II. SUIVIRE ET ÉVALUER LES MOYENS BUDGÉTAIRES ALLOUÉS À LA MISE EN oeUVRE DES RÉFORMES DE LA JUSTICE

Après avoir présenté les enjeux du ministère de la justice en matière de fonctions support, absolument essentielles pour que les personnels soient en capacité d'assurer pleinement leurs missions, le rapporteur spécial a souhaité terminer son examen de la mission « Justice » en s'intéressant aux politiques justement mises en oeuvre par ces personnels. Deux angles ont été retenus : la traduction budgétaire des réformes intervenues ces deux dernières années en matière judiciaire et l'accès au droit , un axe essentiel du service public de la justice, à destination de tous.

A. QUELLE TRADUCTION BUDGÉTAIRE POUR LES RÉFORMES ADOPTÉES CES DERNIÈRES ANNÉES ?

Les réformes adoptées par le Parlement ces dernières années - justice de proximité 44 ( * ) , confiance dans l'institution judiciaire 45 ( * ) , réforme du code de justice pénale des mineurs 46 ( * ) - nécessitent d'importants ajustements budgétaires, qui peinent encore parfois à trouver leur traduction . Il ne s'agit donc pas ici de porter une appréciation au fond sur le contenu de ces réformes, mais d'évaluer leurs effets sur la programmation des crédits et des emplois.

1. Concrétiser la priorité donnée à la justice de proximité

Une partie du renforcement des emplois obtenus depuis 2021 et à venir sur la période 2023-2027 (+ 10 016 ETP) se fonde sur la mise en place des volets pénal et civil de la justice de proximité . En 2021, cela a conduit la direction des services judiciaires à saturer son plafond d'emplois, avec un dépassement à hauteur de 224 ETPT (0,6 %).

Le rapporteur spécial a bien pris acte du recrutement de 500 ETP, organisé de manière quelque peu précipitée en 2021 pour renforcer la justice de proximité, et de leur pérennisation en 2022. Il convient toutefois de rappeler que ces recrutements ont pour l'essentiel été réalisés sous la forme de contrats de projet, plus souples et plus rapides à conclure . Or le recrutement de contractuels ne saurait masquer les besoins d'emplois pérennes, nécessaires au bon fonctionnement de la justice.

Plusieurs des personnes entendues en audition ont par ailleurs fait état de leurs craintes quant aux effets de ces recrutements sur le vivier de magistrats et de greffiers , dès lors que certains contractuels auraient pu prétendre aux voies de recrutement plus traditionnelles que sont l'ENM ou l'école nationale des greffiers. Le même constat peut être fait pour les emplois créés sur le périmètre de l'administration pénitentiaire dans le cadre du renforcement de la justice de proximité : 100 emplois de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation contractuels ont été créés à la fin de l'année 2020.

Cette inquiétude se justifie d'autant plus que, d'après les informations transmises au rapporteur spécial, l'un des objectifs de la direction des services judiciaires est bien de poursuivre et d'accélérer le recrutement de magistrats à titre temporaire (504 en 2021) et de magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles (297 en 2021) pour pallier les exigences de la mise en oeuvre du réseau de la justice de proximité 47 ( * ) . L'ensemble des « vacataires » du ministère de la justice sont rémunérés, pour un coût total de 45 millions d'euros en 2021 48 ( * ) .

Les documents budgétaires font également état d'un renforcement du recrutement des délégués du procureur, dans l'objectif de « permettre un déplacement plus fréquent dans les quelques 2 000 enceintes de proximité (tribunaux de proximité, maison de justice et points-justice) ». Aucune information plus précise n'a été obtenue sur le rôle de ces délégués, dans un contexte de surcharge des magistrats.

Outre cette question des emplois, la mise en oeuvre des orientations relatives à la justice de proximité a également des impacts budgétaires, qui demeurent visibles en 2023, quoique d'une ampleur plus limitée que les hausses d'effectifs :

- 13,8 millions d'euros seraient consacrés au financement des actions de justice de proximité relevant de la protection judiciaire de la jeunesse . Il s'agit par exemple du financement des associations mettant en oeuvre des stages en tant que mesures alternatives aux poursuites décidées à l'encontre des jeunes délinquants ;

- 14,7 millions d'euros seraient alloués à l'action 02 « Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité » du programme 101, en hausse de 2,4 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. À noter que cette action, qui sert de soutien au réseau des conseils départementaux de l'accès au droit , précède la loi relative à la justice de proximité, mais fait l'objet d'un renforcement d'autant plus bienvenu depuis 2022 que certains conseils bénéficient de très peu de moyens et ne sont plus totalement en mesure d'assurer leurs missions. Les conseils sont en outre chargés d'animer le réseau judiciaire de proximité des 148 maisons de justice et du droit .

Le portage budgétaire de l'action judiciaire de proximité est quant à lui difficilement dissociable des crédits alloués plus largement à la justice judiciaire (programme 166) et aux 125 tribunaux de proximité.

2. Donner une nouvelle impulsion aux peines alternatives et à la réinsertion

Parmi la liste des nombreuses dispositions de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, sont retenues ici celles qui ont un impact sur l'administration pénitentiaire . Plusieurs mesures ont en effet été adoptées pour limiter la détention provisoire pendant l'instruction ou dans l'attente d'un jugement, favoriser le recours au bracelet électronique ou au bracelet anti-rapprochement (avec une libération sous contrainte de plein droit dans certains cas, cf. supra ) ou encore renforcer les droits sociaux des détenus.

Ainsi, il est opportun de relever que si l'augmentation des crédits demandés en 2023 concerne l'ensemble des programmes et des dépenses de la mission « Justice », elle est particulièrement élevée pour le financement des alternatives à l'incarcération , et notamment les mesures de surveillance électronique et les placements extérieurs, qui atteindrait 53,4 millions d'euros (+ 30 %). Les équipes dédiées à la surveillance électronique bénéficieraient par ailleurs d'un renforcement de 27 emplois.

Le directeur de l'administration pénitentiaire a rappelé en audition qu'il fallait en effet préparer l'entrée en vigueur au 1 er janvier 2023 de la libération sous contrainte de plein droit pour les personnes condamnées à des peines inférieures à deux ans et pour lesquelles le reliquat de peine est inférieur à trois mois, à la condition qu'elles disposent d'un hébergement. Environ 3 500 à 4 000 détenus pourraient être concernés , ce qui permettrait également de desserrer la contrainte sur la surpopulation carcérale.

Concernant la réinsertion, le rapporteur spécial s'est particulièrement intéressé à la formation professionnelle des détenus , étape préalable incontournable dans un parcours de réinsertion. Or, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) dépendent sur ce point fortement des régions, compétentes en matière de formation.

Une convention cadre a ainsi été conclue entre la DAP et Régions de France. Si le partenariat général est de qualité, il n'en reste pas moins que le taux d'accès à la formation professionnelle est extrêmement hétérogène sur le territoire, variant de 3 % en Île-de-France à 17 % dans les Hauts-de-France.

Taux de personnes détenues
ayant bénéficié d'une formation en 2021

Source : commission des finances, d'après les réponses de la direction de l'administration pénitentiaire au questionnaire du rapporteur spécial

La DAP a convenu que les programmes de formation professionnelle à destination des personnes détenues avaient parfois eu du mal à redémarrer après la crise sanitaire. Ils supposent également une très forte volonté politique pour perdurer.

3. Traduire les dispositions du code de justice pénale des mineurs

Après une hausse de 4,6 % entre 2021 et 2022 , soit un niveau significativement inférieur à celui observé à l'échelle de la mission (9 %), les crédits demandés sur le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » connaissent à l'inverse une augmentation plus dynamique en 2023, avec une hausse de 10,4 % en crédits de paiement, pour s'établir à 1,09 milliard d'euros .

Dans un contexte marqué par l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs et par la mise en place du nouveau plan stratégique de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), la sanctuarisation de ses moyens apparaît indispensable .

Les trois priorités de la DPJJ dans
le cadre de son plan stratégique 2022-2027

La DPJJ énonce trois priorités dans le cadre de son nouveau plan stratégique :

1. continuer à renforcer la lisibilité, la diversité et la qualité de la mission judicaire de la DPJJ, à partir notamment de la réforme de la justice pénale des mineurs. Trois plans d'actions seront mis en oeuvre dans ce cadre : un plan d'action sur le milieu ouvert , un plan d'action sur le placement et un plan d'action sur l'insertion ;

2. conforter la crédibilité de l'action de la DPJJ par un accompagnement renforcé de ses professionnels et de ses partenaires du secteur associatif habilité, un pilotage réactif de l'activité, une allocation adaptée des moyens. Cet axe comprend la modernisation de la gestion de ses ressources humaines et du pilotage de son activité, avec le développement d'une stratégie RH plus offensive (communication sur les métiers, poursuivre la revalorisation salariale issue du Ségur, assouplir les modalités de recrutement) ;

3. conforter le rôle de la DPJJ dans les politiques judiciaires de la jeunesse (prévention et lutte contre la délinquance, protection de l'enfance) et dans le pilotage de la justice des mineurs.

Source : réponses de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse au questionnaire du rapporteur spécial

Le code de la justice pénale des mineurs, entré en vigueur le 30 septembre 2021, a procédé à la refonte de la procédure pénale applicable aux mineurs et créé la procédure éducative judiciaire , qui peut être assortie d'un module spécifique (réparation, santé, insertion, placement) et de mesures alternatives aux poursuites et de composition pénale. La DPJJ a donc dû s'adapter, tout en poursuivant ses missions traditionnelles.

Or il convient de rappeler que l'une des spécificités de la politique de protection judiciaire de la jeunesse réside dans le fait que le secteur associatif en est un acteur incontournable , ce qui implique une pérennisation des moyens qui lui sont alloués. Ainsi, en 2023, 289 millions d'euros (AE et CP) sont dédiés aux prestations réalisées par les établissements et services du secteur associatif habilité à la demande des magistrats, soit près de 30 % des crédits du programme , et 65 % des dépenses hors dépenses de personnel . Sur les 1 242 établissements et services dont disposait la PJJ au 1 er juin 2022, 228 sont en gestion directe et 1 014 sont habilités et contrôlés par le ministère de la justice, dont 258 financés exclusivement par l'État, et relèvent du secteur associatif.

Les crédits alloués au secteur associatif augmenteraient ainsi de 7,6 % en 2023 (+ 20,5 millions d'euros). Cette hausse est largement tirée par la masse salariale : l'hypothèse de budgétisation retient en effet une évolution de la masse salariale de 8,8 %, dont 7,1 % liés à la mise en oeuvre des revalorisations salariales annoncées lors de la conférence des métiers de l'accompagnement social et médico-social du 18 février 2022 49 ( * ) . À l'instar de ce que le rapporteur spécial a dit sur la gestion des ressources humaines précédemment, cette hausse se justifie au regard de la crise que traversent les professions des secteurs sociaux et para-sociaux, avec un déficit d'attractivité et une perte de sens.

La prévision budgétaire pour le secteur associatif habilité entend également tenir compte de l'inflation (hors énergie) et de l'évolution des dépenses d'énergie, évaluée à + 9,5 %.

Le secteur associatif habilité gère enfin davantage de places que le secteur public : 408 places en centres éducatifs fermés contre 204 places dans le service public, 328 places en centres éducatifs renforcés contre 24 places dans le service public. Ses taux d'occupation sont également plus élevés sur les centres et sur les autres structures d'hébergement (ex. les lieux de vie et d'accueil).


* 44 Loi n° 2021-401 du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.

* 45 Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 46 Loi n° 2021-218 du 26 février 2021 ratifiant l'ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

* 47 D'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 48 La catégorie des vacataires, outre les magistrats précités, recouvrent également 172 magistrats honoraires non juridictionnels, 1 323 assistants de justice, 254 réservistes de juridictions, 676 réservistes de la police nationale et 85 réservistes de l'administration pénitentiaire.

* 49 Dans le cadre du Ségur de la santé.

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