Rapport n° 792 (2021-2022) de MM. Michel CANÉVET et Jean-Claude REQUIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 juillet 2022

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N° 792

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juillet 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d' approbation des comptes de l' année 2021 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME II

CONTRIBUTIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 4

Aide publique au développement

COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Rapporteurs spéciaux : MM. Michel CANÉVET et Jean-Claude REQUIER

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

10 , 16 et T.A. 2

Sénat :

787 (2021-2022)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. En 2021, le montant des crédits exécutés au titre de la mission Aide publique au développement s'élève à 5,6 milliards d'euros en crédits de paiement comme en autorisations d'engagement.

2. Hors programme de renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement, le montant des crédits de paiement exécutés augmente de 16,6 % ce qui témoigne d'une tendance haussière des engagements de la mission.

3. Devant les engagements pris en matière d'augmentation de l'aide publique au développement française (0,7 % du revenu national brut en 2025) et le niveau important des restes à liquider (RAL), la soutenabilité budgétaire de la mission peut susciter des interrogations.

4. Pour la première année, le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » présente un solde excédentaire ce qui s'explique essentiellement par la non réalisation de certaines opérations envisagées sous l'effet d'aléas géopolitiques ou de la crise sanitaire.

5. Les rapporteurs spéciaux ont réalisé une mission de contrôle relative à l'intégration d'Expertise France au sein du groupe Agence française de développement. Ils tirent trois principaux constats et observations de ce travail :

- d'une part, il est nécessaire qu'Expertise France cherche à assurer son équilibre financier de sorte à ne plus dépendre de l'octroi d'une subvention de l'État ;

- d'autre part, des indicateurs de suivi doivent rapidement être définis par les tutelles pour mesurer les gains tirés de l'opération de fusion ;

- enfin, il conviendra de s'assurer que l'intégration des effectifs d'Expertise France n'entraine pas de hausse des dépenses de personnel.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION ET DU COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS EN 2021

A. UN EXERCICE BUDGÉTAIRE MARQUÉ PAR UN MONTANT RECORD ET DES MOUVEMENTS DE CRÉDITS SIGNIFICATIFS POUR LA MISSION « AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT »

La mission « Aide publique au développement » regroupe les crédits des principaux programmes concourant à la politique française d'aide publique au développement :

- le programme 110 « Aide économique et financière au développement » , mis en oeuvre par le ministère de l'économie et des finances ;

- le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » , mis en oeuvre par le ministère des affaires étrangères et du développement international ;

- le programme 365 « Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement » mis en oeuvre par le ministère de l'économie et des finances.

Exécution des crédits de la mission « Aide publique au développement »
en 2021

(en millions d'euros)

Programme

Crédits exécutés 2020

Crédits votés LFI 2021

Crédits exécutés 2021

Variation exécution 2021/2020

Taux exécution 2021 / LFI 2021

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Aide économique et financière au développement (110)

3 764,3

1 180,2

1 381,8

1 464,9

1 217,5

1 453,2

- 63,3 %

+ 24,1 %

88,1 %

99,2 %

Solidarité à l'égard des pays en développement (209)

2 759,3

2 200

2 771,3

2 476,3

2 982,6

2 695,6

+ 0,4 %

+ 12,6 %

107,6 %

108,9 %

Renforcement des fonds propres de l'Agences française de développement (365)

-

-

1 420,0

1 420,0

1 420,0

1 420,0

-

-

100,0 %

100,0 %

Mission

6 523,6

3 380,2

5 573,1

5 361,2

5 620,1

5 568,8

- 14,6 %

+ 58,6 %

100,8 %

103,9 %

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

Pour mémoire, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne regroupent qu'une partie des crédits budgétaires affectés à cette politique publique. Ainsi, en 2021, les crédits de la mission ne représentant que 47 % de l'effort de l'État en matière d'aide publique au développement 1 ( * ) , soit 2 points de plus qu'en 2020, ce qui souligne le caractère toujours interministériel de son financement et de son pilotage.

La loi de programmation des finances publiques pour les
années 2018-2022 ne comporte pas d'indication des plafonds de crédits pour l'année 2021 à laquelle pourrait être comparée l'exécution du présent exercice.

Toutefois, la loi n°2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales prévoit que les crédits de paiements de la mission, hors contribution au CAS « Pensions » et à périmètre constant, devront atteindre 3,9 milliards d'euros.

En l'espèce, neutralisés des crédits de titre 2 et des montants engagés au titre de l'opération de refinancement de l'AFD, les crédits de paiements de la mission excèdent légèrement la cible programmatique et
atteignent 4 milliards d'euros en 2021.

Hors renforcement des fonds propres de l'AFD, les autorisations d'engagements consommées diminuent de plus de 2,3 milliards d'euros entre 2020 et 2021, soit une contraction d'environ 35,6 %. En ce sens inverse, à périmètre constant toujours, le montant des crédits de paiement exécutés en 2021 augmente très fortement par rapport à 2020 (+ 22,7 %
soit 767,6 millions d'euros).

La forte diminution des AE consommées en 2021 s'explique surtout par le caractère spécifique de l'exécution en 2020 marquée par la reconstitution de plusieurs fonds multilatéraux.

Comme le relève la Cour des comptes dans son note d'exécution budgétaire en 2021, hors renforcement des fonds propres de l'AFD, l'évolution des crédits de paiements illustre mieux la dynamique budgétaire de la mission.

1. Une sous-exécution en autorisations d'engagement sur le programme 110

En autorisations d'engagement, le taux de consommation des crédits ouverts en LFI au titre du programme 110 s'élève à 88,1 %. Pour mémoire, ces crédits financent notamment les contributions multilatérales directes (Association internationale pour le développement, Fonds africain du développement, Fonds pour l'environnement mondial etc.) et l'aide bilatérale de la France, principalement au travers de la bonification de prêts.

Pour l'essentiel, cette sous-exécution s'explique par le maintien
en 2021 d'un environnement financier (taux d'intérêt et change euro/dollar) plus favorable qu'escompté
lors de l'examen de la loi de finances initiale. Ces conditions ont permis de diminuer le coût des bonifications de prêts.

2. Une sur-exécution sur le programme 209

À l'inverse du programme 110, l'exécution du programme 209 est marquée par une surconsommation en AE (107,6 %) comme
en CP (108,8 %).

Ces dépassements s'expliquent par une augmentation en cours d'exercice de 100 millions d'euros des engagements de la France envers l'initiative ACT-A ( accélération de l'accès aux outils de lutte contre la pandémie de Covid-19 ) pour la découverte et la production d'un vaccin contre la
Covid-19
, par la décision de verser une aide d'un montant équivalent pour l'assistance humanitaire en Afghanistan et par un moindre niveau des recettes de la taxe sur les billets d'avion impliquant de mobiliser des crédits budgétaires pour financer le fonds de solidarité pour le développement (FSD).

Pour financer ces besoins non-budgétés, le programme a bénéficié de crédits supplémentaires ouverts par la deuxième loi de finances rectificative pour 2021 (+186,5 millions d'euros en CP) et mis à disposition en gestion dont 50 millions d'euros transférés depuis le programme 364 « Cohésion » de la mission Relance.

B. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS » : UNE EXÉCUTION TOUJOURS SOUMISE À DE FORTS ALÉAS

Le compte de concours financiers regroupe pour sa part des prêts à des États étrangers qui concourent à la politique française d'aide publique au développement, à l'exception du programme concernant la Grèce :

- le programme 851 « Prêts à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et services concourant au développement du commerce extérieur de la France » porte deux catégories de prêts du Trésor, à savoir les prêts concessionnels accordés à certains pays en développement, et les prêts non concessionnels ;

- le programme 852 « Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France » permet de refinancer les dettes de certains pays envers la France ;

- le programme 853 « Prêts à l'Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers » porte le versement à l'AFD de la « ressource à condition spéciale » (RCS) qui lui permet d'octroyer des prêts à des États étrangers à des conditions concessionnelles ;

- le programme 854 « Prêts aux États membres de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro » était initialement destiné à porter la contribution de la France au plan de soutien en faveur de la Grèce, finalement confié au Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ce programme n'est plus actif depuis 2012.

Exécution des crédits du compte de concours financiers
« Prêts à des États étrangers » en 2021

(en millions d'euros)

Programme

Recettes

Crédits votés LFI 2021

Crédits exécutés 2021

Exécution crédits 2021/LFI 2021

Solde

Prévision

Exécution

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Prévision

Exécution

851

280,9

263,6

1 000

461,6

756,9

205

75,7 %

44,4 %

- 180,6

58,6

852

216,2

36,8

554,7

554,7

-

-

-

-

- 338,5

36,8

853

974,5

941,5

0

258

0

225

-

87,2 %

716,5

716,5

854

447,1

444,6

0

0

258

225

-

-

447,1

444,6

Total

1 918,7

1 686,5

1 554,7

1 274,3

1 014,9

655,0

65,3

51,4

644,5

1 256,5

Source : commission des finances du Sénat

Les rapporteurs spéciaux relèvent que l'exercice 2021 est marqué par un solde d'exécution positif du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », celui-ci s'établissant à - 1,2 milliards d'euros, contre une évaluation initiale de 644,5 millions d'euros.

Il s'agit de la première fois depuis 2016 que le compte présente un solde excédentaire. Ce résultat s'explique essentiellement par une sous-exécution des dépenses sur les programmes 851 et 852.

Le programme 851 retrace les opérations liées à l'octroi de prêts accordés par le Trésor à des États pour financer la réalisation de projets de développement qui font appel à des biens ou services français (projets d'éclairage public solaire au Togo, installation d'une centrale hydroélectrique à Madagascar etc.).

En 2021, le nombre des projets donnant lieu à l'octroi d'un prêt du Trésor a été moins important qu'initialement prévu essentiellement en raison des conséquences de la crise sanitaire. Ainsi, sur 461,6 millions d'euros ouverts en crédits de paiements au titre du programme, seuls 205 millions d'euros ont été effectivement consommés.

Le programme 852 retrace les prêts accordés par la France à des États dans le cadre d'opérations de restructuration de leur dette. Alors
que 554,7 millions d'euros en AE comme en CP avaient été ouverts en loi de finances initiale afin de réaliser une opération de refinancement en faveur du Soudan, la survenue d'un coup d'État dans ce pays a conduit à la reporter sine die .

II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Des inquiétudes quant à la soutenabilité de la mission

Conformément aux orientations définies par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de 2018 et réaffirmées par la loi du 4 août 2021 précitée, la France s'est engagée sur une trajectoire de hausse de son APD devant
atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022 et 0,7 % du RNB
en 2025.

En 2021, d'après l'OCDE, l'ensemble des dépenses d'APD de la France ont représenté 0,52 % de son RNB après avoir atteint 0,53 % en 2020 résultat permis, notamment, par la forte contraction du RNB dans le contexte de la crise sanitaire.

Les rapporteurs spéciaux relèvent que la programmation introduite par la loi du 4 août 2021 pose deux difficultés.

D'une part, elle est exprimée en point de revenu national brut alors même que les incertitudes macroéconomiques rendent très volatiles les prévisions d'évolution de cet agrégat à l'horizon 2025.

Dans ce contexte, il est difficile de pouvoir véritablement évaluer l'évolution attendue des crédits en euros et, par suite, la soutenabilité de cette trajectoire au plan budgétaire.

D'autre part, elle est - et ce n'est pas un reproche en soi - particulièrement ambitieuse au risque d'inciter l'État à multiplier les engagements en matière d'APD dans une logique quantitative plus que qualitative.

Au-delà des enjeux soulevés par la programmation décrite par la loi du 4 août 2021, les rapporteurs spéciaux relèvent comme l'année dernière que la mission se caractérise par un niveau important et croissant de restes à liquider (RAL - 8,7 milliards d'euros en 2021).

Environ 4,5 milliards d'euros de ces RAL portent sur la bonification de prêts aux États étrangers tandis que 1,4 milliard d'euros concerne le financement de nos engagements multilatéraux.

Enfin, pour mettre en oeuvre les engagements pris par le CICID
du 8 février 2018, l'Agence française de développement a engagé près d'un milliard d'euros en 2019 dans le cadre d'opérations de dons-projets
. Cette hausse des engagements de l'AFD génère en contrepartie une forte augmentation des besoins en crédits de paiement , évaluée à + 328 millions d'euros en 2021. Les rapporteurs spéciaux estiment, dans ce contexte, qu'une vigilance active de la tutelle doit être assurée sur l'AFD dont les activités constituent un déterminant majeur de la dynamique budgétaire de la mission à moyen terme.

2. L'importance de rouvrir un débat sur la pertinence des financements dits « innovants » de l'aide publique au développement

L'affectation des recettes issues de la TSBA et d'une partie de celles générées par la taxe sur les transactions financières (TTF), désignée sous le terme de « financements innovants » , correspond à un mécanisme de débudgétisation , c'est-à-dire au financement d'une partie des dépenses d'aide publique au développement par des moyens extrabudgétaires.

Comme en 2020, l'exercice 2021 témoigne des limites de cette débudgétisation : en cas de recettes fiscales inférieures au montant anticipé, le budget général de l'État doit venir compenser, dans l'urgence et au détriment d'autres dépenses, la perte de recettes.

Lors de l'examen du projet de loi de programmation, les auditions menées par le rapporteur pour avis, M. Jean-Claude Requier, avaient soulevé l'intérêt d'une rebudgétisation des financements dits « innovants ».

La direction du budget avait ainsi souligné le caractère imprévisible, et par conséquent aléatoire , de l'affectation de ces recettes au financement de l'aide publique au développement.

Dans sa note d'exécution budgétaire pour l'année 2020, la recommandation de la Cour des comptes était sans appel , puisqu'elle estimait que « l'ensemble des crédits d'aide publique au développement doivent (...) réintégrer le budget général de l'État. La rebudgétisation de l'intégralité des crédits restants au FSD doit être achevée ».

En 2021, la Cour réitère cette observation largement partagée par les rapporteurs spéciaux en rappelant que « l'affectation de ressources aléatoires à des dépenses pérennes constitue un risque » pour les programmes de la mission.

Néanmoins, les rapporteurs spéciaux rappellent que les débats qui se sont tenus lors de l'examen du projet de loi de programmation ont témoigné d'un attachement du Parlement à la participation de ces deux taxes affectées au financement de l'aide publique au développement, compte tenu du symbole politique fort de la contribution des secteurs aérien et financier à cette politique publique .

Pour autant, ils estiment qu'une réflexion doit être initiée sur l'utilisation des financements dits « innovants », afin d'évaluer de façon objective l'intérêt budgétaire de ce « totem politique ».

III. L'INTÉGRATION D'EXPERTISE FRANCE AU SEIN DU GROUPE AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT

Depuis le 1 er janvier 2022, l'opérateur Expertise France en charge de la coopération technique internationale est intégré au sein du groupe Agence française de développement.

Cette opération, dont l'ambition avait été formalisée par le gouvernement dès 2018, a été permise par l'adoption des dispositions de la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Les rapporteurs spéciaux ont souhaité réaliser un travail de contrôle permettant de dresser un premier bilan d'étape de l'intégration de l'opérateur au sein du groupe AFD.

A. UN OPÉRATEUR DÉJÀ PROCHE DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT AU PLAN OPÉRATIONNEL AVANT SA FILIALISATION

1. La coopération technique internationale, une activité en faveur du développement moins investie par la France que par le passé

D'après l'OCDE 2 ( * ) , la coopération technique internationale « englobe des activités destinées à accroitre les capacités des pays en développement (...) soit par la mise à disposition directe d'intervenants extérieurs (...) soit par des actions visant à renforcer les capacités des populations locales ».

La France a longtemps fait de la coopération technique un axe fort de sa politique d'aide au développement . Ainsi, entre 1945 et 1980, la coopération technique représentait jusqu'à 70 % de l'APD totale engagée tandis qu'environ 23 000 coopérants techniques étaient mobilisés à la fin des années 1970.

Cette modalité d'intervention a largement décliné depuis les années 1980 . En effet, à partir de cette période la part de la coopération technique dans l'APD totale s'est très fortement contractée pour atteindre environ 15 % dans la période récente. De même, les effectifs de coopérants techniques se sont largement réduits puisqu'ils ne s'élevaient plus
qu'à 500 personnes en 2015.

Plusieurs motifs expliquent l'affaiblissement des capacités de coopération techniques de la France comme le relève Expertise France dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs. D'abord, les moyens consacrés en part du RNB à l'aide publique au développement se sont globalement réduits au cours de la décennie 1990-2000. Ensuite, la place donnée aux coopérants techniques a fait l'objet de critiques dans la mesure où les activités exercées auraient pu, dans certains cas, l'être par des personnels locaux. Enfin, l'APD s'est davantage inscrite dans une logique de financement direct des acteurs, ce qui s'est traduit, en France, par la montée en puissance de l'Agence française de développement (AFD).

Pour autant, les principaux partenaires de la France continuent d'entretenir de fortes capacités de coopération technique ce qui tend à singulariser notre pays. Ainsi, l'Allemagne disposerait d'environ 14 000 experts et mobiliserait un budget de coopération d'environ 2,5 milliards d'euros par an. Le Japon entretient, quant à lui, environ 10 000 experts de terrain.

2. Expertise France : un opérateur central de la coopération technique française

Expertise France est le principal opérateur français pour la coopération technique internationale . Il est créé en 2015 sous le nom d'Agence française d'expertise technique internationale (AFETI) par la fusion de cinq opérateurs antérieurs :

- France Expertise Internationale ;

- Assistance au développement des échanges en technologies économiques et financières ;

- Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau ;

- la branche « Internationale » de Santé protection sociale internationale ;

- Agence pour le développement et la coordination des relations internationales.

En outre, l'article 13 de la loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale prévoyait qu'Expertise France avait « vocation à rassembler au 1 er janvier 2016 l'ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique ».

Les rapporteurs ont constaté qu'alors qu'elle a régulièrement été envisagée tant par l'opérateur lui-même que par la commission de la défense Affaires étrangères du Sénat ou la Cour des comptes, l'intégration de l'opérateur CIVI.POL relevant du ministère de l'Intérieur n'a pas été opérée.

Celle-ci ne leur parait de toute façon pas souhaitable compte tenu des missions particulières qui sont conduites à CIVI.POL, parfois dans le cadre du secret-défense.

Les objectifs stratégiques d'Expertise France sont principalement définis par le contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui le lie à ses
tutelles - ministère des Affaires étrangères et ministère de l'Économie et
des finances - et qui décline les priorités fixées notamment par le CICID du 8 février 2018 ainsi que par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Pour un volume d'activité équivalent à 308 millions d'euros
en 2021
, l'opérateur intervient dans plusieurs projets de coopération technique internationale relevant des domaines de l'action publique, notamment en matière de :

- paix, stabilité et sécurité (37 % de son activité en 2021) ;

- gouvernance économique et financière (11 % de son activité
en 2021) ;

- développement durable (9 % de son activité en 2021) ;

- gouvernance démocratique, justice et droits humains (9 % de son activité en 2021) ;

- santé (16 % de son activité en 2021) ;

- développement social et développement du capital humain (8 % de son activité en 2021) ;

- et d'autres domaines d'intervention (10 % de son activité en 2021).

Expertise France intervient sur des projets qui répondent à des besoins identifiés et définis par un bailleur en lien avec le bénéficiaire direct de l'intervention. L'Union européenne constitue, à cet égard, le principal bailleur de l'opérateur (environ 52 % de son chiffre d'affaires sur la
période 2019-2021) devant l'État (21 % du chiffre d'affaires), l'Agence française de développement (12 %) et diverses organisations internationales.

Afin de répondre à la commande qui lui est passée, Expertise France assure l'identification, le recrutement et la gestion des experts techniques mobilisés. Certains experts qui ont vocation à exercer leur mission sur une longue période sont recrutés sous contrat à durée déterminée d'usage (CDDU) tandis que ceux qui interviennent sur des missions plus courtes le sont sous contrat à durée déterminée. En outre, lorsqu'ils sont fonctionnaires, les experts peuvent bénéficier de mesures de mises à disposition ou de détachement.

Les contenus des interventions d'Expertise France sont, quant à eux, préparés en lien avec les bailleurs par des équipes-projets de l'opérateur qui, selon les cas, peuvent se trouver sur place ou être dépêchées sur site dans le cadre d'une phase d'instruction.

Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, le ministère des Affaires étrangères indique que « l'administration centrale influence le contenu du projet relativement tôt dans le cycle projet s'agissant des projets sur financements délégués de l'Union européenne (...) le comité de fonds de soutien permet en effet aux ministères de tutelles de faire des recommandations orientant le contenu des projets présentés afin qu'ils soient alignés avec les priorités françaises. ».

Les interventions d'Expertise France sont évaluées par différents moyens. À cet égard, le COM 2015-2019 prévoyait que l'opérateur devait se doter d'une politique de suivi-évaluation ce qui est le cas depuis le mois de mai 2020. Ces évolutions ont été récemment complétées par les dispositions du COM 2020-2022 prévoyant, notamment, un renforcement de la mesure de l'impact des projets sur le terrain et la définition d'indicateurs génériques.

Concrètement, la politique d'évaluation de l'opérateur prévoit :

- que la moitié des projets d'une durée supérieure à trois ans et d'un montant supérieur à 1,5 million d'euros devront faire l'objet d'une évaluation extérieure au surplus de celles organisées par les bailleurs eux-mêmes ;

- que pour les autres projets, un dialogue avec les départements techniques détermine l'opportunité de réaliser une évaluation extérieure.

3. Un modèle économique qui repose de façon regrettable sur le versement d'une subvention d'appui de la part de l'État

Les activités d'Expertise France se distinguent en deux grandes catégories :

- les opérations financées par la commande publique (État et AFD) qui représentent 33 % du volume d'activité sur les trois précédents exercices ;

- les opérations financées par des bailleurs tiers (Union européenne, organisations multilatérales etc.) qui représentent 67 % du volume d'activité sur les trois plus récents exercices.

Si la commande publique nationale (ministères et AFD) répond à un principe de juste rémunération qui garantit la couverture complète des charges engagées tel n'est pas le cas des opérations financées par des bailleurs tiers, en particulier l'Union européenne.

Dans ce cas, les opérations sont généralement déficitaires pour l'opérateur ce qui implique qu'il soit incité à sollicite le soutien de l'État afin d'assurer son équilibre financier au travers du versement d'une subvention .

Les modalités de calcul du montant de cette subvention ont évolué lors de la négociation du COM 2020-2022. En effet, alors que celle-ci était jusqu'ici une subvention d'équilibre globale, elle s'apparente désormais à un mécanisme d'appui ciblé sur des projets structurellement déficitaires - en particulier européens - mais jugés stratégiques par Expertise France et ses tutelles.

En 2021, le montant de cette subvention s'est élevé à 8 millions d'euros , soit près de 2,5 % du chiffre d'affaires de l'opérateur ce qui est supérieur à la moyenne observée sur la période 2015-2019 (2,0 %).

Évolution de la subvention versée
par l'État à Expertise France

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Depuis 2015, le volume d'activité de l'opérateur a fortement progressé puisqu'il a été multiplié par 2,4 pour ce qui concerne la commande publique nationale (État et AFD) et par 3,3 pour les opérations avec les bailleurs tiers.

Évolution du résultat d'Expertise France

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

L'opérateur a estimé dans ses réponses aux interrogations des rapporteurs que la mise en oeuvre du nouveau mécanisme d'appui à partir de l'année 2020 lui a permis de respecter ses objectifs et de présenter, pour la première fois, un résultat positif en 2021 (2,5 millions d'euros).

Loin de s'en satisfaire, les rapporteurs observent que le résultat net de l'opérateur reste structurellement déficitaire puisqu'à l'exclusion de la subvention d'appui, il s'établit à - 5,6 millions d'euros en 2021 soit 1,7 % du chiffre d'affaires. En 2022, le résultat net hors soutien de l'État pourrait s'élever à - 2 % du chiffre d'affaires, soit un déficit de près de 7 millions d'euros.

Évolution du résultat d'Expertise France

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Dès lors, le modèle économique d'Expertise semble toujours reposer sur un soutien - que l'on peut présumer croissant à l'avenir - de la part de l'État .

Or, cette situation n'apparaît pas inéluctable dans la mesure où d'autres acteurs de la coopération technique internationale parviennent à atteindre l'équilibre financier sans recourir à des subventions d'équilibre.

Tel est vraisemblablement le cas de l'opérateur de coopération technique du ministère de l'Intérieur CIVIPOL qui a indiqué lors de son audition ne bénéficier d'aucune subvention d'équilibre.

Tel est également le cas du Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), opérateur allemand pour la coopération technique internationale, qui ne perçoit pas de subvention d'équilibre.

Les rapporteurs considèrent qu'Expertise France doit se diriger sur cette voie en élaborant avec ses tutelles des stratégies d'offre qui permettent d'équilibrer ses comptes sans recours à une subvention publique.

4. Des liens croissants entre Expertise France et l'Agence française de développement

L'Agence française de développement et Expertise France entretiennent des liens commerciaux depuis la création de l'opérateur
en 2015.

Ceux-ci se sont densifiés à compter de l'année 2020 et, en 2022, les projets conduits par Expertise France au profit de l'AFD devraient représenter 71,8 millions d'euros , soit 21,4 % de l'ensemble du chiffre d'affaires de l'opérateur.

Évolution du chiffre d'affaires d'Expertise France réalisé
avec l'Agence française de développement

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Cette accélération s'explique par un rapprochement opérationnel voulu par le CICID du 8 février 2018 et qui a préfiguré le rapprochement juridique des deux entités.

Elle a été facilitée par la signature de plusieurs accords cadre entre l'AFD et Expertise France permettant à l'agence de contracter directement sans passer par une procédure concurrentielle.

B. UNE FILIALISATION DÉSORMAIS EFFECTIVE D'EXPERTISE FRANCE DONT LES GAINS SONT ENCORE À VENIR

1. Les objectifs et modalités d'intégration d'Expertise France au sein du groupe AFD

Le III de l'article 10 de la loi n°2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales prévoit que « l'Agence française de développement est autorisée à détenir tout ou partie du capital de la société par actions simplifiée Expertise France ».

Ces dispositions traduisent les conclusions du CICID
du 8 février 2018
qui indiquaient qu'afin « de poursuivre l'effort de rationalisation du paysage de la coopération française, le gouvernement décide de procéder à l'intégration d'Expertise France au sein du groupe AFD » 3 ( * ) .

D'après le ministère des Affaires étrangères cette intégration vise deux principaux objectifs :

- d'une part, doter la France d'un opérateur de la politique de développement unifié et facilement identifiable ;

- d'autre part, favoriser une consolidation et structuration d'Expertise France avec l'appui de l'AFD permettant de réaliser des économies d'échelle et de renforcer l'efficacité de l'opérateur.

Afin de permettre l'intégration d'Expertise France au sein du
groupe AFD, l'article 11 de la loi du 4 août 2021 a procédé à la transformation du statut de l'opérateur d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) en celui de société par action simplifiée.

En outre, la loi a prévu une révision de la gouvernance d'Expertise France qui était dotée d'un directeur général, nommé par l'État, et d'un conseil d'administration composé :

- du délégué interministériel à la coopération technique internationale, président du conseil d'administration ;

- de deux députés et de deux sénateurs ;

- de sept représentants de l'État ;

- d'un représentant des administrations de sécurité sociale ;

- d'un représentant des collectivités locales ;

- de trois personnalités qualifiées ;

- de deux représentants du personnel.

Par ailleurs, des représentants de certains ministères (Agriculture ou Intérieur par exemple) et de l'Agence française de développement pouvaient assister au conseil d'administration en qualité d'observateur.

La nouvelle gouvernance d'Expertise France , société par action simplifiée détenue entièrement par l'AFD, laisse une place plus importante qu'auparavant au président-directeur général de l'AFD . Celui-ci a notamment pour fonction :

- de présider le conseil d'administration d'Expertise France ;

- de désigner le directeur général d'Expertise France ;

- de désigner les quatre membres du conseil d'administration d'Expertise France chargés de représenter l'AFD.

2. Des synergies possibles mais pas d'indicateurs à ce jour pour mesurer leurs effets

D'après Expertise France, l'AFD et les tutelles ministérielles, le rapprochement des deux opérateurs doit permettre de dégager des synergies opérationnelles et fonctionnelles.

Au plan opérationnel, l'intégration doit permettre d'assurer une meilleure connaissance mutuelle , de consolider les outils et procédures permettant aux deux entités de travailler de concert et, enfin, de créer une « offre groupe » afin de concurrencer plus efficacement les autres acteurs du développement et de la coopération technique.

Au plan fonctionnel, des échanges engagés dès 2019 ont permis d'identifier neuf principales pistes de synergies dont :

- la fonction achat avec la mise en oeuvre de conventions de groupement de commande dès 2020, la définition d'une politique « achats groupe » en 2021 et l'institution d'un comité de pilotage des achats transverse au groupe ;

- la fonction financière afin de faciliter la consolidation des comptes du groupe ;

- la fonction de gestion des ressources humaines avec l'objectif de fluidifier les parcours professionnels au sein du groupe et d'améliorer l'efficacité des dispositifs de formation ;

- la sécurité sur le terrain avec l'intention de mettre en oeuvre des gouvernances locales croisées entre les équipes de l'AFD et celles d'Expertise France, de favoriser des co-localisations et de coordonner les achats en matière de sécurité ;

- la fonction immobilière dans la mesure où l'ensemble des collaborateurs du groupe sont appelés à être réunis sur le site de la Cité du développement à l'horizon 2026 ;

- en matière de système d'information afin de réaliser des mutualisations, l'option d'une intégration totale étant exclue à ce stade pour des raisons de coût.

Le ministère des Affaires étrangères indique toutefois qu'à ce jour les indicateurs permettant de suivre et d'évaluer les gains permis par l'opération d'intégration n'ont pas été définis. Certains sont envisagés tels que :

- l'évolution du budget dédié aux fonctions support par tête chez Expertise France ;

- la mise en place effective d'outils communs au groupe (politique d'achats communs, mutualisation des systèmes d'information, etc.) ;

- l'évolution du volume de financements AFD délégués à Expertise France pour la mise en oeuvre de projets.

Les rapporteurs prennent acte du fait que si l'intégration d'Expertise France au sein du groupe AFD est déjà une réalité et que des rapprochements opérationnels ont pu être engagés dès 2019, les gains de cette opération ne pourront probablement pas être observés avant quelques années.

Pour autant, ils invitent les tutelles à définir très rapidement des objectifs quantitatifs et qualitatifs mesurables à l'occasion de la définition
des COM 2023 et 2025 relatifs au groupe AFD et Expertise France plus spécifiquement.

Ils seront, dans ce cadre, particulièrement vigilants à ce que la fusion n'entraîne pas de hausse des dépenses notamment en matière de personnel.

En effet, les salariés des deux entités relèvent à ce jour de deux conventions collectives différentes (celle du secteur bancaire pour l'AFD et celle du conseil pour Expertise France).

Les rapporteurs considèrent qu'il existe un risque que l'intégration des effectifs implique une revalorisation des avantages salariaux des personnels d'Expertise France, ce qui n'est pas souhaitable.


* 1 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes.

* 2 Revue de l'OCDE sur le développement, La coopération technique p121 à 144, 2006.

* 3 Relevé de conclusion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018.

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