II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. LA MISSION « PLAN DE RELANCE » EST EXCEPTIONNELLE À TOUS POINTS DE VUE

1. La mission « Plan de relance » représente moins de la moitié du coût du plan de relance de 100 milliards d'euros

Le plan de relance a été présenté en septembre 2020, pour un montant total de 100 milliards d'euros , dont 86 milliards d'euros à la charge de l'État et 9 milliards d'euros à la charge des administrations de sécurité sociale, 5 milliards d'euros étant financés par la Banque des territoires et Bpifrance. La mission « Plan de relance » représente 36 % seulement du coût de ce plan .

Composition du plan de relance présenté en septembre 2020

(en milliards d'euros)

AE : autorisations d'engagement. APLD : activité partielle de longue durée. ASSO : administrations de sécurité sociale. Cnaf : Caisse nationale d'allocations familiales (majoration exceptionnelle de l'allocation de rentrée scolaire). PIA : programme d'investissements d'avenir.

Source : commission des finances, à partir du projet de loi de finances pour 2021

La mission « Plan de relance » a toutefois été renforcée en cours d'année 2021 par des reports de crédits et des ouvertures en loi de finances rectificative , partiellement compensés par des transferts de crédits à destination d'autres programmes du budget général, de sorte que le montant total des autorisations d'engagements ouvertes en 2021 sur la mission s'est élevé à 42,2 milliards d'euros, le montant des crédits de paiement ouverts étant de 25,1 milliards d'euros . La majeure partie de ce renforcement concerne en fait, à hauteur de 4,1 milliards d'euros, le financement de l'activité partielle d'urgence, qui aurait dû relever de la politique de soutien à l'activité en urgence pendant la crise du Covid et non de la politique de relance (voir infra ).

Les autorisations d'engagements non consommées, soit 7,2 milliards d'euros, ont été reportées à 2022, tandis que la loi de finances initiale pour 2022 ouvrait 1,5 milliard d'euros d'autorisations d'engagement supplémentaires et 13 milliards d'euros de crédits de paiement. Le montant total des autorisations d'engagement ouvertes sur la mission « Plan de relance », si celle-ci ne fait pas l'objet d'un nouvel abondement dans les prochains projets de loi de finances, sera donc de 43,7 milliards d'euros . Il est toutefois possible que le montant effectif des engagements soit inférieur si toutes les autorisations d'engagement ne sont pas consommées.

2. De grands programmes, peu conformes à l'esprit de la LOLF, regroupent des mesures dont la dimension de relance n'apparaît pas toujours évidente

L'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit qu'« un programme regroupe les crédits destinés à mettre en oeuvre une action ou un ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère ».

Or les trois programmes de la mission se caractérisent à la fois par leur taille très importante et par le regroupement d'un ensemble de mesures qui ne se rattachent pas à une politique unique. Le ministre chargé des comptes publics de l'époque avait indiqué devant la commission des finances que « cette solution garantit une véritable fongibilité à l'échelle de chaque programme et permet de mettre en oeuvre la clause de revoyure » 1 ( * ) .

En particulier, le respect de l'article 7 de la LOLF reste formel , dans la mesure où, si les programmes sont placés sous la responsabilité budgétaire de la direction du budget, les mesures portées par ses actions sont en réalité exécutées par les ministères « métiers », auxquels les crédits sont confiés soit par délégation de gestion, soit par transfert de crédits (voir infra ).

La répartition entre les programmes n'apparaît pas toujours avec clarté .

Par exemple, les programmes 363 « Compétitivité » et 364 « Cohésion » financent tous deux la création de places d'hébergement. Les crédits du programme 363 ont porté sur des dispositifs d'hébergement de demandeurs d'asile gérés par le ministère de l'intérieur (consommation de 28,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 10,8 millions d'euros en crédits de paiement). Ceux du programme 364 ont alimenté plusieurs dispositifs relatifs à l'hébergement des personnes sans domicile au titre du ministère chargé du logement (consommation de 20,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 11,0 millions d'euros en crédits de paiement) et enfin des solutions d'hébergement gérées par le ministère des solidarités et de la santé (consommation de 110,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 56,4 millions d'euros en crédits de paiement).

Le regroupement de ces dispositifs au sein de la mission « Plan de relance » avait pour objectif d'isoler, au sein du budget de l'État, des crédits accordés provisoirement, le temps du plan de relance.

Pourtant un certain nombre de dispositifs ont porté sur des dépenses courantes des ministères . C'est le cas notamment de nombreux dispositifs inscrits à l'action 04 « Mise à niveau numérique de l'État, des territoires et des entreprises - modernisation des administrations régaliennes » du programme 363 : acquisition de caméras piétons (9,1 millions d'euros de crédits de paiement consommés), construction de commissariats et entretien d'immeubles du ministère de l'intérieur (111 millions d'euros), système d'information pour les élections (0,4 million d'euros), « Sac à dos numérique de l'agent public » (7,4 millions d'euros), etc.

Dans une enquête remise à la commission des finances sur la préparation et la mise en oeuvre du plan de relance 2 ( * ) , la Cour des comptes citait également, parmi les dépenses relevant en fait des dépenses ordinaires des ministères, la subvention exceptionnelle attribuée à France Compétences, le versement d'intérêts à des tiers dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) 4 pour des dotations antérieures à 2020, le versement de crédits dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) ou la création de places pour les études des néo-bacheliers (liée au taux de réussite élevé à cet examen).

En outre, la mission « Plan de relance » a financé, pour un montant de 3,7 milliards d'euros en exécution, le financement de l'activité partielle d'urgence qui relevait en réalité du plan d'urgence (voir infra ).

3. Certaines mesures ont été présentées comme temporaires alors que leur caractère indispensable conduira nécessairement à les pérenniser

En présentant le plan de relance le 10 septembre 2020 devant la commission des finances du Sénat, Olivier Dussopt, alors ministre des comptes publics, indiquait, interrogé au sujet de l'impact du plan sur les finances publiques, que « nous veillons à ce que les dépenses inscrites n'aient pas de caractère pérenne - je parle bien des dépenses du plan lui-même - et qu'elles ne soient pas renouvelables au-delà de deux ans ».

Il ne fait pourtant guère de doutes qu'un certain nombre de mesures auront un coût budgétaire au-delà de l'année 2022 , même sans compter le nécessaire décaissement de crédits de paiement correspondant aux autorisations d'engagement déjà ouvertes.

C'est le cas de la diminution des impôts de production de 10 milliards d'euros environ par an, qui n'est certes pas une « dépense », mais représente bien une perte de recettes qui a vocation à perdurer.

Dans le cadre de la mission « Plan de relance », la pérennisation du fonds de réhabilitation des friches, doté de 750 millions d'euros pour une consommation de 301,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 73,4 millions d'euros en crédits de paiement en 2021, a été annoncée par le Président de la République. Ses modalités n'ont pas encore été précisées, mais elles pourraient prendre la forme d'une ligne budgétaire sur un programme du budget général.

Par ailleurs, il est difficile d'imaginer que les dépenses relatives à la rénovation thermique des bâtiments portées par le plan de relance, qu'il s'agisse des bâtiments publics ou des bâtiments privés, cesseront à la fin 2022 . Ce n'est d'ailleurs pas souhaitable, le secteur du bâtiment représentant 43 % des consommations énergétiques annuelles françaises et générant 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) français 3 ( * ) . Un effort massif est nécessaire et le restera pendant de nombreuses années.

D'ores et déjà, l'aide à la rénovation énergétique des logements privés, c'est-à-dire pour l'essentiel MaPrimeRénov', a été cofinancée en 2021 par le programme 362 de la mission « Cohésion des territoires » (consommation de 1 536 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 590 millions d'euros en crédits de paiement) et par le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » (consommation de 710 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement). Le plan de relance devait, selon les documents budgétaires, financer l'extension de MaPrimeRénov' aux propriétaires occupants aux revenus intermédiaires et supérieurs, tandis que le dispositif antérieur au plan de relance, réservé aux ménages modestes et très modestes, était financé par le programme 174. Toutefois la Cour des comptes note que, dans les faits, une partie de l'aide relevant du programme 174 a été imputée sur le programme 362, sans être retracée correctement 4 ( * ) .

En outre, les difficultés de financement de la rénovation énergétique des logements privés ne se limitent pas aux ménages les plus modestes et, alors que les logements fortement consommateurs seront progressivement interdits à la location en application de la loi « Climat et résilience », et que ces travaux sont difficiles à rentabiliser, il est probable que la dépense prévue par le plan de relance devra de toute façon être reconduite dans les années à venir.

4. La portée environnementale des dépenses de la mission reste limitée

Malgré les ambitions annoncées, la focalisation de la mission « Plan de relance » sur l'environnement reste insuffisante .

Le rapport « budget vert » annexé au projet de loi de finances pour 2021 a classé l'ensemble des mesures du programme 362 comme « favorables à l'environnement » et les autres comme sans impact. En conséquence, si l'on considère l'exécution de ces programmes en 2021, les dépenses favorables à l'environnement auraient été de 3,8 milliards d'euros, soit un cinquième seulement des crédits consommés par la mission.

Crédits favorables à l'environnement ou sans impact

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir du rapport « budget vert » et du rapport annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires »

Encore cette présentation est-elle sans doute trop schématique et il serait souhaitable que le rapport « budget vert » adopte une approche plus fine des effets environnementaux des mesures.

L'analyse reste en effet limitée aux actions et ne descend pas au niveau des lignes budgétaires. Or, au sein par exemple de l'action 07 « Infrastructure et mobilité vertes » du programme 362, certaines mesures ayant un fort impact sur l'environnement, telles que le soutien à la construction de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, mériteraient d'être classées comme mixtes.

En outre l'évaluation environnementale des mesures soutenues par le plan de relance reste à faire . MaPrimeRénov, par exemple, apporte des crédits importants à des rénovations consistant en de simples « gestes » dont l'impact en termes de réduction de la consommation énergétique est bien moindre qu'une rénovation globale. Le comité d'évaluation du plan de relance souligne que, dans le cas des rénovations énergétique des bâtiments publics comme des logements privés, « l'impératif de rapidité, dans un contexte de structuration progressive de la filière, n'a pas nécessairement conduit à soutenir les projets les plus efficients du point de vue des économies d'énergie à long terme ».

Enfin, certains projets qui devaient initialement être soutenus par le plan de relance ont été repoussés. C'est le cas de la stratégie hydrogène, dont les crédits ont été partiellement annulés à hauteur de 434 millions d'euros par la première loi de finances rectificative du 19 juillet 2021, pour être transférés vers le soutien à l'industrie (mesure « industrie du futur » du programme 363).


* 1 Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, audition devant la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2021 , 30 septembre 2020.

* 2 Cour des comptes, La préparation et la mise en oeuvre du plan de relance, enquête annexée au rapport d'information n° 571 (2021-2022) de Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 9 mars 2022.

* 3 Gouvernement, Construction et performance environnementale du bâtiment , 28 septembre 2020.

* 4 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire relative à l'exécution de la mission « Plan de relance » en 2021.

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