II. LES DIFFERENTES TENTATIVES ENTREPRISES POUR ACCROITRE L'INFORMATION OU LES COMPETENCES DU PARLEMENT SUR L'EQUILIBRE FINANCIER DE LA SECURITE SOCIALE SE SONT REVELEES D'UNE EFFICACITE LIMITEE

L'idée d'assurer une information régulière du Parlement sur l'état des budgets sociaux est ancienne, la période budgétaire étant généralement considérée comme la mieux appropriée, eu égard à la nature essentiellement financière des données en cause.

Cette idée a abouti, dans les dernières années de la IVe République, à l'élaboration par le Gouvernement et à la présentation au Parlement d'un « budget social » , institué par le décret du 19 juin 1956.

Le terme de « budget » ne doit cependant pas faire illusion : le budget social n'était pas l'équivalent en matière sociale du budget de l'État car il ne regroupait que des indications parcellaires et demeurait purement informatif.

De même, informer le Parlement, non seulement de l'état des budgets sociaux, mais aussi de leur évolution prévisible à moyen terme, a très tôt été ressenti comme une nécessité.

Ainsi, au début de la Ve République, l'article 164-1 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 a reconduit le budget social en tant qu'annexe au projet de loi de finances, et a prévu que cette annexe serait assortie de perspectives pour l'année en cours et de prévisions pour l'année suivante.

La loi n° 68-698 du 32 juillet 1968 portant ratification de plusieurs ordonnances relatives à la sécurité sociale prévoyait quant à elle que le Parlement soit saisi chaque année d'un rapport retraçant l'évolution financière des différentes prestations sociales et précisant les compensations à établir et les mesures à prendre de façon à ce que l'évolution ultérieure s'inscrive dans le cadre défini par le Plan.

En pratique, toutefois, l'efficacité de ces dispositions s'est toujours révélée très limitée.

1. Faute d'une révision constitutionnelle, les différentes mesures législatives adoptées depuis 1974 ont amélioré l'information du Parlement mais n'ont pas pu reconnaître un pouvoir de décision

Depuis 1974, avec la généralisation progressive de la sécurité sociale et l'augmentation constante des masses financières en jeu, plusieurs mesures législatives ont été adoptées en vue d'améliorer l'information du Parlement -voire ses compétences- sur les budgets sociaux.

Parmi ces mesures, on peut ainsi mentionner :


La loi du 24 décembre 1974 et « l'effort social de la Nation »

La loi n° 74-1074 a prévu que le Gouvernement présente chaque année, à l'appui du projet de loi de finances, un état qui retrace, pour les trois années précédentes, l'effort social de la Nation en regroupant l'ensemble des prestations sociales et des charges qui en découlent pour l'État, les collectivités locales, les employeurs, les assurés et les contribuables.

Une annexe devait analyser les prévisions de recettes et de dépenses des régimes obligatoires de sécurité sociale pour l'année en cours et l'année suivante, y compris les aides ou compensations versées à chacun de ces régimes par l'État ou par d'autres régimes.

Ces dispositions n'ont pas eu l'efficacité qu'on en attendait car le dépôt du « jaune » sur l'effort social de la Nation est souvent intervenu après la discussion du budget du ministère des Affaires sociales. De surcroît, ce document ne comportait que les tableaux récapitulatifs, sans l'annexe consacrée aux prévisions de recettes et de dépenses.

Enfin, l'effort social de la Nation était un instrument purement informatif, ne faisant pas l'objet d'un débat ni, a fortiori, d'un vote.


L'article 2 de la loi de finances pour 1980, issu d'un amendement présenté par MM. Claude Labbé et Roger Chinaud.

Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1980 (loi n° 80-30 du 18 février 1980), l'Assemblée nationale puis le Sénat adoptèrent un amendement de MM. Claude Labbé et Roger Chinaud aux termes duquel :

« Dans le cadre des dispositions constitutionnelles, organiques et législatives en vigueur, le Parlement se prononce chaque année sur l'évolution des recettes et des dépenses constituant l'effort social de la Nation pour l'exercice budgétaire en cours, et ce à partir de 1980 » .

Cette disposition, à la différence des précédentes, dépassait le cadre purement informatif car elle tendait à ce que le Parlement « se prononce » . En d'autres termes, les deux assemblées auraient émis un vote approuvant ou rejetant les prévisions que leur aurait soumises le Gouvernement.

L'article 2 de la loi du 18 février 1980 est cependant demeuré sans suite, précisément parce qu'aucune disposition constitutionnelle, organique ou législative ne prévoit de procédure par laquelle le Parlement pourrait se prononcer sur cette matière.


L'article 135 de la loi de finances pour 1991

Selon l'article 135 de la loi de finances pour 1991 (loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990), le Gouvernement devait présenter au parlement un rapport sur la protection sociale faisant apparaître l'état et l'évolution des recettes et des dépenses des différents régimes de protection et d'aide sociale et indiquant l'assiette et le produit de la contribution sociale généralisée. Ce rapport devait faire l'objet d'un vote.

Mais là encore, cette disposition est restée lettre morte.


Le régime actuel, issu de l'article 14 de la loi du 25 juillet 1994

L'article 14 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 (article L. 111-3 du code de la sécurité sociale) a largement modifié le système intérieur en vue d'accroître sa transparence et sa clarification.

Les débats de la loi de 1994 sont trop récents pour nécessiter un long rappel. On sait que le Gouvernement est tenu de présenter chaque année au Parlement un rapport unique relatif aux principes fondamentaux qui déterminent l'évolution des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, comportant de nombreuses indications prévisionnelles pour les trois années à venir et, en annexe, le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale.

Comme l'observe M. Daniel Mandon dans son rapport du 30 novembre 1995 (n° 2414) au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur le dernier projet de loi d'habilitation sur la protection sociale, la procédure instituée par la loi du 25 juillet 1994 a représenté une avancée importante sur plusieurs points, notamment « l'unicité de l'information au Parlement » , un seul rapport mettant en perspective à la fois les principes fondamentaux et des informations prévisionnelles beaucoup plus détaillées qu'auparavant.

La formule du rapport unique représente en outre une garantie pour le Parlement car comme le note M. Daniel Mandon, il serait « beaucoup plus difficile pour le Gouvernement de ne pas déposer un document unique que ne pas déposer un document parmi d'autres » .

Tant en 1994 qu'en 1995, le rapport institué par la loi de 1994 a fait l'objet d'un large débat en séance publique avant la discussion des crédits du ministère des Affaires sociales.

Pour autant, l'efficacité du nouveau régime se heurte au même obstacle qu'auparavant, car la procédure demeure simplement informative. Même assortie d'un débat, elle ne débouche pas sur un vote.

D'autre part, comme les précédentes, la loi du 25 juillet 1994 représente une injonction du Parlement au Gouvernement, lequel reste libre de s'y soumettre ou non en fournissant -ou en ne fournissant pas- les informations sollicitées.

En définitive, comme le relève l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, le silence de notre loi fondamentale ne laisse place à « aucune procédure annuelle permettant au Parlement de déterminer les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale » .

Remédier à cette lacune est d'ailleurs précisément un des objectifs de la présente révision.

2. Plusieurs propositions de loi constitutionnelle ou organique présentées à l'Assemblée nationale ou au Sénat ont tenté de renforcer les compétences financières du Parlement en matière de sécurité sociale

Partant d'un constat identique, de nombreuses propositions de loi constitutionnelle ou organique ont tenté de remédier à cette situation.

Une seule d'entre elles a abouti à l'adoption définitive d'une loi organique, mais ce texte s'est finalement heurté à la censure du Conseil constitutionnel. Quant aux autres, elles sont demeurées sans suite, faute d'avoir été inscrites à l'ordre du jour.

Pour s'en tenir à quelques exemples, on peut ainsi évoquer :


La proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale le 20 juin 1979 par M. Edgar Faure et un certain nombre de ses collègues, parmi lesquels on relève MM. Emmanuel Aubert, Lucien Neuwirth, Philippe Séguin, Bernard Stasi, etc...

Dans leur exposé des motifs, les signataires de cette proposition de loi organique dressaient un constat qui, dix-sept ans plus tard, conserve une parfaite actualité :

« ... Il n'est plus possible que les sommes considérables, qui concernent aussi bien sous forme de prélèvements que sous forme de prestations la quasi-totalité de la population française, restent à l'écart de tout débat public.

« En effet le budget social de la Nation, tel qu'il a été présenté pendant longtemps au Parlement en annexe de la loi de finances, n'était pas à proprement parler un budget et ne constituait qu'un document d'information ne faisant l'objet d'aucune approbation de la part des Assemblées auxquelles il était soumis...

« Or, il est évident que nos concitoyens ont le droit de même qu'ils ont la volonté d'être avertis des choix qui s'imposent en matière de protection sociale. Quant à leurs représentants ils ont le devoir de se prononcer en toute clarté sur les masses et l'évolution des dépenses de sécurité sociale. »

À cette fin, la proposition de loi organique tendait à insérer dans l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de finances des dispositions nouvelles aux termes desquelles les dépenses des régimes légaux de sécurité sociale, y compris les subventions, prélèvements et taxes affectées à ces régimes et figurant au budget général de l'État, auraient fait l'objet d'un vote unique après le vote sur la seconde partie de la loi de finances de l'année.


La proposition de loi organique présentée par M. Michel d'Ornano, relative au contrôle du Parlement sur les finances des régimes obligatoires de sécurité sociale, adoptée par le Parlement le 8 décembre 1987 mais déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Le 2 juin 1987, M. Michel d'Ornano, alors Président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi organique relative au contrôle du parlement sur les finances des régimes obligatoires de sécurité sociale.

Cette proposition de loi organique se fondait sur le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui prévoit que les dispositions dudit article « peuvent être précisées et complétées par une loi organique » .

En l'espèce, les signataires de la proposition de loi organique proposaient de préciser et de compléter « les dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives à la fixation de l'assiette, du taux et des modalités de recouvrement des impositions de toute nature et aux principes fondamentaux de la sécurité sociale » , ces dispositions étant inclues dans le domaine de la loi respectivement par les sixième et dix-septième alinéas de l'article 34.

Ainsi qu'ils l'indiquaient dans l'exposé des motifs, les auteurs de cette proposition de loi organique étaient partis du principe qu'aux termes mêmes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les charges de la sécurité sociale revêtaient le caractère de charges publiques.

Dans ces conditions, il leur paraissait difficile de continuer à distinguer « des recettes publiques votées par les élus, à savoir les impôts d'État et les impôts locaux, et des recettes publiques déterminées par voie réglementaire (les prélèvements sociaux) » d'autant que l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reconnaît à tous les citoyens le droit « de constater, par eux-mêmes ou leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » .

D'autre part, les auteurs de la proposition de loi organique constataient les limites des nouvelles procédures de débat parlementaire instituées à la suite des déclarations de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, le 8 juillet 1981 (« chaque année, le Parlement débattra de la progression des recettes et des dépenses de la sécurité sociale » ) et du 6 avril 1983 (« Désormais, les représentants de la Nation examineront chaque année l'évolution des dépenses et des recettes des différents régimes au vu d'un rapport ... et discuteront au cours de la session de printemps, c'est-à-dire avant le vote du budget, de la contribution de l'État aux régimes sociaux » ).

En fait, ces procédures demeuraient suspendues à la bonne volonté du Gouvernement (il n'y eut pas de débat en 1985) et, surtout, ne pouvaient se conclure par un vote et demeuraient dépourvus de sanction juridique.

Aussi les auteurs de la proposition de loi organique proposaient-ils d'institutionnaliser l'intervention du Parlement « en lui donnant un caractère normatif ».

À cette fin, ils préconisaient qu'une « loi sur les finances sociales » autorise chaque année la perception des cotisations des régimes obligatoires de base et fixe le montant des dotations nécessaires pour faire face aux prestations dues par ces régimes. Cette loi aurait enfin arrêté « les données générales de l'équilibre financier » de chacun de ces régimes, les recettes et les charges devant être présentées en équilibre sans recours à l'emprunt, à des avances du Trésor ou à d'autres ressources temporaires.

Le projet de loi sur les finances sociales aurait été déposé au plus tard le 30 septembre de l'année précédant celle où elle se serait appliquée et aurait été régie par des règles de procédure directement inspirées de celles applicables aux lois de finances (interdiction des « cavaliers », irrecevabilité des amendements d'origine parlementaire n'ayant pas pour objet de réduire une charge ou à accroître les recettes, etc.).

La proposition de loi organique de M. Michel d'Ornano fut inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en même temps qu'un projet de loi portant diverses mesures relatives au financement de la sécurité sociale, défendu par M. Philippe Séguin, alors ministre des Affaires sociales et de l'emploi. Discutée les 18 et 19 juin 1987, la proposition de loi organique fut adoptée avec modification et transmise au Sénat qui l'examina en séance publique le 8 décembre 1987 sur le rapport de M. Hubert Haenel au nom de la commission des Lois et de M. Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales.

Le texte, tel qu'il avait été modifié par l'Assemblée nationale et adopté définitivement par le Sénat, différait peu de la proposition de loi organique originelle, et comportait deux articles :

- l'article premier précisait et complétait les dispositions de l'article 34 de la Constitution en prévoyant que le Parlement soit saisi chaque année d'un projet de loi sur les finances sociales portant approbation d'un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base ;

- l'article 2 disposait que ce projet de loi aurait été déposé au plus tard le 30 septembre mais seulement, pour la première fois, après que le Conseil économique et social eut rendu son avis sur les conclusions d'une consultation menée à l'époque, dite « états généraux de la sécurité sociale » .

En application de l'article 61, alinéa premier de la Constitution, cette loi organique fut soumise au Conseil constitutionnel. Dans une décision très concise (un seul considérant) n° 87-234 DC du 7 janvier 1988, le Conseil la déclara non conforme à la Constitution, au motif « que ces dispositions n'ont pas pour objet la détermination des matières qui sont du domaine de la loi mais qu'elles sont afférentes à la procédure législative ; qu'elles échappent donc à la compétence ouverte à la loi organique » par le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution.

Cette décision a fait l'objet de commentaires partagés. Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel y a opposé deux éléments bien distincts :

- d'une part le contenu même de la compétence attribuée au législateur par l'article 34 de la Constitution (le « domaine législatif » ; en l'espèce, il s'agit de la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale) ;

On déduit de la décision du Conseil constitutionnel que ce serait uniquement ce contenu qui pourrait être précisé et complété par une loi organique.

- d'autre part, les règles de procédure par lesquelles le législateur exerce sa compétence législative.

Pour le Conseil constitutionnel, ces règles de procédure échappent à la loi organique dans la mesure où elles sont régies par la Constitution elle-même.

Il est vrai qu'en dehors du cas particulier des lois de finances, les articles de la Constitution organisant la procédure législative (dépôt des projets de loi, modalités de discussion, etc..) ne prévoient aucune intervention de la loi organique.

Dans cette optique, l'approbation annuelle des comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base par le vote d'un projet de loi déposé au plus tard le 30 septembre n'a pas été considérée par le Conseil constitutionnel comme un principe fondamental de la sécurité sociale mais comme une simple règle de procédure n'entrant pas dans le domaine de la loi organique.

D'où la nécessité, pour institutionnaliser une procédure équivalente, de l'inscrire dans la Constitution elle-même.


La proposition de loi constitutionnelle n° 190 présentée le 23 décembre 1992 par M. Jacques Oudin, tendant à réaffirmer les principes démocratiques devant présider au contrôle de l'effort social de la Nation.

Le 23 décembre 1992, M. Jacques Oudin a déposé sur le Bureau du Sénat une proposition de loi constitutionnelle où il jugeait « indispensable de réaffirmer solennellement les principes démocratiques devant présider au contrôle de l'effort social de la Nation » .

L'exposé des motifs de cette proposition de loi constitutionnelle dresse un constat très analogue à celui de la proposition de loi organique déposée cinq ans auparavant par M. Michel d'Ornano.

M. Jacques Oudin y constate en effet :

- le pouvoir constitutionnel limité du Parlement en matière de sécurité sociale, du fait que le législateur détermine des principes fondamentaux, certes, mais n'en détermine pas « certains paramètres fondamentaux » , notamment les taux de cotisations et le montant des prestations, qui incombent au pouvoir réglementaire ;

- l'inefficacité des dispositions légales relatives à l'information du Parlement en matière de sécurité sociale, les différentes mesures instituées à cet effet demeurent pour l'essentiel inappliquées.

Aussi M. Jacques Oudin proposait-il d'introduire dans la Constitution un nouveau titre, « de l'effort social de la Nation » dont un des articles disposait que « le peuple français assure, par l'intermédiaire de ses représentants élus, le contrôle des différents régimes et institutions concourant à l'effort social de la Nation » .

À cette fin, la proposition de loi constitutionnelle prévoyait que les recettes et les dépenses de ces régimes et institutions seraient présentées chaque année au Parlement.

Le dispositif proposé par M. Jacques Oudin différait cependant de celui proposé par M. Michel d'Ornano, car il ne comportait pas le vote d'une loi.

La présentation de l'effort social de la Nation aurait en effet pris la forme d'un rapport du Gouvernement, donnant lieu à un débat organisé à l'Assemblée nationale et au Sénat au cours des trente premiers jours de la première session ordinaire (donc au cours du mois d'octobre de chaque année).


La proposition formulée le 15 février 1993 par le comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel.

Dans ses « propositions de révision de la Constitution » formulée le 30 novembre 1992 et soumises au « comité Vedel » institué par le décret n° 93-1247 du 2 décembre 1992, M. François Mitterrand avait avancé l'idée d'« étendre le domaine de la loi prévu par l'article 34 de la Constitution pour permettre au Parlement de se prononcer sur le budget social de la Nation et lui donner toute compétence sur le taux des cotisations et le montant des prestations des régimes de sécurité sociale » .

Cette proposition, si elle avait été suivie, aurait profondément modifié le partage actuel des compétences entre le législateur et le Gouvernement en matière de sécurité sociale, car le Parlement n'aurait plus simplement déterminé des principes généraux mais aurait fixé lui-même les taux de cotisations et le montant des prestations.

Dans ses conclusions remises au Président de la République le 15 février 1993, le « comité Vedel » s'en tiendra toutefois à une formule plus timide ne remettant pas en cause le partage des compétences et qui n'est pas sans analogie avec le projet de loi constitutionnelle dont le Parlement est aujourd'hui saisi.

Trois arguments lui paraissaient en effet s'opposer à ce que le Parlement exerce lui-même une compétence décisionnelle directe en matière de recettes et de dépenses de la sécurité sociale :

- La structure des recettes et des dépenses ne laisse qu'une place minoritaire au financement par l'État et ne pourrait être profondément modifiée que par une refonte d'ensemble du système française de sécurité sociale, dont l'ampleur excéderait très largement une révision constitutionnelle somme toute ponctuelle.

Dans ces conditions, le « comité Vedel » ne jugeait pas possible « d'envisager le vote par le Parlement d'une véritable loi de finances sociales, analogue par sa portée juridique à celle qui concerne le budget de l'État » , la nature des ressources et des dépenses de sécurité ne permettant « ni de subordonner leur perception ou leur versement à une autorisation parlementaire ni d'appliquer un principe d'équilibre » ;

- Donner au Parlement l'entière compétence en matière de cotisations et de prestations « conduirait le Parlement à voter un très grand nombre de mesures techniques et fragmentaires qui ne contribueraient pas elles-mêmes à améliorer ni son information sur les problèmes généraux de maîtrise des dépenses et des prélèvements sociaux ni son pouvoir d'orientation de la politique du Gouvernement en la matière » ;

- Une telle réforme romprait l'équilibre qui s'est établi dans la gestion de la sécurité sociale entre les pouvoirs du législateur, ceux du Gouvernement et ceux des partenaires sociaux, en transférant au pouvoir politique l'essentiel des décisions alors que d'autres évolutions étaient à l'époque évoquées pour la gestion de certaines branches de la sécurité sociale.

- Aussi le « comité Vedel » a-t-il proposé d'insérer dans la Constitution un article 47-1 aux termes duquel :

« Le Gouvernement présente chaque année au Parlement un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

« Au vu de ce rapport le Parlement délibère sur les objectifs de ces régimes, les conditions de leur équilibre financier et sur les ressources provenant d'une part du budget général et d'autre part des contributions fiscales affectées qui seront consacrées à leur financement.

« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »


Le projet de loi constitutionnelle n° 232 présenté au Sénat le 11 mars 1993 au nom de M. François Mitterrand, Président de la République, par M. Pierre Bérégovoy, Premier ministre, et M. Michel Vauzelle, Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

On se souvient que la plupart des propositions formulées par le « Comité Vedel » ont été reprises dans le projet de loi constitutionnelle n° 232 présenté au Sénat quelques jours plus tard.

Pour ce qui est de la sécurité sociale, toutefois, l'article 20 de ce projet de loi constitutionnel diffère quelque peu de la proposition évoquée ci-dessus, même si l'exposé des motifs précise qu'elle a été « reprise dans son esprit » . Cet article propose en effet d'insérer dans la Constitution un nouvel article 47-1 aux termes duquel :

« Le Gouvernement présente chaque année au Parlement un rapport sur les comptes prévisionnels de la sécurité sociale. Ce rapport définit les objectifs des régimes de sécurité sociale et les conditions de leur équilibre.

« Ce rapport donne lieu à un débat » .

On note que cette formule aurait limité l'intervention du Parlement à un simple débat, alors que la proposition du « Comité Vedel » instituait une délibération.

Quoi qu'il en soit, ce projet de loi constitutionnelle n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat.


La proposition de loi organique déposée le 27 avril 1994 par MM. Charles Descours, Jean-Pierre Fourcade et plusieurs de nos collègues à la suite du rapport d'information de M. Charles Descours au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat sur l'avenir de la protection sociale et la place du Parlement dans sa définition.

Le rapport d'information de M. Charles Descours sur l'avenir de la protection sociale et la place du Parlement dans sa définition (n° 370 du 22 avril 1994), cité à plusieurs reprises dans le présent rapport, constatait que toutes les tentatives entreprises pour renforcer le rôle du Parlement étaient restées lettre morte, la loi organique issue de la proposition de loi de M. Michel d'Ornano s'étant quant à elle heurtée à la censure du Conseil constitutionnel.

Aussi la commission des Affaires sociales a-t-elle souhaité « aller plus loin » grâce au dépôt d'une proposition de loi organique destinée à institutionnaliser l'examen annuel et un projet de loi relatif à la sécurité sociale.

En l'espèce, le texte retenu par la commission avait été conçu pour s'harmoniser avec le projet de loi simple dont a résulté la loi du 25 juillet 1994, précitée.

Cette démarche a abouti au dépôt le 27 avril 1994 d'une proposition de loi organique n° 383, présentée par M. Charles Descours, M. Jean-Pierre Fourcade et trente-trois cosignataires, la plupart membres de la commission des Affaires sociales.

Selon cette proposition de loi organique, le Parlement serait saisi chaque année d'un projet de loi relatif à la sécurité sociale déterminant les conditions de l'équilibre financier annuel des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, compte tenu des objectifs qu'il définit.

Soucieux de ne pas cantonner l'intervention du Parlement dans un domaine trop strictement financier, les auteurs de la proposition de loi organique ont également prévu que la loi annuelle sur la sécurité sociale puisse contenir « toutes dispositions relatives à la protection sanitaire et sociale ou destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur celle-ci » .

Les articles 2 à 6 de la proposition de loi organique énumèrent quant à eux de façon très détaillée le contenu du projet de loi, portant principalement sur :

- des objectifs quantifiés d'évolution des dépenses,

- les conditions de mise en oeuvre des instruments destinés à permettre la réalisation de ces objectifs,

- le produit des cotisations sociales tel qu'il résulte des taux prévus par voie réglementaire,

- le montant des contributions budgétaires et fiscales de l'État résultant de la loi de finances,

- les mouvements de compensation entre les régimes,

- les prestations versées aux assurés,

- les dépenses d'action sanitaire et sociale,

- les frais financiers et de gestion administrative.

La loi comporterait deux parties, à l'instar de la loi de finances.

La première partie présenterait les ressources des régimes obligatoires de base et les voies et moyens assurant l'équilibre financier compte tenu des objectifs définis et des résultats définitifs de l'exercice précédent tels que décrits dans une annexe soumise au vote du Parlement.

La seconde partie comporterait des mesures diverses comme le champ d'application des régimes de sécurité sociale, les principes relatifs aux prestations et aux cotisations (création, assiette et cas d'exonération), les compétences des organismes de sécurité sociale et de leurs conseils d'administration, les principes et les conditions d'exercice de la tutelle de l'État, etc...

Le projet de loi relatif à la sécurité sociale aurait enfin été accompagné de sept annexes ou rapports explicatifs dont deux « décrivant et motivant » les comptes prévisionnels pour l'année considérée et présentant des projections pour les deux années suivantes.

Ainsi que le soulignaient les auteurs de cette proposition de loi organique ambitieuse, « notre système de sécurité sociale est en train de se transformer. Le Parlement doit se prononcer sur les mutations en cours ou à venir conformément aux compétences que lui reconnaît la Constitution. Il est indispensable que le pays se fixe des objectifs à moyen ou à long terme avec une vision d'ensemble pour sortir de cette gestion à vue qui, notamment en matière d'assurance maladie, conduit à des gaspillages et à des inégalités » .


La proposition de loi constitutionnelle n° 367 présentée le 12 juillet 1995 par M. Jacques Oudin tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement.

Dans sa seconde proposition de loi constitutionnelle, M. Jacques Oudin estime à nouveau nécessaire « de réaffirmer solennellement la vocation du peuple français à exercer, par l'intermédiaire de ses représentants élus, le contrôle des régimes obligatoires de sécurité sociale » .

Il relève que l'information du Parlement en matière de finances sociales a certes été considérablement améliorée par la loi du 25 juillet 1994 mais estime souhaitable d'aller au-delà de cette disposition de valeur simplement législative et « d'inscrire directement dans la Constitution le principe d'un débat parlementaire annuel sur les comptes de la sécurité sociale » .

À cette fin, s'inspirant pour l'essentiel de la proposition du « comité Vedel » -comme il l'indique lui-même dans l'exposé des motifs- M. Jacques Oudin propose que le Gouvernement présente au Parlement avant l'adoption définitive de la loi de finances de l'année un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de la sécurité sociale, dans les conditions fixées par une loi organique.

Au vu de ce rapport, le Parlement délibérerait sur les objectifs de ces régimes, les conditions de leur équilibre financier et sur les ressources consacrées à leur financement provenant du budget de l'État et de contributions affectées.

À la différence du « comité Vedel » , toutefois, M. Jacques Oudin juge souhaitable d'inclure dans cette réforme les comptes prévisionnels de tous les régimes obligatoires de sécurité sociale, et non pas les seuls régimes de base. Mais surtout, il établit nettement le lien entre la délibération parlementaire sur la sécurité sociale et la discussion budgétaire, le rapport du Gouvernement sur les comptes prévisionnels devant être présenté au Parlement avant l'adoption définitive de la loi de finances. De cette sorte, le Parlement pourrait se prononcer « en parfaite connaissance de cause sur les concours financiers de l'État aux régimes de sécurité sociale » .

Cette proposition de loi constitutionnelle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat. Votre rapporteur tient cependant à associer à sa réflexion notre excellent collègue, M. Pierre Fauchon qui, en son temps, en avait été désigné rapporteur par votre commission des Lois.

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