B. UNE BUDGÉTISATION INÉVITABLE ?

Dans ces conditions et compte-tenu des impasses constatées s'agissant de l'élaboration d'alternatives fiscales, l'affectation d'une fraction du produit de la TVA ne semble constituer qu'une première étape en vue de la budgétisation.

1. Une réponse viable aux questions relatives à la prévisibilité des ressources et à la garantie de l'indépendance...

Une telle option aurait le mérite de la clarté au regard de la LOLF puisqu'elle déboucherait sur la suppression du compte de concours financiers. Elle répondrait par ailleurs à l'impératif de prévisibilité des ressources, mis en avant à juste titre, par les responsables des sociétés de l'audiovisuel public. La création d'une mission budgétaire dédiée devrait, en effet, induire l'intégration de la trajectoire de la dotation publique au secteur de l'audiovisuel public au sein de la loi de programmation des finances publiques (LPFP), obligation à laquelle le compte de concours financiers n'est actuellement pas soumis. Cette intégration permettrait de disposer d'une visibilité sur les crédits affectés à l'audiovisuel public sur cinq ans.

Afin d`éluder tout débat sur la question de l'indépendance du service public de l'audiovisuel et éviter, dans le même temps, les mesures de régulation infra-annuelle, cette budgétisation pourrait être encadrée . Le montant effectivement versé à chaque organisme de l'audiovisuel public serait ainsi équivalent à celui issu du vote de la loi de finances initiale, écartant ainsi toute mesure de gel des crédits en ouverture de gestion. Ces versements seraient effectués dans un délai d'un mois maximum à compter de l'ouverture de gestion.

La question de l'indépendance pourrait apparaître plus délicate. Il convient cependant de rappeler que l'affectation d'une fraction du produit de la TVA comme la détermination, auparavant, de la CAP , est, chaque année tributaire d'un vote du Parlement en loi de finances, avec possibilité de réduire son montant. Le précédent quinquennat a ainsi été marqué par la désindexation sur l'inflation de la CAP, voire sa diminution.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel, établie en 2009 à l'occasion de la suppression de la publicité après 20 heures sur le service public, précise qu'au-delà de l'affectation d'un impôt, l'indépendance de l'audiovisuel public passe surtout par une garantie de ressources et qu'il incombe « à chaque loi de finances de fixer le montant de la compensation financière par l'État de la perte de recettes publicitaires de cette société afin qu'elle soit à même d'exercer les missions de service public qui lui sont confiées » 27 ( * ) . Ainsi une dotation budgétaire, fixée par le législateur, pouvait donc être considérée comme un élément concourant à garantir les ressources de l'audiovisuel public et donc son indépendance. Le Conseil constitutionnel rappelle par ailleurs qu'aucune exigence constitutionnelle ni organique n'impose au législateur de déroger aux principes d'unité et d'universalité budgétaires 28 ( * ) .

Dans sa décision sur la loi de finances rectificative pour 2022 du 16 août 2022 29 ( * ) , le Conseil constitutionnel dépasse la question de la forme du financement de l'audiovisuel public pour mieux souligner le rôle central du Parlement. Il rappelle ainsi que la libre communication des pensées et des opinions, prévue à l'article 11 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ne serait pas effective si le public auquel s'adressent les moyens de communication audiovisuels n'était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur privé que dans celui du secteur public, de programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractère différent en respectant l'impératif d'honnêteté de l'information. Les auditeurs et les téléspectateurs doivent ainsi « être à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ». Afin de concourir à cet objectif, le Conseil estime qu'il « incombera au législateur, d'une part, dans les lois de finances pour les années 2023 et 2024 et, d'autre part, pour la période postérieure au 31 décembre 2024, de fixer le montant de ces recettes afin que les sociétés et l'établissement de l'audiovisuel public soient à même d'exercer les missions de service public qui leur sont confiées », transcendant ainsi le débat quelque peu biaisé entre financement par un prélèvement obligatoire ou par le budget de l'État.

2. ... qui pourrait être complétée par la mise en place d'une commission indépendante dédiée

Dans leur rapport de juillet 2022 sur l'avenir de la contribution à l'audiovisuel public, les inspections générales des finances (IGF) et des affaires culturelles (IGAC) proposaient la création d'une instance indépendante chargée de l'évaluation des crédits nécessaires au bon fonctionnement du service public de l'audiovisuel.

Cette préconisation rejoignait une de celles du rapporteur spécial dans le cadre de la mission conjointe de contrôle menée par les commissions des finances et de la culture du Sénat et dont les conclusions ont été présentées en juin dernier 30 ( * ) . La mission conjointe de contrôle partait de l'exemple de la Kommission zur Ûberprüfung und Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten (KEF) mise en place en Allemagne en 1975, pour demander la création, en France, d'une instance d'évaluation indépendante des besoins de l'audiovisuel public. La commission allemande est composée de 16 experts indépendants, nommés par chacun des Länder . Cinq de ces experts sont issus des cours des comptes de Länder. Au-delà de l'estimation des besoins financiers des entreprises publiques de l'audiovisuel, la KEF peut également évaluer la gestion desdites sociétés et en tirer toutes les conclusions nécessaires. La structure française était envisagée comme un organisme indépendant de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), présidé par un magistrat de la Cour des comptes et composée de quatre experts, nommés par les commissions chargées des finances et de la culture de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il aurait eu pour mission de proposer au Gouvernement et au Parlement une trajectoire financière pluriannuelle pour les sociétés de l'audiovisuel public, répondant au financement des priorités qu'elle estimerait nécessaires. Il émettrait également un avis sur le montant de la dotation budgétaire prévue en projet de loi de finances. La création de cette instance renforcerait ainsi l'information du Parlement lors de son examen du projet de loi de finances.

Cette instance permettrait de disposer d'une vision claire sur le coût des missions de service public assignées aux entreprises dédiées et, dans ce cadre, d'ouvrir un débat sur le périmètre du service public de l'audiovisuel et la nature des missions qui lui sont assignées. Cette question est essentielle et aurait dû constituer un préalable à la réforme du financement. Le rapporteur spécial regrette que celle-ci ait été mue par une réflexion sur le pouvoir d'achat et non par une approche du rôle du service public de l'audiovisuel. La révolution des usages, le développement et le renforcement des plateformes ou les interrogations sur l'avenir du numérique terrestre appellent pourtant une réflexion stratégique de la part de l'actionnaire.


* 27 Décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, Cons 18 et 19, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

* 28 Décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, Cons 24, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

* 29 Décision n° 2022-842 DC du 12 août 2022, Cons 20 à 31, Loi de finances rectificatives pour 2022.

* 30 « Changer de cap pour renforcer la spécificité, l'efficacité et la puissance du service public », Rapport d'information n° 651 (2021-2022) de MM. Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finance - 8 juin 2022.

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