B. LES CRÉDITS DÉDIÉS À LA PRIME D'ACTIVITÉ ET L'AAH, QUI REPRÉSENTENT L'ESSENTIEL DES CRÉDITS DE LA MISSION, SERAIENT MARQUÉS PAR UN FORT DYNAMISME EN 2023

1. Le coût de la prime d'activité, qui permet de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes, dépasserait le seuil des 10 milliards d'euros
a) La prime d'activité avait constitué un puissant instrument de pouvoir d'achat pour répondre aux demandes exprimées par le mouvement des « gilets jaunes »

La prime d'activité , créée par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, a remplacé au 1 er janvier 2016 la part « activité » du revenu de solidarité active (RSA) ainsi que la prime pour l'emploi (PPE). Cette prime est versée aux personnes en activité professionnelle dont les ressources sont inférieures à un certain montant garanti - pour une personne célibataire sans enfant, ce montant est égal à environ 1 885 euros net par mois. Son montant est revalorisé automatiquement au 1 er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Formule de calcul de la prime d'activité

Le montant de la prime d'activité est calculé sur la base d'un montant forfaitaire variable en fonction de la composition du foyer (dont le nombre d'enfants à charge), auquel s'ajoutent les revenus professionnels pris en compte à hauteur de 61 % afin de favoriser l'activité . Pour mémoire, le montant forfaitaire de la prime d'activité s'élève à 586,23 euros (depuis le 1 er juillet 2022) pour un foyer composé d'une personne seule sans enfant.

Le montant forfaitaire de la prime d'activité peut être bonifié selon le salaire mensuel de chaque membre du foyer (moyenne sur les 3 derniers mois), à condition que ces revenus soient supérieurs à 653,13 euros . Le montant de la bonification est croissant à partir de ce montant. Il s'échelonne entre quelques euros, comme 26,30 euros pour un salaire net mensuel de 700 euros , et plus d'une centaine d'euros, comme 170,60 euros pour un salaire moyen supérieur à 1 328,40 euros . Au-delà de ce salaire, le montant de la bonification demeure constant.

La prime d'activité est ouverte aux jeunes actifs dès 18 ans , ainsi qu'aux étudiants et aux apprentis ayant perçu, au cours des trois derniers mois, un salaire mensuel supérieur à 78 % du SMIC. Elle a également été ouverte à compter du 1 er juillet 2016 1 ( * ) aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui travaillent en établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou en milieu ordinaire.

Les dépenses liées à la prime d'activité ont fortement augmenté à compter de 2019, le dispositif ayant constitué l'un des principaux vecteurs utilisés par le Gouvernement pour répondre à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». Par ailleurs, la communication qui a entouré la mise en oeuvre de cette réforme a conduit à augmenter le taux de recours de personnes déjà éligibles mais qui n'avaient pas sollicité la prime d'activité. Les effectifs ont connu une croissance très dynamique à partir de janvier 2019 et ce, jusqu'à mars 2020, sous l'effet de la mise en oeuvre de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité en application de la
loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales.

Les revalorisations de prime d'activité décidées
en 2018, 2019 et 2022

La prime d'activité a été revalorisée afin de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et particulièrement ceux rémunérés au Smic :

- le montant forfaitaire de la prime d'activité a été revalorisé de 20 euros à compter du 1 er août ;

- le montant maximal de la composante individuelle de la prime d'activité, le bonus, a été revalorisé de 90 euros à compter du 1 er janvier 2019, passant de 70,49 euros à 160,49 euros, en application du décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont supérieurs à 0,5 Smic, le montant du bonus est croissant jusqu'à 1 Smic où il atteint son point maximal. Il reste stable au-delà ;

- le montant forfaitaire de la prime d'activité a été revalorisé, à hauteur de 4 %, suite à la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat adoptée à l'été 2022. Cette hausse anticipée pour faire face à l'inflation fait suite à une précédente revalorisation à hauteur de 1,8 % à compter d'avril 2022. Ces deux revalorisations ont porté le montant de base du calcul de la prime d'activité à 563,68 euros puis 586,23 euros.

Tableau : Impact des mesures réglementaires de revalorisation de la prime d'activité
en masses financières, tous régimes

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Fin décembre 2021, près de 4,6 millions de foyers sont bénéficiaires de la prime d'activité, tous régimes confondus. Selon les dernières prévisions de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), les effectifs de foyers bénéficiaires se stabiliseraient sur la période 2022-2025.

Effectifs des bénéficiaires de la prime d'activité depuis 2016

(nombre de bénéficiaires)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

b) Un montant prévisionnel de 10,9 milliards d'euros en 2023, en forte hausse compte tenu de la dynamique sur le marché du travail

À sa mise en place en 2016, la prime d'activité présentait un bilan légèrement supérieur à 5 milliards d'euros de dépenses. En 2019, la hausse du nombre d'allocataires liée aux revalorisations du montant forfaitaire de la prime d'activité a conduit à une augmentation de la dépense à près de 9,8 milliards d'euros.

Selon les dernières prévisions de la CNAF, les masses financières versées au titre de la prime d'activité atteindraient ainsi plus de 10,1 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 2,3 % par rapport à 2021, pour l'ensemble des régimes et en France entière. Ainsi, pour la première fois, en 2022, les dépenses de prime d'activité pourraient dépasser le seuil des 10 milliards d'euros.

En PLF 2023, 10,9 milliards d'euros en AE et CP sont prévus au titre de ce dispositif, soit une hausse de 8 % par rapport à la prévision 2022.

Les dépenses augmenteraient jusqu'en 2025, dans un premier temps du fait de la dynamique de l'emploi salarié et via une accélération de l'évolution des barèmes liée à la reprise de l'inflation.

Évolution des crédits prévus et consommés au titre de la prime d'activité (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Il est à noter, au 1 er juillet 2022, une revalorisation anticipée des prestations (dont la prime d'activité) à hauteur de 4 % dans le cadre de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Le montant forfaitaire est passé de 563,68 euros à 586,23 euros . Les premiers travaux engagés entre la direction du budget et la DGCS indiquent une hausse de dépenses de prime d'activité de 190 millions d'euros en 2022 et de 660 millions d'euros en 2023 du fait des mesures de revalorisation à l'inflation.

2. L'AAH, qui permet de garantir un revenu minimum aux personnes en situation de handicap, poursuit sa dynamique dans un contexte marqué par sa « déconjugalisation »
a) Une dépense structurellement dynamique

L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est un minimum social versé, sous conditions de ressources, aux personnes handicapées de plus de vingt ans 2 ( * ) . Elle est subsidiaire par rapport à d'autres prestations, comme les pensions d'invalidité, les rentes d'accident du travail ou les avantages vieillesse. Elle peut se cumuler avec des ressources personnelles, y compris des revenus d'activité 3 ( * ) , dans la limite d'un plafond annuel, fixé à 11 480 euros pour une personne seule sans enfant depuis le 1 er juillet 2022 4 ( * ) (soit 956 euros par mois en prenant compte des revalorisations de 2022). Son montant est revalorisé automatiquement au 1 er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Afin de bénéficier de l'AAH, la personne handicapée doit être atteinte :

- soit d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % (« AAH 1 ») ;

- soit d'un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 %, et présenter une restriction substantielle et durable 5 ( * ) pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ne pouvant être compensée par des mesures d'aménagement du poste du travail (« AAH 2 »).

Ces conditions sont appréciées par les commissions départementales des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) après instruction par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Les dépenses d'AAH sont structurellement orientées à la hausse , en raison :

- des évolutions démographiques, avec le vieillissement de la population. Le risque de survenance d'un handicap et le taux de prévalence de l'AAH augmentent avec l'âge ;

- de la mise en oeuvre de différentes réformes favorables aux bénéficiaires de l'AAH, bien que celles-ci aient été modérées par d'autres mesures d'économies (voir infra ) ;

- du faible taux de sortie du dispositif pour l'AAH : seuls 7,7 % des bénéficiaires sont sortis en 2017 ;

- de l'extension du champ et de la reconnaissance du handicap, qui a joué un rôle non négligeable dans l'augmentation des dépenses d'AAH.

Ainsi, selon les dernières prévisions, le nombre de bénéficiaires progresserait de 28,5 % depuis 2012, pour s'établir à environ 1,28 million en 2021. Dans sa dernière note de prévision d'octobre 2021, la CNAF estimait la dépense d'AAH pour 2022 (en année pleine) à hauteur de 11,65 milliards d'euros et 12,05 milliards d'euros en 2023.

Depuis 2018, la dépense aurait ainsi connu une progression de 28 % pour s'établir à 12,05 milliards d'euros en 2023 selon les dernières estimations de la CNAF , avec un taux de croissance annuelle moyen de 4,9 %.

Croissance de la dépense d'AAH depuis 2018

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La revalorisation anticipée à hauteur de 4 % des prestations sociales au 1 er juillet 2022 prévue par la loi du 16 août 2022 a également été appliquée à l'AAH, représentant un surcoût par rapport aux revalorisations de droit commun de 192 millions d'euros en 2022 et 186 millions d'euros en 2023 . Le montant forfaitaire de l'AAH a ainsi augmenté au 1 er juillet 2022 de 36,79 euros, avec un gain moyen estimé par bénéficiaire de l'AAH d'environ 30,24 euros par mois.

Lors de l'examen du PLF pour 2022 rapporteurs spéciaux avaient porté sur le précédent quinquennat un bilan mitigé : en effet, la revalorisation significative du montant à taux plein de l'AAH, porté de 820 à 900 euros, qui représente une dépense de 3 milliards d'euros a été modérée par de discrets « coups de rabot », les conduisant à la conclusion qu'en matière d'AAH, l'État a tendance à « donner d'une main et reprendre de l'autre » 6 ( * ) . Il s'agit en particulier de :

- la réforme du plafond de ressources pour les bénéficiaires de l'AAH en couple , traduisant un rapprochement des règles de prise en compte des revenus d'un couple à l'AAH avec celles d'un couple au RSA ;

- la disparition du complément de ressources au 1 er janvier 2020 . Ce complément de ressource - d'un montant de 179 euros mensuel - était versé à près de 67 000 bénéficiaires. Il bénéficiait aux personnes handicapées qui ont un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %, qui reçoivent une allocation à taux plein et vivent dans un logement indépendant (sans percevoir d'aide au logement) et qui ont une capacité de travail inférieure à 5 % ;

- la sous-indexation de la revalorisation légale annuelle de l'AAH par rapport à l'évolution des prix en 2019 et en 2020, limitée à 0,3 % en lieu et place de l'indexation sur l'inflation. Cette mesure a permis de générer en 2019 et en 2020 une économie de 100 millions d'euros.

Ces mesures sont destinées à modérer l'impact budgétaire de la revalorisation, absorbant in fine plus du tiers de la hausse des dépenses qu'elle aurait spontanément provoquées (voir tableau infra ). Selon les caractéristiques des bénéficiaires, elles peuvent avoir pour effet d'en atténuer considérablement la portée.

Estimation de l'impact budgétaire des mesures positives et négatives
prises ou proposées sur 2018-2022 en matière d'AAH

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

2021

2022

Total
2018-2022

Mesures positives

52

648

775

775

1 152

3 402

Revalorisation plafond

52

648

775

775

775

3025

Abattement forfaitaire revenus du conjoint

185

185

Revalorisation anticipée au 1 er juillet 2022

192

192

Mesures négatives

- 10

- 250,5

- 375,7

- 275,7

- 275,7

- 1 187,6

Réforme plafond de ressources couples

- 10

- 150

- 270

- 270

-270

- 970

Suppression complément de ressources

- 0,5

- 5,7

- 5,7

-5,7

- 17,6

Sous-indexation revalorisation légale

-100

- 100

- 200

Bilan

42

397,5

399,3

499,3

876,3

2 214,4

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

b) Un exercice marqué par la mise en oeuvre de la « déconjugalisation » de l'AAH

L'exercice 2023 sera enfin marqué par la mise en oeuvre de la « déconjugalisation » de l'AAH en application de l'article 10 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Cette mesure implique d'exclure les revenus du conjoint des ressources prises en compte pour déterminer l'éligibilité et le cas échéant le montant de l'AAH.

Celle-ci doit être mise en oeuvre à une date fixée par un décret, et au plus tard le 1 er octobre 2023, son entrée en vigueur dès le début de l'année se heurtant à des obstacles techniques importants. Auditionné sur ce point par les rapporteurs spéciaux, la DGCS a en effet indiqué que l'ensemble des systèmes d'information relatifs aux prestations sociales étaient à ce jour fondés sur une logique familialisée et que la mesure impliquait à cet égard d'importants travaux d'adaptation.

Son coût est évalué à 93 millions d'euros pour le dernier trimestre 2023 puis 400 millions d'euros en année pleine . La possibilité ouverte par la loi précitée aux ménages déjà bénéficiaires de l'AAH et qui « perdraient » à la mise en oeuvre de la mesure (soit dans le cas où les revenus du conjoint seraient inférieurs à ceux du bénéficiaire) d'opter pour le maintien du mode de calcul antérieur représenterait quant à elle un coût estimé à 160 millions d'euros , portant le coût global du dispositif à 560 millions d'euros en année pleine . La mesure devrait permettre à 160 000 ménages de voir leur AAH augmenter de 300 euros en moyenne , dont 80 000 nouveaux bénéficiaires .

Demandée de longue date par les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap - mais également par le Sénat 7 ( * ) , la mesure est pleinement soutenue par les rapporteurs spéciaux qui relevaient dans leur rapport relatif au PLF pour 2022 qu'elle « témoignerait de la pleine reconnaissance de la spécificité du public ciblé par l'AAH, qui, en raison de son montant et de ses conditions d'accès plus favorables, ne saurait être regardée comme un minimum social comme un autre. Elle permettrait de clarifier la nature du dispositif en faisant de l'AAH une véritable prestation de compensation de l'éloignement de l'emploi provoqué par le handicap, et d'accès à l'autonomie. En risquant d'accroître la dépendance de la personne handicapée aux revenus de son conjoint, la conjugalisation constitue en effet un frein à cette logique d'autonomie » 8 ( * ) .

Il est regrettable qu'il ait fallu tant d'années au président de la République pour soutenir la mise en oeuvre de cette mesure de justice, qui semble lui avoir été « arrachée » à la faveur de la campagne présidentielle.

3. La prime d'activité et l'AAH représentent plus des trois quarts des crédits de la mission

À elles seules, la prime d'activité (10,9 milliards d'euros) et l'AAH (12,05 milliards d'euros) représentent à elles seules plus des trois quarts des crédits demandés pour la mission en PLF 2023 (76,9 %).

Part de la prime d'activité et de l'AAH
dans les crédits demandés pour la mission en PLF 2023 (CP)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat


* 1 À compter rétroactivement du 1 er janvier 2016.

* 2 Ou plus de 16 ans pour un jeune qui n'est plus considéré à la charge des parents pour le bénéfice des prestations familiales .

* 3 Les modalités de cumul de l'allocation avec des revenus d'activité sont précisées par le décret n° 2010-1403 du 12 novembre 2010, et visent à encourager l'accès durable à l'emploi : pendant six mois au maximum à compter de la reprise d'un emploi, puis partiel sans limite dans le temps.

* 4 Ce plafond est multiplié par 1,81 pour un couple et majoré de 50 % par enfant à charge.

* 5 Elle est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à partir du dépôt de la demande.

* 6 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 163 (2021-2022) fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021.

* 7 La proposition de déconjugalisation de l'AAH avait fait l'objet de la première pétition à recueillir plus de 100 000 signatures sur la plateforme dédiée du Sénat en février 2021. L'atteinte de ce seuil avait ainsi entraîné l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale des députés Jeanine Dubié, Charles de Courson, Yannick Favennec et plusieurs de leurs collègues, ce qui a conduit le Sénat à adopter une disposition tendant à la déconjugalisation de l'AAH en première lecture le 9 mars 2021.

* 8 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 163 (2021-2022) fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021.

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