CHAPITRE III

LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS : LES SPÉCIFICITÉS ET LES BESOINS D'UNE JURIDICTION HORS DU COMMUN

Votre rapporteur a décidé cette année de consacrer son étude thématique au Tribunal de grande instance de Paris. Deux raisons expliquent ce choix. D'une part, certaines divergences entre la Chancellerie d'une part et le Président du tribunal ainsi que le Procureur de la République d'autre part étaient apparues sur l'évaluation de l'activité du Tribunal de grande instance de Paris. D'autre part, alors que chacun se félicite de l'augmentation des crédits du budget de la justice, il apparaît utile de voir quel est l'impact réel de cette hausse des crédits sur une juridiction donnée. C'est pourquoi votre rapporteur s'est attaché à examiner les caractéristiques du Tribunal de grande instance de Paris ainsi que ses besoins.

I. LES SPÉCIFICITÉS DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

La Chancellerie avait publié, le 23 mars 1998, dans une note relative à la localisation des emplois de magistrats, de fonctionnaires et d'assistants de justice, les chiffres et les classements retenus comme critères pour apprécier la charge des juridictions et procéder à la répartition des emplois.

Pour évaluer la productivité des juridictions, tout le contentieux était globalisé, quelle que soit la matière, et étaient retenus comme critères :

- le nombre d'affaires civiles et correctionnelles nouvelles (flux),

- le nombre d'affaires civiles et correctionnelles terminées (productivité),

- le nombre d'affaires civiles en cours (stock).

Il en résultait le tableau suivant.

Ainsi, la productivité du Tribunal de grande instance de Paris apparaissait inférieure de 40 % à la moyenne nationale et la comparaison des stocks révélait une situation beaucoup plus difficile dans les tribunaux de province qu'à Paris.

Cette analyse a été contestée par le Président et le Procureur de la République du tribunal qui ont estimé que si ces chiffres constituent des éléments d'appréciation du fonctionnement d'une juridiction, en particulier sur la durée pour un même tribunal, ils ne permettent pas de comparer des tribunaux lorsque la structure de leurs contentieux est différente et que ces chiffres ne fournissent aucun élément qualitatif sur le travail effectué.

Votre rapporteur défend les arguments du Président et du Procureur de la République du Tribunal de grande instance de paris et entend démontrer que ce dernier se caractérise par de nombreuses spécificités.

A. DES SPÉCIFICITÉS EN MATIÈRE DE COMPÉTENCE POUR LE TRAITEMENT ET LE JUGEMENT DES DOSSIERS

1. Une compétence quasi nationale du Tribunal de grande instance de Paris dans certains domaines

Au cours des dernières années, la juridiction a progressivement acquis, en droit ou en fait, une compétence quasi nationale dans de nombreux domaines.

Ainsi, en matière de terrorisme , la compétence nationale du TGI de Paris a été reconnue par la loi du 9 septembre 1986. Ce regroupement des procédures a nécessité l'organisation d'audiences correctionnelles et d'audiences criminelles composées exclusivement de magistrats professionnels.

En 1997, 17 affaires de terrorisme corse, basque, turc et islamiste ont nécessité 87 audiences entières. En 1998, avec 8 dossiers, dont l'affaire " Chalabi " regroupant 138 prévenus, ont été tenues ou sont déjà prévues 65 audiences entières.

De même, les problèmes collectifs de santé publique relèvent pour la plupart du TGI de Paris, qu'il s'agisse du sang contaminé, avec les " audiences fleuves " de l'été 1992 et les 100 tomes actuellement instruits, de l'amiante, ou encore de la " vache folle ".

Paris est également le lieu privilégié des affaires à caractère politique ou médiatique, comme celles des écoutes de l'Elysée, des fichiers électoraux parisiens etc. En 1997, 28 affaires de " presse " ont , à elles seules, nécessité la tenue de 31 audiences entières.

Par ailleurs, c'est à Paris qu'est concentrée la majeure partie de la délinquance économique , concernant le droit du travail, la publicité mensongère, les contrefaçons. Au cours de l'année 1997, 13 affaires ont nécessité 21 audiences complètes, tandis qu'en 1991 et 1992 le procès des fausses factures d'Ile-de-France avait à lui seul occupé plus de 60 audiences.

Enfin, en matière financière, la juridiction parisienne a une compétence quasi nationale, qu'il s'agisse de la bourse, des banques, de corruption, d'abus de biens sociaux, d'infractions concernant les marchés publics...

2. Un contentieux particulièrement complexe

En ce qui concerne les affaires civiles, la spécificité du contentieux parisien réside dans le fait que les affaires familiales représente 19 % des affaires civiles du TGI de Paris, alors que la moyenne nationale s'élève à 39 %. Le contentieux général représente 36 % contre 24 % en moyenne nationale. Enfin, le contentieux des référés constitue 27 % du contentieux du TGI de Paris contre 15 % en moyenne nationale.

Il apparaît donc que c'est la répartition des affaires par type de contentieux et, partant, de complexités diverses, qui explique en partie qu'à Paris moins d'affaires soient globalement traitées par magistrat qu'en province.

En 1998, le TGI de Paris traite environ 80 % des affaires de brevets en France . Or, chaque litige relatif à un brevet d'invention, que ce soit au fond ou en référé-interdiction, implique pour les magistrat un travail extrêmement lourd. A l'évidence, un jugement rendu en matière de brevet n'équivaut pas à un autre jugement.

Il en va de même de la plupart des affaires de propriété littéraire et artistique en raison soit de la difficulté des points de droit nationaux et internationaux qu'elles posent, soit de la contestation élevée sur le caractère contrefait de l'oeuvre invoquée, impliquant de lire ou de visionner non seulement les oeuvres en cause pour une nécessaire comparaison, mais encore d'autres oeuvres antérieures.

Le contentieux de la construction , également fort complexe, se déroule essentiellement devant le TGI de Paris, dans le ressort duquel la plupart des compagnies d'assurance ont leur siège.

Les litiges qui sont soumis à la 9 ème chambre civile, spécialisée en droit bancaire, sont en général d'une ampleur financière notable ou concernent des montages financiers sophistiqués, organisés depuis la place financière de Paris.

On pourrait encore citer le contentieux fiscal des droits d'enregistrement, le contentieux successoral, le contentieux de l'immobilier etc... dont la complexité n'est plus à démontrer.

B. DES SPÉCIFICITÉS EN MATIÈRE DES EFFECTIFS RÉELLEMENT CONSACRÉS À L'ACTIVITÉ JURIDICTIONNELLE

1. L'affectation d'une partie non négligeable des magistrats aux tâches d'administration

En raison de la taille du Tribunal de Paris qui a 337 postes budgétaires de magistrats du siège et 778 postes budgétaires de fonctionnaires du greffe, le Président du Tribunal doit être entouré d'une équipe de collaborateurs pour administrer sa juridiction.

La Présidence doit consacrer d'importants moyens pour coordonner les différents secteurs d'activité en liaison avec l'important barreau parisien, l'ensemble des professions judiciaires et les nombreuses instances administratives compte tenu du statut particulier de cette ville, à la fois commune, département et capitale.

Aux côtés immédiats du Président se trouvent trois magistrats : un secrétaire général, un secrétaire général adjoint et un vice-président chargé de mission, ce dernier s'occupant spécialement de la mise en place de la chaîne civile en matière informatique et assistant le Président tant au sein du tribunal que dans les relations du tribunal avec l'extérieur et bénéficiant de l'aide d'un magistrat affecté dans une chambre civile.

Le TGI est divisé en trois secteurs : civil, pénal, administratif, ayant chacun à sa tête un Premier vice-président chargé d'une mission d'organisation et d'administration dans son secteur. Un vice-président est affecté à mi-temps à la direction et au contrôle de la distribution des affaires entre les 28 sections des 11 chambres civiles et à l'organisation de la Chambre des Urgences. Par ailleurs, un juge d'instruction travaille aux côtés du premier vice-président chargé du service pénal afin de l'aider dans l'administration des cabinets d'instruction.

Il convient de noter également le rôle administratif joué par le vice-président responsable du tribunal pour enfants et par celui qui a la charge des affaires familiales ; compte tenu de la taille de leur service, ces vice-présidents ont des responsabilités assez compatibles à celles d'un président de juridiction.

La taille du Tribunal de grande instance de Paris conduit également à affecter des magistrats du parquet à des tâches administratives et de gestion d'intérêt commun très diverses.

La participation nécessairement active du secrétariat général du parquet au fonctionnement de la juridiction a conduit, de façon permanente, à renforcer le poste de secrétaire général par un second magistrat prélevé sur l'effectif des sections.

La montée en puissance des outils informatiques commande l'affectation à temps plein de magistrats aux cellules informatiques. Ainsi, un parquetier assure la responsabilité de la cellule informatique pénale du tribunal.

Le volume du contentieux pénal traité par Paris conjugué à l'insuffisante dotation du parquet en cadres A expérimentés et formés à la gestion d'unités importantes, impose de confier à des magistrats la direction de services, qui dans d'autres juridictions, ne comprennent que des fonctionnaires. Tel est le cas du service de la 13ème section du parquet au sein de laquelle deux magistrats dirigent le service du bureau d'ordre et de l'audiencement correctionnel qui compte 75 fonctionnaires. Cette équipe doit faire face à l'enregistrement de quelques 300.000 procès-verbaux par an et à l'organisation de 90 audiences correctionnelles hebdomadaires.

La multiplication des investissements nouveaux demandés à l'institution dans des domaines aussi divers que l'aide à l'accès au droit, le développement des emplois de proximité, la mise en place et le développement d'outils de communication institutionnels amène également les magistrats du parquet à se consacrer pour une part importante de leur activité à des tâches administratives d'un nouveau genre.

Ainsi, si l'on tient compte en 1997 et 1998 du nombre de magistrats nommés au parquet de Paris mais qui n'y consacrent pas leur activité, c'est environ 18 % de l'effectif du parquet qui ne concourt pas au traitement des procédures civiles, pénales et commerciales.

Il convient en outre de rappeler que l'organisation du parquet de Paris en sections très spécialisées, qui sont les correspondantes attitrées de sections de l'instruction et de chambres correctionnelles également spécialisées, conjuguée à l'éclatement géographique de ces différentes unités sur l'ensemble du site du palais de justice, limite considérablement les possibilités de mouvements non préparés de magistrats d'une section à une autre.

Enfin, il doit être rappelé que l'effectif budgétaire du parquet de Paris a connu une baisse puisque de 112 magistrats en 1987, il n'est plus que de 109 en 1998.

2. L'importance des mises à disposition

Comme l'a fait remarquer votre rapporteur lors de l'examen des crédits affectés aux services judiciaires, le Tribunal de grande instance de Paris est particulièrement affecté par les mises à disposition, que ce soit au niveau des magistrats du siège, du parquet ou encore des greffiers. Ainsi, sur 337 postes budgétaires de magistrats du siège, 19 sont en réalité ne sont pas occupés suite à une mise en disposition.

En ce qui concerne le parquet, de nombreux magistrats sont mis à disposition d'autres entités, et notamment à ce jour au bénéfice :

-  des secrétariats généraux de la Cour d'Appel de Paris et de la Cour de Cassation : six magistrats du parquet sont dans cette situation ;

- des juridictions ou administrations, les plus diverses : services du premier ministre, ministère des affaires étrangères, autorités administratives indépendantes, parquet général de la Cour des Comptes...; six magistrats du parquet sont à ce jour dans cette situation.

Cette pratique gèle de façon constante de dix à douze postes de magistrats du parquet.

Cette ponction sur les effectifs du parquet de Paris est particulièrement contestable en ce qu'elle se fait fréquemment avec un préavis limité voire inexistant et sans que le remplacement du magistrat affecté dans un autre service soit préalablement assuré. Lorsqu'ils concernent une section très spécialisée ou un magistrat en charge de dossiers sensibles et complexes, ces départs précipités perturbent considérablement l'organisation du travail des sections et celle du parquet dans son ensemble.

En outre, votre rapporteur rappelle que le parquet de Paris supporte en permanence un équivalent plein temps de quatre postes de magistrats bénéficiant de décharges d'activité pour des motifs divers : élection au Conseil Supérieur de la Magistrature ou à la commission d'avancement, mandats syndicaux, congé formation, mi-temps familial...

Enfin, sur 385 greffiers, 50 sont en réalité mis à disposition auprès de la Chancellerie.

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