II. LES OBSERVATIONS DE LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

A. LES DÉPENSES DE PERSONNEL, IMMOBILIÈRES ET NUMÉRIQUES CONSTITUENT LES PRINCIPAUX ENJEUX DE PILOTAGE POUR LA MISSION

1. La stabilisation des ressources humaines depuis la crise sanitaire
a) Les schémas d'emploi exigeants jusqu'en 2020 ont été assouplis en 2021 et recentrés sur l'administration centrale

La création du programme 354 au 1 er janvier 2020 a donné lieu à d'importantes évolutions de la maquette budgétaire . La loi de finances initiale pour 2020 a ainsi prévu des transferts depuis dix-neuf programmes distincts, faisant évoluer son périmètre dans la perspective de la création des secrétariats généraux communs (SGC) aux préfectures et aux directions départementales interministérielles.

La création des SGC ayant été reportée au 1 er janvier 2021 ( cf. infra ), les emplois transférés ont néanmoins fait l'objet d'un « rétro-transfert » 4 ( * ) équivalent à 104 millions d'euros et 1 803 ETPT. Le transfert opéré en loi de finances initiale pour 2021, a finalement donné lieu à un complément de 89 ETPT, identifié comme nécessaire en cours d'année.

Alors que la mission faisait encore, en 2020, l'objet de schémas d'emplois particulièrement exigeants (- 553 équivalents temps plein, ETP) , l'année 2021 a été marquée par l'interruption des réductions d'emplois pour le programme 354 et le renforcement des schémas d'emploi sur le programme 216 portant les effectifs de l'administration centrale du ministère.

Schémas de réductions d'emplois sur la mission AGTE

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la Cour des comptes

b) Les délégués du préfet

Le programme 354 « Action territoriale de l'État » met, comme dix-huit autres programmes budgétaires, des agents à disposition du programme 147 pour remplir les missions de délégués du préfet.

Les délégués du préfet

Les délégués du préfet ont été créés après l'annonce, en février 2008, du « Plan Espoir Banlieues ». Ils ont pour mission de renforcer la présence de l'État dans les quartiers, faciliter la mise en oeuvre de la politique de la ville et améliorer la coordination de l'action des services de l'administration d'État et des collectivités territoriales.

En 2021, 280 délégués du Préfet étaient ainsi mis à disposition par leurs corps d'origine ou via le ministère de l'intérieur, donnant lieu à un remboursement forfaitaire aux administrations de 60 000 euros pour les agents de catégorie A et de 45 000 euros pour les agents de catégorie B.

Sources : Réponses au questionnaire de la rapporteure

La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes relève en particulier que le forfait de remboursement « pose de réelles difficultés pour les départements ultra-marins » 5 ( * ) . Elle recommande ainsi depuis plusieurs années de trouver une solution pour que ces agents ne fassent pas, de manière récurrente, l'objet de transferts en gestion.

Ce sujet n'a pas évolué, alors qu'il avait pourtant été indiqué au printemps 2021 à la rapporteure spéciale, afin de revenir sur ces transferts en gestion, qu'un groupe de travail avait été constitué, rassemblant la direction générale des collectivités locales (DGCL), la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur, la direction de la modernisation de l'action territoriale (DMAT) et l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Ce groupe de travail était chargé d'une réflexion sur l'évolution du statut des délégués du préfet et sur un éventuel transfert du portage budgétaire de ces emplois.

Ces transferts en gestion nuisent à la lisibilité du programme 354, alors que celui-ci met à disposition du programme 147 « politique de la ville » 112 ETPT et bénéficie à ce titre d'une compensation forfaitaire. Le montant de cette dotation ne correspond pas au coût réel des emplois pour le ministère de l'intérieur. En particulier, dans les départements ultra-marins, le coût d'un agent de catégorie A est, en moyenne, de 10 000 euros supérieur à la dotation forfaitaire.

2. Des efforts notables en matière de suivi des dépenses immobilières
a) Une stratégie immobilière du ministère centrée sur des projets structurants...

La stratégie immobilière du ministère de l'intérieur est définie au sein du schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) couvrant la période 2018-2023. Elle se décline en plusieurs axes stratégiques. Le SPSI se caractérise principalement par la prééminence des chantiers structurants, sur lesquels se concentre une part importante des crédits , conduisant, pour la Cour des comptes à « un effet d'éviction [...] susceptible de se créer au détriment des dépenses nécessaires au maintien en condition opérationnelle du parc existant » 6 ( * ) .

Les principaux objectifs du SPSI 2018-2023

Les objectifs fixés par le ministère au SPSI 2018-2023 sont « de rationaliser, regrouper, moderniser, adapter ». Les trois axes stratégiques du SPSI visent par conséquent à :

- recentrer à Beauvau les seules fonctions stratégiques et d'état-major du ministère ;

- rationaliser et regrouper les implantations de la sécurité intérieure et de la police nationale : créer le site unique du renseignement intérieur et ouvrir la perspective d'un site unique de la direction générale de la police nationale (DGPN) ;

- optimiser les implantations des fonctions de soutien : constituer un grand pôle transversal des fonctions de soutien et améliorer les conditions d'hébergement des serveurs et des archives du ministère.

Source : réponses au questionnaire budgétaire, projet de loi de finances pour 2021

Le projet de site unique dédié à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) s'appuie par ailleurs sur des financements par des supports budgétaires multiples.

Il a en effet donné lieu à l'achat de deux parcelles à Saint-Ouen pour un montant de 113,7 millions d'euros, financé en 2020 par le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

D'après le ministère de l'intérieur, « la création du site unique du renseignement intérieur sur un site domanial permettra d'implanter de manière pérenne, sécurisée et cohérente, les services du renseignement intérieur qui sont actuellement placés sous la contrainte de la montée en puissance très rapide des effectifs de la direction . » 7 ( * ) . Les crédits dédiés au lancement du projet ont été, pour 2021, retracés au sein de la mission « plan de relance », à hauteur de 23 millions d'euros.

Les crédits dédiés au site unique de la DGSI sont donc éclatés entre trois supports budgétaires, soit deux missions et un compte d'affectation spéciale. Cet éclatement rend plus complexe la lecture et le suivi par le Parlement de l'utilisation des crédits.

D'après la note d'exécution budgétaire sur la mission AGTE, la Cour estime que « la trajectoire budgétaire [du projet] reste à arbitrer. » 8 ( * )

De plus, le projet de déménagement du site Lumière vers une nouvelle implantation en Seine-Saint-Denis, qui permet d'anticiper « l'héritage » des jeux olympiques, constitue un enjeu financier important pour la mission, à hauteur de près de 300 millions d'euros d'autorisations d'engagement nouvelles ouvertes en 2021.

La rapporteure spéciale considère en effet que les projets immobiliers structurants envisagés par le ministère de l'intérieur, pour nécessaires qu'ils soient, ne doivent pas conduire à remettre en cause les dépenses d'entretien lourd et d'entretien courant du patrimoine immobilier de la mission.

b) ... qui risque de laisser de côté une partie importante du parc immobilier de la mission

Pour l'ensemble de la mission, le parc immobilier 9 ( * ) représente une valeur totale de 2,62 milliards d'euros, pour près de 1,6 million de m 2 .

Lors de l'examen de la précédente loi de règlement, la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire sur la mission, soulignait des problématiques de soutenabilité des dépenses immobilières et estimait que « la consolidation des besoins en matière de crédits immobiliers devient urgente pour la mission dont les besoins et les risques associés, exprimés à travers un nouveau SPSI, ne sont pas encore finement estimés. »

La rapporteure spéciale salue par conséquent la mise en oeuvre en 2021, par les services de la direction de l'évaluation, de la performance, de l'achat et finances et de l'immobilier (DEPAFI), d'un outil de suivi des besoins de financement immobiliers jusqu'en 2027, dénommé Papagena .

Cependant, l'augmentation des restes à payer en 2020 et 2021 sur le périmètre de la mission reste majoritairement le fait de dépenses immobilières qui, si elles continuaient à augmenter, feraient peser un risque sur la viabilité budgétaire de la mission . En effet, les restes à payer continuent à augmenter de façon très nette, passant de 1 399 millions d'euros en 2020 à 1 534 millions d'euros en 2021, du fait principalement de la signature du contrat de VEFA pour le site de Saint Denis, remplaçant le site Lumière à compter de 2026.

Le plan de relance porte au total près de 500 millions d'euros dédiés à l'entretien et à la rénovation des bâtiments, principalement pour renforcer - si ce n'est assurer - leur efficience énergétique . Ils doivent également permettre de poursuivre le financement de la sécurisation des préfectures. La multiplication des véhicules budgétaires et l'absence de programmation globale claire des crédits immobiliers nuit à la lisibilité, à la prévisibilité, et in fine , à la soutenabilité de la dépense .

La présence d'un outil de suivi ne saurait cependant suffire à pallier la difficulté posée par la multiplicité des vecteurs budgétaires.

3. Un an après la création de la direction du numérique du ministère de l'intérieur, une nécessaire consolidation des besoins de financement des projets informatiques

Le décret du 27 septembre 2019 10 ( * ) a créé la direction du numérique (DNUM), qui a pour mission, en lien avec l'ensemble des services, d'élaborer et de conduire la stratégie numérique du ministère. Elle est chargée d'assurer la cohérence et la sécurité de ses systèmes d'information et de communication. Rattachée au secrétariat général, elle interagit avec les différents services responsables 11 ( * ) .

Quatre objectifs stratégiques lui ont été fixés :

- insuffler la transformation numérique à l'échelle du ministère de l'intérieur (impacts et opportunités en matière d'intelligence artificielle, de blockchain , de 5G, d'internet des objets...), en proposant des outils aux différents métiers, en organisant le processus d'innovation et en étant à l'écoute des attentes des usagers ;

- piloter la stratégie numérique globale dans le cadre de la stratégie Tech.Gouv de l'État (environnement numérique de travail, Cloud, réseau radio sécurisé) ;

- rationaliser et réduire les coûts de la fonction informatique, en réduisant les doublons et dépenses redondantes ;

- améliorer l'attractivité du ministère de l'intérieur, en recrutant des compétences rares nécessaires, « en faisant évoluer l'organisation et les conditions de travail des services numériques, en développant l'image de marque du ministère au travers d'initiatives et d'innovations technologiques et en développant les partenariats avec les mondes académique et universitaire . » 12 ( * )

Cependant, la Cour des comptes relève, dans son rapport sur La conduite des grands projets numériques de l'État 13 ( * ) ; qu'il existe un risque que « les responsabilités traditionnelles de maîtrise d'oeuvre des DSI [directions des systèmes d'information] l'emportent sur la production de services aux usagers et la transformation des organisations administratives dont sont chargées les DNUM . »

La DNUM a notamment la charge de plusieurs projets de grande ampleur, comme la dématérialisation des procédures destinées aux publics étrangers ou encore la mise en place du réseau radio du futur, en partie financé par la mission « Plan de relance ». En particulier, alors que projet réseau radio du futur a bénéficié d'un transfert de gestion en 2021 depuis la mission plan de relance, à hauteur de 22,4 millions d'euros, il apparait indispensable de disposer rapidement d'une visibilité plus précise sur les conditions de financement de ce projet.

La création de la direction a donné lieu à des transferts importants, correspondant à l'ensemble des crédits ministériels liés aux systèmes d'information, soit 192,8 millions d'euros en autorisations d'engagements et 208 millions d'euros en crédits de paiement, en provenance en grande partie du programme 176 « Police nationale » de la mission « Sécurités ». Lors de la création de la DNUM, les restes à payer du programme ont très nettement augmenté (+ 742 %), du fait de l'intégration des restes à payer des différents programmes du ministère de l'intérieur.

Dès sa création, la DNUM a néanmoins dû faire face aux conséquences de la crise sanitaire sur le fonctionnement de l'administration.

Comme cela a été indiqué dans les réponses apportées à la rapporteure spéciale, « la direction du numérique s'est positionnée au coeur de la gestion de crise » 14 ( * ) . Elle a en effet été mobilisée pour permettre le déploiement d'outils de nomadisme à destination des agents de l'administration centrale et déconcentrée. Même si la DNUM n'a pas été responsable de l'ensemble des achats, le coût afférent à l'acquisition des ordinateurs portables et au déploiement du télétravail pour les agents du ministère s'est élevé à 20 millions d'euros, pour un équipement en quatre vagues successives (6 000 ordinateurs en avril, 1 000 en septembre, autant en octobre et 10 000 en décembre).

Néanmoins, alors que la direction du numérique est désormais installée depuis deux ans et demi, il apparait indispensable d'engager un chantier permettant de mieux programmer les besoins informatiques, à l'image des travaux menés par le ministère en matière immobilière.


* 4 Décret n° 2020-1015 du 7 août 2020 portant transfert de crédits.

* 5 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 2021.

* 6 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 2021.

* 7 Réponses au questionnaire budgétaire pour la mission « Administration générale et territoriale de l'État », projet de loi de finances pour 2021.

* 8 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 2021.

* 9 Sur les 525 implantations du réseau préfectoral, 350 d'entre elles appartiennent en effet aux départements et sont mises à disposition, pour la quasi-totalité d'entre elles, à titre gratuit, ce régime étant issu des lois de décentralisation de 1982 et 1985.

* 10 Décret n° 2019-994 du 27 septembre 2019 modifiant le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.

* 11 - le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure ;

- la direction de l'innovation, de la logistique et des technologies chargée du numérique de la préfecture de police ;

- les services des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur ;

- l'agence du numérique de la sécurité civile dont elle assure également la tutelle ;

- l'agence nationale des titres sécurisés dont elle assure également la tutelle ;

- l'agence nationale de traitement automatisé des infractions.

* 12 Direction du numérique du ministère de l'intérieur, auditionnée par la rapporteure spéciale.

* 13 La conduite des grands projets numériques de l'État, Communication à la commission des finances du Sénat, juillet 2020 .

* 14 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

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