DEUXIÈME PARTIE :
UNE AMBITION BUDGÉTAIRE BIENTÔT TEMPÉRÉE PAR LA PROGRESSION ANNONCÉE DES DÉPENSES CONTRAINTES ?

I. LE PROGRAMME 131 « CRÉATION » : D'UNE CRISE À L'AUTRE

Le programme 131 « Création » se décline en trois actions :

- l'action 01 dédiée au spectacle vivant, financée dans le projet de loi de finances pour 2023 à hauteur de 818,27 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 801,99 millions d'euros en crédits de paiement (CP) ;

- l'action 02, appelée à financer les arts visuels, serait dotée en 2023 de 130,0 millions d'euros en AE et 141,45 millions d'euros en CP ;

- l'action 06, créée en loi de finances pour 2020 orientée vers le soutien à l'emploi et la structuration des professions, verrait ses crédits atteindre 62,72 millions d'euros (AE = CP) en 2023.

Répartition des crédits de paiement prévus par le projet de loi de finances pour 2023 au sein du programme 131 « Création »

Source : commission des finances du Sénat

A. UNE DOTATION PORTÉE À PLUS D'UN MILLIARD D'EUROS

1. 70 millions d'euros de mesures nouvelles destinées à financer cinq priorités

Pour la première fois depuis sa création, les crédits prévus en loi de finances initiale pour le programme 131 devraient dépasser le milliard d'euros pour atteindre 1,011 milliard d'euros en AE et 1,006 milliard d'euros en CP. Les dotations sont ainsi majorées de 9,7 % s'agissant des AE (+ 89,2 millions d'euros) et 10 % en CP (+ 90,4 millions d'euros).

Corrigée de l'hypothèse d'inflation prévue en projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (4,3 %), la majoration des crédits en volume atteint 5,2 % en AE et 5,4 % en CP.

Cette progression intègre une mesure de transfert liée à la création de l'établissement public du Mobilier national. 20,35 millions d'euros (AE=CP) sont ainsi transférés en provenance du programme 224 « Soutien aux politiques du ministère ». Ces crédits visent la délégation de gestion du personnel du nouvel établissement public. Le présent projet de loi de finances prévoit ainsi une dotation de 30,87 millions d'euros pour cet ancien service à compétence nationale.

Hors mesure de transfert, la progression des crédits de paiement atteint donc 70 millions d'euros , répartie entre appui aux labels (16,5 millions d'euros), financement des politiques de l'emploi (15,7 millions d'euros), aide aux opérateurs (14,65 millions d'euros), soutien aux grands projets (14,45 millions d'euros) et poursuite du programme de commande publique développé initialement dans le cadre du Plan de relance (Les Mondes nouveaux - 10 millions d'euros).

2. Faut-il repenser le financement de la création artistique ?

Si la progression des crédits peut être, en première analyse, saluée dans un contexte de reprise délicate de l'activité, il est néanmoins possible de s'interroger, dans le même temps, sur l'absence de prise en compte des observations récentes de la Cour des comptes quant à la répartition des crédits . Dans un rapport publié en mai 2022, la Cour relevait en effet que l'État finançait un secteur qui lui échappait en partie, via une politique trop centrée sur l'offre et dont les résultats en matière de démocratisation et de diffusion se font attendre 5 ( * ) .

5 609 structures ont pourtant bénéficié d'une subvention en 2021 sur le programme 131 pour un montant total de 1,04 milliard d'euros dont :

- 5 106 structures dépendant des services déconcentrés, à hauteur de 421,8 millions d'euros ;

- 503 structures sur crédits centraux, à hauteur de 614,5 millions d'euros.

S'agissant de l'action de l'État en tant que telle, les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur l'articulation entre le ministère de la culture et un de ses opérateurs, le Centre national de la musique (CNM), créé en 2020. L'une de ses missions cible le soutien au spectacle vivant musical. Les crédits dévolus au CNM sont retracés au sein de la mission «Médias, Livre et industries culturelles ». Le programme 131 « Création » ne retrace donc qu'imparfaitement l'aide au secteur, ce qui pose une difficulté en vue d'une analyse globale de l'action de l'État.

Celle-ci semble, par ailleurs, brouillée tant par la multiplication des objectifs assignés (16 sous actions pour les actions 01 et 02) et des labels que, dans certains cas, par le caractère résiduel pour ne pas dire marginal qu'elle peut revêtir dans les territoires, où elle se résume à un financement complémentaire des politiques territoriales.

Répartition des aides aux labels et réseaux
dans le domaine du spectacle vivant en 2017

Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des Comptes

L'octroi de 16,5 millions d'euros de mesures nouvelles en faveur des structures labellisées prévues par le présent projet de loi de finances peut susciter, à cet égard, quelques interrogations. L'objectif affiché consiste à permettre la préservation de marges artistiques (soit la part des budgets dédiée à la création), via une consolidation des budgets. L'intention est louable. Elle ne présume pas pour autant d'une réflexion sur la pertinence de l'action de l'État en faveur de la création dans les territoires et pourrait s'apparenter à un renouvellement automatique des aides habituellement versées, à l'image d'une dépense de guichet. Les rapporteurs spéciaux peinent ainsi à déceler une véritable stratégie, alors que les inégalités entre territoires sont parfois criantes : 36 départements sont ainsi dépourvus d'une scène nationale.

Labels financés par le programme 131 en 2022

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Dans son rapport, la Cour des comptes rejoint par ailleurs le constat réalisé par la commission des finances du Sénat en 2018 s'agissant des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) 6 ( * ) . Dans son rapport de contrôle budgétaire, celle-ci avait mis en avant deux nécessités :

- celle de confier un véritable pilotage stratégique aux DRAC, notamment en ce qui concerne la gestion du programme 131 ;

- celle de moderniser les outils informatiques dévolus à ces directions ainsi qu'à la direction générale à la création artistique en vue de disposer d'une appréciation plus fine de la situation des établissements subventionnés et d'évaluer plus précisément l'efficience des financements accordés.

La Cour constate, s'agissant des outils informatiques (logiciels Etnos et SIL dédiées à la collecte des chiffres de fréquentation et de données financières), que leur déploiement n'a pas totalement abouti. En ce qui concerne les DRAC, elle note que la déconcentration des crédits n'a pas été accompagnée de marges de manoeuvre supplémentaires, l'interlocuteur clé pour les artistes restant le ministère.

Un changement de paradigme apparaîtrait dans ces conditions opportun, via une rationalisation des objectifs et une réorientation des financements.


* 5 Cour des comptes, Le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant, Rapport public thématique, mai 2022.

* 6 Projet de loi de finances pour 2019 : Mission Culture, Rapport général n° 147 (2018-2019) de MM. Vincent Éblé et Julien Bargeton, au nom de la commission des finances - 22 novembre 2018.

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