EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 octobre 2022, sous la présidence de M. Bernard Delcros, vice-président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial, sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Bernard Delcros , président . - Nous examinons maintenant le rapport spécial de M. Pascal Savoldelli sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial de la mission "Remboursements et dégrèvements" . - La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application de dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Comme vous le savez désormais, le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission sont évaluatifs.

Par ailleurs, cette mission est la première en termes de volume de crédits tous budgets confondus. Elle permet donc d'avoir une vision d'ensemble des mesures fiscales mises en oeuvre et de leurs évolutions et peut, à ce titre, connaître des variations de crédits importantes.

Elle se compose de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux.

Concernant les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, les dépenses sont évaluées, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, à 123,7 milliards d'euros, soit une très légère diminution par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022 - 123,9 milliards d'euros.

Cette stabilité résulte de tendances contraires entre les différentes actions du programme ; je m'attacherai dans le présent exposé à vous faire part des variations les plus notables.

Premièrement, les restitutions liées à la « mécanique de l'impôt » enregistrent une hausse importante de 7,74 %, soit 6,6 milliards d'euros entre 2022 et 2023 sous l'effet, notamment, de la hausse des restitutions de TVA, qui devraient atteindre 67,2 milliards d'euros en 2023. Sur la période 2014-2023, les remboursements de TVA ont augmenté de 41,2 %, soit 19,6 milliards d'euros.

Le contexte inflationniste, en augmentant le volume de TVA, explique cette augmentation des remboursements (effet volume) notamment dans un contexte d'incertitude économique - effet comportement qui pousse les entreprises à opter pour le remboursement plutôt que pour l'imputation du crédit de TVA sur les années suivantes.

Ce niveau historiquement haut justifierait, je réitère cette recommandation, un renforcement des moyens de lutte contre la fraude à la TVA et une évaluation plus précise des pertes en découlant. Ce travail me paraît d'autant plus nécessaire et important que, à la suite des différentes réformes de la fiscalité locale relatives à la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et à la baisse des impôts de production, les collectivités locales bénéficient désormais de fractions de TVA, pour un montant total de près de 38 milliards d'euros afin d'assurer leur financement. Cette part, si le Parlement le décide, si nous le votons, devrait encore augmenter avec la suppression annoncée des parts communale et départementale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous aurons ce débat lors du projet de loi de finances pour 2023.

Ce partage de la TVA entre le budget de l'État et les collectivités dont le taux de dépendance à cet impôt augmente rend indispensable une gestion optimisée de sa collecte afin de sécuriser les ressources de l'État et des collectivités. Une audition auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP) m'a permis de constater que le déploiement de la facturation électronique obligatoire entre 2024 et 2026, ainsi que le développement d'outils de « data mining », autrement dit d'exploration de données, devraient permettre la détection de fraude de manière plus rapide.

Par ailleurs, en 2023, le niveau des remboursements d'impôts sur les sociétés est évalué à 14,2 milliards d'euros, soit une hausse de 13,8 % par rapport à la LFI de 2022, avec 12,5 milliards d'euros.

Cette hausse des remboursements d'impôts sur les sociétés résulte d'une diminution attendue du bénéfice fiscal des entreprises en 2022 dans un contexte de crise inflationniste, mais les incertitudes sont grandes sur l'exécution à venir.

À l'inverse, les remboursements liés à des politiques publiques enregistrent une baisse de près de 5 milliards d'euros en raison de la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Sur ce point particulier, je m'interroge sur l'effet de cette suppression annoncée comme une mesure pour améliorer le pouvoir d'achat des Français. Sans rouvrir le débat, force est de constater que la suppression du dispositif ne concernera pas les foyers les plus modestes puisque 4,6 millions d'entre eux, soit 17 %, sur les 27,6 millions de foyers assujettis, étaient déjà exonérés du paiement de la contribution en 2021.

L'avantage d'une suppression est sans doute plus significatif pour les entreprises devant s'acquitter du paiement de la contribution. Le Gouvernement estime d'ailleurs que la suppression de la CAP devrait équivaloir à un allégement fiscal d'environ 110 millions d'euros pour les entreprises du secteur de l'hôtellerie, des cafés et de la restauration.

Le crédit d'impôt recherche (CIR) reste, quant à lui stable, estimé à environ 7 milliards d'euros en 2023 pour des remboursements qui avoisineraient 5 à 6 milliards. Vous connaissez déjà mes doutes sur l'efficacité de ce dispositif en termes de création d'emplois et de nombre de brevets déposés, je vous en ai déjà fait part l'année dernière. Mais je voudrais également partager avec vous mon étonnement, face à l'ambition très mesurée, du Gouvernement concernant les taux de retour de ce crédit d'impôt avec une cible de 1 euro investi pour 1 euro remboursé. De surcroît, ce crédit d'impôt est particulièrement complexe à contrôler selon les dires mêmes de la DGFiP en raison de la nécessaire coordination entre ses services et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il est, par ailleurs, générateur de nombreux contentieux relatifs au caractère éligible ou non des dépenses d'innovation. Il nous faut le réformer, nous aurons ce débat lors du projet de loi de finances.

Je conclurai cette partie sur les remboursements d'impôts d'État par une note positive. Les remboursements liés aux contentieux de série baissent sensiblement, passant de 2,7 milliards en 2022 à 1,1 milliard d'euros en raison des efforts faits dans le suivi et la gestion des plus gros contentieux. Je nuancerai tout de même mon propos puisque les crédits inscrits à ce titre au PLF 2023 ne s'élèvent certes qu'à 1,1 milliard d'euros, mais les contentieux en cours atteignent, quant à eux, 4,6 milliards d'euros. Cet écart est en partie dû à des moyens de traitement limités au sein des services de la DGFiP, qui priorisent, dès lors, pour 2023, les remboursements des contentieux les plus importants en termes de montants, et ce afin de limiter les intérêts moratoires afférents. J'ai appris en audition que la tâche fastidieuse était confiée à des contractuels qu'il était peu aisé de former aux rudiments du traitement de ces contentieux, amenuisant d'autant l'efficacité du traitement du stock de dossiers en cours.

Enfin, certains contentieux particulièrement atomisés avec des montants individuels faibles génèrent une gestion lourde et des délais de traitement longs.

Je souhaite également évoquer le second programme de cette mission consacré aux dégrèvements et remboursements d'impôts locaux.

En PLF 2023, les crédits évalués au titre du programme 201 s'élèvent à 4,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 30,8 % par rapport à la LFI 2022. Cette diminution fait suite aux baisses consécutives de 70 % enregistrées entre la LFI 2020 et la LFI 2021, et de 3,8 % entre la LFI 2021 et la LFI 2022, qui s'expliquaient, pour l'essentiel, par la réforme de la taxe d'habitation sur les résidences principales et, dans une moindre proportion, par la réforme des impôts de production.

La nouvelle baisse attendue en 2023 s'explique, quant à elle, quasi exclusivement par la suppression des parts communale et départementale de la CVAE prévue par l'article 5 du PLF, après la suppression de la part de CVAE affectée aux régions en loi de finances initiale pour 2021.

Cet impôt local a généré 9,7 milliards d'euros de produit fiscal en 2021 pour les collectivités, soit 11 % de leurs recettes fiscales. Il est perçu par l'État qui en dégrève environ un quart, territorialise le produit à hauteur de 53 % pour le bloc communal et de 47 % pour les départements et le répartit selon le nombre d'établissements des entreprises concernées sur chaque territoire, mais aussi en fonction d'une clé de répartition basée sur les deux tiers selon les équivalents temps plein (ETP) déclarés par les entreprises et sur un tiers selon les bâtiments sur les bases foncières de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Cette suppression partielle en 2023 puis totale en 2024 sera compensée à l'euro près par une fraction de TVA qui sera divisée chaque année en deux parts.

Une part fixe correspondant à la moyenne de leurs recettes de CVAE des années 2020, 2021 et 2022. Sur ce point, je note toutefois que l'année 2022 devrait globalement être une mauvaise année en termes de perception de CVAE. On connaît ici, les limites d'une part fixe qui ne tient pas compte de la réalité du produit d'un impôt local perçu sur le temps long. L'implantation de nouvelles entreprises deviendrait alors nulle fiscalement au regard du calcul de la part fixe de la compensation.

Une seconde part correspondant à la dynamique, si elle est positive, de la fraction de TVA calculée au niveau national. Cette fraction sera affectée à un fonds national d'attractivité économique des territoires dont les modalités de répartition ne sont, à ce jour, toujours pas arrêtées. Si cette territorialisation de la dynamique est une demande de nombreux élus, je tiens à alerter sur les risques de complexité des critères qui seront définis à cette fin. Il ne faudrait pas construire une « usine à gaz » qui viendrait rendre encore plus illisible le système de financement des collectivités territoriales.

Les mesures de compensation de cette réforme génèrent - comme celles relatives à la réforme de la taxe d'habitation - une perte de l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Aussi, comme je l'avais déjà fait lors de l'examen des précédents PLF, je réitère mes interrogations sur l'impact de la substitution d'une fraction de TVA aux actuelles recettes de CVAE.

Sur ce point, je rappelle que les régions perçoivent désormais une ressource dont l'évolution est très sensible à la conjoncture économique, quand la CVAE n'était affectée par un retournement conjoncturel qu'après une à deux années, en raison de sa mécanique.

En 2022, la part de TVA est déjà la première recette des départements et des régions. Après la suppression de la CVAE, elle deviendra la deuxième recette du bloc communal. Les ressources des collectivités vont désormais dépendre, en majorité, d'un impôt national sur lequel elles n'exercent aucun pouvoir de taux.

Mme Sylvie Vermeillet . - Merci de ce rapport très intéressant. Le crédit d'impôt recherche est censé améliorer l'innovation et la compétitivité des entreprises. Connaissez-vous la répartition de la distribution du CIR entre les groupes étrangers et les entreprises françaises ? Il ne s'agirait pas que nos aides profitent aux États-Unis ou à l'Asie.

M. Rémi Féraud . - Cette mission enregistre les conséquences de décisions gouvernementales. Nous nous sommes opposés à presque tous ces choix, qu'il s'agisse de la mise sous tutelle des collectivités locales ou de l'asphyxie de l'audiovisuel public. Taxe d'habitation, CVAE, etc. : cette mission enregistre tout. Enfin, elle comprend des éléments d'évolution de niches fiscales ou de dispositifs comme le CIR. Sur ce dernier point, France Stratégie s'interroge. Pourtant, le crédit d'impôt recherche semblait utile, voire indispensable. Or le Gouvernement n'en tire aucune conséquence. Ce dispositif coûte aussi cher que les 8 milliards d'euros d'amendements votés ces derniers jours à l'Assemblée nationale. Ce point mérite d'être souligné. Enfin, M. le rapporteur ne nous recommande aucun vote. Qu'en est-il de sa position sur ces crédits ?

M. Charles Guené . - Je salue les investigations toujours pertinentes de Pascal Savoldelli. Je fais partie des gens qui pensent que l'affectation de TVA pour les collectivités locales n'est pas une mauvaise chose en soi, la problématique est de savoir comment l'indexation se fait ensuite. Les collectivités locales ne peuvent pas plus s'affranchir que les autres de la dynamique de l'économie du pays. La TVA me paraît donc plutôt un bon impôt. L'inquiétude du rapporteur porte sur la complexité du système mis en place. En tant que fiscaliste, je pense que tout ce qui concerne la fiscalité est complexe. La CVAE l'est déjà, le système qui viendra en substitution ne sera donc pas plus simple. Je m'inquiète plutôt de la manière dont tout cela sera mis en place via des décrets. Il ne faudrait pas que la part dynamique de TVA que l'État entend territorialiser soit définie de manière discrétionnaire sans consultation des élus. Dans toutes les usines à gaz, ce qui est embêtant ce sont les fuites de gaz !

M. Albéric de Montgolfier . - Pascal Savoldelli a évoqué la TVA, en soulignant la montée en puissance des restitutions, qui augmentent de 5,9 % cette année, contre 10,2 % l'année précédente, ce qui est tout à fait normal. En revanche, on peut s'interroger sur le risque accru de montages frauduleux. Un certain nombre de mesures ont été prises en loi de finances pour lutter contre la fraude carrousel. Avec l'internationalisation des échanges, les fraudes sont de plus en plus complexes. Les mesures prises seront-elles suffisantes ? Sans parler de la TVA sur internet, car certains vendeurs sur de grandes plateformes n'ont pas de numéro de TVA communautaire, ce qui est un peu inquiétant. Il existe un décalage entre la volonté affichée et la réalité concernant la fraude à la TVA.

M. Michel Canévet . - Je remercie également le rapporteur spécial d'essayer de vulgariser les mécanismes complexes des dégrèvements et remboursements. Pourquoi y a-t-il entre 2016 et 2021 un écart significatif entre les prévisions et les réalisations en ce qui concerne le CIR ? A-t-on bien mesuré le montant du crédit qui sera octroyé ? Dans l'hypothèse d'une suppression de la CVAE, ne faudrait-il pas retenir la formule du dégrèvement pour pouvoir mieux coller à la réalité des évolutions des réalités socio-économiques sur les territoires ? Enfin, la réduction très significative des dégrèvements pour la taxe d'habitation et la contribution à l'audiovisuel public entraîne-t-elle des économies de fonctionnement au sein de la DGFiP ?

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Dans les différentes études disponibles, la répartition du CIR ne se fait pas entre groupes étrangers et groupes français. Elle se fait entre très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME) et grands groupes, donc en volume. Évidemment, les plus grandes entreprises sont aussi les plus grandes bénéficiaires, car elles ont des moyens d'accompagnement pour profiter de ces crédits. Quoi qu'il en soit, c'est une question que nous soulèverons afin de mieux cerner la répartition de ce crédit d'impôt.

Rémi Féraud, comme beaucoup, a changé de point de vue sur le CIR. Le CIR a effectivement, d'après les études publiées sur ce sujet, des effets très relatifs sur la création d'emplois, ainsi que sur le nombre de brevets déposés.

Concernant le vote sur les crédits de cette mission, je propose d'adopter les crédits, car il s'agit surtout ici de mettre à plat des mécanismes qui ne sont que le reflet des politiques et des dispositifs fiscaux.

En ce qui concerne la suppression de la CVAE à venir, les modalités de la territorialisation de la dynamique ne sont pas encore définies à ce jour. Nous demanderons que les associations d'élus soient sollicitées et consultées. Ce sont des mécanismes complexes, comme Charles Guené l'a souligné, mais nous avons le droit de comprendre. Il importe d'avoir des moments pédagogiques, mais aussi de démocratie avec les élus locaux.

Sur la question soulevée par Albéric de Montgolfier, j'avoue que je ne connais pas tous les mécanismes. J'ai néanmoins senti qu'il existait un réel effort pour mieux prendre en compte l'ensemble des fraudes à la TVA. Certains fraudeurs sont des délinquants de haut vol et les mécanismes de coopération ont du mal à être efficients. Il est difficile de demander des estimations sur une fraude, y compris à l'administration. En tout état de cause, la DGFiP n'a pas remboursé 2 milliards d'euros de demandes estimées indues, preuve qu'il existe un instrument de contrôle et de vigilance.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

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