II. UNE HAUSSE SIGNIFICATIVE DES DÉPENSES DE PERSONNEL, QUI DOIT IMPÉRATIVEMENT S'ACCOMPAGNER D'UNE AUGMENTATION AU MOINS PROPORTIONNELLE DES CRÉDITS DE FONCTIONNEMENT ET D'INVESTISSEMENT

A. UNE HAUSSE SIGNIFICATIVE DES DÉPENSES DE PERSONNEL EN 2023 EN LIEN AVEC LA POURSUITE DE LA HAUSSE DES EFFECTIFS ET LES NOUVELLES MESURES CATÉGORIELLES

Le présent projet de loi de finances poursuit et renforce la trajectoire de hausse des dépenses de personnel constatée sur les précédents budgets, de 4,96 % pour la police nationale et de 6,91 % pour la gendarmerie nationale , en AE et en CP, et de 5,8% en cumulant les deux programmes.

La hausse des dépenses de personnel atteint, en AE et en CP, 511,9 millions d'euros pour la police nationale (dont environ 141 millions au titre de la contribution au CAS « Pensions ») et 539,7 millions d'euros pour la gendarmerie nationale (dont environ 247 millions d'euros au titre de la contribution au CAS « Pensions »).

Évolution des dépenses de personnel de la police
et de la gendarmerie nationales

(en AE/CP, contribution au CAS « Pensions » comprise)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Cette hausse s'explique, d'une part, par des mesures générales (poursuite des recrutements et revalorisation du point d'indice) et, d'autre part, par des mesures catégorielles .

1. La poursuite du renforcement des effectifs et la revalorisation du point d'indice contribuent à la hausse des dépenses de personnel

Les deux principales mesures générales expliquant la hausse des dépenses de personnel en 2023 sont la poursuite des recrutements et la revalorisation du point d'indice.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit la création de 2 857 ETP pour les deux forces , dont 1 907 ETPT pour la police nationale et 950 ETPT pour la gendarmerie nationale. Le coût direct en matière de dépenses de personnel de ces créations est de 39,2 millions d'euros pour la police nationale et de 39,55 millions d'euros pour la gendarmerie nationale, hors contribution au CAS « Pensions ». S'y ajoutent les effets des recrutements des années antérieures.

Pour mémoire, le Président de la République s'est engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018/2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la police nationale devait bénéficier de 7 500 ETP et la gendarmerie nationale de 2 500 ETP. Le rapporteur spécial a d'ores et déjà rappelé, à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances du précédent quinquennat, que ce plan n'était pas de nature à résoudre les difficultés des deux institutions, davantage marquées par un retard en matière d'investissement et de fonctionnement que de personnel.

Même si son bien-fondé pouvait être débattu, l'« esprit » de ce plan avait été pleinement respecté, puisqu'entre 2017 et 2022, 8 446 emplois de policiers et 2 083 emplois de gendarmes auront été créés. En 2022, le nombre de créations de postes s'était élevé à + 185 ETP pour la gendarmerie nationale (bénéficiant en priorité aux brigades territoriales) et à + 761 pour la police nationale.

Alors que ce plan de création de postes avait pris fin, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé, le 6 septembre 2022, la création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d'ici à 2027, poursuivant ainsi sur la lancée du quinquennat précédent. Le rapporteur spécial considère, en cohérence avec ce qu'il a déjà répété par le passé, que la création de postes ne constitue pas une solution miracle. Il sera attentif à ce que la hausse des dépenses de personnel qu'elle implique ne se fasse pas au détriment de l'amélioration des capacités opérationnelles des forces de l'ordre.

Schémas d'emploi successifs des deux programmes

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Par ailleurs, la revalorisation du point d'indice de la fonction publique intervenue au 1 er juillet 2022 représente un coût, en 2023, de 98,3 millions d'euros pour la police nationale et de 65,9 millions d'euros pour la gendarmerie nationale, hors contribution au CAS « Pensions ».

S'y ajoutent notamment le relèvement de l'enveloppe globale dédiée à la résorption du stock d'heures supplémentaires de la police nationale (+ 18,7 millions d'euros, pour atteindre 45,2 millions d'euros), l'augmentation de la prévision de dépenses liées à la réserve civile de la police nationale (+ 8,4 millions d'euros) et la hausse de l'enveloppe de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale (+ 14 millions d'euros) 16 ( * ) .

2. Des mesures catégorielles ayant un impact renforcé sur les dépenses de personnel en 2023, en lien avec les protocoles signés en mars 2022

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit des mesures catégorielles à hauteur de 84,7 millions d'euros, hors CAS « Pensions », pour la police nationale , contre 37,52 millions d'euros en 2022, soit une hausse de 125,7 % en un an . Pour la gendarmerie nationale , la prévision est de 71,80 millions d'euros pour 2023, contre 32,64 millions d'euros en 2022, soit une augmentation de 120 % en un an .

Ces hausses très significatives résultent principalement de deux protocoles signés en mars 2022 au sein, pour l'un, de la police nationale et, pour l'autre, de la gendarmerie nationale.

Ils s'ajoutent aux précédents. En effet, les policiers et les gendarmes avaient obtenu, en avril 2016, la signature de deux protocoles leur accordant d'importantes mesures de revalorisation des carrières et des rémunérations 17 ( * ) . Ce dernier a été suivi d'un autre protocole, conclu le 19 décembre 2018 avec les syndicats de police nationale dans le contexte de la forte activité générée par le mouvement des « gilets jaunes ». Les coûts supplémentaires liés à ces protocoles étaient alors estimés par le ministère de l'intérieur à 475,3 millions d'euros en 2022, hors contribution au CAS « Pensions ». En outre, ainsi que le relevait la Cour des comptes 18 ( * ) , l'ensemble de ces mesures catégorielles a un coût annuel élevé et mal maîtrisé, puisqu'elles prévoyaient également des avancements massifs par repyramidage des corps, augmentant mécaniquement la part des gradés les plus élevés, et les dépenses de personnel associées.

Coût supplémentaire du protocole de 2018

(en millions d'euros, en AE/CP)

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Coût cumulé

Gendarmerie nationale

3,5

64,1

27,2

51,3

54,9

3,6

1,4

206

Dont coûts hors PPCR

3,5

46,1

27,2

20,3

10,9

2,5

1,4

111,9

Dont coûts PPCR

/

18

/

31

44

1,1

/

94,1

Police nationale

2,8

70,9

28,1

60,3

79,9

18,6

8,7

269,3

Dont coûts hors PPCR

1,4

12,5

28,1

24

24,3

13,6

8,7

112,6

Dont coûts PPCR

1,4

58,4

/

36,3

55,6

5,1

/

156,7

Total

6,3

135

55,3

111,6

133,4

22,1

10,1

475,3

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Le coût supplémentaire de ces anciens protocoles était en forte baisse en 2021 et 2022, puisqu'il devrait être d'environ 10 millions d'euros en 2022, alors qu'il a atteint plus de 100 millions d'euros en 2019 et 2020.

La signature des protocoles de mars 2022 dans la police nationale et dans la gendarmerie nationale a inversé cette dynamique.

Protocole pour la modernisation des ressources humaines
de la police nationale de mars 2022

Le protocole pour la modernisation des ressources humaines de la police nationale a été signé à l'unanimité des organisations syndicales représentatives le 2 mars 2022 . Il repose sur quatre piliers :

- revaloriser les fonctions les plus exposées ;

- responsabiliser et valoriser l'encadrement ;

- revoir les règles de mobilité pour faciliter l'affectation des policiers sur le terrain ;

- améliorer la qualité de vie au travail des policiers.

En outre, il a acté l'ouverture d'une discussion sur l'augmentation du temps de travail, afin d'accroître la présence sur la voie publique.

Parmi les principales mesures du protocole, l'on trouve :

- une revalorisation de la rémunération de ceux qui sont exposés aux difficultés de la voie publique , notamment avec la création d'une prime spécifique de 100 euros par mois et le triplement de l'indemnité de travail de nuit ;

- une valorisation des tâches des personnels administratifs et techniques de la police nationale , avec la création d'une indemnité de sujétion spécifique ;

- la création d'un statut dérogatoire pour les personnels de « police scientifique » pour permettre à ces derniers de bénéficier de mesures statutaires adaptées à la réalité de leur métier et de leurs missions ;

- la revalorisation de la filière investigation via notamment une augmentation de la prime officier de police judiciaire, qui passera de 1 300 à 1 500 euros par an et la création des fonctions d'assistant d'enquête, nouveau métier des personnels administratifs de la police, qui seront spécifiquement formés pour exercer leurs nouvelles attributions ;

- la valorisation de la prise de responsabilités en confortant les fonctions d'encadrement du corps d'encadrement et d'application et en revalorisant l'indemnité de responsabilité et de performance des officiers et des commissaires.

L'ensemble des mesures représentent un total de 783 millions d'euros sur 5 ans .

S'agissant de ce qui relève de mesures catégorielles, le coût est de 72,4 millions d'euros en 2023 et de 120 millions d'euros en année pleine à partir de 2024.

Protocole pour la modernisation des ressources humaines
de la gendarmerie nationale de mars 2022

Le protocole pour la modernisation des ressources humaines de la police nationale a été signé le 9 mars 2022 . Il repose sur trois axes :

- « Mieux protéger » par des mesures favorisant l'augmentation de la présence de voie publique ;

-  « Mieux encadrer » par des mesures soutenant la prise de responsabilité ;

- « Mieux accompagner » par des mesures liées à l'action sociale et à la qualité de vie au travail.

Parmi les principales mesures du protocole, l'on trouve :

- la valorisation de l'engagement des personnels impliqués au quotidien sur la voie publique , en rénovant les parcours de carrière et la grille indiciaire des sous-officiers et en revalorisant le traitement des gendarmes adjoints volontaires ;

- la mise en place d'une indemnité d'absence missionnelle et d'une indemnité de sujétion spécifique au profit des corps militaires de soutien ;

- le soutien à la prise de responsabilité , en augmentant le contingent de la prime de qualification supérieure et en redimensionnant l'indemnité de fonction et de responsabilités ;

- en développant l'action sociale et la qualité de vie au travail , en renforçant l'aide aux blessés et à leurs familles et en densifiant le réseau de psychologues cliniciens ;

- en améliorant les conditions de vie des gendarmes et de leurs familles en portant un effort substantiel sur l'entretien des logements et des locaux de service.

L'ensemble des mesures représentent un total de 700 millions d'euros sur 5 ans .

S'agissant de ce qui relève de mesures catégorielles, le coût est de 48,6 millions d'euros en 2023 et d'environ 100 millions d'euros en année pleine, à compter de 2024.

Si le rapporteur spécial souscrit à la volonté de moderniser la gestion des ressources humaines de la police et de la gendarmerie nationale et comprend le souhait de revaloriser certaines primes, il s'inquiète du coût total des mesures catégorielles, d'autant plus qu'il a vocation à augmenter . En effet, le coût des mesures catégorielles atteindra 136,4 millions d'euros en 2024 pour la police nationale et 121,8 millions d'euros pour la gendarmerie nationale. Le rapporteur spécial appelle à ne pas rajouter de mesures catégorielles d'un coût significatif dans les prochaines années.

En effet, il estime que la dérive des dépenses de personnel constituerait un obstacle important à l'amélioration des capacités opérationnelles des forces de l'ordre, puisqu'elle limite mécaniquement les marges de manoeuvre en matière d'investissement et de fonctionnement. Cette situation avait prévalu jusqu'à très récemment.


* 16 Voir infra sur ces différents sujets.

* 17 Il s'agit, notamment, de la transposition pour la police et la gendarmerie nationale du protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR).

* 18 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

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