Annexe n° 3

Audition, par la délégation pour l'Union européenne,
de M. Pierre Sellal, Ambassadeur, Représentant permanent
de la France auprès de l'Union européenne (Extraits)

(23 octobre 2003)

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M. Hubert Haenel :

Il nous faut aborder maintenant la question des perspectives financières.

M. Pierre Sellal :

Le débat communautaire sur les nouvelles perspectives financières pour l'après 2006 reste, pour quelques mois encore, principalement animé par la Commission. Le calendrier s'établit ainsi :

- la Commission prévoit toujours de présenter en novembre prochain ses orientations pour l'avenir, mais elle pourrait être amenée à retarder la publication de ce document. Certains s'interrogent, en effet, sur l'opportunité d'ouvrir un débat sur ce thème en pleine discussion dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Il y a un risque évident de télescopage qui pourrait conduire à reporter le débat sur les futures perspectives financières après la fin de la CIG ;

- en tout état de cause, la Commission entend présenter formellement ses propositions au printemps 2004, ce qui devrait permettre aux négociations d'aboutir à l'horizon 2005. Étant donné que le mandat de l'actuelle Commission s'achève à l'été 2004, ce ne sera donc pas le même collège qui élaborera les propositions et qui ensuite les négociera.

Avant d'évoquer les enjeux de cette négociation, je voudrais d'abord rappeler brièvement les principales caractéristiques du budget européen actuel.

Aujourd'hui, le budget de l'Union européenne est de l'ordre de 100 milliards d'euros par an, ce qui représente près de 1 % du PIB européen en dépenses réelles. Dans cette enveloppe, près de 45 % des dépenses sont consacrées à l'agriculture et environ 35 % à la politique de cohésion. Il reste donc 20 % pour couvrir les dépenses des autres politiques. Or, il existe une forte demande au niveau européen pour augmenter la part des dépenses consacrées aux nouvelles politiques de l'Union, comme, par exemple, la politique étrangère, qui ne dispose que de 50 millions d'euros, mais aussi les politiques qui concernent la recherche et l'innovation ou encore les actions relevant de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures. Le troisième élément qu'il faut garder à l'esprit, et qui change radicalement la donne par rapport aux exercices précédents, est que, lors du Conseil européen d'octobre dernier, la dépense agricole a été « sanctuarisée » jusqu'en 2013. Il s'agit d'un élément qui donne un certain confort à notre pays dans le cadre des négociations, mais qui présente aussi l'inconvénient de rendre cet exercice beaucoup plus difficile.

La situation peut, en effet, se résumer de la manière suivante : si l'on veut augmenter la part des dépenses consacrées aux autres politiques de l'Union, il faut soit augmenter le budget global, en allant jusqu'au plafond de 1,27 % du PIB, voire même au-delà, soit jouer sur la variable d'ajustement, c'est-à-dire la politique de cohésion. On estime, aujourd'hui, que cette politique représente environ 0,45 % du PIB de l'Union, ce que Michel Barnier qualifie de seuil de crédibilité. Or, si l'on souhaite augmenter, à budget constant, la part des autres politiques de l'Union, ce pourcentage pourrait tomber à 0,40 % ou 0,35 %.

La négociation ne porte pas seulement sur la répartition des dépenses mais concerne également le partage du fardeau. Actuellement, on peut distinguer un groupe de pays qui sont d'importants contributeurs nets, comme les Pays-Bas, l'Allemagne, et même le Royaume-Uni en dépit du système de compensation. Un groupe de pays qui figurent parmi les principaux bénéficiaires nets, tels que la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande. La France se situe pour sa part, avec le Danemark, la Suède et l'Italie, dans une position moyenne de « petits contributeurs nets » , puisque notre solde est légèrement déficitaire, de l'ordre de 0,2 % du PIB.

L'enjeu des négociations est donc le suivant. Pour les pays qui contribuent fortement au budget communautaire, ils veulent que leur solde net diminue ou, en tout cas, qu'il n'augmente pas, soit en stabilisant le budget, soit en mettant en place un mécanisme d'écrêtement qui leur garantirait de ne jamais dépasser un certain plafond. Les Pays-Bas, qui connaissent le solde net le plus déficitaire, avec 0,9 % du PIB, insistent tout particulièrement sur ce point. Le Royaume-Uni souhaite également le maintien de ce qu'on appelle communément « le chèque britannique ». À l'inverse, l'Espagne et, dans une moindre mesure, le Portugal, souhaitent maintenir au maximum leurs retours actuels au titre de la politique régionale dans le contexte de l'élargissement, alors que tous les nouveaux pays adhérents attendent beaucoup de cette politique.

Pour la France, il existe donc un risque important d'être considérée comme la variable d'ajustement, le contributeur dont l'effort devrait nécessairement s'accroître pour résoudre ces aspirations contradictoires. Pour certains de nos partenaires, la faiblesse de notre contribution nette est ressentie comme une anomalie, opinion que, bien évidemment, nous ne partageons pas. La pire hypothèse pour notre pays serait donc la mise en place d'un mécanisme de plafonnement généralisé des contributions nettes, avec en particulier le maintien du « chèque britannique », dans un contexte où la politique de cohésion continuerait à bénéficier largement aux États membres. C'est la raison pour laquelle la vigilance s'impose et qu'il est indispensable de définir notre position à l'égard de l'avenir de la politique de cohésion dans le contexte global de l'architecture du financement de l'Union.

Dans l'immédiat, la priorité de la France réside dans la suppression du « chèque britannique », qui, je le rappelle, est financé, depuis le Conseil européen de Berlin, à hauteur de 30 % par la France, et qui surtout a perdu toute pertinence dans une Union élargie où le Royaume-Uni ne souffre plus du tout d'une « moindre prospérité relative », comme c'était le cas en 1984. Il est aussi dans notre intérêt d'éviter la mise en place d'un mécanisme de correction généralisé des soldes, qui paraît en outre éloigné des principes de solidarité financière qui fondent le financement des politiques communes. Il est crucial enfin d'avoir une réflexion globale, tant sur l'avenir de la politique de cohésion que sur le budget de l'Union, puisque les deux éléments sont étroitement liés.

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