Rapport n° 811 (2021-2022) de Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Louis-Jean de NICOLAY , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 21 juillet 2022

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N° 811

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juillet 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la préservation de l' activité des vitraillistes , menacée par l' interdiction du plomb telle qu'envisagée par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l' enregistrement , l' évaluation et l' autorisation des substances chimiques ,

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Louis-Jean de NICOLAŸ,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM . Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Mme Véronique Guillotin, M. Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

Voir les numéros :

Sénat :

726 et 812 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

La commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité, le jeudi 21 juillet 2022, la proposition de résolution européenne n° 812 (2021-2022) et le rapport de Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ sur la préservation des filières du patrimoine, menacées par l'interdiction du plomb ou la procédure d'autorisation envisagée par la révision du règlement européen « REACH »

La révision du règlement européen sur les produits chimiques « REACH » pourrait interdire l'utilisation du plomb ou la soumettre à une procédure extrêmement lourde pour les PME du patrimoine

La mise en oeuvre du règlement « REACH » , acronyme anglais du règlement européen concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques , est confiée à l'Agence chimique européenne , désignée elle aussi sous son acronyme anglais ECHA.

Or cette agence a lancé au printemps une consultation sur l'inclusion du plomb à l'annexe XIV du règlement « REACH », concernant les substances dites « particulièrement préoccupantes ».

La procédure d'autorisation que cela impliquerait, et qui cèderait la place à une interdiction pure et simple au terme de quelques années, représenterait un coût prohibitif pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d'expertise, exigeant le recours à un cabinet ou une structure d'appui spécialisés et le versement d'une redevance à l'ECHA (de l'ordre de 27 000 € minimum à 200 000 € selon la taille de l'entreprise concernée). Les entreprises (TPE et PME) françaises du secteur du patrimoine culturel ne pourront pas mettre en oeuvre cette procédure très lourde, sans que leur survie même soit mise en cause à court terme .

Le comité des États membres de l'ECHA doit maintenant se prononcer pour prioriser les substances à inclure dans cette annexe XIV. Ce comité évalue le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif, et examine l'impact des règles envisagées sur l'industrie : 84 % du tonnage de plomb utilisé concerne les batteries.

Interviendra ensuite l'instruction par la Commission européenne de la recommandation de l'ECHA et des informations recueillies lors de la consultation publique.

À ce stade, le résultat de la consultation n'est pas encore accessible sur le site de l'ECHA et, de fait, l'ECHA n'a pas encore adopté sa recommandation.

Une fois la recommandation adoptée, ce qui devrait intervenir au plus tard d'ici la fin de l'année 2022, la Commission européenne proposera, normalement sous 12 mois, un projet de règlement, donc d'ici la fin de l'année 2023 . C'est alors seulement que les autorités françaises auront officiellement connaissance des intentions de la Commission quant à l'inscription ou non du plomb à l'annexe XIV du règlement « REACH ».

Le champ des secteurs menacés s'étend à l'ensemble du patrimoine historique

Les maîtres verriers et la chambre syndicale nationale du vitrail se sont mobilisés pour cette consultation puis ont saisi les sénateurs : ils sont en effet légitimement inquiets, car la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb.

La France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux au monde. Les plus beaux joyaux de ce patrimoine exceptionnel sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais ce patrimoine s'étend aussi dans tous nos territoires.

Les facteurs d'orgue sont également concernés au premier chef, ainsi que les organistes, puisque ce prodigieux instrument est en partie constitué de plomb. Malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIX e siècle, sa sonorité est indissociable de la part de plomb qui forme l'alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ. Sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1600 sont classés au titre des monuments historiques.

La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. C'est pourquoi l'impact le plus lourd porterait sur l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques : le Groupement des entreprises de restauration des Monuments historiques (GMH) fédère 252 entreprises, de 12 métiers, employant 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques comptent 78 entreprises, employant quelque 5000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises employant 1500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.

Certaines toitures historiques sont constituées de plomb : c'est le cas de nombreuses cathédrales , tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments , comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon, les châteaux de la Loire...

L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait donc à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique au service du patrimoine français et européen.

Les musées et institutions patrimoniales conservent aussi de très nombreux objets et oeuvres d'art contenant du plomb : par exemple, la sculpture en bronze, les conduites d'eau anciennes, les sarcophages, les insignes médiévaux, les jouets et articles ménagers (assiettes, tasses, bougeoirs...), les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, les sceaux...

La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs, archéologues et autres agents intervenant dans ces opérations.

La prévention du risque plomb est bien assurée par les secteurs du patrimoine concernés mais des études scientifiques sont nécessaires au niveau européen

L'enjeu sanitaire est évidemment central pour les sénateurs : le plomb est un polluant bien identifié. L'usage de carburants sans plomb a, heureusement, drastiquement réduit la pollution qui y est liée. Ce matériau reprotoxique est particulièrement nocif, notamment par ingestion, pour les jeunes enfants, les femmes enceintes, les foetus. Ces risques sont connus et pris en charge dans la population générale.

La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine . Toutes les entreprises concernées y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en termes d'évaluation de la présence de plomb, avec des protocoles très stricts, en matière d'hygiène, de moyens de protection collective et d'équipements de protection individuelle. Les rapporteurs ont constaté sur un chantier l'importance de ces mesures.

La législation française et le code du travail en particulier prévoient déjà des exigences et un suivi spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.

Mais, au niveau européen, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable sur la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel .

C'est pourquoi les sénateurs appellent à la réalisation d'études spécifiques à ce domaine, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, avec le concours des services de la Commissaire à la Culture.

Pour une exception « plomb » ou un protocole européen dédié au patrimoine, préférable à l'hypothèse d'une révision du règlement « REACH »

Des règles, des outils, des bonnes pratiques existent qui pourraient être traduites dans un Protocole européen de prévention du risque plomb sur les chantiers des monuments historiques , sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français (Paris, Nantes, Rouen, Clermont-Ferrand).

Pour les sénateurs, cette voie est bien préférable à une révision du règlement « REACH ».

Si la Commission européenne jugeait toutefois nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait recourir à d'autres législations européennes existant dans le champ du travail ou de la santé, en veillant à bien exempter les filières patrimoniales de nouvelles dispositions.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission est saisie d'une proposition de résolution européenne (n° 726 ; 2021-2022) relative à la préservation de l'activité des vitraillistes, menacée par l'interdiction du plomb telle qu'envisagée par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin.

L'exposé des motifs de cette proposition de résolution européenne (PPRE) vise la préservation du savoir-faire des artisans, ateliers et entreprises qui créent et restaurent les vitraux qui sont les joyaux de notre patrimoine. Il souligne que les techniques et procédés multiséculaires employés dans cet artisanat recourent à l'utilisation du plomb, indispensable à la confection des baguettes qui structurent les motifs des vitraux. Il fait ensuite référence à la consultation ouverte le 2 février 2022 1 ( * ) pour trois mois par l'Agence européenne des produits chimiques (dite ECHA, de son acronyme en anglais), dans le cadre de la révision du règlement européen n°1907/2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, dit « REACH » (acronyme anglais de Registration, Evaluation, Authorization of CHemicals ). Tout en se félicitant des progrès accomplis pour protéger les artisans et travailleurs des effets nocifs pour la santé de l'utilisation du plomb, il souligne l'inquiétude et la mobilisation de la filière du vitrail, activée par la Chambre Syndicale Nationale du Vitrail (CNSV), face à une possible interdiction de ce matériau, indispensable et nécessaire à la survie de cette filière. La PPRE appelle enfin le Sénat, chambre des territoires, à apporter un soutien politique fort à cette filière et les autorités européennes, en premier lieu l'ECHA et la Commission, à entendre ses revendications, tout en insistant sur les spécificités de cet artisanat hors du commun.

• Le plomb, support séculaire irremplaçable pour la confection de vitraux

Pour examiner cette proposition de résolution européenne, les rapporteurs de la commission des affaires européennes ont tout d'abord entendu les maîtres verriers et les représentants de la CNSV, qui avaient saisi plusieurs sénateurs dès la clôture de la consultation lancée par l'ECHA au printemps dernier, le 2 mai 2022. Cette organisation professionnelle, fondée en 1823, regroupe plusieurs centaines d'ateliers, pour la plupart de très petites entreprises (TPE), mais aussi quelques petites et moyennes entreprises, tels les ateliers Loire à Chartres ou Vitrail France à Neuville-sur-Sarthe, employant une vingtaine de salariés. Au total, on estime à environ 450 le nombre d'artisans et de travailleurs du vitrail en France, pour un chiffre d'affaires total d'environ 22,5 millions d'euros et une activité globale répartie, à parts à peu près égales, entre restauration de vitraux anciens et création de vitraux.

Art ancestral, le savoir-faire millénaire du maître verrier est un métier d'art par excellence, dépositaire d'une transmission très ancienne, associée à d'innombrables sites et monuments patrimoniaux mondialement connus et protégés. Il s'épanouit au Moyen-Âge, avec le développement des verrières et des rosaces des cathédrales. Outre celles de Chartres, Notre-Dame de Paris et Strasbourg, on peut citer les cathédrales de Cologne et de Naumburg en Allemagne, de León, de Burgos et de Gérone en Espagne, celle de Saint François à Assise, celles de Bruxelles et d'Anvers en Belgique, de Canterbury et d'York au Royaume-Uni, mais aussi la cathédrale Saint Guy de Prague, la Basilique-cathédrale de l'Assomption et l'hôtel de ville de Lviv en Ukraine, parmi tant d'autres exemples emblématiques, sans oublier la création contemporaine, qui a pris un grand essor au XXe siècle, avec Alfons Mucha, Marc Chagall, Georges Braque, Pierre Soulages et tant d'autres créateurs et artistes, illustres ou méconnus, qui tous ont trouvé dans cette forme d'expression, profane ou sacrée, un moyen de rendre pérennes leurs oeuvres pour les générations présentes et à venir.

À elle seule, la France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux au monde : outre les cathédrales, églises et chapelles, ceux-ci illuminent maints châteaux, monuments publics et privés.

Or la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb, matériau des baguettes formant la matrice soutenant le verre coloré et peint. Ces baguettes présentent longitudinalement des rainures opposées, dos à dos, en forme de H, où sont serties les plaques de verre, jusqu'à 170 par mètre carré. L'espace compris entre les rainures au milieu du plomb s'appelle « l'âme » ; les côtés qui recouvrent le verre sont « les ailes ».

Les propriétés intrinsèques de malléabilité et de durabilité du plomb expliquent que le réseau arachnéen formé par ces baguettes soit irremplaçable.

C'est dire si les maîtres verriers ont des raisons de s'inquiéter d'une modification du statut du plomb au titre du règlement européen REACH. Mais ils ne sont pas les seuls, loin de là.

• La révision engagée du règlement REACH : procédure et calendrier

Avant d'examiner le vaste champ patrimonial concerné, il convient de revenir au calendrier de révision du Règlement REACH et à la procédure qui s'y applique : conformément à l'article 133(4) du règlement REACH, les amendements des annexes XIV ou XVII relèvent de la procédure de règlementation avec contrôle (PRAC), prévue avant le Traité de Lisbonne 2 ( * ) . La Commission européenne doit consulter le comité REACH, composé de représentants de chacun des États membres, et ne peut pas adopter la modification si l'opinion du comité est négative, c'est-à-dire si la proposition de modification ne reçoit pas une majorité qualifiée 3 ( * ) en sa faveur. Les Parlements nationaux, grâce à leur proximité avec le terrain, peuvent jouer un rôle précieux de « lanceurs d'alerte » législatifs auprès de leur gouvernement - qui est chacun représenté dans le comité chargé de contrôler la Commission, mais aussi directement auprès de la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique.

Le règlement REACH 4 ( * ) , issu de la fusion de 40 directives européennes préexistantes depuis 1967, en date du 18 décembre 2006, tend à sécuriser l'utilisation des substances chimiques vis-à-vis de la santé humaine et de l'environnement.

L'ECHA est au centre du dispositif REACH. C'est cette agence qui est chargée de gérer et mettre en oeuvre l'ensemble des tâches qu'il prescrit, mais aussi de proposer périodiquement (au moins tous les deux ans) à la Commission européenne une révision de ce règlement, qui peut comporter l'inscription de telle ou telle substance dans une des nombreuses annexes du règlement ou son déplacement de l'une de ces annexes vers une autre.

L'annexe XIV de ce règlement-fleuve, qui comporte actuellement 331 pages, dresse la liste des substances dites « particulièrement préoccupantes » susceptibles d'être dans un premier temps soumises à une procédure dite « d'autorisation » particulièrement longue, lourde, complexe et coûteuse, pour les entreprises concernées, utilisatrices desdites substances, avant d'être interdites à terme - dans un certain délai à compter de leur inscription à cette annexe -, si la proposition de l'ECHA est validée par la Commission européenne.

Le plomb figurant déjà, depuis 2018, sur la liste des substances dites « candidates » à l'inscription à l'annexe XIV, il a donc fait l'objet, dans ce cadre préalable à la recommandation que pourrait faire l'ECHA à la Commission européenne, d'une consultation publique, ouverte le 2 février 2022.

La consultation publique étant close depuis le 2 mai 2022, le comité des États membres de l'ECHA, dit comité REACH, doit maintenant se prononcer pour prioriser les substances à inclure dans l'annexe XIV du règlement REACH. Le comité REACH se prononce sur le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif, et examine l'impact des règles envisagées sur l'industrie (84 % du tonnage de plomb utilisé concerne les batteries ...). Au comité REACH, siège pour la France un représentant de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), avec l'appui d'un représentant du ministère de la transition écologique (bureau des produits chimiques).

Interviendra ensuite l'instruction par la Commission européenne de la recommandation de l'ECHA et des informations recueillies lors de la consultation publique.

Le calendrier a pu être précisé début juillet 2022. À ce stade, le résultat de la consultation n'est pas encore accessible sur le site de l'ECHA 5 ( * ) et, de fait, l'ECHA n'a pas encore adopté sa recommandation.

Une fois la recommandation adoptée, ce qui devrait intervenir au plus tard d'ici la fin de l'année 2022, la Commission européenne proposera, en général sous 12 mois, un projet de règlement, ce qui devrait donc intervenir d'ici la fin de l'année 2023. C'est alors que les autorités françaises auront connaissance des intentions de la Commission quant à l'inscription ou non du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH.

Selon l'unité en charge de la supervision de REACH au sein des services de la Commission européenne 6 ( * ) quelque 1500 contributions auraient été reçues par l'ECHA au sujet du plomb. Selon le service des affaires juridiques et internationales du ministère français de la Culture, auraient participé à la consultation de l'ECHA, les ministères de la Culture ou autorités ou organismes publics en charge du patrimoine et des monuments historiques des pays et collectivités suivants : Autriche, Allemagne fédérale, Land de Saxe, Italie, République tchèque, Pays-Bas. Cela peut indiquer un début de mobilisation politique sur l'enjeu patrimonial de l'inscription du plomb en annexe XIV.

• Les enjeux d'une possible interdiction du plomb pour le patrimoine culturel, au-delà des seuls vitraux

La crainte des organisations professionnelles au regard de cette inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH est réelle.

La procédure d'autorisation que cela impliquerait représente un coût non négligeable pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d'expertise, exigeant le recours à un cabinet ou une structure d'appui spécialisés et le versement d'une redevance à l'ECHA (de l'ordre de 27 000 € minimum à 200 000 € selon la taille de l'entreprise concernée). Les entreprises (TPE et PME) françaises du secteur du patrimoine culturel ne pourront pas mettre en oeuvre cette procédure très lourde. Leur survie même serait mise en cause à court terme.

Or, ces entreprises sont indispensables pour la préservation et la transmission du patrimoine culturel immobilier et mobilier, matériel et immatériel, conservé au sein des pays européens pour des raisons d'intérêt général.

Au-delà des vitraillistes qui se sont mobilisés en premier, le champ de métiers concernés est beaucoup plus vaste.

Héritier de l'antique hydraule inventé au IIIe siècle avant notre ère par Ctesibios, un ingénieur d'Alexandrie contemporain d'Archimède, l'orgue, qui fut d'abord un instrument profane avant de se répandre au Moyen-Âge dans toutes les églises, les temples et les synagogues, puis les salles de concert de l'Europe et du monde entier, n'est-il pas lui-même en partie constitué de plomb ? Malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIXe siècle, il apparaît que sa sonorité est indissociable de la part de plomb qui forme l'alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ, ainsi que de plusieurs autres pièces mineures de la machinerie de cet instrument hors norme, omniprésent en Europe et dont on n'ose imaginer que le génie humain puisse se passer.

C'est pourquoi les rapporteurs ont jugé nécessaire d'entendre le groupement professionnel des facteurs d'orgues (GPFO), rattaché à la fédération de l'Ameublement français. Sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1600 sont classés au titre des monuments historiques. Les manufactures d'orgues représentent environ 65 entreprises en France, dont une trentaine a un effectif moyen compris entre trois et cinq personnes. Environ 200 à 250 personnes travaillent chez les tuyautiers et dans les manufactures d'orgues dans notre pays. On estime entre 200 kg et une tonne la quantité de plomb pur mise en oeuvre annuellement par une entreprise.

Si d'autres matériaux de substitution peuvent, pour la fabrication d'orgues neufs, être utilisés pour des pièces internes, telles que les charges pour les soufflets, petits poids ou masselottes, postages ou tuyaux de raccordements, il demeure que l'entretien et la restauration des orgues historiques demande l'usage de matériaux conformes à ceux des pièces d'origine. Surtout, les caractéristiques propres du plomb présent dans les alliages des tuyaux ont une influence directe sur le son émis par ceux-ci, et aucun matériau de substitution présentant des qualités et propriétés non seulement techniques mais aussi musicales et sonores équivalentes n'a été découvert à ce jour. Selon le GFPO et l'association L'Orgue en France, présidée par Philippe Lefèbvre, organiste et compositeur titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris, l'interdiction du recours au plomb entraînerait le risque majeur de la perte d'un patrimoine pluridisciplinaire : orgues à tuyaux, facteurs d'orgues, organistes, compositeurs de musique d'orgue, et à terme, la musique d'orgue elle-même, dans sa diversité, qu'elle soit profane ou sacrée.

Au-delà du vitrail et de l'orgue, la présence du plomb dans de nombreux éléments des bâtiments anciens et des monuments historiques implique d`autres filières du patrimoine culturel, qui pourraient être gravement affectées par la révision du statut de ce métal au titre du règlement REACH. Ainsi, la taille de pierre classique utilise du plomb, matériau de remplissage entre les pierres, mais aussi de couverture des appuis et des corniches en pierre et des joints en fer des pierres, ainsi protégés de la corrosion. La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb : c'est le cas notamment de celles de nombreuses cathédrales, dont certaines déjà citées ci-dessus à propos de leurs vitraux, classées au titre du patrimoine mondial, tout particulièrement la cathédrale Notre-Dame de Paris.

De nombreux monuments mondialement connus sont concernés comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon.

L'impact le plus lourd porterait donc sur l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques. C'est pourquoi les rapporteurs ont également entendu le Groupement des entreprises de restauration des Monuments historiques (GMH) qui fédère 252 entreprises, de 12 métiers, employant 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques, certifiés Qualibat 7 ( * ) , comptent 78 entreprises, employant quelque 5000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises certifiées Qualibat, employant 1500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.

En couverture, zinguerie, et étanchéité, l'usage de plomb est indispensable pour la réalisation de soudures. Le plomb est également employé en couverture, pour la réalisation des chéneaux, des noues, des faîtières et des épis de faîtage. Les feuilles de plomb sont employées pour les ouvrages d'étanchéité pour la protection des bandeaux de façade, des balcons mais aussi pour les ouvrages de charpentes exposés comme les abat-sons.

Les feuilles de plomb servaient également à l'étanchéité des bassins (bassin des enfants doré au château de Versailles) et le plomb demeure utilisé pour celle des joints et conduites alimentant les fontaines, mais aussi la statuaire et les ornements du château et du domaine de Versailles.

En maçonnerie, le plomb est utilisé pour sa malléabilité, son étanchéité et sa durabilité, afin de réaliser les scellements et jointoiements d'éléments en pierres particulièrement sollicités.

Il est mis en oeuvre sous deux formes : sous sa forme liquide pour les scellements des ouvrages métalliques dans la maçonnerie en pierre, le scellement d'agrafes métalliques au droit des mains-courantes, et sous sa forme en laine de plomb, pour étanchéifier les joints.

La conservation du patrimoine ancien nécessite donc de pouvoir continuer à travailler avec du plomb, du fait de sa présence dans le bâti ancien et du choix de son maintien : couvertures en plomb laminé ou plomb coulé sur sable, éléments décoratifs, vitraux, peintures anciennes ou encore plomb associé au fer pour les éléments de structure dans la maçonnerie (ferronnerie).

De nombreuses recherches de matériaux de substitution ont été réalisées par les professions concernées. Toutefois, elles ont constaté que le plomb comme produit de scellement et de jointoiement a un meilleur comportement élastique au bout de plusieurs cycles de sollicitation en comparaison à la résine ou au mortier. C'est un élément majeur de justification de l'utilisation maîtrisée du plomb dans tous ses usages patrimoniaux : sa malléabilité, sa ductilité, sa résistance à la corrosion en font un matériau éminemment durable, qui assure la contribution du patrimoine au développement durable. 8 ( * )

En effet, selon la compagnie des architectes en chef des monuments historiques 9 ( * ) , « le plomb est un matériau inerte, résilient, recyclable à l'infini, d'une grande pérennité et d'une grande stabilité d'aspect, et compatible avec les autres matériaux traditionnels. »

L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique contribuant à l'entretien, la restauration et la mise en valeur du patrimoine bâti français.

Les verriers, couvreurs, maçons du patrimoine maîtrisent et transmettent des gestes et des techniques ancestrales dont ils sont les seuls dépositaires.

Outre le plomb, ces métiers du patrimoine utilisent également des matériaux traditionnels qui ne seraient plus exploités en cas d'arrêt de l'activité, avec des retombées économiques indirectes dans toutes les régions de France.

La France compte en effet plus de 46 000 monuments protégés et un nombre incalculable d'édifices anciens non protégés, entretenus et restaurés grâce aux professionnels qualifiés en restauration du patrimoine.

Toute une économie touristique patrimoniale repose sur l'entretien de ces bâtiments dans un état proche de leur construction, permettant aux visiteurs d'appréhender l'histoire de la France. Il en va de l'attractivité et du développement durable mais aussi économique et social de nos territoires, ainsi que les rapporteurs l'ont souligné dans leur rapport d'information n° 556 adopté par la commission des affaires européennes en mars 2022, Nouveaux défis, nouveaux enjeux : une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine .

Outre ces secteurs liés à l'entretien, la restauration et la conservation des bâtiments et monuments historiques, les musées et les institutions patrimoniales de l'Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d'art et biens culturels contenant du plomb, dont le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil international des musées (ICOIM) et la Confédération européenne des organisations de conservateurs (E.C.C.O.) ont dressé la liste 10 ( * ) : la sculpture en bronze, les conduites d'eau romaines, les sarcophages du haut Moyen-Âge, les insignes médiévaux des pèlerins en étain plombé, les jouets, articles ménagers (assiettes, tasses, bougeoirs...), les poids médiévaux pour filets de pêche et tissus, les restes d'activité industrielle, le matériel médico-militaire utilisé pour arrêter les radiations, les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, ainsi que des éléments d'impression. L'on pourrait ajouter d'autres objets du patrimoine technique, telles les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, mais aussi les sceaux anciens conservés dans les archives, bibliothèques et musées.

La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs et autres agents intervenant dans ces opérations.

Pour mémoire, près de 300 000 objets sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques en France.

• Le risque sanitaire associé au plomb est déjà pris en charge dans les secteurs du patrimoine

Qu'en est-il de la prise en charge sanitaire du risque plomb actuellement dans tous ces secteurs ?

Le plomb est un polluant, sa présence n'est pas circonscrite aux seuls matériaux qui en contiennent. Mais, à ce jour, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel.

On ne peut qu'appeler à la réalisation, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, d'études spécifiques à ce domaine, qu'il conviendrait d'impulser et de coordonner, avec le concours des services de la Commissaire à la Culture, Mme Mariya Gabriel.

La dernière étude relative à l'imprégnation de la population française par le plomb, publiée en mars 2020 sur le site de Santé publique France 11 ( * ) , indique :

« Le plomb est naturellement présent dans la croûte terrestre et donc dans l'environnement. En France, avant 2000, l'exposition principale au plomb de la population générale était liée aux émissions des véhicules utilisant de l'essence plombée. Depuis l'interdiction de ce type de carburant en France métropolitaine, le 2 janvier 2000, une baisse de 97 % des émissions de plomb dans l'air a été observée entre 1990 et 2016 d'après le rapport du Citepa de 2018. Au niveau européen, une diminution de 85 % de la concentration en plomb dans l'air a été observée au cours des deux dernières décennies. Aujourd'hui, les sources d'exposition au plomb en population générale sont variées :

- chez les enfants, la consommation d'eau du robinet, l'année de construction du logement et l'activité professionnelle à risque des parents augmentaient les niveaux d'imprégnation par le plomb ;

- chez les adultes, les facteurs d'exposition les plus importants retrouvés étaient la consommation de tabac, l'année de construction du logement, l'âge, le lieu d'habitation du participant, la consommation d'eau du robinet, de boissons alcoolisées, de pain et des produits de la panification et l'autoconsommation de produits de l'élevage. »

La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine précités, préoccupation partagée par les associations professionnelles et le ministère de la Culture, en particulier sa direction générale des patrimoines et de l'architecture, et sa sous-direction des monuments historiques et des sites. Toutes les entreprises y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en termes d'évaluation de la présence de plomb avec des protocoles très stricts, en matière d'hygiène, de moyens de protection collective et d'équipements de protection individuelle.

Les rapporteurs ont pu constater de visu , en se rendant sur le chantier de restauration d'une église historique au coeur de Paris, l'importance des mesures prises en termes de prévention, la réalité et l'intensité des contraintes pour les entreprises et les intervenants et les contrôles imposés, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés : vestiaires et douches sur échafaudage, port de vêtements de travail lavés par une entreprise extérieure, interdiction de manger et de fumer avec ceux-ci, traitement spécial des déchets.

La législation française prévoit en effet déjà des exigences spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.

En matière de santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l'efficacité des mesures de prévention mises en place vis-à-vis du risque plomb :

- le contrôle de la Valeur Limite d'Exposition (VLEP) plomb, avec une valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) réglementaire contraignante de 0,1 mg/m3 à ne pas dépasser en moyenne sur 8 heures dans l'atmosphère des lieux de travail (article R. 4412-149) ;

- le contrôle de la plombémie, avec des valeurs limites biologiques (VLB) réglementaires contraignantes à ne pas dépasser, fixées à 400 ìg de plomb par litre de sang pour les hommes et à 300 ìg/l de sang pour les femmes (article R. 4412-152).

Le code du travail (article R. 4412-160) prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de l'un des seuils suivants :

- exposition à une concentration de plomb dans l'air supérieure à 0,05 mg/ m , calculée comme une moyenne pondérée en fonction du temps sur une base de 8 heures ;

- ou plombémie supérieure à 200 ìg/ l de sang pour les hommes ou 100 ìg/ l de sang pour les femmes mesurée chez un travailleur.

Ces valeurs VLEP et VLEB sont de plus susceptibles d'être abaissées et harmonisées au plan européen dans le cadre de la révision de la directive 98/24/CE sur les agents chimiques, renforçant ainsi les exigences de prévention.

En 2013, un groupe de travail sur le plomb, coordonné par la direction générale des patrimoines et de l'architecture, a été instauré dans le contexte de la restauration du dôme du Panthéon. Outre les services du ministère de la Culture et le GMH, il avait associé la direction générale du travail et la direction générale de la santé, avec l'objectif d'instaurer un dialogue et une meilleure compréhension réciproque des enjeux entre Inspection du travail et parties prenantes des chantiers.

Un guide pratique, intitulé « Organisation des chantiers patrimoniaux en présence et avec maintien du plomb », a été rédigé à cette occasion. Ce guide, finalisé en 2018, pourrait être publié et largement distribué, tout comme l'ont été les actes d'une journée d'études organisée en 2018, en lien avec la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) et le ministère de la Culture, par l'association ARAAFU (restaurateurs de formation universitaire). 12 ( * )

En l'absence d'un tel guide spécialisé, la prévention s'appuie en particulier sur les guides et les fiches produits par Santé et sécurité au travail (Institut national de recherche et de sécurité-INRS). 13 ( * )

La Fédération française du bâtiment propose aussi sur son site Internet un kit de documents en ligne 14 ( * ) .

Les formations initiales et continues des professionnels, proposées, par exemple, par l'Institut national du patrimoine (INP), par le bureau de la formation scientifique et technique (BFST) de la DGPA au ministère de la Culture, ou par l'École de Chaillot, qui prennent en compte déjà la prévention du risque plomb, pourraient être, de ce fait, enrichies par les recommandations de ce guide pratique ministériel de 2018, notamment en ce qui concerne l'évaluation du risque.

On ne peut que constater que les maîtres d'ouvrage, maîtres d'oeuvre et entreprises autour des chantiers d'entretien et de restauration incluant le plomb, dans tous ses états, sont mobilisés en faveur de la sécurité sanitaire des chantiers et de tous les intervenants. Les rapporteurs estiment qu'un Protocole national voire européen de prévention du risque plomb sur un chantier monument historique, sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français (Paris, Nantes, Rouen, Clermont-Ferrand...) pourrait être instauré, ce qui relèverait d'une toute autre voie que celle de la révision du règlement REACH.

Concernant celle-ci, on peut observer que l'article 58 du règlement REACH prévoit que certaines utilisations ou catégories d'usages peuvent être exemptées de l'obligation d'autorisation, à condition que le risque soit bien maîtrisé, grâce à une législation communautaire spécifique existante qui impose des exigences minimales en ce qui concerne la protection de la santé humaine ou de l'environnement en cas d'utilisation de la substance. Hélas, faute de législation communautaire spécifique existante, une telle exemption à l'obligation d'autorisation pour continuer à utiliser le plomb dans les activités patrimoniales paraît, dans le cadre de l'annexe XIV de REACH, exclue.

Pour les filières du patrimoine qui constituent l'unique objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait le statu quo, donc le maintien du plomb en dehors du champ de l'annexe XIV.

Si la Commission jugeait nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d'autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé, - législations qui, elles, relèvent d'ailleurs de la procédure de codécision-, mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles nouvelles dispositions.

Il est à noter que des précédents d'exemptions relatives au plomb, pour un secteur déterminé, ont déjà eu lieu dans certains domaines. Ainsi, le Sénat, par la voix de Jean-François Rapin, alors rapporteur pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avait plaidé avec succès, il y a quelques années, pour l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques ». 15 ( * )

Il importe que le Gouvernement français s'engage en ce sens et mobilise son représentant au comité ECHA pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH. La France appartient aujourd'hui au groupe des pays les plus ambitieux en Europe en matière de gestion des risques des substances chimiques, dénommé « REACH-UP », déterminé à promouvoir des avancées ambitieuses pour la sécurité environnementale dans le cadre de la révision du règlement REACH. Cette ambition d'amélioration de la sécurité environnementale ne saurait donc la rendre suspecte de vouloir freiner les progrès en ce domaine et elle se trouve par conséquent en bonne position pour défendre en même temps la nécessité de prévoir des précautions spécifiques afin de préserver l'avenir des filières patrimoniales. Elle est d'autant plus légitime à plaider pour une telle « exception patrimoniale » qu'elle est dotée d'un patrimoine culturel exceptionnel.

Au total, pour ce qui concerne la révision telle qu'elle est actuellement envisagée du règlement REACH, les rapporteurs ne peuvent que partager et prolonger les préoccupations de l'auteur de la PPRE qui est soumise à la commission des affaires européennes, en les élargissant à l'ensemble des filières concernées. À cet égard, il n'est que de citer la conclusion de la déclaration précitée de l'ICOMOS : « Non seulement une interdiction anéantirait les moyens de subsistance des artistes du verre, des artisans impliqués dans sa fabrication et des conservateurs-restaurateurs impliqués dans l'entretien des biens patrimoniaux en Europe, mais ses effets se feraient sentir dans le monde entier, scellant la condamnation à mort de l'une des formes d'art les plus glorieuses connues de l'humanité (...). Presque aucune partie du secteur du patrimoine culturel ne serait (...) [épargnée] par l'inclusion du plomb parmi les substances nécessitant une autorisation d'utilisation ou de manipulation. »

Au terme de cette analyse de ses rapporteurs, la commission des affaires européennes a modifié substantiellement cette proposition de résolution européenne de manière à élargir son champ à l'ensemble des filières du patrimoine culturel concernées et à préciser la rédaction tant de ses visas que de son dispositif, afin que la dimension patrimoniale de l'usage du plomb soit pleinement prise en compte, dans le cadre d'une exclusion ou d'une exemption de la réglementation de l'UE sur les produits chimiques, au-delà même du règlement REACH.

Les rapporteurs proposent d'adresser aussi un signal politique direct à la Commission européenne. En effet, une proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat a vocation à être adressée au Gouvernement, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution. Or, certains alinéas de la proposition de résolution européenne n° 726 soumise à l'examen de la commission des affaires européennes visent explicitement la Commission européenne. C'est pourquoi un avis politique sera parallèlement adressé à la Commission européenne au titre du dialogue politique. Ce faisant, la position du Sénat aura une plus large diffusion, non seulement auprès du Gouvernement français mais également auprès des institutions européennes. L'avis politique reprend en grande partie les termes de la proposition de résolution européenne, sous réserve de quelques dispositions qui concernent plus spécifiquement la Commission.

EXAMEN EN COMMISSION

Le jeudi 21 juillet 2022, la commission des affaires européennes a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin , président . - Nous évoquons maintenant un autre sujet important, à savoir l'incidence du régime européen d'autorisation de l'usage du plomb sur le patrimoine. Le 21 juin dernier, notre collègue Vanina Paoli-Gagin a déposé avec plusieurs de ses collègues une proposition de résolution européenne visant à préserver l'activité des vitraillistes, menacée par l'interdiction du plomb qui pourrait intervenir dans le cadre de la prochaine révision du règlement REACH relatif aux substances chimiques.

Ce texte a été renvoyé pour examen à notre commission. Des précédents d'exemptions relatives à l'interdiction de recourir au plomb pour un secteur déterminé ont déjà eu lieu dans certains domaines. J'ai pu approcher ce sujet voilà quelques années, lorsque, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, j'avais plaidé pour une exemption au bénéfice du cristal de la directive relative à la limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Nous avions alors obtenu gain de cause. Toutefois, il semble qu'une telle exemption ne soit pas envisageable dans le cas qui nous occupe aujourd'hui. Les rapporteurs, que je remercie pour leur travail intense dans le délai imparti à notre commission pour examiner ce texte et pour leur engagement au service du patrimoine européen dans le prolongement de leur récent rapport à ce sujet, vont nous expliquer pourquoi.

Chacun, dans vos territoires, vous avez pu être interrogés par des vitraillistes inquiets de voir leur profession remise en cause par ces règlements.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Effectivement, nous avons effectué un travail intense et accéléré.

Grâce à la proposition de résolution européenne déposée il y a un mois par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, nous avons l'occasion, ce matin, d'aborder de nouveau l'importance du patrimoine européen, et particulièrement de ses métiers d'art.

Voilà quatre mois, avec Louis-Jean de Nicolaÿ, nous présentions devant notre commission notre rapport d'information proposant une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine. Nous recommandions d'assumer ce qui, selon nous, doit devenir une véritable priorité pour l'Union européenne. Le patrimoine, bien commun des Européens, est aussi un puissant facteur d'identité, de reconnaissance, de rayonnement pour l'Europe, et un levier d'attractivité, de développement durable et de cohésion pour nos territoires.

Il semble que nos espoirs puissent aboutir sous présidence tchèque, puisque c'est à la fin de l'année, à l'issue de celui de la période 2019-2022, que devrait être élaboré le nouveau programme d'action quadriennal européen en matière de culture, pour la période 2023-2026, qui pourrait prendre la forme d'une résolution du Conseil. Nous formons le voeu que le patrimoine en soit un axe fort, voire structurant.

Nous évoquions, à l'appui de notre conviction en faveur du patrimoine, l'Europe des cathédrales, des monastères, des pèlerinages, l'Europe des châteaux, des monuments, unie dans sa diversité pluriséculaire, mobilisée pour la conservation de ce précieux héritage, et sans cesse tournée vers la création, le renouveau des savoirs et des arts ainsi mis en oeuvre.

Or voici que cette Europe du patrimoine, des arts et des savoir-faire ancestraux et toujours renouvelés est menacée, presque inopinément ! Non pas par quelque force venue de l'extérieur, mais en son sein même, par une tentative, vertueuse dans son principe, de réglementation de l'usage des produits chimiques. Nous sommes là dans le domaine de REACH, acronyme anglais du règlement européen concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques. Ce règlement date du 18 décembre 2006 et sa gestion est confiée à l'Agence chimique européenne, désignée elle aussi sous son acronyme anglais ECHA. Ce règlement fleuve fait plusieurs centaines de pages, sans compter les annexes, tout aussi volumineuses. Ainsi l'annexe XIV, qui nous occupe ici, compte 331 pages. Quant au site internet de l'ECHA, presque intégralement en anglais, il est sans doute l'un des plus touffus et complexes qui soient. Il contient plusieurs milliers voire dizaines de milliers de pages et mériterait un moteur de recherche à lui tout seul !

C'est dire qu'il n'a pas été simple de se repérer dans ce maquis, dans le délai d'un mois que le règlement du Sénat laisse à notre commission pour examiner la proposition de résolution européenne (PPRE), à compter de son dépôt. Nous tenons à remercier tout d'abord les professionnels, maîtres verriers et la Chambre syndicale nationale du vitrail, qui nous ont tôt alertés, ainsi que notre collègue auteure de la proposition de résolution, qui a pris l'heureuse initiative de saisir ainsi le Sénat de ce sujet.

Pourquoi cette mobilisation précoce ? L'ECHA a lancé au printemps une consultation sur l'inclusion du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH, concernant les substances dites « particulièrement préoccupantes ».

Or la procédure d'autorisation que cela implique, et qui cédera la place à une interdiction pure et simple au terme de quelques années, représenterait un coût prohibitif pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d'expertise, exigeant le recours à un cabinet ou une structure d'appui spécialisé et le versement d'une redevance à l'ECHA, de l'ordre de 27 000 euros à 200 000 euros, selon la taille de l'entreprise concernée. Les TPE et PME françaises du secteur du patrimoine culturel ne pourront pas mettre en oeuvre cette procédure très lourde. Leur survie même serait mise en cause à court terme.

Avant d'examiner le vaste champ patrimonial concerné, au-delà du seul secteur du vitrail, il convient de revenir au calendrier de révision du règlement REACH et à la procédure qui s'y applique, que nous détaillons dans notre rapport écrit.

Toute modification des annexes de ce règlement, XIV, listant les substances soumises à autorisation, avec interdiction à terme, ou XVII, listant celles qui sont soumises à une simple déclaration qui peut comporter des exceptions, relève de la procédure de réglementation avec contrôle, qui date d'avant le Traité de Lisbonne. La Commission européenne doit consulter le comité des États membres de l'ECHA, dit comité REACH, composé de représentants de chacun des États membres, et ne peut pas adopter la modification si l'opinion du comité est négative, c'est-à-dire si la proposition de modification ne reçoit pas une majorité qualifiée en sa faveur. Les parlements nationaux peuvent ici jouer un rôle précieux de « lanceurs d'alerte » législatifs auprès de leur gouvernement, qui est représenté dans le comité d'experts, mais aussi directement auprès de la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique.

Le plomb figurait déjà, depuis 2018, sur la liste des substances dites « candidates » à l'inscription à l'annexe XIV. Il a donc fait l'objet, dans ce cadre, d'une consultation publique, ouverte le 2 février 2022 et close depuis le 2 mai 2022.

Le comité REACH doit maintenant se prononcer pour prioriser les substances à inclure dans cette annexe XIV. Il se prononce sur le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif, et examine l'impact des règles envisagées sur l'industrie. Ainsi, 84 % du tonnage de plomb utilisé concerne les batteries. Au comité, siège pour la France un représentant de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) avec l'appui d'un représentant du ministère de la transition écologique.

Interviendra ensuite l'instruction par la Commission européenne de la recommandation de l'ECHA et des informations recueillies lors de la consultation publique.

À ce stade, le résultat de la consultation n'est pas encore accessible sur le site de l'ECHA, qui, de fait, n'a pas encore adopté sa recommandation.

Une fois la recommandation adoptée, ce qui devrait intervenir au plus tard d'ici à la fin de l'année 2022, la Commission européenne proposera, en général sous douze mois, un projet de règlement, qui devrait donc intervenir d'ici à la fin de l'année 2023. C'est alors seulement que les autorités françaises auront officiellement connaissance des intentions de la Commission quant à l'inscription ou non du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH.

Selon les services de la Commission européenne que nous avons interrogés, quelque 1 500 contributions auraient été reçues par l'ECHA au sujet du plomb. Selon le ministère français de la culture, auraient participé à la consultation de l'ECHA les ministères de la culture ou autorités en charge du patrimoine et des monuments historiques des pays et collectivités suivants : Autriche, Allemagne fédérale, Land de Saxe, Italie, République tchèque, Pays-Bas. Cela peut indiquer un début de mobilisation politique sur l'enjeu patrimonial de l'inscription du plomb en annexe XIV.

Les maîtres verriers qui nous ont saisis demeurent légitimement inquiets, car la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb. Les baguettes formant la matrice soutenant le verre coloré et peint sont en plomb. Ces baguettes présentent longitudinalement des rainures opposées, dos à dos, en forme de H, où sont serties les plaques de verre, jusqu'à 170 par mètre carré. L'espace compris entre les rainures au milieu du plomb s'appelle « l'âme » ; les côtés qui recouvrent le verre sont les « ailes ».

Les propriétés intrinsèques de malléabilité, de durabilité et de solidité du plomb expliquent que le réseau arachnéen formé par ces baguettes soit irremplaçable.

Or la France concentre plus de 60 % du patrimoine des vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux au monde. Nul besoin d'insister sur la valeur exceptionnelle de ce patrimoine, dont les plus beaux joyaux sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais qui s'étend aussi dans tous nos territoires. Je renvoie à ce sujet à l'excellent rapport d'information sur l'état du patrimoine religieux dans notre pays, publié voilà deux semaines par nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture.

Mais les maîtres verriers ne sont pas les seuls à s'inquiéter, loin de là. Le champ des métiers concernés est beaucoup plus vaste, d'où les amendements que nous proposons à la PPRE initiale, afin de couvrir l'ensemble du champ du patrimoine, après avoir précisé et circonscrit le cadre procédural que nous venons d'indiquer.

Les facteurs d'orgues sont eux aussi concernés au premier chef, ainsi que les organistes et tous les amateurs de ce prodigieux instrument, en partie constitué de plomb. Malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIX e siècle, il apparaît que sa sonorité est indissociable de la part de plomb qui forme l'alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ.

C'est pourquoi nous avons entendu l'association Orgue en France, présidée par M. Philippe Lefebvre, organiste titulaire de Notre-Dame de Paris, ainsi que le groupement professionnel des facteurs d'orgues, rattaché à l'Union nationale des industries de l'ameublement français. Sur près de 10 000 orgues recensées en France, près de 1 600 sont classées au titre des monuments historiques. Les manufactures d'orgues représentent environ 65 entreprises en France, dont une trentaine a un effectif moyen compris entre trois et cinq personnes. Environ 200 à 250 personnes travaillent, dans notre pays, chez les tuyautiers et dans les manufactures d'orgues. On estime entre 200 kilos et une tonne la quantité de plomb pur mise en oeuvre annuellement par une entreprise.

L'interdiction du recours au plomb ou la lourde procédure d'autorisation de l'annexe XIV de REACH entraînerait le risque majeur de la perte de cet immense patrimoine pluridisciplinaire : orgues à tuyaux, facteurs d'orgues, organistes, compositeurs de musique d'orgue et, à terme, la musique d'orgue elle-même, dans sa diversité, qu'elle soit profane ou sacrée.

Au-delà du vitrail et de l'orgue, la présence du plomb dans de nombreux éléments des bâtiments anciens et des monuments historiques implique d'autres filières du patrimoine culturel, qui pourraient être gravement affectées.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , rapporteur . - En effet, la taille de pierre classique utilise également du plomb, matériau de remplissage entre les pierres, mais aussi de couverture des appuis et des corniches en pierre et des joints en fer des pierres, ainsi protégés de la corrosion. La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb. C'est le cas de celles de nombreuses cathédrales, tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon ou les châteaux de la Loire.

L'impact le plus lourd concernerait donc l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques. C'est pourquoi nous avons également entendu le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, qui fédère 252 entreprises de douze métiers, employant près de 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques comptent 78 entreprises, employant quelque 5 000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises employant 1 500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.

Les feuilles de plomb servent également à l'étanchéité des bassins et le plomb demeure utilisé pour celle des joints et conduites alimentant les fontaines, la statuaire et les ornements du château et du domaine de Versailles et le réseau hydraulique d'autres domaines nationaux, comme celui de Saint-Cloud.

De nombreuses recherches de matériaux de substitution ont été réalisées par les professions concernées. Toutefois, elles ont constaté que le plomb comme produit de scellement et de jointoiement a un meilleur comportement élastique au cours du temps que la résine ou le mortier. C'est un motif majeur de l'utilisation maîtrisée du plomb dans tous ses usages patrimoniaux : sa malléabilité, sa ductilité, sa résistance à la corrosion en font un matériau éminemment durable, qui assure la contribution du patrimoine au développement durable.

L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait donc à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique au service du patrimoine français et européen.

Outre les bâtiments et monuments historiques, les musées et les institutions patrimoniales de l'Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d'art et biens culturels contenant du plomb, dont la liste a été dressée par le Conseil international des monuments et des sites, le Conseil international des musées et la Confédération européenne des organisations de conservateurs restaurateurs : la sculpture en bronze, les conduites d'eau romaines, les sarcophages du haut Moyen-Âge, les insignes médiévaux des pèlerins en étain plombé, les jouets et articles ménagers, les poids médiévaux pour filets de pêche et tissus, les restes d'activité industrielle, le matériel médico-militaire, les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, ainsi que des éléments d'impression. L'on pourrait ajouter d'autres objets du patrimoine technique, telles les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, mais aussi les sceaux anciens conservés dans les archives, bibliothèques et musées.

La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs et autres agents intervenant dans ces opérations.

Nous ne négligeons nullement dans notre rapport l'enjeu sanitaire, bien évidemment central, mais qui était peu développé dans la PPRE initiale. Nous vous soumettons donc une version amendée de ce texte, enrichi de visas, considérants et paragraphes.

Le plomb est un polluant bien identifié. L'usage de carburants sans plomb a, heureusement, drastiquement réduit la pollution qui y est liée. Mais nous sommes bien conscients des dangers du plomb, de la gravité du saturnisme, du caractère reprotoxique de ce matériau, particulièrement nocif pour les jeunes enfants, les femmes enceintes, les foetus. Ces risques sont connus et pris en charge dans la population générale. Mais qu'en est-il précisément dans les secteurs du patrimoine ? Nous déplorons qu'à ce jour, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question, en France et en Europe, la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel.

C'est pourquoi nous appelons à la réalisation d'études spécifiques à ce domaine, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, avec le concours des services de la commissaire à la culture, Mme Mariya Gabriel. Nous avons pu récemment attirer l'attention de son cabinet sur ce point crucial.

La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine que nous avons rencontrés, préoccupation dont nous nous réjouissons de constater qu'elle est partagée par les associations professionnelles ainsi que par le ministère de la culture, sa direction générale des patrimoines et de l'architecture, et sa sous-direction des monuments historiques et des sites. Toutes les entreprises concernées y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en évaluant la présence de plomb et en déployant des protocoles stricts en matière d'hygiène ainsi que des moyens de protection collective et des équipements de protection individuelle.

Nous avons constaté de visu , en nous rendant sur le chantier de restauration d'une église historique au coeur de Paris, dans l'île Saint-Louis, l'importance des mesures prises en matière de prévention, la réalité et l'intensité des contraintes qui pèsent sur les entreprises et les intervenants et les contrôles imposés, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés : vestiaires et douches sur échafaudage, port de vêtements de travail lavés par une entreprise extérieure, interdiction de manger et de fumer avec ceux-ci, traitement spécial des déchets.

La législation française prévoit en effet déjà des exigences spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.

Sur le plan de la santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l'efficacité des mesures de prévention mises en place vis-à-vis du risque plomb : la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) au plomb, et la plombémie, assortie de valeurs limites biologiques (VLB) à ne pas dépasser.

Le code du travail prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de certains seuils de concentration de plomb dans l'air ou de plombémie.

Ces valeurs limites sont susceptibles d'être abaissées et harmonisées au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive 98/24/CE du 7 avril 1998 concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des agents chimiques sur le lieu de travail, ce qui renforce les exigences de prévention.

Un guide pratique intitulé « Organisation des chantiers patrimoniaux en présence et avec maintien du plomb » a par ailleurs été rédigé à l'initiative du ministère de la culture. Ce guide, finalisé en 2018, pourrait être publié et largement distribué, tout comme l'ont été les actes d'une journée d'étude organisée en 2018, en lien avec la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (Cramif) et le ministère de la culture, par l'Association des restaurateurs d'art et d'archéologie de formation universitaire (Araafu).

Nous citons ces documents de référence dans notre rapport et dans notre PPRE. La prévention s'appuie aussi sur les guides et fiches produits par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur la santé et sécurité au travail. La Fédération française du bâtiment (FFB) propose également sur son site internet un kit de documents en ligne.

Les formations initiales et continues des professionnels proposées, par exemple, par l'Institut national du patrimoine (INP) ou par l'École de Chaillot, prennent déjà en compte la prévention du risque plomb, mais pourraient être enrichies par les recommandations de ces documents.

Ces règles, ces outils, ces bonnes pratiques existent donc. Les maîtres d'ouvrage, maîtres d'oeuvre et entreprises des chantiers d'entretien et de restauration incluant le plomb, dans tous ses états, sont mobilisés en faveur de la sécurité sanitaire des chantiers et de tous les intervenants. Nous sommes toutefois favorables à ce qu'un protocole national voire européen de prévention du risque plomb soit mis en oeuvre sur les chantiers des monuments historiques, sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français.

Cette voie nous semble bien préférable à une révision du règlement REACH. Certes, l'article 58 de ce règlement prévoit que certaines utilisations ou catégories d'usages peuvent être exemptées de l'obligation d'autorisation, à condition que le risque soit bien maîtrisé, mais uniquement s'il l'est par le biais d'une législation communautaire spécifique. Or le risque plomb est bien maîtrisé, nous l'avons vu, mais par une législation et une réglementation nationales. Hélas, faute de législation communautaire spécifique existante, une telle exemption à l'obligation d'autorisation pour continuer à utiliser le plomb dans les activités patrimoniales paraît exclue, dans le cadre de l'annexe XIV de REACH.

Pour les filières du patrimoine qui constituent l'objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait donc le statu quo , c'est-à-dire le maintien du plomb en dehors du champ de l'annexe XIV.

Si la Commission européenne jugeait toutefois nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d'autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé -- législations qui, elles, relèvent d'ailleurs de la procédure de codécision -, mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles nouvelles dispositions.

Il importe que le gouvernement français s'engage en ce sens et mobilise son représentant au comité de l'ECHA pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH. Je rappelle que le plomb relève actuellement de l'annexe XVII.

La France appartient au groupe des pays les plus ambitieux en Europe en matière de gestion des risques des substances chimiques, dénommé « Reach-Up », déterminé à promouvoir des avancées ambitieuses pour la sécurité environnementale dans le cadre de la révision du règlement REACH. Elle se trouve par conséquent en bonne position pour défendre en même temps la nécessité de prévoir des précautions spécifiques afin de préserver l'avenir des filières patrimoniales. Elle est d'autant plus légitime à plaider pour une telle exception patrimoniale qu'elle est dotée d'un patrimoine culturel exceptionnel.

Les maîtres verriers, facteurs d'orgues, couvreurs, maçons du patrimoine maîtrisent et transmettent des gestes et des techniques ancestrales dont ils sont les seuls dépositaires. Toute une culture européenne, mais aussi une économie touristique patrimoniale reposent sur l'entretien de ces bâtiments dans un état proche de leur construction, permettant aux visiteurs d'appréhender l'histoire de notre pays et de notre continent. Il y va de l'attractivité et du développement durable, mais aussi du développement économique et social de nos territoires, sans parler de la pratique des cultes ou du simple plaisir de contempler les jeux de lumière et de couleurs des vitraux et de se laisser emporter par les sons prodigieux des grandes orgues.

Au total, pour ce qui concerne la révision telle qu'elle est actuellement envisagée du règlement REACH, nous partageons et prolongeons les préoccupations de l'auteur de la PPRE, en les élargissant à l'ensemble des filières concernées.

Tel est le sens des modifications substantielles que nous vous proposons d'apporter à cette proposition de résolution européenne, afin que la dimension patrimoniale de l'usage du plomb soit pleinement prise en compte, au-delà même du règlement REACH.

Nous vous proposons d'adresser dans le même mouvement un signal politique direct à la Commission européenne par un avis politique, reprenant en grande partie les termes de la proposition de résolution européenne, sous réserve de quelques dispositions qui concernent plus spécifiquement la Commission.

M. Jean-François Rapin , président . - De tels sujets requièrent une certaine vigilance. À la demande de notre commission, un débat aura d'ailleurs lieu en séance à la rentrée d'octobre sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation.

Merci de votre rapport et du travail que vous avez effectué sur la PPRE, qui ne dénature pas la volonté de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, mais vient au contraire l'enrichir.

M. Claude Kern . - Merci de ce travail. J'ai travaillé le plomb par le passé, notamment dans une fonderie artisanale. Nous ne connaissions pas à l'époque la nocivité des fumées associées.

Que ce soit dans l'artisanat, l'industrie ou la rénovation du patrimoine, le plomb est irremplaçable. Il offre en effet une ductilité que l'on ne retrouve dans aucun matériau de substitution. J'adhère donc entièrement aux propositions qui nous sont présentées, notamment celle relative à la réalisation d'études plus approfondies sur les risques du plomb et la recherche d'un matériau de remplacement. Si l'on se souvient de ce qui a pu se produire, par exemple, pour l'amiante -- qui n'est pas dangereux tant qu'il n'est pas volatil, contrairement à ce que l'on a pu affirmer -, il faut se préserver en la matière de tout excès.

M. Pierre Ouzoulias . - La relation entre le plomb et les humains est ancienne. On peut ainsi mesurer dans les glaces du Groenland les premiers travaux réalisés par les Romains en Espagne pour l'exploitation des mines de plomb, au II e siècle avant Jésus-Christ. Notre civilisation est imprégnée de plomb depuis sa naissance.

Je remercie également les rapporteurs pour ce travail précis. Nous sommes confrontés à une incompréhension du domaine de la préservation des monuments historiques. Si le souci d'éloigner les substances nuisibles des processus de production contemporains est évidemment compréhensible, s'agissant du patrimoine, les matériaux ne peuvent être séparés de la façon dont ils sont produits. En effet, l'objectif de la restauration est de restituer non seulement les monuments, mais aussi les savoir-faire ayant permis leur construction. Nous devons pour cela approcher au plus près les techniques anciennes.

Ne faudrait-il pas envisager de classer parmi les monuments historiques les savoir-faire et modes de production anciens, mais vivants, afin de les mieux transmettre, comme cela se fait au Japon, par exemple ? Il faudrait avancer sur ce sujet en Europe, y compris pour certaines techniques agricoles ancestrales, dont nous pourrions avoir besoin dans un avenir proche.

La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE MODIFIÉE

Proposition de résolution européenne relative à la préservation des filières du patrimoine, notamment celles du vitrail, de la facture d'orgue, de la restauration et de la conservation des monuments et bâtiments historiques, des objets et oeuvres d'art et des biens culturels, menacées par l'interdiction du plomb ou la procédure d'autorisation telles qu'envisagées par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le préambule et l'article 3 du traité sur l'Union européenne,

Vu les articles 114, 167, 169 et 179 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu le préambule et les articles 14 et 22 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée par les États membres de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), lors de sa 17 e conférence générale, à Paris, le 16 novembre 1972,

Vu le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission, dit « REACH »,

Vu la publication par la Commission européenne, le 14 octobre 2020, de la Nouvelle stratégie dans le domaine des produits chimiques, vers un environnement exempt de substances toxiques, dans le cadre général du Pacte vert,

Vu les conclusions du Conseil (2018/C460/10) du 21 décembre 2018 sur le programme de travail 2019-2022 en faveur de la culture,

Vu l'étude d'impact initiale par la Commission européenne sur la prochaine révision du règlement « REACH »,

Vu le document publié en anglais par l'Agence chimique européenne (ECHA), le 2 février 2022, sur son site internet, intitulé Draft background document for lead, Document developed in the context of ECHA's eleventh recommendation for the inclusion of substances in Annex XIV ,

Vu l'ensemble de documents publiés en anglais par l'ECHA, le 18 mars 2022, sur son site internet, sous l'onglet « Informations sur les produits chimiques », sous le titre Recommendations for inclusion in the Authorisation List ,

Vu les articles R. 4412-149, R.4412-152 et R.4412-160 du Code du travail,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 533 (2015-2016) sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. René Danesi au nom de la commission des affaires européennes, concernant l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » (directive 2011/65/UE du 8 juin 2011), fait par M. Jean-François Rapin au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 426 (2019-2020) sur Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser, fait par M. Michel Dagbert et Mme Sonia de la Prôvoté au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 556 (2021-2022) Nouveaux défis, nouveaux enjeux : une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine, fait par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Louis-Jean de Nicolaÿ au nom de la commission des affaires européennes,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 765 (2021-2022) Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite, fait par M. Pierre Ouzoulias et Mme Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,

Vu l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) « Saisine n° 2013-SA-0042 » et le rapport d'expertise collective Valeurs biologiques d'exposition en milieu professionnel, le plomb et ses composés inorganiques, du 11 juillet 2019,

Vu l'avis de l'Anses, « Saisine n° 2019-SA-0147 », relatif à la contamination d'espaces publics extérieurs par le plomb, du 15 janvier 2020,

Vu la fiche toxicologique n° 59, « Plomb et composés minéraux » publiée sur le site de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) en mars 2020,

Vu l'étude « Imprégnation de la population française par le plomb. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. », publiée sur le site de Santé publique France en mars 2020,

Vu le cahier technique n° 25-2020 de l'Association des restaurateurs d'art et d'archéologie collective de formation universitaire (ARAAFU), « Le plomb dans les chantiers de conservation-restauration, actes de la journée d'études du 25 mai 2018 »,

Vu la déclaration conjointe sur « le projet d'ECHA d'inclure le plomb dans la liste des substances soumises à autorisation (Annexe XIV du Règlement REACH) », publiée par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil international des musées (ICOM) et la Confédération européenne des organisations de conservateurs (E.C.C.O.), le 26 avril 2022,

Vu le livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022, par Europa Nostra en partenariat avec ICOMOS, avec le soutien de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement,

Considérant que les signataires du traité sur l'Union européenne affirment, dans son préambule, « s'inspir[er] des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe » ;

Considérant que, dès son préambule, la charte européenne des droits fondamentaux reconnaît le « patrimoine spirituel et moral » de l'Union européenne et appelle celle-ci à préserver et développer les valeurs communes en résultant, dans le respect de la diversité culturelle des peuples de l'Europe ;

Considérant que l'Union européenne est compétente, dans le respect du principe de subsidiarité, pour veiller à « la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel » qui constitue une ressource partagée et un bien commun des Européens et pour « contribuer à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Convention de l'Unesco du 17 septembre 1972, chacun des États parties s'engage à assurer « l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 et situé sur son territoire (...) au maximum de ses ressources disponibles » ;

Considérant que plusieurs dizaines de cathédrales européennes sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco ;

Considérant la place singulière qu'occupent les vitraux, mais aussi les orgues, les couvertures, parements, ornements et revêtements en plomb, ainsi que les nombreux objets d'art ou biens culturels en plomb dans le patrimoine culturel français et européen, notamment au sein de ses édifices religieux, particulièrement ses cathédrales, ses églises, ses châteaux, ses bâtiments et monuments historiques, ses musées, édifices publics et lieux de culture ;

Considérant que le vitrail, la facture d'orgues, la restauration de monuments d'historiques et d'objets d'art sont des artisanats vivants, qui dépassent largement le cadre religieux et ouvrent à de nombreux artistes, artisans et apprentis un immense champ de création ;

Considérant l'intérêt pour nos territoires, notamment en matière d'attractivité touristique, de développement économique et de cohésion sociale, de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine, qui sert en outre à la pratique du culte ;

Considérant que les acteurs de ces filières, qu'ils exercent à leur compte, au sein d'ateliers ou d'entreprises, cherchent constamment à améliorer leurs procédés de fabrication et de restauration et à adopter de nouvelles techniques, pourvu qu'elles existent et répondent à leurs exigences de qualité et de rendu ;

Considérant le rôle irremplaçable du plomb dans la réalisation des vitraux, de tuyaux d'orgues et d'autres éléments du patrimoine historique bâti et non bâti et l'absence, en l'état de l'art, de substitut idoine permettant de se dispenser de cette substance ;

Considérant les efforts exemplaires accomplis par les filières du patrimoine, au-delà des exigences légales nationales et européennes, pour protéger, notamment grâce aux équipements de protection individuelle et grâce à des mesures de prévention collective détaillées dans de récents documents de référence, les artisans, intervenants et travailleurs en contact avec le plomb ;

Considérant la nécessité d'adopter une approche différenciée concernant la réglementation de l'utilisation de certaines substances chimiques, notamment eu égard à l'impact économique et social sur ces filières, au tonnage utilisé et à leur capacité effective d'adaptation aux évolutions législatives et réglementaires les concernant ;

Considérant qu'il n'y a pas, à ce stade, d'études scientifiques établissant de lien direct avéré entre le saturnisme et le travail régulier de restauration du patrimoine ou la fréquentation assidue des lieux patrimoniaux ;

Considérant, au regard de l'usage qu'ils font du plomb en faveur de la restauration, de l'entretien, de la conservation du patrimoine et des biens culturels, que la survie économique des entreprises, artisans et professionnels de la conservation, de l'entretien et de la restauration du patrimoine, ainsi que celle des vitraillistes, organistes et facteurs d'orgues et la transmission de leurs savoir-faire seraient directement menacées par l'interdiction du plomb ou par la procédure d'autorisation qui découlerait du nouveau traitement juridique de cette substance par le règlement européen « REACH » telle qu'envisagé à ce stade dans le cadre de la révision dudit règlement;

Considérant qu'une telle interdiction ou procédure d'autorisation au titre de l'annexe XIV dudit règlement aurait pour effet de délocaliser les savoir-faire et les ateliers des vitraillistes et d'autres artisans du patrimoine vers des pays extérieurs à l'Union européenne, au premier rang desquels le Royaume-Uni ;

Considérant qu'une telle interdiction ou une telle procédure d'autorisation, par le coût et la complexité qu'elles impliquent pour des entreprises de taille modeste, mettraient en péril leur viabilité économique voire la pérennité de leur savoir-faire, conduisant à une perte irrémédiable pour la conservation du patrimoine culturel de nos territoires, de la France et de l'Union européenne ;

Rappelle la nécessité d'une prise en compte transversale du patrimoine comme facteur d'identité et vecteur de rayonnement de l'Union européenne et de ses territoires ;

Estime qu'une telle prise en compte exige de la Commission européenne un réel effort de collégialité, afin de ne pas méconnaître le considérable impact politique, culturel et symbolique de mesures d'apparence technique ;

Regrette en conséquence que les acteurs des filières françaises et européennes du patrimoine ne soient pas davantage associés aux réflexions préalables à toute évolution réglementaire et législative susceptible de menacer l'exercice même de leurs activités ;

Espère que les revendications portées par ces acteurs pourront être entendues par le Gouvernement et les autorités européennes, afin que la révision envisagée du règlement « REACH » puisse tenir compte de l'impérieuse nécessité de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine culturel ;

Enjoint les acteurs de la filière française à se coordonner avec leurs homologues des autres États membres de l'Union européenne, afin qu'ils se mobilisent pour faire valoir leur intérêt commun dans le cadre de la révision envisagée du règlement « REACH » ;

Affirme que la nécessaire protection des citoyens européens contre les effets nocifs de certaines substances toxiques, parmi lesquelles le plomb, ne doit pas s'opposer à la préservation du patrimoine culturel français et européen ;

Demande que des études scientifiques pluridisciplinaires soient menées à l'échelle de l'Union européenne, sur les programmes de recherche financés sur fonds européens, afin de documenter les effets sur la santé du plomb dans le domaine du patrimoine ;

Demande instamment en conséquence que les usages patrimoniaux soient exemptés ou fassent l'objet d'une dérogation au titre du règlement REACH ou de toute autre législation européenne qui pourrait être envisagée pour limiter les effets nocifs du plomb en matière de protection de la santé ou de prévention au travail, afin que les activités relatives à la préservation, la restauration et la création de vitraux, d'orgues, et d'éléments du patrimoine puissent continuer à recourir au plomb dans les conditions auxquelles il y est actuellement recouru;

Invite le Gouvernement à faire valoir, en même temps que son ambition en matière de lutte contre les pollutions chimiques, cette « exception culturelle » en faveur du patrimoine, notamment dans la perspective du prochain Conseil qui pourrait arrêter le futur plan de travail en faveur de la culture 2023-2026 et fournirait l'occasion d'inscrire le patrimoine durable au premier rang des priorités de ce plan quadriennal,

Invite le Gouvernement à défendre cette position dans les négociations au Conseil.

TABLEAU COMPARATIF

Texte de la proposition de résolution

Texte de la commission des affaires européennes du Sénat

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Proposition de résolution européenne relative à la préservation de l'activité des vitraillistes, menacée par l'interdiction du plomb telle qu'envisagée par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques

Proposition de résolution européenne relative à la préservation des filières du patrimoine, notamment celles du vitrail, de la facture d'orgue, de la restauration et de la conservation des monuments et bâtiments historiques, des objets et oeuvres d'art et des biens culturels, menacées par l'interdiction du plomb ou la procédure d'autorisation telles qu'envisagées par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques

Le Sénat,

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le préambule et l'article 3 du traité sur l'Union européenne,

Vu les articles 114, 167, 169 et 179 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu le préambule et les articles 14 et 22 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée par les États membres de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), lors de sa 17 e conférence générale, à Paris, le 16 novembre 1972,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), en particulier ses articles 114, 167 et 169,

(Alinéa supprimé)

Vu le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission, dit « REACH »,

Vu le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances , instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission, dit « REACH »,

Vu la publication par la Commission européenne, le 14 octobre 2020, de la Nouvelle stratégie dans le domaine des produits chimiques, vers un environnement exempt de substances toxiques, dans le cadre général du Pacte vert,

Vu les conclusions du Conseil (2018/C460/10) du 21 décembre 2018 sur le programme de travail 2019-2022 en faveur de la culture,

Vu la stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques publiée par la Commission européenne le 14 octobre 2020,

(Alinéa supprimé)

Vu l'étude d'impact initiale publiée le 5 mai 2021 sur la révision du règlement « REACH »,

Vu l'étude d'impact initiale par la Commission européenne sur la prochaine révision du règlement « REACH »,

Vu le document publié en anglais par l'Agence chimique européenne (ECHA), le 2 février 2022, sur son site internet, intitulé Draft background document for lead, Document developed in the context of ECHA's eleventh recommendation for the inclusion of substances in Annex XIV,

Vu l'ensemble de documents publiés en anglais par l'ECHA, le 18 mars 2022, sur son site internet, sous l'onglet « Informations sur les produits chimiques », sous le titre Recommendations for inclusion in the Authorisation List,

Vu les articles R. 4412-149, R.4412-152 et R.4412-160 du Code du travail,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 533 (2015-2016) sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. René Danesi au nom de la commission des affaires européennes, concernant l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » (directive 2011/65/UE du 8 juin 2011), fait par M. Jean-François Rapin au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 426 (2019-2020) sur Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser, fait par M. Michel Dagbert et Mme Sonia de la Prôvoté au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 556 (2021-2022) Nouveaux défis, nouveaux enjeux : une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine, fait par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Louis-Jean de Nicolaÿ au nom de la commission des affaires européennes,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 765 (2021-2022) Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite, fait par M. Pierre Ouzoulias et Mme Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,

Vu l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) « Saisine n° 2013-SA-0042 » et le rapport d'expertise collective Valeurs biologiques d'exposition en milieu professionnel, le plomb et ses composés inorganiques, du 11 juillet 2019,

Vu l'avis de l'Anses, « Saisine n° 2019-SA-0147 », relatif à la contamination d'espaces publics extérieurs par le plomb, du 15 janvier 2020,

Vu la fiche toxicologique n° 59, « Plomb et composés minéraux » publiée sur le site de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) en mars 2020,

Vu l'étude « Imprégnation de la population française par le plomb. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. », publiée sur le site de Santé publique France en mars 2020,

Vu le cahier technique n° 25-2020 de l'Association des restaurateurs d'art et d'archéologie collective de formation universitaire (ARAAFU), « Le plomb dans les chantiers de conservation-restauration, actes de la journée d'études du 25 mai 2018 »,

Vu la déclaration conjointe sur « le projet d'ECHA d'inclure le plomb dans la liste des substances soumises à autorisation (Annexe XIV du Règlement REACH) », publiée par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil international des musées (ICOM) et la Confédération européenne des organisations de conservateurs (E.C.C.O.), le 26 avril 2022,

Vu le livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022, par Europa Nostra en partenariat avec ICOMOS, avec le soutien de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement,

Considérant que les signataires du traité sur l'Union européenne affirment, dans son préambule, « s'inspir[er] des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe » ;

Considérant que, dès son préambule, la charte européenne des droits fondamentaux reconnaît le « patrimoine spirituel et moral » de l'Union européenne et appelle celle-ci à préserver et développer les valeurs communes en résultant, dans le respect de la diversité culturelle des peuples de l'Europe ;

Considérant que l'Union européenne est compétente, dans le respect du principe de subsidiarité, pour veiller à « la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel » qui constitue une ressource partagée et un bien commun des Européens et pour « contribuer à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Convention de l'Unesco du 17 septembre 1972, chacun des États parties s'engage à assurer « l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 et situé sur son territoire (...) au maximum de ses ressources disponibles » ;

Considérant que plusieurs dizaines de cathédrales européennes sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco ;

Considérant la place singulière qu'occupent les vitraux dans le patrimoine culturel français , notamment au sein de ses édifices religieux, particulièrement ses églises ;

Considérant la place singulière qu'occupent les vitraux , mais aussi les orgues, les couvertures, parements, ornements et revêtements en plomb, ainsi que les nombreux objets d'art ou biens culturels en plomb dans le patrimoine culturel français et européen, notamment au sein de ses édifices religieux, particulièrement ses cathédrales, ses églises , ses châteaux, ses bâtiments et monuments historiques, ses musées, édifices publics et lieux de culture ;

Considérant que le vitrail est un artisanat vivant, qui dépasse largement le cadre religieux et ouvre à de nombreux artistes un immense champ de création ;

Considérant que le vitrail , la facture d'orgues, la restauration de monuments d'historiques et d'objets d'art sont des artisanats vivants, qui dépassent largement le cadre religieux et ouvrent à de nombreux artistes , artisans et apprentis un immense champ de création ;

Considérant l'intérêt pour nos territoires, notamment en matière d'attractivité touristique, de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine ;

Considérant l'intérêt pour nos territoires, notamment en matière d'attractivité touristique, de développement économique et de cohésion sociale, de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine , qui sert en outre à la pratique du culte ;

Considérant que les acteurs de la filière , qu'ils exercent à leur compte, au sein d'ateliers ou d'entreprises, cherchent constamment à améliorer leurs procédés de fabrication et de restauration et à adopter de nouvelles techniques, pourvu qu'elles existent et répondent à leurs exigences de qualité et de rendu ;

Considérant que les acteurs de ces filières , qu'ils exercent à leur compte, au sein d'ateliers ou d'entreprises, cherchent constamment à améliorer leurs procédés de fabrication et de restauration et à adopter de nouvelles techniques, pourvu qu'elles existent et répondent à leurs exigences de qualité et de rendu ;

Considérant le rôle incontournable du plomb dans la réalisation des vitraux et l'absence, en l'état de l'art, de substitut idoine permettant de se dispenser de cette substance ;

Considérant le rôle irremplaçable du plomb dans la réalisation des vitraux , de tuyaux d'orgues et d'autres éléments du patrimoine historique bâti et non bâti et l'absence, en l'état de l'art, de substitut idoine permettant de se dispenser de cette substance ;

Considérant les efforts exemplaires accomplis par les filières du patrimoine, au-delà des exigences légales nationales et européennes, pour protéger, notamment grâce aux équipements de protection individuelle et grâce à des mesures de prévention collective détaillées dans de récents documents de référence, les artisans, intervenants et travailleurs en contact avec le plomb ;

Considérant les efforts déjà accomplis par les vitraillistes, au-delà des exigences légales nationales et européennes, pour protéger, notamment grâce aux équipements de protection individuelle, les artisans en contact avec le plomb ;

(Alinéa supprimé)

Considérant la nécessité d'adopter une approche différenciée concernant la réglementation de l'utilisation de certaines substances chimiques, notamment eu égard à la taille des acteurs économiques concernés et à leur capacité effective d'adaptation aux évolutions législatives et réglementaires les concernant ;

Considérant la nécessité d'adopter une approche différenciée concernant la réglementation de l'utilisation de certaines substances chimiques, notamment eu égard à l'impact économique et social sur ces filières, au tonnage utilisé et à leur capacité effective d'adaptation aux évolutions législatives et réglementaires les concernant ;

Considérant qu'il n'y a pas, à ce stade, d'études scientifiques établissant de lien direct entre le saturnisme et le travail régulier des vitraux ou la fréquentation assidue des lieux disposant de vitraux ;

Considérant qu'il n'y a pas, à ce stade, d'études scientifiques établissant de lien direct avéré entre le saturnisme et le travail régulier de restauration du patrimoine ou la fréquentation assidue des lieux patrimoniaux ;

Considérant, au regard de l'usage qu'ils font du plomb en faveur de la restauration, de l'entretien, de la conservation du patrimoine et des biens culturels, que la survie économique des entreprises, artisans et professionnels de la conservation, de l'entretien et de la restauration du patrimoine, ainsi que celle des vitraillistes, organistes et facteurs d'orgues et la transmission de leurs savoir-faire seraient directement menacées par l'interdiction du plomb ou par la procédure d'autorisation qui découlerait du nouveau traitement juridique de cette substance par le règlement européen « REACH » telle qu'envisagé à ce stade dans le cadre de la révision dudit règlement;

Considérant que la survie économique des vitraillistes et la transmission de leurs savoir-faire sont directement menacées par l'interdiction pure et simple du plomb, telle qu'envisagée à ce stade dans le cadre de la révision du règlement européen « REACH » ;

(Alinéa supprimé)

Considérant qu'une telle interdiction aurait pour effet de délocaliser les savoir-faire et les ateliers des vitraillistes vers des pays extérieurs à l'Union européenne, au premier rang desquels le Royaume-Uni ;

Considérant qu'une telle interdiction ou procédure d'autorisation au titre de l'annexe XIV dudit règlement aurait pour effet de délocaliser les savoir-faire et les ateliers des vitraillistes et d'autres artisans du patrimoine vers des pays extérieurs à l'Union européenne, au premier rang desquels le Royaume-Uni ;

Considérant qu'une telle interdiction serait préjudiciable au patrimoine culturel de nos territoires, de la France et de l'Union européenne ;

Considérant qu'une telle interdiction ou une telle procédure d'autorisation, par le coût et la complexité qu'elles impliquent pour des entreprises de taille modeste, mettraient en péril leur viabilité économique voire la pérennité de leur savoir-faire, conduisant à une perte irrémédiable pour la conservation du patrimoine culturel de nos territoires, de la France et de l'Union européenne ;

Rappelle la nécessité d'une prise en compte transversale du patrimoine comme facteur d'identité et vecteur de rayonnement de l'Union européenne et de ses territoires ;

Estime qu'une telle prise en compte exige de la Commission européenne un réel effort de collégialité, afin de ne pas méconnaître le considérable impact politique, culturel et symbolique de mesures d'apparence technique ;

Regrette que les acteurs de la filière française du vitrail n'aient pas été davantage associés aux réflexions préalables à toute évolution réglementaire et législative susceptible de menacer l'exercice même de leurs activités ;

Regrette en conséquence que les acteurs des filières françaises et européennes du patrimoine ne soient pas davantage associés aux réflexions préalables à toute évolution réglementaire et législative susceptible de menacer l'exercice même de leurs activités ;

Espère que les revendications portées par ces acteurs pourront être entendues par les autorités européennes, afin que la révision du règlement « REACH » puisse tenir compte de l'impérieuse nécessité de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine culturel ;

Espère que les revendications portées par ces acteurs pourront être entendues par le Gouvernement et les autorités européennes, afin que la révision envisagée du règlement « REACH » puisse tenir compte de l'impérieuse nécessité de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine culturel ;

Enjoint les acteurs de la filière française à se coordonner avec leurs homologues des autres États membres de l'Union européenne, afin qu'ils se mobilisent pour faire valoir leur intérêt commun dans le cadre de la révision du règlement « REACH » ;

Enjoint les acteurs de la filière française à se coordonner avec leurs homologues des autres États membres de l'Union européenne, afin qu'ils se mobilisent pour faire valoir leur intérêt commun dans le cadre de la révision envisagée du règlement « REACH » ;

Affirme que la nécessaire protection des citoyens européens contre les effets nocifs de certaines substances toxiques, parmi lesquelles le plomb, ne doit pas s'opposer à la préservation du patrimoine culturel français et européen ;

Affirme que la nécessaire protection des citoyens européens contre les effets nocifs de certaines substances toxiques, parmi lesquelles le plomb, ne doit pas s'opposer à la préservation du patrimoine culturel français et européen ;

Demande que des études scientifiques pluridisciplinaires soient menées à l'échelle de l'Union européenne, sur les programmes de recherche financés sur fonds européens, afin de documenter les effets sur la santé du plomb dans le domaine du patrimoine ;

Demande instamment en conséquence que les usages patrimoniaux soient exemptés ou fassent l'objet d'une dérogation au titre du règlement REACH ou de toute autre législation européenne qui pourrait être envisagée pour limiter les effets nocifs du plomb en matière de protection de la santé ou de prévention au travail, afin que les activités relatives à la préservation, la restauration et la création de vitraux, d'orgues, et d'éléments du patrimoine puissent continuer à recourir au plomb dans les conditions auxquelles il y est actuellement recouru;

Exige qu'une exemption, de droit et sans frais, soit réservée à toutes les activités relatives à la préservation, la restauration et la création de vitraux au sein du règlement « REACH », afin de leur permettre de continuer à recourir au plomb dans les conditions auxquelles il y est actuellement recouru, eu égard au caractère essentiel de ces activités pour la sauvegarde et le développement de notre patrimoine culturel ;

(Alinéa supprimé)

Invite le Gouvernement à défendre cette position dans les négociations au Conseil.

Invite le Gouvernement à faire valoir, en même temps que son ambition en matière de lutte contre les pollutions chimiques, cette « exception culturelle » en faveur du patrimoine, notamment dans la perspective du prochain Conseil qui pourrait arrêter le futur plan de travail en faveur de la culture 2023-2026 et fournirait l'occasion d'inscrire le patrimoine durable au premier rang des priorités de ce plan quadriennal,

Invite le Gouvernement à défendre cette position dans les négociations au Conseil.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Sénat

Mme Vanina Paoli-Gagin, Sénateur de l'Aube, membre de la commission des finances

Professionnels et organisations représentatives des métiers du patrimoine (art du vitrail)

• Chambre syndicale nationale du vitrail

M. Jean Mône, président et Emmanuelle Andrieux, vice-présidente

• Ateliers

M. Bruno Loire, maître-verrier, Ateliers Loire Chartres

M. Emmanuel Putanier, maître-verrier, Atelier Vitrail France

M. Robert Lefort, président, et M. Jean Pitois, secrétaire général de l'association Vitrail Nouveau Souffle

Organistes et facteurs d'orgues

M. Philippe Lefebvre, président d'Orgue en France

M. Patrick Armand, président du GPFO (Groupement professionnel des facteurs d'orgues)

M. Valérie Souvervie, responsable de marchés, L'Ameublement français

M. Bertrand Demarne, Directeur des Affaires Techniques et Environnementales, L'Ameublement français

Entreprises intervenant dans la restauration des monuments historiques

M. Yann de Carné, président, et Mme Marion Rogar, secrétaire générale, Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH)

M. Jean-Yves Bruchausen, Entreprise Charpentier PM, maçonnerie, taille de pierre

M. Jean-Christophe Le Ny, Entreprise Le Ny, couverture

M. Julien Le Bras, Entreprise le Bras Frères, couverture

Architectes en chef des monuments historiques

M. Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques (ACMH), en charge du chantier de Notre-Dame de Paris, agence Villeneuve ACMH

M. Rémi Fromont, ACMH, en charge du chantier de Notre-Dame de Paris, Covalence architectes

Ministère de la Culture, Direction générale des patrimoines

Mme Isabelle Chave, sous-directrice des monuments historiques et des sites

Commission européenne

Mme Pauline Rouche, directrice de cabinet, et Mme Lauriane Bertrand, conseillère au cabinet de Mme Mariya Gabriel, Commissaire européen à l'Éducation, à la Culture, au Multilinguisme et à la Jeunesse

M. Otto Linher Expert Senior, et Mme Aurora de Bustos, expert, unité F1 (REACH, produits chimiques), direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME (DG GROW)

Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

M. Nicolas Encausse, conseiller environnement, économie circulaire et déchets, substances chimiques, qualité de l'air, émissions des véhicules et carburants

Mme Aurélie Champagne, conseillère culture, audiovisuel et droit d'auteur

Mme Guillemette Madinier, conseillère ajointe culture, audiovisuel et suivi des instruments européens pour l'action culturelle


* 1 L'exposé des motifs mentionne erronément la date du 2 février 2021 ; il s'agit sans doute d'une coquille.

* 2 La PRAC permet au Parlement européen et au Conseil de bloquer une mesure proposée par la Commission si cette mesure :

- outrepasse les compétences d'exécution de la Commission ;

- n'est pas compatible avec l'objectif ou le contenu de l'acte juridique ;

- va au-delà des compétences ou du mandat de l'Union européenne et contrevient ainsi au principe de subsidiarité.

Les deux institutions disposent d'un droit de veto, généralement valable trois mois après l'approbation par le comité de la mesure proposée par la Commission. Par ailleurs, si le comité ne parvient pas à rendre un avis positif sur la mesure proposée, le Conseil peut intervenir soit en la bloquant soit en l'adoptant lui-même, sauf opposition du Parlement.

Cf. http://www.senat.fr/ue/pac/EUR000003039.html

* 3 Pour rappel, la majorité qualifiée est atteinte si elle regroupe au moins 15 États membres représentant au moins 65% de la population de l'UE.

* 4 Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (désigné en langue anglaise sous le terme de REACH pour « Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals »), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n°793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.

* 5 https://echa.europa.eu/fr/recommendation-for-inclusion-in-the-authorisation-list/-/substance-rev/68608/term

* 6 Direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME, dite DG GROW, sous l'autorité du Commissaire européen Thierry Breton.

* 7 Institution professionnelle, créée en 1949, chargée de la certification des entreprises de construction en France : cf. https://www.qualibat.com

Au-delà des métiers du patrimoine et selon l'enquête Sumer 2010 (Ministère du Travail), 27 000 salariés de la construction seraient exposés au plomb.

En effet, Le plomb est présent sous différentes formes dans les bâtiments : plomb métallique (éléments de couverture ou d'étanchéité, canalisations d'eau ou de gaz...), composés de plomb dans les revêtements (peintures, enduits), contaminants (poussières sur des surfaces ou sur des façades provenant d'une pollution environnementale), etc.

* 8 Cf. le Livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022 par le consortium d'associations Europa Nostra en partenariat avec le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS)

* 9 Note sur le plomb dans le patrimoine, contribution à la consultation de l'ECHA sur REACH, 28 avril 2022

* 10 Dans une « déclaration conjointe sur le projet de l'ECHA d'inclure le plomb dans la liste des substances soumises à autorisation » (Annexe XIV du Règlement REACH), publiée le 26 avril 2022 : https://www.icomos.org/images/DOCUMENTS/Secretariat/2022/Statements/ECHA_Lead_ICOMOS_ICOM_ECCO_JointStatement_draft20220426_FR.pdf

* 11 https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/241386/2552452

* 12 Le plomb dans les chantiers de conservation-restauration

* 13 Plomb et composés minéraux - Fiche toxicologique n° 59

Les risques liés au plomb - INRS (2013)

Prévenir les expositions professionnelles au plomb

Interventions sur les peintures contenant du plomb (2020)

* 14 « Risque plomb : un recueil de solutions pour vos chantiers » (décembre 2021).

* 15 Cf. le rapport d'information du Sénat n°533 (2015-2016) sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. René Danesi au nom de la commission des affaires européennes, concernant l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » (directive 2011/65/UE du 8 juin 2011), fait par M. Jean-François Rapin au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

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