II. LES OBSERVATION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

A. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL VINCENT DELAHAYE

Les crédits demandés pour le programme 105 - Action de la France en Europe et dans le monde augmentent de 133,8 millions d'euros en autorisation d'engagement et de 129,2 millions d'euros en crédits de paiement.

Évolution des crédits du programme 105 - Action de la France en Europe
et dans le monde
de la mission Action extérieure de l'État

(en millions d'euros - en pourcentage)

2022

2023

Évolution en valeur

Évolution en pourcentage

Évolution corrigée de l'inflation

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

105 - Action de la France en Europe et dans le monde

1 951,0

1 953,8

2 084,8

2 083,0

133,8

129,2

6,9

6,6

2,5

2,2

Action européenne

143,8

143,8

134,8

134,8

- 9,0

- 9,0

- 6,3

- 6,3

- 10,1

- 10,1

Contributions internationales

652,2

652,2

707,5

707,5

55,3

55,3

8,5

8,5

4,0

4,0

Coopération de sécurité et de défense

110,0

110,0

115,4

115,4

5,4

5,4

4,9

4,9

0,6

0,6

Coordination de l'action diplomatique

98,1

98,1

106,7

106,7

8,7

8,7

8,8

8,8

4,4

4,4

Réseau diplomatique

689,7

689,5

749,0

740,3

59,3

50,8

8,6

7,4

4,1

2,9

Soutien

257,1

260,1

271,3

278,3

14,2

18,1

5,5

7,0

1,2

2,6

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial Vincent Delahaye observe que, pour ce programme comme pour l'ensemble de la mission, la tendance est à la hausse des crédits sans que cela ne s'accompagne toujours d'une présentation claire des motifs de ces évolutions.

En outre, il constate que le ministère n'a pas systématiquement recherché à financer ses dépenses nouvelles par des économies par ailleurs.

Ainsi au sein de l'action Coordination de l'action diplomatique du programme 105, les dépenses de communication augmentent de 2,5 millions d'euros afin, notamment, de mettre en oeuvre des opérations de lutte contre la désinformation.

Pour utile que soit cette dépense, il apparait qu'elle aurait pu donner lieu à la réalisation d'économies par ailleurs , ce qui n'a pas été le cas comme l'ont montré les auditions organisées par les rapporteurs spéciaux.

Or, alors que la dépréciation de l'euro face au dollar , d'une part, et l'inflation au niveau monde , d'autre part, participent à accroitre fortement les dépenses de la mission (les dépenses de fonctionnement des ambassades augmentent, par exemple, de 2,5 millions d'euros et les contributions internationales de 55,3 millions d'euros), il importe que des économies soient recherchées partout où elles peuvent l'être.

À cet égard, le rapporteur spécial Vincent Delahaye rappelle que la trajectoire d'évolution des crédits proposée par le Gouvernement pour le triennal 2023-2025 implique de réaliser des économies en volume.

Sauf à considérer - ce que les auditions n'ont pas permis d'exclure - que cette trajectoire ne repose pas sur une prévision objective des besoins et des efforts, le ministère des affaires étrangères va devoir engager une réflexion sur les économies qu'il est en mesure de produire dès 2024.

La dynamique des dépenses de personnel, largement soutenue par de nouvelles mesures catégorielles, ne donne pas le sentiment que des efforts de maîtrise des dépenses soient à l'ordre du jour.

1. Une augmentation importante des contributions internationales qui résulte essentiellement de la dépréciation de l'euro

Les crédits demandés au titre des contributions versées par la France au profit des organisations internationales et pour le financement des opérations de maintien de la paix (OMP) progressent fortement en 2023 (+ 55,3 millions d'euros, soit + 8,5 %).

Évolution des crédits dédiés au financement
des contributions internationales du programme 105

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

a) Les contributions internationales augmentent en raison de la dépréciation de l'euro face au dollar

La hausse du coût des contributions internationales porte sur celles versées dans une devise autre que l'euro et, plus particulièrement, en dollar.

En effet, la dépréciation continue de l'euro par rapport au dollar depuis le milieu de l'année 2021 tend à renchérir le coût effectif des contributions alors même que, dans certains, cas leur montant en dollar diminue.

Évolution du taux de change euro-dollar

(en dollar)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du Consensus Forecasts de janvier 2021 à octobre 2022

Parmi les contributions versées en devises en 2023 (217,4 millions d'euros), la hausse la plus importante concerne l'Organisation des Nations unies dont le coût augmente de près de 10,6 millions d'euros. Le coût du financement des opérations de maintien de la paix progresse d'environ 11 %.

b) L'évolution défavorable du taux de change de l'euro montre toute l'importance du mécanisme de couverture du change entre le ministère des affaires étrangères et l'Agence France Trésor

Dans le contexte d'incertitudes sur l'évolution des changes à moyen terme, les rapporteurs spéciaux estiment que le mécanisme de couverture du risque de change institué entre le ministère et l'Agence France Trésor (AFT) présente un caractère stratégique.

Dans le cadre de ce dispositif, le ministère des affaires étrangères passe à l'AFT des ordres d'achats à terme de devises en lui indiquant le taux de change acceptable qu'il retient. Ainsi saisie, l'AFT met en oeuvre une opération de couverture auprès des organismes spécialistes en valeur du Trésor (SVT).

L'objectif et l'intérêt de cette opération pour le ministère des affaires étrangères est de geler le montant de ses contributions en devises et le coût de cette dépense en euro.

Depuis 2018, le ministère des affaires étrangères a activé le mécanisme de couverture de change contribuant à sécuriser entre 80 % et 90 % du montant de ses contributions en dollar.

Les rapporteurs spéciaux notent avec satisfaction que la mise en oeuvre du mécanisme de couverture a été effectuée, cette année, dès le début de la budgétisation. Auparavant, le mécanisme était activé après l'adoption du budget ce qui n'allait pas sans susciter des difficultés lorsque le taux de change retenu en budgétisation et le taux de marché avaient trop fortement divergé, générant au plan budgétaire une perte ou un gain au change pour le ministère.

Présentation des taux de change euro-dollar pris en compte dans l'analyse du coût des contributions internationales du programme 105

(en dollar)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires et la prévision d'octobre 2022 du Consensus Forecasts

Pour l'année 2023, le taux de change retenu par l'AFT pour son opération d'achat à terme (OAT) s'élève à 1,1 et porte sur 90 % du montant des contributions versées en devises.

Il est relativement proche du taux de budgétisation qui s'élève à 1,06 et qui constitue la référence pour évaluer in fine l'ampleur des pertes ou des gains au change réalisés par le ministère lors du versement des contributions.

Le taux retenu par l'AFT pour son OAT est ainsi proche de celui anticipé « dans un an » par le Consensus Forecasts au mois de mai 2022 .

Il apparait désormais très supérieur à la fois au taux de change constaté au mois d'octobre 2022 (0,97) et à la prévision de taux de change « dans trois mois » (0,99) et « dans un an » (1,03) des conjoncturistes ce qui est favorable au ministère des affaires étrangères.

En d'autres termes et en effet, si le versement des contributions devait être effectué dans trois mois au taux anticipé par les conjoncturistes - c'est-à-dire 0,99 -, le mécanisme de couverture permettrait :

- d'éviter une perte au change d'environ 6,8 % par rapport au taux de budgétisation qui serait supportée par le ministère des affaires étrangères (soit environ 24 millions d'euros pour la part des contributions versées en dollars) ;

- de réduire le coût de l'opération de couverture d'environ 3,9 % pour l'AFT par rapport à un scénario ou le taux de marché à date serait égal au taux de référence de l'opération de couverture.

Les rapporteurs spéciaux rappellent toutefois que pour 10 % d'entre elles, les contributions en devises ne sont pas couvertes par l'OAT de l'AFT. L'évaluation de leur coût en euros a été réalisée sur la base du taux de budgétisation de 1,06.

Dans ce contexte, si les versements devaient être effectués dans trois mois, ils entraineraient une perte au change qui peut être évaluée à 2,7 millions d'euros pour la seule part des contributions versées en dollars.

c) Certaines contributions augmentent afin de marquer les priorités françaises en 2023

Le montant des crédits demandés au titre des contributions versées en euros progresse de 1,6 % en 2023 , soit trois millions d'euros. N'étant pas affectées, par construction, par la dépréciation des taux de change, les évolutions de ces contributions rendent davantage compte des priorités politiques poursuivies par le ministère des affaires étrangères.

Ainsi, la principale source d'augmentation des dépenses concerne les versements au profit de l'OTAN qui sont en hausse de 9,7 millions d'euros. Cette variation rend compte de la décision prise par les chefs d'État et de gouvernement d'augmenter de 10 % le budget civil de l'organisation à l'occasion du sommet de Madrid de juin 2022.

À l'inverse, le montant de certaines contributions diminue dans des proportions importantes à l'instar des versements prévus au profit de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui diminuent de 7,4 millions d'euros.

Cette baisse s'explique par la décision de la Russie de bloquer le renouvellement de la Mission spéciale d'observation de l'OSCE en Ukraine. Les crédits consacrés par la France au financement de cette opération seraient redéployés vers d'autres actions en faveur de l'Ukraine.

Enfin, certaines contributions en devises verraient leur financement augmenter indépendamment des effets de change. Ainsi, le ministère prévoit de doubler les crédits accordés au dispositif des jeunes experts associés (JEA) qui permet d'accompagner des ressortissants français qui rejoignent les effectifs des organisations internationales à des fonctions d'expertise et d'encadrement.

2. Sous l'effet de l'inflation et d'une programmation dynamique en matière de travaux, les dépenses immobilières augmentent fortement

Les crédits demandés au titre des dépenses immobilières du ministère des affaires étrangères augmentent fortement en 2023 , en particulier en autorisations d'engagement : + 20 % s'agissant des opérations à l'étranger et + 36,4 % s'agissant des opérations en France.

Ils s'élèvent à 124,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 120 millions d'euros en crédits de paiements.

Évolution des dépenses immobilières de la mission à l'étranger

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Évolution des dépenses immobilières de la mission en France

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

En France, les dépenses progressent essentiellement en raison de la hausse des coûts de l'énergie qui pèse sur les charges de maintenance et d'entretien. À l'inverse, à l'étranger, les crédits sont poussés à la hausse par l'augmentation des dépenses d'entretien lourd.

a) Les dépenses de maintenance et d'entretien augmentent notamment sous l'effet de hausse des prix de l'énergie

Hors entretien lourd, les dépenses immobilières du ministère progressent essentiellement en France et de façon très importante . En effet, les dépenses de maintenance et d'entretien doublent quasiment pour atteindre 15,8 millions d'euros.

Pour plus de la moitié, cette évolution s'explique par l'augmentation des coûts du poste fluides et énergie qui résulte de la hausse générale des prix de l'énergie.

Les dépenses d'entretien et de maintenance progressent également à l'étranger d'environ 1,4 million d'euros , partiellement compensés par une économie sur les dépenses de location d'environ 0,2 million d'euros. Ces dépenses constituent, selon le ministère, une « priorité absolue pour éviter une dégradation de nos emprises à l'étranger ».

Évolution des dépenses d'entretien et de maintenance immobilière de la mission
à l'étranger

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Évolution des dépenses d'entretien et de maintenance immobilière de la mission
en France

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

b) Les dépenses d'investissement en matière immobilière progressent fortement à l'étranger

À l'étranger, les dépenses d'entretien lourd augmentent
de 10,7 millions d'euros en AE et de 2,6 millions d'euros en CP en 2023
par rapport à 2022, en tenant compte des ressources mises à disposition l'année précédente via le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

Évolution des dépenses d'entretien lourd de la mission
en autorisations d'engagement

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Dans le cadre du schéma directeur immobilier pluriannuel à l'étranger pour les années 2020 à 2025, le ministère a identifié 200 projets structurants au sein desquels des interventions prioritaires ont été retenues . Certains projets présentent une envergure importante à l'instar de la rénovation de l'ambassade de Bangui dont les locaux ont été dégradés par un incendie.

En France, les crédits demandés en AE diminuent d'environ 2,3 millions d'euros en AE et progressent très faiblement en CP (+ 0,4 million d'euros).

Les rapporteurs spéciaux rappellent qu'ils conduisent actuellement un travail de contrôle portant sur l'immobilier des affaires étrangères dont les conclusions seront présentées au début de l'année 2023.

Évolution des dépenses d'entretien lourd de la mission
en crédits de paiement

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

3. Les efforts entrepris au début du quinquennat précédent pour maîtriser les dépenses de personnel sont près d'être effacés par le relâchement des années 2022 et 2023

Les crédits demandés en 2023 pour couvrir les dépenses de personnel s'élèvent à 929 millions d'euros hors contributions au CAS « Pensions », soit une augmentation en valeur de 7,3 % par rapport à l'année 2022, soit 63,2 millions d'euros.

Le rapporteur spécial Vincent Delahaye observe que corrigée de l'inflation, l'augmentation des dépenses de personnel s'élève à 2,9 %. Il s'agit d' une hausse très importante en comparaison de la dynamique observée au cours de précédent quinquennat puisque la croissance des dépenses de personnel avait été contenue à environ + 0,1 % par an en volume.

Évolution des dépenses de personnel de la mission

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires et les comptes nationaux de l'INSEE au troisième trimestre pour 2022

Le principal facteur contribuant à l'évolution des dépenses de personnel en 2023 réside dans la hausse des dépenses d'indemnité de résidence à l'étranger (IRE) dont le coût total s'élève à 369 millions d'euros soit 33 % de l'ensemble des dépenses de personnel.

Décomposition des facteurs d'évolution
des dépenses de personnel de la mission en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

La hausse du coût de l'IRE parvient ainsi, en 2023, à excéder les coûts combinés de la hausse des mesures catégorielles (10 millions d'euros), de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique (7 millions d'euros) et de la création de 100 emplois équivalent temps plein supplémentaires.

Si la dynamique de l'IRE est affectée cette année par la dépréciation de l'euro et par un niveau d'inflation-monde plus important que le niveau de l'inflation en France, son importance n'en demeure pas moins un problème pour la soutenabilité budgétaire de la mission.

Le rapporteur spécial Vincent Delahaye constate que la réforme des modalités de calcul de l'IRE n'a toujours pas été mise en oeuvre et qu'il existe toujours une différence importante entre les montants théoriques de cette indemnité - qui sont évalués en fonction de critère objectifs comme la localisation - et les montants effectivement versés, ce qui n'est pas acceptable.

De façon générale, le rapporteur spécial Vincent Delahaye estime que les années 2022 et 2023 offrent le sentiment d'un relâchement de la part du ministère quant à l'effort de maîtrise des dépenses de personnel qu'il avait plus ou moins engagé au cours des années précédentes.

D'une part, le ministère s'est engagé dans une démarche de revalorisation des personnels qui se traduit par la mise en oeuvre de nombreuses mesures catégorielles nouvelles.

En 2022, ce sont ainsi 20 millions d'euros de dépenses nouvelles qui ont été décidées en particulier dans le contexte de la « réforme des ressources humaines ». En 2023, environ 10 millions d'euros de mesures catégorielles nouvelles sont prévues.

Ainsi ce sont donc 30 millions d'euros de mesures catégorielles qui ont été engagées sur deux ans soit près de la moitié de la hausse des dépenses de personnel en 2023.

En d'autres termes, en s'abstenant d'introduire ces mesures catégorielles, le ministère aurait pu diviser par deux la progression de ses dépenses de personnel en 2023.

D'autre part, le rapporteur spécial Vincent Delahaye constate que le ministère a relâché puis abandonné ses efforts de maitrise des effectifs . En effet, en équivalent temps plein travaillé, le nombre des emplois a augmenté de 154 emplois entre 2020 et 2023 annulant près de 60 % des baisses d'effectifs réalisés entre 2018 et 2020.

Évolution du nombre d'effectifs sous plafonds de la mission

(en équivalent temps plein travaillé)

Note : dans le cadre de la réforme des réseaux de l'État à l'étranger (RRE), environ 412 emplois équivalent temps plein ont été transférés depuis d'autres ministères au ministère des affaires étrangères. Le nombre de ces emplois est donc intégré aux effectifs de l'année 2018 pour permettre d'opérer une comparaison à champ constant.

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Le ministère n'a ainsi pas réussi à tenir les objectifs qui lui avaient été confiés dans le cadre d'Action Publique 2022 et qui prévoyaient la suppression de 416 emplois entre 2018 et 2022. Ainsi, à compter de 2021, le ministère a été autorisé à ne plus réaliser d'efforts supplémentaires se limitant à un résultat de - 332 emplois.

En 2023, ce résultat sera annulé pour près d'un tiers puisque le ministère a obtenu de créer 106 ETP supplémentaires.

Suivi de la réalisation des objectifs confiés au ministère
des affaires étrangères dans le cadre d'Action Publique 2022

(en équivalent temps plein travaillé - en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

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