PREMIÈRE PARTIE
UNE FORTE HAUSSE DES CRÉDITS
DE LA MISSION « JUSTICE » EN 2023

La mission « Justice » comprend l'ensemble des moyens budgétaires du ministère de la justice. Elle est composée de six programmes , qui recoupent en partie les différentes directions « métier » du ministère de la justice :

- le programme 166 « Justice judiciaire » , qui regroupe les crédits relatifs aux juridictions judiciaires ;

- le programme 107 « Administration pénitentiaire » , relatif au service public pénitentiaire ;

- le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » , piloté par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), qui est chargée de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs ;

- le programme 101 « Accès au droit et à la justice » , mis en oeuvre par le secrétariat général du ministère de la justice et qui comprend notamment les crédits relatifs à l'aide juridictionnelle ;

- le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » , placé sous la responsabilité du secrétariat général du ministère de la justice et qui regroupe les moyens de l'état-major, du secrétariat général, des directions législatives, de l'inspection générale de la justice, des délégations interrégionales du secrétariat général et des opérateurs de la mission, ainsi que les crédits alloués aux politiques transversales telles que l'informatique et la gestion des ressources humaines ;

- le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » (CSM) qui porte les crédits nécessaires à l'activité du CSM.

À noter, la mission « Justice » ne comprend pas les crédits relatifs à la justice administrative, qui sont retracés dans la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Répartition des crédits de la mission « Justice » par programme en 2023,
hors contribution au CAS « Pensions »

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les données publiées dans les documents budgétaires

La nouvelle hausse des crédits demandés sur la mission « Justice » en 2023 s'inscrit dans un contexte marqué par les États généraux de la Justice , par la préparation de la future loi de programmation de la justice et par l'inflation .

I. LES CRÉDITS DEMANDÉS SUR LA MISSION « JUSTICE » CONNAISSENT UNE NOUVELLE HAUSSE EN 2023, D'UNE AMPLEUR TOUJOURS TRÈS ÉLEVÉE

La mission « Justice » représenterait 3,2 % des crédits du budget général de l'État alloués aux dépenses des ministères 2 ( * ) en 2023 , contre 3,19 % en 2022. Avec une hausse de 7,7 %, ses crédits de paiement progresseraient légèrement plus vite que ceux du budget général de l'État (+ 7,2 %), y compris sur le seul périmètre des ministères (+ 7,1 %).

A. UNE PROGRESSION DES CRÉDITS EN 2023 DANS LA CONTINUITÉ DE CELLES OBSERVÉES DEPUIS 2021

1. Les crédits progressent au même niveau inédit que celui constaté en 2021 et en 2022

Pour 2023, les crédits demandés sur la mission « Justice » s'élèvent à 12,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 11,6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une baisse de 2 % des AE et une hausse de 7,7 % des CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, à périmètre constant

Évolution des crédits de
la mission « Justice » par programme

Exécution 2021

LFI 2022 (format 2023)

LFI 2023

Évolution 2023/2022

Évolution en volume

Accès au droit et à la justice [P101]

AE

601,3

680,0

712,5

4,8 %

32,45

CP

601,8

680,0

712,5

4,8 %

32,45

Administration pénitentiaire [P107]

AE

4 337,5

6 544,7

5 409,9

- 17,3 %

- 1134,83

CP

4 138,0

4 584,0

4 927,4

7,5 %

343,38

Justice judiciaire [P166]

AE

3 830,2

3 920,8

4 516,4

15,2 %

595,52

CP

3 681,4

3 849,1

4 148,8

7,8 %

299,72

Protection judiciaire de la jeunesse [P182]

AE

923,7

992,3

1 103,7

11,2 %

111,36

CP

915,2

984,8

1 087,3

10,4 %

102,44

Conduite et pilotage de la politique de la justice [P310]

AE

507,2

616,9

764,5

23,9 %

147,55

CP

529,9

636,1

682,5

7,3 %

46,36

Conseil supérieur de la magistrature [P335]

AE

3,5

13,8

4,1

- 70,5 %

- 9,75

CP

4,4

5,3

5,0

- 5,5 %

- 0,29

Total

AE

10 203,4

12 768,7

12 511,0

- 2,0 %

- 257,7

CP

9 870,7

10 739,3

11 563,4

7,7 %

824,06

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La prévision pour 2023 s'inscrit dans la continuité des deux exercices budgétaires précédents , marqués par une hausse d'une ampleur similaire, de l'ordre de 8 % en crédits de paiement.

Évolution des crédits de la mission « Justice »
ces dix dernières années

(en milliards d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », les crédits de la mission « Justice » s'élèveraient à 9,6 milliards d'euros en 2023 , soit 710 millions d'euros de plus qu'en loi de finances initiale pour 2022 et 1,2 milliard d'euros de plus que le montant prévu pour l'année 2022 dans la loi de programmation 2018-2022, à périmètre constant.

2. Une progression des crédits demandés qui concerne tous les programmes et toutes les dépenses

Lors de son audition, le directeur de l'administration pénitentiaire a indiqué que ce budget permettait « d'intégrer toutes les avancées constatées en 2022 et de les poursuivre ». Un constat similaire peut être fait pour l'ensemble des programmes « métier », avec une progression des dépenses de titre 2 (dépenses de personnel) comme hors titre 2.

Contribution des programmes de la mission « Justice »
à la hausse des crédits demandés en 2023, à périmètre constant

(en millions d'euros, en CP)

P 166 : Justice judiciaire

P 107 : Administration pénitentiaire

P 182 : Protection judiciaire de la jeunesse

P 101 : Accès au droit et à la justice

P 310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice

P 335 : Conseil supérieur de la magistrature

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le ministère justifie la hausse des crédits demandés sur la mission par trois priorités : le renforcement des effectifs de magistrats et de personnels de justice, la mise à niveau numérique des juridictions et des procédures et la poursuite de la mise en oeuvre du plan pénitentiaire prévoyant la création de 15 000 places de prison.

a) Un dynamisme des dépenses en titre 2 et hors titre 2

Évolution des crédits demandés sur la mission « Justice »
en 2023 par titre, à périmètre constant

(en millions d'euros et en CP)

Exécution 2021

LFI 2022 (format 2023)

LFI 2023

Évolution 2023/2022

Évolution en volume

Titre 2 - Dépenses de personnel

AE

5 903,40

6 125,7

6 679,7

9,0 %

554,03

CP

5 903,40

6 125,7

6 679,7

9,0 %

554,03

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

AE

2 155,0

4 141,2

3 223,7

- 22,2 %

- 917,54

CP

2 424,6

2 519,7

2 713,7

7,7 %

194

Titre 5 - Dépenses d'investissement

AE

1 249,5

1 511,2

1 573,6

4,1 %

62,34

CP

651,2

1 103,5

1 136,0

2,9 %

32,54

Titre 6 - Dépenses d'intervention

AE

895,5

990,3

1 034,0

4,4 %

43,65

CP

891,5

990,3

1 034,0

4,4 %

43,65

Total

AE

10 203,3

12 768,5

12 511,0

- 2,0 %

- 257,7

CP

9 870,7

10 739,2

11 563,4

7,7 %

824,1

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

(1) La création de 2 253 emplois en 2023

La forte hausse des dépenses de personnel, à hauteur de 9 % entre 2023 et 2022, s'explique tant par la création de 2 253 équivalents temps plein (ETP) en 2023 que par la mise en oeuvre de mesures statutaires et indemnitaires (cf. infra ). Le coût de ces dernières serait de 110,9 millions d'euros en 2023 , soit un cinquième de l'augmentation des dépenses de personnel constatée entre 2022 et 2023.

Les 2 253 ETP se répartissent de la façon suivante entre les programmes : 1 220 emplois pour la justice judiciaire (programme 166), 809 emplois pour l'administration pénitentiaire (programme 107), 132 emplois pour le secrétariat général du ministère de la justice (programme 310) et 92 emplois pour la protection judiciaire de la jeunesse (programme 182), principalement pour renforcer le potentiel d'insertion des jeunes accueillis.

Sur ces emplois, 200 magistrats de l'ordre judiciaire et 191 greffiers seraient recrutés, deux métiers fortement sous tension et pour lesquels des recrutements étaient demandés de longue date par la direction des services judiciaires.

Répartition des créations d'emplois par métier

(en équivalents temps plein)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La chute des créations de poste en 2022 doit être relativisée par le rattachement en gestion du recrutement de 85 surveillants pénitentiaires et par le recrutement anticipé de 605 ETP , correspondant à la pérennisation de 500 contractuels du volet civil de la justice de proximité et de 105 emplois au titre de la lutte contre les violences intrafamiliales 3 ( * ) . Ces recrutements, bien qu'effectués en 2022, contribuent au schéma d'emplois de + 10 016 ETP pour la mission « Justice » sur la période 2023-2027 . La hausse du plafond d'emplois correspondante est inscrite dans le cadre de l'article 7 du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022 (PLFR 2).

Le plafond d'emplois de la mission « Justice » s'élèverait ainsi à 92 061 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2023, en hausse de 1 394 ETPT par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (+ 1,5 %) mais de seulement 703 ETPT par rapport au plafond révisé en PLFR 2 . Un ajustement pourrait donc être prévu par le Gouvernement sur le plafond 2023. Le taux de vacance sous plafond demeure quant à lui faible, de l'ordre de quelques points de pourcentage, indiquant un respect des schémas d'emplois.

(2) Les dépenses hors titre 2

Les crédits demandés en 2023 sur les dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention augmenteraient moins vite que le total de la mission. Ils s'élèveraient à 4,9 milliards d'euros en CP, soit 42,2 % des crédits de la mission, en hausse de 270,2 millions d'euros (+ 5,9 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 4 ( * ) .

Cette augmentation résulterait essentiellement :

- des dépenses informatiques , que ce soit pour la maintenance des applicatifs existants ou pour l'acquisition et le renouvellement du matériel ;

- des dépenses immobilières , qu'elles relèvent d'opérations de construction, de rénovation, d'entretien, d'aménagement des bureaux ou de gestion des locaux (par exemple les consommations énergétiques) ;

- des réformes engagées ces dernières années et visant notamment à développer le statut du travailleur détenu, à développer les places en structures d'hébergement et en milieu ouvert pour prendre en charge les mineurs ou encore à mieux former les personnels.

b) L'importance des frais de justice et leurs facteurs d'évolution justifient une attention particulière

Les crédits alloués aux frais de justice , qui relèvent des dépenses de fonctionnement, font chaque année l'objet d'une attention spécifique. Les frais de justice représentent en effet un peu moins de 60 % des dépenses de fonctionnement du programme « Justice judiciaire » et sont intrinsèquement liés à l'activité des magistrats.

L'essentiel des frais de justice constitue en effet une dépense engagée par les officiers de police judiciaire (OPJ) et par les magistrats dans le cadre des procédures judiciaires. Elle concerne principalement les expertises génétiques et médicales mais aussi financières, informatiques ou balistiques, ou encore le recours aux auxiliaires ou collaborateurs de la justice (huissiers, traducteurs, interprètes, délégués du procureur, etc.). La part des frais de justice pénale représente 91,1 % des frais de justice totaux en 2021 . Elle tend à augmenter, tandis que les frais de justice relatifs aux actions civiles et commerciales diminuent depuis 2015.

En 2023, les frais de justice s'élèveraient à 660 millions d'euros en AE et en CP , contre 648 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2022, soit une évolution maîtrisée de + 1,9 %. Ce montant pourrait être, à l'instar des années précédentes, revu à la hausse, alors qu'il augmenterait déjà de près de 170 millions d'euros en trois ans .

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros, AE=CP)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le difficile pilotage des frais de justice provient d'une part de leur dynamisme, et, d'autre part, de leur manque de prévisibilité et de l'importance des charges à payer qui se sont accumulées au cours des années. Il a toutefois tendance à s'améliorer . Le rétablissement du délai de forclusion d'un an pour déposer les mémoires de frais de justice à compter de l'achèvement de la mission 5 ( * ) doit par exemple permettre d'améliorer la prévision budgétaire. Il explique également une partie de la hausse des frais de justice constatée en 2021 et en 2022, avec un « effet volume » lié au traitement des dossiers proches de l'échéance.

En 2023, la hausse des crédits alloués aux frais de justice ralentirait. Elle permettrait néanmoins de revaloriser les expertises psychologiques et psychiatriques, dans un contexte toujours marqué par une attrition du vivier d'experts, du fait de tarifs peu attractifs.

Lors de son audition, la direction des services judiciaires (DSJ) a indiqué que la recherche d'une maîtrise de l'évolution des frais de justice n'était pas incompatible avec le respect du principe de l'indépendance juridictionnelle , notamment en menant des actions de sensibilisation des magistrats, tout en incluant les officiers de police judiciaire (OPJ). Un plan d'actions national de maîtrise des frais de justice a été diffusé à la suite d'un séminaire des chefs de cour au mois de septembre 2021. Il s'articule autour de trois axes : l'animation du réseau, la sensibilisation des acteurs et le renforcement de la maîtrise de certains segments de frais de justice (gardiennage des véhicules placés sous scellés, scellés biologiques, interprétariat traducteur, expertises numériques, etc.).

La DSJ s'est par exemple rapprochée des services régionaux administratifs (SAR) pour envisager le recrutement en interne d'interprètes sur les langues les plus fréquentes , au lieu de recourir à des prestataires externes. Selon les termes utilisés par le directeur adjoint, une telle évaluation relève de la recherche, même sur les frais de justice, « d'une optimisation et d'une plus grande efficacité de la dépense publique » 6 ( * ) .

En tout état de cause, le développement de techniques d'enquête de plus en plus sophistiquées et coûteuses, ainsi que la masse croissante de données à exploiter, laissent peu de marges de manoeuvre pour une éventuelle réduction de ces frais .

En 2021, la dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale a atteint 471 euros , soit 97 euros de plus qu'en 2019 et 51 euros de plus qu'en 2020. Cette hausse s'expliquait principalement par la reprise de l'activité en sortie de crise sanitaire, le déploiement des enquêtes sociales et le renforcement de la justice de proximité, ainsi qu'une intensification de la lutte anti-terroriste. La prévision actualisée pour 2022 s'élève à 441 euros de dépense moyenne .

Le Gouvernement avait annoncé l'année dernière vouloir atteindre un objectif de dépense moyenne de 330 euros en 2023 , ce qui supposait une diminution très ambitieuse par rapport à la dynamique constatée ces dernières années . Il comptait pour ce faire s'appuyer :

- sur la montée en charge de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) avec la mise en oeuvre effective de la géolocalisation ;

- sur le déploiement en 2022 d'un logiciel contribuant à la maîtrise des dépenses de traduction ;

- sur les initiatives pour mieux maîtriser ces dépenses, en lien avec les chefs de cour.

Le rapporteur spécial avait fait part de son scepticisme quant à l'atteinte de cet objectif . Les données actualisées dont il dispose confirment ses doutes : le Gouvernement a révisé la cible pour 2023 à hauteur de 501 euros de dépense moyenne de frais de justice par affaire pénale , marquant donc une très forte croissance, même par rapport à ce qui devait être un point haut en 2021.

Par exemple, si le déploiement de la PNIJ a bien généré des économies sur les frais de géolocalisation par dossier , à hauteur de 68 millions d'euros depuis 2021, ces économies sont partiellement contrebalancées par un effet volume lié à la plus grande facilité d'accès aux réquisitions numériques et aux interceptions judiciaires par les enquêteurs 7 ( * ) .


* 2 Budget général retraité des engagements financiers de l'État, des régimes sociaux et de retraite, des relations avec collectivités territoriales et des remboursements et dégrèvements.

* 3 D'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 4 À périmètre constant.

* 5 Article 236 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 6 Audition du directeur adjoint des services judiciaires par le rapporteur spécial.

* 7 Réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

Page mise à jour le

Partager cette page