B. UNE TRAJECTOIRE DE RÉDUCTION DE DÉPENSES PUBLIQUES EN TROMPE L'oeIL QUI REPOSE SUR LES EFFORTS DES SEULES ADMINISTRATIONS LOCALES ET DE SÉCURITÉ SOCIALE

1. Une trajectoire en trompe-l'oeil

Le projet de loi de programmation propose que les dépenses des administrations publiques atteignent 1 708 milliards d'euros en valeur en 2027. Exprimé hors charges des intérêts de la dette et en volume - c'est-à-dire en neutralisant les effets de l'inflation anticipée par le Gouvernement -, l'objectif proposé correspond à contraction moyenne d'environ 0,4 % par an de la dépense primaire sur la période 2022-2027.

Objectif du Gouvernement d'évolution des dépenses primaires
prévu au projet de loi de programmation des finances publiques

(base 100 en 2022)

Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Selon la présentation du Gouvernement, les dépenses des administrations centrales et locales diminueraient en volume au cours de la période tandis que celles des administrations de sécurité sociale augmenteraient d'environ 0,4 %.

En d'autres termes, le « pouvoir d'achat » des administrations centrales et locales serait appeler à se contracter puisque les dépenses en valeur progresseraient moins vite que l'inflation.

La présentation retenue par le Gouvernement est toutefois un trompe-l'oeil car le périmètre des dépenses pris en compte intègre les mesures mises en oeuvre depuis 2022 pour faire face à la crise sanitaire et économique et à la crise de l'énergie.

Or, ces dépenses ont, par nature, vocation à être temporaires et devraient être neutralisées pour mesurer le véritable effort de l'État à réduire la dépense publique et, en conséquence, à contribuer au redressement des comptes publics . Doit ainsi être privilégié le périmètre des « dépenses primaires ordinaires », hors mesures en dépense liées à la crise sanitaire, au plan de relance et à la réponse face à la crise énergétique.

Le périmètre des « dépenses primaires ordinaires » hors mesures en dépense liées à la crise sanitaire, au plan de relance et à la réponse face à la crise énergétique

Afin d'analyser l'effort de maîtrise des dépenses publiques, le rapporteur a entendu exclure du périmètre des calculs la charge de la dette (dont l'évolution résultant des taux d'intérêt n'est pas pilotable) et l'ensemble des mesures en dépenses engagées pour répondre aux crises sanitaire, économique et énergétique. En effet, ces mesures de crise n'ont, par définition, pas vocation à être pérennes.

Au regard des réponses apportées par les services du ministre chargé des comptes publics, l'ensemble des mesures figurant dans le tableau ci-après sont considérées comme exclues du périmètre des « dépenses primaires ordinaires ». Les critères mis en oeuvre pour identifier ces dépenses sont que la mesure :

- doit être regardée comme une dépense au sens de la comptabilité nationale (ce qui n'est pas le cas, par exemple, de la baisse de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité) ;

- doit présenter un caractère temporaire, ce qui n'est notamment pas le cas de la revalorisation des prestations sociales ou du point d'indice de la fonction publique.

Liste des mesures exclues du périmètre des dépenses primaires ordinaires des administrations publiques

(en milliards d'euros)

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Administrations centrales

89,4

97,8

88,4

74,5

52,3

55,1

60,8

Charges des intérêts de la dette

31,2

42,0

38,0

45,0

49,0

54,0

60,0

Mesures du plan de relance

21,0

17,9

8,6

7,6

3,1

0,8

0,7

Mesures d'urgence face à la crise sanitaire

32,5

3,8

1,9

1,2

0,2

0,3

0,1

Activité partielle (hors APLD du plan de relance)

5,4

0,2

Autres dépenses sous norme pilotable

1,0

Autres mesures de soutien spécifiques (masques, permittents, etc.)

1,9

0,2

Fonds de solidarité et aides annexes, y compris sport montagne culture

23,9

1,1

Sinistralité BEI (Banque européenne d'investissement)

0,3

0,4

0,2

Sinistralité PGE (prêts garantis par l'État) nette des primes

0,3

1,7

1,2

0,7

0,2

0,3

0,1

Trésorerie de l'Agence de services et de paiement (ASP) et de Santé publique France (SPF)*

0,3

0,3

0,3

Mesures engagées face à la crise énergétique

4,7

34,1

39,9

20,7

Aide exceptionnelle de rentrée

1,1

0,0

Aides sectorielles

1,1

Autre

1,6

Bouclier électricité - manque à gagner des fournisseurs d'électricité

11,3

24,4

19,8

Bouclier gaz compensation aux fournisseurs de gaz

0,4

8,1

11,1

0,9

Bouclier gaz stockage de gaz

1,4

1,3

Chèque énergie exceptionnel

0,5

1,8

Indemnité inflation

3,8

0,0

Remise sur les prix du carburant

7,6

Soutien aux ménages modestes chauffés au fioul

0,2

Subventions aux entreprises énergo-intensives

1,5

1,5

Administrations locales

0,9

1,0

2,0

2,0

3,0

3,0

3,0

Charges des intérêts de la dette

0,9

1,0

2,0

2,0

3,0

3,0

3,0

Administration de sécurité sociale

30,8

16,9

7,0

4,9

4,3

3,1

3,1

Charges des intérêts de la dette

2,6

3,0

5,0

4,0

4,0

3,0

3,0

Mesures du plan de relance

1,9

2,0

1,0

0,9

0,3

0,1

0,1

Mesures d'urgence face à la crise sanitaire

26,3

11,9

1,0

Activité partielle (hors APLD du plan de relance)

2,7

0,1

Dépenses de santé

18,3

11,5

1,0

Prolongation des revenus de remplacement et décalage de l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance-chômage

5,3

0,3

Ensemble des administrations publiques

121,2

115,7

97,4

81,4

59,6

61,2

66,9

Or, en retraitant ces dépenses « extraordinaires » (dépenses de santé, activité partielle, bouclier tarifaire etc.) et qui ont vocation à s'éteindre, il apparaît qu'en réalité, seules les administrations publiques locales seront appelées à réduire leurs dépenses en volume entre 2022 et 2027.

Objectif du Gouvernement d'évolution des dépenses primaires prévu au projet de loi de programmation des finances publiques retraitées des mesures de crise (sanitaire et énergétique)

(base 100 en 2022)

Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

2. Un effort de maîtrise des dépenses qui est très inéquitablement réparti entre les administrations publiques

Afin d'apprécier le montant des économies qui devraient être réalisées pour atteindre la trajectoire de dépenses proposées, il est conventionnel et utile de calculer une trajectoire contrefactuelle « à politique inchangée ».

Dans le projet du Gouvernement, le taux de croissance des dépenses primaires qui a été retenu s'élève à environ + 1,25 % par an à compter de l'année 2021. Toutefois, il n'est pas fait état de la décomposition de ce tendanciel entre les différentes catégories d'administrations.

Le rapporteur a souhaité évaluer un tendanciel d'évolution des dépenses primaires par catégorie d'administration pour mesurer l'effort demandé à chacune d'entre elles.

Pour cet exercice, il a considéré que la croissance tendancielle en volume des dépenses primaires était égale à la moyenne des taux de croissance de ces dépenses constatés sur la période 2009-2019, soit :

+ 0,9 % par an pour l'État et les opérateurs ;

+ 1,1 % par an pour les administrations locales ;

+ 1,6 % par an pour les administrations de sécurité sociale ;

+ 1,25 % pour l'ensemble des administrations publiques (ce qui correspond au taux retenu par le Gouvernement).

Au regard des résultats obtenus, il apparait que sur le périmètre des dépenses primaires ordinaires seules les administrations locales et de sécurité sociale seraient appelées à réaliser un effort d'économie en dépenses tandis que l'État et les opérateurs n'en fourniraient quasiment aucun en comparaison historique.

Économies devant être réalisées en 2027 par rapport à un scénario contrefactuel (+1,25 % de dépenses primaires en volume/an)

(en euros 2022)

Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

3. Des mesures d'économies qui ne sont pas véritablement documentées

Comme indiqué supra on peut observer que - hors mesures non pérennes liées à la crise sanitaire et au soutien au pouvoir d'achat - seules les administrations locales et de sécurité sociale seraient vraisemblablement amenées à réaliser un effort de réduction de leurs dépenses par rapport au tendanciel.

Dans le cas des administrations de sécurité sociale, un quantum d'économies d'environ 27 milliards d'euros devrait ainsi être réalisé d'ici 2027.

Sur ce point, le Gouvernement se borne, dans le rapport annexé, à indiquer que ce résultat « serait permis par la dynamique modérée des dépenses de la branche vieillesse, avec la mise en place d'une réforme des retraites, et par la maîtrise des dépenses d'assurance maladie (...) » ainsi que par une baisse des dépenses de chômage.

La situation des administrations sociales fait l'objet d'une analyse plus détaillée infra , toutefois, s'agissant des deux premières pistes citées, les perspectives d'économies paraissent plus qu'incertaines.

En ce qui concerne les dépenses de chômage , on peut évaluer
à 1,3 % par an leur évolution tendancielle- ce qui correspond à la croissance moyenne observée entre 2000 et 2019 hors crise.

Sous cette hypothèse, les dépenses de chômage devraient atteindre 48 milliards d'euros en 2027, soit 1,5 % du PIB, équivalent à sa moyenne sur longue période.

En face, le Gouvernement a indiqué à l'occasion du programme de stabilité 2022-2027 qu'il estimait que les dépenses de chômage représenteraient en 2027 environ 1,2 % du PIB soit 38,2 milliards d'euros.

L'économie d'environ 10 milliards d'euros qui devrait ainsi être réalisée le serait, selon le Gouvernement, à la faveur :

- d'une baisse importante du taux de chômage qui selon ses projections atteindrait 5 % en 2027 contre 7,2 % en 2022 ;

- d'une diminution des allocations chômage dans le cadre de la réforme en cours de l'assurance-chômage.

Or, comme indiqué supra , l'hypothèse d'atteindre 5 % de chômage en 2027 ne fait pas consensus parmi les conjoncturistes et doit donc être regardée comme fragile.

En ce qui concerne les retraites, les effets d'une réforme des retraites sur les comptes publics (recettes et dépenses) prennent du temps à se matérialiser. Ainsi, d'après l'OCFE dans une publication récente au terme de cinq années après le déclenchement de la réforme, l'effet de cette dernière sur le solde public se limite à 0,09 point de PIB.

En effet, la réforme des retraites - justifiée par l'impératif d'assurer l'équilibre à long terme du système - ne produit d'effets d'ampleur et durables sur le PIB et le solde public qu'à moyen-long terme.

À court terme, et pour éminemment nécessaire qu'elle soit, ses effets budgétaires restent limités ce qui interroge sur le choix du Gouvernement d'évoquer cette réforme comme un axe central de la cohérence de sa programmation des finances publiques.

En tout état de cause, à politique inchangée, la dynamique des dépenses de retraites n'est pas compatible avec les objectifs du Gouvernement en matière de finances publiques.

En effet, comme l'indique le Conseil d'orientation des retraites dans son rapport public de septembre 2022 « pour tenir ces objectifs, la croissance des dépenses publiques doit être limitée à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027 [...] or, les dépenses de retraites [...] progresseraient sur la période de 1,8 % en termes réels. » .

Dans le cas des administrations locales, le Gouvernement propose une contraction de l'ensemble des dépenses locales (fonctionnement et investissement) en volume d'environ 0,5 % par an jusqu'en 2027 - soit - 0,6 % par an analysé au périmètre des dépenses hors charge de la
dette - ce qui représente un quantum d'économies d'environ 24 milliards d'euros.

Pour autant, il n'indique pas comment cet objectif pourrait être réalisé renvoyant l'ensemble des modalités à la concertation tout en prévoyant, néanmoins, un instrument de contrainte des dépenses de fonctionnement à l'article 23 du projet de loi de programmation.

Comme le rapporteur aura l'occasion de le préciser aux commentaires des articles 16 et 23 du projet de loi de programmation des finances publiques, il est permis de douter de la pertinence de ces instruments pour assurer le double objectif de maîtriser les dépenses publiques et de préserver l'autonomie et les capacités d'intervention des collectivités locales.

Enfin, s'agissant des administrations publiques centrales, le rapport annexé au projet de loi de programmation des finances publique se borne à indiquer que « cette maîtrise de la dépense publique reposera notamment sur des mesures de transformation structurelle et une évaluation renforcée de la qualité des dépenses (...) » .

Ainsi que le développe plus amplement la partie infra consacrée aux dépenses de l'État, ce dernier ne se donne manifestement pas les moyens de réduire durablement ses dépenses ordinaires, en particulier les dépenses de personnel.

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