III. DES DISPOSITIONS INAPPLICABLES

La proposition de loi présente, quant à elle, de lourdes difficultés , à commencer par sa contrariété avec le droit de l'Union européenne, qui rendent ses dispositions en définitive inapplicables.

A. UNE ÉVOLUTION COÛTEUSE POUR LES TRVE

S'agissant de l'article 1 er , sur l'extension des TRVE, il est contraire au cadre européen . La directive du 5 juillet 2019 4 ( * ) réserve en effet l'application des tarifs réglementés aux clients résidentiels et aux microentreprises, qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total de bilan n'excède pas 2 M€, auxquelles sont assimilées les collectivités territoriales. Elle prévoit aussi une méthode non discriminatoire et une notification dans un délai d'un mois. Ce cadre a été assoupli, sans tout autoriser, par le règlement du 6 octobre 2022 5 ( * ) , qui permet d'appliquer ces tarifs réglementés aux PME, qui emploient moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total de bilan n'excède pas 50 et 43 M€. Il prévoit cependant une indemnisation des fournisseurs et un réexamen des mesures. Si le Conseil d'État a admis l'existence des TRVE, car ils poursuivent un objectif économique général de stabilité des prix, dans un arrêt du 18 mai 2018 6 ( * ) , il a rappelé la nécessité de les restreindre aux consommateurs domestiques et petits professionnels, ainsi que de respecter une méthode de construction idoine, dans un arrêt du 6 novembre 2019 7 ( * ) . Or, l'article ne respecte aucune de ces conditions puisqu'il appliquerait les TRVE à l'ensemble des collectivités, sans indemnisation ni notification. Pire, il supprimerait la référence au dispositif de l'Arenh qui, s'il doit à terme être réformé, garantit actuellement la conformité du marché national de l'électricité avec le cadre juridique européen.

De plus, l'article ne répond pas aux besoins des collectivités territoriales . Tout d'abord, les TRVE ne sont pas protecteurs des hausses de prix, en eux-mêmes, dans la mesure où leur niveau doit couvrir l'ensemble des coûts des fournisseurs. La méthode d'empilement des coûts, c'est-à-dire la prise en compte pour la construction des TRVE de tous les coûts d'un fournisseur efficace comparable au groupe EDF, garantit leur contestabilité, soit la faculté pour un fournisseur alternatif de proposer des tarifs de marché égaux ou inférieurs aux TRVE. Ce sont donc plutôt les dispositifs tarifaires, budgétaires et fiscaux liés à ces tarifs réglementés qui assurent aujourd'hui cette fonction protectrice. En outre, la moitié des collectivités territoriales ont souscrit des offres de marché, souvent via des groupements d'achat proposés par leurs syndicats intercommunaux ou départementaux d'énergie. Une résiliation anticipée de ces offres les obligerait à indemniser leurs fournisseurs d'électricité, ce qui les fragiliserait contractuellement et les pénaliserait financièrement. Plus largement, appliquer aux collectivités territoriales des TRVE contraires au droit européen les exposerait à un risque de contentieux et de remboursement. Enfin, il n'est pas précisé si une telle application concernerait les services en délégation, comme ceux en régie, ou les zones non interconnectées, comme la France hexagonale, laissant ainsi augurer des différences de traitement peu opérationnelles et peu justifiables.

Outre les collectivités territoriales, l'article pénalise aussi les fournisseurs d'électricité . Le groupe EDF serait ainsi contraint d'acquérir des volumes non anticipés, dans des proportions importantes et des délais serrés, sur les marchés de l'électricité ou auprès d'autres fournisseurs. En l'absence de réservation préalable, cela l'exposerait à un risque financier très élevé. C'est la raison pour laquelle la dernière révision d'ampleur des TRVE, sur les tarifs « Jaunes » et les tarifs « Verts », avait été précédée d'un délai de 5 ans. Quant aux fournisseurs alternatifs, ils seraient évincés au profit du groupe EDF 8 ( * ) , qui seul peut commercialiser les TRVE, ce qui éroderait leurs clients et leurs recettes et les obligeraient à redimensionner leurs offres et leurs personnels. Le principe constitutionnel de libre concurrence s'en trouverait affaibli.


* 4 Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE.

* 5 Règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie.

* 6 Conseil d'État, Décision n° 455 655, 18 mai 2018, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode).

* 7 Conseil d'État, Décision n° 424 573, 6 novembre 2019, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode).

* 8 Et des entreprises locales de distribution (ELD).

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