PRÉAMBULE

L'été dernier, au milieu du mois d'août, les Français horrifiés découvrent les effets meurtriers d'une canicule que nul n'avait prévue, et qui a frappé plus particulièrement les personnes les plus fragiles dans notre société, les malades, les handicapés, des patients sous certains traitements médicamenteux et, surtout, les personnes âgées, aussi bien à leur domicile que dans les maisons de retraite et les hôpitaux.

La mission d'information tient, avant toute chose, à exprimer sa compassion à l'égard des victimes et de leurs familles.

Ces personnes âgées sont disparues dans des conditions tragiques, frappées d'hyperthermie dans la solitude de leur domicile surchauffé ou dans les maisons de retraite excessivement vitrées et transformées en serres, accueillies dans un état trop souvent désespéré dans des services d'urgence débordés.

Bref, nos personnes âgées sont décédées, au cours de ces « journées de braise », malgré la mobilisation exceptionnelle des sapeurs-pompiers, des services d'urgence, des médecins, des infirmières, des aides-soignantes, des personnels des maisons de retraite, des services d'aide à domicile, des maires... dans des conditions inacceptables pour la France des droits de l'homme, qui n'est pourtant pas avare de conseils au monde en ce domaine.

La mission d'information du Sénat tenait à leur rendre un juste hommage , qui n'a peut-être pas été rendu en temps utile, comme d'ailleurs à toutes les autres victimes de la canicule.

En se gardant de toute « chasse aux sorcières », elle a engagé ses travaux sans rechercher des responsabilités individuelles , ce qui serait vain, avec la volonté de comprendre comment une telle catastrophe sanitaire avait pu se développer « à bas bruit », dans un pays pourtant suradministré, étroitement maillé au niveau de ses territoires par un réseau de services déconcentrés, de collectivités décentralisées disposant de compétences non négligeables en matière sociale et sanitaire, le tout coordonné par une institution préfectorale particulièrement efficace, qui plonge loin ses racines dans notre histoire.

En effet, notre pays dispose d'un réseau d'hôpitaux et d'établissements d'hébergement des personnes âgées, plus ou moins médicalisés -qui entretiennent des relations réciproques et permanentes-, d'une organisation ordinale déconcentrée regroupant les médecins libéraux, d'une structure hospitalière régionalisée indépendante de l'organisation préfectorale et d'un système d'alerte et de veille sanitaire -à l'origine duquel le Sénat a pris une part primordiale- même si ce dispositif est peut-être excessivement compartimenté et si l'interministériel n'a sans doute pas la place qui lui revenait à l'origine.

Ces structures constituent autant d'acteurs susceptibles de recueillir des informations en cas de catastrophe sanitaire, y compris d'origine climatique, même si ces aléas n'entraient pas dans la feuille de route de l'Institut de veille sanitaire.

De telles informations avaient normalement vocation à être regroupées, recoupées et analysées au niveau national, tant par l'organisme spécifiquement chargé de cette veille que par les administrations centrales, la centralisation si décriée par ailleurs trouvant là, en revanche, sa pleine justification.

La mission d'information ne peut que constater qu'aucun de ces acteurs n'a pris en temps utile conscience de la catastrophe sanitaire qui se développait : ni les préfets, ni les directions régionales et départementales de l'action sanitaire et sociale, ni les agences régionales de l'hospitalisation, ni les maisons de retraite qui constataient cependant, pour nombre d'entre elles, une augmentation de quelques décès, ni les services d'aide à domicile, ni les médecins libéraux, présents mais peu sollicités, ni les élus... n'ont perçu et transmis au niveau central des informations susceptibles de déclencher l'alerte.

Dans le même temps, la direction générale de la santé, accaparée à l'époque par quelques cas de légionellose et une maladie infectieuse rare d'origine exotique, n'a rien vu venir, tandis que l'Institut de veille sanitaire, comme c'est sa vocation, veillait, de manière d'ailleurs quelque peu allégée en fin de semaine...

Quelques signaux avaient cependant été émis , émanant notamment à Paris d'un médecin urgentiste, du Samu de Paris, des sapeurs-pompiers, dont les avertissements semblent avoir été étouffés par leur autorité de tutelle, des services d'urgence des hôpitaux de l'Assistance publique, de certains centres hospitaliers régionaux, mais aussi de quelques organes de la presse régionale ou parisienne..., autant de signes interprétés par les responsables nationaux de la santé publique, singulièrement coupés des réalités de la base, et par les cabinets ministériels, comme un engorgement naturel des services d'urgence provoqué par la fermeture habituelle de lits d'hôpitaux pendant le mois d'août.

Force est de constater une gestion quelque peu laxiste de nos administrations centrales, malgré les deux bulletins d'alerte très explicites de Météo France, dès les 1er et 7 août, ou les conseils pratiques diffusés par le secrétariat d'Etat aux personnes âgées dans un communiqué du 27 mai 2003.

Il a fallu attendre le 8 août pour que la direction générale de la santé diffuse, à son tour, un communiqué formellement parfait, mais complètement inaudible pour être repris efficacement par les médias et reçu par l'opinion, comme l'a indiqué le Professeur San-Marco lors de son audition devant la mission.

Au total, force est de constater qu'une logique de catastrophe ou de fléau aurait dû prévaloir lors de la canicule, dont la nécessité n'a pas été perçue par nos administrations centrales, faute de signaux irréfutables, cet attentisme contrastant avec le dévouement exemplaire et la mobilisation exceptionnelle des acteurs de base, sapeurs-pompiers, Samu, urgentistes, personnels des hôpitaux et des maisons de retraite.

La mission ne peut également que s'étonner que nos responsables de santé publique aient ignoré les précédents climatiques survenus à l'étranger, notamment à Chicago, mais aussi en Europe (Athènes) et même en France en 1976 (6 000 morts dans l'indifférence générale), et aussi à Marseille en 1983, et n'aient pas pris connaissance de la littérature scientifique abondante existante, certes de langue anglaise, aisément disponible sur Internet (à laquelle s'est reporté le Professeur Pierre Carli, directeur du Samu de Paris, dans la nuit du 7 août), voire a fortiori des travaux en langue française sur les effets de la canicule des professeurs San-Marco et Besancenot.

Il aura fallu attendre, au bout de la chaîne, le signal fatal des Pompes funèbres générales, et leurs extrapolations sans doute peu scientifiques, alors que le dernier acte de la tragédie était joué, pour commencer à prendre la mesure de la catastrophe sanitaire, tandis que les autorités sanitaires, ignorantes de la progression de « l'épidémie », se refusaient à valider ces évaluations et annonçaient chaque jour une surmortalité dépourvue de tout lien avec la réalité du moment.

Au total, la mission d'information a constaté que notre système de veille et d'alerte sanitaire avait failli ; que la communication en cas de situation de crise restait à inventer ; que le cloisonnement des administrations centrales, tant au sein du ministère de la santé, qu'entre ministères sociaux et entre ces derniers et le ministère de l'intérieur, n'avait pas permis de prendre conscience de la crise ; que l'imbroglio des compétences des différents acteurs au niveau territorial n'avait pas facilité l'agrégation et la synthèse de données éparses ; que la multiplicité des agences de sécurité sanitaire ne contribuait pas à y voir clair ; que le recul de la médecine de proximité par rapport aux urgences , qui sont trop souvent détournées de leur vocation, avait sans doute contribué à l'engorgement de celles-ci ; que l'absence de modulation du système de réduction du temps de travail avait rendu plus difficile le renforcement de la présence des personnels, et aussi que notre pays pourrait sans doute engager une réflexion générale sur l'organisation des vacances estivales des Français.

Il y a en effet tout lieu de penser que les prochaines canicules, dont la fréquence devrait augmenter selon les spécialistes du climat les plus autorisés entendus par la mission, se dérouleront encore dans la première quinzaine du mois d'août...

Bref, plus que les hommes, c'est le système qui a révélé ses défaillances !

Afin que les conséquences de ces prochaines canicules soient aussi réduites que possible, la mission formulera quelques préconisations concrètes qui seront détaillées plus loin, et qui prolongent d'ailleurs celles déjà annoncées par le gouvernement en faveur des personnes âgées.

Ces propositions s'efforceront notamment de prendre en compte le phénomène du vieillissement inéluctable de la population française , et de l'allongement, à tous égards souhaitable, de l'espérance de vie, dont les pouvoirs publics ne semblent pas encore avoir pris toute la mesure : des mesures tendant à un renforcement de la veille sanitaire et à une coordination gérontologique de tous les acteurs chargés de la problématique des personnes âgées devront être recherchées, tant au plan national que local, afin de réduire leur isolement, notamment en milieu urbain et suburbain, tandis que la formation pratique des personnels concernés devra être améliorée.

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Conformément à la feuille de route qui lui a été assignée par le Sénat, et à son intitulé même, « La France et les Français face à la canicule : les leçons d'une crise », la mission commune d'information a élargi ses réflexions aux conséquences de cet accident climatique sur notre économie, notamment sur les secteurs agricole et énergétique, ainsi que sur l'environnement.

A l'inverse des développements précédents, elle a pu constater que les effets de la canicule avaient été plutôt bien gérés sur le plan économique et environnemental et que les autorités concernées avaient su anticiper ses conséquences et les réduire.

Ce constat tient sans doute à la grande habitude qu'a le monde agricole des fortes chaleurs et de la sécheresse, à la présence de procédures préexistantes, de spécialistes particulièrement attentifs aux conséquences de ces aléas climatiques, d'autant que l'été 2003 restera plus comme celui de la canicule que de la sécheresse, à la différence de l'année 1976 : la désignation rapide d'ingénieurs du génie rural chargés de la sécheresse au ministère, l'aménagement et l'accélération des procédures d'indemnisation au titre des calamités agricoles, des mesures d'aide aux éleveurs pour le transport des fourrages, des restrictions réalistes imposées à l'irrigation... ont notamment permis de réduire les conséquences des aléas climatiques.

Certes, la forêt française a été gravement touchée par les événements de l'été, notamment avec les incendies de forêt qui se sont multipliés jusqu'aux abords des villes du sud-est, et qui ont pu être contenus grâce à l'action souvent héroïque des services de la sécurité civile, mais la pérennité de la forêt ne semble pas menacée, notamment du fait de son étendue et de sa vitalité. En outre, c'est pour l'essentiel la forêt méditerranéenne qui a été atteinte, celle-ci étant faiblement exploitée et les dommages concernant plutôt l'environnement.

Il reste que les productions végétales, animales et herbagères ont souffert de la forte chaleur, notamment les élevages hors-sol, mais que certains revenus agricoles ont pu être relativement maintenus du fait d'une valorisation satisfaisante des produits, d'une hausse des prix et d'une meilleure qualité.

Enfin, les ressources en eau ont été globalement satisfaisantes au cours de l'été, en dépit d'une pluviométrie insuffisante dans certaines régions, du fait de la reconstitution des réserves avant la crise.

S'agissant des effets de la canicule sur le secteur énergétique , il convient, là aussi, de noter que l'équilibre entre la production et la consommation d'électricité a pu être assuré par les opérateurs concernés, et que des mesures dérogatoires concernant la température des cours d'eau ont permis de maintenir la production des centrales nucléaires en fonctionnement, et d'éviter tout délestage préjudiciable aux populations prioritaires et aux entreprises, étant rappelé que la période estivale est traditionnellement celle des opérations de maintenance d'une partie du parc des centrales.

Une bonne coordination interministérielle, la qualité du réseau français et notre « mix énergétique » ont permis à notre pays d'éviter les pannes qui ont touché certains de vos voisins européens, ainsi que quelques Etats américains.

Il reste que notre pays sera confronté comme les autres au réchauffement de la planète dû à l'effet de serre et que ce phénomène risque de contribuer à l'augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes, ce qui est de nature à fragiliser notre modèle énergétique et économique, qui fonctionne, comme celui de la plupart des pays tempérés, à flux tendus.

Enfin, s'agissant des conséquences à plus court terme sur l'environnement , et de l'impact immédiat des rejets thermiques des centrales sur l'équilibre écologique des cours d'eau, force est de constater que la faune et la flore aquatiques semblent avoir été peu affectées.

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Au total, et sans qu'un parallèle, qui serait malvenu, puisse être établi entre les conséquences humaines tragiques de la canicule et ses incidences relativement réduites en matière économique, énergétique et environnementale, la mission ne peut que constater que ces dernières ont été sans doute mieux gérées du fait d'une meilleure coordination interministérielle, d'une mobilisation concertée de tous les acteurs sur le terrain, d'une anticipation plus satisfaisante, de l'importance des moyens dégagés, du caractère éprouvé des procédures d'alerte et d'une maîtrise de ces phénomènes extrêmes par des spécialistes expérimentés.

Elle ne peut que regretter que nos structures sanitaires et sociales, qui sont traditionnellement fragiles et prises de court lorsqu'elles sont confrontées à des phénomènes inédits, comme l'ont montré certaines crises sanitaires dans un passé récent, n'aient pas développé de pareilles synergies et n'aient pas disposé d'un véritable système de veille et d'alerte leur permettant de mobiliser en temps utile tous leurs talents et toute leur énergie.

Jacques Pelletier

Président

de la mission commune d'information

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