II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Une mission à nouveau mobilisée en 2021 pour répondre à l'urgence sociale

L'exécution des crédits de l'année 2021 a fortement été affectée par la prise en charge par l'État de l'indemnité inflation, adoptée dans le contexte du début de la poussée inflationniste observée dès le dernier trimestre de l'année 2021 et en particulier de la hausse des prix de l'énergie. En exécution 2021, le dispositif représente un coût de 3 milliards d'euros sur le périmètre de la mission.

L'indemnité inflation

Prévue par l'article 13 de la loi n° 2021-1549 du 1 er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021, l'indemnité inflation est une aide exceptionnelle forfaitaire et ponctuelle de 100 euros versée à toute personne âgée de plus de seize ans et percevant moins de 2 000 euros nets par mois. Le dispositif bénéficierait à plus de 38 millions de personnes, représentant un coût pour l'État de 3,8 milliards d'euros.

Si l'indemnité inflation est bien à la charge de l'État, son versement est opéré par les personnes habituellement débitrices à l'égard des bénéficiaires : employeurs pour les salariés, caisses d'allocations familiales (CAF) ou de mutualité sociale agricole (MSA) pour les bénéficiaires de prestations sociales, caisses de retraites pour les pensionnés, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocation familiales (Urssaf) pour les indépendants etc .

Son financement est à titre principal assuré par un programme ad hoc 371 « Prise en charge par l'État du financement de l'indemnité inflation », et relevant de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».Ce programme, sur lequel les crédits ont été exécutés à hauteur de 3 milliards d'euros en 2021, permet de financer les compensations versées aux organismes de sécurité sociale et caisses de retraites chargées du remboursement de l'indemnité aux employeurs ou du versement direct de l'aide aux bénéficiaires de prestations sociales et pensions de retraite.

Dès l'examen du projet de loi de finances pour 2021, les rapporteurs spéciaux avaient pressenti que « ce budget “pour temps calmes” [était] en décalage avec la situation sociale du pays, qui imposera vraisemblablement de financer, au cours de l'année 2021, de nouvelles mesures en direction des plus fragiles » 4 ( * ) .

Les exercices précédents témoignent de la mobilisation récurrente de la mission pour financer la réponse à des situations d'urgence économique et sociale.

L'augmentation à 90 euros du bonus individuel de la prime d'activité avait ainsi constitué en 2019 l'un des principaux vecteurs utilisés par le Gouvernement pour répondre à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». Cette mesure représente un coût annuel pérenne d'environ 4,4 milliards d'euros.

L'exercice 2020 avait ensuite été marqué par le financement d'une série de mesures d'urgence en réponse à la crise sanitaire , avec l'ouverture de 2,7 milliards d'euros en lois de finances rectificative, au premier rang desquelles les aides exceptionnelles de solidarité (AES) en faveur des ménages modestes (1,9 milliard d'euros), ainsi qu'un plan d'urgence en faveur de l'aide alimentaire (94 millions d'euros), de l'aide sociale à l'enfance (50 millions d'euros) et de lutte contre les violences conjugales dans le contexte des confinements (4 millions d'euros).

Le financement par la mission de l'indemnité inflation constitue donc une nouvelle illustration de cette tendance , à nouveau confirmée en 2022 avec la proposition d'une aide exceptionnelle de rentrée scolaire aux bénéficiaires de minima sociaux dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022 en cours d'examen au Parlement (1 milliard d'euros).

Évolution des crédits de la mission à périmètre courant entre 2018 et 2021 (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Une légère sur-exécution des dépenses de la prime d'activité tenant au caractère pro-cyclique du dispositif

La prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés ont fait l'objet de sous-budgétisations importantes ces dernières années.

Depuis 2018, dans le cadre d'une démarche de sincérisation, les prévisions en loi de finances initiale reposent sur les évaluations faites par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) .

Cela n'a toutefois pas empêché, en 2019, une nette sous-estimation de l'ampleur de l'impact budgétaire sur la réforme de la prime d'activité , ce qui s'était traduit par une sur-exécution de 790 millions d'euros. La dépense s'est avérée fidèle à la prévision en 2020 (écart de 50 millions d'euros).

En 2021, la dépense s'est établie à 9 893 millions d'euros, soit un total légèrement supérieur à la prévision (9 732 millions d'euros).

Les revalorisations de prime d'activité décidées
en 2018 et en 2019

La prime d'activité a été revalorisée afin de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et particulièrement ceux rémunérés au Smic :

- le montant forfaitaire de la prime d'activité a été revalorisé de 20 euros à compter du 1 er août 2018 (pour mémoire, le montant forfaitaire de la prime d'activité s'élève, depuis la revalorisation de 0,3 % de son montant en avril 2020, à 553,16 euros pour un foyer composé d'une personne seule sans enfant) ;

- le montant maximal de la composante individuelle de la prime d'activité, le bonus, a été revalorisé de 90 euros à compter du 1 er janvier 2019, passant de 70,49 euros à 160,49 euros, en application du décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont supérieurs à 0,5 Smic, le montant du bonus est croissant jusqu'à 1 Smic où il atteint son point maximal. Il reste stable au-delà.

Tableau : Impact des mesures réglementaires de revalorisation de la prime d'activité
en masses financières, tous régimes

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2021

La crise a eu un impact ambivalent sur la prime d'activité : si le recours massif au dispositif de chômage partiel a entraîné une baisse des rémunérations et donc une augmentation du recours à la prime d'activité, la hausse du chômage constatée à compter de l'été 2020 a provoqué des sorties du dispositif, qui ne bénéficie qu'aux actifs. En 2021, l'évolution de la dépense (+ 161 millions d'euros) est le fruit d'évolutions contraires , avec d'un côté l'effet positif lié à la forte dynamique observée sur le marché du travail et de l'autre un effet « négatif » lié aux revalorisations intervenues, dans le cadre du Ségur de la santé notamment.

La prime d'activité est pour cette raison un dispositif pouvant être qualifié de pro-cyclique en cas de perte d'emploi, puisque la prime n'est à l'inverse pas prise en compte pour le calcul du salaire journalier de référence servant de base à l'allocation de retour à l'emploi, et a donc pour effet d'accentuer la perte de revenus des personnes concernées. En dépit de la promesse du président de la République faite en réponse au mouvement des « gilets jaunes » selon laquelle, grâce à la prime d'activité, « le salaire d'un travailleur au Smic augmentera de 100 euros par mois » 5 ( * ) , il convient de rappeler qu'en ce qu'elle n'ouvre aucun droit, la prime d'activité n'est pas du salaire 6 ( * ) .

3. Une budgétisation de l'AAH à fiabiliser

La consommation des crédits au titre de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), financés sur le programme 157, s'élève en 2021 à 11,4 milliards d'euros, contre 11,2 milliards d'euros prévus en LFI et une augmentation de 159 millions d'euros par rapport à 2020.

Sur les dernières années, on constate :

- d'une part, une dynamique importante de la dépense , qui a progressé de 72,1 % depuis 2010, sous le double effet d'une hausse du nombre de bénéficiaires et de revalorisations du montant de la prestation intervenues en 2019 ;

- d'autre part, de substantiels écarts à la prévision pour certains exercices (+ 248 millions d'euros en moyenne annuelle depuis 2010), et, notamment en 2021 (+ 236 millions d'euros).

Évolution des dépenses d'AAH et des écarts à la prévision (en CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires et la Cour des comptes

Au vu de ces constats, les rapporteurs spéciaux considèrent ainsi qu'il est indispensable de poursuivre l'effort de sincérisation de la budgétisation de l'AAH .

Ce travail devra également s'accompagner d'une amélioration du pilotage de la prestation : les rapporteurs spéciaux ont à cet égard mené en 2021 un travail de contrôle budgétaire sur le rôle des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans la gestion de l'AAH 7 ( * ) . Face au constat de disparités géographiques importantes entre les MDPH en matière de délais de traitement des demandes et de taux d'attribution de l'AAH, les rapporteurs spéciaux en avaient notamment appelé à un renforcement de leur pilotage national par l'État et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en vue d'harmoniser leurs pratiques.

4. La nette augmentation prévue du budget alloué au programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » s'est confirmée en exécution

Les crédits pour les politiques de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes sont retracés, pour ce qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur le programme 137 . Ce programme intervient principalement par des subventions versées à des associations assurant des missions de service public ou d'intérêt collectif, qui interviennent tant en matière de lutte contre les violences sexistes que pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes.

Dans un rapport publié en juillet 2020 et intitulé : « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes » 8 ( * ) , les rapporteurs spéciaux ont dressé deux principaux constats :

- d'abord celui d' une politique publique budgétairement contrainte, souffrant d'un morcellement des crédits, qui nuit à la lisibilité et à l'efficacité de mesures mises en oeuvre ;

- ensuite, celui d' une politique insuffisamment portée et inégalement appliquée sur le territoire . L'administration et les associations, véritables pivots de cette politique, ne sont pas assez outillées, ni dotées pour mener à bien une politique, dont les demandes et les enjeux sont grandissants et qui requiert une capacité d'action interministérielle.

En LFI 2021, 48,7 millions d'euros en AE et 41,5 millions d'euros en CP avaient été ouverts au titre de ce programme . Après reports et transferts, les crédits disponibles se sont élevés à 48,8 millions d'euros en AE et 42,6 millions d'euros en CP.

En exécution 2021 les crédits ont été consommés à hauteur de 48,5 millions d'euros en AE (+ 12,7 millions d'euros, soit une hausse de 35,6 %) et de 42,6 millions d'euros en CP (+ 5,4 millions d'euros, soit une hausse de 14,8 %) , soit une consommation quasi-intégrale des crédits disponibles.

Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que se féliciter de cette hausse notable des moyens dédiés à cette politique, même si cet effort devra encore être amplifié lors des prochaines années . La hausse des crédits consommés en 2021 a notamment permis de financer :

- un déploiement de la ligne d'écoute téléphonique des femmes victimes de violences (« 39.19 ») 24 heures sur 24 et sept jours sur sept (2,6 millions d'euros) ;

- une augmentation de 1 million d'euros des moyens alloués aux structures d'accueil de jour et aux Lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) , ce qui constitue un effort louable, bien qu'encore insuffisant, pour ces structures qui restent largement sous-financées ;

- une enveloppe de 4,2 millions d'euros allouée au financement de l'ouverture de 12 centres de prise en charge psychologique et sociale des auteurs de violences conjugales (CPCA) , soit un peu moins que l'objectif initial (15 centres).

Cette dernière mesure, qui capte une bonne partie de l'augmentation des crédits, constitue un volet important du Grenelle de lutte contre les violences conjugales du 25 novembre 2019. Sans remettre en cause son bien-fondé, on peut toutefois regretter que son financement soit assuré par le programme 137 et non par la mission « Justice », dans la mesure où le placement dans ces structures relèvera de décisions judiciaires.

Il est à noter également qu'une enveloppe de 0,3 million d'euros a également été allouée à la lutte contre la précarité menstruelle . Les rapporteurs ne peuvent que s'en féliciter : lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le Sénat avait adopté un amendement de crédits en ce sens (0,5 million d'euros) avec un avis de sagesse de la commission des finances. Malgré son avis défavorable exprimé devant le Sénat, le Gouvernement a finalement proposé le financement d'une telle enveloppe par un amendement adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.


* 4 Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 138 (2020-2021) de MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

* 5 Allocation du président de la République, 10 décembre 2018.

* 6 Muriel Pucci, « La Prime d'activité n'est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d'un licenciement », OFCE, 24 septembre 2020.

* 7 « Gestion de l'allocation aux adultes handicapés : propositions pour renforcer les moyens et le pilotage des MDPH », rapport d'information n° 748 (2020-2021) de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet fait au nom de la commission des finances du Sénat, 7 juillet 2021.

* 8 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

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