II. LE PROGRAMME « LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES » : DES FINANCEMENTS INSUFFISANTS ?

Le programme « Livre et industries culturelles » est composé de deux actions. L'action 01 « Livre et lecture » représente 91 % des crédits de paiement du programme.

Les crédits de paiement dédiés au programme « Livre et industries culturelles » devraient enregistrer une majoration de près de 9,5 millions d'euros en 2023, soit une progression de 2,9 % par rapport à la loi de finances pour 2022. Dans le même temps, les autorisations d'engagement devraient quant à elles diminuer de 4,92 % (- 17 millions d'euros environ).

Corrigée de l'hypothèse d'inflation prévue en projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (4,3 %), les crédits en volume régressent de 8,8 % en AE et 1,3 % en CP.

Évolution des crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles »
de 2022 à 2023 à périmètre courant

(en euros)

LFI 2022

PLF 2023

Variation 2032/2022 (%)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 - Livre et lecture

319 710 694

300 673 721

296 686 040

304 187 054

- 5,93

+ 2,53

02 - Industries culturelles

27 702 586

27 702 586

29 663 988

29 663 988

+ 7,08

+ 7,08

334 - Livre et industries culturelles

335 728 626

316 930 228

347 457 965

324 433 411

- 4,92

+ 2,92

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

A. UNE ACTION EN FAVEUR DU LIVRE A REDÉFINIR

L'action 01 « Livre et lecture » du programme 334 devrait être dotée en 2023 de 300,7 millions d'euros en AE et 304,2 millions d'euros en CP. Elle ne résume pas pour autant l'action du ministère de la culture en faveur du livre, éclatée entre plusieurs programmes.

1. Un financement principalement tourné vers les opérateurs
a) Près de 90 % des crédits de l'action sont dédiés à la Bibliothèque nationale de France, à la Bibliothèque publique d'information et au Centre national du Livre

89 % des crédits de l'action consistent en des dotations versées à trois opérateurs : la Bibliothèque nationale de France (BnF), la Bibliothèque publique d'information (Bpi) implantée au Centre national d'art et de culture Georges Pompidou et le Centre national du livre.

La progression modérée des crédits de paiements dédiés à ces opérateurs (+3,4 millions d'euros, soit une majoration de 1,2 % par rapport au projet de loi de finances) occulte des situations diverses.

Évolution des crédits de paiement dédiés aux opérateurs de l'action 01 du programme 334 entre 2022 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La baisse des crédits dédiés à la Bpi est justifiée par la fermeture en 2023 du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou pour travaux à compter de 2023. Cette diminution (-6,5 millions d'euros) permet, au global, de compenser la hausse des crédits dédiés à la Bibliothèque nationale de France.

b) La Bibliothèque nationale de France : tonneau des Danaïdes de la mission

Établie à 232,8 millions d'euros en 2023, la subvention versée à la Bibliothèque nationale de France constitue la plus importante subvention versée à un opérateur du ministère de la culture.

Évolution des ressources de la Bibliothèque nationale de France depuis 2020

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

(1) Des travaux inévitables mais sous-financés

Les travaux de réhabilitation du site Richelieu et la remise à niveau des équipements du site Tolbiac ont largement contribué à la progression de subvention versée. La réouverture du quadrilatère Richelieu (247,6 millions d'euros, dont 205 millions d'euros versés par le ministère de la culture) ne signifie pas la fin des travaux pour l'opérateur, le site François Mitterrand étant confronté à l'obsolescence de ses équipements. Plusieurs chantiers ont ainsi déjà débuté, certains devant prendre fin en 2027, pour un montant total de 63,3 millions d'euros. Il en va ainsi :

- du remplacement du système de sécurité incendie, estimé à 31 millions d'euros, les travaux devant s'étaler de 2020 à 2026 ;

- de la rénovation des équipements de la gestion technique centralisée et du système de gestion technique électrique, pour un montant de 5,4 millions d'euros étalé entre 2019 et 2025 ;

- du remplacement des 62 ascenseurs du socle, soit 1 million d'euros par an entre 2020 et 2026 ;

- du renouvellement décennal du transport automatique des collections et des documents, soit 5,9 millions d'euros étalés entre 2016 et 2027 ;

- l'amélioration de la performance énergétique des centrales de traitement d'air. Le coût de 1,3 million d'euros sera étalé entre 2022 et 2027 ;

- le remplacement des groupes froids de la production centralisée, soit 4 millions d'euros entre 2022 et 2025 ;

- la rénovation des installations électriques de puissance pour un coût de 9,7 millions d'euros à financer à partir de 2023.

Reste que ce programme de travaux ne couvre pas les investissements à mener à moyen terme afin de répondre aux enjeux climatiques et énergétique s :

- les façades sont composées de 10 000 fenêtres environ qui s'avèrent mal isolées. Le coût du remplacement de chacune d'entre elles dépasse aujourd'hui 16 000 euros ;

- les appareils d'éclairage (50 418 sources lumineuses) sont appelés à être remplacés par des équipements basse consommation, qui pourraient permettre ne réduction de 13 % de la consommation énergétique du site de Tolbiac. Le coût de l'opération est estimé à 10 millions d'euros.

Aucun des deux projets n'a bénéficié de concours via le plan de relance ou le plan de résilience.

Plus largement, le rapporteur spécial note que les dépenses théoriquement nécessaires pour maintenir le site de Tolbiac en ordre de marche sont estimées à 57 millions d'euros en AE et 59 millions d'euros en CP entre 2023 et 2025 . Or, seule une partie des opérations a été intégrée aux demandes de financement d'ici à 2025. Le montant des frais dédiés aux travaux devrait, dans ces conditions, s'élever à 40 millions d'euros en AE et 42 millions en CP sur la période. Plusieurs chantiers ont ainsi été suspendus : rénovation de la vidéo-protection, plantation de grands arbres dans le jardin, amélioration de la climatisation, valorisation des eaux d'exhaure ou travaux d'éclairage.

Le contexte inflationniste (+ 3,5 millions d'euros de dépenses énergétiques en 2022, + 15 millions d'euros attendus en 2023) conduit, par ailleurs, à un freinage massif des dépenses d'investissement de l'ordre de 20 % (- 7,4 millions d'euros depuis août 2022). Cette réduction est, appelée à se poursuivre en 2023. L'extrême faiblesse des ressources propres - 5 % environ - ne permet pas de compenser cette évolution. Le collectif budgétaire de fin d'exercice 2022 prévoit cependant une majoration de la dotation de la BnF de 7 millions d'euros aux fins de prise en compte des surcoûts énergétiques.

(2) Le projet de nouveau pôle de conservation des collections

Le présent projet loi de finances prévoit, par ailleurs, à hauteur de 4 millions d'euros, le deuxième versement destiné au financement du futur pôle regroupant le conservatoire national de la presse et le centre de conservation des collections, qui sera installé à Amiens à l'horizon 2028. Ce chantier se justifie par la saturation des espaces de stockage au sein des deux sites parisiens. Le dépôt légal représente en effet 5 à 6 kilomètres de livres chaque année, la disparition de celui-ci au profit du numérique telle qu'imaginée au moment de la construction de la Bibliothèque François Mitterrand ne s'étant, in fine , jamais concrétisée.

Le coût total du dispositif est estimé à 100 millions d'euros, l'État s'étant engagé à participer à hauteur de 30 millions d'euros. Le reste du financement est porté à parts égales par la Bibliothèque nationale de France, via des opérations de revente, d'ici 2028, de locaux inutilisés (Sablé-sur-Sarthe, Bussy-Saint-Georges), et les collectivités territoriales.

(3) Des personnels insuffisants ?

Les effectifs de la Bibliothèque national de France connaissent une certaine stabilité depuis 2016, après une diminution des emplois supérieure à 10 % entre 2009 et 2015 : - 260 ETPT sur la période.

La qualité de l'accueil et du fonctionnement des deux sites a pu être altérée par cette absence de recrutements. Même si des progrès ont été enregistrés (fin de la fermeture technique annuelle d'une dizaine de jours par an, augmentation du nombre d'ouvrages réservables ), il convient de rappeler que les deux sites sont fermés le lundi matin et que la communication directe de documents n'est pas possible avant midi, les chercheurs pouvant néanmoins réserver les documents la veille de leur venue. Au sous-financement des travaux correspond donc un sous-investissement dans les moyens humains, les deux pouvant apparaître paradoxaux au regard de la dotation conséquente et croissante accordée chaque année à l'opérateur.

La réouverture du site Richelieu et la création, en son sein, du musée, le développement du dépôt légal numérique et la préparation des collections en vue de leur transfert sur le futur centre de conservation d'Amiens constituent ainsi autant de missions nouvelles qui ne semblaient qu'insuffisamment couvertes par la dotation accordée à l'opérateur.

La réouverture du site Richelieu a certes conduit, en 2022, à une majoration de la dotation de la BnF de l'ordre de 2 millions d'euros au titre des dépenses de personnel. Ces nouveaux crédits se sont cependant avérés insuffisants, l'établissement bénéficiant finalement, en cours de gestion d'un financement complémentaire dédié au recrutement de 20 ETP supplémentaires afin d'améliorer les conditions d'accueil et de communication des documents et de préparer le transfert des collections vers Amiens. Cette dernière mission devait en principe s'effectuer à effectifs constants.

Il convient de relever à ce stade que le nombre de personnes physiques employées par la BnF a progressé entre 2021 et 2022, passant de 2 257 à 2 312. Reste que convertis en équivalent temps plein travaillé, le nombre d'agents est en baisse entre les deux exercices passant de 2 148,16 ETPT à 2142,40. La prise en compte en année pleine des 20 ETPT recrutés au deuxième semestre 2022 devrait cependant contribuer à majorer les effectifs en 2023.

2. Un soutien à l'industrie du livre à réévaluer ?

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de financer à hauteur de 25,2 millions d'euros en AE et 22,8 millions d'euros en CP deux sous-actions qui ne visent pas directement des opérateurs. :

- la sous-action 03, dédiée au développement de la lecture et des collections, sera ainsi abondée à hauteur de 11,8 millions d'euros en AE et 9,4 millions d'euros en CP ;

- la sous-action 04 destinée à soutenir éditeurs, libraires et professionnels du livre, devrait être dotée de 13,4 millions d'euros (AE = CP).

a) Une poursuite inopportune du quoi qu'il en coûte en faveur de l'édition et des librairies ?

Les crédits dévolus à la sous-action 04 ont toute leur place au sein d'une mission budgétaire dédiée aux industries culturelles. La sous-action vise principalement le financement de la Centrale de l'édition et du Bureau international de l'édition française (BIEF), dont une partie des missions sont centrées sur l'exportation des livres ainsi que le Syndicat de la librairie française (10,5 millions d'euros au total) et le développement, dans les territoires, des librairies et des maisons d'édition (2,9 millions d'euros). Cette sous-action enregistre une majoration de crédits de l'ordre de 2,2 millions d'euros. Cette majoration, dans un contexte de bonne santé de l'économie du livre, l'année 2021 étant qualifiée d'exceptionnelle par le ministère de la culture dans ses réponses au questionnaire budgétaire, interroge.

Le marché du livre imprimé neuf et d'occasion et numérique a, en effet, enregistré une progression de 13 % par rapport à 2019, le portant à 4,9 milliards d'euros. Le chiffre d'affaires des libraires a progressé de 20 % par rapport à 2020. L'année 2021 est, d'ailleurs, d'après le syndicat de la librairie française, celle de la plus forte hausse de reprises et de créations de librairies : 147 projets ont été réalisés, soit 3 fois plus qu'en 2019. Le chiffre d'affaires des éditeurs a, quant à lui, cru de 10 % par rapport à 2019 et de 12 % par rapport à 2020. Les premiers éléments relatifs au premier semestre 2022 tendent à confirmer ces tendances.

La progression des crédits intrigue d'autant plus qu'une large partie des crédits vise à financer deux organisations - la Centrale de l'édition et le BIEF - dont les missions se recoupent.

Il convient de rappeler à ce stade qu'une partie des crédits de la mission « Plan de relance » dédiés à la filière Livre (53 millions d'euros au total) étaient destinés à favoriser les investissements des librairies (6 millions d'euros versés dès 2021) et à soutenir l'extension des opérations commerciales ponctuelles « Jeunes en librairie » (7 millions d'euros). Il aurait pu être opportun d'évaluer l'efficience de ces actions avant de majorer une nouvelle fois le soutien aux éditeurs et aux libraires.

b) Une maquette budgétaire à revoir

Le maintien de crédits dédiés au développement de la lecture au sein du programme 334 n'apparaît pas, quant à lui, pertinent. Les actions relatives au livre et à la lecture sont, en effet, depuis la loi de finances pour 2018, rattachés au programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », de la mission « Culture ». Celles-ci sont, à juste titre, considérées comme participant de l'éducation artistique. Les crédits prévus par la sous-action 03 du programme 334 dédiés aux bibliothèques territoriales, à la maison du dessin de la presse, au soutien d'associations en faveur du développement de la lecture, au portail national de l'édition accessible semblent davantage concourir aux objectifs du programme 361.

Dans ces conditions, le rapporteur spécial souhaite une rationalisation de la maquette budgétaire et un transfert des crédits restants dédiés à la lecture vers le programme 361. Le programme 334 verrait ainsi ses missions recentrées sur l'industrie du livre plus que sur la lecture en tant que telle.

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