C. LA COMPENSATION DU GROUPE LA POSTE POUR CERTAINES DE SES MISSIONS

Le groupe La Poste est chargé de quatre missions de service public et d'intérêt général , en application de l'article 2, modifié, de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom :

- la contribution, par son réseau de points de contact, à l'aménagement et au développement du territoire ;

- le service universel postal ;

- le transport et la distribution de la presse dans le cadre du régime spécifique prévu par le code des postes et des communications électroniques ;

- l'accessibilité bancaire dans les conditions prévues par le code monétaire et financier.

Chacune de ces missions fait désormais l'objet d'une compensation budgétaire par la mission « Économie » 45 ( * ) . S'agissant de la mission d'accessibilité bancaire, cette compensation est budgétisée et intégrée à la mission « Économie » à compter de 2023 par l'article 43 du projet de loi de finances pour 2023 46 ( * ) .

Les engagements au titre de ces missions du groupe La Poste sont définis dans un contrat d'entreprise pluriannuel avec l'État : pour la période 2018-2022, le contrat d'entreprise a été signé par l'ensemble des parties prenantes le 16 janvier 2018. Comme prévu dans ce contrat, l'État et La Poste ont réalisé courant 2020 un bilan d'étape de la mise en oeuvre de ces différentes missions. Un avenant à ce contrat a été signé le 18 mai 2022 pour formaliser les principales évolutions décidées concernant les quatre missions de service public. Un nouveau contrat d'entreprise pluriannuel est en cours de négociation.

1. La prise en compte des effets de la réforme des impôts de production : la compensation au titre de l'aménagement et du développement du territoire

La Poste bénéficie d'une compensation du coût net de sa mission d'aménagement et de développement du territoire (maintien de points de contacts sur l'ensemble du territoire) via un allégement de fiscalité locale en application de l'article 6 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 précitée, abondant un fonds postal national de péréquation territoriale . Cet allègement prend la forme d'un abattement sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) et sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Alors que les conséquences de la réforme des impôts de production sur le financement du fonds de péréquation postale n'avaient pas été anticipées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, les rapporteurs spéciaux avaient proposé, lors de l'examen de ce texte, un amendement créant une dotation de 66 millions d'euros au profit du fonds postal national de péréquation territoriale. Ces ressources reviennent aux commissions départementales de la présence postale territoriale (CDPPT) et au financement des points de contact éligibles.

Cet amendement, adopté par le Sénat et conservé dans le texte final, a permis de financer les instruments de péréquation indispensables entre les collectivités. Les rapporteurs spéciaux considèrent en effet que les services des points de contact de La Poste doivent être préservés sur l'ensemble du territoire. Il est indispensable que tous les Français puissent bénéficier de ces services.

Pour 2023, comme pour 2022, une dotation est maintenue par le projet de loi de finances initial, à hauteur de 74 millions d'euros pour le fonds (en AE = CP).

Lors de son audition par les rapporteurs spéciaux, le président du groupe La Poste, Philippe Wahl, a souligné que le montant de cette compensation était de facto insuffisant puisque le groupe estime le coût de cette mission à 330 millions d'euros et sollicite une compensation d'au moins 174 millions d'euros. Or, dans le projet de loi de finances initial pour 2023, 143 millions d'euros font l'objet d'une compensation via le fonds postal national de péréquation territoriale : 74 millions d'euros au titre de la compensation budgétaire et environ 69 millions d'euros au titre du montant estimé du produit des abattements sur la CFE et la CVAE pour le fonds postal. Ce dernier montant est en effet en réduction importante du fait de la baisse du taux de la CVAE prévue par le PLF pour 2023. Le Groupe La Poste a donc sollicité auprès du Gouvernement, pour compenser cette baisse des recettes du fonds liés à un produit plus faible l'abattement sur la CVAE, une hausse de la compensation d'environ 31 millions d'euros. Par un amendement n ° II-2832 déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et intégré au texte considéré comme adopté par elle, les crédits de la mission ont été majorés de 31 millions d'euros en AE et en CP à cette fin.

2. La nécessité de compenser le service postal universel assuré par La Poste

La loi du 9 février 2010 47 ( * ) qui a transformé le groupe La Poste en société anonyme à capitaux publics et a libéralisé le marché du courrier depuis au 1 er janvier 2011, a confirmé l'attribution de la mission de service postal universel à La Poste, pour une durée de 15 ans à compter du 1 er janvier 2011.

La baisse continue des volumes du service universel, aggravée par la crise sanitaire, rend cette mission de service public fortement déficitaire. Le compte du service universel en coûts complets s'établissait à + 146 millions d'euros en 2017 puis à - 365 millions d'euros en 2018, à - 526 millions d'euros en 2019 et à - 782 millions d'euros en 2020 48 ( * ) . En 2021, il s'établit à - 617 millions d'euros 49 ( * ) .

Il est donc apparu nécessaire de mettre en oeuvre une dotation spécifique. Dans leur rapport sur l'avenir de La Poste, MM. Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon 50 ( * ) avaient estimé qu'une dotation budgétaire était nécessaire pour que La Poste continue à assurer un service postal universel de qualité sur le territoire national.

À ce titre, La Poste doit fournir « une offre de services postaux de qualité déterminée, de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs » 51 ( * ) . D'après les rapporteurs de la commission des affaires économiques « la France se caractérise par des obligations de service public à valeur légale ou réglementaire qui n'ont pas été modifiées depuis dix ans et qui permettent d'assurer la distribution du courrier et la livraison des colis six jours sur sept sur l'ensemble du territoire pour un périmètre élargi de services postaux . »

Ainsi la loi de finances pour 2022 a tiré les conséquences de ce besoin de financement en établissant, pour la première fois et dans la continuité des recommandations du Sénat, une compensation d'un montant de 520 millions d'euros à compter de 2021. Cette aide a fait l'objet d'une notification à la Commission européenne, qui n'a pas encore communiqué sa décision.

En 2022, ce montant sera de 500 à 520 millions d'euros , la part variable de 20 millions d'euros étant attribuée en fonction du taux de lettres vertes effectivement livrées à J+2. La Poste anticipe que cette mission lui coûtera 538 millions d'euros en 2022.

Indicateur : taux de Lettre verte effectivement livrée en J+2

=94,5 %

520 M€

De =93,5 % à <94,5 %

510 M€

<93,5 %

500 M€

Le projet de loi de finances pour 2023 ne prévoit pas de modification, avec une compensation qui sera de 500 à 520 millions d'euros (elle devrait être identique en 2024 et 2025).

3. La compensation pour le transport postal de presse, dans le cadre de la réforme globale de la distribution de la presse

La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom met à la charge de La Poste une mission de service public de transport et de distribution de la presse. La loi du 9 février 2010 52 ( * ) a confirmé l'attribution de cette mission à La Poste. Cette mission a pour objectif de permettre à chaque citoyen un égal accès à l'information.

Ce dispositif constitue l'un des principaux mécanismes de soutien à la presse écrite papier . En contrepartie de cette mission, l'État verse à La Poste une contribution budgétaire , qui était de 87,8 millions d'euros en 2021, sur le programme 134.

Saisi d'une mission sur la réforme du transport postal de la presse, Emmanuel Giannesini, conseiller maître à la Cour des comptes, a proposé dans ses conclusions, remises au Gouvernement en avril 2020, une réforme globale du transport de la presse visant à la réduction des volumes de presse postés en J+1 au profit du portage, à la stabilisation des tarifs, ainsi qu'à la création d'une nouvelle aide à l'exemplaire à double barème. Un protocole d'accord entre l'État, la presse, la Poste et l'ARCEP a été signé le 14 février 2022. En attente de l'accord des autorités européennes, cette réforme devrait entrer en vigueur fin 2022 ou début 2023.

Dans ce cadre, les aides à la distribution de presse sont transférées au programme 180 « Presse et Médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », à compter de la loi de finances initiale pour 2022. Cette nouvelle aide à l'exemplaire, bénéficiant aux éditeurs de la presse d'information politique et générale (IPG) et pilotée par le ministère de la culture, comprend un barème pour les exemplaires postés et un barème pour les exemplaires portés. Dans les deux cas, tous les exemplaires distribués bénéficient d'une aide unitaire exprimée en euros sur la base d'un barème affiché jusqu'à 2026. Pour 2023, au sein du programme 180, l'aide à l'exemplaire posté bénéficie de 72,2 millions d'euros, tandis que les crédits pour l'aide à l'exemplaire porté s'établissent à 35,1 millions d'euros.

Une ligne budgétaire de compensation à La Poste est néanmoins maintenue sur le programme 134, pour 40 millions d'euros en 2023 (32,2 millions d'euros à l'horizon 2026), étant donné que le Groupe continuera à assumer une partie de la distribution de presse. Le groupe La Poste estime qu'en 2023, le coût de sa mission est de 147 millions d'euros, dont 40 millions d'euros sont compensés.

4. La compensation de la mission d'accessibilité bancaire de La Poste est budgétisée au sein de la mission « Économie » à compter de 2023

La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a généralisé la distribution du Livret A à toutes les banques au 1 er janvier 2009. Elle a toutefois fixé des obligations spécifiques pour La Banque Postale en matière de distribution et de fonctionnement du Livret A au titre de sa mission d'accessibilité bancaire .

Cette mission consiste à offrir gratuitement à toute personne qui en fait la demande un livret A ayant des caractéristiques spécifiques permettant de l'utiliser comme un quasi-compte courant . La mission vise un objectif d'insertion bancaire et sociale en permettant à certaines populations, dont les besoins spécifiques en termes de moyens de paiement et d'utilisation du compte ne sont pas couverts par les autres dispositifs, d'avoir accès à un support bancaire simple dont le mode de fonctionnement est adapté à leurs besoins (domiciliations de certains revenus et de certains prélèvements, montant minimum des opérations individuelles de retraits et de dépôts fixé à 1,50 euro contre 10 euros dans les autres établissements, absence de carte de paiement, etc .).

En 2021, La Banque Postale recensait 1,04 million de clients relevant de la mission d'accessibilité bancaire . Cette mission représente un coût élevé pour La Banque Postale lié à l'absence de moyens de paiement associés au livret A, d'une part, et au besoin d'un accompagnement humain renforcé, d'autre part, qui entraînent une consommation accrue de services de guichet.

En contrepartie de sa mission d'accessibilité bancaire, La Banque Postale reçoit donc une compensation . Celle-ci est jusqu'ici débudgétisée : c'est le Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui en assume la charge.

L'article 43 du présent projet de loi de finances pour 2023 53 ( * ) transfère, à compter de 2023, au budget général de l'État le financement de la mission d'accessibilité bancaire . En effet, selon le Gouvernement, l'accessibilité bancaire ne fait pas partie de la mission prioritaire confiée par la loi au Fonds d'épargne en vertu de l'article L. 221-7 du code monétaire et financier, à savoir le financement du logement social. En outre, la politique publique d'accessibilité bancaire pourrait être plus logiquement portée par le budget général de l'État, mettant ainsi en cohérence l'objectif du dispositif et son financeur.

Dans son rapport sur l'épargne réglementée 54 ( * ) de 2022, la Cour des comptes recommandait de procéder à cette réforme .

Les rapporteurs spéciaux souscrivent à cette logique . En outre, ils sont par principe favorable à la réintégration au budget de l'État de ce type de dépenses, réintégration qui est de nature à renforcer la portée du vote du budget par le Parlement.

Le coût net pour l'État est neutre à moyen terme mais il pourra se produire de manière ponctuelle des décalages dans le temps entre les dépenses et les recettes supplémentaires . Toutes choses égales par ailleurs, le coût pris en charge par l'État diminue d'autant les charges annuelles du Fonds d'épargne et augmente d'autant son résultat net ainsi que ses fonds propres. Or, les excédents de fonds propres sont prélevés par l'État pour rémunérer la garantie qu'il accorde au passif du Fonds d'épargne.

La budgétisation de la compensation n'aura en principe pas d'effet sur son montant . La convention passée pour cette mission entre l'État et La Banque Postale et formalisée par un arrêté du 9 août 2021 qui prévoit la trajectoire dégressive, afin de répondre à l'exigence d'incitation à l'efficience de la mission prévue par la réglementation européenne, est la suivante :

Compensation annuelle au titre de la mission d'accessibilité bancaire de 2021 à 2026

2021

2022

2023

2024

2025

2026

En M€

338

321

303

287

269

252

En 2023, la compensation sera ainsi de 303 millions d'euros, portée par le programme 305 « Stratégies économiques » de la présente mission . Cette compensation n'est que partielle, en cohérence avec les orientations et les obligations fixées par la Commission européenne en matière d'aides d'État. Ainsi malgré des gains d'efficience réalisés pour réduire les coûts d'exploitation, la rémunération spécifique ne couvre pas la totalité des coûts de la mission d'accessibilité bancaire supportés par La Banque Postale. En 2021, la Banque Postale a supporté 55 ( * ) au titre de la mission d'accessibilité bancaire une charge non compensée de 41 millions d'euros après prise en compte de la compensation publique de 338 millions d'euros.


* 45 Des dépenses fiscales sont également prévues.

* 46 Voir infra .

* 47 Loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales

* 48 Hors provisions comptables pour dépréciations des actifs du courrier ou du colis.

* 49 Hors provisions comptables pour reprise de dépréciations des actifs du courrier ou du colis

* 50 Compenser, contrôler, améliorer, détecter : pour une Poste partout et pour tous, rapport d'information de MM. Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon, fait au nom de la commission des affaires économiques, n° 499 (2020-2021) - 31 mars 2021.

* 51 Article 3 de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service.

* 52 Loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

* 53 Voir infra .

* 54 L'Épargne réglementée (2016-2021), observations définitives, Cour des comptes, septembre 2022.

* 55 Réponses du ministère au questionnaire budgétaire.

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