II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une sur-exécution qui témoigne des faibles marges de manoeuvre au sein du programme, dans un contexte où la sécurité civile est amenée à être davantage sollicitée

Le rapporteur spécial constate, dans la droite ligne des remarques formulées par la Cour des comptes 1 ( * ) , la situation de forte tension qui pèse sur l'exécution des crédits du programme « Sécurité civile ». La Cour a en effet souligné les faibles marges de manoeuvre dont disposent les gestionnaires du programme, dont le taux de dépenses obligatoires et inéluctables représente 81,9 % des AE et 98,4 % des CP.

Cette faible manoeuvrabilité des crédits s'inscrit dans un contexte de multiplication des risques de crises pesant sur la sécurité civile , illustrée notamment par l'extension sur l'ensemble du territoire du risque de feux de forêts résultant du réchauffement climatique. Cette dynamique, plusieurs fois soulignée par le rapporteur spécial 2 ( * ) , devrait entrainer une sollicitation accrue de la flotte aérienne de la sécurité civile engagée de la lutte anti-incendie dans les années à venir. La multiplication des risques de crises est ainsi susceptible d'entrainer des dépenses imprévues qui, eu égard à la faible manoeuvrabilité des crédits du programme, peuvent représenter un risque pour sa soutenabilité budgétaire. D'après la Cour des comptes, une saison-feux haute intensité entraînerait en effet un surcoût d'environ 10 millions d'euros, soit 4 % des crédits du programme.

Par ailleurs, et comme le souligne également la Cour de comptes, ces faibles marges de manoeuvre pourraient entrainer à terme « un effet d'éviction des dépenses opérationnelles sur l'ensemble des autres dépenses de fonctionnement et d'investissement » faisant notamment peser le risque d'un « sous-investissement néfaste 3 ( * ) » aux capacités opérationnelles de la sécurité civile. Ce constat est particulièrement préoccupant, dans un contexte où la sécurité civile est aujourd'hui engagée dans une dynamique de renforcement de ses capacités d'intervention, illustrée par le renouvellement de sa flotte aérienne.

2. Une hausse des dépenses d'intervention qui illustre la mobilisation des SDIS et des AASC dans la lutte contre la Covid-19 en 2021

Les dépenses d'intervention se sont élevées en 2021 à près de 230,8 millions d'euros en CP, soit environ le double du montant prévu dans la budgétisation initiale. Elles connaissent par ailleurs une nette progression de 88,74 millions d'euros en CP par rapport à l'année 2020.

Cet écart s'explique en grande partie par des dépenses imprévues occasionnées par la participation des SDIS et des associations agréées de sécurité civile à la lutte contre la crise sanitaire (AASC). Ces dépenses, financées par l'intermédiaire d'un fonds de concours de 160,1 millions d'euros abondé par Santé publique France, se sont traduites par la prise en charge, au titre des colonnes de renfort 4 ( * ) :

- d'une part, des dépenses réalisées par les AASC dans le cadre de la mise en oeuvre dans les ports et aéroports d'un dispositif de test, qui était par ailleurs toujours en cours au premier trimestre 2022 ;

- d'autre part, des dépenses liées aux remboursements des SDIS dans le cadre des centres de vaccinations COVID placés sous leur autorité.

Ainsi, les dépenses relatives aux colonnes de renfort se sont finalement élevées en 2021 à 113,6 millions d'euros en CP, soit 49 % des dépenses d'intervention du programme, contre 4,8 millions d'euros programmés en LFI pour 2021. Les crédits du fonds de concours n'ayant finalement pas été consommés ont fait l'objet d'un report sur l'année 2022.

La sur-exécution des dépenses d'intervention résulte également, dans une moindre mesure, d'une sous-budgétisation de la participation de l'État au budget de fonctionnement de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), prévue à l'article L. 2512-19 du code général des collectivités territoriales. Cette participation s'élève ainsi à 93,5 millions d'euros en 2021, soit 8,4 millions de plus que le montant prévu en LFI.

3. Une progression des dépenses de fonctionnement qui résulte en grande partie d'une mesure de périmètre, mais qui témoigne également d'un regain d'activité en 2021

Les dépenses de fonctionnement du programme 161 se sont élevées en 2021 à 163,5 millions d'euros en CP, soit environ 58,3 millions de plus par rapport à la programmation initiale, et 34,5 millions de plus que l'exécution 2020.

Cette surconsommation s'explique principalement par le transfert de 33,7 millions d'euros d'AE et de CP depuis le programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » vers le programme 161 pour assurer le financement du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de la sécurité civile, réalisé dans un but de lisibilité budgétaire.

Elle met également en évidence un regain d'activité de la flotte aérienne de la sécurité civile par rapport à l'année précédente , résultant de la concentration des activités touristiques en zone de montagne pendant l'été 2021, et illustré par les hausses de 61,5 % des dépenses de produits retardants et de 40,9 % des dépenses de carburant. Elle a également entrainé une augmentation des dépenses de maintenance, qui se sont élevées à 81,2 millions d'euros de CP en 2021, contre 61,5 millions en 2020. Ce dynamisme des dépenses de maintenance constitue une source de préoccupation, déjà soulignée par le rapporteur spécial 5 ( * ) , et aujourd'hui accentuée par la dynamique de vieillissement de la flotte aérienne de la sécurité civile.

4. Une année 2021 marquée par la poursuite du renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile

Les dépenses d'investissement, qui s'élèvent en 2021 à 94,6 millions d'euros en CP se caractérisent par une légère baisse par rapport à la prévision (- 9,6 %) , et apparaissent relativement stables par rapport à l'exécution 2020 (- 1 million d'euros en CP). Cet écart par rapport à la budgétisation initale s'explique notamment par le report de la livraison d'un avion Dash 8 en 2022, et une moindre exécution des dépenses de modernisation des équipements terrestres et aériens de la sécurité civile.

Les dépenses d'investissement ont en grande partie servi à financer la poursuite du renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile. L'année 2021 a en effet été marquée par la poursuite de la commande des six avions Dash 8 engagée en 2018 et dont l'échéancier de paiement devrait s'échelonner jusqu'en 2024.

La livraison du troisième Dash a ainsi été effectuée, pour 76,2 millions d'euros de CP, soit environ 81 % du total des crédits d'investissement engagés sur l'exercice. Le programme a par ailleurs bénéficié d'une ouverture de 22 millions d'euros en CP par la deuxième loi de finances rectificative pour 2021, destinés au financement d'une commande de deux hélicoptères de type H 145-D3 .

5. Un taux d'exécution proche de la prévision pour l'Agence numérique de la sécurité civile, tant en termes de crédits que d'emplois

Créée par le décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018, l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) est l'unique opérateur du programme 161 . Cette agence permet d'associer le ministère de l'intérieur et les représentants des services d'incendie et de secours (SIS) dans la construction du projet de mutualisation des systèmes d'information des SIS, appelé « NexSIS 18-112 ». Le financement de ce projet est porté par l'ANSC, qui reçoit à la fois des contributions des SIS et une dotation de l'État. Cette dotation s'impute exclusivement sur le programme 161, et est versée par tranche annuelle de 7 millions d'euros.

La consommation de cette dotation en 2021 fait état d'un faible écart à la prévision, de - 3,4 % (comme en 2020) , que les documents budgétaires expliquent par une annulation consécutive à l'application de la mise en réserve des crédits . Il convient de souligner, comme le rapporteur spécial l'a déjà rappelé à plusieurs reprises, que le programme « NexSIS 18-112 » devait initialement être exonéré de mise en réserve , s'agissant d'un projet intégré au « Grand plan d'investissement » (GPI). Cette dérogation à la mise en réserve a pris fin subséquemment à l'arrêt du GPI, remplacé par le plan de relance au cours de l'année 2020. Le rapporteur spécial avait ainsi recommandé l'année dernière 6 ( * ) que l'application du gel sur la dotation de l'État versée à l'ANSC soit limitée pour qu'elle ne compromette pas la bonne avancée du projet . En effet, la part de l'État est censée apporter une ressource sûre et fixe dans le budget de l'ANSC, en contrepartie des contributions et redevances versées par les SIS, dont le montant est plus mesuré et plus incertain sur les premières années, notamment en 2021.

Le rapporteur spécial constate en outre qu'avec 13 ETPT réalisés en 2021, dont 1 ETPT hors plafond, l'agence a d'ores et déjà atteint le plafond fixé à 12 ETPT . Ce plafond d'emplois a été stabilisé dans le PLF 2022, malgré les demandes de renforcement des moyens humains formulées par l'agence et les recommandations du rapporteur spécial en ce sens 7 ( * ) . En effet, la montée en puissance du projet « NexSIS 18-112 » implique dès aujourd'hui une sollicitation accrue de l'ANSC pour porter assistance aux SDIS dans leur appropriation de cet outil et plaide dès lors pour un relèvement du plafond d'emplois de l'ANSC dès la prochaine programmation budgétaire.


* 1 Cour des comptes, Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2021 - Mission « Sécurités ».

* 2 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre VOGEL, Les feux de forêts : l'impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s'aggraver, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.

* 3 Cour des comptes, Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2021 - Mission « Sécurités ».

* 4 En cas de catastrophe majeure, les colonnes de renfort, composées de sapeurs-pompiers des SDIS, sont mises à disposition des préfets sur les territoires concernés. Cette mobilisation est prise en charge par l'État.

* 5 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre Vogel, Les feux de forêts : l'impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s'aggraver, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.

* 6 Rapport n° 743 (2020-2021) de M. Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021.

* 7 Rapport d'information n° 658 (2020-2021) de M. Jean Pierre Vogel, NexSIS 18-112 : un projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, dont l'intérêt sur le plan économique et opérationnel doit être garanti, déposé le 2 juin 2021.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page