PREMIÈRE PARTIE
LES PROGRAMMES « POLICE NATIONALE » ET « GENDARMERIE NATIONALE »

I. UN BUDGET DONT LA HAUSSE S'INSCRIT DANS LE CADRE DES OBJECTIFS PLURIANNUELS FIXÉS PAR LE PROJET DE LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR (LOPMI)

A. UN PROJET DE LOI LOPMI QUI FIXE DES OBJECTIFS BUDGÉTAIRES ET OPÉRATIONNELS PLURIANNUELS

Le président de la République avait annoncé le 14 septembre 2021 avoir décidé, dans la continuité du Beauvau de la sécurité, de porter « une loi de programmation pour la sécurité intérieure et même pour les sécurités intérieures, car il s'agit de tout le champ d'action de la place Beauvau » , dont le but était « de penser la police et la gendarmerie de 2030. Une police qui doit faire face aux nouvelles formes de délinquance qui pullulent dans l'espace numérique : le deal par messageries cryptées et les escroqueries digitales, la cybercriminalité. Une police qui doit se saisir des technologies numériques pour aller plus vite, enquêter plus efficacement. Une police qui doit être formée, équipée en fonction des nouvelles menaces qui pèsent sur la société : le terrorisme, mais aussi la violence débridée et les manifestations sporadiques, l'internationalisation du crime. Le champ n'a jamais été si vaste. Nous devons y répondre en regardant le temps long et en prenant des choix qui dureront et l'assumons » 7 ( * ) .

Une première version du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) a ainsi été présentée en Conseil des ministres le 16 mars 2022 et déposée à l'Assemblée nationale. Ce texte n'a toutefois pas été examiné par le Parlement, ayant été déposé en toute fin de quinquennat, selon un calendrier plus que surprenant.

Ce dépôt tardif était d'autant plus regrettable que la commission sénatoriale d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure proposait dès 2008 d'« élaborer un livre blanc de la sécurité intérieure puis adopter des lois de programmation des forces de sécurité intérieure permettant de fixer un cadre budgétaire, opérationnel et stratégique stable et crédible. Ces lois devraient notamment comprendre des cibles budgétaires obligatoires en matière d'immobilier et de renouvellement des flottes automobiles. » 8 ( * ) . Le rapporteur spécial a également formulé cette proposition à plusieurs reprises depuis lors.

Finalement, une seconde version de ce projet de LOPMI a été élaborée. Présenté en Conseil des ministres le mercredi 7 septembre 2022, ce projet de loi a été déposé le même jour devant le Sénat, qui l'a examiné et adopté, modifié, le 18 octobre 2022.

Le rapporteur spécial constate que cette seconde version du projet de loi comporte deux écueils principaux. Premièrement, ce texte est amputé de la moitié de ses articles par rapport à la première version, ce qui en réduit la portée. Deuxièmement, s'il présente bien une dimension programmatique d'un point de vue budgétaire, celle-ci est réduite à la portion congrue . Seul l'article 2 comporte des dispositions budgétaires, à savoir une trajectoire pluriannuelle pour les années 2023-2027. Le rapport annexé, dont l'adoption est proposée à l'article 1, comprend également diverses considérations comportant des effets budgétaires indirects, mais ceux-ci sont très rarement chiffrés. Surtout, le niveau de précision de la trajectoire budgétaire est faible, y compris dans les documents annexés au projet de loi, notamment l'évaluation préalable de l'article 2. La programmation budgétaire porte sur trois missions (« Sécurités », « Administration générale et territoriale de l'État », et « Immigration, asile et intégration »), le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » et les taxes affectées à l'ANTS (Agence nationale des titres sécurisés) 9 ( * ) . La trajectoire budgétaire est présentée de façon consolidée pour l'ensemble, à l'échelle du ministère de l'Intérieur, sans que la ventilation par mission, et a fortiori par action, ou par titres de dépenses ne soit présentée.

Le rapporteur spécial estime néanmoins que le projet de loi LOPMI constitue, en ce début de quinquennat , un outil utile pour donner de la visibilité aux forces de sécurité intérieure et établir une trajectoire budgétaire conforme à la vision stratégique souhaitée. En réalité, ce type de dispositif n'est d'ailleurs pas nouveau, puisque des lois comparables, bien que sur des périmètres différents, ont été adoptées en 1995 10 ( * ) , en 2002 11 ( * ) et en 2011 12 ( * ) .

En outre, il se satisfait de la trajectoire financière proposée pour les années 2023 à 2027. Le budget du ministère de l'Intérieur 13 ( * ) passerait, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », de 20,78 milliards d'euros en CP en 2022 à 25,29 milliards d'euros en CP en 2027 (+ 4,51 milliards d'euros des crédits annuels, soit + 21,7 %). L'effort le plus important (1,25 milliard d'euros) reposerait sur la loi de finances initiale pour 2023. Au total, la hausse de budget cumulée sur les cinq années 2023-2027 atteint 15 milliards d'euros.

Trajectoire budgétaire proposée par le projet de loi LOPMI pour le ministère de l'Intérieur pour les années 2023 à 2027 14 ( * )

(en millions d'euros)

CRÉDITS DE PAIEMENT ET PLAFONDS DES TAXES AFFECTÉES

hors compte d'affectation spéciale « Pensions »

2022 ( pour mémoire )

2023

2024

2025

2026

2027

Budget du ministère de l'intérieur, en millions d'euros (hors programme 232 « Vie politique », hors programmes outre-mer et hors programmes du CAS Radars n°754 et 755)

20 784

22 034

22 914

24 014

24 664

25 294

Évolution (N / N - 1), en millions d'euros

-

1 250

880

1 100

650

630

Taux d'évolution (N / N - 1)

-

6 %

4 %

4,8 %

2,7 %

2,6 %

L'article 12 du projet de loi initial de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 , déposé le 26 septembre 2022 à l'Assemblée nationale prévoit quant à lui une augmentation des crédits de paiement annuels, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », de la mission « Sécurités » de 2,1 milliards d'euros, qui passeraient de 14,7 milliards d'euros en 2022 à 16,8 milliards d'euros en 2025.

Outre la trajectoire budgétaire, le projet de loi LOPMI prévoit, dans son rapport annexé dont l'approbation est prévue à l'article 1 er , différents objectifs et décisions pluriannuelles pour les forces de sécurité intérieures.

Ils sont orientés par les trois objectifs principaux poursuivis par la loi, selon le Gouvernement :

- « Être à la hauteur de la révolution numérique , pour ne plus avoir « un coup de retard » sur les délinquants et offrir à nos concitoyens des services en ligne avec ce que le numérique permet aujourd'hui ;

- « Doubler la présence des forces de sécurité sur le terrain à l'horizon 2030 , mais aussi garantir la transparence et l'exemplarité de leur action ;

- « Mieux anticiper les menaces et les crises ».

Il est notamment prévu, s'agissant des forces de sécurité :

- la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie et de onze unités de forces mobiles (4 pour la police nationale et 7 pour la gendarmerie) ;

- leur transformation numérique qui vise à la fois à développer les outils numériques des forces de sécurité intérieure, à développer les moyens de lutte contre la cybercriminalité et à renforcer la relation numérique avec les citoyens ; en outre une Agence du numérique des forces de sécurité sera instituée, ainsi qu'une école de formation cyber ;

- de doter les policiers et les gendarmes de matériels plus performants et innovants ;

- une réforme de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de ses implantations départementales ;

- des mesures en faveur de la filière d'investigation et l'augmentation de ses effectifs, notamment s'agissant des spécialistes des violences intrafamiliales et des cyber-patrouilleurs ;

- un effort important sur la formation des forces de sécurité intérieure , avec une augmentation de 50 % du temps de formation initiale et un doublement de la formation continue ;

- des efforts pour favoriser l'exemplarité et la transparence dans l'action des forces de l'ordre ;

- une professionnalisation de la fonction immobilière du ministère ainsi que de la politique d'achats , avec de nouveaux outils ;

- de moderniser la gestion des ressources humaines de la police et de la gendarmerie nationale, notamment dans le cadre des protocoles signés avec les organisations syndicales en mars 2022 15 ( * ) .

En outre, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé, le 6 septembre 2022, la création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d'ici à 2027 .

Une partie de ces mesures constitue une reprise des mesures annoncées dans le cadre du Beauvau de la Sécurité , clôturé en septembre 2021.

Mesures qui avaient été annoncées à l'issue du Beauvau de la sécurité
et ayant un effet budgétaire

- augmenter significativement la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique (doubler sur 10 ans leur présence) ;

- assurer une meilleure prise en charge des victimes : formation de près de 90 000 policiers et gendarmes, mise en place de guichets dédiés, déploiement de 2 300 téléphones grand danger pour les victimes, création de 123 postes d'intervenants sociaux supplémentaires. La mise en place du dépôt de plainte en ligne pour 2023 était annoncée.

Pour accompagner ces objectifs, plusieurs mesures à court terme avaient aussi été annoncées, plébiscitées par l'ensemble des parties prenantes au cours du Beauvau de la Sécurité :

- investir dans l'humain et la formation : augmentation de 50 % de la durée de formation, rendre les métiers de la police judiciaire plus attractifs avec le lancement d'un plan pour l'investigation ;

- formation d'officier de police judiciaire (OPJ) intégrée à la formation initiale, dégager du temps aux enquêteurs ;

- création d'une réserve opérationnelle de police et de gendarmerie (30 000 pour la police et 20 000 supplémentaires en gendarmerie) ;

- mise à niveau des équipements de la police technique et scientifique (nouveaux uniformes, déploiement des caméras piétons (30 000 commandes) et de caméras embarquées dans les véhicules, inciter les collectivités locales à étendre le réseau de vidéo protection.

Source : ministère de l'intérieur


* 7 Emmanuel Macron, président de la République, le 14 septembre 2021 à Roubaix, discours de clôture du Beauvau de la sécurité.

* 8 Rapport n° 612 (2017-2018) de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission d'enquête du Sénat sur l'état des forces de sécurité intérieure, déposé le 27 juin 2018.

* 9 Le périmètre de la programmation retient l'échelle du ministère de l'Intérieur, tout en excluant le programme 232 « Vie politique » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », les programmes 754 et 755 du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », les programmes « Outre-mer », qui ont récemment été rattachés ministère de l'Intérieur et des Outre-mer. En outre, les montants sont calculés hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions » , ce qui explique les différences de montants avec ceux qui figurent dans le projet de loi de finances pour 2023.

* 10 Loi n° 1995-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité.

* 11 Loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

* 12 Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

* 13 Hors programme 232 « Vie politique » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », programmes 754 et 755 du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », et programmes « Outre-mer ».

* 14 Hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions » et hors programme 232 « Vie politique » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », programmes 754 et 755 du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », et programmes « Outre-mer ».

* 15 Voir infra .

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