sont générales pour tous les constructeurs, le seuil est fixé à un niveau plus bas pour les constructeurs de petits véhicules que pour les constructeurs de véhicules de grosses cylindrées.

Ainsi, aux termes de la proposition de la Commission, la norme applicable aux véhicules de la gamme Peugeot serait de 126 g/km, et de 127/128 g pour Renault, tandis que certains constructeurs allemands auraient des seuils autorisés à 145 g, voire au-delà.

La contrainte faiblit au fur et à mesure que le poids des voitures augmente. Cette caractéristique, fondamentale, est connue sous l'appellation de « pente de droits d'émissions » . La pente suit une fonction linéaire simple représentée sur un graphique par l'inclinaison d'une droite qui relie le niveau d'émission autorisé (qui figure sur un graphique en ordonnées) au poids des voitures (sur un graphique, en abscisse). Une pente à zéro degré (une droite plate) signifie que, quel que soit le poids de la voiture, l'émission autorisée est la même pour tous. Une pente à 45° signifie que la relation poids/émission est strictement proportionnelle (10 % de poids en plus majore le seuil d'émission de 10 %). Une pente supérieure à 45° favorise les gros véhicules puisque une augmentation du poids de x % permet de majorer le seuil d'émission d'un pourcentage supérieur à x.

Le poids moyen des voitures en Europe est de 1 300 kg (le poids moyen de la gamme Fiat est de 1 150 kg et plusieurs constructeurs allemands ont un poids moyen de 1 500 kg). La norme cible est de 130 g/km. La pente actuelle est de 60° ce qui signifie que 100 kg de plus entraînent un seuil d'émission autorisé supérieur de 4,5 g de plus, soit 134,5 g.

Compte tenu du coût des mises aux normes et du coût des pénalités prévues, la fixation de la pente est l'élément central de la discussion entre les constructeurs. La discussion technique a des conséquences économiques déterminantes. Comme on vient de l'expliquer, plus la pente est raide et plus le surplus d'émission autorisé est élevé ; et inversement. Une pente de 80°, comme le demandaient les constructeurs allemands par exemple, permet sans pénalité un surplus d'émission de 6 g ; une pente de 20°, un surplus d'émission de 1,5 g seulement. Un degré de pente de plus ou de moins représente pour un constructeur plusieurs centaines d'euros de plus ou de moins par véhicule.

Actuellement le facteur clé qui détermine la pente est le poids de la voiture, mais certains pays suggèrent une pondération qui associerait d'autres critères tels que la puissance ou l'emprise au sol, afin de corriger d'un ou deux degrés une pente qui leur serait trop défavorable. Les paramètres de détermination de la pente seront des données âprement discutées.

On ne peut avoir une cible simple avec tant de modalités adaptées constructeur par constructeur.

2. Un autre choix possible : le système français de bonus/malus

La Commission a choisi un système de droits d'émission dans lequel le seuil d'émission autorisé dépend de la masse de la voiture. On peut regretter que la Commission n'ait pas adopté un système plus simple.

Deux solutions simples pouvaient être envisagées. La première n'est rappelée que pour mémoire. En effet, certaines propositions présentées sous le sceau de la simplicité doivent être catégoriquement écartées. Ainsi, afin d'éviter de polariser le débat entre petites et grosses voitures, certains pays ont également suggéré une réduction uniforme (de 25 %) pour tous les constructeurs quel que soit leur niveau actuel d'émission de CO 2 . Cette solution est bien entendu inacceptable : elle pénaliserait les constructeurs qui se sont engagés dans cette lutte de longue date alors que les derniers à faire cet effort seraient simplement conduits à se mettre au niveau de tous les autres et se contenteraient d'appliquer les solutions techniques déjà mises au point. Cette prime aux moins performants et cette pénalité aux plus novateurs seraient évidemment absurdes.

En revanche, il existe une seconde solution parfaitement simple et cohérente : le choix d'une norme unique pour toutes les voitures, assortie d'un système de bonus/malus . C'est d'ailleurs la voie choisie notamment par la France suite au Grenelle de l'environnement : les voitures neuves émettant entre 131 et 160 g de CO 2 par kilomètre sont payées au prix du marché. Les voitures ayant des émissions inférieures bénéficient d'un bonus, d'une prime versée par l'État, croissante avec les résultats (200 euros pour les véhicules émettant de 121 à 130 g, 700 euros pour les véhicules émettant de 101 à 120 g...). Les voitures ayant des émissions supérieures sont pénalisées par un malus - une taxe - croissant avec les émissions (200 euros pour les véhicules émettant de 161 à 165 g, puis 750 euros de 166 à 200 g, jusqu'à 2 500 euros pour les véhicules émettant plus de 250 g).

Cette solution présente de nombreux avantages. Elle est simple, comprise par tout le monde, et parfaitement cohérente avec l'objectif recherché. Dès lors que le but est de réduire les émissions de CO 2 , le système de bonus/malus favorise les modèles les plus performants et pénalise les modèles les plus polluants.

Le système ne doit pas être considéré comme une fragmentation du marché intérieur. Étant donné que l'objectif poursuivi est d'intérêt général, et que la norme s'applique sans discrimination aux produits nationaux comme aux produits importés, on n'est pas en présence d'une mesure qui fragmenterait le marché intérieur d'une manière contraire aux traités.

Enfin, le système a montré son efficacité. Dans une conjoncture économique morose, le marché automobile français a été incontestablement poussé par l'initiative gouvernementale et a été modifié de façon sensible en faveur des petits véhicules les moins polluants. Dans la continuité d'une tendance déjà ancienne, mais avec une nette accélération au cours des six derniers mois, la part des véhicules ayant des émissions inférieures à 130 g/km a gagné 10 points (de 30 % en 2007 à 40 %) alors que la part des véhicules ayant des émissions supérieures à 160 g/km a perdu 10 points (de 24 % en 2007 à 14 %). Il y a bien eu un effet accélérateur sur le renouvellement des flottes et vertueux sur le type de véhicule choisi (seul petit point négatif, le coût n'est pas neutre pour les finances publiques puisque les « primes » ont dépassé les « malus » entraînant une dépense budgétaire de 50 millions d'euros).

Après avoir pris en compte les intérêts respectifs des différents constructeurs/États, la solution du bonus/malus n'a pas été retenue par la Commission. La délégation le regrette vivement, d'autant plus que des formules de lissage dans le temps étaient parfaitement envisageables afin de ne pas trop pénaliser les voitures puissantes.

B. UNE RÉGLEMENTATION DISCUTABLE

Le compromis s'est fait sur un système semi proportionnel reliant le seuil autorisé d'émission de CO 2 au poids du véhicule. Cet arbitrage n'est plus remis en cause. Le projet de règlementation reste toutefois éminemment discutable tant dans son principe que dans ses modalités.

1. Un projet discutable dans son principe

Sur un plan économique, le projet s'analyse comme une internalisation des coûts externes : faire supporter au détenteur d'un bien le coût qu'il va induire sur l'environnement. L'évolution générale de l'économie de l'environnement est fondée sur ce type de démarche : intégrer le coût environnemental dans le prix du marché (la « taxe Chirac » ou les contributions volontaires sur les billets d'avion ; le projet d'incorporer le « coût carbone » dans les transports de produits alimentaires, sont des exemples inspirés de la même démarche).

La logique de la présente proposition est parfaitement défendable, sous deux réserves.

Tout d'abord, dans la proposition, la prise en compte du coût externe se fait à l'occasion de l'achat du bien, et non de son usage. Le redevable est le détenteur du bien et non l'usager. Or, bien évidemment, c'est l'usage du véhicule et non sa seule détention qui a des effets sur l'environnement ! Une Porsche au garage dégagera toujours moins de CO 2 qu'une berline circulant régulièrement dans les embouteillages. Certains pays suggèrent une pénalité au kilomètre. D'une façon générale, le contrôle des émissions de CO 2 n'a de sens que s'il trouve sa place dans un plan d'ensemble sur l'usage et le trafic automobile.

Ensuite, la proposition ne présente qu'un volet répressif : la Commission impose des normes qui représentent aussi un coût pour l'industriel et l'industriel négligeant paye des pénalités. Le système est ainsi conçu que, quel que soit son choix, l'industriel est amené à supporter des coûts importants, soit en adaptant sa technologie, soit en payant des pénalités. La Commission se pose à la fois en donneur de leçon de bonnes pratiques environnementales (sans en assumer aucune des conséquences industrielles ou financières) et en censeur qui menace par des amendes considérables.

2. Une réglementation discutable qui repose sur une approche trop parcellaire

La réglementation présente un champ d'application étroit. Même responsable de plus de la moitié de l'ensemble des émissions de CO 2 - au moins en France -, les véhicules particuliers ne sont pas les seuls émetteurs de CO 2 du secteur routier. Les chiffres ont été donnés plus haut : les véhicules utilitaires légers (VUL) et les poids lourds représentent respectivement 16 % et 25 % des émissions totales de CO 2 du secteur des transports.

La réglementation européenne aurait eu plus de sens si elle avait trouvé sa place dans un plan d'ensemble de lutte contre les émissions de CO 2 du secteur routier. Ce n'est pas le cas.

La réglementation des pollutions émanant des poids lourds, bus et cars, et véhicules utilitaires légers reste embryonnaire. En vérité, le CO 2 n'est mesuré ni pour les poids lourds ni pour les véhicules utilitaires légers. Il faut distinguer les deux segments de marché.

Même si la place des poids lourds dans les émissions de CO 2 est importante et même croissante (le niveau moyen par véhicule, et le niveau total d'émissions dues au transport routier/poids lourds sont en augmentation constante : + 10 % pour le niveau moyen, + 25 % pour le niveau total en dix ans), il existe des raisons techniques à cette absence de réglementation. Les émissions de CO 2 dépendent de la charge transportée. C'est pourquoi, par exemple, le projet de norme Euro VI sur les poids lourds porte essentiellement sur les NOX et non sur le CO 2 . Les caractéristiques du transport routier restent des obstacles majeurs au contrôle des émissions de CO 2 des poids lourds.

En revanche, l'absence de réglementation des émissions sur les véhicules utilitaires légers n'est absolument pas justifiée. D'abord, parce que sur un plan technique, les moteurs des véhicules utilitaires légers et des véhicules particuliers ne sont pas fondamentalement différents. Le contrôle du CO 2 ne se fait pas aujourd'hui sur les véhicules utilitaires légers parce que la réglementation en vue de l'homologation des véhicules utilitaires légers ne le prévoit pas. Mais une mesure des émissions de CO 2 par kilomètre est, d'un point de vue technique, parfaitement possible ! Ensuite, il faut rappeler que, au moins en France, le montant total d'émissions de CO 2 émanant des véhicules utilitaires légers a plus que doublé en vingt ans (de 9,6 à 20 millions de tonnes entre 1985 et 2005), ce qui justifierait amplement une vigilance européenne.

Cette approche trop fragmentaire des émissions, limitée aux seuls véhicules particuliers, ne peut donner de résultats satisfaisants. La proposition de la Commission aurait gagné à être plus ambitieuse en prenant place dans un plan d'ensemble des émissions de CO 2 du secteur routier.

3. Une réglementation discutable dans ses modalités : l'échappatoire par des alliances artificielles

La proposition de règlement communautaire prévoit deux dispositions qui ne laissent pas de surprendre.

En premier lieu, on pourra s'interroger sur la disposition qui exonère les micro-producteurs produisant moins de 10 000 voitures par an . Les constructeurs britanniques sont souvent familiers de ces micro-niches. Rolls Royce avait été le prototype de ce marché de niche, mais est désormais au sein d'un grand groupe automobile et ne peut donc plus bénéficier de cette exemption. Mais certains constructeurs restent potentiellement visés par cette dérogation.

Exempter des contraintes environnementales les constructeurs de ce type de voitures ne manque pas de surprendre. La clientèle qui achète des voitures pratiquement fabriquées à l'unité devrait pouvoir supporter le surcoût environnemental d'une norme d'émission de CO 2 , fût-elle rigoureuse. La Commission ne peut justifier sa proposition en mettant en avant sa volonté de mettre fin au fractionnement et mettre en place des exceptions aussi contestables.

En second lieu, la proposition contient une disposition plutôt étonnante. L'article 5 dispose que « les constructeurs peuvent constituer des groupements afin de respecter (leurs) obligations ». Ainsi, la Commission se propose d'autoriser des alliances artificielles, de circonstance, entre constructeurs qui permettraient d'atteindre les objectifs d'émission. Un constructeur spécialisé dans des 4 x 4 ou des grosses cylindrées très polluantes pourrait s'allier à un constructeur spécialisé dans les petites voitures et échapper ainsi à toute pénalité. Les calculs se font alors en effet non par constructeur, mais par pool. Ainsi, un constructeur construisant 100 000 voitures dépassant le seuil autorisé de 100 g s'affranchit de toute pénalité en s'associant avec un constructeur vendant 2 millions de petites voitures. Une alliance de circonstance permet d'échapper à toute contrainte !

C. UNE RÉGLEMENTATION QUI PRÉSENTE DE NOMBREUX EFFETS PERVERS

La réglementation peut présenter un certain nombre d'effets pervers dont il faut être conscient.

1. La triple peine des constructeurs généralistes

Il est habituellement admis que les réglementations environnementales par seuil pénalisent les fabricants de grosses cylindrées ou de voitures puissantes. Mais, paradoxalement, il apparaît plutôt que la proposition de la Commission pénalise aussi, et même avant tout, les constructeurs de petites cylindrées, confrontés à ce que l'on peut appeler une « triple peine » :

- les seuils de rejets autorisés sont plus bas, inférieurs à la moyenne ; or il est plus coûteux de gagner les derniers grammes d'émission que de commencer un mouvement d'économie. Ainsi, il est plus coûteux de baisser de 142 à 130 g que de 165 à 150 g/km ;

- les possibilités de répercussion de ce coût sur le consommateur sont très différentes selon la gamme de voitures. Ce coût sera supérieur à 1 000 euros par voiture. Même si le coût d'adaptation est identique, voire plus élevé pour les grosses cylindrées, les possibilités de répercussion sur les prix sont très différentes. Autant une majoration de 1 000 ou 1 500 euros sur une voiture de luxe peut être absorbée par la clientèle concernée, prête à débourser 30 ou 35 000 euros, autant un surcoût de 1 000 euros peut être discriminant pour la clientèle des voitures d'entrée de gamme. Cette interaction entre le coût et l'achat effectif - l'affordability - sera déterminante pour une partie de la clientèle. Selon une enquête du comité français des constructeurs automobiles, pour 50 % des ménages français, le budget disponible pour l'achat d'une voiture ne dépasse pas 10 000 euros.

- les pénalités sont considérables pour les constructeurs dits généralistes orientés sur les petits modèles. La pénalité est calculée en multipliant le coût unitaire du gramme de CO 2 - d'abord fixé à 20 euros par gramme excédentaire en 2012 pour passer progressivement à 95 euros en 2015 - par le dépassement par rapport au seuil et par le nombre de véhicules produits par les constructeurs. Les trois éléments n'ont pas le même poids dans l'équation : le prix est identique pour tout le monde, l'écart s'exprime en grammes, tandis que le nombre de voitures s'exprime en centaines de milliers voire en millions. L'élément déterminant est, bien sûr, le nombre de voitures. Ainsi, les constructeurs spécialisés dans les niches de voitures puissantes seront beaucoup moins pénalisés par gramme de CO 2 excédentaire que les constructeurs généralistes, même si les premiers dépassent davantage les seuils autorisés ! On observera de surcroît que, compte tenu des délais de mise au point des moteurs neufs, les pénalités sont quasi certaines à l'échéance 2012 !

2. Des distorsions de concurrence probables

Contrairement aux affirmations de la Commission, la réglementation n'est pas neutre sur la compétition internationale. Certes, les constructeurs non européens se verront imposer les mêmes contraintes sur les véhicules qu'ils vendent en Europe, mais seulement sur ces véhicules. Ils seront, bien sûr, exonérés de toute pénalité sur le reste de leur production qu'ils vendent dans leur État ou les pays extérieurs à l'Union européenne. Ainsi, un constructeur japonais ou coréen pourra payer 50 ou 100 millions d'euros de pénalités, pour les 100 000 voitures qu'il vend en Europe, à supposer qu'il dépasse le seuil autorisé, tandis que pour le même dépassement, le constructeur européen généraliste dont l'essentiel du marché se trouve en Europe pourrait payer plus d'un milliard d'euros. Il y aura donc une pénalisation des constructeurs européens par rapport aux constructeurs non européens.

Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le Commission considérant que « la proposition est neutre du point de vue de la concurrence », il apparaît clairement que la proposition entraîne des distorsions de concurrence majeures entre constructeurs selon la place relative qu'occupe le marché européen dans l'ensemble de leurs ventes.

3. Des effets retardataires sur le renouvellement des flottes

La réglementation porte sur le marché des voitures particulières neuves et non sur le parc automobile. Or il existe un écart important entre les deux : les voitures récentes sont évidemment plus performantes et ce sont les flottes les plus anciennes qui sont aussi les plus polluantes. En France, par exemple, le marché du neuf est autour de 150 g de CO 2 par kilomètre tandis que le parc est autour de 175 g.

Dès lors que les normes appliquées aux voitures neuves renchérissent le coût des voitures neuves, elles peuvent, par conséquent, avoir pour effet de réduire l'incitation à l'achat de nouveaux modèles et nuire ainsi au renouvellement des flottes.

On retiendra que la logique française de bonus/malus est décidément plus cohérente puisqu'elle repose non sur la seule pénalité, mais sur le couple aide/pénalité. Le surcoût est compensé. Rien de tel dans la proposition européenne qui peut même conduire, selon toute vraisemblance, à un résultat opposé à l'effet attendu en reportant le renouvellement des flottes.

Ainsi, tandis que le système français a accéléré le renouvellement du parc, le système européen va certainement le retarder !

4. Un manque de cohérence globale qui affecte la crédibilité de la Commission

Après avoir pris en compte les intérêts respectifs des différents constructeurs/États, le compromis s'est fait sur un système semi proportionnel reliant le seuil autorisé au poids du véhicule.

Le système choisi a été clairement conçu pour ne pas défavoriser les constructeurs de grosses voitures. La pente actuellement prévue est telle que les contraintes pesant sur les grosses voitures sont proportionnellement moins fortes que celles qui pèsent sur les petites.

Il y a, de toute évidence, derrière cette solution, un enjeu industriel majeur qu'il est inutile de cacher. Il est parfaitement clair que les positions des États et des constructeurs sont divergentes. Il y a les pays/constructeurs généralistes avec une gamme de petites voitures, les pays/constructeurs avec une gamme de grosses voitures, et les pays sans industrie automobile.

L'industrie automobile allemande construit et même excelle dans le domaine des grosses voitures de très grand confort, élégantes et sûres, mais lourdes et, par conséquent, émettrices de CO 2 . Tout l'appareil d'État, pratiquement l'ensemble de la classe politique et même les médias (cf. ce titre paru dans le Spiegel du 19 décembre 2007 sur les projets « d'anéantissement » - Vernichtungskrieg - de l'industrie automobile allemande) et toute la société est derrière ce modèle de consommation, symbole de la puissance industrielle allemande. Les performances exceptionnelles de l'Allemagne à l'exportation montrent que cette spécialisation a été couronnée de succès. L'Allemagne n'acceptera pas un système qui mettrait en cause ce système.

Il est inutile de s'en offusquer, cette imbrication entre promotion de l'intérêt communautaire - censé être exprimé par la Commission - et défense des intérêts nationaux, est au coeur et constitue la caractéristique même de la construction européenne depuis toujours. Pourtant, dans le cas présent, la logique environnementale, sans être sacrifiée, a été très - trop ? - atténuée par les considérations économiques nationales.

Mais surtout, si l'Europe veut s'engager dans la réduction des gaz à effets de serre, elle doit aussi choisir un mode de consommation cohérent avec cet objectif. Une certaine pénalisation des grosses voitures ne paraît pas dans ces conditions inimaginable. L'Europe ne pourra réussir sa lutte contre les émissions de CO 2 automobile sans réfléchir à - ou plutôt infléchir - son modèle de consommation.

Si l'UE manque de cohésion, certains États manquent aussi singulièrement de cohérence dans leur lutte contre le changement climatique. Inutile d'accuser tel ou tel. Chaque pays à autant de raisons de se montrer confiant qu'inquiet. La France et l'Allemagne par exemple : la France dégage peu de CO 2 , mais ses émissions augmentent. A l'inverse, le niveau d'émissions de l'Allemagne est élevé, mais ces résultats s'améliorent (voir annexe 1).

Autant on peut accepter de renoncer à une norme unique de type bonus/malus sans doute pénalisante pour les grosses voitures, autant il paraît inacceptable que le système soit dégressif : la contrainte est proportionnellement moins lourde pour les grosses voitures que pour les petites. Le système est conçu de telle sorte que le prix du gramme de CO 2 est différent selon le poids des voitures ! Il faudrait, à tout le moins, que la pente représentant les droits d'émissions en fonction du poids des véhicules soit parfaitement neutre et par conséquent strictement proportionnelle au poids des véhicules. Une pente à 45° assure une stricte proportionnalité. Toute pente supérieure conduit au desserrement des contraintes pour les voitures les plus lourdes. Tout degré de pente supérieur à 45° est une concession à l'industrie automobile spécialisée dans les grosses voitures.

Ce choix paraît très contestable. Puisque le but affiché est de diminuer les émissions de CO 2 en Europe, l'UE y parviendra moins en fixant des normes pour tous qu'en incitant à limiter le recours aux grosses voitures, fut-ce en attaquant le modèle consumériste et presque idéologique de la voiture symbole de puissance... Il ne paraît pas inimaginable de pénaliser les grosses voitures les plus polluantes. Il est même certainement temps de le faire. Ainsi, le système proposé ne paraît pas bien adapté au but poursuivi. La Commission ne peut affirmer sa volonté de lutter contre les émissions de CO 2 et adopter un dispositif articulé sur la préservation des intérêts économiques des constructeurs de voitures les plus puissantes.

La Commission avait, sur ce sujet, une occasion exceptionnelle de montrer une véritable politique mêlant l'incitation et la dissuasion. Au lieu de cela, elle se contente de se donner bonne conscience en affichant des objectifs ambitieux mais sans prendre ni direction claire ni mesure forte. Pourtant, dans ce domaine de l'environnement, il y a à la fois une urgence et une demande. L'ambition environnementale légitime de l'UE va s'essouffler dans des négociations dérisoires et sordides de degré de pentes. Sur ce sujet, l'Union européenne avait une occasion inespérée de se rassembler, elle risque fort au contraire de se déchirer.

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne :

- vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des normes de performance en matière d'émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l'approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO 2 des véhicules légers (COM (2007) 856 final) ;

- constate que le dispositif prévu par la proposition de règlement ne répond que très imparfaitement à l'objectif annoncé de réduction des émissions de CO 2 des véhicules particuliers ;

- considère que l'intérêt communautaire doit prévaloir sur la défense des intérêts particuliers des constructeurs de véhicules les plus lourds ;

- regrette que la Commission n'ait pas suivi la voie plus efficace, plus simple, moins lourde à gérer et moins dérogatoire au principe d'égalité en adoptant un mécanisme de type « bonus/malus » ;

- souhaite que la pente établissant les seuils d'émission en fonction du poids des voitures soit la plus neutre possible, en se rapprochant le plus possible d'une pente à 45° qui assurerait une stricte proportionnalité de la norme d'émission au poids des voitures ;

- souhaite une modulation des pénalités en fonction de l'importance des dépassements de seuil ;

- dénonce la disposition autorisant les constructeurs à former des groupements artificiels dans le seul but de s'affranchir des contraintes et des pénalités prévues par la réglementation des émissions de CO 2 ;

- encourage la Commission à réfléchir à des propositions de réglementation des émissions de CO 2 des poids lourds et des véhicules utilitaires légers.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 28 mai 2008 pour l'examen de ce rapport. Elle a approuvé les conclusions présentées par le rapporteur et décidé la publication du rapport d'information.

ANNEXES

ANNEXE 1 - Émissions de dioxyde de carbone en Europe

(toutes sources confondues)

1994/1995
(millions de tonnes)

2004/2005 (millions de tonnes)

Évolution
sur 10 ans

Par habitant (tonnes)

UE 27

4 143

4 283

+ 3,4 %

8,6

UE 15

3 265

3 495

+ 7 %

8,9

Belgique

123

124

-

11,8

Bulgarie

63

54

- 14 %

7

Rép. tchèque

131

126

- 4 %

12,2

Danemark

62

52

- 16 %

9,6

Allemagne

922

884

- 4 %

10,7

Estonie

21

18

- 14 %

13,8

Irlande

35

46

+ 31 %

10,9

Grèce

87

110

+ 27 %

10

Espagne

250

360

+ 44 %

8,2

France

387

412

+ 6,5 %

6,5

Italie

432

492

+ 14 %

8,4

Chypre

6

7

+ 16 %

8,7

Lettonie

10

7

- 30 %

3

Lituanie

15

14

- 6 %

4,1

Luxembourg

10

11

+ 10 %

22

Hongrie

62

61

- 1 %

6

Malte

2

2

-

5

Pays-Bas

168

178

+ 6 %

10,9

Autriche

62

78

+ 26 %

9,4

Pologne

376

326

- 13 %

9,8

Portugal

51

67

+ 31 %

6,3

Roumanie

132

113

- 14 %

5,2

Slovénie

14

16

+ 14 %

8

Slovaquie

43

40

-7

7

Finlande

60

65

+ 9 %

12

Suède

58

53

- 8 %

6

Royaume-Uni

555

551

- 0,1

9

Source Eurostat 2007 - Émissions de dioxyde de carbone

ANNEXE 2 - Émissions de CO2 dans le secteur routier en France

Répartition en 2005

Type de véhicule

Moyenne par véhicule (en gr/km)

Total
(en millions de tonnes)

Répartition en %

VP Essence

207

34,6

27,6 %

VP Diesel

164

38

30,2 %

Sous-total VP

180

72,6

57,8 %

Véhicules utilitaires légers (VUL)

270

20,5

16,3 %

Poids lourds (PL)

967

30

24 %

Sous-total VUL et PL

ns

50,5

40,3 %

Bus et cars

1016

1,7

1,3 %

Deux roues (2 R)

63

0,6

0,5

Total

Ns

125,5

100 %

Source : SENAT/INRETS (institut national de recherche sur les transports et la sécurité (2007).

Évolution des émissions de CO 2 dans le secteur routier
1975-2005 (en millions de tonnes)

Type de véhicule

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

VP

34,2

46,9

47,5

57

63

68,1

72,6

Véhicules utilitaires légers (VUL)

4,5

6,9

9,6

14,3

16

17,1

20,5

Poids lourds (PL*)

20,6

23

23,5

26,3

24,6

27,9

31,7

Deux roues (2 R)

0,5

0,5

0,4

0,3

0,3

0,3

0,6

Total

60

72

81

96

104

114

125

* y compris bus et cars

Source : SENAT/INRETS

ANNEXE 3 - Évolution du taux moyen d'émissions de CO2 des véhicules neufs en Europe depuis 1995

(en g de CO 2 par kilomètre)

1995

1997

2000

2005

2006

Portugal

171

164

156

143

143

Italie

179

169

159

148

148

France

176

175

162

152

149

Belgique

181

176

163

153

152

Espagne

175

170

162

149

155

Autriche

184

175

162

160

161

Danemark

190

189

178

163

162

Irlande

180

173

165

166

165

Pays-Bas

189

186

174

168

165

Royaume-Uni

190

188

179

168

166

Allemagne

194

189

178

169

171

Suède

224

213

200

193

188

Moyenne UE

185

180

169

160

160

Source : ADEME - 2008

ANNEXE 4 - Émissions moyennes de CO2 par kilomètre des véhicules neufs vendus en France par constructeur

2004

2007

PSA

146

140

RENAULT

146

143

FIAT

149

146

TOYOTA

168

148

FORD

151

152

GENERAL MOTORS

156

152

VAG

153

154

JAPON

176

166

CORÉE

174

172

DAIMLER CHRYSLER

174

172

BMW

189

166

MOYENNE

153

149

Source : ADEME - 2008

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