III. L'ESSENTIEL DES DÉPENSES DE LA MISSION SE CONCENTRE SUR UN NOMBRE TRÈS RESTREINT DE DISPOSITIFS, DONT L'UN EST NOUVELLEMENT INTÉGRÉ À LA MISSION

Le plan France très haut débit, les compensations du groupe La Poste et la compensation carbone des sites très électro-intensifs représentent à eux seuls plus de trois quarts (75,3 %) des dépenses hors titre 2 de la mission . Ces trois éléments sont déterminants pour l'évolution des crédits et constituent, outre les missions des administrations mentionnées plus haut, les principales politiques publiques portées par la mission. Par ailleurs, l'activité de garantie directe de prêts accordés aux PME et aux TPE est confiée à Bpifrance et bénéficie de crédits publics.

A. SI LE PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT A PERMIS UNE ACCÉLÉRATION DES DÉPLOIEMENTS, DES ENJEUX DEMEURENT

Le plan France très haut débit (PFTHD), lancé en 2013, visait initialement deux objectifs : garantir à tous un accès au bon haut débit (supérieur à 8 Mbits/s) d'ici fin 2020 et un accès au très haut débit (supérieur à 30 Mbits/s) d'ici fin 2022 . Un objectif additionnel a été ajouté en 2020 : atteindre un déploiement complet de la fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'horizon 2025.

Le PFTHD s'appuie sur l'articulation des initiatives privées et publiques et sur des financements croisés. Le soutien public se décompose dans les projets des collectivités territoriales et en un soutien de l'État dans le cadre du PFTHD, ainsi que de l'Union européenne.

Les rapporteurs spéciaux identifient plusieurs difficultés pesant sur le respect de l'échéance de 2025 pour assurer la couverture en fibre optique de l'ensemble du territoire.

Le plan France Très haut débit

La technologie du très haut débit : un accès supérieur à 30 Mbit/s

Le « très haut débit » (supérieur à 30 Mbit/s) doit être distingué de la fibre optique jusqu'à l'abonné ( FttH - Fiber to the Home ), qui permet de monter jusqu'à 100 Mbit/s.

Pour déployer le très haut débit sur le territoire, plusieurs technologies peuvent être utilisées :

- la fibre optique jusqu'à l'abonné ( FttH ) : il s'agit du standard le plus élevé, mais aussi le plus coûteux à mettre en oeuvre puisqu'il implique le déploiement de nouveaux réseaux. Le plan France Très haut débit prévoit un objectif de 80 % des locaux raccordables en fibre optique en 2022 et de 100 % des locaux à horizon 2025 ;

- le réseau cuivre modernisé (ADSL/VDSL2) ou le réseau câblé modernisé, en mobilisant la fibre optique jusqu'au sous-répartiteur voire jusqu'à l'immeuble. Ces opérations de « montée en débit » sont plus rapides et moins coûteuses à déployer ;

- les technologies hertziennes de type WiMAX (équivalent de la 4G pour le fixe) ou par satellite, qui constituent des solutions alternatives pour les zones où le déploiement serait trop difficile ou trop onéreux (habitat très isolé notamment).

L'objectif : 100 % des locaux éligibles à la fibre optique en 2025

Il convient de distinguer la « couverture » du territoire, qui fait référence au nombre de locaux éligibles et constitue la référence du PFTHD, de l'accès effectif à une connexion à très haut débit, qui implique le raccordement des locaux et la souscription d'un abonnement. En outre, le débit constaté peut s'avérer différent du débit théorique, notamment avec les technologies intermédiaires.

Selon les données de l'ARCEP, la couverture FttH atteignait 32 millions de locaux éligibles au 30 juin 2022 (soit environ trois quarts des locaux).

Depuis 2021, le nombre d'abonnés fibre dépasse le nombre d'abonnés ADSL et continue d'augmenter :

Au 30 juin 2022, le nombre d'abonnés au très haut débit (dont fibre optique) s'élève à 20 millions (contre 15,7 millions au 31 mars 2021) et représente 63 % du nombre total d'abonnements internet haut débit et très haut débit sur le territoire français.

1. Les réseaux d'initiative publique (RIP), cofinancés par le PFTHD, ont permis de résorber une partie des écarts de déploiement de la fibre optique entre les territoires
a) Des crédits conséquents au service du PFTHD en faveur des RIP

L'ensemble du territoire est découpé en deux grandes catégories de zones s'agissant du déploiement de la fibre optique et du très haut débit.

Les différentes zones de déploiement du très haut débit

La zone très dense (ZTD), correspond à la liste des communes définie par l'ARCEP. Cette zone est réputée rentable pour l'initiative privée des opérateurs ; elle ne fait donc pas l'objet d'engagements spécifiques de leur part, les pouvoirs publics ayant anticipé que la concurrence par les infrastructures devait permettre de garantir le déploiement de la fibre dans ces zones.

La zone moins dense correspond au reste du territoire. Dans cette zone, l'initiative privée n'est pas réputée rentable. Néanmoins, les opérateurs mènent également des projets sans financement public dans cette zone. Cette zone se décompose elle-même en deux zones : la zone moins dense d'initiative privée et la zone moins dense d'initiative publique (réseau d'initiative publique - RIP) , dans laquelle les collectivités doivent s'associer dans leur projet de déploiement à l'échelle au moins départementale pour bénéficier d'un soutien de l'État.

Les zones AMII désignent les territoires dans lesquels le Gouvernement a engagé, à l'intention des opérateurs, un appel à manifestation d'intentions d'investissement (AMII) « afin de définir [en creux] les zones en dehors desquelles les collectivités étaient fondées à intervenir ». Dans ces zones, la fibre optique est déployée sur la base d'une initiative privée. En 2018, « à la demande du Gouvernement, afin de sécuriser et d'accélérer le déploiement de la fibre, les opérateurs se sont engagés de manière contraignante à couvrir près de 3 600 communes (de la zone dite « AMII ») au niveau national, au titre de l'article L.33-13 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) ».

Les zones AMEL désignent les zones pour lesquelles le Gouvernement a autorisé, à compter de 2018, les collectivités territoriales à accélérer les déploiements de la fibre optique via des appels à manifestation d'engagement local (AMEL) afin que des opérateurs privés déploient, sur leurs fonds propres, la fibre optique, dans le cadre d'engagements qui leur sont opposables (sur le modèle des engagements en zones AMII). Sans la création des zones AMEL, les déploiements en question auraient dû être à la charge des collectivités, via la création d'un RIP.

L'intervention financière publique n'est possible que dans la zone dite moins dense et à condition que soit établie la carence de l'initiative privée. Sur la zone dite « d'initiative publique », les réseaux fixes à très haut débit sont pour l'essentiel déployés dans le cadre de projets portés par les collectivités territoriales , qui peuvent s'appuyer sur un soutien de l'État via le guichet « réseaux d'initiative publique » (RIP) du PFTHD.

Le soutien de l'État des RIP, par le biais du PFTHD, devrait atteindre 3,64 milliards d'euros en cumulé fin 2023 , selon la ventilation suivante :

- programme budgétaire 343 : 2,5 milliards d'euros ;

- programme budgétaire 364 (Mission Plan de relance) : 240 millions additionnels ouverts en 2021 ;

- 900 millions d'euros issus du Fonds pour la société numérique (FSN) mis en place pour le premier programme des investissements d'avenir (PIA 1, 2010).

Alors que la création du programme 343, en loi de finances initiale pour 2015, devait permettre d'offrir un vecteur budgétaire unique en complément des crédits du programme d'investissement d'avenir (PIA) l'ouverture de crédits nouveaux au sein de la mission Plan de relance en loi de finances initiale pour 2021 a complexifié le suivi des crédits dédiés au plan.

Ainsi, comme cela a été relevé de nombreuses fois par les rapporteurs spéciaux, la participation de l'État au PFTHD pose des difficultés importantes en termes de lisibilité budgétaire . D'un point de vue administratif, en 2023, la gestion du Fonds pour la société numérique, fonds sans personnalité juridique, comportant les sources de financement du PFTHD précitées, géré par la Caisse des dépôts et consignations pour le compte de l'État sera transféré à l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT). Une convention entre la DGE et l'ANCT confiant la gestion administrative et budgétaire des crédits dédiés au financement du PFTDH devrait être conclue avant la fin de l'année 2022.

En 2023, les crédits du programme 343 « Plan France Très Haut Débit » sont en hausse de 52,3 millions d'euros en AE et en baisse de 184,1 millions d'euros en CP, pour s'établir respectivement à 74,1 millions d'euros et 437,7 millions d'euros . Les AE financeront principalement le nouvel appel à projet « raccordements complexes » 37 ( * ) et un nouvel appel à projet RIP à Mayotte, tandis que les décaissements en CP suivent le rythme de déploiement des RIP par les collectivités territoriales.

b) Une dynamique de déploiement de la fibre optique inégale en fonction des zones

Selon les données de l'ARCEP, la couverture FttH atteignait 32 millions de locaux au 30 juin 2022 (soit environ trois quarts des locaux), à comparer à 30,8 millions de locaux au 31 mars 2022, 25,6 millions au 31 mars 2021 et 19,5 millions au 31 mars 2020.

Le renforcement de la dynamique des déploiements de la fibre optique est aujourd'hui majoritairement porté par les réseaux d'initiative publique, financés par le plan France très haut débit.

Au deuxième trimestre 2022, malgré un ralentissement, le rythme global des déploiements se maintient à un niveau élevé selon l'ARCEP, avec 1,2 million de nouvelles lignes FttH.

La dynamique de déploiement est très positive dans les zones financées par le plan France très haut débit, les zones RIP. 1 477 000 nouvelles prises FttH ont été déployées sur le premier semestre 2022, soit 63,7 % des déploiements sur la période. Ce taux était de 32,3 % au second semestre 2020 ; cette hausse du taux est liée à l'affaiblissement de la dynamique de déploiement dans les autres zones.

Les rapporteurs spéciaux souhaitent ainsi relever plusieurs sujets d'inquiétude concernant les zones non-RIP.

Les déploiements de prises fibre de 2018 au premier semestre 2022

(en milliers de prises déployées)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'Arcep

Dans les zones très denses (ZTD), le rythme insuffisant constaté ces derniers semestres perdure. Seulement 164 000 nouvelles prises FttH ont été déployées sur le premier semestre 2022, soit le rythme le plus faible depuis au moins 4 ans.

En outre, il existe une forte disparité dans l'avancement du déploiement dans les ZTD . Plusieurs grandes villes sont ainsi encore mal couvertes en fibre. Le taux de couverture est ainsi de 76 % à Marseille et de 71 % à Lille. A l'inverse, le taux de couverture est de 96 % à Paris et de 95 % à Lyon. Par ailleurs, la couverture en fibre optique des zones très denses de certains départements est bien inférieure à la couverture moyenne nationale de ces zones, qui s'établit à 90 % : elle est par exemple de 72 % en Meurthe-et-Moselle.

En zone AMII, les opérateurs privés n'atteignent pas les engagements acceptés par le Premier ministre en 2018 38 ( * ) , ce qui inquiète les rapporteurs. À la fin du second trimestre 2022, en zone « AMII », environ 87 % des locaux des communes sur lesquelles Orange s'est engagé ont été rendus raccordables. Ce taux est de 94 % pour SFR. En outre, seulement 518 000 nouvelles prises FttH ont été déployées sur le premier semestre 2022 39 ( * ) , contre 1 100 000 sur la même période un an plus tôt.

En zone « AMEL » (appels à manifestation d'engagements locaux) les déploiements atteignent environ 425 000 locaux éligibles en cumulé à la fin du second trimestre 2022 (160 000 nouvelles prises ont été installées au premier semestre 2022), soit seulement un tiers des locaux à rendre raccordables en zone AMEL. À ce jour, 10 engagements résultants des AMEL ont été acceptés par le Gouvernement. Le respect des échéances prévues dans chacun des cas n'apparaît pas assuré, loin de là.

Les échéances de la zone AMEL

Départements

Opérateurs concernés

Arrêté ministériel d'acceptation

Échéances juridiquement opposables

Côte-d'Or

Altitude Infrastructure

20/05/2019

2022 (100 % )

Lot-et-Garonne

Orange

20/05/2019

Fin juin 2024 (100 % )

Région SUD

SFR

20/05/2019

2019 (56 000 locaux) - 2020 (143 000 locaux) - 2021 (231 000 locaux) - 2022 (100 % )

Saône-et-Loire

Covage 40 ( * )

25/07/2019

Fin juillet 2023 41 ( * ) (100 % )

Savoie

Covage

25/07/2019

Fin juillet 2022 (50 % ) -Fin juillet 2024 42 ( * ) (100 % )

Eure-et-Loir

SFR

10/10/2019

2020 (27 000 locaux) - 2021 (100%)

Haute-Vienne

Orange

04/02/2020

2024 (100 % )

Landes

Altitude Infrastructure

19/12/2019

2020 (10,4 % ) - 2021 (65,7 % ) - 2022 (100 % )

Nièvre

SFR

19/12/2019

2020 (5 000 locaux) - 2021 (58 000 locaux) - 2022 (100 % )

Vienne et Deux-Sèvres

Orange

17/08/2020

Fin mars 2025 (100 % )

Source : Réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux de l'Agence nationale de la Cohésion des territoires

L'Arcep a le pouvoir de sanctionner les opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements pris dans le cadre de l'article L.33-13 du code des postes et des communications électroniques, notamment ceux prévus en zones AMII ou AMEL.

Les rapporteurs spéciaux estiment, comme l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), que l'autorité de régulation doit se saisir de ce pouvoir de sanction pour atteindre les engagements pris. Cette intervention du régulateur apparaît d'autant plus urgente qu'est à craindre une rupture d'égalité dans l'accès au numérique sur le territoire.

2. Les raccordements complexes et l'entretien des réseaux existants et nouvellement créés sont des enjeux majeurs

Si les rapporteurs spéciaux dressent un bilan globalement positif de la zone RIP et du levier financier qu'a constitué le plan France très haut débit, ils s'inquiètent depuis plusieurs années de l'avenir des réseaux déployés et des coûts liés à l'entretien de ce réseau, ainsi que des financements nécessaires à la réalisation des raccordements complexes.

Les raccordements complexes désignent des « raccordements nécessitant la création ou la mise à niveau des infrastructures mobilisables ou rencontrant des difficultés pour les mobiliser » 43 ( * ) . Un raccordement complexe est donc mécaniquement plus coûteux pour la collectivité dans les zones RIP.

Le financement de ces raccordements doit permettre de sécuriser l'éligibilité de tous nos concitoyens à la fibre. En outre, il s'agit d'un facteur potentiellement bloquant pour atteindre l'objectif d'une couverture intégrale du territoire en fibre optique à l'horizon 2025.

Conformément à l'alerte des rapporteurs spéciaux, un soutien de l'État au financement de la création des infrastructures nécessaires aux raccordements finals, à hauteur de 150 millions d'euros a été prévu. L'enveloppe cible de 150 millions est portée par le programme 343 correspondant à une première ouverture d'AE de 88,7 millions d'euros en 2022 et de 61,3 millions d'euros dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023.

L'arrêté du 19 avril 2022, publié au Journal officiel du 23 avril 2022, a approuvé le cahier des charges de l'appel à projets « Création d'Infrastructures de génie civil nécessaires aux Raccordements finals », qui a été lancé.

Les rapporteurs spéciaux avaient en effet déposé l'année dernière un amendement au projet de loi de finances pour 2022 pour majorer de 150 millions d'euros en AE et de 75 millions d'euros en CP les crédits prévus au titre du Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), en particulier pour traiter l'enjeu des raccordements complexes. Si les rapporteurs spéciaux estiment que le FANT aurait constitué un véhicule pertinent pour porter ces crédits, ils se satisfont de l'ouverture de crédits d'un montant identique à ce qu'ils avaient proposé. Ils seront vigilants sur le fait de savoir si celui-ci suffira dans les années à venir.

En outre, la question de l'entretien des infrastructures déployées par les syndicats mixtes est d'ores et déjà pleinement posée, alors que les coûts seront bien plus élevés dans les territoires ruraux et qu'une péréquation entre les territoires est indispensable.


* 37 Voir infra.

* 38 Orange s'est engagé à rendre raccordable 100 % des locaux de la zone sur laquelle il s'engage d'ici à fin 2022, soit près de 3 000 communes représentant plus de 13 millions de locaux. SFR s'est quant à lui engagé à rendre au minimum 92 % de locaux raccordables à fin 2020 sur la zone sur laquelle il s'engage, soit plus de 600 communes représentant près de 3 millions de locaux, le reste étant raccordable « sur demande ».

* 39 Sur la même période, 201 000 nouveaux locaux étaient à rendre raccordable

* 40 L'opérateur Covage a depuis été racheté par SFR ; la structure issue de cette fusion a été baptisée XP Fibre.

* 41 48 mois après acceptation des engagements par le ministre, dont l'arrêté a été publié le 25 juillet 2019.

* 42 Respectivement 36 et 60 mois après acceptation des engagements par le ministre, dont l'arrêté a été publié le 25 juillet 2019.

* 43 Audition de l'ANCT en 2021.

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