II. UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DES CRÉDITS DE LA DOTATION POUR DÉPENSES ACCIDENTELLES ET IMPRÉVISIBLES

A. UNE HAUSSE CONSÉQUENTE QUI RÉSULTE, SELON LE GOUVERNEMENT, DES INCERTITUDES LIÉES À LA CRISE ÉNERGÉTIQUE ET AU CONTEXTE INTERNATIONAL ET MACROÉCONOMIQUE

Entre 2018 et 2022, le programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles » a bénéficié chaque année d'une ouverture de crédits de 424 millions d'euros en AE et en 124 millions d'euros en CP, récurrente depuis la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022.

L'écart de 300 millions d'euros entre les AE et les CP est fixé à titre conventionnel depuis 2012. Il s'explique par la nécessité de couvrir les éventuelles prises à bail privées, lesquelles peuvent durer « généralement 6 ou 9 ans, dans de rares cas 25 ans » 36 ( * ) .

Le présent projet de loi de finances pour 2023 prévoit cependant un montant largement supérieur à ceux ouverts ces dernières années sur la dotation « Dépenses imprévisibles et accidentelles », soit 2,074 milliards d'euros en AE et 1,774 milliard d'euros en CP , contre 424 millions d'euros en AE et 124 millions en CP en LFI pour 2022. Ce niveau de provision, qui est largement supérieur au montant conventionnel, est justifié par le Gouvernement par la forte incertitude liée au contexte international et macroéconomique.

B. LA BUDGÉTISATION DE LA DOTATION POUR DÉPENSES ACCIDENTELLES ET IMPRÉVISIBLES APPARAIT PARTICULIÈREMENT EXCESSIVE EN 2023

1. Une augmentation massive des crédits demandés, alors que les exercices précédents n'ont fait l'objet d'aucune mesure de répartition des crédits de cette dotation

Depuis 2020, le Gouvernement a systématiquement abondé la dotation pour dépenses imprévisibles et accidentelles pour anticiper les conséquences des différentes crises qui ont touché la France.

En 2020, un abondement exceptionnel de 1,62 milliard d'euros en AE et en CP sur le programme 552 avait été prévu par la loi de finances rectificative du 25 avril 2020 afin d'anticiper les dépenses supplémentaires causées par la crise sanitaire. Cet abondement n'avait pas fait l'objet de contestation de la part de la commission des finances dans la mesure où les conséquences budgétaires immédiates de cette crise sur les différents programmes du budget général étaient avérées.

Il semble que, depuis cet épisode, le Gouvernement ait pris l'habitude de constituer des réserves de budgétisation massives, soit disant justifiées par un contexte économique, sanitaire, voire international incertain.

En 2021, le programme a fait l'objet d'un abondement d'1,5 milliard d'euros en AE et CP par la loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021 , qui avait également vocation à financer des dépenses imprévues résultant de la persistance de la crise sanitaire. La commission des finances du Sénat s'y était opposée, réduisant de 1 milliard d'euros cette enveloppe, finalement rétablis par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Cette ouverture exceptionnelle de crédits avait suscité le scepticisme du rapporteur général de la commission des finances, car elle avait été adoptée, contrairement à 2020, dans un contexte où les restrictions touchant les activités économiques étaient en grande partie levées.

Il s'avère que l'exécution budgétaire a finalement donné raison à la commission des finances, puisque qu'aucun crédit de cette enveloppe n'a finalement été consommé, et que le collectif budgétaire de fin d'année 2021 l'a annulée 37 ( * ) .

Le premier projet de loi de finances rectificative pour 2022 avait également sollicité l'ouverture de 2 milliards d'euros supplémentaires sur cette dotation, avec pour seule justification que ces crédits permettraient au Gouvernement de faire face à d'éventuelles dépenses imprévues, compte tenu des incertitudes pesant sur la gestion 2022. Un amendement de la commission des finances avait proposé de réduire de 1,5 milliard le montant de cette enveloppe. Finalement, 500 millions d'euros avaient été rétablis dans le texte issu de la commission mixte paritaire, portant l'enveloppe totale supplémentaire sur ce programme à 1 milliard d'euros en AE et en CP.

Or, l'exécution budgétaire au 31 octobre 2022 semble de nouveau donner raison à la commission des finances, puisque comme en 2021, aucun crédit de cette dotation n'a été consommé. Le projet de loi de finances rectificative de fin d'année prévoit en outre une annulation, laissant un solde prudentiel particulièrement élevé de 624 millions d'euros pour couvrir d'éventuelles dépenses d'ici la fin de l'année.

Évolution de la dotation pour dépenses accidentelles
au cours de l'année 2022

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

Référence de la mesure

Programme de destination

Mouvements de crédits sur le programme 552

Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022

Programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles »

+ 124

Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022

Programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles »

+ 2 000

Source : commission des finances

En tout état de cause, les montants demandés en PLF pour 2023 apparaissent particulièrement excessifs au regard de l'exécution des crédits de ce programme sur les exercices précédents. Il convient par ailleurs de rappeler que la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles n'a pas vocation à devenir une solution de budgétisation de facilité pour le Gouvernement. Ainsi, dans une logique de sincérité budgétaire, et dans la droite ligne de la position constante de la commission des finances ces dernières années, les rapporteurs spéciaux proposent donc un amendement visant à minorer le montant de crédits budgétés sur le programme 552 d'1 milliard d'euros en AE et en CP.

La dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles conserverait un niveau très élevé, à hauteur de 1,074 milliard d'euros en AE et 774 millions d'euros en CP, ce qui paraît largement suffisant pour couvrir les aléas éventuels pouvant affecter la gestion budgétaire. Il convient par ailleurs de rappeler que, si toutes les marges de manoeuvre précitées étaient malgré tout épuisées, le Gouvernement aurait toujours la possibilité de prendre un décret d'avance ou de présenter un projet de loi de finances rectificative.

Il convient par ailleurs de souligner que les prévisions indicatives de budgétisation triennales, inscrites dans le PAP, anticipent le maintien de cette dotation à un niveau particulièrement élevé, pour les exercices 2024 et 2025. Ces prévisions ne s'accompagnent d'aucun élément d'information concernant les raisons justifiant une telle prévision. Ainsi, 974 millions d'euros en AE et 674 millions en CP sont prévus pour l'année 2024 . Il est en outre d'autant plus surprenant de constater que le Gouvernement table en 2025 sur une augmentation de 51,3 % des crédits demandés par rapport au montant prévisionnel de 202 4, puisque une budgétisation de 1,474 milliard d'euros en AE et 1,174 milliards en CP est évoquée .

2. Dans ce contexte, une vigilance particulière sera observée par les rapporteurs spéciaux en ce qui concerne l'information du Parlement, et le respect du principe du dernier recours

En tout état de cause, les rapporteurs spéciaux seront particulièrement vigilants quant au respect des règles encadrant l'utilisation de cette dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles. Cette dotation a en effet vocation à couvrir d'éventuelles dépenses liées à des événements aléatoires qui ne peuvent être financées par les mesures de régulation de droit commun, après application prioritaire du principe d'auto-assurance - par exemple, utilisation de la réserve de précaution, transfert entre programmes etc. Dès lors, le recours à la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles ne doit se faire qu'en dernier ressort .

Les rapporteurs spéciaux seront également vigilants sur l'information du Parlement sur la potentielle répartition des crédits. À cet égard, la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a introduit 38 ( * ) , à l'initiative de la commission 39 ( * ) , une obligation d'information des commissions des finances du Parlement en cas d'utilisation de cette dotation au-delà d'un montant de 100 millions d'euros, au moins 3 jours avant la publication du décret de répartition .


* 36 Réponse du ministère au questionnaire budgétaire.

* 37 Rapport n° 792 (2021-2022) de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 juillet 2022.

* 38 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

* 39 Rapport n°831 (2020-2021) sur la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et sur la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques de MM. Jean-François Husson et Claude Raynal, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 septembre 2021.

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