B. DES PERSPECTIVES PRÉOCCUPANTES POUR LE XXIE SIÈCLE

1. Des pays inégalement engagés dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique

a) De Kyoto à Milan

La mission rappellera que depuis l'entrée en vigueur de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, en 1994, se poursuit un processus de négociation marqué par l'adoption, en 1997, du « Protocole de Kyoto ». Celui-ci prévoit que les pays développés, qui représentent 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, réduiront individuellement leurs émissions, pour que la diminution globale leur incombant atteigne 5,2 % à l'horizon 2008-2012 par rapport aux niveaux de 1990. A ce titre, l'Union européenne doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport à 1990, les Etats-Unis de 7 %, le Japon, le Canada, la Pologne et la Hongrie de 6 %.

Pour atteindre ces objectifs, des négociations se sont poursuivies au cours des dernières années, afin de définir les modalités d'application des dispositions du protocole et d'obtenir sa ratification par tous les Etats concernés.

La neuvième conférence diplomatique s'est tenue à Milan en décembre dernier pour achever les travaux des conférences de Marrakech et de New Delhi, préciser les conditions d'application du protocole de Kyoto et envisager la seconde période d'engagements qui s'ouvrira après 2012.

Désormais, pour être juridiquement opposable, le protocole de Kyoto doit être ratifié par 55 Etats parties. Les membres de l'Union européenne, dix pays d'Europe de l'est en voie d'adhésion, la Norvège, l'Islande, la Suisse, le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Japon ont ratifié le protocole. Ils représentent 44,2 % des émissions totales de gaz à effet de serre des pays développés. Parmi les pays émergents, 79 pays en voie de développement, dont la Chine, l'Inde et le Brésil (ces derniers représentant 20 % des émissions de gaz à effet de serre), ont eux aussi ratifié le protocole.

• Le protocole de Kyoto prévoit des instruments spécifiques destinés à faciliter son application (avec en particulier, dès 2008, la constitution d'un marché international d'échanges de « permis d'émission » de gaz à effet de serre et le recours à des « crédits projets »).

Sans entrer dans le détail de ces instruments, on relèvera seulement que l'Union européenne prend les moyens de tenir ses engagements, des directives devant être prochainement adoptées pour mettre en oeuvre ces outils.

Le respect de ces engagements ne sera pas facile pour autant, surtout si tous les autres « grands pollueurs » de la planète ne jouent pas le jeu.

b) Des stratégies divergentes

• En 2001, les Etats-Unis -bien que responsables du quart des émissions de gaz à effet de serre de la planète- ont annoncé qu'ils ne procèderaient pas à la ratification du protocole de Kyoto. Craignant que l'application de ses règles strictes constitue un frein sérieux à la croissance de leur économie, ils ont choisi de miser sur des progrès technologiques qui permettent de continuer à utiliser des combustibles fossiles, tout en réduisant les émissions de gaz carbonique et autres gaz à effet de serre. A cet effet, le budget américain pour 2004 prévoit de consacrer 1,7 milliard de dollars à la recherche en faveur des nouvelles technologies dans le domaine de l'énergie (méthodes de séquestration du gaz carbonique, développement de véhicules propres...). On peut toutefois s'interroger sur l'objectif des Etats-Unis de réduire de 18 % dans les dix ans à venir « l'intensité » de leurs émissions de gaz à effet de serre ; il s'agit là d'un objectif de ralentissement de l'augmentation des émissions. On est donc très loin de l'objectif de réduction visé par le protocole de Kyoto.

• La Russie -pourtant responsable de 17,4 % des émissions des pays développés- a, quant à elle, décidé de surseoir à la ratification du protocole.

Le conseiller économique du Président Poutine a récemment déclaré que son pays « ne peut » ratifier le protocole de Kyoto, d'une part, parce qu'il freinerait la croissance nationale, d'autre part, en raison des conséquences positives que le réchauffement climatique aurait pour la Russie.

Compte tenu de l'impact régional variable du processus de réchauffement climatique, certains pays pourraient en effet considérer ses avantages comme supérieurs aux inconvénients.

Ainsi, alors que la Russie peut envisager favorablement un certain réchauffement de la Sibérie, la Grande-Bretagne s'inquiète des risques  -évalués par le GIEC- de perdre jusqu'à 10 % du patrimoine bâti de ses zones côtières.

Compte tenu de l'enjeu planétaire du phénomène du réchauffement climatique et de ses probables conséquences environnementales, sanitaires et sur l'ensemble des aspects de l'activité humaine, il est urgent qu'une prise de conscience de l'opinion publique mondiale incite les gouvernements à réagir.

Toutefois, l'Europe courrait le risque, si elle faisait « cavalier seul », d'handicaper la compétitivité de ses entreprises. La mission ne peut qu'appeler à la vigilance dans les négociations, tant au sein de l'Europe qu'au plan international, pour que les objectifs de lutte contre l'effet de serre restent compatibles avec le nécessaire maintien d'une compétitivité économique.

2. Notre modèle de développement en question ?

a) La nécessaire conjonction de deux stratégies : atténuation et adaptation

Il convient à la fois de donner la priorité aux systèmes d'alerte et à des mesures de protection contre les risques, et de mettre en oeuvre des actions correctives à long terme.

• Pour les experts du GIEC, il importe de réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de stabiliser leur concentration dans l'atmosphère et d' atténuer ainsi les dommages dus aux changements climatiques.

Il faut toutefois avoir conscience que « certains effets des changements climatiques anthropiques ne deviendront apparents que lentement, alors que d'autres peuvent être irréversibles ». En réalité, compte tenu de l'inertie des systèmes climatiques et écologiques, si l'on réduit les émissions de CO 2 et que l'on réussit à stabiliser leur concentration dans l'atmosphère, la température de l'air à la surface de la planète continuera d'augmenter lentement pendant au minimum un siècle.

Cette situation ne devrait pas nous décourager, mais au contraire nous inciter à renforcer nos efforts dès aujourd'hui afin de limiter l'ampleur et le caractère irréversible de certaines évolutions. En effet, plus nous attendrons pour agir, plus brutales seront les mesures qui devront être adoptées .

• Compte tenu cependant de cette inertie dans les systèmes climatiques, écologiques, mais aussi socioéconomiques, le GIEC insiste sur la nécessité d'adopter parallèlement des mesures d' adaptation , orientées principalement vers une réponse aux effets localisés des changements climatiques, alors que les mesures d'atténuation visent à répondre aux incidences sur le système climatique.

On entend par adaptation, aussi bien les aménagements physiques ou les mesures techniques que la modification des comportements, des activités économiques et de l'organisation sociale, de façon à ce qu'ils soient plus compatibles avec la situation ou les risques existants. Cela exige notamment une aptitude à élaborer de nouvelles options et à les mettre en oeuvre en faveur des populations vulnérables.

b) Les fragilités structurelles et sectorielles du modèle de croissance occidental

Mme Dominique Dron, présidente de la MIES, s'est montrée alarmiste mais aussi constructive, affirmant à la mission que « nous avons plus de la moitié du risque entre nos mains ».

En effet, au moins la moitié de la marge d'incertitude concernant la hausse des températures à venir (entre 2,5 et 10 degrés pour la France, entre 1,5 et 6 degrés pour la planète) dépend des politiques qui seront, ou non, mises en oeuvre.

Elle a estimé que « nous avons, en termes de techniques, sans même attendre des ruptures technologiques, largement de quoi infléchir l'évolution des choses ».

Il convient cependant de s'interroger sur les modes d'organisation de notre société et de notre économie, à un double titre :

- la canicule de l'an dernier, comme les autres événements climatiques « extrêmes » récemment intervenus (tempête de décembre 1999, inondations...) a incontestablement sensibilisé l'opinion aux vulnérabilités de notre société ;

- parallèlement, le mode de développement des sociétés occidentales sert largement de modèle à de nombreux pays en développement, qui risquent d'en « importer » les fragilités : il conviendrait d'amplifier les transferts de technologies à leur profit.

La mission estime ainsi nécessaire de procéder à une analyse des vulnérabilités sectorielles de notre société et de notre économie . Comme l'a relevé la présidente de la MIES : « nous avons optimisé nos techniques, par exemple toutes nos pratiques agricoles, tous nos systèmes de transport et l'ensemble de nos fonctionnements, dans le cadre d'un climat sans à-coup ». On citera à titre d'exemple notre économie qui fonctionne à flux tendus ou l'organisation de l'habitat...

La prise en compte des effets probables du changement climatique doit aider à déterminer les mesures d'adaptation nécessaires et le calendrier de leur mise en oeuvre.

A cet égard, la mission ne peut que se féliciter de l'adoption par le Parlement de la proposition de loi de notre collègue Paul Vergès, tendant à conférer à la lutte contre l'effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique la qualité de priorité nationale et portant création d'un Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d'outre-mer.

Rattaché à la MIES, l'ONERC a pour mission, en application de la loi du 19 février 2001, de collecter et de diffuser les informations, études et recherches sur les risques liés au réchauffement climatique et aux phénomènes climatiques extrêmes ; il peut ainsi formuler des recommandations sur les mesures de prévention et d'adaptation susceptibles de limiter les risques liés au changement climatique.

L'Observatoire est chargé également de développer la connaissance des effets du réchauffement climatique et des phénomènes extrêmes sur les modes de vie des Français, ainsi que des conséquences pour l'aménagement des régions.

c) Un mode de vie de plus en plus « énergétivore »
(1) L'énergie, un bien vital

L'énergie est indispensable à l'exercice de toute activité humaine et nécessaire à la satisfaction de l'ensemble des besoins de la société (alimentation, production industrielle, confort, éducation, santé, mobilité, loisirs...).

La dépendance de l'homme envers l'énergie est donc totale puisqu'il ne pourrait imaginer vivre sans elle. L'énergie lui est aussi vitale que l'eau et la nourriture. Plus les sociétés connaissent un degré de développement sophistiqué, plus cette dépendance est forte. L'importance croissante de l'accès à l'information et le développement des nouvelles technologies de communication fournissent, par exemple, une illustration récente de notre dépendance à l'égard de l'électricité. On évoquera, pour mémoire, les conséquences des récentes pannes d'électricité aux Etats-Unis et en Italie...

Nos modèles de développement, fondés sur une énergie abondante et bon marché, sont-ils encore adaptés au contexte dans lequel nous vivons ?

Pour la présidente de la MIES, alors que la pollution résultant de la vie quotidienne des ménages correspondent à plus de la moitié de nos émissions de gaz à effet de serre, il convient de procéder à une véritable « évolution culturelle », afin que tous adhèrent à la « modification des représentations » à laquelle il nous faut procéder pour que chacun partage « les niveaux des visions possibles de ce à quoi notre monde et nos fonctionnements sociaux, sociétaux et économiques pourront ressembler dans vingt ou trente ans ».

(2) Un « effet climatisation » à maîtriser

La canicule de l'été dernier constitue un signal d'alarme qui montre la vulnérabilité de notre société, au plan collectif mais aussi individuel.

Il est vraisemblable que les Français prendront des initiatives pour se prémunir contre les effets de ce type d'événement, dont la fréquence devrait augmenter, et qu'ils seront notamment tentés de climatiser leurs voitures et leurs logements.

Or, comme l'a indiqué à la mission Mme Michèle Papallardo, présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) : « un gramme des fluides frigorigènes utilisés actuellement par les climatiseurs a un effet de serre équivalent à celui de 300 grammes de CO 2 ».

Le paradoxe serait donc qu'en cherchant à nous prémunir contre les effets du réchauffement climatique, nous amplifiions encore ces derniers en raison d'un suréquipement en climatiseurs aggravant l'effet de serre.

Afin de limiter ce risque, il convient très rapidement de :

- fixer des normes, car les consommateurs ne disposent pas aujourd'hui de repères pour l'achat d'équipements efficaces de climatisation ou de rafraîchissement ;

- mener des actions de pédagogie et d'information concernant la température adéquate. Il est frappant de constater -et le rapport précité présenté par notre collègue Marcel Deneux pour l'OPECST l'a relevé- que la température des locaux est souvent excessivement élevée en hiver et excessivement basse en été. Dans les deux cas, le contraste avec la température extérieure est maximal et il y a là des habitudes à changer ;

- renforcer les réglementations relatives à l'isolation thermique pour les bâtiments, tant neufs qu'anciens, et imposer des limites concernant l'écart entre les températures extérieures et intérieures ;

- développer la recherche et l'innovation technologique en faveur des processus et des matériaux permettant une meilleure efficacité énergétique et une diminution de la pollution.

Au total, pour reprendre les termes de Mme Papallardo : « ces mesures concernent, d'une part, la formation des architectes, les problèmes de certifications, les problèmes de normes, les problèmes de directives, les transcriptions climatiques, l'étiquetage, et, d'autre part, la communication et l'information auprès de la population . »

(3) Le caractère indissociable des politiques économiques, énergétiques, sociales et environnementales

Aujourd'hui, toutes les décisions politiques devraient intégrer les nouvelles exigences du développement durable.

Il revient, de ce fait, à la puissance publique d'utiliser tous les moyens à sa disposition pour rendre compatibles des objectifs souvent contradictoires.

La mission ne peut que se féliciter des conclusions du livre blanc sur les énergies -synthèse des réflexions issues du débat national sur l'énergie organisé par le gouvernement en 2003- qui met chacun face à ses responsabilités : « nous sommes donc confrontés à l'impérieuse nécessité de mettre en oeuvre une véritable politique de développement durable, reposant sur ses trois composantes : l'économique, le social et l'environnemental. Et même si les problématiques énergétiques sont fondamentalement planétaires, il nous appartient d'y apporter des réponses concrètes à chaque niveau : individuel, collectif, local, national, européen et mondial ».

Ainsi, en particulier, une politique énergétique orientée vers le développement durable doit-elle s'appliquer à contribuer à quatre objectifs : la protection de l'environnement, la préservation du stock de ressources énergétiques, la satisfaction des besoins liés au développement et la compétitivité économique.

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