B. UN PROLONGEMENT DU PLAN DE RELANCE ?

L'action 05 « Culture » du programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » prévoyait, en 2021 et 2022, deux enveloppes appelées à compléter le programme 131, à hauteur de 259 millions d'euros (AE=CP) , dont 7 millions d'euros dédiés à l'enseignement supérieur Culture.

Fonds prévus pour la création par le plan de relance

(en millions d'euros)

LFI 2021

LFI 2022

AE

CP

AE

CP

Renouveau et reconquête de notre modèle de création et de diffusion artistique

216

144,9

71,1

Soutien aux opérateurs nationaux

126

81,9

44,1

Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (musique)

30

23

7

Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (théâtre, arts de la rue, danse, cirque)

30

20

10

Fonds de transition écologique pour les institutions de la création en région sur deux ans

20

10

10

Soutien au théâtre privé

10

10

Effort spécifique pour soutenir l'emploi artistique, redynamiser la jeune création et la modernisation des réseaux d'enseignement supérieur de la culture

43

33

10

Programme de commande publique dans les domaines de la littérature, des arts visuels et du spectacle vivant

30

20

10

Soutien aux artistes fragilisés par la crise et non pris en charge par les dispositifs transversaux

13

13

Total

259

177,9

81,1

Source : commission des finances du Sénat

La direction générale de la création artistique a indiqué aux rapporteurs spéciaux l'excellente exécution en 2022 des crédits dédiés . Seuls le programme de commande publique (« Les Mondes nouveaux ») et le Fonds de transition écologique pourraient donner lieu à des reports de crédits, pour un montant total ne dépassant pas 10 millions d'euros. Cette consommation contraste avec la sous-exécution constatée fin 2021.

Le présent projet de loi de finances tend à prolonger une partie des orientations du Plan de relance, en dégageant de nouveaux crédits pour le soutien aux opérateurs ou le prolongement des « Mondes nouveaux ».

La fin du plan de relance ne signifie pas pour autant celle des inquiétudes pour l'ensemble du secteur, confronté à un effet de ciseaux entre reprise progressive mais lente de l'activité et progression du coût des dépenses contraintes, notamment énergétiques. La perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 constitue aujourd'hui une source supplémentaire d'anxiété avec la probabilité renforcée d'annulations de festivals et de concerts en raison d'un manque de forces de l'ordre et de sociétés privées pour en assurer la sécurité. Pour mémoire, les crédits d'urgence dédiés aux festivals en 2020 (10 millions d'euros) et 2021 (30 millions d'euros dont 20 millions d'euros gérés par le Centre national de la musique) ont été pérennisés en loi de finances pour 2022 à hauteur de 10 millions d'euros versés aux DRAC. Une dotation équivalente est prévue pour 2023.

Évolution du chiffre d'affaires des secteurs du spectacle vivant et des arts visuels (hors établissements publics et associations non marchandes)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises par le ministère de la culture

1. L'acte II des Mondes nouveaux

Le programme de commande publique mis en place dans le cadre du plan de relance, est pérennisé dans le présent projet de loi de finances. Une enveloppe de 30 millions d'euros sur 3 ans est ainsi prévue. 10 millions d'euros sont, à cet égard, inscrits dès 2023, répartis à parts égales entre le spectacle vivant et les arts visuels. Les modalités de décaissement de ces fonds ne sont pas encore précisées, un bilan de la première phase de ce programme de commande publique devant être au préalable réalisé.

Pour mémoire, 3 200 projets ont été reçus au cours de la première phase. Un comité artistique dédié a retenu 264 projets, représentant plus de 430 artistes. 93 % des 230 projets mis en oeuvre se situent sur un territoire hors de Paris.

Les rapporteurs spéciaux saluent les orientations de ce dispositif qui visent notamment à faire entrer la culture dans des zones où elle n'est plus assez présente : espaces ruraux, périphéries urbaines ou coeurs de ville dégradés. Ils seront cependant vigilants sur la réalité de l'accompagnement des artistes et le droit de suite que le ministère doit avoir sur les oeuvres ainsi financées, s'agissant notamment des arts visuels. La présence de ces créations dans l'espace public apparaît à cet égard comme une priorité.

Ils s'interrogent par ailleurs sur la complémentarité du dispositif avec le 1 % artistique. Créé en 1951, ce dispositif, qui vise les opérations immobilières ayant pour objet la construction et l'extension de bâtiments publics ou la réalisation de travaux de réhabilitation dans le cas d'un changement d'affectation, d'usage ou de destination de ces bâtiments, obligent le maître d'ouvrage à l'achat ou à la commande d'une ou de plusieurs réalisations artistiques destinées à être intégrées dans l'ouvrage ou ses abords. Le montant, toutes taxes comprises, des sommes affectées au respect de cette obligation est égal à 1 % du montant hors taxes du coût prévisionnel des travaux 7 ( * ) .

L'entrée en vigueur d'un nouveau code de la commande publique et le constat de la diminution du nombre de projets engagés ces dernières années (73 projets en 2013, contre 34 projets en 2018, 28 en 2019, 15 en 2020 et 21 en 2021) semble aujourd'hui fragiliser le recours à ce dispositif, affecté par ailleurs par un non-respect dans le cadre des chantiers. La précédente ministre de la Culture avait examiné la possibilité d'introduire un contrôle plus systématique de l'obligation dans le cadre des demandes de permis de construire, à l'instar d'autres obligations légales ou réglementaires. Une circulaire devait être élaborée à cet effet. Elle n'a toujours pas été publiée. Les rapporteurs spéciaux seront vigilants à ce que la seconde phase des « Mondes nouveaux » ne se substitue pas aux obligations de l'État et des collectivités territoriales en la matière et que l'on réponde à l'absence de respect d'une obligation légale par des crédits budgétaires supplémentaires .

2. Un soutien inévitable aux opérateurs

Les pertes des opérateurs du programme 131 sont estimées pour les années 2020 à 2021 à 246,8 millions d'euros, somme à laquelle viennent s'ajouter les surcoûts induits par la gestion de la crise, estimés à 5,1 millions d'euros.

Ces pertes conséquentes - 251,9 millions d'euros - ont été compensées par les économies liées à la fermeture des établissements (135,3 millions d'euros) mais aussi par les dotations budgétaires accordées au sein des collectifs budgétaires et du Plan de relance (173,2 millions d'euros au total).

Perte et gains des opérateurs du programme 131 et mesures de soutien budgétaire entre 2020 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire.

a) Une reprise timide en 2022

L'exercice 2022 amorce une réelle reprise, avec un taux moyen de fréquentation des établissements concernés de 83 %. Ce taux reste cependant inférieur de 15 % à celui constaté avant le début de la crise sanitaire.

La direction générale de la création artistique a indiqué aux rapporteurs spéciaux que cette r elance était inégale selon les opérateurs et selon la programmation . Si la Comédie française affiche un taux de remplissage d'environ 90 %, le théâtre national de la Colline devrait atteindre à peine 50 % en fin de saison. L'Opéra national de Paris fait état de son côté de taux différents entre les productions lyriques (75 %) et chorégraphiques (92 %).

Cette reprise progressive témoigne d'un changement des comportements du public , enclin désormais à privilégier l'achat de billets pour des spectacles plus classiques et à effectuer ces achats au dernier moment au détriment de la formule de l'abonnement. La Philharmonie de Paris a ainsi enregistré une baisse de 25 % du nombre de ses abonnés, sans impact majeur pour autant sur sa fréquentation.

Deux éléments fragilisent encore la perspective d'un retour à la normale :

- la reprise de l'épidémie , la Comédie française a enregistré une perte de 0,16 million d'euros en septembre suite à l'annulation de plusieurs représentations ;

- la hausse des prix et ses incidences inévitables sur le pouvoir d'achat et le budget alloué aux sorties culturelles.

b) L'impact de la hausse des dépenses contraintes

La hausse des coûts de l'énergie devrait affecter directement l'équilibre des opérateurs. Le collectif budgétaire de fin de gestion 2022 prévoit ainsi une dotation supplémentaire de 5 millions d'euros (AE=CP), censée correspondre au 47 % d'augmentation des factures d'énergie enregistrée par les opérateurs en 2022.

Les surcouts pour 2023 étaient estimés lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2023 à 13 millions d'euros . (+ 131 % par rapport à 2022). Ce montant devrait être révisé à la hausse dans les prochaines semaines. Il ne sera pas intégralement compensé par la hausse de la dotation accordée aux opérateurs dans le présent projet de loi de finances, qui s'élève à 14,65 millions d'euros (AE=CP) qui intègrent notamment la mise en place de l'établissement public du Mobilier national (2,3 millions d'euros de mesures nouvelles) et l'appui spécifique à la Cité de la céramique - Sèvres et Limoges (1,4 million d'euros). Pour les 11 établissements dédiés au spectacle vivant, la majoration de la subvention pour charges de service public atteint 7,02 millions d'euros (AE=CP), dont 3 millions d'euros (43 %) sont dédiés au seul Opéra de Paris. À cette somme s'ajoutent 1,5 million d'euros supplémentaires (AE=CP) de dotation en investissement fléchés vers la Grande Halle de la Villette, la Comédie française et l'Opéra-comique, en vue notamment d'accélérer la transition écologique de ces établissements. Ainsi, la majoration de la dotation accordée à la Philharmonie de Paris de 1 million d'euros ne couvrira que la moitié du surcoût énergétique estimé (+ 2 millions d'euros en 2023) et qu'un sixième de l'impact de l'inflation (énergie, papier, prestataires de service, masse salariale).

Évolution des subventions pour charges de service public
versées aux opérateurs du programme 131

( en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Cette absence de compensation intégrale devrait induire une réduction des marges artistiques des établissements , la direction générale de la création artistique ayant indiqué aux rapporteurs spéciaux que celle-ci pourrait atteindre 30 % en 2023 et 50 % en 2024. La fermeture de certains opérateurs à la rentrée 2023 est une hypothèse crédible, faute de pouvoir produire certains spectacles.

La situation de l'Opéra national de Paris sera notamment suivie par les rapporteurs spéciaux. Le rebasage de la subvention accordée en 2023 ne permet pas de compenser la progression de son déficit au cours de l'exercice (18 millions d'euros contre 13,5 millions en 2022). Ce solde négatif existait déjà en 2018 (6,8 millions d'euros). Les mouvements sociaux puis la crise sanitaire ont accentué celui-ci. Le rapport de MM. Christophe Tardieu et Georges-François Hirsch, remis à la ministre de la culture fin 2020 préconisait la mise en oeuvre d'une nouvelle trajectoire financière pour l'établissement, matérialisée par l'abandon des grands projets d'investissements (troisième salle), la diminution de la masse salariale, la baisse des coûts de production (baisse du nombre de nouvelles productions, recours aux coproductions) et une réduction des coûts de fonctionnement avec pour objectif un recours à l'équilibre en 2025. Le nouveau projet stratégique présenté par l'opérateur en juin 2022 tend à aller dans ce sens. Reste que la hausse des dépenses contraintes pourrait remettre en question cet horizon. Les rapporteurs spéciaux souhaitent qu'elle ne serve pas de prétexte à un abandon de réformes nécessaires et un recours accru aux crédits de la tutelle. Il convient de rappeler à ce stade que la dotation accordée annuellement à l'Opéra national de Paris est trois fois supérieure à celle accordée à l'ensemble des 18 Opéras nationaux en régions (29 millions d'euros prévus).

c) Une majoration du financement des grands projets d'investissements des opérateurs

Le projet de loi de finances prévoit, en outre de dégager 14,45 millions d'euros supplémentaires en CP aux fins d'investissements dans des projets d'investissements majeurs. Les dépenses d'investissement spécifiques devraient, dans ces conditions, atteindre 64,87 millions en AE et 63,94 millions d'euros en CP.

9,45 millions d'euros sont orientés vers 5 projets :

- 5 millions d'euros seraient orientés vers le projet de rénovation complète de la salle Jean Vilar du théâtre national de la danse de Chaillot qui, lancé en 2021, est censé se poursuivre jusqu'en 2025. Il vise à remettre en conformité réglementaire l'ensemble des équipements de la salle principale du théâtre de Chaillot tout en améliorant le confort des spectateurs et la performance énergétique du bâtiment ;

- 2 millions d'euros supplémentaires devraient être dédiés au chantier de la Cité du théâtre. L'État et les établissements publics de la Comédie-Française, du Théâtre national de l'Odéon et du Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris sont désormais réunis dans un groupement d'intérêt public (GIP) mis en place fin 2019 pour assurer la maîtrise d'ouvrage des travaux de construction et d'aménagement ;

- 1,2 million d'euros seraient ciblés sur la poursuite du chantier de relocalisation du CNAP à Pantin. Le chantier a débuté en 2019 avec des études de maîtrise d'oeuvre. Le site de Pantin doit regrouper à terme, en un lieu unique, le siège de l'établissement ainsi que les réserves abritant les 100 000 oeuvres de la collection, tout en offrant des possibilités de mutualisation plus large des réserves du ministère, notamment pour celles du Mobilier national ;

- 1 million d'euros seraient affectés à la réfection du bâtiment Margot de la céramique de Sèvres et Limoges, dédié aux réserves des moules en plâtre ;

- 0,25 million d'euros financeraient la réfection des façades du Centre national de la danse.

Par ailleurs, 5 millions supplémentaires d'euros devraient permettre de financer les autres opérations d'investissement des opérateurs du programme.

Crédits de paiement prévus en 2023 pour les projets d'investissements spécifiques des opérateurs du programme 131

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

La préservation des outils des opérateurs fait figure de priorité aux yeux des rapporteurs spéciaux. Les dépenses d'investissement en ce sens doivent donc être appuyées. Ils rappellent cependant que le contexte inflationniste tend à fragiliser la prévision budgétaire. Par ailleurs, le risque de sous-consommation des crédits reste important au regard des retards constatés sur un certain nombre de chantiers, comme ceux enregistrés sur le projet de Cité du théâtre ou celui de la relocalisation du Centre national des arts plastiques.

Ils rappellent enfin le contre-exemple absolu qu'a pu représenter le chantier de la Philharmonie de Paris . La sous-évaluation initiale des coûts et les retards de chantier concomitants ont généré d'importants dépassements d'honoraires, sans que les responsabilités ne soient aujourd'hui clairement établies. Le coût a en effet été établi à 534,7 millions d'euros HT en mai 2016 (dont 210,98 millions d'euros pour l'État) par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France 8 ( * ) , le devis initial tablant sur une dépense de 173,1 millions d'euros HT, supportée à 45 % par l'État. Une bataille juridique s'est engagée, la Philharmonie de Paris demandant 170,6 millions d'euros aux ateliers Jean Nouvel, maîtres d'oeuvre du projet, en raison des retards constatés, la société ayant, en retour porté plainte auprès du Parquet national financier contre l'établissement public pour favoritisme et concussion. Le collectif budgétaire de fin de gestion 2022 prévoit d'ailleurs 5 millions d'euros en CP aux fins de financement des travaux complémentaires prévus dans le cadre de la transaction effectuée entre la Philharmonie de Paris et la société Ateliers Jean Nouvel (AJN). 10 millions d'euros avaient déjà été versés à l'occasion du collectif de fin de gestion 2021.

Cette expérience doit inspirer, en tout état de cause, la plus grande transparence en matière de choix de la maitrise d'oeuvre, de la maîtrise d'ouvrage mais aussi de la répartition des coûts entre acteurs publics. Les rapporteurs spéciaux seront, à ce titre, vigilants sur le projet de Cité du théâtre qui tend à opposer le ministère à la ville de Paris. Le chantier a pris 3 ans de retard et enregistre d'ores et déjà un surcoût de 15 millions d'euros, hors inflation, par rapport au devis initial, établi à 86 millions d'euros HT. Ce coût pourrait par ailleurs être majoré de 12 millions d'euros, somme demandée par la Ville de Paris pour autoriser l'installation du nouveau bâtiment. Les rapporteurs spéciaux rappellent à ce titre les conclusions de leur mission de contrôlée sur l'enseignement supérieur du spectacle vivant qui visait notamment ces travaux 9 ( * ) . Ils avaient ainsi souhaité que soit présenté à l'occasion du projet de loi de finances 2023 un projet actualisé pour la Cité du théâtre, intégrant les économies attendues face aux surcoûts mis en avant fin 2021, et présentant un calendrier précis de livraison des travaux et proposant une ou plusieurs alternatives au projet actuel. Ce document n'a pas été présenté.


* 7 Décret n° 2002-677 du 29 avril 2002 relatif à l'obligation de décoration des constructions publiques et précisant les conditions de passation des marchés ayant pour objet de satisfaire à cette obligation.

* 8 Construction de la « Philharmonie de Paris », exercices 2006 et suivants. Rapport d'observation définitive et ses réponses, chambre régionale des comptes d'Île-de-France, mai 2016 et La Philharmonie de Paris : une dérive préoccupante, Rapport d'information de M. Yann GAILLARD, fait au nom de la commission des finances du Sénat, n° 55 (2012-2013) - 17 octobre 2012.

* 9 Rapport d'information n° 501 (2021-2022) de MM. Vincent ÉBLÉ et Didier RAMBAUD, fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 février 2022.

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