B. D'IMPORTANTES REMISES EN CAUSE CAPACITAIRES

1. Un périmètre d'actualisation de la LPM très large en 2021, dont au moins 3 milliards d'euros « assumés » par le ministère des armées

L'actualisation de la LPM désigne les choix de redéploiements de moyens internes à l'enveloppe prévue par rapport à la programmation initiale. Ces redéploiements peuvent, selon les cas, financer des surcoûts constatés sur certains postes ou bien permettre des réorientations de priorités. Ils peuvent donc entraîner soit des renoncements, soit des décalages dans le calendrier de certains projets.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a identifié un périmètre d'actualisation de la LPM de 8,6 milliards d'euros , répartis entre 7,4 milliards d'euros de surcoûts non prévus en LPM (dont 3,1 milliards d'euros d'ajustements opérés en LPM 2019, 2020 et 2021 en faveur de programmes prioritaires) et plus de 1,2 milliard d'euros de surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation des forces 1 ( * ) .

Certaines composantes de ce périmètre constituent des surcoûts nets (comme l'absence de financement interministériel du surcoût Opex détaillé supra ), d'autres constituent des redéploiements (Covid-19) ou des décalages temporaires (accélération du calendrier de commandes d'une frégate de défense et d'intervention). En tout état de cause, même si ce montant ne représente aucunement un surcoût net et demeure approximatif, il porte sur une enveloppe proche des 3 % de l'ensemble de la LPM (295 milliards d'euros). Cette proportion, qui ne saurait être considérée comme une simple « épaisseur du trait », aurait justifié une actualisation législative de la LPM en bonne et due forme (voir infra ).

Tableau estimatif global du périmètre budgétaire de l'actualisation

(en millions d'euros)

Les surcoûts constatés non prévus par la LPM

Chiffrages EMA* (A2PM 2019, 2020 et 2021)

Total des ajustements sur les PEM

3 140

Estimations CAED**

OPEX

1 000

Covid (dépenses différées)

1 100

Cession Rafale (Grèce et Croatie)

960

Frégate FDI

750

Soutien et imprévus

450

Sous-total 1

7 400

Les surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs de la LPM

Estimations CAED**

Entretien programmé des matériels

1 200

Préparation opérationnelle

?

Haute intensité

?

Sous-total 2

1 200

TOTAL Général

8 600

Source : commission des affaires étrangères et de la défense d'après l'analyse des chiffrages de l'État-major des armées(*) et les estimations des rapporteurs pour avis budgétaires de la commission des affaires étrangères et de la défense (**)

Les ajustements « assumés » par le ministère des armées reposent, à hauteur de 2,1 milliards d'euros sur les ajustements annuels de la programmation 2019 et 2020 et se décomposent en une augmentation dans le cadre du « Plan Famille » (0,2 milliard d'euros), l'accélération de deux ans des études et du lancement en réalisation du porte-avions de nouvelle génération succédant au Charles de Gaulle (0,8 milliard d'euros), et un effort sur l'espace et le numérique (1,1 milliard d'euros). Le ministère des armées indique que ces priorités ont été en partie financées par le redéploiement de crédits de masse salariale du ministère postérieurement au constat d'un sous-emploi de ces crédits en fin de gestion 2018 2 ( * ) .

Le milliard d'euros chiffré pour les travaux d'ajustement 2021 représente la prise en compte de la variante selon les axes « Mieux détecter et contrer » et « Mieux se protéger » (0,5 milliard d'euros), de l'impact du plan de soutien aéronautique (0,3 milliard d'euros) et la pérennisation du char Leclerc (0,2 milliard d'euros). Pourrait être ajouté à ces surcoûts le relèvement du point d'indice de la fonction publique (environ 0,4 milliard d'euros en année pleine)

Tous ces ajustements ont été compensés par des décalages de programmes comme le système de lutte anti-mines futur (SLAM-F), les futurs bâtiments hydrographiques (CHOF) ou le système de drones tactiques. La décision de pérennisation du char Leclerc est compensée par le rabaissement de la cible à 45 % de l'ensemble des livraisons de blindés SCORPION (prévu en 2030) en 2025 au lieu des 50 % initialement prévus 3 ( * ) . Auditionné par le rapporteur spécial, le délégué général pour l'armement (DGA) a indiqué que 25 % des livraisons SCORPION auront été réalisées en 2023.

Ces décalages sont présentés dans le tableau ci-dessous, qui est toutefois loin d'être exhaustif puisqu'il ne prend en compte que les « renoncements » assumés par le ministère des armées. Il ne prend par exemple pas en compte la rupture capacitaire pourtant majeure en matière d'avions de combat liée aux deux contrats d'exportation de Rafale d'occasion prélevés sur le parc de l'armée de l'air et de l'espace (voir infra ).

Programmes voyant leur jalon 2025 affecté
par les travaux d'ajustement réalisés en 2021

SCORPION

Actualisation de la cible LPM à 45 % au lieu de 50 %, de la cible totale à fin 2025.

Système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F)

Décalage de 1 an par rapport au PLF 2021 des livraisons de l'étape 2 avec maintien du lancement en réalisation en 2023.

CHOF

Décalage de 1 an par rapport au PLF 2021 de la phase de réalisation, laquelle sera lancée en 2025.

FTLT

(VL 4-6 t)

Décalage de 2 ans par rapport au PLF 2021, commande en 2024, premières livraisons en 2027.

Système de drones tactiques (SDT)

Décalage de l'étape 2 de 2024 à 2025.

Avion de patrouille maritime PATMAR Futur

Décalage de 1 an de de la commande précédemment prévue en 2025.

Missile moyenne portée (MMP)

Étalement des livraisons prévues en 2024 - 2025 sur 2024, 2025, 2026 avec maintien de productions de 200 missiles par an.

Camion équipé d'un système d'artillerie (CAESAR)

Décalage de 1 an par rapport au PLF 2021 de la commande et de la livraison des 32 derniers CAESAR et de la rénovation de 77 CAESAR.

Avion léger de surveillance et de renseignement (ALSR)

La commande d'un ALSR décidée dans le cadre du plan de soutien aéronautique amène à dépasser le jalon 2025 : 3 ALSR auront été livrés en 2025 au lieu de 2.

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

2. La cession de 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie

Le 25 janvier 2021, un contrat a été signé entre la France et la Grèce pour la vente de 18 avions Rafale, dont 12 d'occasion prélevés sur la dotation de l'Armée de l'air et de l'espace, faisant de la Grèce le premier client export du Rafale membre de l'UE, mais aussi de l'OTAN. Le premier avion a été livré au client le 21 juillet 2021 ; les activités de formation des personnels grecs se poursuivent en France. Afin de compenser la cession à la Grèce, une nouvelle commande de 12 avions Rafale neufs a été passée par la France dans la foulée de la signature du contrat avec la Grèce.

Fin mai 2021, le gouvernement croate a également fait le choix de l'offre française proposant 12 avions Rafale d'occasion (prélevés sur la dotation de l'Armée de l'air et de l'espace). Cette commande porterait à 24 le nombre total d'appareils prélevés sur la flotte actuelle de l'armée de l'air. Cette évolution est de nature à remettre frontalement en cause les objectifs capacitaires fixés par la LPM pour 2025, et de peser fortement sur l'activité opérationnelle d'ici au remplacement des avions cédés.

En effet, ce prélèvement de 24 appareils constitue un effort substantiel pour le parc opérationnel de l'armée de l'air et de l'espace, actuellement composé de 102 appareils. Il représente ainsi une ponction de plus de 20 % des capacités de Rafale actuellement en dotation de l'armée de l'air.

Dans ces conditions, l'effort porté pour honorer ces commandes grecques a remis en question l'objectif intermédiaire fixé pour 2021 (143) .

Objectifs capacitaires Rafale (Air et Marine) fixés par la LPM

(en nombre d'avions)

Ambition

opérationnelle 2030

Parc début 2019

Parc fin 2021

Parc fin 2025

Livraisons 2019-2025

225 (185 + 40)

143

143

171

28

Source : LPM

Cette ponction intervient dans un environnement capacitaire d'ores et déjà tendu, alors que la LPM fixe une capacité opérationnelle de 129 appareils Rafale en 2025 pour l'armée de l'air et de l'espace, et de 225 appareils Rafale pour l'année 2030 (dont 185 pour l'armée de l'air et de l'espace). Cette cible prévisionnelle du programme Rafale a été revue deux fois depuis le lancement du programme (cible initiale de 320 avions), ce qui traduit le caractère « minimal » de cette cible :

- en 1996 : révision de la cible de 320 à 294 avions ;

- en 2006 : révision de la cible de 294 à 286 avions.

La LPM 2019-2025 a confirmé que les forces aériennes comprendront 225 Rafale (air et marine) et 55 Mirage 2000D rénovés pour répondre à l'ambition opérationnelle 2030. La cible d'acquisition Rafale sera consolidée ultérieurement en fonction des options retenues pour le porteur ASN4G 4 ( * ) et de la progression du projet SCAF 5 ( * ) .

Le ministère des armées a confirmé que la flotte serait intégralement recomplétée, avec la commande de 24 Rafale neufs :

- la cession des 12 Rafale à la Grèce sera achevée en 2023. La commande de recomplètement portant sur 12 appareils neufs a été passée, avec une livraison attendue pour 2025. La commande représente un coût total d'environ 1,5 milliard d'euros, dont 1 milliard d'euros pris sur l'enveloppe LPM et 500 millions d'euros tirés du produit de cession.

- les premiers appareils seront cédés à la Croatie en 2023. Une seconde commande de recomplètement portant sur 12 appareils neufs sera également passée l'an prochain (portant le total des appareils commandés à 42), pour une livraison attendue en 2027. Le coût de cette commande peut être estimé à plus de 1,5 milliard d'euros. Lors de son audition, le délégué général pour l'armement a indiqué au rapporteur spécial que le produit de cession ne serait pas utilisé pour financer cette commande mais rétrocédé à l'armée de l'air et de l'espace pour l'amélioration de la disponibilité de la flotte.

À terme, l'opération ne serait pas dépourvue d'effets bénéfiques, puisqu'elle aura conduit à une homogénéisation et une modernisation de la flotte de Rafale de l'armée de l'air et de l'espace. Toutefois, dans l'attente du recomplètement de la flotte en 2027, soit avec deux ans de retard par rapport au jalon prévu par la LPM, cette cession entraine une réduction préoccupante des capacités opérationnelles intermédiaires. L'année 2023 sera en effet marquée par la livraison de 6 Rafale supplémentaires à la Grèce et des premiers appareils à la Croatie. Cette remise en cause capacitaire aura un effet direct sur la capacité opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace. Elle devrait se traduire par une baisse de la préparation opérationnelle des équipages chasse, alors que cette dernière est loin d'atteindre les objectifs fixés par la LPM et les normes OTAN (voir infra ).

3. L'enjeu du recomplètement du parc de Caesar

L'exercice 2022 a été marqué par la cession de 18 canons Caesar aux Forces armées ukrainiennes.

Le camion équipé d'un système d'artillerie (Caesar), développé par le groupe français Nexter, constitue l'armement principal des régiments d'artillerie des brigades multi-rôles et d'engagement d'urgence de l'armée de terre. Il permet avant tout de frapper avec la puissance d'une munition de 155 mm, à 40 km et avec une excellente précision.

Cette livraison représente près du quart du parc de l'armée de terre (76 pièces), ce qui témoigne de l'ampleur du soutien apporté par la France à la résistance ukrainienne face à l'invasion russe.

Une commande a été passée en urgence en 2022 par les armées, visant à permettre un recomplètement total (18 pièces) d'ici 2024 , ce qui constituerait une prouesse inédite de la part de l'industriel. Cette commande représente un coût d'environ 80 millions d'euros , financés sur l'enveloppe LPM.

Cette commande s'ajoute à la commande de 33 Caesar nouvelle génération (Caesar NG) devant être livrée d'ici à 2027, pour atteindre la cible de 109 pièces.


* 1 Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 697 (2020-2021) - 16 juin 2021.

* 2 Voir à ce sujet le rapport d'information de M. Dominique de LEGGE, fait au nom de la commission des finances n° 652 (2018-2019) - 10 juillet 2019.

* 3 Cette révision est également liée à l'industriel à assurer l'ensemble des livraisons prévues d'ici 2025.

* 4 Armement air sol nucléaire de 4 ème génération.

* 5 Système de combat aérien futur.

Page mise à jour le

Partager cette page