C. UNE REPRISE ÉPHÉMÈRE POUR LES OPÉRATEURS DU PROGRAMME 175 ?

Le projet de loi de finances pour 2023 affiche un soutien réitéré aux opérateurs du programme 175 aux travers de deux types de mesures :

- le versement de crédits supplémentaires en vue de les aider à faire face à la hausse des coûts, 23,70 millions d'euros (AE=CP) étant dédiés à cet objectif (cf supra ) ;

- un soutien ciblé, dont le montant total atteint 16,7 millions d'euros (AE=CP).

Les rapporteurs spéciaux avaient relayé, lors de l'examen du précédent projet de loi de finances, l'inquiétude des principaux opérateurs du patrimoine quant à une reprise de leur activité au niveau d'avant la crise , en raison d'un retour limité et progressif de la clientèle touristique extra-européenne, des dispositifs mis en place pour respecter les barrières sanitaires mais aussi de la modification des pratiques culturelles. Les établissements tablaient sur une reprise très progressive, le ministère de la culture évaluant le montant des pertes pour 2022 à 182 millions d'euros. Les premiers retours tendent aujourd'hui à invalider cette perspective négative, la baisse de la fréquentation s'établissant à fin août 2022 à 17 % par rapport à 2019, soit un ratio nettement moins négatif que ceux enregistrés en 2020 (-69 %) et 2021 (-61 %), un retour à la normale étant désormais envisagé en 2023 voire au plus tard en 2024. Il convient de relever à ce stade que le musée du Louvre a fait, de son côté, le choix de plafonner son nombre de visiteurs à un niveau inférieur à celui de 2019, pour des raisons de confort de visite et de conservation des oeuvres. Au total, les pertes pour l'année 2022 sont aujourd'hui estimées par la direction générale des patrimoines et de l'architecture à 80 millions d'euros en 2022, la baisse de la fréquentation étant établie à 20 % sur l'année (contre 50 % dans la projection établie fin 2021). Pour 2023, les prévisions établies avant l'été dessinaient une perte de fréquentation estimée, sous toute réserve, à 15% par rapport à la fréquentation de 2019, avec des disparités inévitables entre établissements.

L'action combinée du Plan de relance et des collectifs budgétaires de 2020 et 2021 auront, en tout état de cause, permis de compenser sur la période 2020-2022 la quasi-totalité des pertes enregistrées par les opérateurs, établies à 752,4 millions d'euros, une fois retranchées les économies de fonctionnement liées à la fermeture (167,6 millions d'euros sur la période).

Perte et gains des opérateurs du programme 175 et mesures
de soutien budgétaire entre 2020 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données transmises par la direction générale des patrimoines et de l'architecture

L'horizon ne semble pas pour autant totalement dégagé en raison de plusieurs incertitudes :

- l'effet de l'inflation sur les dépenses culturelles n'est pas encore décelable ;

- la clientèle chinoise n'est toujours pas revenue ;

- l'organisation des Jeux olympiques en 2024 devrait conduire à la fermeture d'établissements emblématiques dans la capitale durant plusieurs semaines et générer de nouvelles pertes.

En attendant, le présent projet de loi de finances prévoit de majorer les dotations des opérateurs suivants :

- le Centre des monuments nationaux, à hauteur de 7 millions d'euros, dont 4 millions d'euros à destination de la Cité internationale de la langue française (cf supra) ;

- le musée du Louvre, à hauteur de 5 millions d'euros aux fins de rééquilibrage de son modèle économique ;

- l'Institut national de recherche archéologique, à hauteur de 2,2 millions d'euros ;

- le musée d'Orsay, à hauteur de 1,5 million d'euros ;

- le musée Guimet et le château de Fontainebleau à hauteur de 0,5 million d'euros chacun.

Comme analysé plus haut, le poids des dépenses contraintes devrait aller croissant compte-tenu de la hausse des coûts, dans le domaine énergétique ou celui de la construction. Il en va de même pour les frais liés au montage des expositions (transport, encadrement, aménagements muséographiques, catalogues). Les rapporteurs spéciaux seront également vigilants à la question du coût d'acquisition de nouvelles oeuvres. Il convient de rappeler à ce stade, que pour certains musées nationaux, le budget d'acquisition résulte d'un pourcentage de leur billetterie (20 % pour le Louvre, 16 % pour Orsay).

Au-delà de la question de l'inflation, la tutelle comme les opérateurs relèvent une hausse importante des prix d'acquisitions d'oeuvres les plus importantes qui auraient vocation à enrichir les collections publiques. La direction du Musée du Louvre, interrogée par les rapporteurs spéciaux, met ainsi en lumière une progression très significative des prix sur le marché de l'art, avec des niveaux d'adjudication dans les ventes aux enchères qui s'établissent désormais très régulièrement à un niveau 4 à 10 fois supérieur, voire davantage, à celui des estimations.

Exemples d'écarts entre les estimations et les montants
d'adjudication d'oeuvres d'art depuis 2019

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises par le musée du Louvre

Cette progression des prix rend délicates les acquisitions directes par les musées. Le musée du Louvre devrait disposer de 12 millions d'euros à cette fin en 2023, soit deux fois moins que le prix d'achat de la seule Dérision du Christ de Cimabue adjugée 24,18 millions d'euros, alors que le tableau était initialement estimé entre 4 et 6 millions d'euros. Le recours au mécénat, après qualification de l'oeuvre de Trésor national et refus temporaire du certificat d'exportation si l'oeuvre est en France 17 ( * ) , permet, en principe, de pallier ce manque de moyens. Reste que les inconnues récentes entourant le mécénat d'entreprise (cf supra ) fragilisent cette option. La progression du prix des oeuvres obère également les chances d'aboutir. Le Porte Etendard de Rembrandt, estimé à 165 millions d'euros, a ainsi quitté le territoire en 2021.


* 17 Le refus ne peut excéder 30 mois.

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