LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » n'ont pas été modifiés par le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 octobre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. Claude Raynal , président . - Nous examinons désormais les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration » . - Les années se suivent et se ressemblent : le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » est toujours frappé d'insincérité. Autant le dire d'emblée, je vous proposerai de ne pas l'adopter !

En premier lieu, je regrette d'avoir obtenu de la part du Gouvernement seulement 34 % de réponses à mon questionnaire budgétaire dans le délai prévu par la loi organique relative aux lois de finances. On peut s'interroger sur la manière dont le Gouvernement considère le Parlement : il devient chaque année plus difficile d'obtenir les réponses. Ce n'est pas normal.

Par ailleurs, je regrette que le budget de cette mission soit très parcellaire. Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la présente mission. Il conviendrait notamment que l'aide médicale d'État (AME) soit incluse dans le budget de la mission. Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration, indiqué dans le document de politique transversale correspondant, serait de 7,1 milliards d'euros en 2023. C'est la première fois que l'on dépasse 7 milliards d'euros. Et ce montant n'inclut pas toutes les dépenses liées à l'immigration, loin de là.

Plus globalement, il est évident que le nombre des demandeurs d'asile et de réfugiés dépend étroitement du contexte géopolitique. Ainsi, la mission est notamment marquée cette année par l'accueil en France de personnes déplacées du fait du conflit en Ukraine. Il est d'ailleurs difficile d'avoir des chiffres exacts en matière d'immigration, c'est un problème structurel. Le rapport d'information des députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis montre que le nombre évalué d'immigrés clandestins en Seine-Saint-Denis varie entre 150 000 à 400 000 selon les estimations !

En outre, évidemment, je ne peux que souligner le faible taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) depuis plusieurs années ; il était de 6 % en 2021 et serait de 6,9 % sur la première partie de 2022. Avant la crise sanitaire, ce taux s'élevait à 13 %. On est loin de la promesse du Président de la République de porter ce taux à 100 % ! Selon le député de la majorité Jean-Carles Grelier, il y aurait 700 000 personnes sous OQTF dans notre pays. Il ne sert à rien de voter des lois si elles ne sont pas appliquées ! En matière migratoire, la volonté d'appliquer les lois n'est clairement pas au rendez-vous. Il en va de même des moyens puisque la lutte contre l'immigration irrégulière ne représente que 8,4 % du budget de la mission.

La situation s'aggrave de jour en jour. En particulier du point de vue de l'asile qui est, hélas, devenu l'une des principales filières d'immigration clandestine. Ainsi, à Mayotte, les demandes d'asile ont augmenté de 64,3 % entre 2020 et 2021. Mayotte et la Guyane concentraient 87 % des demandes d'asile outre-mer en 2021. Globalement, les demandes d'asile ont augmenté de 7 % entre 2020 et 2021 et le ministère estime à 135 000 les demandes qui seront déposées en 2023. Mais il est très vraisemblable que ce chiffre soit nettement sous-estimé tant la pression migratoire reste élevée.

Plus étrange encore, les dépenses de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) devraient baisser de 36 % en 2023. On voit mal comment cette baisse pourrait correspondre à la situation de l'asile l'année prochaine. Cela supposerait notamment que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) parvienne à diviser par deux ses délais de traitement en un an, sans que ceux de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) n'augmentent, et que la hausse du nombre de demandeurs d'asile soit limitée - des conditions qui me semblent singulièrement peu réalistes.

Un effort a été réalisé, depuis plusieurs années, sur notre dispositif d'accueil pour créer des places d'accueil, reflet de la volonté du Président de la République de répartir les migrants en province. Fin 2023, notre dispositif national d'accueil et d'hébergement comptera près de 109 000 places selon le Gouvernement, s'agissant des demandeurs d'asile. Près de 6 000 places d'hébergement supplémentaires seront créées au total en 2023, dont 2 500 en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) - soit 300 dans la région Auvergne Rhône-Alpes, 110 en Bourgogne-Franche-Comté, 190 en Bretagne, 210 dans le Centre-Val-de-Loire, 280 dans le Grand Est, 100 dans les Hauts-de-France, 200 seulement en Ile-de-France, 150 en Normandie, 230 en Nouvelle-Aquitaine, 350 en Occitanie, 150 dans les Pays-de-la-Loire, et 230 en Provence-Alpes-Côte d'Azur - 1 500 en centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) et 900 en hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), toutes en outre-mer. S'agissant des éloignements, 90 places sont créées au centre de rétention administrative (CRA) d'Olivet et 12 dans celui de Perpignan. Enfin, 1 000 places sont créées en centres provisoires d'hébergement (CPH), destinés aux bénéficiaires de la protection internationale les plus vulnérables.

Finalement, les crédits de cette mission sont dans la lignée des années précédentes. Il semble difficile d'estimer que l'État traite ces questions par le bon bout.

M. Roger Karoutchi . - Je note une certaine schizophrénie : on veut accueillir les réfugiés, mais on ne sait pas où les mettre, et lorsque ceux-ci s'installent dans des tentes sous les ponts, on fait semblant de regarder ailleurs... Il faudrait organiser une table ronde sur l'immigration avec tous les acteurs pour prendre des mesures, afin que si l'on décide d'accueillir des migrants, on les accueille de manière digne.

On compte 700 000 personnes ayant fait l'objet d'une OQTF dans notre pays : comme les OQTF deviennent caduques au bout d'un an, cela signifie que 700 000 personnes qui auraient dû partir sont restées. C'est la preuve de l'échec de notre système.

Le Gouvernement promet un texte sur l'immigration et l'asile. Mais je ne comprends pas comment le coût de l'ADA pourrait baisser alors que le Gouvernement prévoit 6 000 places d'hébergement de plus... Je crains que le Gouvernement ne demande une remise à niveau des coûts de l'ADA dans un prochain PLFR. La CNDA veut territorialiser ses instances, car elle n'arrive pas à traiter les dossiers. J'ai du mal à imaginer dans ces conditions que les délais de traitement de l'Ofpra baissent de moitié.

M. Arnaud Bazin . - Le Gouvernement invoque la baisse des délais d'instruction pour justifier la baisse des crédits de l'ADA. On peut être sceptique. Notre commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques s'était justement intéressée à une mission d'un de ces cabinets auprès de l'Ofpra, pour réfléchir aux moyens de réduire le délai d'instruction. Cette mission, qui semble d'ailleurs s'être mal passée avec les agents de l'Office, aurait-elle eu un résultat miraculeux ?

M. Rémi Féraud . - Cette mission budgétaire est très politique et peut être source de polémiques. Sans vouloir faire de la question des OQTF le point central, force est de reconnaître que l'on est loin des engagements du Président de la République dans Valeurs actuelles en 2019 qui promettait un taux d'exécution des OQTF de 100 %. Le problème, ce sont les engagements démagogiques !

Je partage votre scepticisme sur la sincérité du budget, notamment de l'ADA.

Notre rapporteur spécial fait un lien entre l'AME et l'immigration ; or il me paraît pertinent qu'elle figure dans la mission « Santé ». Il faut aussi évoquer l'hébergement d'urgence : beaucoup des personnes hébergées à ce titre sont en situation irrégulière, souvent non expulsables ; notre dispositif est engorgé. Si le Gouvernement entend réduire les délais d'instruction de l'Ofpra, il faut s'attendre à une hausse du nombre de déboutés du droit d'asile qui se tourneront davantage vers l'hébergement d'urgence ; or le budget de ce dernier est en chute libre... Bref quelque chose ne tourne pas rond et le budget n'est pas réaliste.

M. Christian Bilhac . - Je rejoins Roger Karoutchi : il serait bon de se mettre autour d'une table pour trouver des solutions et sortir des « y a qu'à » et des « faut qu'on » !

La situation géopolitique va rester tendue et le flux des réfugiés ne baissera pas. On aura beau construire des barbelés, les gens poussés par la misère ou la guerre viendront.

S'agissant des OQTF, j'ai l'impression qu'il en va un peu comme de la surveillance de nos eaux territoriales à La Réunion qui ne sont survolées par un avion de surveillance que périodiquement : on fait semblant d'agir !

M. Jean-Michel Arnaud . - Dans nos circonscriptions, nous sommes régulièrement confrontés à des situations de personnes faisant l'objet d'une OQTF, alors qu'elles sont bien insérées dans la société, travaillent et ont parfois construit une famille. Elles sont pourtant dans l'impossibilité de travailler légalement. Elles font un recours devant le juge ; au bout d'un an, l'OQTF tombe. Une nouvelle OQTF est prononcée, s'ensuit un nouveau recours, etc . Finalement, ces personnes deviennent des zombies dans la société alors qu'elles pourraient être parfaitement insérées. Pour les préfectures, prononcer des OQTF est une solution de facilité, faute de solutions d'accompagnement par les réseaux associatifs ou de l'État. De quels moyens les services déconcentrés de l'État devraient-ils disposer pour pouvoir traiter les dossiers de manière fluide et offrir des solutions adaptées et humaines ?

Il est difficile d'avoir un débat apaisé sur ces questions, de dépasser les oppositions entre ceux qui ont une vision humaniste et ceux qui ont une vision moins tolérante : notre commission pourrait-elle organiser une réflexion sur ces questions ? Nous pourrions ainsi faire notre travail d'évaluation et de contrôle, sur la base de chiffres objectifs.

M. Daniel Breuiller . - Je m'associe à ces propos.

Les demandes d'asile continueront à augmenter, car parfois les gens n'ont d'autre choix que de migrer pour sauver leur vie. Le réchauffement climatique ne fait qu'aggraver la situation. Je rappelle que le flux principal des migrations concerne l'Afrique, et non notre pays. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un sujet politique majeur que nous devons être capables de traiter.

Certaines personnes ayant reçu une OQTF sont pourtant bien intégrées. La presse se fait parfois l'écho de ces histoires, du cas d'un boulanger qui défend son employé, etc . Je me soutiens notamment de l'affaire des « 1000 de Cachan », ces sans-papiers qui occupaient un Crous à Cachan : tous travaillaient, évidemment en dehors de tout cadre légal. Ce sujet mériterait que nous débattions sereinement.

On joue à la patate chaude : on dépense des sommes folles pour évacuer des bidonvilles, tout en espérant que les gens ne reviennent pas et aillent dans la commune voisine... Trouver des solutions d'intégration coûterait moins cher, on l'a constaté dans le Val-de-Marne. Quelles seront les conséquences de la baisse du nombre de places d'hébergement ? Je plaide aussi pour l'organisation d'une table ronde : si les OQTF ne sont pas appliquées, ce n'est pas parce que ce gouvernement est incapable, la situation n'était guère différente avant.

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Sur la baisse de l'ADA, nous verrons bien si McKinsey a bien fait son travail ! Mais j'en doute : une telle réduction des délais d'instruction de l'Ofpra dans les mois qui viennent semble bien improbable.

Le taux d'exécution des OQTF était de 22 % sous Nicolas Sarkozy. Il était de plus de 50 % en Allemagne avant la crise du covid. La moyenne en Europe est de 33 %. Il y a donc une spécificité française.

Je ne suis animé par nulle démagogie. Je souhaite depuis longtemps la création d'une mission d'information au Sénat pour chiffrer le coût de l'immigration, depuis l'aide au développement jusqu'à la prise en charge sur notre territoire. Cela permettrait de sortir des polémiques. Il ya plusieurs moyens de raccompagner une personne ; un retour forcé coûte très cher. Beaucoup reviennent aussitôt. Dans les Hautes-Alpes, l'État a dû voler au secours du département, dont les structures de l'aide sociale à l'enfance étaient déjà saturées, et qui a dû accueillir du jour au lendemain un flot de 1 250 personnes qui avaient passée le col de Montgenèvre. Il y a des trafics d'être humains.

Nous devrions examiner les faits sereinement. Ce n'est pas une question de droite ou de gauche : Didier Leschi explique bien dans Ce grand dérangement ; L'immigration en face pourquoi nous sommes les plus mauvais en Europe et comment nos procédures sont détournées. Les juges ont parfois un sentiment d'inutilité. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) est devenu un pavé massif qui s'est construit pas strates, sans rationalité. La moitié des recours en droit administratif concernent le droit des étrangers.

Évidemment, cela ne date pas d'hier, mais la tendance s'aggrave. Nul ne peut croire que le coût de l'ADA va baisser vu le contexte international. En ce qui concerne les OQTF, je ne reviendrai pas sur une affaire récente liée à un tragique événement.

On crée des places d'accueil supplémentaires, mais j'aimerais disposer d'une vision consolidée des chiffres entre les différentes missions. Nous devons y voir clair si l'on veut parvenir à maîtriser nos dépenses publiques tout en parvenant à traiter les gens humainement. On fabrique des sans-papiers à la chaîne. Il est très difficile d'obtenir un rendez-vous pour obtenir un titre de séjour. M. Karoutchi a parlé de schizophrénie, il a raison. Le livre de Stephen Smith La ruée vers l'Europe décrit une réalité. Il est temps de s'emparer sereinement de ce sujet sensible, car des personnes perdent la vie en traversant la mer. Il s'agit souvent de personnes prises dans des trafics d'êtres humains. La moitié des interventions de secours en mer sont ainsi liées à des secours aux migrants. Je déplore que la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi) ne comprenne pratiquement rien sur l'immigration, l'asile ou l'intégration. Or ces sujets sont liés ! Souvenons-nous aussi des attentats de 2015, ou de Nice en 2016.

La guerre est à nos portes. Évidemment, cela aura des incidences sur ce budget. Dans ces conditions, celui-ci semble bien insincère. Je déplore enfin l'absence de contrôle parlementaire sur ces questions stratégiques.

M. Claude Raynal , président . - Monsieur Arnaud, la question de l'immigration, de l'asile et de l'intégration est complexe et politiquement sensible ; elle ne peut se traiter uniquement à travers le prisme financier. Je ferai part de votre demande au président de la commission des Lois. S'il est facile de pointer du doigt les difficultés, il est plus compliqué d'avoir un discours construit et de faire des propositions sur ces sujets.

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

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