EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 octobre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Claude Raynal , président . - Nous examinons à présent les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » . - Nous vous présentons ce matin, avec Éric Bocquet, nos principales observations sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Dans un second temps, nous vous présenterons également les principales conclusions du contrôle budgétaire que nous avons mené cette année, portant sur la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

Le projet de loi de finances pour 2023 propose d'ouvrir 30 milliards d'euros en autorisations d'engagements (AE) et en crédits de paiement (CP) au titre de la mission. Cela représente une hausse conséquente de plus de deux milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, soit environ 8 %, qui s'explique principalement par l'indexation à l'inflation du montant des prestations sociales financées par la mission, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et la prime d'activité, auxquelles il faut désormais ajouter le RSA dans les départements où son financement a été recentralisé. À elles seules, ces prestations représentent plus des trois quarts des crédits de la mission.

M. Éric Bocquet , rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » . - Nous nous sommes intéressés à la dynamique importante des crédits de la mission depuis 2019. Si nous tirons le bilan de la période récente, nous constatons que chaque année, depuis 2019, des enveloppes supplémentaires ont été ouvertes en urgence sur la mission. D'abord, en réaction au mouvement dit des gilets jaunes, avec une majoration de la prime d'activité, qui représente un coût pérenne pour l'État d'environ 4,4 milliards d'euros par an. Ensuite, pendant la crise sanitaire, avec le versement au printemps puis à l'automne 2020 de deux aides exceptionnelles de solidarité en faveur des bénéficiaires des minima sociaux et des aides au logement, d'un montant de 150 euros avec une majoration de 100 euros par enfant à charge et représentant un coût de près de 2 milliards d'euros.

Enfin, en réaction à la forte accélération de l'inflation qui fragilise considérablement le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus modestes, deux nouveaux dispositifs d'urgence ont successivement été financés sur la mission. D'abord l'indemnité inflation fin 2021, qui cumule le défaut d'une aide à la fois limitée - 100 euros -, très peu ciblée - elle s'adresse à toutes les personnes percevant moins de 2 000 euros de revenus mensuels sans considération des revenus du foyer -, et très coûteuse pour le budget de l'État : 3,8 milliards d'euros, dont 3,2 milliards d'euros financés par la mission. Plus récemment, en LFR 2022, une aide exceptionnelle de rentrée de 1,2 milliard d'euros a ensuite été votée.

Nous avons dans cette commission, assurément, des visions très divergentes de la politique économique et budgétaire. Je pense cependant que nous pourrons tous nous accorder sur un point : cette politique du chèque ne constitue pas une politique sociale. Elle aide uniquement les plus pauvres de nos concitoyens à passer le mois, sans leur donner la moindre perspective, et ne résout en rien le problème de fond. Le budget de la mission ne peut pas, à lui seul, absorber des chocs sociaux qui trouvent leur racine dans nos fragilités structurelles. Je pense, en particulier, à la faiblesse des salaires.

Il y a certes des points positifs dans ce budget, tels que la déconjugalisation de l'AAH prévue à compter du 1 er octobre 2023. Cette mesure était très attendue. On ne peut que regretter le temps perdu avant que cette réforme ne soit enfin arrachée au Gouvernement à la faveur de la campagne présidentielle.

Je m'en remettrai pour ma part à la sagesse de la commission quant à sa position sur l'adoption des crédits.

M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Je souhaite évoquer le budget de l'aide alimentaire. Cette politique ne représente qu'une faible part des crédits de la mission, avec 117,2 millions d'euros inscrits au PLF 2023, mais le sujet est crucial dans la période actuelle. En 2020, année marquée par la crise sanitaire, on estimait que 5,6 millions de personnes avaient fait appel à l'aide alimentaire. Le problème s'intensifie, car l'inflation très forte sur les produits alimentaires fragilise considérablement nos concitoyens les plus modestes.

La situation est également préoccupante pour les associations d'aide alimentaire. Celles-ci sont victimes d'un effet ciseaux entre un afflux de demandes qui ne faiblit pas et des moyens de plus en plus contraints. D'abord, l'envolée des prix de l'électricité alourdit fortement leurs charges de fonctionnement, tandis que la hausse des prix des carburants affecte les bénévoles se rendant sur les sites de distribution. Surtout, les tensions mondiales sur les marchés agroalimentaires sont à l'origine de nombreux lots infructueux dans les marchés passés pour leur compte par FranceAgriMer pour l'achat de denrées.

Ces achats sont en principe éligibles à un remboursement par l'Union européenne dans le cadre du FSE +. En pratique, les contrôles effectués en la matière sont si pointilleux qu'une partie significative des produits achetés est finalement déclarée inéligible au remboursement. Ce phénomène est désigné sous le terme délicieusement technocratique d'auto-apurement. La simplification des procédures est absolument indispensable. Cela fait maintenant plusieurs années que nous lançons l'alerte sur le sujet.

Dans ce contexte, il est indispensable de prendre des mesures de soutien efficace. À cet égard, nous nous félicitons que ce PLF prévoie de renforcer de 60 millions d'euros les crédits de l'aide alimentaire. Nous avons cependant des divergences quant à la méthode retenue puisque cette enveloppe est destinée à la création d'un fonds pour les nouvelles solidarités alimentaires afin de financer des projets de transformation des structures en liant lutte contre la précarité alimentaire et soutien aux filières agricoles durables. Cela constitue une issue au débat qui a eu lieu à la suite de la Convention citoyenne pour le climat autour de l'introduction d'un chèque alimentaire, proposition que nous ne soutenons pas, car elle tourne le dos au modèle associatif français fondé sur le couplage de l'aide alimentaire et de l'accompagnement social. Nous considérons qu'il conviendrait de se montrer davantage pragmatique et d'utiliser cette enveloppe nouvelle pour soutenir directement le fonctionnement des structures, voire pour compenser de possibles lots infructueux, dans l'esprit de l'enveloppe de 40 millions d'euros qui avait pu être adoptée cette année en LFR sur une initiative de notre rapporteur général.

Pour le reste, je m'associe pleinement au constat dressé à l'instant par Éric Bocquet. Ce sont les revenus du travail qui permettent de sortir de la pauvreté et non des chèques distribués par l'État de temps à autre.

Néanmoins, en responsabilité et afin d'assurer le financement de la prime d'activité et de l'AAH, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.

M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Nous allons passer maintenant aux principales conclusions de notre contrôle budgétaire sur la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 par le Gouvernement, qui s'est déclinée localement par une contractualisation entre l'État et les départements, pour le cofinancement de projets relevant de leurs compétences d'action sociale, donnant naissance aux conventions d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi (Calpae). La démarche a ensuite été étendue aux métropoles puis aux régions, avec moins de succès. Si l'on peut se féliciter des moyens nouveaux octroyés dans ce cadre aux départements, il nous semble important de rappeler que la mise en place d'un tel dispositif n'aurait pas été nécessaire si les départements avaient pu bénéficier d'une réelle compensation financière par l'État de l'exercice de leurs compétences sociales.

La contractualisation a porté sur deux volets : le premier correspond à des objectifs socles relevant de la stratégie pauvreté tandis que le second est dédié à des initiatives locales décidées par le département. Des tensions s'étaient d'emblée fait ressentir sur la question des indicateurs de performance nationaux adossés à ces contrats, trop nombreux, mal adaptés aux services d'information des départements, et dont la définition n'a pas fait l'objet d'une réelle concertation avec l'Association des départements de France. Il faut également rappeler que les Calpae apportent des financements utiles, mais marginaux au sein des budgets départementaux, même si leurs crédits annuels sont passés de 78 à 178 millions d'euros sur la période 2019-2021.

Il est encore trop tôt pour réellement évaluer l'impact des Calpae. Néanmoins, nous avons pu, à l'occasion d'un déplacement en Seine-Saint-Denis, constater le financement de projets tout à fait remarquables et innovants en faveur de l'inclusion dans l'emploi et de l'accès aux droits de publics en difficulté. Nous avons rencontré une équipe mobile de protection maternelle et infantile (PMI) chargée d'accompagner partout dans le département des femmes enceintes en difficulté dans l'ensemble de leurs démarches. Nous avons également visité deux associations innovantes. La première se concentrait sur la levée des freins périphériques à l'emploi. La seconde accomplissait un remarquable travail d'accompagnement vers l'emploi fondé en assurant une médiation entre les personnes en recherche d'emploi et les employeurs. Il faut saluer le dévouement admirable des acteurs mobilisés. Tous ont souligné l'utilité des financements Calpae.

M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Si nous devions tirer quelques enseignements en vue d'une prochaine génération de contrats, ils pourraient se résumer en trois axes.

Tout d'abord, il faut mieux anticiper et développer la concertation. La conclusion dans la précipitation des contrats en 2019, puis la nécessité de les proroger d'un an par deux fois en 2022 et 2023 attestent d'une forme de manque d'anticipation de la part de l'administration. Il faudrait accorder un temps suffisant à la concertation sur les modalités concrètes de mise en oeuvre des contrats et en particulier sur la question des indicateurs.

Ensuite, il convient d'assouplir la gestion des contrats. Le caractère annualisé des enveloppes calculées sur la base des résultats obtenus en année N-1 ne permet pas aux collectivités de connaître le montant dont elles disposeront au deuxième trimestre de l'année N. Un engagement pluriannuel sur les montants annuels de financement doit être privilégié. Il faut également laisser davantage de place aux initiatives locales, auxquelles ne sont aujourd'hui qu'une fraction minoritaire des enveloppes.

Enfin, il faut rationaliser le paysage contractuel. L'exécution des Calpae a été marquée par la multiplication de dispositifs analogues. À défaut d'un contrat unique, il faudrait au minimum articuler leurs objectifs et harmoniser leur calendrier.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je suis également favorable à l'adoption des crédits, en dépit des remarques formulées par nos rapporteurs. En PLFR, il a fallu, pour tenir compte des difficultés qu'elles rencontraient, soutenir les associations d'aide alimentaire à hauteur de 40 millions d'euros. Je souscris aux propos des rapporteurs sur l'importance de préserver notre système associatif, reposant sur des bénévoles qui manifestent au quotidien leur engagement et leur solidarité, et assurent un contact humain et de la proximité.

Sur les Calpae : les collectivités, en lien avec l'État, mettent des moyens supplémentaires au bénéfice de la politique de lutte contre la pauvreté. L' « inflation » des actions lancées correspond certes à l'importante variété des besoins en la matière, mais les collectivités et les opérateurs concernés risquent parfois de se perdre dans ce maquis de dispositifs. La proposition de simplification des rapporteurs est à cet égard bienvenue, mais quel serait le chef de file ? Quelle proposition de gouvernance formuleriez-vous ?

M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Notre constat est celui d'une forte adhésion des départements. Ils seraient les mieux placés pour assurer le rôle de chef de file - à condition de recevoir les ressources financières nécessaires -, en raison de leur proximité et de leur réactivité, en lien avec les associations, qui font preuve d'un grand engagement et d'une grande efficacité.

M. Rémi Féraud . - Ce budget est très politique. Les rapporteurs ont montré les conséquences budgétaires des choix faits. Quoi que l'on pense de la politique des chèques, une seule promesse du candidat Macron est assurée de ne pas être tenue : celle d'instaurer un chèque alimentaire. Il est abandonné sans discussion.

Les rapporteurs indiquent une augmentation des crédits de 8 %. Dans ce contexte, quel serait le cadre pour renouveler la « politique des chèques » de 2022 ? Les crédits demandés permettent-t-ils la mise en place d'un nouveau chèque de rentrée scolaire pour faire face à l'inflation ou un projet de loi de finances rectificative serait à nouveau nécessaire ?

Quel est le coût de la recentralisation du RSA en Seine-Saint-Denis ?

Les accords entre banques alimentaires et filières agricoles locales existent déjà. Ils sont une bonne idée. J'ai le sentiment que les rapporteurs n'y sont pas favorables. Pourquoi ? Si ce n'est qu'une possibilité, pourquoi s'y opposer ?

Mme Christine Lavarde . - Merci aux rapporteurs pour leur présentation équilibrée. Notre commission ne regrettera pas l'abandon du chèque alimentaire, au vu de ce que nos travaux ont montré sur son coût potentiel et le manque de préparation !

Nos rapporteurs ont comparé le budget pour 2023 au budget initial pour 2022, mais beaucoup de crédits ont été ajoutés au cours de l'année. Si l'on compare le budget pour 2023 avec le budget exécuté en 2022, on constaterait une quasi-stabilité. De nouvelles ouvertures de crédits sont-elles prévues en PLFR de fin de gestion pour 2022, ce qui augmenterait encore le budget de 2022 ?

Quel est l'impact de la revalorisation anticipée des allocations décidée en juillet ?

M. Jérôme Bascher . - Je suis effaré par les chiffres annoncés : la dotation annuelle pour l'aide alimentaire diminuerait de 12 % d'ici 2027 en termes réels. Sur quels chiffres de l'inflation sont-ils basés ? On a l'impression que l'inflation est supérieure sur l'alimentaire. Dans ces conditions, le chiffre de 12 % ne constitue-t-il pas une sous-estimation ?

Le chèque individuel est très efficace du point de vue électoral. Je suis moins sûr qu'il le soit du point de vue de l'accompagnement social ! Il me paraît plus judicieux de passer par les associations locales, qui repèrent les personnes qui en ont besoin et peuvent également apporter des conseils pour améliorer leurs habitudes de consommation alimentaire. Il est dommage de se passer d'elles et de leur rôle de cohésion, alors qu'on les subventionne par ailleurs, notamment par des crédits d'impôts.

L'État doit-il donner directement ou ne devrait-il pas s'appuyer davantage sur les collectivités locales ? Évidemment, la pauvreté n'est pas la même en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine.

M. Marc Laménie . - L'AAH représenterait un coût de 12 milliards d'euros en 2023. Son montant évolue-t-il ? Il manque toujours des places dans les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) et dans les entreprises adaptées.

Je souscris aux constats des rapporteurs quant à la situation difficile de certains départements en raison de la charge des allocations de solidarité et de la faiblesse des compensations perçues.

M. Pascal Savoldelli . - Au-delà du débat autour du chèque alimentaire, on devrait inventer une sécurité sociale alimentaire. Le problème est structurel. L'accès à une quantité de nourriture suffisante est primordial, mais la question du bien manger doit également être posée.

Les rapporteurs spéciaux évoquent l'effort national et européen sur l'aide alimentaire dans le cadre du FSE + et les menaces qui pèsent sur l'approvisionnement des associations. Lors des entretiens de Rungis, plusieurs associations dont les Restos du Coeur et le Secours populaire se sont alarmées d'une baisse de 50 % des dotations européennes. Ce serait catastrophique. Qu'en pensent nos rapporteurs spéciaux ?

Mme Isabelle Briquet . - Merci aux rapporteurs, en particulier pour leur focus sur l'aide alimentaire. Pourquoi sont-ils défavorables au lien entre aide alimentaire et soutien aux filières agricoles ? Certains projets fonctionnent très bien, entre des banques alimentaires et des producteurs locaux, dont certains voient leurs produits refusés par les grandes surfaces. Bien sûr, il ne faut pas créer de conditionnalité, mais ce peut être une démarche gagnant-gagnant, en permettant aux associations d'obtenir de qualité et donner des débouchés à certains petits producteurs.

M. Michel Canévet . - Quelle est l'évolution globale des dépenses des départements en matière de RSA ? Si la situation de l'emploi s'améliore, ils pourraient dégager des moyens pour d'autres politiques, en réalisant des économies sur le RSA.

Les associations d'aide alimentaire craignent la hausse de leur facture énergétique, alors que le respect de la chaîne du froid est absolument nécessaire. Des crédits sont-ils prévus pour les accompagner sur ce point ?

Tous les départements sont-ils signataires de conventions relatives à la lutte contre la pauvreté ? Aborde-t-on bien les questions de logement en lien avec les questions de pauvreté ou déplore-t-on, comme souvent, un fonctionnement en silo sur ces questions-là ?

M. Patrice Joly . - En 2020, la prime d'activité a été perçue par 4,5 millions de foyers. Quelque 10,8 millions de personnes ont reçu l'aide exceptionnelle de solidarité ; 38 millions ont reçu la prime d'inflation ; 5,6 millions de personnes fréquentent les associations d'aide alimentaire. Pas moins de 15 % de la population, soit 10 millions de personnes, sont concernées par la pauvreté.

La polémique sur la rémunération du travail pose la question de la répartition de la valeur. Cela a été mis en exergue par M. Pouyanné, président-directeur général de Total, dénonçant les affres subies par sa rémunération, passée de six millions d'euros à trois millions d'euros, pour se rétablir, à nouveau cette année, à six millions d'euros.

M. Sébastien Meurant . - Quel est le rôle des caisses d'allocations familiales (CAF) dans le versement des différentes aides ?

M. Claude Raynal , président . - La « politique des chèques » ne me pose pas de difficulté particulière, du moins à court terme. Elle correspond à un besoin précis à un moment précis, mais elle ne peut répondre, il est vrai, aux enjeux de fond que sont l'emploi, les salaires, etc.

L'action du secteur caritatif est utile, mais elle ne saurait être qu'un complément, et non constituer une politique en tant que telle. Il est bon que la population sache que c'est l'État qui lui vient en aide. La DGFiP a montré qu'elle était capable de payer les chèques relativement vite, alors que ce n'est pas sa vocation initiale.

Je suis plus inquiet en ce qui concerne la prime d'activité. Ce dispositif vise à faire en sorte finalement que la rémunération soit à la hauteur du travail fourni : cela signifie qu'il n'y a plus d'équilibre entre la production fournie par le travail et sa rémunération. Est-il normal qu'un travail qui a une utilité sociale et répond aux besoins d'une clientèle ne soit pas rémunéré à sa juste valeur ? Le déséquilibre semble s'accroître. Cela m'inquiète quant à la manière dont on conçoit le travail et les idées de juste rémunération et d'autonomie.

M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Je ne peux que partager vos propos sur la prime d'activité comme symptôme de l'insuffisance de la rémunération par le salaire. Il ne faut pas perdre de vue que, compte tenu de notre niveau de déficit, ce complément de salaire versé par l'État est payé à crédit au détriment des générations futures.

Certes la politique du chèque peut répondre à un besoin ponctuel, mais elle semble s'installer dans la durée depuis plusieurs années. Cela devient problématique.

Nous avons exprimé nos réticences à remplacer le système de l'aide alimentaire existant par un chèque alimentaire : les associations mettent en avant l'accompagnement social qui est lié aux distributions alimentaires ; elles soulignent aussi l'engagement des bénévoles. Certains pays européens ont fait des choix différents avec la distribution de chèques alimentaires, mais nous restons pour notre part attaché à notre modèle français, qui a des vertus de cohésion sociale beaucoup plus fortes., Ce système est aujourd'hui menacé par la hausse du coût de l'énergie, alors que les besoins des associations en la matière sont très importants, notamment au vu de la nécessité de faire fonctionner les chambres froides, par l'inflation sur les denrées alimentaires, et par le phénomène de lots infructueux dans le cadre des appels d'offres de France AgriMer. C'est pourquoi nous plaidons pour davantage de souplesse dans l'utilisation du fonds doté de 60 millions d'euros : nous ne sommes pas opposés par principe à un tel fonds pour de nouvelles solidarités alimentaires, organisées autour des filières et des circuits courts, mais cela passe en pratique par des appels à projets, un fonctionnement bureaucratique, des capacités de traitement locales, etc. Bref cela entraîne des délais ; or l'urgence est que les associations puissent payer leurs factures, acheter des denrées pour compenser les lots infructueux. Nous devons donc faire preuve de pragmatisme.

M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Nous sommes d'accord sur ce point. L'annonce de la création d'un fonds de 60 millions d'euros pour les nouvelles solidarités alimentaires est plutôt une bonne nouvelle, mais les associations ont besoin d'une aide urgente. Nous n'avons pas d'opposition de principe au développement des circuits courts entre les associations d'aide alimentaires d'un territoire et les producteurs locaux, mais il faudrait simplifier le dispositif.

Monsieur Bascher, vous avez raison d'être inquiet pour l'évolution de la dotation pour l'aide alimentaire ; avec une inflation de 6 % aujourd'hui, on peut s'attendre à une baisse en termes réels importante, probablement supérieure à 12 % sur 5 ans. On doit s'attendre à des problèmes très rapidement.

M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Si une nouvelle politique de chèques en 2023 devait avoir lieu, il faudrait une loi de finances rectificative, car rien n'est prévu dans le PLF actuellement. Madame Lavarde, la comparaison des budgets que nous vous avons présentée a été faite « à périmètre constant » entre la loi de finances initiale pour 2022 et le projet de loi de finances pour2023, et n'inclue donc pas les crédits votés en loi de finances rectificative pour l'aide exceptionnelle de rentrée.

La recentralisation du RSA représente un montant de 1,5 milliard d'euros, mais l'État reprend parallèlement des crédits aux départements en fonction de la moyenne des dépenses des trois années antérieures. La situation des départements pour le RSA est très variable. La recentralisation a surtout été envisagée pour les départements où le reste à charge était trop important : Mayotte, La Réunion ou la Guyane. Une expérimentation a aussi été lancée en Seine-Saint-Denis et dans les Pyrénées-Orientales, qui étaient volontaires. Dans l'ensemble, les dépenses pour le RSA sont plutôt stables, après une période de forte croissance les années passées.

Pour l'aide alimentaire, ce sont surtout les associations qui sont à la manoeuvre, en lien éventuellement avec les centres communaux d'action sociale (CCAS) ; certaines communes s'efforcent de nouer des partenariats intelligents entre leur CCAS et les associations, comme le Secours populaire, les Restos du Coeur, le Secours Catholique, etc., afin de cibler tous les publics.

Pascal Savoldelli a évoqué un risque de baisse des dotations européennes, mais nous n'avons rien entendu de tel. Les associations se plaignent aussi de la croissance des exigences bureaucratiques, car la loi dite « séparatisme » impose désormais aux associations qui reçoivent des dons en nature de les évaluer, ce qui comporte un risque d'erreur, tandis que la charge de travail pour les bénévoles augmente.

La perspective de manquer de denrées est réelle en raison des appels d'offres infructueux de FranceAgriMer. L'organisme s'efforce de passer des marchés pluriannuels, mais l'exercice est rendue périlleux par la situation internationale actuelle, avec des tensions importantes sur certaines denrées. Cela plaide pour du pragmatisme dans l'usage du fonds de 60 millions d'euros, car il n'est pas envisageable que les associations se trouvent à court de denrées. Aucun crédit n'est prévu actuellement pour aider les associations à surmonter la hausse de l'énergie.

Vous avez raison quant au fonctionnement en silo du dispositif de prévention de la pauvreté : oui, il faudrait simplifier, en confiant un rôle central au département, que de multiplier les dispositifs.

Marc Laménie, la mission finance la garantie de ressources des personnes accueillies en ESAT, mais la politique ESAT en elle-même ne relève pas de la mission. La situation des départements en fonction du poids de leurs dépenses sociales est là aussi très hétérogène. On peut s'inquiéter en raison du retournement du marché immobilier, car les recettes des départements en dépendent beaucoup.

M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Les dépenses d'AAH ont augmenté de près de 30 % entre 2018 et 2023. En réponse à la question de Sébastien Meurant, ce sont bien les CAF qui versent toutes les prestations financées par la mission.

Le montant forfaitaire de la prime d'activité est passé de 563,68 euros à 586,23 euros. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) estime que la hausse des dépenses sera de 190 millions en 2022, tandis que le coût total des revalorisations, notamment anticipées, atteindrait 660 millions d'euros l'an prochain.

Pour l'AAH, le montant forfaitaire est passé de 919,86 euros à 956,65 euros - les associations répètent que cela demeure inférieur au seuil de pauvreté. Le gain moyen par bénéficiaire est de 30,24 euros par mois. La DGCS évalue le surcoût par rapport aux revalorisations de droit commun à 192 millions cette année, et 186 millions d'euros l'an prochain.

L'impact budgétaire total des revalorisations de l'AAH, de la prime d'activité et du RSA est estimé à 1,6 milliard d'euros en 2023. Il explique en grande partie la hausse des crédits demandés en 2023.

M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Nous notons depuis quelques années un effort de sincérisation budgétaire. Les hausses ont été prises en compte dans le budget.

Je rappelle mon avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Je m'en remets pour ma part à la sagesse de la commission et m'abstiendrai à titre personnel.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen définitif de l'équilibre, des missions, des budgets annexes, des comptes spéciaux et des articles rattachés de la seconde partie.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Réunie le 26 octobre, la commission des finances a adopté, sans modification, les crédits de la mission. En application de l'article 49-3 de la Constitution, les crédits de la mission sont considérés avoir été adoptés tels que modifiés par trois amendements de crédits par l'Assemblée nationale ; un nouvel article rattaché - l'article 46 quater - a également été ajouté.

Après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, les rapporteurs spéciaux, MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, proposent de confirmer l'adoption sans modification des crédits de la mission.

L'article 46 quater autorise, à titre transitoire, un report de l'application du principe de parité totale entre les départements et l'État pour le financement du futur groupement d'intérêt public (GIP) « France enfance protégée », qui aurait pour conséquence l'augmentation de la contribution financière des départements par rapport à celle qui était versée au titre de l'ancien GIP « Enfance en danger ».

Il s'agit d'un dispositif favorable aux départements, ce qui conduit les rapporteurs spéciaux à proposer d'adopter l'article sans modification.

Après avoir pris acte des modifications considérées comme adoptées par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Elle a également proposé d'adopter sans modification l'article 46 quater.

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