Rapport d'information n° 106 (2000-2001) de M. Hubert HAENEL , fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, déposé le 24 novembre 2000

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N° 106

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 novembre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne sur la XXIII ème réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Versailles, 16-17 octobre 2000) ,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Henri Weber.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La XXIIIe Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui s'est tenue les 16 et 17 octobre à Versailles, était la troisième organisée par la France, après celles qui s'étaient réunies au Palais Bourbon (novembre 1989), puis au Palais du Luxembourg (février 1995).

La COSAC de novembre 1989 était une réunion fondatrice. Avec le recul de onze années, il apparaît que cette initiative répondait à un réel besoin, puisque la COSAC s'est consolidée sur une base coutumière, puis a reçu une reconnaissance officielle dans le protocole sur les parlements nationaux annexé au traité d'Amsterdam. Ce protocole a eu, par sa seule existence, un effet d'entraînement sur l'attitude de certaines délégations, jusque là réticentes à l'égard d'un renforcement du rôle de la COSAC. Il a favorisé la réforme du règlement adoptée par la COSAC d'Helsinki (octobre 1999) qui a été mise en oeuvre pour la première fois par la COSAC de Lisbonne (mai 2000).

La réunion de Versailles a sans doute constitué une étape supplémentaire dans l'affirmation du rôle de la COSAC pour deux raisons.

•  En premier lieu, elle a permis un dialogue approfondi avec la présidence en exercice du Conseil . Les membres de la COSAC ont pu, alors que le Conseil européen de Biarritz venait tout juste de s'achever, avoir un large échange de vues avec le Premier ministre, puis avec le ministre des Affaires européennes. Le dialogue s'est ensuite poursuivi sur des thèmes précis : avec le ministre de la justice a été abordée la construction de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice ; puis le débat sur l'élargissement de l'Union a donné lieu à un échange très franc entre le ministre des Affaires étrangères et les parlementaires des pays candidats.

Un tel dialogue, abordant les principaux sujets et permettant à de nombreux parlementaires d'intervenir, entre pleinement dans la vocation de la COSAC qui paraît à cet égard irremplaçable : elle est le seul lieu où des parlementaires nationaux de tous les Etats membres peuvent interroger la présidence en exercice et lui faire connaître directement leurs préoccupations.

• En second lieu, la réunion de Versailles a contribué à rationaliser la procédure d'adoption de contributions par la COSAC . Prévues par le protocole d'Amsterdam, ces contributions ont été mentionnées dans le nouveau règlement adopté lors de la COSAC d'Helsinki ; lors de la réunion de Lisbonne, la COSAC a pour la première fois adopté une contribution, mais cette première expérience avait montré la nécessité de préparer plus en amont cet aspect de la réunion. En effet, des débats sur la rédaction d'un texte menés en onze langues ne favorisent pas toujours la levée des malentendus, particulièrement nécessaire lorsque ce texte doit être adopté par consensus des délégations.

Pour cette raison, à Versailles, des délais avaient été fixés pour l'envoi des projets de contribution ; les textes adressés dans ce délai à la présidence ont été aussitôt envoyés par Internet à toutes les délégations, à qui il était demandé de formuler leurs observations. Sur cette base, la présidence a pu, dès l'ouverture de la Conférence, présenter un projet de synthèse à partir des aspects des contributions qui n'avaient pas reçu d'objection. Afin de concentrer les débats sur l'essentiel, la présidence n'avait fait figurer aucun considérant dans ce projet de synthèse, mais seulement un dispositif. Ce projet a fait l'objet d'un premier examen au cours d'une réunion des présidents de délégation. Cette réunion préparatoire a permis une meilleure compréhension mutuelle, de sorte que le projet définitif de synthèse, discuté en séance plénière le lendemain, a pu être examiné et adopté sur des bases suffisamment claires.

Par ailleurs, la réunion de Versailles a consacré la distinction entre les contributions de la COSAC, qui sont adressées aux institutions de l'Union européenne en application du protocole d'Amsterdam, et les déclarations de la COSAC, qui au contraire ne s'adressent pas aux institutions de l'Union et constituent des prises de position sur des sujets appartenant à l'actualité européenne (les déclarations ainsi adoptées à Versailles concernaient les élections en Yougoslavie et les attentats terroristes en Espagne).

La préparation des travaux de la COSAC doit encore progresser, pour donner toute sa portée à la procédure d'adoption de contributions. La possibilité de constituer des groupes de travail temporaires sur des sujets précis a été évoquée dans ce sens à Versailles. La courte durée des réunions de la COSAC (une journée et demie) impose en effet de " déblayer le terrain " autant que possible avant l'ouverture de la réunion, de manière à ce que la Conférence puisse concentrer ses débats sur les points essentiels et se prononcer dans la clarté.

Au total, on peut conclure que la COSAC de Versailles aura été un pas supplémentaire dans le sens d'une association plus étroite des parlements nationaux aux activités de l'Union.

I. TEXTES ADOPTÉS PAR LA XXIIIE COSAC

A. CONTRIBUTION ADRESSEE AUX INSTITUTIONS DE L'UNION EUROPEENNE

1. La COSAC appelle les Etats membres à parvenir, lors du Conseil européen de Nice, à un accord sur la réforme institutionnelle qui garantisse, dés à présent, dans la perspective de l'élargissement, l'efficacité, la transparence et la légitimité des institutions et qui permette d'accueillir de nouveaux Etats membres à partir du 1er janvier 2003. Elle exprime son fort soutien au processus d'élargissement et recommande à la Conférence intergouvernementale de sauvegarder, dans l'accord global pour la révision des Traités, les principes de solidarité, de cohésion, de subsidiarité et de proportionnalité, qui sont la condition d'une véritable Union des peuples et des Etats.

2. La COSAC prend acte de l'accord politique dégagé entre les chefs d'Etat et de Gouvernement sur le projet de charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dans la rédaction élaborée par la Convention. Elle appelle le Conseil, la Commission et le Parlement européen à proclamer cette charte. Elle estime que la procédure retenue, associant des représentants des chefs d'Etat et de Gouvernement, de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux, pourrait être utile à l'avenir.

3. La COSAC souligne la nécessité pour l'Union, dans l'esprit du Conseil européen de Lisbonne, d'encourager le développement d'une économie de l'innovation et de la connaissance, favorisant des politiques de promotion active de l'emploi et de lutte contre le chômage et les exclusions. Elle appelle les institutions de l'Union à adopter, durant la Présidence française, l'Agenda social européen qui, dans lerespect du principe de subsidiarité, constituera un cadre pluriannuel pour les mesures à réaliser dans le domaine social. Ce nouvel objectif stratégique doit permettre de concilier les changements résultant de la nouvelle économie avec les valeurs sociales européennes et la perspective de l'élargissement.

4. La COSAC, dans l'esprit du Conseil européen de Tampere, appelle l'Union et les Etats membres à mettre en place, en coopération avec les Etats candidats, un espace de liberté, de sécurité et de justice qui renforce la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité organisée et transnationale et qui, dans le respect de la protection de la vie privée, repose notamment sur des mesures concrètes de lutte contre l'immigration clandestine, sur des normes communes pour le franchissement des frontières extérieures de l'Union, ainsi que sur un renforcement de la coopération entre services de contrôle pour appliquer ces normes.

5. Considérant que les Parlements nationaux, aux côtés du Parlement européen, contribuent à la légitimité démocratique des institutions européennes, la COSAC invite la Conférence intergouvernementale à modifier la première partie du Protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne dans le sens suivant :

- les documents de consultation et les propositions législatives de la Commission européenne, ainsi que les propositions de mesures à adopter en application des titres V et VI du Traité sur l'Union européenne, devraient être transmis par la Commission européenne par voie électronique aux parlements nationaux dès leur adoption par le collège des commissaires ;

- le délai de six semaines prévu au point 3 devrait s'appliquer également, sauf cas d'urgence, aux propositions visant à adopter des mesures dans le cadre du titre V du traité sur l'Union européenne et aux projets d'accords interinstitutionnels auxquels le Conseil est partie;

- un délai minimum de quinze jours, ou d'une semaine en cas d'urgence, devrait être observé entre le dernier examen d'un texte au sein du COREPER et la décision du Conseil.

La COSAC rappelle qu'aucune disposition de ce protocole ne saurait porter atteinte aux compétences et prérogatives reconnues à chaque Parlement national par les dispositions constitutionnelles de son Etat.

B. DECLARATION SUR LA SERBIE ADOPTEE PAR LA COSAC

La COSAC salue le courage dont a su faire preuve le peuple serbe qui a remporté une victoire exemplaire pour la démocratie. Elle exprime le souhait que l'Union européenne mette en place une coopération nouvelle avec la République fédérale de Yougoslavie afin qu'elle trouve toute sa place en Europe et que l'Union européenne l'aide à consolider la démocratie et à améliorer son niveau de vie.

C. DECLARATION SUR LE TERRORISME ADOPTEE PAR LA COSAC

La COSAC condamne avec la plus grande fermeté tout acte terroriste et en particulier celui qui vient d'endeuiller l'Espagne.

II. COMPTES RENDUS DES DÉBATS

A. LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE

M. Alain Barrau, président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Lionel Jospin, Premier ministre de la France, qui revient, comme le Président de la République, du Conseil européen de Biarritz et qui a bien voulu, en ouverture de nos travaux, faire le point sur les perspectives de la présidence française de l'Union après ce Conseil informel.

Vous le savez, Monsieur le Premier ministre, la COSAC réunit, chaque semestre, des délégués des parlements des Etats membres, représentant les organes compétents pour les questions européennes, une délégation du Parlement européen et une délégation du parlement de chaque pays candidat à l'Union. Et, semestre après semestre, la COSAC précise et renforce son rôle, qui est de contribuer à lutter contre le déficit démocratique que chacun constate, pour le déplorer, au sein des institutions européennes. Il va sans dire que ce combat doit être mené avec le Parlement européen, et non en concurrence avec lui. La chose est à présent clairement affirmée, et les incompréhensions passées sont maintenant dissipées.

Nous nous situons, Monsieur le Premier ministre, à un moment clef de la construction européenne, car l'Union doit faire face à des échéances vitales.

La première de ses priorités est la réforme de ses institutions. Je remercie M. Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, et M. Queyranne, ministre chargé des relations avec le Parlement, de vous avoir accompagné. Je ne doute pas que vous insisterez sur les travaux de la Conférence intergouvernementale, que la France souhaite mener à bien.

L'autre priorité est l'Europe des citoyens : l'agenda social, la sécurité alimentaire, la sécurité maritime, le sport sont d'autres sujets d'importance dont il a été question à Biarritz et dont vous avez considéré, avec le Président de la République, qu'ils devaient, aussi, être considérés comme des enjeux majeurs de notre présidence.

Mais le Conseil européen de Biarritz a aussi été l'occasion de traiter de la Charte des droits fondamentaux. Elle nous intéresse à double titre : elle représente un résultat important, au-delà des espérances ; dans la méthode, elle associe les parlementaires nationaux et européens ainsi que les représentants des exécutifs de chaque pays.

Enfin, comme les délégations des pays candidats à l'adhésion sont ici présentes, je souhaiterais, même si M. Védrine y reviendra demain, que vous abordiez le thème de l'élargissement, qui est pour nous, Français, un thème politique majeur.

Il importe en effet que l'Union européenne ne se confonde pas avec je ne sais quelle zone de libre-échange. Aussi attendons-nous de vous, Monsieur le Premier ministre, que vous donniez un signe, après celui que vous aviez déjà donné à Budapest, en réaffirmant, à la suite de l'accord d'Helsinki, que l'Union européenne serait prête, dès le 1er janvier 2003, à accueillir les premiers pays en mesure d'adhérer.

Vous savez combien cette détermination française est importante aux yeux de nos amis représentant ici les parlements des pays candidats, dans cette salle où nous, parlementaires français, avons adopté la révision constitutionnelle qui a permis la ratification du traité d'Amsterdam.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je suis heureux de participer à cette XXIIIème réunion de la COSAC, avec M. Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Queyranne, ministre chargé des relations avec le Parlement et les autres ministres qui seront présents aujourd'hui et demain.

Je remercie de leur invitation MM. Alain Barrau et Hubert Haenel, qui président les délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat. Membres des parlements nationaux des Quinze, élus au Parlement européen, observateurs délégués par les parlements des pays candidats à l'Union européenne, vous incarnez une Europe en paix, rassemblée autour des valeurs de la démocratie - cette démocratie qui vient d'éclore en Serbie. Je rends hommage au courage du peuple serbe qui, par son soulèvement pacifique, a contraint au retrait Slobodan Milosevic qui refusait le verdict des urnes. Après la levée des sanctions annoncée, au nom de l'Union européenne, par le ministre français des Affaires étrangères, nous sommes prêts à aider la Serbie à se reconstruire et à prendre sa place au sein d'une Europe toujours plus unie. En invitant M. Kostunica à les rencontrer samedi au Conseil européen informel de Biarritz, les Quinze ont marqué leur volonté d'engager une coopération nouvelle avec la République fédérale de Yougoslavie.

Cette Europe, vous en êtes ici les représentants. J'ai plaisir à vous souhaiter la bienvenue au sein de cet hémicycle, un des symboles prestigieux de la France - de l'Ancien Régime, bien entendu, mais aussi la République. Ici ont été élus les Présidents des IIIème et IVème Républiques. C'est dans cette enceinte que continue de se réunir le Parlement français - Assemblée nationale et Sénat rassemblés - quand il révise notre Constitution. C'est ici, en particulier, que furent votées les révisions rendues nécessaires par la signature des traités de Maastricht puis d'Amsterdam. Ce lieu, qui évoque avec tant de force la Nation française, son histoire, son caractère et sa puissance, est donc aussi devenu un symbole de l'engagement européen de la France. La COSAC, par sa composition et par ses fonctions, traduit la conviction qu'il faut unir aussi étroitement que possible le devenir de chacun de nos pays et celui de l'Europe. C'est pourquoi, avant de vous donner un éclairage sur la présidence française de l'Union, je voudrais souligner l'importance de votre rôle dans la construction européenne.

La COSAC est désormais une instance importante dans le débat démocratique européen.

Entre les quinze parlements nationaux que compte notre Europe, comme entre ces derniers et le Parlement européen, une coopération est indispensable. Nécessaire à la concertation entre les parlementaires, cette coopération favorise l'information de nos concitoyens sur les enjeux européens. Nécessaire pour mieux transmettre aux institutions de l'Union les préoccupations des citoyens, elle concourt au contrôle démocratique de la construction de l'Europe, comme le soulignait le Parlement européen dans sa résolution du 17 mai 1995.

Faire vivre cette indispensable coopération entre parlements d'Europe, telle est la raison d'être de la COSAC, cette instance qui est née - je m'en réjouis - d'une initiative française. En mai 1989, c'est en effet sur une idée de M. Fabius, alors Président de l'Assemblée nationale, que les Présidents des parlements des Etats membres de l'Union ont décidé d'instituer une rencontre des diverses commissions parlementaires nationales spécialisées dans les affaires européennes.

Depuis, le rôle de la COSAC n'a cessé d'être conforté. En 1996, la déclaration de Dublin avait synthétisé les propositions des Quinze visant à approfondir la démocratie européenne. De ces réflexions est née l'idée d'un protocole annexé au Traité, affirmant le rôle des parlements nationaux dans l'Union et consacrant l'action de la COSAC. De même, en 1997, lors de la signature du traité d'Amsterdam, les gouvernements des Quinze ainsi que les parlements de l'Union se sont unanimement accordés sur la nécessité de renforcer le rôle de la COSAC. Ainsi, tout en restant un forum d'échange d'informations entre parlementaires, la COSAC est devenue une instance d'expression collective, à travers les contributions qu'elle adresse aux gouvernements et aux institutions européennes. Ce faisant, vous participez à la construction européenne, en nourrissant les réflexions sur l'élargissement de l'Union, la réforme de ses institutions, la politique sociale, ou la mise en place d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice.

Parmi ces thèmes, la réforme des institutions européennes illustre la bonne coopération qui s'est instaurée entre les parlements d'Europe. Ainsi, au mois de mars dernier, la Délégation que préside M. Alain Barrau a eu l'occasion, conjointement avec la commission des Affaires étrangères, d'entendre la Présidente du Parlement européen, Mme Fontaine, présenter les propositions de cette assemblée. De même, je sais l'accueil qui a été fait aux Délégations de vos parlements par la commission constitutionnelle du Parlement européen, afin que celui-ci puisse tenir compte de vos avis dans les résolutions qu'il adresse aux gouvernements nationaux, au Conseil européen, ainsi qu'à la Commission.

Le Gouvernement français souhaite que la COSAC fasse encore mieux entendre sa voix. Il vous revient d'organiser une plus grande participation des parlements nationaux aux activités de l'Union européenne. Il n'y a pas concurrence, mais bien complémentarité des contributions des parlements nationaux et de celles des institutions européennes. Les préoccupations de nos concitoyens seront d'autant mieux prises en considération au plan européen qu'elles seront relayées par les parlements nationaux. C'est pourquoi il est indispensable, en particulier, que les commissions de chaque parlement national entretiennent des relations étroites avec les commissions correspondantes du Parlement européen.

Cette coopération entre les parlements nationaux et le Parlement européen est au coeur du modèle original de souverainetés partagées que nous avons choisi, il y a cinquante ans, pour construire l'Europe. Elle est essentielle. Je rends hommage aux efforts accomplis par chacun d'entre vous pour la faire vivre. Animateurs du débat démocratique au sein de l'Union, vous faites avancer le projet européen. Parlementaires responsables devant les peuples d'Europe, vous portez la conviction que ce projet ne peut aller de l'avant sans l'adhésion des Européens.

Cette même conviction inspire la présidence française de l'Union européenne.

Présentant les priorités de notre présidence devant l'Assemblée nationale, le 9 mai dernier, j'ai souligné la nécessité de mieux associer un plus grand nombre de nos concitoyens à la construction européenne. Renforcer l'adhésion de tous au projet européen, tel est le cap de notre présidence.

Nous réaffirmons que l'Europe est une communauté de destin fondée sur des valeurs partagées. C'est là le sens de la Charte européenne des droits fondamentaux. Le projet de Charte a été salué comme une réussite par les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze réunis à Biarritz. Ce texte, en effet, est exemplaire à deux titres.

Il est remarquable, tout d'abord, par la méthode de travail qui l'a fait naître. Le Conseil européen de Cologne - à l'initiative de nos amis allemands - avait en effet choisi de confier l'élaboration de la Charte non à une traditionnelle conférence diplomatique, mais à une Convention composée de membres du Parlement européen, de parlementaires nationaux et de représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement. Cette diversité fut une richesse. En outre, la Convention a su s'ouvrir à d'autres points de vue, en auditionnant de grandes organisations non gouvernementales, les partenaires sociaux et les représentants des pays candidats à l'adhésion. Enfin, la Convention a travaillé dans un double souci de transparence - toutes les ébauches des textes étaient disponibles sur l'Internet - et d'interactivité - chaque citoyen pouvait adresser sa contribution à la Convention. Pluralisme, ouverture, transparence, interactivité : autant de principes dont la Convention a souligné la valeur et l'efficacité, autant de lignes de conduite qui doivent guider le travail de tous les responsables européens.

Cette Charte est également remarquable, bien sûr, par son contenu. En consacrant dans une même déclaration des droits civils et politiques, mais aussi économiques et sociaux, ainsi que des droits dits " nouveaux ", cette Charte consacrera une vision large des droits fondamentaux qui fait l'originalité et le succès du modèle social européen. Qu'il s'agisse de dignité humaine ou de libertés, d'égalité ou de solidarité, de citoyenneté ou de justice, il y a en effet, dans les quelque cinquante articles de la Charte, l'ensemble des principes et des valeurs qui fondent notre civilisation européenne. Je me réjouis que cette démarche trouve son aboutissement au moment où la France assume la présidence de l'Union.

Nous voulons une Europe plus proche des citoyens et répondant mieux à leurs préoccupations. Les priorités de l'Europe doivent être celles des Européens. Dans le respect du principe de subsidiarité, l'Union peut être un échelon pertinent pour résoudre des problèmes concrets auxquels sont confrontés les citoyens. C'est dans cet esprit que nous avons conçu le programme de travail de la présidence française. Nous avons voulu placer l'Europe au service de la croissance et de l'emploi. Nous avons travaillé à réorienter en ce sens la politique économique européenne, à encourager l'innovation, à construire un véritable espace européen de la connaissance. Une Europe plus forte et plus compétitive, c'est aussi une Europe plus juste et plus solidaire. La définition d'un " agenda social " est une priorité. Nous avons également progressé en matière de transport, notamment maritime, secteur dans lequel la sécurité est une préoccupation légitime des Européens. De même, nous nous employons à mieux protéger les consommateurs, grâce à un contrôle plus strict des produits alimentaires. Enfin, nous définissons une politique européenne plus juste et plus efficace en matière de droit d'asile et d'immigration.

Nous voulons que l'Europe assume les choix qui engagent l'avenir des Nations qui la composent. La présidence française ne ménage pas ses efforts afin que le Conseil européen de Nice marque de nouveaux pas en avant sur chacun des dossiers politiques qu'il nous est revenu de traiter. L'élargissement de l'Union, tout d'abord, qui constitue la toile de fond de notre présidence, est un mouvement historique pour notre continent. L'Union doit se préparer à cette perspective, ce qui exige une réforme des institutions : les débats que nous venons de mener à Biarritz ont été très riches et, je crois, utiles. Vous en connaissez les enjeux. Je sais que les gouvernements de vos pays, qu'ils soient membres de l'Union ou candidats à l'adhésion, sont extrêmement attentifs aux contributions qu'ils reçoivent de leurs parlements. C'est en tout cas une préoccupation majeure de mon Gouvernement. Enfin, la défense européenne : je me réjouis des progrès accomplis depuis quelques mois. Ils devraient nous permettre d'atteindre, à Nice, des résultats très substantiels.

Dans moins de trois mois s'achèvera la présidence française. Ce semestre aura vu, je l'espère, de nouvelles avancées pour notre Union et des progrès dans l'adhésion de nos concitoyens au projet européen. A ces résultats, vous aurez apporté votre contribution.

Par delà cette présidence semestrielle, vous êtes les témoins privilégiés du mouvement de transformation que connaît l'Union européenne : dans ses frontières géographiques, dans ses modes de fonctionnement et, surtout, dans les exigences de ses peuples. L'Europe de demain sera plus vaste, plus diverse, plus hétérogène, donc plus complexe. C'est pourquoi il nous faudra préserver et même approfondir ce qui fonde notre unité. Les peuples d'Europe attendent de vous, représentants élus dans les parlements nationaux et au Parlement européen, que vous participiez à l'effort collectif pour redonner du sens à l'Europe. Vos travaux d'aujourd'hui et de demain seront une occasion privilégiée de le faire. Je forme le voeu que vos débats soient très fructueux et suivis de nouvelles contributions de la COSAC, afin que le cours de l'Europe continue d'être tracé avec l'aide de tous les parlementaires d'Europe.

M. Alain Barrau, président - Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d'avoir donné votre éclairage sur la présidence française et sur le rôle de la COSAC dans la construction européenne. Je donne d'abord la parole à M. Manuel Dos Santos, qui nous avait si bien accueillis à Lisbonne.

M. Manuel Dos Santos (Portugal) - Je remercie M. le Premier ministre des informations qu'il vient de vous apporter. La situation de l'Union européenne, complexe, n'est pas seulement le résultat d'une crise de croissance. Il nous faut sortir de l'impasse où nous sommes. On l'a tenté de manière simpliste au plan institutionnel. Introduire une distinction entre grands et petits pays me paraît une approche erronée du problème. L'Europe est un projet de paix et de démocratie. Or, en pareille matière, il n'y a pas de grands et de petits pays : un pays est ou n'est pas démocratique et pacifique.

Le Conseil européen de Biarritz nous rend, à cet égard, optimistes, puisqu'il est apparu que la question de la réforme institutionnelle restait ouverte. Toutes les solutions peuvent donc être envisagées. Je souhaite que la présidence française atteigne ses objectifs.

Aboutir à une meilleure Europe est notre but fondamental. S'agissant des majorités qualifiées et des coopérations renforcées, nous sommes sur la bonne voie. Quant aux enjeux de pouvoir que représentent le nombre des commissaires et la pondération des voix au Conseil, il est bien que ces questions soient restées ouvertes à l'issue du Conseil européen de Biarritz.

La délégation portugaise contribuera très activement à améliorer l'Europe, sans perdre de vue l'opinion publique de notre pays ni les avis de notre Parlement.

M. Dimitrios Tsatsos (Parlement européen) - Nous avons besoin d'une Europe plus efficace, prenant davantage de décisions à la majorité qualifiée, et plus démocratique, ce qui implique un Parlement européen plus actif.

Malgré les signes observés à Biarritz, nous sommes loin de nos objectifs. La liste des décisions devant passer à la majorité qualifiée n'est pas assez exhaustive.

Se pose aussi le problème de l'efficacité en démocratie. Il faut que le Parlement européen intervienne sur toutes les décisions, conformément au traité d'Amsterdam.

Comment y parvenir ? Après le Conseil de Nice, pourrons-nous encore exposer notre vision de l'Europe dans les mêmes termes ?

S'agissant de la coopération renforcée, une conception très administrative prévaut. Il faut l'utiliser comme instrument d'intégration et de progrès, mais en lui donnant une légitimité. Si le droit de veto au lancement d'une coopération renforcée doit disparaître, il faut instituer une garantie et la seule garantie est l'intervention du Parlement européen.

Le Parlement européen nourrit des inquiétudes dans bien des domaines. Au Conseil par exemple, où l'égalité est essentielle, il faut assurer un équilibre entre grands et petits pays. Un pays d'un million d'habitants ne pèse certes pas le poids d'un grand, mais c'est lui aussi un Etat souverain. Certes, le Conseil doit être représentatif, mais il faut ouvrir des possibilités d'agir aux petits pays.

Nous avons vraiment le sentiment que domine une approche administrative. Il faut avoir le courage d'affirmer la dimension parlementaire, une pensée plus politique, et se soucier de l'opinion publique. Le Parlement européen est le garant de ces principes.

M. Michiel Patijn (Pays-Bas) - Je remercie M. le Premier ministre de son exposé clair et instructif.

S'agissant de l'élargissement, je souscris à ses propos. L'ouverture de l'Union européenne à l'Europe centrale est une nécessité historique et toutes les institutions européennes vont devoir relever ce défi.

Mais je m'interroge sur la gestion politique de cet élargissement. A Luxembourg, il y a deux ans, nous avions décidé de négocier avec un groupe de pays et de préparer la négociation avec un autre groupe. Puis à Helsinki, il y a un an, nous avons adopté le modèle " Regate " : les négociations ont lieu en même temps avec tous les candidats et les premiers prêts adhèrent les premiers. Parmi les initiés à Bruxelles, on parle maintenant d'un " big bang " c'est-à-dire de l'élargissement à de nombreux pays à la fois.

Le Conseil européen peut-il clarifier cette stratégie ? Peut-on également avoir des informations sur le contenu de l'élargissement ? Exigera-t-on de ces pays qu'ils soient en mesure de participer au marché commun intérieur et d'adhérer à l'espace Schengen ? Qu'en sera-t-il de la protection des marchés agricoles et de la Charte des droits fondamentaux ?

A ce sujet, faut-il comprendre des propos du Président Chirac que le Conseil européen de Biarritz a adopté le texte de la Charte, ou y aura-t-il des modifications avant son adoption officielle à Nice ?

Dr. Friedbert Pflüger (Allemagne) - Je remercie M. le Premier ministre. Sa présence parmi nous montre l'importance que le gouvernement français accorde à la COSAC et l'estime dont jouit M. Alain Barrau.

Qu'il faille parvenir au succès à Nice, c'est évident, et pas seulement dans la forme mais aussi sur le fond. C'est donc une responsabilité énorme que porte la présidence française. Un échec serait très mal ressenti par les pays d'Europe centrale et orientale. Alors qu'ils font de véritables révolutions, que leurs peuples doivent s'adapter à une nouvelle vie, nous ne serions pas capables de réformer nos institutions ? On ne peut pas se permettre un tel échec. Mais le Conseil de Nice, j'en suis sûr, sera un succès. Si la présidence française n'y parvenait pas, qui y parviendrait ?

Je crois aussi qu'il nous faut réfléchir dès maintenant à ce qui se passera après décembre 2000. Les pays d'Europe centrale et orientale attendent de nous des signes clairs. Discerner une lumière au bout du tunnel les encouragerait ; et la phase finale est toujours la plus fatigante. A plusieurs reprises déjà, la date de l'élargissement a été reportée de cinq ans. En 1995, nous avons repoussé l'élargissement à 2000, en 1998 à 2003 et en 2000 à 2005. Différer encore l'élargissement risquerait de ralentir le processus d'adhésion, mais aussi de favoriser l'instabilité dans ces pays et de provoquer des coûts énormes. Il faudrait donc, au moins sous la présidence suédoise, définir un calendrier et ne plus créer de nouvelle catégorie. Si ces pays satisfont aux critères posés, c'est à nous qu'il reviendra de faire un effort énorme.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je vous remercie de ces questions qui abordent à la fois les perspectives pour l'Europe et les négociations en cours.

Bien sûr, Monsieur Dos Santos, l'Europe est un projet de paix, même si la question des Balkans, qui a éclaté de nouveau avec une violence à laquelle, trop habitués à la paix, nous n'étions pas préparés culturellement, est venue nous rappeler que même en Europe la paix n'était pas assurée partout.

L'Union européenne est aussi un projet de démocratie. Mais cette démocratie est toujours à défendre et la présence dans plusieurs pays, dont le mien, de forces d'extrême-droite dont les conceptions sont éloignées des principes démocratiques montre qu'il faut rester vigilant.

Mais la paix, si nous la préservons, la démocratie, si elle se développe, comme le montrent les progrès accomplis à Belgrade, ne suffisent pas à faire tout notre projet pour l'Europe. C'est ce que nous avons déjà construit. Désormais c'est autour de politiques économiques et sociales, de conceptions culturelles que nous pouvons défendre un projet de civilisation qui donnera sens à la construction européenne.

Pendant la présidence française, si nous voulons assurer le succès de la CIG, il faut éviter de laisser se développer une opposition entre grands et petits pays. S'il nous faut prendre des décisions dans le respect des Etats, quelle que soit leur taille, la démocratie impose aussi de tenir un peu compte du poids démographique, car les décisions doivent être prises par la majorité des peuples.

Nous avons eu le souci à Biarritz de ne pas nous laisser enfermer dans un débat entre grands et petits pays. Certaines agences de presse ont laissé entendre que le dîner de vendredi soir aurait été négatif. Tel n'a pas du tout été mon sentiment. Ce fut l'occasion pour les chefs d'Etat et de gouvernement, dans un cadre informel, d'examiner plus en profondeur ce que chacun pouvait apporter à la construction de l'Europe pour réussir l'élargissement. Le débat était approfondi mais aussi très chaleureux et nullement crispé.

Nous avons progressé sur la majorité qualifiée et sur les coopérations renforcées ; nous avons abordé très franchement la question de la Commission et la question de la repondération ou de la double majorité. On s'est approché d'un accord sur deux points et, sur les deux autres, on s'est dispensé de répéter les oppositions. Tout cela s'est donc utilement inscrit dans la dynamique menant vers Nice.

A M. Tsatsos, je répondrai que nous devons veiller à un équilibre entre les trois institutions européennes, la Commission, le Parlement européen et le Conseil, auxquelles j'ajoute la part que prennent les parlements nationaux dans la construction européenne.

On ne peut pas considérer l'Union européenne comme on fait d'une nation. Quelque interrogation que l'on ait sur la politique d'un pays, quelque opposition que l'on ressente contre un gouvernement de droite ou de gauche, on ne remet pas en cause le Portugal, la Grèce, les Pays-Bas ou l'Allemagne : le ciment de la nation est solide. En revanche, la construction européenne doit, à chaque rendez-vous, donner la preuve qu'elle progresse. En l'absence de progrès sensibles, les observateurs s'interrogent et se demandent si l'Europe n'est pas en panne. Ne serait-ce donc que pour cette raison, il faut réussir le sommet de Nice. C'est aussi pour l'euro que nous devons le souhaiter : si nous donnons l'impression de vivre une crise politique, notre monnaie risque de s'en ressentir.

La même raison fait que nous ne pouvons nous contenter de ne pas échouer ; il faut non seulement un accord, mais un bon accord qui permette de renforcer l'efficacité du fonctionnement de l'Europe. Un accord minimal ne serait pas considéré comme un succès.

M. Tsatsos m'a aussi interrogé sur les " petits " pays. La construction européenne leur a beaucoup apporté en termes de respect dû aux Etats, quelle que soit leur taille. Les " petits " pays ont beaucoup plus obtenu que ce qu'ils auraient pu espérer d'une multiplication d'accords bilatéraux. Quand le Conseil européen se réunit, il y a certes le poids relatif des pays, mais aussi les talents et les personnalités de ceux qui les représentent et, sur ce plan, nous sommes à égalité.

Je concède à M. Patijn que ma vision est, évidemment, subjective ; je ne suis, en ces matières, qu'un amateur éclairé ; le professionnel, c'est M. Moscovici, qui vous répondra tout à l'heure.

Pourquoi donc avoir défini deux groupes de pays candidats ? Simplement parce que l'on a constaté que tous n'avaient pas les mêmes étapes à franchir, que leur degré de préparation n'était pas le même. Nous avons ensuite affirmé le principe de différenciation afin de ne pas rester enfermés dans ces deux groupes initialement définis. Il peut se faire que tel pays du deuxième groupe adhère avant un pays du premier. Mes connaissances en astrophysique ne me permettent pas de parler avec précision du big bang, mais je n'imagine rien de tel pour les adhésions.

Va-t-on, à Nice, clarifier la question de l'élargissement ? La présidence française le souhaite. Cela suppose que l'on ne soit pas accaparé par la question de la CIG. J'aimerais que l'on ait suffisamment avancé sur la CIG pour que reste le temps de parler de l'élargissement. Notre ambition n'est pas d'attendre Nice pour tout mettre sur la table et, au petit matin, saturés de café, trouver vaille que vaille un accord.

Par delà l'énumération des points de détail, je souhaite que l'on parvienne à une vision synthétique des problèmes qui se posent à tel pays dans sa route vers l'adhésion. Tous les problèmes devront naturellement être traités, y compris ceux qui concernent l'agriculture.

Le projet de Charte a été approuvé à Biarritz ; la discussion est terminée, l'heure n'est plus aux amendements. Nous sommes convenus de ne fixer son statut juridique qu'ensuite. Après son examen par la Commission et par le Parlement européen, la Charte pourra être proclamée à Nice.

M. Pflüger s'est demandé qui résoudrait la question de la CIG si ce n'est la présidence française. Eh bien, la présidence suédoise, voyons ! Mais j'espère bien que nous parviendrons à un résultat à Nice. La question de l'élargissement est décisive. Naguère, elle suscitait l'enthousiasme des uns et des autres et nombre de chefs d'Etats ou de gouvernements faisaient le voyage vers l'Est pour promettre aux uns et aux autres une adhésion rapide. Voici venu le temps du réalisme. Je ne le regrette pas. On résout mieux les problèmes difficiles en considérant la réalité des choses. Il ne faudrait certes pas pour autant que ce réalisme donne lieu à double langage et masque une absence de volonté d'aboutir. Nous voulons que l'élargissement soit progressif et réussi.

M. Alain Barrau, président - Nous allons aborder une nouvelle série de questions.

M. Ben Fayot (Luxembourg) - Merci, Monsieur le Premier ministre, de votre plaidoyer en faveur d'une participation des parlements nationaux à la construction de la démocratie en Europe ! Nous, parlementaires nationaux, avons vécu à cet égard une expérience tout à fait neuve avec la Convention pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux : nous y étions presque la majorité - 30 sur 62 - et, pour la première fois, nous n'étions pas confrontés à un texte qui nous était soumis par les gouvernements : nous en étions les auteurs. Ce fut pour nous, je dois dire, une aventure assez extraordinaire. Ne pourrait-on s'inspirer de cette méthode pour la négociation des nouveaux traités et de la Constitution de l'Union européenne ? Si les parlements nationaux étaient associés dès le départ à ces entreprises, en coopération avec le Parlement européen et les représentants des gouvernements, nul doute que leur implication en serait plus forte et que la démocratie européenne y gagnerait.

En second lieu, nous souhaitons tous que le sommet de Nice soit un succès. Des progrès indéniables ont été accomplis sur les coopérations renforcées et sur la majorité qualifiée, mais, s'agissant de la taille de la Commission, deux points de vue s'opposent encore nettement : il y a, d'une part, ceux qui estiment qu'une Commission réduite serait seule efficace et, de l'autre, les pays petits et moyens, surtout, qui militent pour que chaque Etat ait son représentant. La présidence française a-t-elle une idée de la façon dont on pourrait rapprocher ces positions apparemment inconciliables ?

M. Matti Vanhanen (Finlande) - Je remercie M. Jospin de nous avoir fait rapport sur la réunion de Biarritz... en devançant ainsi notre propre Premier ministre !

Le Parlement finlandais est très attaché à l'élargissement et souhaite qu'on trouve une solution équitable pour tous les pays candidats. En ce qui concerne la négociation sur les institutions, nous aimerions savoir où en sont les discussions sur la majorité qualifiée : il est primordial d'étendre le champ du vote à la majorité qualifiée. S'agissant de la Commission, nous souhaiterions qu'on s'en tienne au principe d'un commissaire par pays, afin de renforcer partout le sentiment d'appartenir à l'Union européenne. Quant à la pondération des voix au Conseil, nous l'estimons très importante dans la perspective de l'élargissement. Pour les premier et troisième piliers, nous souhaitons que les nouveaux règlements apportent davantage de flexibilité, de manière à ce que toutes les questions puissent être effectivement réglées avec la coopération de tous. Et, bien entendu, nous soutenons avec force la présidence française dans sa recherche de solutions, d'autant que nous savons l'entreprise difficile.

M. Andrea Manzella (Italie) - Je sais gré, moi aussi, à M. Jospin d'avoir montré tant d'intérêt pour cet exercice de coopération interparlementaire. Comme M. Fayot, je considère que, de ce point de vue, la Convention pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux a marqué une avancée sans précédent pour la démocratie en Europe. Evitons par conséquent de " renationaliser " et appliquons en ce domaine le principe de subsidiarité ! Ma première question sera donc : cette méthode a-t-elle un avenir ? Autrement dit, cette Convention n'est-elle qu'un phénomène ponctuel ou va-t-elle devenir le modèle à suivre pour toutes les questions institutionnelles ?

S'agissant du sommet de Nice, comment voyez-vous la relation entre la Commission et le Conseil, Monsieur le Premier ministre ? Et parlant du Conseil, je n'entends pas seulement le Conseil des ministres, comme on le fait communément, mais aussi et surtout le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, le Conseil européen, dont chaque réunion a été à l'origine d'un bond en avant.

D'autre part, pensez-vous que ce sommet permettra d'avancer vers un gouvernement économique de l'Europe ? On ne peut en effet laisser la Banque centrale européenne à sa solitude...

Je partage tous les voeux de succès exprimés à propos de cette réunion capitale pour l'élargissement et pour la paix en Europe, mais cette réussite demandera de déployer une grande force de conviction. Puisse, dans cet autre championnat, la France faire comme elle a fait l'été dernier à Rotterdam, où elle l'a finalement emporté parce qu'elle a cru en ses chances jusqu'au bout ! Croyez que, comme il y a quelques mois, les Italiens applaudiront !

M. Dinos Vrettos (Grèce) - La Grèce aussi espère que la France réussira !

En ce qui concerne l'élargissement, nous souscrivons à l'idée d'une admission échelonnée, en fonction de l'avancement réel des candidats. Mieux vaut en effet que tous n'entrent pas ensemble dans l'Union. Je pense que le sommet de Nice devrait être l'occasion d'une clarification sur ce point, mais non celle d'annoncer d'ores et déjà des choix.

Dans le domaine institutionnel, la pondération des voix apparaît comme un des problèmes majeurs. Cependant, en matière de défense notamment, il est beaucoup question de " noyau dur " : pour notre part, nous souhaiterions que ce noyau comprenne tous les pays membres de l'Union monétaire et nous insistons pour que tous les Etats de l'Union puissent y participer s'ils le souhaitent.

Je suis personnellement très déçu qu'au moment où l'on parle tant de politique extérieure commune, l'Union européenne soit absente des nouvelles négociations qui s'ouvrent au Moyen-Orient. J'entends bien que M. Solana y participe, mais son rôle paraît plutôt purement décoratif. Ne devrions-nous pas exiger qu'un chef d'Etat ou de gouvernement de l'Union soit présent ? Je pense bien sûr d'abord à la France, qui a la présidence...

Mme Pervenche Berès (Parlement européen) - Je vous remercie à mon tour, Monsieur le Premier ministre, d'avoir, avec les autres participants au Conseil européen, eu l'audace d'une procédure nouvelle pour l'élaboration de la Charte, dont beaucoup avant moi ont dit tout le bien qu'ils en pensaient. Je souhaite qu'elle puisse être à nouveau utilisée. Pensez-vous que cela soit possible ?

Je vous remercie également de votre engagement personnel en faveur d'un texte soigneusement pesé, dont l'équilibre a permis qu'il soit accepté par tous.

Dès le Conseil européen de Cologne, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont interrogés sur les moyens d'intégrer la Charte au Traité. La Présidence française fera t-elle des propositions en ce sens ? Le Parlement européen a adopté une résolution demandant que le statut de la Charte soit examiné par la CIG, alors même qu'elle a été rédigée, sur le mandat de Cologne, à droit constant. Nous savons que certains Etats s'y opposent. Pourtant, l'opinion publique européenne ne s'y trompe pas, qui voit dans la Charte un signe de vitalité de l'Union. Elle ne comprendrait donc pas qu'à Nice, les chefs d'Etats et de gouvernement ne décident pas de faire référence à la Charte dans l'article 6 du traité sur l'Union européenne.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - M. Fayot a, le premier, évoqué la convention, pour s'en féliciter. Il est vrai que la méthode retenue s'est traduite par d'heureux résultats, et que la concision des formules, solidement étayées sur le plan juridique, a permis d'exprimer avec laconisme des valeurs communes. L'élan donné par le Président Herzog et la qualité des rédacteurs ne sont pas étrangers à ce succès.

D'autres textes seront, à l'avenir, discutés par les chefs d'Etat et de gouvernement et la méthode qui consiste à recourir à des " sages ", à des personnalités qualifiées, pour accomplir l'indispensable travail de synthèse pourra être reprise, s'ils le souhaitent. Le système a, cette fois, parfaitement fonctionné, mais il ne m'appartient pas d'engager toutes les autorités françaises, ni nos partenaires, en vous assurant qu'il sera à nouveau mis en oeuvre.

La taille de la Commission a été évoquée. Vous savez tous qu'à ce sujet deux conceptions s'opposent. Certains penchent en effet en faveur d'une Commission de taille réduite, estimant que l'instance y gagnerait en efficacité, surtout après l'élargissement. D'autres jugent que chaque Etat membre doit, pour se sentir convenablement représenté, pouvoir dépêcher un commissaire à Bruxelles.

Je dois vous dire mon étonnement d'entendre de tels arguments : la Commission n'est-elle pas l'organe communautaire par excellence, l'instance intergouvernementale étant le Conseil ? Mieux : le mandat des commissaires prévoit explicitement qu'ils ne doivent pas défendre le point de vue de leur Etat d'origine, mais oeuvrer collégialement au progrès de l'Union. Je suis donc surpris que certains des Etats qui sont, par ailleurs, parmi les plus " unionistes ", retrouvent soudain la nécessité d'un lien identitaire.

Nous avons entendu dire, aussi, que l'efficacité d'une Commission de 27 membres ne serait pas moins grande que celle d'un gouvernement national, parfois beaucoup plus étoffé. J'en doute, car il existe dans un gouvernement national - du moins lorsqu'il fonctionne bien - une cohésion qui est, en revanche, plus difficile à réaliser dans un organe où cohabitent des hommes et des femmes de cultures et de formations juridiques différentes. Je crains donc qu'une Commission trop large ne crée le risque d'une déperdition d'efficacité et d'une sédimentation bureaucratique -mais je m'en tiendrai là et j'ignore, à ce jour, si un compromis pourra être trouvé, notamment autour de l'idée d'une hiérarchisation de la Commission.

Je suis heureux d'avoir pu donner à M. Vanhanen le compte rendu du Sommet de Biarritz avant même le Premier ministre finlandais... qui a, il faut le souligner, une excellente excuse : la brièveté du délai dont il disposait. Où en est-on, donc, de la majorité qualifiée ? Le Président de la République a indiqué que des progrès avaient été accomplis, mais que des réserves demeuraient, qui touchent au domaine fiscal notamment. Une entente s'est faite en matière sociale, à condition que l'on ne touche pas aux systèmes de sécurité sociale nationaux. Pour ce qui est du commerce extérieur, il doit être possible d'aller de l'avant pour autant que l'on ne procède pas à une extension des compétences communautaires et que l'on prenne en compte certains secteurs sensibles tels que la culture. Les questions d'environnement, de cohésion sociale, de droit d'asile et d'immigration ont également été abordées.

Je le répète : sur la composition de la Commission d'une Union élargie, le débat reste ouvert, mais il ne me semble pas nécessaire que chaque pays dispose d'un commissaire, puisqu'il est représenté au Conseil des ministres.

M. Manzella s'est inquiété de la répartition des tâches entre la Commission et le Conseil. Il est vrai que la Commission est une instance originale, puisqu'elle a un rôle d'initiative et d'impulsion et qu'elle est aussi chargée d'exécuter les décisions du Conseil. Elle doit donc agir de manière ordonnée et continue et savoir, quand c'est nécessaire, rappeler les règles. Les Conseils européens doivent être l'occasion de faire progresser, sans tension excessive, l'Union européenne, par étapes successives. Le cours tranquille de la rivière s'accélérerait donc parfois, sans que ce courant plus vif ne projette l'esquif contre les rochers...

Comment rompre la solitude de la Banque centrale ? Cette institution doit être indépendante - le principe a été accepté - mais il serait mauvais qu'elle soit solitaire. Les membres de l'Euro-12 doivent donc démontrer que l'autorité politique se soucie de l'avenir de la monnaie commune, dont la valeur doit refléter les données économiques fondamentales. Il lui faut, pour cela, entretenir un dialogue discret et constant avec la BCE.

J'en viens à la question, éminemment sérieuse, du football... Des événements les plus récents en cette matière, je tire plusieurs conclusions. J'y vois, d'abord, la preuve du métissage culturel, puisque les Français, que l'on dit souvent inconstants, ont su, comme l'auraient fait des Britanniques ou des Allemands, s'attacher à gagner jusqu'au tout dernier moment. J'ai observé, bien sûr, le visage désespéré mais digne de M. l'Ambassadeur d'Italie assistant à cette défaite de dernière minute. Mais que l'Italie se console : si la France a, pour l'instant la meilleure équipe du monde, la Péninsule a le meilleur championnat... En tant que personnalités politiques, vous apprécierez sans doute cet équilibre. D'autant que Ferrari est champion du monde des conducteurs !

S'agissant de la défense, M. Vrettos, la politique de sécurité commune ne doit pas être confisquée par quelques-uns uns, même si certains pays peuvent apporter davantage aux capacités communes de l'Union. Cette politique doit être définie en commun et partagée.

En matière de politique extérieure commune, nous avons des progrès à faire pour affirmer et identifier les compétences de l'Europe, à travers M. PESC et la présidence. Le Proche-Orient n'en est assurément pas le meilleur point d'application. Les Israéliens et sans doute aussi les Palestiniens se sont longtemps accommodés d'un dialogue à trois avec les seuls Etats-Unis. Il est vrai que les choses commencent à bouger. Mais nous n'allions pas, à Biarritz, rajouter aux difficultés qu'ont MM. Arafat et Barak à se rencontrer à Charm-el-Cheikh en exigeant que l'Union européenne soit présente. Le Président Chirac y a veillé particulièrement. M. Solana y sera. Il a suffisamment d'expérience et il est suffisamment reconnu pour ne pas se contenter d'un rôle purement décoratif. Sur cette question comme sur d'autres, la voix de l'Europe doit être entendue.

Mme Berès m'a interrogé sur la Convention. Le texte de la Charte qu'elle a élaboré ne pouvait se contenter de reprendre le fonds de valeurs communes des Lumières, de la Constitution américaine ou de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous sommes à l'aube du XXIème siècle et non pas dans le XVIIIème siècle finissant, ni même dans les conquêtes sociales des XIXème et XXème siècle. Il fallait donc, aux droits fondamentaux et aux droits sociaux, produits de notre histoire commune, ajouter des droits liés à l'éthique, au principe de précaution, au souci de l'environnement, droits conformes à notre héritage historique, mais qui répondent aux nouveaux problèmes posés à nos peuples. Il fallait montrer la capacité de l'Europe à prendre en compte la modernité. Je me réjouis que cela ait été fait.

Quant au contenu juridique exact de la Charte, si nous avions dû, à Biarritz, nous pencher sur la question de l'inclure ou non dans le traité, nous n'aurions pu obtenir un accord sur le fond. Nous avons choisi d'obtenir cet accord et c'est chose faite. Chacun a aussi admis que le débat reprendra ultérieurement.

L'Europe ne s'arrête ni à Biarritz, ni à Nice. Un débat est ouvert, qui a déjà été marqué par des prises de position de personnalités importantes des différents pays sur le futur de l'Europe, sur son nouvel équilibre institutionnel, sur ce que sera l'Europe élargie. Comment pourra-t-elle garder son unité, condition de son efficacité ? Comment faire surgir de sa diversité - qui est une chance extraordinaire dans un monde menacé par l'uniformité - les matériaux d'une synthèse nouvelle pour le siècle qui commence ? Je me réjouis que nous ayons à y travailler, non seulement au présent, mais aussi au futur, avec celles et ceux qui nous succéderont sur ces bancs et sur d'autres.

M. Alain Barrau, président - Je remercie M. le Premier ministre pour son intervention, qui est un geste politique et symbolique très fort pour nous tous, au lendemain du Conseil européen. Le contenu de son propos introductif et la précision de ses réponses aux questions posées nous seront très utiles pour la suite de nos travaux.

La séance, après avoir été suspendue, est reprise sous la présidence de M. Hubert Haenel.

M. Hubert Haenel, président - M. Moscovici veut bien rester avec nous plus longtemps qu'il ne l'avait prévu. Je souhaite qu'un maximum de questions puissent lui être posées. Quinze orateurs sont encore inscrits.

M. Ernst Hirsch Ballin (Pays-Bas) - Avant de vous poser des questions en néerlandais, je souhaite, Monsieur le ministre, vous féliciter dans votre langue et saluer la présidence française pour ce qui a été réalisé à Biarritz. La Charte européenne des droits fondamentaux constitue un progrès, pour contribuer au développement institutionnel de l'Europe. Elle témoigne du caractère spécifique de la coopération européenne. Nous avons toutes les raisons d'approuver cette Charte. S'agissant de la réforme des institutions, nous souhaitons que le Conseil européen de Nice donne de bons résultats.

Il est important de procéder à cette réforme avant l'élargissement. Celui-ci doit contribuer à la stabilité. Mais nous entendons régulièrement exprimer des réserves sur la prise de décision à la majorité dans différents domaines. Comme ces domaines ne sont pas les mêmes pour chaque pays, l'addition de leurs réserves risque de laisser une place importante au droit de veto. Pourtant, si la subsidiarité s'applique correctement, tout le monde devrait pouvoir accepter la décision à la majorité. Comment procéder autrement avec l'ouverture des frontières par exemple ? Pour résoudre les problèmes que peut poser le commerce international, il faut instituer des droits de douane, et non utiliser le droit de veto.

En second lieu, la Charte est une contribution importante. Mais ne faudrait-il pas lui donner une consécration juridique pour garantir leurs droits aux citoyens européens ? N'est-ce pas le moment de le faire ?

Lord Wallace of Saltaire (Royaume-Uni) - Comme les précédentes, la prochaine CIG décidera de renvoyer certaines questions à celle qui suivra. J'aimerais donc savoir - et cette question s'adresse aussi à la représentation allemande puisque des représentants des Länder ont évoqué cette question - si à l'ordre du jour de la CIG qui se tiendra en 2004, figurera la question de la subsidiarité entre l'Union européenne et les gouvernements nationaux, mais aussi entre l'Union européenne et les autorités régionales.

Cette question rejoint celle des rapports entre grands pays et petits pays. A la prochaine CIG il y aura 25 participants. Alors que le Luxembourg a une voix, il faudra bien accepter que les autorités locales de grands pays membres jouent un rôle plus important. Par exemple, l'Ecosse a 5 millions d'habitants, le Pays de Galles 2 millions. Disposant de deux commissaires, le Royaume-Uni a toujours réussi à en nommer un qui soit écossais, ou comme c'est le cas actuellement, gallois, dans la perspective d'une Europe multiculturelle. En Allemagne, la Bavière et la Saxe poussent à ce qu'on inscrive cette question à l'ordre du jour de la CIG. Encore une fois, comment expliquer que le Luxembourg ou le Danemark aient une voix plus forte que la Catalogne, la Bavière, l'Ecosse ou le Pays de Galles ?

On touche ici également aux questions de pondération des voix et de taille de la Commission. M. Jospin a dit que pour être efficace, celle-ci devait comporter peu de membres. Je souhaite que l'on s'accorde sur un chiffre nettement inférieur à 20 commissaires. Les représentants permanents à Bruxelles peuvent représenter leur pays, plutôt que d'avoir obligatoirement pour cela un commissaire.

Le Parti nationaliste écossais fait valoir que si l'Ecosse était indépendante, elle aurait plus de poids face à l'Europe. Il y a là des problèmes d'équilibre que les petits Etats doivent comprendre.

M. Karl Schweitzer (Autriche) - J'aimerais d'abord savoir selon quels critères on a décidé de l'ordre des interventions. La délégation autrichienne a été la cinquième à demander la parole, mais a dû attendre cette troisième série de questions pour s'exprimer.

J'en viens à mes questions de fond. D'abord, la Charte des droits fondamentaux, dans ses articles 21 et 22, ne traite pas de façon satisfaisante de la protection des minorités. Les délégations allemande, britannique et finlandaise ont fait la même remarque. La présidence française doit indiquer s'il sera possible de corriger le texte de la Charte sur ce point.

En second lieu, la nouvelle pondération des voix, le vote à la majorité qualifiée, la composition de la Commission posent question. Avec l'élargissement, il ne sera plus possible d'attribuer un siège à chaque pays, et la nouvelle pondération jouera en faveur des grands pays. D'après la présidence française, dans quels domaines recourra-t-on aux votes à l'unanimité ? Pour nous, il doit s'agir de l'eau, des transports, du droit d'asile par exemple. Partagez-vous le point de vue de la délégation autrichienne ?

Enfin, le traité d'Amsterdam prévoit la possibilité de coopérations renforcées, mais avec de telles conditions qu'on ne les a pas mises en pratique. L'Autriche a une attitude très positive à cet égard, mais rappelle que tous les Etats de l'Union sont égaux. Il faut donc que toutes les formes de coopération soient accessibles à tous. Une " masse critique " de pays doivent y participer pour ne pas laisser place à un directoire de 3 ou 4 grands Etats. Et ceux qui n'y participent pas ne doivent pas être désavantagés. Une coopération n'est possible que si la Commission donne son accord préalable. Pour autant, il ne faut pas abandonner l'effort à la première difficulté.

J'espère avoir des réponses satisfaisantes à ces questions.

M. Pierre Fauchon (France) - A propos des lieux où nous nous trouvons, le Premier ministre a évoqué la grande monarchie et la Troisième République. J'ajoute qu'ici même, en 1789, des hommes représentant toutes les provinces de France, alors aussi différentes entre elles assurément que le sont aujourd'hui les Etats d'Europe occidentale, rassemblés pour donner des conseils, ont créé le premier pouvoir législatif. Leur exemple - sans le suivre à la lettre - doit être stimulant pour nos institutions.

Sur ce plan institutionnel, l'existence de conseils techniques des ministres peut-elle éviter qu'on ne crée une deuxième chambre de représentants des Etats, comme il en existe dans toute organisation fédérale ? Le système institué par le traité de Rome fut excellent dans les premières décennies, mais peut-il se prolonger indéfiniment ? Il atteint manifestement ses limites. Pour ce qui est de la légitimité, une assemblée de ministres et de leurs collaborateurs n'est pas un vrai pouvoir législatif ; pour ce qui est de l'efficacité, des conseils des ministres surchargés et se réunissant de façon épisodique ne peuvent étudier à fond des questions complexes. Ils le font de façon technocratique. Dès lors, même si ce n'est pas une priorité, il faut songer à créer tôt ou tard une deuxième chambre du Parlement.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - A Biarritz, toutes les délégations ont considéré qu'un ambitieux traité de Nice devrait inclure l'instauration du vote à la majorité qualifiée comme règle générale. Cinquante points étaient en discussion ; sur une bonne moitié d'entre eux, nous avons bien avancé ; sur une quinzaine d'autres, des progrès sont possibles ; il en reste une demi-douzaine, concernant la protection sociale, la fiscalité, la lutte contre les discriminations, l'immigration ou la politique commerciale extérieure, sur lesquels nous sommes confrontés à des réticences croisées. Or, il va de soi que le passage à la majorité qualifiée ne peut être décidé qu'à l'unanimité. Quand celle-ci sera réalisée, nous pourrons voter comme on fait dans toute démocratie : à la majorité.

S'agissant de la Charte, il est exact que nous avons préféré la discuter au fond avant de nous engager dans un débat sur son statut juridique. Certaines délégations se seraient opposées à l'adoption d'une Charte dont on aurait posé au préalable qu'elle serait contraignante. Sans doute la Charte sera-t-elle un jour le préambule à un traité institutionnel. Je ne serais pas hostile à une référence à la Charte dans l'article 6 du TUE, mais j'ai senti des réticences là-dessus à Biarritz.

L'après-Nice ? Il sera temps d'y penser quand on sera arrivé à Nice ! Faudra-t-il une nouvelle CIG ? Quel contenu ? Quel calendrier ? Nos amis allemands sont demandeurs sur les services d'intérêt général dans les Länder. D'autres questions pourront apparaître. Les débats doivent se poursuivre.

La délégation française partage le point de vue selon lequel la Commission doit être l'émanation de l'intérêt général communautaire. C'est pourquoi nous souhaitons que le nombre de commissaires soit inférieur ou égal à 20, quel que soit le nombre des Etats membres. Sur ce point, le Conseil est divisé. Il nous semble que l'on pourrait réformer le COREPER ou le Conseil " Affaires générales ", de manière à ce qu'il y ait un deuxième organe siégeant en permanence à Bruxelles, et composé de représentant des Etats siégeant la moitié du temps à Bruxelles pour préparer, en liaison avec la Commission, l'ordre du jour du Conseil.

Je dois dire au représentant autrichien qu'à Biarritz la délégation de son pays a exprimé ses préoccupations sur les droits des minorités. Tout le monde a approuvé la Charte en précisant qu'on ne rouvrirait pas son contenu. Cela ne signifie pas que la coupe soit pleine. La France est sensible aux droits sociaux ; d'autres Etats insistent beaucoup sur les droits des minorités. Les souhaits des uns et des autres ne sont pas tous exaucés, mais nous sommes convenus de nous arrêter sur l'équilibre atteint. Toutes les délégations l'ont approuvé, y compris le chancelier autrichien.

La nouvelle pondération ne vise pas à renforcer les droits des grands Etats par rapport aux petits. Le seuil des voix pour la majorité qualifiée a été fortement réduit ; on est passé de 70 % de la population à un chiffre qui serait de 50 % dans une Europe à 27 ; le seuil pour la minorité de blocage passerait de 35 % à 11,6 %. Il serait paradoxal que les pays qui demandent un commissaire par Etat membre n'acceptent pas de compensation pour la renonciation des plus grands à un poste de commissaire.

J'attends de gros progrès à Nice sur les coopérations renforcées. Nous sommes d'accord sur le fait que les coopérations renforcées sont un mécanisme subsidiaire - et pas principal - et qu'elles doivent rester ouvertes à tout Etat membre. Nous avons beaucoup avancé sur le seuil de déclenchement, qui pourrait être fixé à huit pays et sur la suppression de la clause d'appel au Conseil. Reste à définir le champ - car il y a des réticences sur la politique étrangère et de sécurité commune - et les modalités de fonctionnement, mais je suis plutôt optimiste à cet égard.

M. Fauchon rappelle le souvenir des Etats généraux. Le Premier ministre avait songé à l'évoquer mais cela lui a paru inadéquat pour une réunion de la COSAC ! Faut-il une seconde chambre européenne ? La question est très discutée, d'autant plus que tous n'en attendent pas la même chose. Quand le fédéraliste Joschka Fischer et l'antifédéraliste Tony Blair souhaitent la même chose, je crains qu'il n'y ait quelque ambiguïté. Je ne suis pas sûr que la seconde chambre soit une bonne idée, mais on verra après Nice.

M. Herman De Croo (Belgique) - Je suis heureux que nous puissions avoir une aussi riche discussion au lendemain du Conseil de Biarritz. Cela fait 33 ans que je suis parlementaire ; j'ai passé le tiers de ce temps au gouvernement et j'ai été amené à présider des conseils européens. Si l'on considère que les gouvernements ne représentent que des majorités, on peut dire qu'à Biarritz n'étaient représentés qu'au mieux 55 % de la population européenne alors qu'ici, à la COSAC, la plupart des forces politiques sont représentées.

Dans toutes ces négociations, on traite de beaux et nobles sujets, au détriment de ce qui préoccupe vraiment les gens. De ce point de vue, les récentes semaines n'ont pas été bonnes pour l'Europe, avec le rejet de l'euro par les Danois, avec les difficultés sur nos routes. En ignorant tout cela, on quitte le réalisme, certes pour de beaux principes. La Charte, par exemple, est une très bonne chose, mais si elle n'est pas ratifiée par les parlements respectifs, de quel droit en ferait-on une pièce législative européenne ?

En fait, je crains que le réalisme véritable ne soit enterré par le développement de la subsidiarité. Nous perdons 50 000 morts sur nos routes. L'Europe ne fait rien. Elle est incapable de s'entendre sur des sujets aussi concrets que les relations avec les Etats-Unis en matière de transport aérien.

Je crains que l'on ne s'égare sans savoir exactement si l'intendance - je veux dire : la conviction des populations - suivra. Il faut garder le regard fixé sur l'horizon mais aussi les deux pieds sur terre !

M. Sören Lekberg (Suède) - Moi aussi je juge important que les travaux de la CIG se concluent à Nice. La Suède voudrait qu'il y ait un commissaire par pays. Il me semble même que c'était un principe sur lequel on s'était d'accordé à Amsterdam. Les grands pays devraient obtenir une compensation sur la pondération des voix. Toutes les décisions devraient être prises à la majorité qualifiée, excepté pour les questions constitutionnelles et fiscales, où l'unanimité nous semble devoir être la règle. Quant à ceux qui souhaitent développer les coopérations renforcées, nous entendons bien leur fournir les facilités nécessaires, mais il faut que ces coopérations restent ouvertes à tous.

On s'est mis d'accord à Biarritz pour que la Charte des droits fondamentaux fasse l'objet, à Nice, d'une déclaration politique, nous a-t-on dit. Nous nous félicitons : en effet, il ne faut pas que cette Charte vienne contrecarrer le fonctionnement des juridictions nationales ou de la Cour de Strasbourg, ou faire obstacle à l'application de la convention européenne des droits de l'homme. Est-ce bien ainsi que l'entend la présidence française ?

Le parlement suédois est par ailleurs très favorable à ce que l'Union prenne en compte la population des Etats membres dans ses travaux : c'est à ce prix que le projet européen pourra être proche des gens et soutenu par l'opinion. Même doté de pouvoirs accrus, le Parlement européen ne peut suffire à la rendre populaire, d'autant que la participation à son élection décroît d'année en année. Comment voyez-vous son rôle à l'avenir ?

M. Bernard J. Durkan (Irlande) - Je pense qu'à ce stade, il serait bon de réfléchir à tout ce qui a été déjà dit ce matin. M. Jospin a par exemple déclaré que nous vivions une époque de changements majeurs, au cours de laquelle l'Europe moderne allait se reconstruire et que, de la contribution que nous apporterons ou non à ce projet, dépendra son succès ou son échec. Comment ne pas être déçu jusqu'ici ? Les grands pays de l'Union poussent dans leur sens en ignorant leurs voisins les plus petits ou moins puissants économiquement. L'Irlande notamment ne peut qu'être inquiète de l'impatience qu'ils manifestent face aux demandes de ces petits pays, s'agissant par exemple de la composition de la Commission... Jusqu'ici, rien n'a été fait pour nous rassurer ! J'entends bien que M. Jospin a été clair sur ce point mais, en période de mutation, les symboles sont d'une importance considérable : un de ces symboles pourrait consister à maintenir tel quel le principe qui préside à la constitution de la Commission. Au lieu de créer de nouveaux problèmes aux petits pays, on les convaincrait d'adhérer plus fortement que jamais à la construction européenne, à la formation au marché libre et à l'intégration du continent sous tous ses aspects.

M. Guillaume Martinez Casañ (Espagne) - Je commencerai par féliciter M. Moscovici pour son intervention à la télévision hier soir, que j'ai eu l'occasion de suivre !

L'Union européenne aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec le Marché commun, dont les seuls protagonistes étaient les Etats. Ce que tous veulent maintenant construire, c'est une Europe démocratique, une Europe des citoyens. Nous ne pouvons, à cet égard, que nous féliciter de la présidence française et de l'impulsion donnée au projet de Charte. Cela étant, celle-ci pourra-t-elle être incorporée dans les traités et dans les législations nationales, comme le souhaite l'Espagne ? Si oui, quand ? Dans les toutes prochaines années ou en 2004 seulement, à la faveur de la prochaine CIG ?

L'élargissement ne sera possible que si nous en sommes tous unis. La France a préparé un projet de pondération des voix au Conseil tenant mieux compte de la démographie, donc plus démocratique : que décidera-t-on à Nice sur ce point ? Plus généralement, y a-t-il des dossiers qu'elle a décidé de laisser à la présidence suédoise ou à la prochaine CIG, faute d'accord possible ?

M. Hubert Haenel, président - Je donne la parole à M. Moscovici, qui devra ensuite nous quitter - je le remercie d'ailleurs d'être resté avec nous plus longtemps que prévu.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Rien n'empêche tel ou tel Etat membre de ratifier la Charte, M. De Croo, de sorte que celle-ci deviendrait immédiatement applicable sur son territoire. Mais, bien sûr, elle n'en acquerrait pas pour autant force contraignante dans l'ensemble de l'Union.

La présidence française, sur ce point comme sur les autres, garde " les pieds sur terre ". Ses travaux sont d'ailleurs pour l'essentiel ceux du Conseil des ministres et nous avons notablement avancé sur beaucoup de sujets qui préoccupent nos concitoyens : problèmes pétroliers, sécurité maritime, lutte contre le blanchiment de l'argent, agenda social européen ... Ces progrès ont souvent été préparés par des présidences antérieures ; les présidences qui suivront continueront sur la lancée, précisant le cadre au sein duquel peut s'exercer la subsidiarité...

M. Lekberg, comme le Premier ministre, je fais la plus grande confiance à la présidence suédoise : si par malheur nous ne pouvions conclure à Nice, je sais que vous serez en mesure de le faire à Stockholm ou à Malmö.

Il est exact qu'un protocole annexé au traité d'Amsterdam évoquait la possibilité qu'il y ait un commissaire par pays membre, mais nous travaillons aujourd'hui sur deux options : soit une Commission restreinte, avec rotation égalitaire des commissaires ; soit une Commission comportant un commissaire par Etat membre -mais cette formule impliquerait une réorganisation, sinon une hiérarchisation. Le choix devra être effectué en tenant compte des intérêts nationaux, mais aussi de l'intérêt communautaire.

Pour ce qui est des coopérations renforcées, nous excluons toute idée de groupes pionniers, d'avant-garde, de noyau dur, de " centre de gravité " : nous ne voulons pas d'une Europe à deux vitesses ! Il faut des coopérations flexibles, ouvertes à tous les Etats qui souhaiteront s'y associer ultérieurement et cela a été clairement dit à Biarritz.

Tous ceux qui ont participé à la Convention pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux se sont prononcés pour une articulation claire entre la Charte et la convention européenne des droits de l'homme, comme entre la Cour de Strasbourg et celle de Luxembourg. Nous rejetons toute forme de sujétion ou de contradiction : il faut que les deux Cours travaillent en harmonie.

A Biarritz, la délégation suédoise a évoqué la possibilité d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention des droits de l'homme. Ce n'est pas notre choix. Je le répète, ce que nous recherchons, c'est avant tout une articulation, une homothétie...

Quant au Parlement européen, le champ de la codécision ne pourra s'étendre avec l'extension du vote à la majorité qualifiée.

M. Durkan, on ne peut décrire la CIG comme le cadre d'une opposition entre grands et petits pays. Ces derniers ont considérablement gagné à la construction européenne et sont infiniment plus forts comme membres de l'Union qu'ils ne le seraient seuls. Il nous faut nous garder de deux écueils : la création d'un directoire et l'introduction de l'intergouvernemental dans le fonctionnement de la Communauté, y compris de la Commission. Si l'on retient le principe d'un commissaire par Etat membre, la Commission fonctionnerait alors comme le Conseil avec lequel elle ferait double emploi. Elle risquerait alors de ne plus remplir ses fonctions d'impulsion, de coordination et de gestion des crédits communautaires.

Contrairement à ce qu'a affirmé une partie de la presse, le Conseil de Biarritz a montré qu'une prise de conscience s'amorçait sur ce point.

M. Martinez Casañ est revenu sur l'importante question de l'incorporation de la Charte dans le Traité. Il ne l'ignore pas : les avis sont très partagés sur ce point, un tiers des états membres le souhaitant, un tiers le refusant et un tiers ne se prononçant pas pour le moment. Sans doute faudra-t-il, à Nice, s'en tenir à proclamer la Charte avec peut-être une référence à l'article 6 du traité sur l'Union européenne. Il reviendra alors à une nouvelle conférence intergouvernementale de trancher.

S'agissant de la pondération des voix, l'élargissement à venir impose de tenir compte du facteur démographique. Ne pas le faire serait un déni de démocratie : la majorité qualifiée s'exercerait avec un nombre de voix très faible, et la minorité de blocage avec une proportion plus ridicule encore, qui s'apparenterait à un droit de veto institutionnalisé. Un autre mécanisme doit donc être défini, et deux conceptions s'opposent : la double majorité, qui a la préférence de quelque sept Etats membres, et la repondération des voix, que privilégient les huit autres. La présidence française rédigera une proposition ; elle pourrait, pour cela, s'inspirer de la proposition de pondération avancée par l'Italie. D'une manière ou d'une autre, l'Europe doit avancer, ce qui signifie que l'Union ne peut indéfiniment repousser des décisions institutionnelles décisives.

Pour avoir assisté à une dizaine de sommets, je peux dire que celui de Biarritz s'est plutôt bien passé. Il s'est déroulé dans un esprit constructif, ce qui me fait envisager avec plus d'optimisme la possibilité de conclure à Nice. Mais cet optimisme renforcé ne me fait pas perdre toute lucidité - j'ai pleinement conscience des difficultés qui demeurent et des obstacles qu'il faudra franchir pour faire de la CIG un succès. C'est que nous ne voulons pas n'importe quel texte, mais un bon Traité, qui règle de manière satisfaisante quatre questions essentielles : le vote à la majorité qualifiée, la pondération des voix, la composition de la Commission et les coopérations renforcées. Des concessions seront certes nécessaires mais le document final doit être acceptable par tous les Etats membres. C'est dire que, au cours des quelques semaines qui viennent, la contribution des parlements nationaux au processus politique en cours, qui vise, faut-il le rappeler à renforcer le poids de l'Union, sera décisive.

M. José Barros Moura (Portugal) - J'ai déjà eu l'occasion de le dire : il ne s'agit pas d'un championnat de football car il ne peut y avoir une équipe qui gagne contre l'autre. Soit l'Europe sort gagnante des négociations en cours, soit nous perdons tous. J'y insiste : les discussions sur l'avenir des institutions européennes doivent renforcer l'Union et lui permettre de s'exprimer d'une seule voix, et, même, de s'exprimer tout court. On l'a assez dit : l'Union n'est pas représentée à Charm-el-Cheikh au niveau où elle aurait dû l'être, et c'est regrettable.

Nous devons en finir avec les luttes d'influence et les conflits de pouvoir et veiller à faire progresser la construction européenne, qui stagne. L'exigence démocratique et le réalisme doivent, bien sûr, nous inciter à repenser le mécanisme de pondération des voix, mais certainement pas dans le sens de la proposition italienne : sous son apparence raisonnable, elle est inacceptable, car elle aurait pour conséquence de renforcer considérablement le poids des grands Etats au détriment des petits pays. De telles propositions, que l'opinion publique n'accepterait pas, expliquent à elles seules que l'Union ne parvient pas à parler d'une seule voix.

M. Claus Larsen Jensen (Danemark) - Bien que nous ayons travaillé dur, pendant sept mois, pour convaincre les Danois de rejoindre la zone euro, nous ne sommes pas parvenus à vaincre leur scepticisme. Cela ne signifie pas que nous mettrons fin à notre coopération avec l'Union : nous continuerons, au contraire, à contribuer activement à la recherche de solutions communes à nos problèmes communs. A cet égard, notre priorité c'est l'élargissement, dont nous souhaitons qu'il puisse se faire dans le respect des intérêts des pays candidats qui sont, pour certains, dans une situation difficile. Il faut, sans plus tergiverser, leur fixer des perspectives d'adhésion claires, faute de quoi nous perdrons le soutien des populations concernées.

Il importe aussi, et c'est une question capitale, d'approfondir la démocratie en rapprochant les institutions communautaires des citoyens. C'était le sens du vote danois et je ne doute pas qu'une opinion identique aurait été exprimée dans d'autres Etats membres si une consultation du même type y avait été menée. Du renforcement démocratique dépend l'adhésion des peuples à l'édification européenne. On en déduira toute l'importance d'une représentativité réelle. Cela signifie également que les pays candidats doivent pouvoir contribuer, eux aussi, à tracer les contours de l'Europe nouvelle.

M. Lars Tobisson (Suède) - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre hospitalité. Il est merveilleux d'obtenir un compte rendu immédiat du sommet de Biarritz. Je ferai deux remarques. Sur la CIG, nous espérons tous que seront résolues à Nice les questions laissées en suspens à Amsterdam.

Force est de constater qu'un quatrième point y a été ajouté, à savoir les coopérations renforcées.

Mais je n'ai entendu personne dire que les règles de pondération des votes empêcheraient les propositions d'avancer. Fixer le seuil d'Etats requis à huit, pour éviter un veto, limiterait les coopérations renforcées à un nombre insuffisant de pays. On pourrait craindre un développement cloisonné, avec une Europe à deux vitesses. J'espère que l'on n'en arrivera pas là.

Quant à la Convention, j'y ai participé. Je ne suis pas convaincu qu'elle apporte la meilleure solution au problème posé. Nous aurions pu consacrer le temps qui nous reste d'ici à Nice pour examiner d'autres questions.

Le texte tel qu'il est doit rester une déclaration politique. Sinon, la question des relations avec la convention européenne des droits de l'homme doit être tranchée. Le risque existe d'une concurrence entre deux Cours de justice, issues de deux systèmes parallèles.

La proposition finlandaise de donner une base juridique à la Charte doit être examinée rapidement, à Nice.

M. Hubert Haenel, président - En réponse à la question posée par la délégation autrichienne, je précise qu'il y a 28 délégations présentes. M. le Premier ministre a répondu ce matin à neuf questions. Pour la deuxième vague de questions, vous êtes passé en troisième position sur quinze, alors que vous étiez en 12e place sur 25 inscrits. J'ai essayé de traiter toutes les délégations de façon équitable.

B. L'ESPACE DE LIBERTÉ, DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE

M. Hubert Haenel, président - Madame le Garde des Sceaux, je vous souhaite la bienvenue parmi nous pour engager le dialogue sur un thème qui intéresse tous nos concitoyens.

La construction européenne ne peut se limiter à ses succès économiques, ni même à sa politique étrangère et de défense. Elle doit aussi être synonyme de sécurité et de liberté pour les personnes. Il ne peut en effet y avoir d'adhésion aux institutions communes si l'Europe ne se montre pas capable de définir un cadre protecteur et d'assurer ainsi le respect des droits fondamentaux : liberté, sécurité, justice.

La criminalité n'est pas à l'écart du mouvement de la mondialisation, elle a même été à son avant-garde.

Le traité d'Amsterdam a renforcé l'Europe de la justice, de nombreux domaines relevant de la coopération intergouvernementale ayant été communautarisés. Surtout, il a été décidé, lors du conseil européen de Tampere, d'accélérer l'établissement d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Cet objectif est devenu une priorité, conformément à l'attente de nos concitoyens. Il reste à le concrétiser.

Je souhaite donc, Madame le Garde des Sceaux, que vous nous apportiez des précisions sur les résultats que vous espérez atteindre sous la présidence française et sur les perspectives.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, Garde des Sceaux - Je suis très heureuse de participer avec vous à cette Conférence - que j'ai connue dans l'exercice d'autres responsabilités et aussi comme parlementaire européenne - pour vous parler du principal chantier des 25 années à venir : l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

J'ai plaisir à saluer les présidents Haenel et Barrau, qui ont montré comment les deux chambres du Parlement français savent mobiliser sur les questions européennes.

Ces réunions de la COSAC nous donnent l'occasion de faire progresser l'Europe de la démocratie. Les peuples ne sont pas suffisamment associés à la construction européenne. C'est en travaillant avec le Parlement européen et les parlements nationaux que nous pourrons les associer davantage.

Vous avez ce matin débattu avec Lionel Jospin et Pierre Moscovici sur les priorités de la présidence française. Vous aborderez la question de l'élargissement.

J'ai tenu à ce que mon ministère s'implique fortement dans ce processus en multipliant les liens avec les pays candidats à l'adhésion. Ainsi, nous avons procédé à des jumelages institutionnels notamment avec la Pologne, la Roumanie et la République tchèque. Mon ministère a une longue tradition de coopération bilatérale, mais nous sommes allés plus loin encore à l'occasion de la présidence française.

Cela fait trois années de suite que le 16 octobre est pour moi la date d'un rendez-vous important concernant l'espace de justice, de sécurité et de liberté.

Le 16 octobre 1998, à mon initiative, a eu lieu à Avignon une des premières réunions sur ce thème. M. Haenel y était. La Déclaration d'Avignon a elle-même inspiré les orientations décidées le 16 octobre 1999, par le Conseil européen de Tampere, grâce au travail remarquable de la présidence finlandaise. C'est à partir des conclusions de ce Conseil qu'ont été définies les priorités de la présidence française. Nous avons travaillé avec les présidences précédentes, comme avec celles qui suivront, dans la meilleure entente. Les conclusions de Tampere m'ont permis de donner une impulsion forte au processus, dans la ligne de la présidence portugaise, qui avait obtenu d'excellents résultats.

L'action de la présidence française comporte trois axes principaux : le rapprochement des systèmes judiciaires grâce au principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice ; le renforcement de la lutte contre la criminalité organisée en particulier contre le blanchiment de l'argent sale ; enfin, le développement de la coopération et de l'entraide judiciaires, sans attendre une harmonisation des systèmes judiciaires évidemment souhaitable, mais difficile à obtenir.

Je parlerai aussi du renforcement des droits fondamentaux, même si cette avancée ne concerne pas seulement la justice. Il a été conclu à Tampere qu'un jugement devait être respecté dans toute l'Union européenne, la reconnaissance mutuelle des décisions ayant été considérée comme la " pierre angulaire " de la coopération judiciaire.

Au plan civil, d'importants progrès ont été réalisés. La France a été chargée d'élaborer un calendrier qui fixera, avant la fin de l'année, un programme de travail précis et contraignant, de manière à inscrire le principe défini à Tampere dans le droit de chaque Etat-membre .

Nous avons aussi progressé en matière matrimoniale, avec le règlement des litiges relatifs aux " couples mixtes ". Une convention négociée sous la présidence portugaise a été reprise sous la forme d'un règlement communautaire, dit de " Bruxelles II ". Il s'agit d'un texte important, puisque les couples mixtes, en cas de divorce, passeront devant un juge unique. Nous ne verrons plus ces situations absurdes dans lesquelles deux juges de deux pays différents rendaient des jugements contradictoires. Ce texte entrera en vigueur au début de l'an prochain. La décision du juge du lieu où vit le couple s'imposera, ce qui constituera un progrès considérable.

Nous avons encore travaillé à concrétiser le principe de la reconnaissance mutuelle sur un autre point sensible : le droit de visite des enfants. Pour la première fois, la décision d'un juge sera exécutoire sur le territoire d'un autre pays que le sien. Avec mon homologue allemand, j'ai étudié tout particulièrement le cas des couples franco-allemands.

Autre application du principe de la reconnaissance mutuelle, le recouvrement des créances. Beaucoup de PME, faute de filiales, peinent à recouvrer les créances qu'elles ont à l'étranger. Nous souhaitons la création d'un titre exécutoire européen, de façon qu'une décision de justice puisse faire l'objet d'une exécution forcée sur tout le territoire de l'Union sans procédure supplémentaire de validation.

Ainsi donc, sur deux sujets qui touchent au quotidien, des progrès ont été réalisés. J'ai l'espoir qu'il y en aura d'autres.

Je souhaite par ailleurs que le principe de la reconnaissance mutuelle s'applique aussi en matière pénale. Il faut réduire la durée des procédures judiciaires.

La reconnaissance mutuelle ne peut cependant être décrétée. Elle implique le développement d'une culture judiciaire commune. C'est pourquoi la France propose de constituer un réseau des écoles de la magistrature, associant d'ailleurs les pays candidats, comme la France le fait déjà dans les séminaires qu'elle organise. Le programme Phare y contribuera, tout comme les jumelages institutionnels.

Le second axe de notre action est la lutte contre la criminalité organisée. Il faut l'intensifier car elle se développe et utilise les nouveaux moyens technologiques. Aujourd'hui l'argent sale circule à la vitesse électronique et l'euro rend l'Union européenne plus attrayante. D'autre part, l'élargissement sera un défi supplémentaire. Il faut être vigilant pour lutter contre la corruption, le blanchiment d'argent, les trafics criminels. La criminalité organisée brasse aujourd'hui de telles sommes, que c'est la démocratie elle-même qui est en cause. L'Union européenne se doit de prouver que la liberté de circulation ne profite pas plus aux criminels qu'aux policiers et aux magistrats.

La présidence française concentre ses efforts sur la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ce premier pas a été franchi avec l'accord politique des ministres des finances sur le contenu d'une nouvelle direction renforçant le dispositif communautaire en ce domaine. J'ai veillé, avec mes collègues ministres de la justice, à ce que, tout en étendant la lutte contre le blanchiment aux professions juridiques, le texte préserve le secret de la défense pour les avocats.

Un pas supplémentaire sera franchi demain à Luxembourg où se tiendra le premier conseil conjoint des ministres de la justice, des affaires intérieures et de l'économie et des finances. J'avais fait cette proposition il y a deux ans et demi sous la présidence allemande. Elle n'avait pas été retenue car un tel conseil peut être la meilleure ou la pire des choses. Il doit être très bien préparé. En l'occurrence sur un tel sujet, un conseil conjoint s'impose. Les praticiens nous disent en effet que ce qui fait défaut c'est la coordination entre ceux qui sont chargés de la prévention -institutions financières et professions juridiques- et ceux qui sont chargés de la répression, policiers et magistrats. Je me réjouis de la tenue de ce Conseil qui favorisera leur information réciproque et leur efficacité.

La présidence portugaise avait remporté un beau succès en faisant adopter une convention d'instruction pénale qui modernisait la convention du Conseil de l'Europe de 1959. J'ai souhaité la compléter par un projet de convention d'entraide pénale dans la lutte contre la criminalité financière, afin d'éliminer des obstacles auxquels se heurtent les magistrats, tels le secret fiscal et l'opacité bancaire.

Notre troisième axe d'action est le développement de la coopération judiciaire. La justice est une compétence nationale et il en sera encore longtemps ainsi. Je ne pense pas que nous aurions intérêt à centraliser au niveau européen la justice pénale et la justice civile. Certes, avoir les mêmes codes faciliterait les choses. Mais plutôt qu'une unification, je crois qu'il faut viser une harmonisation qui évite les délais et préserve des systèmes décentralisés.

Dans d'autres domaines comme la protection des intérêts financiers des Communautés et la lutte contre la fraude on a évoqué le projet d'instituer un procureur européen. Peut-être faudra-t-il l'approfondir, mais notre responsabilité immédiate est d'assurer une bonne coordination entre les Etats. C'est pourquoi j'ai souhaité la création d'un réseau juridique européen pénal, avec des magistrats servant de points de contact.

Suite à un travail approfondi entre quelques Etats et sur proposition de la France, le Conseil de Tampere a décidé la création d'une unité de coopération judiciaire, EUROJUST, pour lutter contre les faits graves de criminalité. EUROJUST devrait devenir l'équivalent judiciaire d'EUROPOL. Cet acquis me semble tellement important qu'il paraît indispensable de le faire figurer dans le Traité. Sa création est prévue fin 2001. Mais, pour ne pas perdre de temps, nous avons proposé de créer, dès la fin de cette année, une unité de coordination provisoire qui fonctionnera dès le début de l'année prochaine. Le 28 septembre dernier, j'ai obtenu l'accord politique de tous mes collègues sur cette proposition et nous attendons le résultat de la consultation du Parlement européen. Notre approche est pragmatique. L'harmonisation des dispositions fiscales qui fait l'objet de débats juridiques, prendra du temps. Sans attendre, nous voulons favoriser les contacts entre magistrats, systématiser la coopération quotidienne et limiter les dérogations.

S'inspirant de ce dispositif pénal, la Commission a déposé le 28 septembre un projet de réseau juridique européen civil pour surmonter certains blocages. Sans attendre l'harmonisation des dispositions de droit civil, il pourra faire fonction de maison de la justice civile européenne et informer les citoyens sur les procédures.

Tous ces efforts pour lutter contre la criminalité et rapprocher les procédures doivent se faire dans le respect des droits fondamentaux. Je salue le travail de la convention qui a élaboré la Charte, dont un aspect nouveau et essentiel est la protection des données personnelles. Outre un règlement qui assurera le respect par les institutions communautaires des garanties nationales en la matière, un document relatif à cette protection dans le cadre de la coopération judiciaire pénale est en cours d'élaboration. La Charte, qui définit clairement les droits des personnes résidant dans l'Union européenne, affirme au moment opportun un socle commun pour la construction européenne. Nombreux sont ceux qui souhaitent que la Charte soit contraignante. Je suis convaincu que sa qualité est la meilleure garantie de son respect. Néanmoins, la Charte pourrait être intégrée dans les traités fondamentaux plus vite qu'on ne le pense. Nous avons aussi pris toutes dispositions pour assurer une bonne répartition des compétences entre la Cour européenne de Strasbourg, qui applique la Convention européenne de droits fondamentaux, et la Cour de justice des Communautés européennes.

Les parlements doivent être mieux associés à la construction de cet espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Ils en ont trop longtemps été écartés pour la raison qu'elle relevait de la coopération intergouvernementale. Le traité d'Amsterdam a marqué un premier progrès pour la communautarisation de la matière civile, le pouvoir d'initiative accordé à la Commission conjointement avec les Etats et de meilleures garanties sur la consultation de Parlement européen en ce qui concerne les délais. En outre, des décisions-cadres, qui se rapprochent beaucoup des directives communautaires, permettent d'associer les parlements nationaux à la définition des moyens pour atteindre les buts définis en commun. C'est avec les parlements nationaux et le Parlement européen que nous progressons dans ce domaine qui intéresse bien plus la vie quotidienne des gens que les questions économiques ou monétaires -du moins aussi longtemps que nul n'a d'euros dans son porte-monnaie !

Nous devons agir sans attendre pour mener à bien ce grand chantier.

Mme Maria Eduarda Azevedo (Portugal) - A la suite de Maastricht, on a craint que le marché unique ait pour effet de faciliter l'internationalisation du crime et du terrorisme, ainsi que la circulation de la drogue. La chute du Mur a aussi amené la population européenne à souhaiter une gestion plus commune du problème des migrations. Amsterdam a permis d'avancer vers un espace judiciaire et de sécurité commun et d'améliorer la coopération policière, notamment en intégrant Schengen au Traité. Mais il reste encore beaucoup à faire.

Les divergences n'apparaissent pas au stade du diagnostic, sur lequel l'accord est général, mais sur la manière d'aller de l'avant, pour que les citoyens européens fassent confiance aux institutions communautaires en matière de justice et de sécurité. Comme vous l'avez dit, Madame la ministre, l'harmonisation du juridique ne doit pas conduire à une unification : chaque peuple a sa culture propre et ses idées spécifiques, qui doivent être sauvegardées dans leurs différences.

M. Tanase Tavala (Roumanie) - Les citoyens roumains doivent, comme les Bulgares, disposer d'un visa pour circuler sur le territoire de l'Union européenne. Cette exigence est difficilement compatible avec notre statut de pays candidats, qui suppose une relation de partenariat et de confiance. On nous place dans la même catégorie que les pays qui n'entretiennent aucun lien particulier avec l'Union, et l'on nous refuse un statut analogue à celui des autres pays candidats. Comment expliquer cela à nos concitoyens ?

Les autorités roumaines agissent. Elles ont pris des mesures concrètes pour lutter contre l'immigration illégale et le crime organisé, renforcer les contrôles de nos frontières orientales et les sanctions contre les citoyens roumains qui commettent des infractions à l'étranger, réformer la politique des visas et améliorer le niveau de sécurité des documents de voyage. Cette action conséquente reflète la manière responsable dont la Roumanie entend honorer ses obligations de futur Etat membre. L'intérêt pour l'Union européenne de disposer d'une frontière extérieure élargie impose que la Roumanie soit rayée de la liste des pays soumis au régime obligatoire des visas à l'entrée de l'Union. La Commission européenne a fait une proposition en ce sens. J'insiste auprès des parlementaires de l'Union pour que les citoyens roumains puissent circuler sur le territoire de l'Union sans visa.

M. Tino Bedin (Italie) - Ces questions de sécurité et de justice touchent de très près les citoyens européens. Vous n'avez pas évoqué l'immigration, Madame la ministre ; il me semble pourtant que c'est un sujet actuellement très sensible. La présidence française a prévu d'organiser une réunion informelle des ministres de la justice et de l'intérieur sur les questions liées à l'immigration. La France, l'Allemagne et l'Italie ont décidé ensemble un plan d'action prévoyant le contrôle des frontières extérieures de l'Union. Qu'en pensent les autres pays européens ? Il faudra aussi traiter des problèmes connexes comme le regroupement familial ou l'accueil des réfugiés.

M. Gérard Fuchs (France) - J'entends bien qu'il n'est ni nécessaire ni souhaitable d'unifier nos systèmes judiciaires. Le système que vous proposez, celui de la reconnaissance mutuelle, est à la fois plus rapide à organiser et plus respectueux des spécificités nationales. Une unification est toutefois nécessaire dans trois domaines.

Quand l'Union crée une situation nouvelle pour laquelle n'existent pas encore de systèmes de sanctions nationaux - je pense, par exemple, à l'instauration de l'euro -, il conviendrait de définir un système européen de sanctions - contre, par exemple, le faux monnayage.

La Charte des droits fondamentaux mentionne des droits nouveaux, en matière de bioéthique, notamment. On pourrait, là aussi, en profiter pour définir les sanctions communes visant, par exemple, une violation de l'interdiction de clonage...

Ma dernière suggestion sera plus générale : chaque fois que l'Union adoptera une directive ou un règlement, ce texte devrait être assorti, non seulement d'une annexe financière ou environnementale, comme c'est parfois le cas, mais aussi d'une annexe pénale présentant les sanctions applicables dans les différents pays. Des mécanismes de convergence pourraient être définis au cas où la situation serait trop contrastée entre les pays : ce serait dans l'intérêt de nos concitoyens car, on le sait bien, les délits sont surtout nombreux là où la répression est moindre.

M. Juergen Meyer (Allemagne) - Je vous félicite, Madame la ministre, pour le compromis que vous avez obtenu à propos de la directive sur le blanchiment de l'argent sale. Il importe en effet de démontrer que, littéralement, le crime ne paie pas ! Quant aux banques et aux établissements de crédit, ils doivent comprendre que leur réputation est en jeu.

Pour ma part, je suggérerai de soumettre au même traitement que le commerce des armes et le trafic des stupéfiants, les formes graves de fraude fiscale. Aucun criminel, l'exemple d'Al Capone le prouve, ne peut prospérer sans se livrer à de telles fraudes, en général considérables, car déclarer ses revenus reviendrait pour lui à se dénoncer. Considérons donc ces fraudes fiscales graves comme un acte préalable au blanchiment d'argent sale !

Tous ceux qui ont participé à l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux s'en félicitent et c'est à juste raison que vous avez dit que cette Charte deviendra plus vite qu'on ne le pensait un instrument juridique contraignant. La qualité de cet instrument est en effet telle que nombre de parlements nationaux se sont déjà prononcés en ce sens -y compris le Bundestag. D'autre part, cette évolution paraît conforme à l'article 6 du traité sur l'Union européenne, aux termes duquel celle-ci doit se fonder sur les principes de la démocratie et de l'Etat de droit et sur les droits de l'homme. Il n'y a donc, au total, rien d'étonnant à ce que la Cour de Luxembourg considère que cette Charte doive devenir le fondement de notre droit.

Mme Tuija Brax (Finlande) - La Finlande vient de consacrer de longues années à la réforme de son code de procédure pénale, vieux de plus de cent ans : tout changement en matière juridique exige un temps considérable ! Dans une démocratie, la loi pénale ne saurait changer tous les ans sans dommage, d'autant que la matière touche aux principes de l'Etat et à la culture de chaque pays. Je suis donc heureuse, Madame la ministre, que vous ayez souligné la nécessité de progresser en coopération et de ne pas imposer des normes identiques à tous les pays. L'harmonisation doit être prudente et respectueuse des traditions nationales.

Cela étant, la Convention a observé au cours de son travail que les principes sur lesquels nous nous fondions tous étaient assez similaires et il paraît donc possible d'avancer assez vite. Je suis par conséquent assez confiante dans nos capacités à lutter efficacement contre la criminalité organisée ou contre les délits écologiques - pourvu que nous nous montrions humbles devant la tâche et que la coopération n'exclue pas la juste reconnaissance des différentes traditions !

Mme la Garde des Sceaux - En effet, Madame Azevedo, il reste beaucoup à faire et c'est pourquoi j'ai parlé de notre prochain grand chantier : l'objectif politique n'a commencé à devenir " lisible " que grâce au Conseil de Tampere et nous venons juste de définir les instruments qui nous seront nécessaires pour avancer. Il a fallu 40 ans pour instituer le marché unique, 30 ans pour faire la monnaie unique : il faudra de même beaucoup de temps pour réaliser l'espace de liberté et de sécurité intérieure.

Comme vous, je pense qu'il faut améliorer les capacités opérationnelles d'EUROPOL, s'agissant de la lutte contre le terrorisme et contre le blanchiment, et renforcer ses liens avec le futur EUROJUST. La police doit avancer en même temps que la justice. L'enjeu est considérable, puisqu'il s'agit de protéger les droits fondamentaux.

Je conviens que, travaillant à rapprocher nos systèmes, nous devons faire la part de l'existant et des traditions ou cultures de chaque pays. Des codes pénaux et de procédure pénale uniques pour toute l'Union sont aujourd'hui hors de notre portée. Néanmoins, comme l'a relevé Mme Brax, nous pouvons nous appuyer sur des principes communs et sur la grande proximité de nos droits respectifs. M. Fuchs a donc raison de souhaiter l'établissement de règles communes à chaque fois que sont instaurés des droits nouveaux : domaine monétaire et financier, environnement, sécurité alimentaire, bioéthique, nouvelles technologies... Nous n'avons pas encore suffisamment emprunté cette voie et je souhaiterais donc qu'on développe la capacité d'initiative de la Commission dans ce domaine. Je tiens à ce propos à saluer le travail réalisé par M. Vitorino.

J'ai bien noté votre appel en faveur de l'élimination des visas imposés à vos compatriotes, M. Tavala. La France attache un grand prix à ce que la Roumanie puisse adhérer à l'Union européenne et elle ne ménage pas ses efforts en ce sens, appuyant les projets de jumelage institutionnel par exemple.

La question de l'immigration relève plus particulièrement de mon collègue de l'Intérieur mais, comme nous participons au même Conseil, nous devons nous concerter et je puis donc faire état d'une position commune. Le problème ici tient avant tout à la difficulté de surveiller effectivement les frontières extérieures lorsqu'une bonne part des contrôles sont effectués à l'intérieur des Etats membres. Nous devons donc travailler à ce que les systèmes juridiques, judiciaires, policiers et administratifs soient les plus efficaces possible, y compris dans les Etats qui n'ont pas encore adhéré. Pour combattre le crime organisé et l'immigration clandestine, il ne suffit pas d'avoir une législation correcte, il faut aussi avoir des systèmes de contrôle satisfaisants. Or, nous sommes encore loin du compte et c'est pourquoi la présidence française a élaboré un projet de décision-cadre sur ce point.

Je crois vous avoir répondu, M. Fuchs. Nous pourrions, c'est vrai, nous fixer pour objectif d'élaborer un droit commun dans les nouveaux domaines. Mais cela ne signifierait pas que nous nous engagerions, ce faisant, dans la définition d'une justice européenne uniforme. Rien n'empêcherait que des systèmes judiciaires décentralisés soient maintenus. Mieux vaudrait, à dire vrai, qu'il en soit ainsi, car les décisions de justice sont d'autant mieux acceptées qu'elles sont rendues près des citoyens.

Je pense, comme M. Meyer, que l'Union doit disposer d'un outil efficace de lutte contre les fraudes fiscales graves. L'organisme de lutte contre la fraude (OLAF) doit donc progresser encore, et il est important qu'une coopération parfaite s'instaure avec EUROJUST, notamment dans la lutte contre la criminalité financière organisée. On ne saurait en effet concevoir une quelconque rivalité entre institutions spécialisées.

Je me félicite que M. Meyer partage ma conviction, en ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux : la qualité de ce texte est telle qu'il s'imposera.

M.  Giorgios Dimitrakopoulos (Parlement européen) - J'ai entendu avec intérêt Mme la ministre souligner la nécessité de faire progresser l'espace communautaire de liberté, de sécurité et de justice. A cet égard, que pouvons-nous attendre de la révision de l'article 67 du Traité, c'est-à-dire du passage au vote à la majorité qualifiée ? Mme Guigou, en sa qualité de parlementaire européenne, avait, à l'époque, contribué à ce que soit prévue, dans le traité d'Amsterdam, une période transitoire de cinq ans. Où en sommes-nous à ce sujet ? Les gouvernements des Etats membres entendent-ils proroger cette période transitoire et, si tel est le cas, quelle est la justification de cette extension ?

M. Gerrit-Jan Van Oven (Pays-Bas) - EUROPOL, établie à La Haye depuis 1994, s'est beaucoup renforcée depuis sa création, et les Etats membres ont très souvent fait appel à cette organisation, qui répond donc à un besoin patent. Cependant, combien de temps faudra-t-il avant que s'exerce sur elle un contrôle judiciaire communautaire, et par quelles voies ?

Mme la Garde des Sceaux - Je suis, depuis très longtemps, favorable à l'extension de la majorité qualifiée, sans laquelle aucune décision importante ne se prend - ou, si elle est prise, c'est très difficilement, et donc très lentement. Nos peuples n'accepteront plus que des années soient nécessaires avant que des accords soient trouvés sur des questions qui les touchent de très près.

S'agissant des litiges civils et commerciaux, je suis favorable au raccourcissement de la période transitoire. Un tel raccourcissement serait plus difficile à envisager en matière pénale, car les systèmes judiciaires nationaux ne se sont que très peu rapprochés. Cependant, la distinction faite à ce sujet dans le traité d'Amsterdam me semble artificielle : nous n'avons pas besoin de droit communautaire pour tout ce qui relève du droit civil, par exemple ; des solutions peuvent être trouvées, en utilisant les conventions existantes, en matière de divorce sans qu'il y ait eu harmonisation. Il faudrait, en revanche, progresser plus rapidement dans l'harmonisation des législations pénales si nous voulons combattre avec plus d'efficacité la criminalité organisée.

Quant au contrôle des compétences d'EUROPOL, il sera exercé par EUROJUST. Encore EUROPOL doit-il se développer conformément aux dispositions du Traité, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui. EUROPOL doit être renforcé et, en attendant l'installation et le rodage d'EUROJUST, le contrôle de ses activités, sera exercé, comme maintenant, par les autorités judiciaires nationales, sans rivalité avec l'OLAF.

Un long chemin reste à parcourir, mais le sommet de Tampere a marqué une étape décisive. Je remercie la Finlande des remarquables résultats obtenus sous sa présidence et je saisis l'occasion pour souligner l'atout que constitue la coopération entre les présidences successives de l'Union. Elle permet que, des objectifs politiques simples et clairs ayant été définis, et des priorités hiérarchisées, les outils adéquats soient créés qui, après des tâtonnements initiaux bien naturels, démontreront leur utilité. Cette évolution a été particulièrement bienvenue au sein du Conseil des ministres de la justice : les discussions ne sont plus confisquées par les experts et l'on ne peut douter que, les questions politiques ayant été tranchées, des solutions seront trouvées. Avec votre aide, nous progresserons, j'en suis certaine.

M. Hubert Haenel, président - Mme la Garde des Sceaux, soumise à des impératifs catégoriques, ne peut assister à la suite de nos travaux. Je n'en donnerai pas moins la parole à tous les orateurs inscrits dans la discussion.

M. Lucas Apostolidis (Grèce) - M. le Premier ministre nous a fait l'honneur, ce matin, de nous communiquer en personne ses grandes idées, voire ses rêves, pour une Europe unie. Mais nous sommes confrontés à des réalités institutionnelles. J'attendais de la présidence française qu'elle s'engage sur les sujets sociaux, comme le chômage. Il est vrai qu'on a beaucoup discuté des 35 heures, depuis Amsterdam. Je dois aussi rappeler pour mémoire le programme pour l'emploi.

La Charte des droits fondamentaux est assurément un document très important, mais elle doit inclure les droits sociaux pour donner de la chair à la construction européenne.

J'en viens aux sujet qui sont du ressort de Mme la ministre de la justice. Peut-être la présidence pourra-t-elle me répondre. Où en sont les discussions sur le fonds pour les réfugiés ? Sont-elles toujours à l'ordre du jour ? Le document de travail sur le droit d'asile aboutira-t-il à un contenu concret ?

Quant aux progrès du droit judiciaire européen, il serait utile que les commissions des affaires européennes des parlements nationaux reçoivent en temps utile, par exemple sur Internet, les documents de travail sur EUROJUST et EUROPOL et qu'on ne se contente pas de les informer après coup.

Une autre question me préoccupe : pourra-t-on établir des règles communes qui s'appliquent aux affaires politiques et économiques et non aux seules affaires économiques ?

Il est utile de voir la lutte contre la criminalité érigée au rang de priorité de l'Union européenne. Où en sont les quinze ministres de la justice dans l'élaboration de règles communes qui montreraient une ligne directrice, propre à rapprocher la politique des citoyens ?

Il y a en France un ministère de la solidarité. Puisse ce thème devenir un véritable sujet de discussion politique en Europe !

M. Laurent Mosar (Luxembourg) - J'avais quatre questions à poser à Mme la ministre de la justice...

M. Hubert Haenel, président - Ses collaborateurs peuvent en prendre note...

M. Laurent Mosar (Luxembourg) - ...mais elle n'est pas là pour y répondre. Je renonce donc à la parole.

M. Philippe Mahoux (Belgique) - Je remercie Mme la ministre de son intervention.

Je me réjouis des tentatives d'harmonisation du droit civil, en particulier du droit de la famille - je pense aux enfants de couples mixtes. En ce domaine, il est souhaitable de fixer des règles communes, non seulement au sein de l'Union européenne, mais aussi avec les pays tiers. Je mesure les difficultés de l'harmonisation du droit pénal, qui touche parfois des problèmes culturels. Ainsi, pour les mutilations sexuelles des progrès restent à accomplir au niveau européen. Certains Etats ont pris des mesures pour poursuivre quel que soit le lieu où le délit a été commis.

Sur la protection de la vie privée et des droits individuels, nous n'avons pas obtenu tous les apaisements souhaitables. Un contrôle au niveau européen est nécessaire en ce qui concerne les investigations policières.

Quant à l'immigration -qui relève aussi des ministres de l'intérieur- nous insistons sur le contrôle du trafic d'êtres humains, qu'il ait pour objet l'exploitation sexuelle, le travail au noir, ou l'immigration illégale.

Le commissaire européen chargé de ces problèmes nous a informés que 3 000 cadavres étaient découverts chaque année sur les côtes d'un pays membre. C'est dire le chemin qui reste à parcourir en ce domaine.

Lord Wallace of Saltaire (Royaume-Uni) - La commission des affaires européennes de la Chambre des Lords publiera dans deux semaines un rapport sur le contrôle aux frontières qui sera, je l'espère, utile notamment pour les pays candidats. Comment surveiller efficacement les frontières de l'Union européenne, dans le respect du droit et de la coopération entre les Etats ? Cette question soulève des problèmes importants, en particulier aux confins méridionaux et orientaux de l'Europe.

L'Autriche et l'Allemagne risquent de demander des contrôles plus stricts que ceux en vigueur aux frontières extérieures de l'Union. Nous savons que des immigrants illégaux entrent au Royaume-Uni et dans l'Union européenne, en particulier par les frontières de l'Est. Les contrôles actuels ne sont pas suffisants.

L'efficacité exige une coopération avec les Etats situés de l'autre côté de la frontière : Pologne, Hongrie, Slovaquie et à l'avenir, Ukraine et Russie. Qui paiera ? Quelles en seront les conséquences, après l'élargissement, sur le budget de l'Union européenne ? Je tiens aussi à soulever la question des visas communs et à entrées multiples qui sont très utiles pour maintenir des relations économiques ouvertes avec les pays candidats. Ces relations ne doivent pas être entravées par les contrôles aux frontières.

M. Ignasi Guardans (Espagne) - Je voulais interroger Mme la ministre sur le contrôle parlementaire du troisième pilier. On a beaucoup débattu d'EUROPOL et du système de Schengen, au Parlement espagnol. Les contrôles des parlements nationaux ne peuvent pas fonctionner, non plus que le contrôle du Parlement européen, puisqu'il s'agit de mécanismes intergouvernementaux.

Les questions de visas et de police touchent directement aux droits fondamentaux. Il ne peut y avoir de contrôle parlementaire en ces matières. Quant aux propositions avancées par la présidence française pour lutter contre la criminalité organisée et le blanchiment de l'argent, nous pensons en Espagne que l'obligation faite à l'avocat de faire part de ses soupçons à l'encontre de ses clients pose problème : cette obligation est acceptable du point de vue politique, mais contestée par les avocats. Nous devons affronter en Espagne un véritable mouvement de désobéissance civile de leur part.

M. Pierre Fauchon (France) - Je reste sur ma faim après avoir entendu les explications de Mme la ministre. Nous restons, en réalité, dans ces interminables procédures intergouvernementales et interadministratives.

La décision sur EUROJUST a été prise il y a plus d'un an, rien n'a encore été fait. Nous sommes dans une situation de paralysie, alors que la criminalité organisée, elle, a fait l'Europe depuis longtemps.

Il faut changer de méthode. C'est trop facile de dire qu'on va rapprocher les systèmes judiciaires parce qu'il serait trop difficile de les unifier. A voir ! En France, un professeur de droit réputé, Mme Delmas-Marty, a montré dans un rapport qu'il ne serait pas tellement difficile, pour lutter contre la criminalité transfrontière, de définir un corpus juris commun et d'unifier les procédures en instituant un procureur européen qui aurait des correspondants dans les systèmes nationaux. C'est une proposition intéressante.

Il ne faut pas s'en remettre, pour une telle réforme, aux processus intergouvernementaux et interadministratifs, dont nous voyons bien les limites. J'avais proposé il y a deux ans de réunir une convention semblable à celle qui vient, contre toute attente, d'élaborer la Charte des droits fondamentaux. Pourquoi ne pas réunir une telle convention pour instituer le procureur européen et lutter contre le blanchiment ? Si on veut vraiment combattre la criminalité, il faudrait essayer. Essayons !

Mme Nicole Catala (France) - On a évoqué l'existence de dispositions permettant d'articuler la Convention européenne des droits de l'homme avec la nouvelle Charte des droits fondamentaux. Quelles sont-elles et comment répartissent-elles les compétences entre la Cour de Strasbourg et celle de Luxembourg ? J'ai déjà exprimé ma crainte d'un télescopage des textes et des compétences juridictionnelles.

Si Mme Guigou était encore ici, je lui demanderais s'il y a, dans les tiroirs des institutions communautaires, des projets de textes qui pourraient être adoptés -avant la fin du délai de cinq ans fixé par le traité d'Amsterdam- sur l'entrée et le séjour des étrangers ressortissant d'un Etat tiers. Allons-nous vers la définition de règles uniformes ?

Enfin, puisqu'elle a elle-même formulé des regrets sur l'étendue de la communautarisation des affaires de justice et d'affaires intérieures, j'aurais voulu lui demander si, selon elle, il serait possible un jour de revenir sur ce point. En effet, l'adoption du traité d'Amsterdam nous a mis dans une situation absurde : il nous faut utiliser les instruments juridiques du premier pilier pour définir la matière faisant l'objet d'une sanction pénale, et ceux du troisième pilier pour appliquer la sanction. Le traité d'Amsterdam a compliqué une situation qui n'en avait pas besoin.

M. Hubert Haenel, président - Nous sommes ici une dizaine à avoir participé à l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux. Son articulation avec la Convention européenne des droits de l'homme a été un souci constant. M. Badinter, comme vous, a soulevé ce problème pour s'opposer à la Charte. C'est l'arbre qui cache la forêt. La Convention européenne a cinquante ans : des droits nouveaux devaient être reconnus. Nous avons travaillé en présence d'observateurs du Conseil de l'Europe et de représentants des deux cours, qui ont approuvé la rédaction de l'article 52-3 de la Charte, selon lequel " Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garanties par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Convention ".

Je me permets également de vous renvoyer au commentaire de cet article, qui figure dans le texte établi par le Presidium de la Convention.

C. LE RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX

M. Hubert Haenel, Président, (France) - Voici une synthèse des résultats des deux questionnaires adressés par la présidence de la COSAC aux organes parlementaires compétents sur le rôle des parlements nationaux. L'un concernait les Etats membres, l'autre les pays candidats.

S'agissant des Etats membres, 14 parlements sur 15 ont répondu. Certains résultats, parvenus trop tard, n'ont pu être pris en compte. Le questionnaire avait d'abord pour but d'actualiser les connaissances sur le fonctionnement des commissions européennes des parlements nationaux, puisque le dernier débat de la COSAC sur ce point remontait à cinq ans.

Dans la majorité des cas, il n'y a pas eu de changement fondamental depuis 1995 : les réponses témoignent plutôt d'un effort pour mieux faire fonctionner le système existant.

Deux tendances se dégagent : d'une part, le champ du contrôle parlementaire national a tendance à s'élargir aux matières relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union ; d'autre part, se manifeste le souci de renforcer les relations entre les commissions des affaires européennes et les autres commissions permanentes.

Plusieurs questions avaient trait à l'application du protocole sur les parlements nationaux annexé au traité d'Amsterdam. Dans l'ensemble, les réponses montrent que ce protocole n'a pas eu de conséquence notable, et que certaines difficultés demeurent : l'information des parlements nationaux pourrait dans certains cas être plus rapide, notamment en ce qui concerne l'évolution des textes durant les travaux du Conseil ; la transparence n'est pas toujours suffisante lorsque les trois institutions travaillent sur des projets de compromis officieux ; le délai est souvent trop bref entre la fin de l'examen du texte par le COREPER et la décision du Conseil ; enfin, le règlement intérieur du Conseil a retenu une définition étroite de ce qu'est une " proposition législative " ; de ce fait, certains textes importants ne bénéficient pas du délai de six semaines garanti par le protocole, notamment les actes budgétaires, les accords interinstitutionnels et les accords extérieurs.

Ainsi, il apparaît que le Conseil doit faire des efforts supplémentaires pour que le contrôle des parlements nationaux puisse s'exercer plus facilement.

S'agissant de la circulation de l'information entre les commissions des affaires européennes des parlements nationaux, la majorité souhaite être mieux informée sur les travaux des commissions homologues. Les obstacles pratiques, notamment linguistiques, ne doivent pas être sous-estimés ; mais on peut progresser par l'utilisation des nouvelles technologies. Chaque commission des affaires européennes pourrait s'efforcer de faire figurer sur le site Internet de son Parlement le maximum d'informations sur ses prises de position ; la messagerie électronique pourrait également être utilisée plus largement. Nous l'avons fait à la satisfaction générale dans la Convention qui a préparé la Charte.

Enfin, la dernière question portait sur les réunions des commissions du Parlement européen ouvertes aux parlements nationaux. La participation à ces réunions est jugée unanimement positive. De nombreuses délégations demandent toutefois plus de précision et de stabilité en ce qui concerne le calendrier et l'ordre du jour et une organisation plus rigoureuse des débats permettant aux parlementaires nationaux d'intervenir utilement. Enfin certains souhaitent un compte rendu des débats.

J'en viens aux pays candidats. Je regrette que tous n'aient pas répondu au questionnaire. Certaines réponses sont arrivées trop tard pour être mentionnées ici.

Les neuf réponses dont nous disposons comportent certains points de convergence : les commissions européennes des parlements des pays candidats estiment qu'elles sont généralement bien informées par leurs gouvernements ; il n'existe généralement pas de procédure spéciale pour la transposition de la législation communautaire ; cependant, deux parlements disposent d'une procédure abrégée permettant d'accélérer l'examen des textes de transposition ; les négociations d'adhésion sont suivies de manière étroite et régulière, mais aucun gouvernement n'est lié par un mandat de négociation ; enfin, l'assistance technique communautaire, sous la forme du programme TAIEX ou du programme PHARE ou de ces deux programmes, ainsi que l'assistance technique bilatérale sous des formes diverses, sont unanimement appréciées. On souhaite que ces formules soient maintenues, voire développées.

Sur d'autres points, il est plus difficile de tirer des conclusions : le rôle des commissions européennes semble très différent d'un pays à l'autre. Elles n'ont pas de rôle législatif en Estonie et Lituanie. Elles sont au contraire le plus souvent compétentes pour les textes transposant l'acquis communautaire à Chypre et en Hongrie. En Pologne, République tchèque, Roumanie et Slovaquie, elles donnent un avis sur la compatibilité des textes législatifs avec le droit communautaire. De même, le respect de la compatibilité avec la législation européenne relève de procédures très différentes. Il est considéré comme de la responsabilité du Gouvernement en Estonie, Hongrie et Lituanie. En revanche, un organe spécifique a été mis en place à cet effet au sein du Parlement à Chypre, en Roumanie, en Slovaquie et en République tchèque.

Enfin, une question portait sur la collaboration entre commissions européennes des pays candidats. A l'exception de la Hongrie et de la Pologne pour des raisons historiques, les réponses indiquent que les expériences des autres pays candidats - et, dans certains cas, celles des pays membres - ont été prises en compte lors de la mise en place d'une commission chargée des questions européennes. Par ailleurs, les réponses suggèrent qu'une collaboration se poursuive entre commissions homologues des pays candidats.

J'ouvre la discussion. Désormais, les conflits de compétence entre Parlement européen et parlements nationaux sont dépassés. Nous souhaitons donner plus de place aux parlements nationaux pour combler le déficit démocratique en Europe. Vous venez d'entendre les résultats des questionnaires adressés aux pays membres et aux pays candidats. En France, l'Assemblée nationale et le Sénat organisent de plus en plus de réunions bilatérales avec les commissions des affaires européennes des autres pays et avec les commissions du Parlement européen. Je pense qu'il en est de même dans les différents pays, et ces échanges sur la place des parlements nationaux sont utiles. Je donne maintenant la parole aux intervenants.

M. Edvins Inkens (Lettonie) - Je tiens d'abord à exprimer notre estime profonde pour la présidence française, qui a en charge des questions essentielles.

La Lettonie est régie par une Constitution dans l'esprit de la République de Weimar. C'est donc un pays de régime parlementaire. Chez nous, la moitié de la législation est d'initiative parlementaire. Nous avons des gouvernements de coalition, qui doivent être très attentifs aux souhaits des parlementaires. Les six partis représentés au Parlement soutiennent l'accession à l'Union européenne ; celle-ci peut donc être considérée comme correspondant à une volonté politique commune.

Lors des discussions avec le Gouvernement sur les procédures d'adhésion, notre commission spécialisée fonctionne de la même manière que les commissions analogues des parlements finlandais et danois. A chaque étape des négociations d'adhésion, notre Gouvernement doit recueillir l'accord de notre commission spécialisée. Le Parlement, en d'autres termes, a un droit de veto durant tout le processus de la négociation. Nous n'avons pas de différence d'appréciation, mais il importe que nous maintenions cette étroite solidarité entre Parlement et Gouvernement car les partisans de l'adhésion ne sont que très faiblement majoritaires dans le pays. La qualité du processus est essentielle, si nous voulons amenuiser les difficultés ensuite.

M. Corbett (Parlement européen) - Des eurosceptiques de mon pays cherchent à dresser les parlements nationaux contre le Parlement européen. A mon sens, l'un et les autres sont complémentaires, et pas contradictoires. C'est par exemple, au Parlement européen de garder un oeil sur la Commission européenne. Les parlements nationaux ont obtenu la garantie d'un délai de six semaines entre la transmission et l'inscription à l'ordre du jour du Conseil d'une proposition législative ou d'une proposition de mesure. Le Parlement européen, lui, bénéficie depuis Maastricht et Amsterdam d'un pouvoir de codécision. Des améliorations sont évidemment possibles. C'est ainsi qu'on pourrait allonger le délai de réflexion dont disposent les parlements nationaux et l'étendre aux propositions non législatives.

Le président du Sénat français, M. Poncelet, a parlé de créer une deuxième chambre. Il nous faudrait d'abord nous demander comment elle fonctionnerait et à quoi elle servirait. Le Conseil est déjà une sorte de deuxième chambre ; certes, il est composé de ministres mais le Bundesrat aussi. Veut-on accroître le pouvoir du Conseil, comme le souhaite M. Fischer ? Je doute que beaucoup de parlementaires soient prêts à le suivre ! Créer une deuxième chambre du Parlement européen reviendrait, me semble-t-il, si l'on compte le Conseil, à créer une troisième chambre. Comment s'y retrouver dans une telle complexité ? Je ne suis pas sûr, par ailleurs, qu'une chambre composée de délégués nationaux fonctionnerait bien. On a vu ce que cela a donné pour le Parlement européen avant 1979. Il manquait toujours telle ou telle délégation parce qu'elle avait un scrutin essentiel dans son pays !

S'il y a désaccord entre un parlement national et les ministres qui représentent ce pays au Conseil, c'est une affaire nationale qui doit se régler à ce niveau. Je suis d'accord avec votre point 6, pour développer la coopération des parlements nationaux. Cela pourrait figurer à l'ordre du jour d'une prochaine CIG.

M. Tibor Szanyi (Hongrie) - L'accord parlementaire du 11 septembre a établi les bases d'une entente entre forces politiques nationales sur les questions clés relative à l'adhésion de notre pays à l'Union européenne. Nous souhaitons une adhésion aussi rapide que possible dans des conditions aussi favorables que possible. Nous ne voulons pas négocier éternellement : il faudrait conclure les négociations d'adhésion avant fin 2001. Notre Parlement a créé une commission d'intégration européenne qui comprend des représentants de la commission des affaires étrangères et des sous-commissions de l'Union européenne. Au total, elle regroupe 40 membres, soit 10 % des parlementaires. Tous les partis représentés au Parlement hongrois ont compris le délai fixé par l'Union européenne pour être en mesure d'accueillir de nouveaux Etats membres  ; nous faisons maintenant le nécessaire pour que l'élargissement soit effectif en 2002.

M. Antonio Nazaré-Pereira (Portugal) - Le contrôle de la politique européenne est un thème récurrent dans l'opinion publique. Le protocole annexé à Amsterdam prévoit des dispositions relatives à l'information et à la participation des parlements nationaux aux activités législatives de l'Union qui doivent encore être améliorées. L'union européenne constitue une union d'Etats et de peuples sans précédent. Mais cette forme imparfaite est aussi une richesse historique. Les Etats disposent d'une représentation formelle au Conseil ; les peuples sont représentés au Parlement européen et dans les parlements nationaux.

Certains, ici, ont proposé de créer une deuxième ou une troisième chambre afin de parvenir à une meilleure articulation entre les positions nationales. Mais l'enjeu est surtout de parvenir à une bonne articulation entre le Parlement européen et les parlements nationaux afin de rendre la construction européenne plus démocratique. Il faut parvenir à une complémentarité des compétences, à une conjonction de ces deux cultures parlementaires, en vue de renforcer le contrôle sur la politique européenne.

Après les acquis d'Amsterdam, la présidence française a permis d'introduire ce thème dans le débat, mais l'analyse des réponses au questionnaire élaboré dans le cadre de la COSAC montre que, dans les parlements nationaux, on est encore à la recherche des procédures permettant d'analyser en temps utile les informations en provenance du Conseil. Nos commissions éprouvent souvent des difficultés à traiter de questions nombreuses, de nature très diverse. C'est le cas notamment au Portugal : même si nous avons fait de grands progrès, il est évident que nous devons gagner en efficacité, en modifiant nos instruments de contrôle et de suivi, en recourant à des moyens nouveaux - Internet n'en est qu'un parmi d'autres.

Représentant leurs électeurs, les parlements nationaux sont des gardiens de la souveraineté mais aussi les garants d'une passation équilibrée des pouvoirs, en faveur de l'Union européenne. Ils doivent exprimer les aspirations et les préoccupations des peuples. Pour ce faire, et pour aider les citoyens européens à mieux comprendre ce qui est en jeu, il est impératif qu'ils aient un accès plus facile aux décisions prises.

M. Giovani Saonara (Italie) - Je pense qu'il conviendrait de revoir l'analyse faite des réponses au questionnaire, surtout en ce qui concerne l'impact du protocole d'Amsterdam sur les délais et les modes de travail des parlements nationaux. L'Italie a pris du retard pour adapter ses méthodes de travail mais la situation s'est un peu améliorée même si les procédures doivent encore être renforcées. Sans une méthodologie et une organisation du travail adaptées, il est vain d'épiloguer sur le rôle des parlements nationaux dans le processus de décision européen. La rhétorique sur ce sujet est admissible à quinze, à la rigueur, mais à 27, il faut la renvoyer au passé. C'est pourquoi, dans la proposition d'amendement que nous présenterons au projet de contribution, nous insistons sur la nécessité de développer la co-décision et la coopération entre les parlements nationaux. Il conviendrait peut-être aussi d'organiser une coopération plus spécifique entre commissions spécialisées. Le règlement de la COSAC nous permet de créer des groupes de travail : utilisons cette disposition pour traiter de la question cruciale que constituent les coopérations renforcées !

Enfin, je ne puis oublier que, le mois dernier, la Présidente du Parlement européen a évoqué la possibilité de réunir une conférence interparlementaire. La délégation italienne souhaite que le Conseil européen de Nice soit un succès mais ne serait-il pas opportun de convoquer, au début de la présidence suédoise, une COSAC spécifique ?

Lord Tordoff (Royaume-Uni) - M. Corbett a soulevé la question de la deuxième chambre, mais ce n'est pas parce que M. Blair est favorable au projet que celui-ci aboutira ! En tout cas, la dernière fois que la Chambre des Lords s'est penchée sur le sujet, elle y était hostile. Cependant, elle n'a pas encore arrêté de position définitive : le rapport dont le principe a été décidé ne sera achevé qu'à la fin de l'année ou au début de l'an prochain.

Comme vous le savez sans doute, notre chambre a élaboré un système très complexe en vue d'examiner la législation communautaire ; quelque 70 membres de différentes commissions s'y consacrent, sans compter une quinzaine de spécialistes et de conseillers. Il reste que nous ne pouvons que nous féliciter de voir la COSAC inscrire cette question à son ordre du jour : il y a toujours à apprendre des autres parlements !

Il est des cas d'ailleurs où cet examen peut mal tourner : ainsi un projet de directive-cadre sur l'emploi et l'éducation nous a été soumis et un rapport a été demandé à la commission spécialisée alors que le seul document disponible est un document de travail... en français. Il est donc très peu probable que les autres commissions aient le temps de se prononcer une fois que celle des affaires sociales aura achevé son examen. Ce n'est pas ainsi que les choses doivent se passer, et je suis donc heureux que nous discutions demain d'un projet de contribution dont l'une des dispositions vise à aménager un délai plus souple pour la discussion d'amendements.

M. Victor Bostinaru (Roumanie) - Les parlements nationaux des pays candidats doivent maintenir à un niveau aussi élevé que possible le soutien de l'opinion publique à l'idée d'intégration européenne et combattre l'euro-scepticisme parmi la population. Ils doivent aussi réviser dans les meilleures conditions la Constitution nationale afin de prévoir les délégations de souveraineté à l'Union. Tout cela exige la recherche d'un consensus des forces politiques que les parlements nationaux sont seuls à pouvoir favoriser.

Récemment, certaines personnalités ont émis l'idée que l'Union devait procéder à des réformes substantielles pour devenir plus efficace et plus puissante sur la scène internationale ; d'aucuns ont même prôné une forme de fédéralisme. Si l'on veut qu'un tel projet ait une légitimité démocratique, il faut que les parlements nationaux puissent en débattre. S'ils n'étaient pas associés à la discussion, le projet européen pourrait être compromis.

L'Union doit se doter d'une politique de défense et de sécurité commune efficace. Les pays candidats à l'adhésion qui ont toujours soutenu les actions extérieures de l'Union- on l'a vu au Kosovo, par exemple - peuvent contribuer à la définition et à la mise en oeuvre de cette politique commune, par l'intermédiaire de leurs parlements nationaux. Je réaffirme en tout cas l'engagement du Parlement roumain de participer à ce débat.

Mme Roma Dovydeniene (Lituanie) - Les parlements des pays candidats peuvent, comme ceux des pays membres de l'Union, contribuer à renforcer la démocratie en Europe. Depuis qu'a été constituée, en 1997, une commission parlementaire pour les affaires européennes, le Parlement lituanien suit de très près les questions liées à l'adhésion de la Lituanie à l'Union. Chaque aspect des négociations fait l'objet d'un dialogue avec le Gouvernement. A 17 reprises, la Commission des affaires européennes a fait des propositions précises au Gouvernement appelant particulièrement son attention sur les difficultés qui ne manqueront pas d'apparaître pendant les périodes de transition. La commission, dont la composition va être modifiée à la suite des récentes élections législatives, n'a qu'un avis consultatif. Mais elle a joué et continuera de jouer un rôle important dans la définition de la politique menée par le Gouvernement lituanien au cours du processus d'adhésion. Ce rôle sera d'ailleurs analysé dans le cadre du programme PHARE, ce dont nous nous félicitons. Il reste qu'un flux d'informations plus constant, du Parlement européen et de la Commission, via Internet, serait bienvenu.

M. Matti Vanhanen (Finlande) - Le traité d'Amsterdam n'a guère influencé le fonctionnement du Parlement finnois qui est défini par notre Constitution. Notre rôle est de contrôler la politique du Gouvernement, qui a lui-même besoin du soutien parlementaire pour conduire sa politique européenne. Il informe donc tout naturellement le Parlement de tous les aspects des discussions au sein de l'Union. La Finlande ne souhaite pas que l'obligation soit faite à la Commission européenne d'informer les parlements nationaux. Elle considère en effet que cette obligation incombe aux gouvernements.

Sur le plan pratique, la Grande commission se réunit le vendredi, après le COREPER, et fait connaître son point de vue sur les affaires en cours aux ministres qui se rendront au Conseil. De la sorte, le Parlement de Finlande suit, de l'origine à la fin, le cours des affaires de l'Union.

M. Claus Larsen Jensen (Danemark) - Depuis qu'en 1972 le Danemark a adhéré à l'Union européenne, une commission spécialisée du Parlement danois mandate le Gouvernement pour présenter la position du pays aux réunions du Conseil. La légitimité démocratique des positions adoptées par l'exécutif est donc forte, et un débat politique constant a lieu, à propos des affaires européennes, au Parlement comme au sein de la population.

Mais nous sommes gênés, dans nos analyses, par le délai de diffusion des documents communautaires, qui nous parviennent toujours trop tard. C'est vrai, aussi, pour ceux de la COSAC... D'une manière générale, il faut chercher à renforcer le dialogue au sein de la COSAC en définissant de nouvelles procédures, après avoir étudié attentivement la manière dont chaque Parlement traite les sujets abordés.

M. Alain Barrau, Président - Je retiens des interventions l'articulation du travail des parlements nationaux avec celui du Parlement européen. Je constate également que chaque Parlement s'efforce d'intervenir en amont des décisions gouvernementales, qu'il s'agisse de donner mandat ou de fournir des indications - bien avant, donc, le stade de la ratification des traités et des accords. Il ne serait pas mauvais, enfin, qu'un groupe de travail soit constitué au sein de la COSAC, chargé, entre deux conférences, de faire circuler les informations. Une proposition en ce sens pourrait être formulée demain.

D. L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

M. Alain Barrau, Président - Hubert Haenel et moi-même avons souhaité faire de l'élargissement un des thèmes de débat de la COSAC car il s'agit d'une priorité pour notre pays et d'une question d'importance politique pour l'Europe de demain. De même que nous affirmons la nécessité de réformer les institutions européennes afin que l'Union soit en mesure d'accueillir de nouveaux Etats membres, de même nous estimons que l'élargissement ne doit pas dénaturer la construction européenne mais permettre aux pays candidats d'adhérer à une véritable union politique, économique et monétaire.

Je vous donne la parole, Monsieur le ministre.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Vous avez bien fait, messieurs les présidents, de consacrer une part importante des travaux de la XXIIIe réunion de la COSAC à la question de l'élargissement. Je vous remercie de m'y avoir invité.

Il importe en effet que les parlements nationaux soient très bien informés et débattent plus souvent des grandes questions européennes, en particulier de l'élargissement. Cela ne peut que renforcer leur rôle dans la construction européenne.

L'élargissement n'est certes pas la seule priorité de l'Union européenne, mais c'est pour elle un horizon politique majeur qui justifierait, à lui seul, la réforme des institutions à laquelle nous travaillons.

L'heure n'est plus à se prononcer pour ou contre l'élargissement. C'est désormais chose faite : tout le monde est pour, puisque les négociations d'adhésion sont engagées. Il faut maintenant réussir l'élargissement, pour les pays candidats et pour l'Union européenne.

De nombreux responsables européens ont récemment souligné à juste titre que des efforts doivent être consentis pour que les enjeux et les résultats des négociations en cours soient mieux compris. Ce n'est pas toujours le cas. On assiste parfois à une certaine confusion. L'explication doit être notamment le fait des parlements nationaux, qui devront dans la plupart des pays, ratifier les traités d'adhésion.

Comment la présidence française entend-elle, dans les mois qui viennent, exercer son influence pour faire avancer les choses ?

L'Union mène aujourd'hui de front pas moins de douze négociations, six entamées en 1998 et six cette année. Il n'y a donc aucune commune mesure entre le processus en cours et ceux qui avaient été précédemment engagés. Jamais l'Union n'avait ouvert autant de négociations simultanées. En vertu du principe de différenciation consacré par le Conseil européen d'Helsinki, les négociations sont conduites en fonction des mérites propres de chaque pays candidat. Le déroulement des négociations ne dépend pas de telle ou telle sympathie ou affinité politique, mais de la capacité de chaque pays candidat à reprendre et à appliquer l'acquis communautaire, lequel est divisé en 31 chapitres. L'ensemble des chapitres - à l'exception de celui sur les institutions - ont été ouverts avec six des douze candidats : la Pologne, la République Tchèque, la Slovénie, l'Estonie, la Hongrie et Chypre.

L'Union considère les négociations sur plusieurs chapitres
- entre quatre et seize - comme " provisoirement closes ", ce qui est une commodité de langage, le principe de base étant que rien n'est agréé tant que tout n'est pas agréé.

Ainsi avons-nous achevé, à titre provisoire, les discussions sur la libre circulation des marchandises avec la République tchèque et celles sur la libre circulation des capitaux avec l'Estonie. Ce sont deux des quatre libertés du marché unique. Dans le domaine de la politique sociale européenne, auquel la France est très attentive, nous avons abouti avec Chypre et l'Estonie et sur l'énergie avec la Hongrie.

Ce ne sont que quelques exemples. Que les délégués des pays qui ne sont pas cités ne s'inquiètent pas !

Il faut poursuivre les négociations dans les domaines très sensibles de la PAC, de l'espace Schengen ou de l'environnement.

La seule solution consiste, dans un premier temps, à procéder à une analyse objective des difficultés. Des négociations conduites avec rigueur et sérieux sont à ce prix. On ne peut laisser de côté des problèmes par amitié ou par facilité. Il faut aller au fond des choses, sinon toutes les questions non traitées seront autant de bombes à retardement, qui se retourneraient tragiquement contre les pays concernés et contre l'Union. Le sérieux et la rigueur sont, dans cette phase de négociations, la meilleure réponse à l'impatience, parfois légitime, des pays candidats et aux préoccupations non moins légitimes des pays membres de l'Union. La seule réponse est de négocier sérieusement et le plus vite possible.

Dans cet esprit, la présidence française travaillera avec la Commission afin d'évaluer les progrès des pays candidats dans la reprise de l'acquis communautaire et leur capacité à l'appliquer de manière effective.

La présidence française compte donc donner une nouvelle impulsion aux négociations en entrant dans le vif du sujet. A la fin de la présidence française, les négociations seront ouvertes sur quarante-deux nouveaux chapitres avec chacun des six pays entrés en négociations cette année. Ce sera donc plus de la moitié du domaine de l'acquis qui sera ainsi examiné. Nous allons aussi aborder ce problème de fond que constituent les demandes de périodes transitoires. Quand elles sont réalistes, de telles demandes sont préférables à une reprise imparfaite de l'acquis. Mais certains de ces demandes, par leur ampleur, pourraient porter atteinte au principe de base de l'adhésion : la reprise de l'acquis communautaire. Elles nécessiteront des arbitrages politiques dans la phase finale des négociations. Nous essaierons d'en traiter le plus grand nombre, afin de préparer le terrain à l'accord d'ensemble qui conclura chaque négociation d'adhésion.

Nous voulons aussi dégager des perspectives et mettre au point une méthode pour la suite du processus. Tel est le sens de la " vue d'ensemble " que nous préparons pour le Conseil européen de Nice. Il s'agit de faire le point, de manière précise et synthétique, sur les douze négociations en cours. Où en est chaque pays dans la reprise de l'acquis ? Respecte-t-il ses engagements ? Comment aboutir ? L'Union européenne elle-même a-t-elle des points à clarifier ? De la sorte, nous pourrons proposer à chaque pays candidat un scénario d'adhésion. Nous disposerons de tableaux synthétiques donnant une photographie de la situation pour le Conseil Affaires générales du 20 novembre.

L'Union européenne ne fixera pas pour autant une date d'adhésion, même si certains pays le souhaitent, estimant que ce serait un facteur de mobilisation interne. Il serait arbitraire de fixer la date à laquelle devraient prendre fin les négociations. Du reste, cela ne s'est jamais fait. Quand nous sommes passés de six à neuf, de neuf à dix, de dix à douze puis à quinze, nous avons négocié jusqu'à ce que soient trouvées des solutions. C'est plus honnête et plus satisfaisant.

Au demeurant, comment pourrait-on fixer la même date pour tous ? Personne ne le souhaite. Il faudrait en réalité fixer une date par pays : on imagine les polémiques sans fin, les comparaisons déplaisantes que cela susciterait.

En fait, il existe déjà une date cible, qui peut mobiliser les pays membres comme les pays candidats : celle du 1er janvier 2003, fixée au Conseil européen d'Helsinki, date à laquelle l'Union devra être prête à accueillir les candidats qui rempliront les conditions. Il s'agit, pour l'Union européenne, d'une date contraignante. Respecter cette obligation suppose d'achever à Nice la négociation sur les quatre sujets de la conférence intergouvernementale.

S'agissant de la Turquie, l'Union européenne a admis sa candidature à l'adhésion, après de longues discussions, au conseil européen d'Helsinki, mais sans engager la négociation. On ne peut méconnaître le chemin qui reste à parcourir. La présidence française s'efforcera de faire avancer le partenariat de pré-adhésion conclu avec ce pays.

L'Union européenne doit tout faire pour réussir l'élargissement : cela implique une vision commune aux Etats membres et aux futurs adhérents de la construction européenne. C'est pourquoi la France a lancé en 1997 l'idée d'une conférence européenne - idée d'ailleurs reprise d'une initiative antérieure qui n'avait malheureusement pas pris corps - afin que les Etats membres et les Etats candidats puissent discuter de tous les sujets relatifs à l'Europe. Deux réunions de la Conférence européenne vont se tenir : la première à Sochaux, le 23 novembre, au niveau ministériel, et la seconde à Nice, le 7 décembre, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. Nous établirons à cette occasion un état des travaux relatifs à la réforme des institutions et pourrons engager une réflexion politique commune sur le fonctionnement de l'Europe élargie.

Nous avons la volonté d'aboutir, c'est-à-dire de réussir, de résoudre tous les problèmes, de sorte que l'Europe élargie soit forte et puisse développer son formidable potentiel.

M. Alain Barrau, Président - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir introduit nos débats de manière particulièrement claire et franche.

Je donnerai la parole en priorité aux représentants des pays candidats.

M. Tunne Kelam (Estonie) - Monsieur le ministre, j'apprécie l'implication de la présidence française sur la question de l'élargissement. On le sait d'expérience, les réformes institutionnelles vont de pair avec l'élargissement. La question est donc de savoir dans quelle mesure le conseil de Nice pourra être considéré comme une réussite.

On ne doit pas tirer prétexte d'un retard dans les réformes institutionnelles pour ralentir l'élargissement. Il serait trop facile de le différer au motif que des problèmes n'ont pas encore été résolus. Notre intérêt commun est que les deux processus s'encouragent mutuellement.

Il existe en Europe des mouvements populistes et extrémistes qui cherchent une troisième voie et veulent empêcher la construction d'une Europe unie, prospère, stable et pacifique. Il faut dissiper les ambiguïtés.

La COSAC permet aux pays candidats de s'impliquer dans la construction d'une zone de paix respectueuse des droits de l'homme. C'est un bon forum.

M. Dimitar Abadjiev (Bulgarie) - Il ne fait aucun doute que nous sommes tous d'accord pour approuver la déclaration faite par Romano Prodi, le 6 septembre dernier, devant le Parlement européen : l'élargissement, a-t-il déclaré, constitue " le défi historique de notre génération ".

En Bulgarie, nous nous préparons à le relever, comme l'a indiqué notre ministre des affaires étrangères à Luxembourg. Nous espérons que la présidence française adoptera une attitude positive sur l'ouverture des négociations avec la Bulgarie comme avec les autres candidats qui ont accompli des progrès en vue de l'adhésion. Il est équitable de juger chaque candidat selon ses mérite propres.

La liberté de circulation est un grand acquis communautaire. J'espère donc que le Conseil européen se mettra rapidement d'accord sur une liste des pays tiers dont les citoyens n'ont pas besoin de visa pour pénétrer dans l'Union européenne. Exempter la Bulgarie et la Roumanie de cette obligation conforterait la stabilité de ces Etats. Compte tenu des progrès accomplis en ce qui concerne la justice, les affaires intérieures, notre pays attend une décision politique sur ce point.

Mme Rosa Dovydeniene (Lituanie) - Nous sommes heureux que la discussion sur l'élargissement s'intensifie au niveau parlementaire.

Nos progrès nous ont permis de rejoindre le groupe de Luxembourg. Depuis que la négociation d'adhésion a été engagée, le soutien de l'opinion à l'adhésion a augmenté dans notre pays pour atteindre 70 %. Il est désormais indispensable que le Conseil européen de Nice aboutisse à un accord sur une série de réformes substantielles, propres à accélérer le processus.

Nous sommes cependant inquiets devant le scepticisme qui se manifeste dans l'Union européenne à propos de l'élargissement. Espérons que la campagne d'information lancée par la Commission y portera remède. Nous apprécions également que le Parlement européen ait demandé à la Commission de faire une étude sur le coût du " non-élargissement ".

L'élargissement est un processus mutuellement avantageux. Mais il subsiste des préjugés concernant l'agriculture, la libre circulation des personnes et les périodes de transition. Les citoyens de nos pays veulent être des citoyens européens à part entière dans l'adhésion, non des citoyens de seconde classe.

Beaucoup de questions restent à résoudre. La Lituanie progresse rapidement dans cette préparation à l'adhésion à l'Union européenne.

Mme Dolores Cristina (Malte) - Certaines informations parues dans la presse pouvaient laisser l'impression qu'il y avait eu à Biarritz certaines dissensions entre Etats membres sur la question de l'élargissement. Les propos optimistes tenus hier par M. Jospin et M. Moscovici ont contribué à dissiper cette impression.

Malte partage l'attente - l'espoir même - des autres candidats. Nous espérons que la CIG aboutira cette année, de façon que la présidence suédoise puisse mettre l'accent sur l'élargissement.

Il faut compléter l'oeuvre d'Amsterdam et ne pas freiner le dynamisme du processus. En septembre dernier dans la déclaration commune de Vilnius, les douze pays candidats ont insisté sur l'importance de l'élargissement et sur le fait que chacun doit être jugé selon ses mérites.

La procédure d'élargissement suit un schéma prévisible. Certains font pression pour qu'on raccourcisse les délais pour éviter une montée de l'instabilité. L'élargissement .est sans doute le projet le plus ambitieux pour le destin de l'Europe. Il est indispensable que des décisions soient prises à Nice.

M. Frantisek Sebej (Slovaquie) - L'élargissement présente certains risques pour les pays membres comme pour les pays candidats. Certains groupes politiques font campagne contre l'élargissement. Les observateurs oscillent entre scepticisme et espoir. Le retard pris dans le processus ne fait que renforcer ses adversaires notamment dans des pays comme la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie, où le soutien à l'adhésion est très fort. Si celle-ci n'intervenait pas dans un délai de 3 ou 4 ans, ce soutien risquerait de s'affaiblir. On ne peut rester enthousiaste éternellement. Dans l'Union européenne même, les opinions se diraient que de tels retards traduisent de vrais problèmes.

Nos pays, qui ne sont pas membres de l'Union européenne, partagent cependant certains problèmes de l'Europe occidentale. Leur monnaie est liée à l'Euro, qui est au plus bas et ils paient leur pétrole en dollars, au même prix que les autres pays d'Europe occidentale.

Notre Parlement comme notre Gouvernement éprouvent un certain malaise devant le retard que prend la négociation. Nous savons que l'administration communautaire est surchargée de travail mais pour garder espoir, nous aimerions que se manifeste une impulsion nouvelle.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Sur la question précise des visas, la présidence française est favorable à ce que la Bulgarie ne fasse plus partie des pays soumis à visas, étant donné les efforts qu'elle a accomplis dans les domaines de la police, de la justice et de l'administration. En adoptant ces réformes, la Bulgarie a en quelque sorte reconnu que les problèmes étaient réels avant.

Cela dit, pour supprimer l'obligation des visas, il faut une décision à la majorité qualifiée. La France essaie de l'obtenir mais certains autres Etats considèrent que les progrès accomplis sont insuffisants.

Sur un plan plus général, l'une des difficultés que pose l'élargissement est qu'il prête à la démagogie. Pas plus aujourd'hui que pour les adhésions précédentes il n'a été question de calendrier précis et fixe. Dès lors, comment parler de retard, sinon par rapport à des promesses démagogiques faites ici ou là ? Il faut être plus respectueux des peuples, donc leur dire la vérité, à savoir que les négociations d'adhésion sont compliquées. Que les pays candidats s'informent auprès des Espagnols et des Portugais...

Nous devons être francs. Faire des déclarations sur un calendrier ne sert à rien sauf à compliquer les choses. Du reste, les candidats eux-mêmes ne se mettraient pas d'accord sur une date unique d'adhésion. Désormais, il n'y a plus de groupes. La seule façon de procéder est de traiter chacun selon ses mérites.

Il me semble qu'on aborde cette question de façon trop émotionnelle, certains soupçonnant l'Union européenne de ne pas vouloir l'élargissement. Si tel était le cas, elle n'aurait pas ouvert les négociations d'adhésion. L'Union est consciente de la signification historique de l'élargissement et de la nécessité de s'ouvrir à des pays qui sont européens et qui sont redevenus des démocraties. Négocier prouve que nous sommes vraiment favorables à l'élargissement.

Durant cette phase, ce n'est pas d'avocats que les pays candidats ont besoin, mais de réformateurs et de négociateurs. Ils entreront quand tous les problèmes auront été réglés. C'est simple. Ils le savent d'ailleurs, puisqu'ils mettent en avant les réformes qu'ils ont accomplies, réformes dont nous n'ignorons pas ce qu'elles leur coûtent et que nous soutenons d'autant plus vigoureusement. Les candidats doivent en outre reprendre tous les acquis communautaires, lesquels sont de plus en plus nombreux à mesure que le temps passe. Mais c'est bien dans l'Union de 2000 qu'ils veulent entrer, pas dans celle de 1957 ! Donc, les candidats ont un gros effort à faire, nous le savons et ne voulons pas nous en tenir à un discours démagogique ; il faut négocier et négocier encore.

Dites-vous que les pays membres ont aussi des raisons de se préoccuper de l'avenir de l'Union. Si l'on avait accepté d'emblée tous les pays candidats, sans faire auparavant de réforme institutionnelle, ils seraient entrés dans une Union paralysée. L'Union les attire parce qu'elle est riche et vivante ; une Union paralysée n'aurait aucun attrait pour eux. Nos intérêts convergent donc ; ne vous persuadez pas que ce ne seraient de notre part que manoeuvres dilatoires. L'idée d'élargissement figurait déjà dans le traité de Rome, qui prévoyait d'accueillir tous les pays européens démocratiques. Si nous ne voulions pas de l'élargissement, nous n'aurions pas lancé la CIG aussi tôt, nous ne ferions pas le forcing pour aboutir à un bon traité lors du Conseil européen de Nice.

Je peux comprendre l'impatience des candidats mais c'est à leurs responsables politiques de faire un travail approfondi d'explication, pour faire comprendre chez eux ce qu'est l'Union et en quoi tous ont intérêt à ce qu'elle soit forte. Au lieu de protester contre un retard supposé, vous devez soutenir nos efforts pour réussir les réformes institutionnelles. Elles sont indispensables à l'élargissement et ne sont nullement un prétexte pour le retarder.

Négocier vraiment, ce n'est pas dresser la liste des points d'accord mais s'attaquer sérieusement aux problèmes. Il est clair, par exemple, que si l'on accueillait tous les candidats sans adaptation, la PAC exploserait. Certains candidats, mais pas tous, auront besoin d'une longue période de transition. Etre membre à part entière, cela signifie une égalité de droits et de devoirs, qui n'est pas réalisable du jour au lendemain. C'est pourquoi il n'est d'autre bonne solution qu'une négociation sans relâche, pendant laquelle vous devez préparer vos opinions publiques aux résultats envisageables : montrer en quoi les espérances sont satisfaites et les inquiétudes apaisées.

Mme Ewa Freyberg (Pologne) - La question de l'élargissement est bien la question majeure.

Si j'ai bien entendu la réponse de M. Védrine, je dois répéter ce qui vient d'être dit : nous sommes impatients. Nos représentants politiques sont unanimes à souhaiter l'intégration et pourtant les choses sont parfois confuses même pour eux ! Cette confusion est accrue par le caractère contradictoire des signaux qui sont envoyés. L'impatience est, pour quelque candidat que ce soit, dans l'ordre des choses. Ne vous en étonnez pas ! L'intégration exige une vraie révolution dans notre société et nos institutions ; des Français doivent être à même de comprendre ce qu'est une révolution !

J'aimerais pouvoir ramener dans mon pays des messages plus optimistes.

Mme Hildegard Puwak (Roumanie) - Je remercie la France de ses efforts pour soutenir nos candidatures. Nous faisons notre possible pour appliquer les recommandations des pays membres. Toutes les forces politiques roumaines veulent agir dans cette direction ; cela garantit, même au-delà des futures élections, la continuité de notre démarche d'adhésion.

Les perspectives d'adhésion qu'on nous ouvre sont pour nous un encouragement à intensifier nos efforts et à consolider nos progrès. Et nous considérons que ces efforts et progrès ne doivent en aucun cas souffrir de la réforme institutionnelle. Celle-ci, nous en sommes persuadés, ne contrecarre nullement l'élargissement : les deux processus se renforceront mutuellement, au contraire, pour aboutir à une Europe forte, efficace et proche des citoyens.

M. Edwin Inkens (Lettonie) - Je ne demanderai jamais de date précise pour l'adhésion de mon pays : cette date ne peut dépendre que de notre propre capacité à faire ce que nous devons ! Cependant, il nous faut être informés du " scénario " de l'élargissement et des critères pour l'adhésion - notamment de l'importance des critères politiques : cela est de l'intérêt des Etats membres de l'Union aussi bien que des pays candidats !

Nous sommes reconnaissants à la présidence française d'avoir demandé à la Commission d'accroître le nombre de représentants officiels travaillant sur cette question de l'élargissement. Nous savons en effet que des négociations menées naguère avec le " deuxième groupe " ont été retardées par manque de personnel et il ne faudrait pas que nous soyons les otages de ce genre de problèmes techniques. Cela étant, il faut clairement dire qui, parmi nous, est en mesure de combler son retard. Notre pays est disposé à négocier sur tous les chapitres - mais la Commission y est-elle prête ? Ne manque-t-elle pas de la volonté politique nécessaire, ou les moyens administratifs ne lui font-ils pas défaut ?

M. Jaroslav Zverina (République tchèque) - Mon pays a fait des progrès notables depuis deux ans, notamment en matière législative, et je pense que nous serons prêts pour l'adhésion au 1er janvier 2003. Tout dépendra alors d'une décision politique de l'Union. Or, est-il sûr qu'après que nous aurons satisfait à tous les critères, l'adhésion s'ouvrira dans un délai raisonnable ? Si les choses tardaient trop, la désillusion risquerait de gagner nos concitoyens et le camp des adversaires de l'adhésion serait renforcé.

Nous nous félicitons de la résolution adoptée le 1er octobre par le Parlement européen appelant l'Union à accueillir de nouveaux membres d'ici 2004, de manière à ce qu'ils puissent participer aux élections européennes prévues pour la même année. Avez-vous le sentiment, Monsieur le ministre, que ce pari pourra être tenu ?

M. Tassos Papadopoulos (Chypre) - Les négociations avec Chypre ont commencé sur tous les chapitres : seize d'entre eux sont déjà fermées et cela devrait assez vite être le cas pour trois ou quatre autres. Pourtant mon pays ne bénéficie d'aucun programme de soutien de type PHARE : on a considéré que le revenu par tête y était trop élevé. En conséquence, nous avons dû financer nos réformes par nos propres moyens, y consacrant à peu près l'équivalent du budget national ! Je comprends la position de la présidence française et j'admets que la CIG doive se consacrer à des réformes structurelles, si l'on veut que l'Union élargie fonctionne convenablement. Mais si cette Conférence n'aboutit pas comme prévu à la fin de cette année et si l'Union n'est pas prête à accueillir de nouveaux membres au 1er janvier 2003, Chypre, dont ce ne sera pas la faute, devra-t-elle supporter le coût de ce nouveau délai ? Ne croyez-vous pas qu'il conviendrait alors d'étudier un plan de soutien pour tous les pays dans le même cas ?

M. Krzysztof Majka (Pologne) - Bien que n'appartenant pas au même parti que Mme Freyberg, je suis pour une fois d'accord avec elle. Il est en effet exact que les pays candidats abordent de façon très émotive la question de l'élargissement. Comment pourrait-il en être autrement, d'ailleurs, sachant les efforts très pénibles imposés à nos concitoyens par les réformes ? Et la foi indéniable de notre opinion, que les sondages traduisent souvent imparfaitement, est de fait contrebalancée par la multiplicité des réponses contradictoires et déroutantes qui nous sont envoyées.

On parle ici d'élargissement maximal, là d'élargissement minimal, on spécule sur les dates possibles... Pour sortir de cette confusion, il importe que cette COSAC, puis le Conseil européen de Nice envoient un message clair, qu'il s'agisse des priorités, du calendrier ou des objectifs. La question de l'élargissement devient par trop technique, ce qui décourage nos concitoyens. Comment comptez-vous restaurer leur enthousiasme, pour nous assurer le soutien dont nous avons tant besoin ?

M. Alain Barrau, Président - Monsieur le ministre va devoir nous quitter afin de se consacrer au dossier du Proche Orient. Je sais que nos amis représentants des Etats membres vont être déçus, mais je proposerai que nous en restions là pour les questions. Après tout, l'essentiel n'était-il pas que les représentants des pays candidats puissent s'exprimer ?

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je suis désolé de ne pouvoir prolonger cet échange, mais je dois en effet me rendre à une réunion avec le Président de la République.

Vos interventions m'ont beaucoup intéressé car elles traduisaient avec force votre volonté d'entrer dans l'Union européenne. Votre impatience même me réjouit car elle démontre que l'Union, confrontée pendant tant d'années à tant de problèmes compliqués, a su les résoudre de manière à devenir attrayante pour beaucoup d'autres Etats.

J'ai dit tout à l'heure avec une franchise qui se voulait amicale et constructive la façon dont nous voyons la question de l'élargissement, mais j'entends bien le message que vous nous adressez. Je crois que le Conseil européen de Nice aboutira à un accord, la réunion de Biarritz ayant clarifié la situation : nous avons bien avancé sur deux sujets ; en revanche, sur les deux autres - l'avenir de la Commission et la question de la pondération -, les positions sont apparues inconciliables. Mais l'on ne peut dire qu'il s'agit de sujets techniques : ils sont éminemment politiques, aussi, car il y va du fonctionnement de l'Union élargie. Régler ces problèmes est donc de l'intérêt de tous, Etats membres comme Etats candidats. C'est pour l'avenir commun que nous négocions ! Et, quelles que soient les difficultés, je suis persuadé que nous parviendrons à un accord. C'est légitimement que chaque pays de l'Union défend ses intérêts - comme vous le faites vous-mêmes dans la négociation préalable à l'élargissement.

Mais, au-delà, c'est l'intérêt général de l'Europe qui devra prévaloir, ce qui suppose des concessions et des compromis. J'éprouve, à ce sujet, un optimisme raisonné, fondé sur la volonté déterminée de respecter les engagements souscrits, volonté que je crois partagée. Dire cela, c'est déjà donner une réponse aux pays candidats qui observent et attendent, intéressés et inquiets. Dire cela, c'est affirmer que nous voulons aboutir, c'est dire, aussi, qu'après le Conseil européen de Nice, l'atmosphère sera plus détendue.

Pourquoi ? Parce qu'après Nice, plus personne ne pourra prétendre comme certains le font sans craindre le ridicule, que les Quinze se seraient lancés dans une réforme institutionnelle pour retarder l'échéance de l'élargissement. Après Nice, l'Union pourra proposer à chaque pays candidat un calendrier d'adhésion, en tenant compte des réformes abouties et de ce qui reste à faire. Le brouillard étant ainsi dissipé, les opinions publiques seront rassurées.

Il faut, j'y insiste, garder son sang-froid par rapport aux multiples déclarations contradictoires qui peuvent être faites. Je sais l'impatience que suscite, dans les pays candidats, la question de l'adhésion, mais j'invite les autorités amies à se concentrer sur l'essentiel, en faisant fi des rumeurs et des on-dit : les candidatures ont été acceptées, des négociations sont ouvertes avec douze pays, l'indispensable réforme institutionnelle de l'Union est engagée, un calendrier est fixé, que nous respectons. C'est aussi simple que cela : une procédure a été définie, et elle est suivie. L'opinion publique des pays considérés doit en être informée.

Nous travaillons, ensemble, à assurer un rapprochement qui aura lieu à une date encore inconnue, mais suffisamment proche pour justifier un double effort : de réforme chez nous, de convergence chez vous. Je l'ai dit : nous savons qu'il s'agit, pour les pays candidats, pour certains surtout, d'un effort considérable, qui demande un grand courage, et j'éprouve un profond respect pour les gouvernements qui conduisent ces politiques exigeantes, parce qu'ils sont conscients que tel est le prix de l'entrée dans l'Union et parce qu'ils savent, aussi, qu'au terme de la négociation, une Union élargie efficace verra le jour.

E. EXAMEN DU PROJET DE CONTRIBUTION

M. Hubert Haenel, Président - Je rappelle que nous ne pouvons, selon notre Règlement, adopter une contribution si une délégation s'oppose au texte de la présidence. Nous vous soumettons un projet établi d'après les différentes contributions que nous avons reçues et qui tient compte des observations présentées hier soir par les présidents de délégation lors de la réunion préparatoire.

Il s'agit donc d'un texte de compromis. Il revient maintenant à chaque délégation de l'examiner et d'indiquer s'il subsiste quelque opposition. Certains collègues nous ont déclaré hier qu'ils accepteraient telle ou telle partie si la Suède s'engage à reprendre tel autre point à l'ordre du jour de la prochaine COSAC en mai.

Je donne lecture du premier paragraphe :

" 1. La COSAC appelle les Etats membres à parvenir, lors du Conseil européen de Nice, à un accord sur la réforme institutionnelle qui garantisse, dès à présent, dans la perspective de l'élargissement, l'efficacité, la transparence et la légitimité des institutions et qui permette d'accueillir de nouveaux Etats membres à partir du 1er janvier 2003. Elle exprime son fort soutien au processus d'élargissement et recommande à la Conférence intergouvernementale de sauvegarder, dans l'accord global pour la révision des traités, les principes de solidarité, de cohésion, de subsidiarité et de proportionnalité, qui sont la condition d'une véritable Union des peuples et des Etats ".

Ce point, relatif à la Conférence intergouvernementale, s'inspire de la contribution du Parlement portugais en y apportant certains compléments - les exigences d'efficacité, de légitimité et de transparence - et en évitant, en revanche, d'énumérer les sujets à traiter par la CIG ; il s'inspire de la contribution suédoise pour rappeler que les modifications institutionnelles doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2003 afin de permettre l'élargissement.

Le premier paragraphe est adopté.

M. Hubert Haenel, Président - Je donne lecture du paragraphe suivant :

" 2. La COSAC prend acte de l'accord politique dégagé entre les chefs d'Etat et de Gouvernement sur le projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans la rédaction élaborée par la Convention. Elle appelle le Conseil, la Commission et le Parlement européen à proclamer cette Charte. Elle estime que la procédure retenue, associant des représentants des chefs d'Etat et de Gouvernement, de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux, pourrait être utile à l'avenir ".

Ce point résulte d'une initiative de la présidence, puisqu'aucun projet de contribution n'évoquait la question de la Charte. Il est vrai que les projets devaient nous être adressés avant le 15 septembre. Or ce n'est que le 2 octobre que la convention a fort heureusement conclu ses travaux sur le texte qui a été approuvé à Biarritz. M. le Premier ministre, Lionel Jospin, s'est exprimé hier sur ce texte.

Il ne s'agit pas de se prononcer, compte tenu du désaccord de certaines délégations, sur la nature juridique de la future Charte. Le texte élaboré par la convention est un bon texte lisible par le commun des mortels, jusque dans les écoles primaires de l'Union européenne et exprimant nos valeurs communes. Ce texte devrait pouvoir, un jour, être intégré dans le traité, voire dans le Préambule d'une " Constitution " -j'emploie à dessein les guillemets, pour aller de M. Fischer à M. Blair. Je n'oublie pas que nos collègues britanniques nous ont précisé hier avec humour que chez eux le Premier ministre peut faire des déclarations sans que le Parlement soit d'accord...

Le deuxième paragraphe est adopté.

M. Hubert Haenel, Président - J'en viens au troisième paragraphe.

" 3. La COSAC souligne la nécessité pour l'Union, dans l'esprit du Conseil européen de Lisbonne, d'encourager le développement d'une économie de l'innovation et de la connaissance, favorisant des politiques de promotion active de l'emploi et de lutte contre le chômage et les exclusions. Elle appelle les institutions de l'Union à adopter durant la présidence française l'Agenda social européen qui, dans le respect du principe de subsidiarité, constituera un cadre pluriannuel pour les mesures à réaliser dans le domaine social. Ce nouvel objectif stratégique doit permettre de concilier les changements résultant de la nouvelles économie avec les valeurs sociales européennes et la perspective de l'élargissement ".

Ce paragraphe, portant sur la dimension sociale de la construction européenne, s'inspire du projet de contribution de nos collègues portugais, dans l'esprit du Conseil européen de Lisbonne. A la demande de la délégation néerlandaise, il met également l'accent sur la nécessité de respecter le principe de subsidiarité.

Le troisième paragraphe est adopté.

M. Hubert Haenel, Président - Le quatrième paragraphe du projet est ainsi rédigé :

" 4. La COSAC, dans l'esprit du Conseil européen de Tampere, appelle l'Union et les Etats membres à mettre en place, en coopération avec les Etats candidats, un espace de liberté, de sécurité et de justice qui, dans le respect de la protection de la vie privée, repose notamment sur des mesures concrètes de lutte contre l'immigration clandestine, des normes communes pour le franchissement des frontières extérieures de l'Union, ainsi qu'un renforcement de la coopération entre services de contrôle pour appliquer ces normes ".

Ce point concernant l'espace de liberté, de sécurité et de justice s'inspire de la contribution de nos amis du Sénat italien. Toutefois, la délégation britannique ayant exprimé des réserves, nous n'en avons conservé qu'une partie. A l'issue de la réunion d'hier, des compléments ont été apportés par la délégation italienne et des observations ont été formulées par nos collègues roumains, belges et néerlandais, dont nous avons également tenu compte.

Y a-t-il d'autres observations ?

M. Pierre Fauchon (France) - Ce texte est excellent !

Mme Mimi Kestelijn-Sierens (Belgique) - Il conviendrait de citer la lutte contre la criminalité organisée...

M. Hubert Haenel, Président - Nous en avons discuté hier. C'est à cela que se réfère " l'esprit de Tampere ". Mais certains collègues ont émis des réticences.

M. Sören Lekberg (Suède) - Merci, Monsieur le Président, d'avoir amélioré le texte. Cependant, il manque une référence explicite à la lutte contre la criminalité internationale, à l'exploitation des jeunes femmes et au trafic de drogue. Sans doute est-il un peu tard, mais si ces trois problèmes ne sont pas évoqués, nous rejetterons l'ensemble du paragraphe.

M. José Barros Moura (Portugal) - Ce paragraphe est important en soi. Il ne doit pas se limiter à l'immigration clandestine, ce qui serait mal compris par nos opinions publiques. J'appuie la proposition suédoise et belge.

M. Hubert Haenel, Président - Nos amis britanniques s'opposent-ils à ce que nous mentionnions la lutte contre la criminalité internationale ?

M. Jimmy Hood (Royaume Uni) - La délégation britannique ne voit aucun inconvénient à l'adjonction d'une référence au crime organisé.

M. Alain Barrau, Président - La présidence, qui avait cru percevoir des réticences, ne s'oppose pas à l'idée de nos amis suédois, belges et portugais. Il n'y a aucune réticence politique de notre part à ce que l'on puisse aller plus loin.

Après la " lutte contre l'immigration clandestine ", la délégation suédoise propose d'ajouter " la criminalité transfrontalière, la traite des êtres humains et le trafic de drogue ".

M. Pierre Fauchon (France) - Je soutiens la proposition de nos amis belges et suédois. Au plan rédactionnel toutefois, il me semblerait préférable de ne retenir que " la criminalité transfrontalière ", qui englobe la traite des êtres humains, le trafic de drogue et d'autres trafics encore.

Par ailleurs, M. Jospin nous a suggéré la constitution de groupes de travail : nous pourrions en faire un sur ce thème.

M. Hubert Haenel, Président - Nous reviendrons sur cette question.

M. Juergen Meyer (Allemagne) - Je suggère que nous retenions plutôt la notion de " crime organisé " définie à Tampere et encore utilisée hier par Mme Guigou. Cette notion, en effet, recouvre toutes les formes de délinquance que nous voulons combattre. On pourrait d'ailleurs citer la traite et le trafic des stupéfiants après un " notamment ". Mais il n'est pas souhaitable d'énumérer toutes les catégories de crimes.

M. Karl Schweitzer (Autriche) - La délégation italienne avait formulé une proposition excellente et je m'étonne qu'elle ne la soutienne pas aujourd'hui.

Nous avons une frontière extérieure commune. Tous les Etats membres doivent se montrer solidaires. Il faut que nous prenions des initiatives communes en faveur des réfugiés et contre les bandes organisées qui pratiquent la traite des êtres humains. Il faudrait aussi fixer pour chaque pays un quota obligatoire de réfugiés à accueillir.

C'est l'intérêt même de la délégation italienne que je défends ici.

M. José Borrell (Espagne) - Toutes les références proposées conviennent à ma délégation. J'aimerais qu'on ajoute encore, après " dans le respect de la vie privée ", les mots : " lutte contre le terrorisme ".

En Espagne, nous devons déplorer une fois de plus un attentat. Le texte doit mentionner la lutte contre le terrorisme et la condamnation des attentats.

M. Alain Barrau, Président - Les délégations parlementaires sont unanimes pour condamner ce qui vient de se passer en Espagne. Je suis personnellement d'accord pour introduire la lutte contre le terrorisme dans le paragraphe 4.

Par ailleurs, nous allons faire des déclarations sur plusieurs sujets, comme la situation en Serbie. Je propose donc qu'en dehors de la contribution, nous condamnions le terrorisme, de manière brève mais ferme.

Mme Outi Ojala (Finlande) - Je déplore ce qui s'est passé en Espagne. Personne ici ne peut accepter de tels actes. Mais j'ai peur qu'après la condamnation du terrorisme, on nous demande aussi de commenter la situation au Proche-Orient... N'alourdissons pas la contribution.

M. Hubert Haenel, Président - Je vous propose qu'après " un espace de liberté, de sécurité et de justice ", nous ajoutions " qui renforce la lutte contre les formes graves de la criminalité organisée et transnationale ". La question du terrorisme serait traitée à la fin. Ou bien : " qui renforce la lutte contre le terrorisme, les formes graves de la criminalité organisée et transnationale... " (Assentiment).

Je constate que cette seconde rédaction fait l'objet d'un accord.

Le paragraphe 4, ainsi modifié, est adopté.

M. Hubert Haenel, Président - Je donne lecture du paragraphe 5.

" 5. Considérant que les parlements nationaux, aux côtés du Parlement européen, contribuent à la légitimité démocratique des institutions européennes, la COSAC invite la Conférence intergouvernementale à modifier la première partie du Protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne dans le sens suivant :

- les documents de consultation et propositions législatives de la Commission européenne devraient être transmis par voie électronique aux parlements nationaux dès leur adoption par le collège des commissaires ;

- le délai de six semaines prévu au point 3 devrait s'appliquer également, sauf cas d'urgence, aux propositions visant à adopter des mesures dans le cadre des titre V et VI du traité sur l'Union européenne et aux projets d'accords interinstitutionnels auxquels le Conseil est partie ;

- un délai minimum de quinze jours, ou d'une semaine en cas d'urgence, devrait être observé entre le dernier examen d'un texte au sein du COREPER et la décision du Conseil.

La COSAC rappelle qu'aucune disposition de ce protocole ne saurait porter atteinte aux compétences et prérogatives reconnues à chaque Parlement national par les dispositions constitutionnelles de son Etat ".

Ce paragraphe 5 s'inspire des propositions de la Chambre des députés italienne et du souhait exprimé par d'autres commissions dans leurs réponses au questionnaire en ce qui concerne le contrôle des politiques européennes par les parlements nationaux. L'alinéa relatif au délai de 15 jours entre l'examen d'un texte par le COREPER et la décision du Conseil est dû à une initiative de la délégation suédoise.

Il convient de rectifier le texte et de placer correctement la référence au titre VI du traité pour tenir compte d'un amendement de la délégation italienne : " les documents de consultation et propositions législatives de la Commission européenne ainsi que les propositions de mesures à adopter en application des titres V et VI du traité sur l'Union européenne... "

La référence au titre VI disparaît dans l'alinéa suivant.

M. Guido Podesta (Parlement européen) - Il convient de préciser que la Commission doit transmettre simultanément les documents et propositions au Parlement européen, au Conseil et aux parlements nationaux.

M. Hubert Haenel Président - Oui, mais dans ce texte il ne s'agit que de leur transmission électronique aux parlements nationaux.

Le paragraphe 5, ainsi modifié, est adopté.

M. Hubert Haenel, Président - Mme Nicole Catala, membre de la délégation française, relève que le protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne, dans son article 5, prévoit que la COSAC peut examiner toute proposition ou initiative d'acte législatif en relation avec la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice et qui pourrait avoir une incidence directe sur les droits et les libertés des individus.

Elle souhaite donc que la prochaine COSAC débatte de textes sur l'espace judiciaire européen. La présidence suédoise peut peut-être nous donner son opinion dès maintenant. De toute façon la troïka en discutera.

M. Sören Lekberg (Suède) - Je tiens d'abord à remercier la présidence française pour son hospitalité et pour l'excellente organisation de cette réunion. Les discussions avec les responsables politiques français ont été fructueuses pour les pays candidats comme pour nous.

Je vous invite tous à la prochaine COSAC que la Suède organisera à l'Assemblée nationale à Stockholm, du 20 au 22 mai prochain. Nous avons choisi le printemps pour que nos arbres et nos fleurs vous présentent la Suède sous son meilleur jour. Le programme, qui tiendra compte des priorités suédoises, est en discussion. Vous pourrez aussi rencontrer des responsables politiques suédois. Fin janvier ou début février, la troïka établira le programme définitif. Elle pourra décider sur les propositions comme celle de Mme Catala.

M. Gerrit Van Oven (Pays-Bas) - Le paragraphe 5 contient des recommandations sur les délais. Il est important de contrôler si le Conseil les respecte. La prochaine COSAC pourrait examiner ce qui a été fait en ce sens et le cas échéant quelles pourraient être les mesures pour amener les Gouvernements à respecter ces délais.

J'insiste aussi auprès de la future présidence suédoise sur une autre suggestion qui a déjà été faite : inscrire à l'ordre du jour de la COSAC la création d'un groupe de travail sur tout ce qui relève du troisième pilier.

M. Hubert Haenel, Président - Votre première suggestion est excellente et je souhaite que la troïka la prenne en considération. La création d'un groupe de travail a également été proposée par M. Raymond Forni, président de l'Assemblée nationale française, et M. Barrau souhaite s'exprimer à ce sujet.

M. Alain Barrau, Président - L'idée a été évoquée hier à propos du contrôle qu'exercent les parlements nationaux. La COSAC est désormais assez mûre pour utiliser cette disposition de son règlement qui lui permet de créer un groupe de travail pour approfondir un sujet important entre deux conférences. Plusieurs thèmes sont possibles : le troisième pilier, la place des parlements nationaux dans le contrôle démocratique, les aspects sociaux. M. Haenel est d'accord avec cette proposition de même que les présidents de l'Assemblée et du Sénat qui sont prêts à faciliter l'organisation de ce groupe permanent.

Si nous en arrêtions le principe avec l'accord de la délégation suédoise, celle-ci pourrait procéder à des consultations ultérieures pour déterminer un sujet précis avant la réunion de la troïka.

M. Hubert Haenel, Président - Nous chargeons encore la barque suédoise. Nos collègues suédois décideront.

M. Giovanni Saonara (Italie) - La Suède est très capable de mener sa barque, même chargée. La délégation italienne souhaite qu'un groupe de travail permette d'évaluer le développement des dossiers importants inscrits à l'ordre du jour du Conseil de Nice. Elle souhaite que la présidence complète son excellent travail en liaison avec la présidence suédoise et elle est tout à fait favorable à l'institution d'un groupe de travail permanent pour 2001.

M. Guillermo Martinez Casaò (Espagne) - La Troïka devrait étudier l'idée d'une commission qui travaillerait entre chaque réunion de la COSAC. Cette étude pourrait déboucher sur des propositions à faire pour la prochaine réunion plénière de la COSAC. Mais ce n'est pas à la Troïka de prendre de décision.

M. Hubert Haenel, Président - Certes. Il est clair que la création d'un groupe de travail ne peut être décidée qu'à la majorité absolue des délégations.

M. Manuel Dos Santos (Portugal) - L'idée d'un groupe de travail doit être approuvée : elle se situe dans le prolongement de l'effort fait depuis les conférences de Luxembourg et de Lisbonne pour renforcer la COSAC. J'encourage la présidence suédoise.

M. Jimmy Hood (Royaume-Uni) - Je ne voudrais pas déverser trop d'eau froide sur cet intéressant sujet, mais je me demande si le moment est bien choisi pour décider la création d'un groupe de travail, juste avant la clôture de nos travaux. J'éprouve quelque malaise à vous voir charger ainsi la présidence suédoise si longtemps avant qu'elle n'entre en fonctions !

Lorsqu'en 1992, la COSAC s'est réunie pour la première fois, je présidais la Troïka. Nous nous étions fixé pour règle de nous contenter de recevoir des suggestions pour l'ordre du jour. A présent, on en est à un préaccord sur le futur ordre du jour ! Un groupe de travail, dites-vous, mais qui ? Quand ? Sur quoi ?

M. Hubert Haenel, Président - Ne vous inquiétez pas. La question n'était pas à l'ordre du jour, il n'est pas question de décider la création d'un groupe de travail aujourd'hui à Versailles. On discute, c'est tout. Le règlement de la COSAC exige la majorité absolue des délégations pour une décision de cette nature.

M. Alain Barrau, Président - Notre intention n'est nullement de forcer le pas, nous voulons répondre à une situation politique nouvelle. Le nouveau règlement de la COSAC qui a été adopté à Helsinki doit être respecté avec l'accord des différentes délégations. Nous avons tous la volonté d'aller plus loin dans les travaux communs. Mais il ne s'agit pas de faire adopter à la hussarde la création de ce groupe de travail ! La présidence pourrait engager d'ici les quelques semaines qui lui restent une consultation des délégations dont les résultats seraient portés à la connaissance de la Troïka. Il ne s'agit de rien de plus. On a parlé du Spirit of Biarritz, voici le Spirit of Versailles !

Mme Outi Ojala (Finlande) - A Helsinki, on a prévu la possibilité de créer un groupe de travail. La Troïka pourrait adresser un questionnaire à tous les pays membres afin que ceux-ci se prononcent sur l'opportunité de ce groupe de travail. Il serait dommage de laisser retomber cette importante discussion.

M. Michiel Patijn (Pays-Bas) - Comme nous l'avions proposé, mes collègues belges et luxembourgeois et moi-même, à la réunion de Lisbonne, la COSAC devrait être le cadre d'une discussion sur un certain nombre de thèmes, dont celui de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Des consultations devraient être engagées avec la Troïka pour mettre en oeuvre cette suggestion.

M. Guido Podestà (Parlement européen) - Comme l'a fait la convention sur la Charte, la COSAC essaie de mettre en place des méthodes de travail nouvelles. La présence parmi nous des pays candidats apporte beaucoup à nos travaux et leur ouvre de belles perspectives futures. Je n'ai pas ressenti la proposition de M. Barrau comme une fuite en avant ; j'y vois au contraire une importante réflexion qui devrait être inscrite à l'ordre du jour de la COSAC de Stockholm.

Cela étant, si notre règlement adopté à Helsinki fournit des indications relativement précises sur la création de groupes de travail spécifiques, il me semble qu'il laisse une certaine latitude d'interprétation. Nous devrions en discuter dans nos parlements, puis nous verrons quel genre de groupe de travail créer.

Si je puis revenir un moment sur le projet de contribution, puis-je suggérer un ajout ? Il s'agirait de rappeler, in fine, qu'aucune disposition du protocole ne saurait porter atteinte, non seulement aux compétences et prérogatives reconnues à chaque Parlement national, par les dispositions constitutionnelles de chaque Etat, mais " également à celles qui sont reconnues aux institutions européennes par les traités ".

M. Dinos Vrettos (Grèce) - Pour notre part, nous préférerions la formule de commissions permanentes ou de commissions ad hoc, mais nous n'avons rien contre des groupes de travail. Ceux-ci peuvent en effet contribuer à élever encore le niveau de notre collaboration.

M. Hubert Haenel, Président - De la discussion, je retiens que, la création de groupes de travail n'étant pas inscrite à notre ordre du jour, nous ne pouvons trancher mais qu'une majorité semble se dessiner ici en faveur de cette mesure. Comme l'a suggéré notre collègue de la Finlande, nous enverrons donc un questionnaire à chaque délégation. N'oublions pas par ailleurs la précieuse contribution du Benelux, qui insistait sur la nécessité d'un contrôle permanent : ce sera une raison supplémentaire de prendre nous-mêmes des initiatives si les organes de l'Union tardaient à répondre à notre voeu. De COSAC en COSAC, comme l'a dit M. Podestà, nous aurons ainsi inventé de nouvelles formules pour être plus efficaces et plus proches des préoccupations des Européens.

M. Alain Barrau, Président - Pour répondre à M. Podestà, je ne vois aucun inconvénient à ajouter à la fin de la contribution, les mots " ni à celles attribuées au Parlement européen par les traités ".

M. Hubert Haenel, Président - La discussion de ce sujet avait été close : tenons-nous en au texte initial, quitte à y revenir lors d'une prochaine conférence.

F. EXAMEN DES PROJETS DE DÉCLARATIONS

M. Hubert Haenel, Président - Chacun de vous aura sans doute pris connaissance du projet de déclaration présenté par la présidence à propos de la Serbie.

M. Alain Barrau, Président - Nos collègues du Sénat français, attentifs à une bonne interprétation de notre règlement, ont à juste titre fait observer que, sur la question de la Serbie, nous ne pouvions présenter une contribution - puisque celle-ci ne peut être adressée qu'aux institutions européennes-, mais qu'il nous était loisible en revanche d'adopter une déclaration. D'autre part, même si nous sommes attentifs à ce qui se passe dans le bassin méditerranéen, nous avons jugé que nous manquions d'éléments pour nous prononcer sur ce thème délicat. Il n'en allait pas de même pour la Serbie et nous vous soumettons donc un texte très simple -il tient en deux phrases- : " La COSAC salue le courage dont a su faire preuve le peuple serbe qui a remporté une victoire exemplaire pour la démocratie. Elle exprime le souhait que l'Union européenne mette en place une coopération nouvelle avec la République fédérale de Yougoslavie afin qu'elle trouve toute sa place en Europe " .

M. José Saraiva (Portugal) - Notre délégation se réjouit que la Conférence aille dans la voie ouverte à Biarritz avec la réception de M. Kostunica. Il est en effet indispensable que l'Union ne ménage aucun effort pour aider la République de Yougoslavie à réussir sa transition vers la démocratie et pour répondre aux besoins de la population de ce pays.

Nous soutenons également la proposition de déclaration de notre collègue Borrell : il faut en effet condamner fermement le terrorisme qui essaie d'étouffer entre ses tentacules la démocratie espagnole. Nous ne nous élèverons jamais avec assez de véhémence contre le danger qui menace aujourd'hui ce pays mais qui peut toucher n'importe quel autre demain !

M. Michiel Patijn (Pays-Bas) - L'idée de cette déclaration est excellente mais je trouve les dix derniers mots un peu faibles. D'autre part, il n'est pas avéré que l'adhésion à l'Union soit actuellement la première préoccupation des Serbes. Je propose donc de remplacer " afin qu'elle trouve toute sa place en Europe " par : " afin d'y consolider la démocratie et d'améliorer les conditions de vie du peuple serbe. ".

M. Alain Barrau, Président - Nous ne pouvons faire l'économie d'une allusion au pacte de stabilité et aux relations de la République de Yougoslavie avec l'Union. Je suggère donc que le membre de phrase par vous proposé soit ajouté à la fin de la déclaration, au lieu de s'y substituer.

M. Antonios Skyllakos (Grèce) - Je suis convaincu que je traduis fidèlement le sentiment de la majorité du peuple grec en m'opposant à ce projet de déclaration. L'évolution actuelle en Yougoslavie n'est que le résultat de l'embargo, des bombardements et de tout le soutien apporté à l'opposition par les forces qui se sont ingéniées à s'ingérer dans les affaires d'un pays tiers. Laissons le peuple serbe décider lui-même de son sort.

M. Hubert Haenel, Président - Si votre délégation s'oppose au projet, celui-ci ne pourra être adopté...

M. Alain Barrau, Président - Il ne s'agit ici que de saluer le courage du peuple serbe !

M. Antonios Skyllakos (Grèce) - Je maintiens mon opposition.

M. Dinos Vrettos (Grèce) - M. Skyllakos représente le parti communiste grec et lui seul. En ma qualité de président de la délégation grecque, je me prononce en faveur de l'adoption de la déclaration telle qu'amendée.

M. Alain Barrau, Président - Je suis très heureux que la délégation grecque se rallie à la proposition de la présidence, complétée, in fine, par les mots : " et que l'Union européenne l'aide à consolider la démocratie et à améliorer le niveau de vie du peuple serbe ".

Que personne ne se méprenne : l'esprit de cette déclaration, c'est le désir de tendre la main au peuple serbe et d'aider la Serbie à reprendre sa place dans le choeur des nations européennes, dans l'intérêt de tous.

M. Hubert Haenel, Président - Je constate qu'aucune délégation ne s'oppose à l'adoption de la déclaration ainsi amendée.

Le projet de déclaration, ainsi amendé, est adopté.

M. José Borrell (Espagne) - Je remercie la délégation du Portugal du soutien qu'elle a exprimé à mon pays, durement touché par le terrorisme, et j'invite la COSAC à se prononcer sur le projet de déclaration suivant :

" La COSAC manifeste sa répulsion la plus vive devant l'acte terroriste commis hier à Séville et encourage la société espagnole et l'ensemble de ses institutions à continuer d'oeuvrer en commun à la défense des valeurs démocratiques face à ceux qui tentent d'imposer leur volonté par la violence totalitaire ".

Lord Tordoff (Royaume-Uni) - Je ne puis qu'être favorable à l'esprit qui sous-tend cette proposition. Je considère toutefois que la Conférence ne peut se prononcer à la hâte, sans disposer d'un texte écrit, sur une proposition par trop réductrice puisque, malheureusement, le terrorisme frappe en bien d'autres lieux qu'à Séville.

M. Hubert Haenel, Président - Je rappelle que la Conférence vient d'adopter une contribution qui fait allusion au terrorisme. Il est vrai, d'autre part, que la proposition de déclaration aurait dû être transmise hier à la présidence.

M. José Borrell (Espagne) - Formellement, vous avez raison, sans aucun doute, mais il se trouve que les assassins ne se plient pas au calendrier de nos travaux. Je n'ai appris ce nouveau meurtre qu'hier soir et je pense le sujet assez grave pour que la COSAC dise son rejet du terrorisme en Espagne, comme l'ont fait avant elle le Parlement européen, l'assemblée parlementaire de l'UEO et celle du Conseil de l'Europe.

M. Alain Barrau, Président - Je suggère l'adoption d'une rédaction alternative, plus ramassée et de portée plus générale, ainsi libellée : " La COSAC condamne avec la plus grande fermeté tout acte terroriste et en particulier celui qui vient d'endeuiller l'Espagne ".

Lord Tordoff (Royaume-Uni) - Je persiste dans mon désaccord. Au cours des semaines écoulées, trois assassinats terroristes au moins ont eu lieu en Irlande du Nord, sans même parler de ce qui s'est passé en Corse, en Sicile ou ailleurs sur le territoire de l'Union. Nous ne pouvons nous prononcer, dans l'urgence, en nous focalisant sur un seul aspect de la question. Je suis certain de ne pas être le seul de cet avis. J'assure la délégation espagnole de ma compassion, et nous sommes tout disposés à aider l'Espagne dans sa lutte contre l'ETA, mais ce serait une erreur que d'adopter ce texte.

M. Alain Barrau, Président - J'en appelle à la compréhension de tous. Il est vrai que les formes n'ont pas été respectées, mais il est vrai, aussi, que toutes les forces politiques de l'Espagne se mobilisent pour condamner et combattre des actes terroristes odieux, dont le dernier a eu lieu alors même que la COSAC était réunie. Le minimum serait de faire état de notre indignation et de notre soutien à nos amis espagnols.

M. Hubert Haenel, Président - Je me tourne à nouveau vers nos amis britanniques et irlandais. Le président Barrau a-t-il été assez persuasif ?

Lord Tordoff (Royaume Uni) - Je ne parlerai pas au nom de nos amis irlandais. Mais je retire mon objection.

Mme Outi Ojala (Finlande) - J'aurais souhaité que cette proposition nous soit transmise par écrit ce matin. J'ai siégé pendant deux ans et demi au Parlement européen, dont la procédure permet de prendre valablement position sur les sujets d'actualité. Nous devrions suivre cet exemple.

Le projet de déclaration est adopté.

M. Hubert Haenel, Président - Les présidences suivantes tiendront compte de votre pertinente observation.

Je constate que notre ordre du jour est épuisé.

Nous pouvons nous féliciter du travail accompli. La COSAC a prouvé qu'elle existe et qu'elle peut améliorer son fonctionnement. Nous allons continuer et de présidence en présidence, la COSAC montera en puissance.

Je remercie en votre nom tous nos collaborateurs et les interprètes. J'adresse mes voeux à la future présidence suédoise.

M. Manuel Dos Santos (Portugal) - Je tiens à vous remercier, messieurs les présidents, pour votre accueil et pour le travail politique de grande qualité que vous nous avez permis d'accomplir. Vous avez fait de la COSAC une institution respectable.

M. Juergen Meyer (Allemagne) - A mon tour, je veux remercier la présidence française pour son hospitalité et sa compétence. (Applaudissements).

III. SYNTHESE DES RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE

A. PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX DANS LES ETATS MEMBRES

Treize Parlements ont adressé des réponses à ce questionnaire ; toutefois, pour deux des Etats dotés d'un Parlement bicaméral (Pays-Bas, Royaume-Uni), une seule des deux chambres a répondu.

1° - Y a-t-il eu, depuis 1995, des modifications dans le rôle de votre Commission, dans son mode de fonctionnement, ou dans ses relations avec les autres organes de votre Parlement ?

Si l'on excepte naturellement le cas des pays ayant adhéré à cette date, les réponses ne montrent pas, dans leur majorité, de changement majeur depuis 1995, mais plutôt un effort pour faire mieux fonctionner le système existant.

•  Les modifications importantes concernent trois pays :

- En Belgique, une modification profonde du système de contrôle est entrée en vigueur en 1995, avec la création d'un organe mixte, le Comité d'avis fédéral, composé de dix sénateurs, dix députés et dix membres du Parlement européen. La Comité d'avis examine systématiquement les propositions législatives et autres documents importants de la Commission européenne. Les textes adoptés par le Comité d'avis peuvent être soumis directement à la séance plénière de la Chambre des représentants et/ou du Sénat ; le Comité d'avis peut également saisir la commission permanente compétente dans chaque Assemblée : cette commission peut adopter elle-même une recommandation à l'intention du Gouvernement, ou proposer un texte à la séance plénière ;

- En Irlande, un nouveau système d'examen de la législation communautaire a été mis en place en 1997, incluant le recours à une expertise extérieure pour l'analyse des propositions législatives de la Commission européenne et des projets du Gouvernement pour la transposition en droit interne des textes communautaires ;

- En Italie (Chambre des Députés), la Commission des politiques de l'Union européenne est devenue une commission permanente et ses attributions ont été étendues.

•  Les modifications signalées dans les autres réponses concernent l'élargissement du champ du contrôle parlementaire (Danemark, France, Royaume-Uni) et le renforcement des relations entre l'organe compétent pour les questions européennes et les commissions permanentes (Danemark, Portugal).

2° - Estimez-vous que votre Commission reçoit en temps utile les propositions législatives européennes ? Le protocole, annexé au traité d'Amsterdam, sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne, a-t-il apporté une amélioration à cet égard ?

•  La plupart des Assemblées estiment recevoir en règle générale les propositions législatives européennes " en temps utile ". Mais il est parfois souhaité plus de rapidité pour la transmission initiale (Danemark, Espagne et surtout Italie), de même que pour l'information sur les amendements apportés par le Conseil (Royaume-Uni, Suède).

•  Le protocole d'Amsterdam n'a pas eu de conséquence notable, mais a eu une influence positive sur l'attitude du Gouvernement et des administrations dans deux cas (Belgique, Italie).

3° - Estimez-vous que votre Commission dispose en règle générale d'un délai suffisant pour examiner ces propositions ? Le protocole susmentionné a-t-il apporté une amélioration à cet égard ?

•  Plus de la moitié des réponses font état de difficultés, dont les plus souvent mentionnées (Danemark, France, Royaume-Uni, Suède) sont :

- l'insuffisance du délai entre la deuxième réunion du Coreper et la réunion du Conseil,

- le fait que le Conseil travaille fréquemment sur la base de compromis officieux.

•  Les réponses ne font généralement état d'aucune amélioration notable due au protocole d'Amsterdam.

4° - C'est l'article 7 du Règlement intérieur du Conseil de l'Union européenne qui définit aujourd'hui la notion de " proposition législative " pour l'application du protocole. Estimez-vous satisfaisante la rédaction de l'article 7 du Règlement intérieur du Conseil de l'Union européenne ? Ou bien jugez-vous que certains actes classés comme non législatifs par cet article devraient être classés comme législatifs ? Le cas échéant, lesquels ?

Plusieurs réponses estiment que la rédaction de cet article du Règlement du Conseil est satisfaisante ou n'entrave pas le fonctionnement du contrôle parlementaire (Allemagne, Belgique, Danemark, Finlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni). D'autres réponses sont plus critiques et soulignent notamment l'inconvénient de ne pas disposer d'un délai minimal pour certaines propositions classées " non législatives " en application de cet article (Espagne, Italie, France, Suède).

5° - Estimez-vous que votre Commission est informée suffisamment et en temps utile des travaux des commissions européennes des autres parlements nationaux ? Des améliorations vous paraissent-elles souhaitables à cet égard ?

Quatre Parlements (Allemagne, Finlande, Irlande, Luxembourg) ne demandent pas d'amélioration dans ce domaine. Trois autres (Danemark, Portugal, Royaume-Uni), tout en jugeant éventuellement souhaitable une amélioration, en soulignent les difficultés pratiques. Les autres réponses jugent souhaitable une amélioration et estiment généralement qu'elle pourrait être obtenue par un recours plus large à la messagerie électronique et un développement des informations accessibles sur les sites Internet.

6° - Des membres de votre Commission participent-ils régulièrement à des réunions organisées par le Parlement européen ? Si oui, avez-vous des souhaits à formuler au sujet de ces réunions ?

Les réponses concernant la participation à ces réunions sont toutes positives. De nombreuses délégations (Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Luxembourg, Suède) jugent toutefois souhaitable que l'organisation de ces réunions soit revue sur certains points. Les souhaits portent sur le calendrier et l'ordre du jour, pour lesquels sont demandées plus de précision et de stabilité, et sur une organisation plus rigoureuse des débats permettant aux parlementaires nationaux d'intervenir utilement.

B. PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX DANS LES ETATS CANDIDATS

Sept Parlements ont répondu au questionnaire.

1° - Comment votre Commission obtient-elle l'information dont elle a besoin ? Du gouvernement ? De la Commission européenne ? Du Parlement européen ? D'autres sources ? Votre Commission estime-t-elle qu'elle dispose d'une information suffisante ?

Dans tous les cas, l'information nécessaire est en premier lieu fournie par le Gouvernement, et complétée par l'information obtenue auprès des institutions européennes.

La plupart des réponses estiment que l'information reçue est généralement suffisante ; aucune réponse ne fait état d'une grave insuffisance dans ce domaine.

2° - L'intégration du droit communautaire dans le droit national se fait-elle selon la procédure législative normale ou selon une procédure législative particulière ? Votre commission joue-t-elle un rôle spécifique lors de l'intégration ?

Une procédure propre à la reprise de l'acquis communautaire n'est mentionnée que dans le cas de Chypre ; il s'agit d'une procédure abrégée. La procédure normale s'applique toutefois aux textes de transposition jugés particulièrement importants.

Par ailleurs, le Parlement tchèque a mis en place une procédure abrégée qui peut, notamment, s'appliquer à la transposition de la législation communautaire.

Les autres réponses indiquent que la procédure législative normale est d'application (Estonie, Hongrie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie).

La commission compétente pour les questions européennes n'a pas de rôle législatif en Estonie et Lituanie. Elle est au contraire le plus souvent compétente pour les textes transposant l'acquis communautaire à Chypre et en Hongrie. En République tchèque, Roumanie et Slovaquie, elle donne un avis sur la compatibilité des textes législatifs avec le droit communautaire.

3° - Comment votre commission d'intégration européenne suit-elle les négociations d'adhésion ? Donne-t-elle son avis ?

Dans tous les cas les négociations d'adhésion font l'objet d'un suivi étroit et régulier, mais aucun Gouvernement n'est lié par un mandat de négociation.

4° - Existe-t-il une procédure visant à vérifier que les projets de lois soumis à votre Parlement sont conformes au droit communautaire ? Votre Parlement joue-t-il un rôle dans cette procédure ? Est-ce que votre commission est associée à cette procédure ?

Le respect de la législation communautaire est considéré comme de la responsabilité du Gouvernement en Estonie, Hongrie et Lituanie. En revanche, un organe spécifique a été mis en place à cet effet au sein du Parlement à Chypre, en Roumanie, en Slovaquie et en République tchèque.

5° - Vous êtes vous inspirés de l'expérience d'autres pays candidats lorsque votre commission a été mise en place ? Avez vous des relations avec des commissions de l'intégration européenne des Parlements des autres pays candidats ?

A l'exception de la Hongrie, dont le Parlement fut le premier à créer une commission pour l'intégration européenne, les réponses indiquent que les expériences des autres pays candidats (et dans certains cas celles des pays membres) ont été prises en compte, et qu'une collaboration se poursuit entre commissions homologues des pays candidats.

6° - Dans le cadre de l'association au processus d'adhésion, votre Parlement a-t-il bénéficié d'une assistance technique de la Communauté ou d'Etats membres ? Sous quelle forme ? Cette assistance a-t-elle été suffisante ?

Toutes les réponses mentionnent l'assistance technique communautaire sous la forme du programme TAIEX ou du programme PHARE ou de ces deux programmes, ainsi que l'assistance technique bilatérale sous des formes diverses. Les résultats sont unanimement jugés positifs et les réponses forment le souhait que ces formules soient maintenues, voire développées.

IV. LETTRE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

LE PRÉSIDENT DE LA REPUBLIQUE

Paris, le 6 novembre 2000

Monsieur le Président,

Vous avez eu la courtoisie de m'adresser, conjointement avec M. Alain BARRAU, Président de la Délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union européenne, la contribution adoptée par la XXIIIème Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires qui s'est déroulée à Versailles les 16 et 17 octobre dernier. Je vous en remercie.

Au lendemain du Conseil européen informel de Biarritz, c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai pris connaissance des conclusions de la COSAC, qui coïncident pour l'essentiel avec les orientations que la France a données à sa présidence de l'Union européenne. Que ce soit sur la réforme des institutions, la Charte des droits fondamentaux ou le suivi des Conseils européens de Lisbonne et Tampere, je puis vous assurer que ces recommandations seront dûment prises en compte.

J'ai également bien noté les propositions formulées par la COSAC sur son propre rôle, dans le cadre des travaux de la CIG.

Je souhaite, enfin, vous adresser mes félicitations pour le succès de cette XXIIIème COSAC dont, d'après tous les échos que j'ai recueillis, les débats ont été très riches et l'organisation remarquable.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Jacques CHIRAC

Monsieur Hubert HAENEL

Président de la Délégation du Sénat

pour l'Union Européenne

Palais du Luxembourg

15, rue de Vaugirard

75291 Paris cedex 06

LA XXIIIE RÉUNION DE LA CONFÉRENCE DES ORGANES SPÉCIALISÉES DANS LES AFFAIRES COMMUNAUTAIRES

(Versailles, 16-17 octobre 2000)

La Conférence des organes spécialisées dans les affaires communautaires (COSAC) réunit, chaque semestre, à l'invitation du Parlement du pays exerçant la présidence du Conseil de l'Union européenne, six parlementaires de chaque Etat membre et trois parlementaires (avec le statut d'observateur) de chaque pays candidat à l'adhésion. Ces parlementaires représentent, dans chaque Parlement, le ou les organes compétents pour les questions européennes.

Le présent rapport, après une brève introduction, retrace les travaux de la XXIIIe COSAC qui s'est tenue durant la présidence française, les 16 et 17 octobre 2000 à Versailles.

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