LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » n'ont pas été modifiés par le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 octobre 2022, sous la présidence de M. Bernard Delcros, vice-président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Victorin Lurel, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

M. Bernard Delcros , président . - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport spécial de M. Victor Lurel sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale "Participations financières de l'État" . - Ce compte d'affectation spéciale, que je présente depuis plus de cinq ans, est le support budgétaire des participations financières l'État. Sur ce compte, le Gouvernement arrête une prévision de dépenses, évaluée à 17 milliards d'euros, soit un montant très conséquent. Je souhaiterais structurer mon propos en développant trois idées principales : une analyse de la situation du compte ; un retour sur la situation du portefeuille de l'État actionnaire ; une projection sur les défis à venir.

Depuis 2020, le compte est marqué du sceau des conséquences économiques de la crise sanitaire et désormais du contexte international, tant pour ses dépenses, avec d'importants moyens mobilisés pour aider les entreprises du portefeuille, que pour ses recettes, du fait de l'interruption des cessions d'actifs. Il a ainsi fallu recourir à des versements du budget général pour alimenter le compte.

Cette logique devrait se poursuivre en 2023 : alors que les conditions de marché ne sont pas favorables à la réalisation de nouvelles cessions, les versements du budget général resteront la principale source de financement du compte.

Ainsi, les trois quarts des recettes du compte en 2023 sont issues du budget général, et une fois retranchée la recette exceptionnelle liée à la re-budgétisation de la dotation en numéraire du Fonds pour l'innovation et l'industrie (F2I) - nos critiques à cet égard avaient été importantes -, la part du budget général passe à 95 % des recettes du CAS.

À ce stade, seule une faible part des 10 milliards d'euros d'investissement en capital de l'État en 2023 est connue et détaillée dans le projet annuel de performance. Ainsi, pour 80 % des crédits envisagés à ce titre, « le caractère de ces opérations reste confidentiel, afin de ne pas porter préjudice aux intérêts patrimoniaux de l'État ». Si nous pouvons bien comprendre l'argument de la confidentialité des opérations, il limite très nettement la capacité d'appréciation du Parlement sur le compte pour l'année à venir.

Par ailleurs, l'inscription de 6,6 milliards d'euros au titre de la contribution au désendettement de l'État est un véritable tour de « passe-passe » budgétaire dont personne n'est dupe : la contribution au désendettement vient en réalité nourrir d'autant le déficit prévu pour 2023.

J'en arrive à la situation du portefeuille de l'État actionnaire.

Le portefeuille de l'État a retrouvé cet été une valorisation légèrement supérieure à son niveau d'avant-crise.

Cependant, il convient de relever que cette valorisation est dopée par l'offre publique d'achat visant les actions du groupe EDF, au prix de 12 euros par action, soit une prime de l'ordre de 50 % par rapport au cours de l'action à la veille de la déclaration de politique générale de la Première ministre - ce prix était de 32 euros en 2005.

Ainsi, si l'on isole la valorisation d'EDF, la performance du portefeuille de l'Agence des participations de l'État (APE) est très inférieure à celle des entreprises du CAC 40, et ce malgré les opérations de recapitalisation intervenues.

Concernant EDF, la nationalisation, qui devrait représenter 9,7 milliards d'euros, me semble aller dans le bon le sens. Elle laisse néanmoins entièrement ouverte la question de la situation financière du groupe, dont la dette devrait atteindre 60 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année et dont les besoins d'investissements sont évalués entre 17 et 20 milliards d'euros par an. Je précise à cet égard que nous avons auditionné les dirigeants d'EDF et d'un certain nombre de grandes entreprises.

Par ailleurs, l'État est intervenu massivement pour soutenir le groupe Air France KLM, fortement affecté par les conséquences de la crise sanitaire. Après une perte nette de 7 milliards d'euros en 2020, le groupe a affiché une perte de 3,9 milliards d'euros en 2021. L'État est intervenu à trois titres.

En tant qu'actionnaire, il a tout d'abord octroyé dès le début de la crise sanitaire une avance en compte courant d'actionnaire à hauteur de trois milliards d'euros. En avril 2021, il a participé à une augmentation en capital en souscrivant pour près de 600 millions d'euros d'actions, et l'avance en compte courant a été convertie en obligations perpétuelles convertibles, dont une partie a elle-même été convertie en 650 millions d'euros d'actions en juin dernier.

Il a ensuite octroyé, via les prêts garantis par l'État (PGE), une garantie de prêts bancaires à hauteur de 90 % pour un montant de 4 milliards d'euros.

Enfin, il a permis des reports de cotisations sociales sur les salaires des employés de l'entreprise, de l'ordre de 1 milliard d'euros.

La reprise du trafic aérien l'été dernier laisse espérer une amélioration de la situation du groupe, qui poursuit sa démarche de transformation et de restructuration de son réseau.

Je terminerai mon intervention en m'interrogeant : quel rôle et quels défis pour l'État actionnaire demain ?

Alors que la nouvelle doctrine d'intervention de l'APE n'est pas encore définie, les pistes esquissées l'an dernier sont toujours d'actualité. Son intervention devra ainsi tenir compte de quatre facteurs : le soutien auprès d'entreprises touchées par la crise, la préservation de notre souveraineté économique, l'accompagnement des transitions environnementales et l'accompagnement face aux ruptures technologiques et numériques.

Outre un retour à la doctrine définie sous François Hollande en 2014, j'y vois surtout le choix de revenir à une utilisation des participations financières de l'État comme un outil de politique économique à part entière.

À titre personnel, je ne peux qu'y souscrire, car je suis convaincu que l'intervention en capital constitue un levier efficace de politique économique pour parvenir à relever les défis des transitions écologiques et numériques qui s'ouvrent devant nous.

Enfin, je relèverai un dernier point positif : le versement sur le CAS de la dotation en numéraire du F2I. Alors que celle-ci bénéficiait d'une garantie de rémunération de 2,5 % par an sur un compte du Trésor, je considère que la fin de cette dotation, véritable usine à gaz, constitue une avancée. La question de la dotation en actions du F2I reste ouverte, mais je recommande de trouver rapidement une solution pour transférer les actions détenues par l'établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) Bpifrance vers l'APE.

En résumé, nous avons eu raison d'émettre de nombreuses critiques, notamment sur le désendettement. Mais il existe quelques avancées, il faut le reconnaître, qu'il s'agisse de l'utilisation des participations de l'État comme arme de politique économique, du F2I ou de la révision de la doctrine d'intervention de l'État. Mais le tour de « bonneteau » budgétaire concernant le désendettement reste très critiquable.

Sous cette dernière réserve, je vous propose d'adopter les crédits du CAS « Participations financières de l'État ».

M. Bernard Delcros , président . - Nous accueillons Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.

Mme Martine Berthet , rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques sur le compte d'affectation spéciale "Participations financières de l'État" . - Je vous remercie de votre invitation. La commission des affaires économiques n'a pas encore examiné les crédits de ce compte. Mais je vous livrerai notre sentiment général, qui rejoint le vôtre.

Les crises sanitaires et économiques ont eu pour conséquence de changer la nature de ce compte. D'instrument retraçant l'action stratégique de l'État actionnaire, il est devenu un simple outil comptable qui permet les interventions de l'État pompier grâce au budget général. C'est ce dernier qui, in fine , permettra la nationalisation d'EDF.

Tout cela est le fruit d'une crise imprévisible durant laquelle il a fallu parer au plus urgent. À ce propos, je souligne les efforts constants de l'APE depuis plusieurs années pour soutenir nos champions industriels.

Premièrement, le compte sert visiblement de tour de « passe-passe » budgétaire en matière de désendettement de l'État : plus de 6 milliards d'euros viendraient rembourser la dette covid. Mais ces fonds proviennent en réalité du budget général, sans réel d'effort pour maîtriser les dépenses ou trouver de nouvelles recettes. Cet effet d'affichage doit être dénoncé.

Deuxièmement, il est heureux que le Fonds pour l'innovation et l'industrie soit supprimé. Nous avons toujours dénoncé ce contournement du Parlement, et les faits nous donnent raison.

Troisièmement, les engagements du commissaire aux participations de l'État l'an dernier n'ont toujours pas trouvé de traduction concrète, opérationnelle. Il déclarait que la stratégie d'intervention devait être amendée pour mieux prendre en compte la souveraineté économique de la France. Je ne pense pas qu'il s'agissait de la nationalisation d'EDF. Nous serons très attentifs à la mise en oeuvre de cette évolution.

M. Michel Canévet . - Je salue les conclusions de M. le rapporteur spécial. Plusieurs entités, telles que l'APE, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et BPIfrance, disposent de participations. Comment envisager leur coordination ? Peut-on tout regrouper au sein d'une nouvelle structure ? Sur le cantonnement de la dette covid, quelles sont les possibilités autres que l'emprunt ? Faut-il prévoir un prélèvement spécifique ?

M. Marc Laménie . - Je remercie M. le rapporteur spécial de la qualité de ce travail sur un sujet très complexe. Le portefeuille coté de l'État actionnaire s'élèverait à 81 milliards d'euros. Comment s'articule-t-il entre les différentes entreprises ? En quoi le remboursement de la dette covid, à hauteur de 165 milliards d'euros, est-il un artifice comptable ?

Mme Christine Lavarde . - Nous sommes attentifs à l'effet des annonces de la future renationalisation d'EDF sur la valorisation du portefeuille de l'État. M. le rapporteur spécial propose l'adoption des crédits, mais il serait sage de réserver le vote jusqu'à la présentation du projet de loi sur le nucléaire qui doit intervenir au mois de novembre prochain. Les décisions prises pourraient en effet avoir une influence non négligeable pour l'économie d'EDF et entraîner de nouvelles tensions sur l'offre de l'État à 12 euros par action. J'ai échangé avec le rapporteur général sur ce point, qui a la même position.

M. Roger Karoutchi . - Je souscris aux propos de ma collègue. Monsieur le rapporteur spécial, j'ai pour vous beaucoup de considération, mais je m'interroge : comment peut-on vouloir voter ces crédits alors que la doctrine de 2017 a été largement remise en cause ? De plus, le remboursement de la dette covid serait un effet d'affichage. Enfin, dans le rapport, vous notez que le Parlement ne saurait endosser le rôle d'« encart publicitaire » en souscrivant à cet artifice comptable. Vous êtes d'une générosité sans pareille ! Dès lors, pourquoi ne pas réserver le vote de ces crédits ?

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Je me suis réellement interrogé quant à ma position sur l'adoption des crédits : après cinq ans de critiques, nous relevons plusieurs éléments traduisant une volonté d'aller dans le bon sens. Cependant, je suis prêt à me ranger à votre position, oui, nous pouvons attendre le plan que présentera le Gouvernement.

Concernant les évolutions allant dans le bon sens, je pense en particulier au respect de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2005, qui vise directement le CAS « Participations financières de l'État » et qui impose de disposer de deux programmes par compte d'affectation spéciale. Alors que le programme 732, dédié au désendettement, n'avait jusqu'à l'année dernière pas d'existence réelle, le tour de « passe-passe » budgétaire et d'« encart publicitaire » - je maintiens le terme, même s'il est un peu fort - permet malgré tout de se conformer à la décision du juge constitutionnel.

Sur le fond, les personnes auditionnées ont reconnu leurs erreurs sur la doctrine d'intervention de l'État au regard de la crise sanitaire et du contexte actuel.

Aussi, nous relevons une évolution subreptice sur le F2I, qui était une usine à gaz. Sur la part de dotation en numéraire du fonds, il revenait à l'État de prendre en charge le différentiel, au lieu de faire financer tout cela par le budget général et de soumettre annuellement les crédits au Parlement.

Pour répondre à Michel Canévet, les participations publiques sont en effet détenues par plusieurs entités. Mais comment faire ? La Cour des comptes formule des recommandations que l'État a du mal à suivre. Reconnaissons que l'Agence a joué son rôle en soutenant massivement les entreprises.

Je pense que nous pouvons tout de même éviter l'intervention conjointe des acteurs - l'APE, la CDC et BPIfrance - en la coordonnant davantage. Faut-il une entité unique ? Et revoir le statut de l'APE ? Où seraient hébergées les participations des différentes entreprises après restructuration ? Ces questions ne sont pas tranchées. Les frontières sont floues en dépit de ce qu'affirment ces entités. Par exemple, pourquoi différents acteurs interviennent-ils au sein du Fonds Avenir Automobile ? Comment rationaliser ces interventions ?

Quant à la mise en place d'instances de coordination pour harmoniser leur doctrine d'intervention, je n'ai pas été très convaincu. Il faudra que l'État pose une doctrine plus claire et lisible. Aujourd'hui, on peut s'interroger sur la détention de participations par BPIfrance dans Orange et dans Stellantis.

Je partage la position de Mme la rapporteure pour avis, avec une nuance : ce véhicule n'est pas simplement budgétaire, et j'ose le dire, l'État s'émancipe largement des canons de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

La renationalisation est une vraie avancée, de nature à assurer notre souveraineté énergétique. Je crois à ces armes de politique économique, comme nous l'avons fait après la crise de 2008.

Comment cantonner les 165 milliards d'euros d'endettement, sachant qu'il a fallu1,8 milliard d'euros dès 2022 ? Un amortissement sur vingt ans a été décidé. Un programme a été créé sur la mission « Engagements financiers de l'État » avec l'ouverture de 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et des crédits de paiement de 1,8 milliard dès 2022. Faut-il instaurer une taxe spécifique ? Nombreux sont ceux qui sont contre la création de nouveaux impôts.

Je considère par ailleurs que la partie des actions EDF détenue par l'EPIC BPIfrance devrait être transférée à l'APE, même s'il existe un angle mort.

Oui, Monsieur Roger Karoutchi, je suis généreux, malgré ces réserves, je vous propose d'approuver les crédits du CAS. Nous pouvons voter l'« encart publicitaire ». On le subit depuis de nombreuses années maintenant. Sauf à changer la structure de l'APE, je ne vois pas comment faire évoluer les choses. La conjoncture est mauvaise, ce compte ne pourra pas s'autofinancer par les cessions.

Madame Lavarde, vous voulez que l'on attende le plan nucléaire présenté par l'État. Je veux bien me rallier à votre proposition.

La commission a décidé de réserver son vote sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

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