C. LA PROCHAINE LPM : UN CHANGEMENT DE MÉTHODE ATTENDU

1. La regrettable absence d'actualisation législative de la LPM 2019-2025

La LPM 2019-2025 devait faire l'objet d'une actualisation en 2021. Son article 7 prévoyait ainsi que « la présente programmation fera l'objet d'actualisations , dont l'une sera mise en oeuvre avant la fin de l'année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l'évolution des effectifs jusqu'en 2025 ».

Au début de l'année 2021, la ministre des armées Florence Parly avait indiqué à plusieurs reprises souhaiter associer le Parlement à cette révision, sans en préciser les modalités. Début 2021, un travail de mise à jour de l'analyse de l'environnement stratégique et international avait ainsi été conduit 11 ( * ) .

Les conclusions de l'actualisation stratégique préalable à l'actualisation
de la LPM par le Gouvernement

Les conclusions synthétisées dans l'« actualisation stratégique » ont ainsi relevé la pertinence du modèle d'armée retenu, confirment l'ambition 2030 tout en constatant une accélération des différentes menaces déjà identifiées en 2017.

En réponse, trois axes d'ajustement ont été retenus : nous devons mieux détecter et contrer les menaces notamment dans les domaines cyber, du renseignement et spatial ; renforcer notre effort sur la résilience et la protection face au risque nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), sur la santé et sur la lutte anti-drone ; nous préparer pour pouvoir riposter dans tous les champs de conflictualité.

Source : ministère des armées

Le Premier ministre Jean Castex a pourtant finalement décidé de prononcer une déclaration devant chacune des chambres du Parlement les 22 et 23 juin 2021 au titre de l'article 50-1 de la Constitution, utilisé pour l'informer des actualisations prévues.

Le rapporteur spécial estime que cette procédure ne saurait masquer la volonté de contournement dont a fait l'objet le Parlement, alors que la Constitution ne confie qu'à lui seul le pouvoir de modifier une loi, conformément à l'article 24 de la Constitution. Le recours au dispositif prévu par l'article 50-1 de la Constitution ne constitue aucunement un moyen de modification de la loi et ne constitue pas une modalité d' « association » suffisante du Parlement. La précédente programmation militaire (2015-2019) avait d'ailleurs logiquement fait l'objet d'une actualisation par voie législative (loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense) 12 ( * ) .

Afin de justifier cette absence de saisine adaptée du Parlement, le Gouvernement avait indiqué dans ses réponses au questionnaire budgétaire que « du fait de la crise sanitaire de 2020, le PIB s'est affaissé portant artificiellement l'effort national de défense à 2% du PIB sans pour autant que les objectifs de modernisation et de préparation de l'avenir donnés aux armées aient été atteints. Alors que l'année d'actualisation prévue par la LPM devait permettre de fixer plus sûrement la trajectoire financière jusqu'en 2025, l'année 2021 portait conjoncturellement davantage d'incertitudes ne permettant pas de remplir sereinement l'objectif recherché à travers une actualisation. » Le rapporteur spécial pense tout au contraire que c'est précisément le caractère alors très incertain du contexte sanitaire, économique et géostratégique qui rendait plus que jamais inexcusable le non recours à l'actualisation par la voie législative .

2. Les perspectives pour la prochaine LPM

La prochaine LPM 2024-2030 a été annoncée pour le premier trimestre de l'année 2023.

Lors de son audition devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le 11 octobre 2022, le ministre des armées fait part de son souhait « de construire [la prochaine LPM] différemment de la précédente. Le suspense n'est pas grand, les crédits n'ont pas vocation à diminuer , chacun le sait. Face à notre devoir de réactivité, nous souhaitons construire cette nouvelle LPM avant même son dépôt en Conseil des ministres, dans une plus grande « intimité » avec les deux chambres et parfois de manière séparée, pour préserver l'identité du regard des deux assemblées ; les premiers groupes de travail pourront se réunir très rapidement, avec tous les personnels du ministère, par exemple sur le thème des réserves, sur le plan Famille, sur nos alliances, sur les questions capacitaires, ou encore sur l'innovation ».

Le rapporteur spécial ne peut que se féliciter de ces intentions, aussi bien sur le fond - la remontée en puissance des armées - que sur la méthode - une association plus étroite des parlementaires à son élaboration - et se montrera donc vigilant quant à leur traduction en actes.

Dans la perspective de ces débats, il convient d'abord de rappeler que, replacée dans une perspective longue, la LPM ne constitue pas une rupture majeure en termes de part des dépenses militaires dans le PIB. La part des dépenses militaires en 2020 (pensions comprises) atteint un niveau proche de celui constaté en 2008 (du fait de la contraction du PIB consécutif à la crise financière). De même, il reste significativement inférieur à celui des années 1980 (de l'ordre de 3 %).

Part des dépenses militaires 13 ( * ) dans le PIB de la France depuis 1960

(en %)

Source : commission des finances, d'après Stockholm Peace Research Institute

Sans préjuger des travaux qui devront être conduits pour l'élaboration de la prochaine LPM, quelques pistes peuvent d'ores et déjà être relevées pour amener les armées françaises au niveau requis par la haute intensité , demeurer parmi les deux ou trois nations forces d'entraînement au sein de l'Otan et être ainsi en mesure de peser au sien d'une coalition dans le cadre d'une opération de coercition majeure :

- en premier lieu, les contrats opérationnels et le format des armées, qui n'ont pas connu d'évolution substantielle sous l'actuelle LPM, devront être réinterrogés , en particulier la flotte d'aviation de chasse, à la lumière des nouvelles menaces ;

- en termes d'équipement, la programmation devra trouver un juste équilibre entre la technologie - les équipements de pointe étant ceux qui permettent de prendre l'ascendant dans un conflit - et la rusticité - les équipements moins coûteux et plus massifs permettant de tenir dans la durée ;

- le principe selon lequel la politique de soutien des armées à l'export ne doit pas se faire au préjudice de leurs capacités opérationnelles devra clairement être affirmé , à plus forte raison dans un contexte où des conflits, tels que la guerre en Ukraine, pourraient de nouveau justifier la livraison de capacités militaire prélevées sur les dotations des armées ;

- il conviendra enfin de veiller à la cohérence des capacités recherchées , qui garantit la performance de la dépense publique en faveur de la défense. C'est uniquement par la cohérence des moyens mobilisés qu'on peut transformer un équipement en capacité militaire : à titre d'exemple, augmenter le format de la flotte aérienne n'aura d'efficacité que si chaque avion s'accompagne de pilotes formés, d'un MCO efficace, etc . En particulier, un effort accru devra être porté sur l'approvisionnement des armées en munitions pour s'assurer de leur capacité à tenir dans la durée sous hypothèse d'engagement majeur, chaque munition doit être pensée comme l'une des parties d'un triptyque « soldat correctement formé - arme en condition opérationnelle - munitions en quantité suffisante ».

La prochaine LPM devra en outre redimensionner la provision aux OPEX/MISSINT à partir du coût réel de ces opérations (autour de 1,6 milliard d'euros en 2022 et 2023).

En dehors des aspects budgétaires, la LPM constituera également l'opportunité d'améliorer la proportionnalité des normes appliquées aux activités militaires - telle que la gestion des dépôts de munitions - aux risques réels encourus. Si les exigences de sécurité doivent demeurer une priorité, force est de constater que la France se caractérise par des normes nettement plus strictes que les standards Otan, qui peuvent s'avérer, selon le directeur du Service interarmées des munitions auditionné par le rapporteur spécial, préjudiciable à l'efficacité des processus de stockage et de l'approvisionnement des armées.

La question de l' « économie de guerre » est également essentielle pour améliorer la réactivité de la base industrielle et technologique de défense (BITD) aux besoins nouveaux des armées dans le contexte actuel d'amplification des menaces. Des travaux en ce sens ont été engagés à l'automne 2022 autour de 4 engagements : la simplification de l'expression du besoin militaire aux industriels par le ministère, la simplification des procédures administratives, la mise en place d'un agenda de relocalisation de certaines capacités et un changement d'approche sur la gestion des stocks de matière première pour pouvoir répondre plus rapidement aux besoins exprimés.


* 11 Ministère des armées, Actualisation stratégique 2021.

* 12 Dans le contexte des attentats de Paris.

* 13 Ibid.

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