II. LE PROGRAMME 175 « PATRIMOINES » : ENTRE RETOUR DU PUBLIC ET PROGRESSION DES CHARGES

Le programme 175 « Patrimoines » est dédié au financement des politiques publiques destinées à la constitution, à la préservation, à l'enrichissement et à la mise en valeur du patrimoine muséal, monumental, archéologique, archivistique et architectural.

Trois priorités sont assignées au programme 175 :

- assurer la transmission du patrimoine aux générations futures ;

- oeuvrer pour la cohésion et le développement des territoires à travers leur mise en valeur patrimoniale et architecturale ;

- contribuer au projet national d'éducation artistique et culturelle et à l'accueil du public.

Le programme 175 devrait être doté à ces fins de 1,11 milliard d'euros en AE et 1,10 milliard d'euros en CP en 2023, soit une progression de 76 millions d'euros en AE (+7,35 %) et 76,8 millions d'euros en CP (+7,55 %) par rapport à la loi de finances pour 2022 .

Corrigée de l'hypothèse d'inflation prévue en projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (4,3 %), la majoration des crédits en volume atteint 2,9 % en AE et 3,1 % en CP.

Le programme 175 est composé de 6 actions :

- l'action 01, dédiée aux monuments historiques et au patrimoine monumental, qui devrait bénéficier de 466,6 millions d'euros de crédits de paiement en 2023 ;

- l'action 02, centrée sur l'architecture et les espaces protégés, qui mobiliserait 35,7 millions d'euros en crédits de paiement en 2023 ;

- l'action 03, dédiée au patrimoine des musées de France et dont le montant des crédits de paiement dédiés devrait atteindre 394,4 millions d'euros en 2023 ;

- l'action 04, qui vise le patrimoine archivistique et les célébrations nationales et qui serait dotée de 34,7 millions d'euros de crédits de paiement en 2023 ;

- l'action 08, qui agrège les sommes dédiées à l'acquisition et l'enrichissement des collections publiques, 9,77 millions d'euros de crédits de paiement devant lui être affectés en 2023 ;

- l'action 09, centrée sur le patrimoine archéologique, qui devrait être dotée de 157,8 millions d'euros de crédits de paiement en 2023.

Seule l'action 08 n'est pas concernée par la majoration des crédits enregistrée entre la loi de finances pour 2022 et le présent projet de loi de finances.

Répartition des crédits au sein du programme 175 « Patrimoines »

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Les crédits prévus au sein du programme 175 ne résument pas pour autant la totalité de la dépense publique en faveur du patrimoine monumental. La Cour des comptes a estimé dans un rapport publié en juin 2022 la dépense totale en faveur des monuments historiques à 1,43 milliard d'euros en 2021, hors dépenses fiscales et crédits du Plan de relance 10 ( * ) .

Financements publics dédiés à la protection du patrimoine monumental en 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de la Cour des comptes

Cet afflux de crédits n'est pas sans susciter une forme de brouillage quant à la lisibilité d'ensemble . Au niveau territorial, la Cour des comptes relève ainsi des crédits versés par des préfectures au titre de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) en direction de monuments historiques en principe couverts par les crédits du programme 175, sans véritable concertation avec les DRAC.

Plus largement, la Cour appelle à un audit approfondi des outils fiscaux existants (exonération des droits de mutation à titre gratuit, déductibilité des charges pour travaux, notamment en cas de labellisation par la Fondation du Patrimoine, soit 42,5 millions d'euros de dépenses fiscales en 2020), qui apparaissent difficiles à évaluer faute de données fiables ou n'apparaissent toujours pas mis en oeuvre faute d'accord entre le ministère de la culture et le ministère des finances (engagement à rendre un monument accessible au public pour pouvoir bénéficier du label Fondation du patrimoine 11 ( * ) ). La question de l'ouverture au public, dont la définition diffère selon les dispositifs fiscaux apparaît dans ce domaine cruciale. Les rapporteurs spéciaux s'étonnent qu'aucune harmonisation n'ait pour l'heure abouti, malgré la publication en 2020 d'un rapport conjoint de l'inspection générale des affaires culturelles de l'inspection générale des finances. La mise en place de mécanismes de coopérations réguliers et fluides entre entrepreneurs privés d'un côté et administration culturelle et acteurs du développement touristique de l'autre apparaît, comme l'a souligné la Cour des comptes, indispensable.

A. UN FINANCEMENT COMPLÉTÉ PAR LE RELIQUAT DU PLAN DE RELANCE ET DES SOUTIENS HORS BUDGET

1. 42 millions d'euros seront versés en 2023 au titre du Plan de relance

Initialement établie à 614 millions d'euros sur la période 2021-2022, la dotation prévue par l'action 05 du programme 363 « Compétitivité» de la mission « Plan de relance » en faveur des patrimoines a été finalement portée à 640,7 millions , afin de tenir compte de :

- l'obtention de crédits complémentaires dégagés en 2022 à hauteur de 32,9 millions d'euros. 24 millions d'euros ont été dégagés au titre du chantier de restauration du château de Villers-Cotterêts afin de tenir compte de la hausse des coûts de la construction ainsi que de l'effondrement d'un mur de refend. 8,9 millions d'euros supplémentaires sont venus abonder la capacité d'investissement des établissements publics affectée par la crise sanitaire ;

- un redéploiement de 6,2 millions d'euros au sein de l'enveloppe destinée aux opérateurs en 2021.

Deux axes structuraient l'action :

- la mise en oeuvre d'un plan de restauration des monuments historiques, qu'ils appartiennent ou non à l'État, 304 millions d'euros étant dégagés à cet effet ;

- un soutien massif, à hauteur de 336,7 millions d'euros, aux opérateurs confrontés à des pertes importantes en raison de leur fermeture

Le présent projet de loi de finances prévoit l'ouverture des derniers crédits de paiement restants, soit 42 millions d'euros :

- 10 millions d'euros aux fins de financement du Plan Cathédrales ;

- 17 millions d'euros aux fins de financement des travaux du château de Villers-Cotterêts ;

- 15 millions d'euros à destination des monuments historiques n'appartenant pas à l'État.

Fonds prévus pour le patrimoine par la mission « Plan de relance »

(en millions d'euros)

LFI 2021

LFI 2022

PLF 2023

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Plan d'investissement culturel en faveur des patrimoines dans les territoires et pour l'emploi

640,7

344,7

227,3

Soutien aux opérateurs patrimoniaux

336,7

225,7

111,8

Accélération du chantier de restauration de Villers-Cotterêts

124

43

64

17

Réinvestissement dans les monuments nationaux relevant du Centre des monuments nationaux

40

20

20

Plan « cathédrales »

80

30

40

10

Soutien aux investissements réalisés par les propriétaires de monuments historiques n'appartenant pas à l'État

40

10

15

15

Réinvestissement dans les autres équipements patrimoniaux appartenant aux collectivités territoriales

20

10

10

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

À fin 2022, la prévision d'exécution du plan de relance est établie à près de 100 % en AE (624 millions d'euros) et près de 90 % en CP ( 544 millions d'euros). 133 des 135 opérations prévues ont été lancées, dont 49 sur les cathédrales, 53 sur les monuments appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, 14 sur les monuments nationaux et 17 sur les équipements patrimoniaux. En ce qui concerne le soutien aux opérateurs, la quasi intégralité des crédits alloués a déjà été consommée par les établissements.

2. La restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris reste exclusivement financée par les dons collectés

Le coût des travaux de conservation puis de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris est aujourd'hui estimé à 703 millions d'euros, 151 millions d'euros ayant été d'ores et déjà été engagés pour les travaux de sécurisation et de consolidation.

La maîtrise d'ouvrage est assumée par l'établissement public administratif chargé de la restauration et de la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EP RNDP ), institué par la loi du 29 juillet 2019 12 ( * ) et entré en fonction le 2 décembre 2020. Cette structure fait partie de la liste des opérateurs de l'État du programme 175 mais seul le loyer de l'établissement est pris en charge par le ministère de la Culture depuis le mois d'octobre 2020. Les locaux utilisés appartiennent aux services du Premier ministre et donnent lieu au versement d'un loyer à France Domaine. 0,39 million d'euros ont ainsi été pris en charge depuis l'installation de l'opérateur. Le financement de l'établissement (masse salariale, soit 3,9 millions d'euros pour 40,5 ETP et budget de fonctionnement établi à 0,7 million d'euros) est donc presque intégralement assumé par les dons perçus. Le budget de fonctionnement par ailleurs été limité par des mécénats en nature obtenus pour l'équipement mobilier des locaux de la cité Martignac (valorisé dans les comptes de l'établissement public à 25 000 euros) ainsi que pour ses équipements et abonnements téléphoniques et pour son accès à Internet en haut débit (valorisés à un total de 240 000 euros pour trois ans).

Cette absence de financement public n'est pas sans susciter d'interrogation au regard de l'aspect symbolique de ce chantier. Elle trahit l'intention du donateur appelé à financer l'établissement public et les charges de gestion afférentes. Il convient de rappeler à ce stade que le coût du chantier de restauration générera des recettes de TVA qui auraient pu largement financer la charge administrative. In fine, seule la dépense fiscale afférente aux dons constitue de son côté un financement indirect. Le montant des dons et versements ayant bénéficié du taux de réduction d'impôt de 75 % prévu à l'article 5 de la loi du 29 juillet 2019 s'élève ainsi à 24,7 millions d'euros, générant une réduction d'impôts de l'ordre de 15,4 millions d'euros. Ce montant doit être réévalué à l'aune de deux éléments :

- faute de champ spécifique sur les déclarations d'impôt sur les revenus 2020 ou 2021, la direction de la législation fiscale signale ne pas être en mesure de déterminer le nombre de foyers fiscaux ayant bénéficié de la réduction d'impôt pour les dons réalisés en 2020 ou 2021, le montant de leurs dons et la dépense fiscale associée ;

- s'agissant du mécénat d'entreprise, la déclaration des réductions et des crédits d'impôts qui devait préciser les dons fléchés vers le chantier à partir de 2020 est imparfaitement remplie et ne permet pas de restituer des données fiables.

405,5 millions d'euros de dons ont été collectés au 30 juin 2022, les promesses de dons atteignant au total 848,9 millions d'euros 13 ( * ) . Le montant des dons promis devrait, en tout état de cause, dépasser le montant des travaux générés par l'incendie. L'estimation de celui-ci intègre d'ores et déjà de nombreuses provisions pour aléas : hausse des prix (66,5 millions d'euros), aléas et imprévus (38,63 millions d'euros) et risques calendaires (20,22 millions d'euros).

Les rapporteurs spéciaux seront vigilants quant à l'utilisation du solde. Il apparaîtrait logique que ces crédits viennent financer les restaurations liées aux pathologies antérieures à l'incendie dont le montant est estimé à 133 millions d'euros. Ces travaux concernent les parties extérieures de la cathédrale. Une telle orientation des fonds devra, bien évidemment, obtenir l'accord des mécènes et des fondations chargées de la gestion des dons.

3. L'utilisation de la réserve de précaution en faveur du Loto du Patrimoine

Le lancement, en septembre 2017, d'une mission de recensement du patrimoine local en péril et de réflexion sur des financements innovants pour le restaurer, confiée à Stéphane Bern a été complétée par la création d'un Loto du patrimoine. Aux termes du collectif budgétaire de fin de gestion pour 2017 14 ( * ) , un prélèvement est effectué sur les mises et affecté à La Fondation du patrimoine . 100 millions d'euros ont ainsi pu être collectés entre 2018 et 2021.

627 sites ont été sélectionnés entre 2018 et 2021 dont 555 sites dits de maillage (au moins 1 par département) et 72 sites emblématiques (au moins 1 par région) . 154 sites sont d'ores et déjà restaurés et 202 chantiers étaient en cours au 31 décembre 2021. La cinquième édition (2022) a permis de sélectionner 100 sites de maillage et 18 édifices emblématiques.

Le Sénat avait souhaité, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, exonérer le produit du Loto du patrimoine d'une partie des prélèvements opérés par l'État (CSG et CRDS). Cette demande avait été réitérée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020. Le Gouvernement avait émis un avis défavorable à ce projet mais s'engage désormais à mettre la réserve de précaution au profit de la mission « Patrimoine en péril » afin de compenser ces prélèvements. 56 millions d'euros ont ainsi pu être obtenus au fils des dégels budgétaires de fin de gestion entre 2018 et 2021. Le collectif budgétaire de fin gestion 2022 poursuit dans cette voie avec le dégel de 18,8 millions d'euros (AE=CP).

Ce financement complémentaire permet aux DRAC de majorer les taux des subventions versées aux propriétaires publics et privés de monuments historiques retenus dans le cadre du Loto du patrimoine et de financer ainsi leurs travaux de restauration. Il n'en demeure pas moins, qu'au regard de l'ampleur du défi que représente la restauration du petit patrimoine, notamment rural, les rapporteurs spéciaux regrettent qu'une exonération complète du produit du jeu n'ait pu être décidée en amont, le dégel venant ensuite éventuellement en complément. Une telle solution est déjà retenue au Pays-Bas ou au Royaume-Uni.


* 10 La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental, Rapport public thématique, juin 2022.

* 11 Article 7 de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 12 Loi n° 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale et décret n° 2019-1250 du 28 novembre 2019 relatif à l'organisation et au fonctionnement de l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

* 13 Des frais technique de collecte et de gestion ramènent ce montant à 846,7 millions d'euros.

* 14 Article 90 de la loi n°2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

Page mise à jour le

Partager cette page