II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une augmentation importante et injustifiée des dépenses de plusieurs dispositifs de lutte contre la crise sanitaire

La crise sanitaire a conduit une nouvelle fois à réviser la perspective budgétaire assignée au programme 204 : par quatre avenants à la convention passée entre Santé Publique France et le ministère des solidarités et de la santé, ce dernier a été doté de 280 millions d'euros supplémentaires (AE = CP) pour faire face à la pandémie . Cette ligne de crédits prend la forme d'un fonds de concours abondé par des crédits versés par Santé publique France 1 ( * ) . Au 31 décembre 2021, 283,4 millions d'euros en AE et 284,4 millions d'euros en CP ont été consommés sur l'année 2021 . Ce montant est inférieur de 57 % et de 54 % en CP aux crédits du fonds de concours consommés de l'exercice précédent.

Cette diminution des crédits consommés était attendue, dans la mesure où ils avaient vocation pour la majeure part à répondre aux défaillances de l'État (absences de masque, de matériel, etc.) observées au début de la crise . Pour cette raison, les crédits destinés aux transports ont été divisés par 6, et ceux consacrés au matériel médical par 18. L'approvisionnement des vaccins n'est plus inclus dans le fonds de concours en 2021.

En revanche, plusieurs lignes de dépense ont connu une forte augmentation entre 2020 et 2021, dont la justification est parfois difficile à percevoir . Le tableau suivant donne l'ensemble des dépenses du fonds de concours entre 2020 et 2021.

Répartition des crédits supplémentaires ouverts pour lutter
contre la crise sanitaire au sein du Fonds de concours dédié

(en millions d'euros)

Nature des dépenses

CP consommés
en 2020

CP consommées
en 2021

Évolution 2020/2021

Systèmes d'information

16,6

101,8

TousAntiCovid : 22,7

SIDEP : 30,9

Plateformes de prise de RDV : 38,8

+ 513,3 %

Communication

2,8

73,2

+ 2 514,3 %

Distribution de masques aux personnes en situation de précarité

23,5

31,1

+ 32,3 %

Transports

123,4

20,7

- 83,2 %

Prestations de conseil

2,9

18,7

+ 543,8 %

Matériel médical (masques, tests, respirateurs etc)

312,2

17,0

- 94,6 %

Infrastructure logistique

-

15,0

-

Dotation agences de santé (Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon)

1,6

4,5

181,3 %

Recherche

6,5

1,9

- 70,5 %

Divers

-

0,5

-

Vaccins

132,4

-

-

Total

622,0

284,4

- 54,4 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial s'interrogeait déjà l'année dernière sur les sommes affectées aux prestations de conseil et à la communication. Or, en 2021 les premières ont été multipliées par plus de 5, tandis que les secondes ont été multipliées par 25 :

- l'augmentation des crédits dévolus aux prestations de conseil s'explique principalement par la mise en place de la stratégie vaccinale. Les sommes en question restent cependant particulièrement élevées, sachant qu'une journée de consultant coûte en moyenne 1 500 euros pour l'État ;

- l'augmentation des dépenses de communication provient de la mise en place de numéros verts dédiés à la prise de rendez-vous de vaccination et pour répondre aux questions des citoyens relatives à la pandémie. Ces dépenses atteignent toutefois un montant très élevé, 73,2 millions d'euros, ce qui est un chiffre comparable à des investissements lourds, comme l'achat de matériel médical par exemple.

Les crédits consacrés aux systèmes d'information interrogent également . En particulier, le fonds de concours a participé pour 22,7 millions d'euros au financement de TousAntiCovid . Or, le rapport d'activité 2020/2021 de l'application indique que le contact tracing n'est utilisé que par 13 % des utilisateurs de l'application. Par ailleurs, le chiffre réel de l'utilisation de cette fonctionnalité est probablement plus bas, car ces données sont tirées d'une étude qualitative réalisée par l'entreprise Kantar Public, et, d'après le rapport, « le panel interrogé est constitué d'utilisateurs assidus de l'application, ne pouvant pas constituer par conséquent un échantillon représentatif des comportements de l'ensemble de la population en termes d'utilisation et d'appréciation de l'application » 2 ( * ) .

Comme l'année dernière, le rapporteur spécial émet des réserves sérieuses sur la mise en oeuvre du fonds de concours . Le fonds de concours est en effet rattaché au programme 204, mais abondé par Santé publique France, qui n'est plus inclus dans la mission Santé mais pris en charge par la sécurité sociale .

Il faut rappeler que Santé publique France et l'Agence nationale de santé publique ont été transférées à l'Assurance maladie par la loi de finances pour 2020. Ce changement de périmètre avait suscité des critiques de la part de la commission des finances, au motif que les missions de ces deux établissements ne relèvent pas de la logique contributive qu'est censé impliquer leur rattachement budget de la Sécurité sociale . Ces opérateurs concentraient, par ailleurs, plus de la moitié des crédits du programme 183 : 268,6 millions d'euros, soit 56 % de la dotation accordée en loi de finances pour 2019.

Le « retour » de Santé publique France dans la mission Santé via le fonds de concours, mais avec un financement issu de l'Assurance maladie, illustre de façon manifeste cette confusion des rôles entre la Sécurité sociale et les services de l'État.

2. Une indemnisation des victimes de la Dépakine qui présente des faiblesses structurelles

46,7 millions d'euros ont été consommés en 2021 au titre du financement des actions juridiques et contentieuses. Sur cette somme, 16,8 millions d'euros sont consacrés au financement de l'indemnisation des victimes de la valproate de sodium et ses dérivés (Dépakine) par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

Ce montant est nettement supérieur à l'exécution constaté en 2020 (4,2 millions d'euros), ce qui acte la montée en puissance du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, après la réforme de son fonctionnement par la loi de finances pour 2020. Cependant, ce montant reste très inférieur aux prévisions retenues lors de la mise en place du dispositif, en loi de finances pour 2017 .

Le montant de l'indemnisation, entièrement prise en charge par l'État, était en effet estimé à 424,2 millions d'euros sur la période 2018-2023, soit en moyenne 77,7 millions d'euros par an. Au regard de la sous-exécution des années précédentes, la loi de finances pour 2020 avait déjà retenu une baisse des crédits dédiés à cette indemnisation, en prévoyant une dotation de 40,2 millions d'euros.

Deux raisons principales expliquent ce décalage entre les prévisions initiales et les crédits effectivement consommés :

- il y a un décalage entre les dossiers déposés à l'ONIAM (850 dossiers) et les données épidémiologiques (malformations chez 2 150 à 4 100 enfants et troubles neuro développementaux chez 16 600 à 30 400 enfants) sur lesquelles ont été basées les prévisions de financement ;

- le dispositif d'indemnisation a accumulé un retard important dans le traitement des dossiers . Dans le rapport conjoint de l'IGF et de l'IGAS sur le rapprochement du FIVA et de l'ONIAM, il est constaté que : « le collège d'experts en charge de l'indemnisation des victimes du valproate enregistre des retards atteignant souvent plus d'un an. Cette situation procède du fait que le collège a hérité d'un stock considérable de dossiers constitués peu après la création de cette mission. Parmi les dossiers aujourd'hui traités par le collège figurent ceux qui ont été déposés en 2018 » 3 ( * ) .

En 2020, une réforme du dispositif d'indemnisation a mené à la fusion du collège d'experts et du comité d'indemnisation en un collège unique d'experts . Une présomption d'imputabilité de certains préjudices à l'exposition in utero au valproate de sodium a également été mise en place pour accélérer les délais du processus d'indemnisation. Les effets de ces réformes restent encore à être évalués .

En outre, aucune somme n'a été recouvrée des laboratoires et des assureurs jusqu'à présent. À ce jour, le budget de l'État supporte donc entièrement le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine .

3. L'aide médicale d'État (AME) : des coûts qui continuent de progresser, malgré la réforme de 2020

L'année dernière, dans ses observations sur l'exécution budgétaire de la mission Santé, le rapporteur spécial avait souligné que la diminution des crédits d'AME consommés en 2020 (928,4 millions d'euros) par rapport à 2019 (939,5 millions d'euros) n'était pas le signe d'une maîtrise des dépenses, mais n'était qu'une baisse transitoire consécutive à la crise sanitaire . En effet, la pandémie a eu pour conséquence une baisse des entrées sur le territoire français en 2020 4 ( * ) , et surtout le confinement et la déprogrammation des soins non urgents ont conduit à une diminution générale du recours aux soins 5 ( * ) . Le rapporteur spécial pouvait ainsi écrire que : « faute de réforme d'ampleur du dispositif, la sortie de crise sanitaire devrait coïncider avec une reprise de la progression des dépenses d'AME . »

Cette observation est confirmée par les chiffres de l'exécution de l'AME en 2021 : 994,3 millions d'euros ont été consommés, soit une augmentation de 7,1 % par rapport à 2020, et de 5,8 % par rapport à 2019 . La consommation des crédits de l'Aide médicale d'État atteint ainsi quasiment le milliard d'euros. L'exécution de l'Aide médicale d'État de droit commun connaît également une trajectoire ascendante , passant pour la première fois en 2021 le seuil des 900 millions d'euros.

Exécution des dépenses liées à l'aide médicale d'État entre 2019 et 2021

(en millions d'euros)

2019

2020

2021

Aide médicale d'État de droit commun

898,0

857,0

923,0

Soins urgents

40,0

70,0

70,0

Aide humanitaire et autres dispositifs

1,4

1,4

1,4

Total

939,45

928,37

994,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Évolution des montants versés au titre de l'aide médicale d'État
depuis 2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La progression des dépenses d'AME en 2021 est en partie le résultat des effets différés de la forte progression du nombre de bénéficiaires en 2020 (+ 14 % par rapport à 2019, pour atteindre 368 890 bénéficiaires). Le confinement et la programmation des soins ont fait que cette hausse n'était pas visible dans les crédits consommés en 2020, mais avec la normalisation de la consommation des soins, elle l'est désormais en 2021 . La réforme de 2020 ne remplit donc pas, à l'heure actuelle, son objectif de maîtrise des dépenses d'AME .

La réforme de l'Aide médicale d'État en 2020

À l'initiative du Gouvernement, une réforme limitée de l'aide médicale de l'État a été adoptée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, avec pour objectif notamment de maîtriser les dépenses du dispositif. Reprenant les conclusions d'un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales rendu public en novembre 2019, le dispositif est axé autour de trois points :

- renforcer les conditions pour bénéficier de l'aide : l'ouverture du droit à l'AME ne sera effective qu'au terme d'un délai de trois mois en situation irrégulière. La précédente rédaction pouvait permettre une ouverture du droit dans les semaines suivant l'expiration d'un visa touristique ;

- conditionner la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des bénéficiaires majeurs de l'aide médicale d'État à un délai d'ancienneté de bénéfice de cette aide de 9 mois maximum. Une dérogation est envisageable si le délai peut avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de la personne ;

- limiter les possibilités de dépôt de demande d'AME à une comparution physique en caisse primaire d'assurance-maladie ou en cas d'empêchement, à un dépôt par l'intermédiaire de l'hôpital ou de la permanence d'accès aux soins de santé. Le dispositif existant est néanmoins maintenu en cas de renouvellement de demande d'aide, afin d'éviter un engorgement des caisses d'assurance-maladie et des hôpitaux.

La hausse du nombre de bénéficiaires en 2020 peut sembler contradictoire avec la baisse des entrées sur le territoire français observée en 2020. Elle résulte en réalité principalement des prolongations exceptionnelles des droits, décidées à la suite de la crise sanitaire . Les prolongations de droits décidées par l'ordonnance du 9 décembre 2020 ont en effet concerné 96 669 bénéficiaires, dont les droits étaient prévus pour expirer entre le 30 octobre 2020 et le 16 février 2021.

Évolution de l'aide médicale d'État de droit commun
et du nombre de ses bénéficiaires depuis 2004

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La diminution du nombre de bénéficiaires lors du premier semestre de 2021 (- 0,5 %), qui sont les derniers chiffres disponibles, s'explique également par ces mesures exceptionnelles , des personnes ayant bénéficié de ces mesures commençant à perdre leurs droits. Au regard de la dynamique des entrées sur le territoire (le nombre de primo-délivrance de titres de séjour a augmenté de 21,4 % entre 2020 et 2021), il est probable que le nombre de bénéficiaires de l'AME reparte à la hausse .


* 1 FDC 1-2-00640 « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offres de soins ».

* 2 Rapport d'activité, TousAntiCovid du 2 juin 2020 au 30 novembre 2021, 10 janvier 2022, page 29.

* 3 « Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM », IGAS et IGF, février 2021, page 27.

* 4 Les nombre de visas avait diminué de - 79,8 % par rapport à 2019, celui des titres de séjour de - 20,5 %, et le nombre de demandes d'asile, qui concerne directement l'AME de 38,2 %.

* 5 Les dépenses de médicaments ont connu une diminution de 17,1 % en 2020.

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