Rapport n° 792 (2021-2022) de M. Sébastien MEURANT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 juillet 2022

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N° 792

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juillet 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d' approbation des comptes de l' année 2021 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME II

CONTRIBUTIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 16

Immigration, asile et intégration

Rapporteur spécial : M. Sébastien MEURANT

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

10 , 16 et T.A. 2

Sénat :

787 (2021-2022)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Comme en 2020, l'exercice 2021 est marqué par une sous exécution des crédits votés en loi de finances, de l'ordre de 6 %, en AE et de 5 % en CP. Le montant des crédits exécutés a ainsi diminué de 11,37 % en AE et quasi stable en CP.

2. La sous-exécution concerne cette année les deux programmes de la mission. Cette situation marque un retournement important, largement expliqué par la crise sanitaire , car le programme 303 « Immigration et asile », qui finance notamment les dépenses d'asile, était en sur-exécution systématique depuis au moins six ans.

3. En raison de la persistance de la crise sanitaire , le niveau des flux de demande d'asile s'est révélé inférieur à celui prévu en loi de finances . Le gouvernement indique ainsi que le nombre de demandes d'asile introduites à l'Ofpra s'élève à 103 011 en 2021. Si les flux ont progressé de 7 % par rapport à 2020 (96 42 demandes), ils sont restés inférieurs de 22 % à ceux de l'année 2019.

4. La crise sanitaire a entrainé une sous-exécution des crédits destinés à la lutte contre l'immigration clandestine, de plus de 11 % en CP. Les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière atteignent ainsi 21,8 millions d'euros en CP en 2021, soit plus de 10 millions de moins que prévu en loi de finances initiale (32,6 millions d'euros). Le taux d'exécution des OQTF est resté extrêmement bas, puisqu'il ne dépassait pas 6 % sur les six premiers mois de l'année 2021.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2021

La mission « Immigration, asile et intégration » n'a pas vu, en 2021, son architecture connaître de modification. Elle reste ainsi composée de deux programmes :

- le programme 303 « Immigration et asile » , qui regroupe essentiellement les dépenses liées à la garantie du droit d'asile et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Il s'agit principalement de dépenses contraintes dont le dynamique est, du fait du niveau historiquement élevé de la demande d'asile, en forte hausse ;

- le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » , qui rassemble les crédits en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière, à travers la subvention de l'État à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ou les dotations aux associations.

Le rapporteur spécial rappelle que les crédits de la mission ne regroupent qu'une part très minoritaire du budget de l'État relatif à l'immigration. Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,2 milliards d'euros en 2019, de 6,7 milliards d'euros en 2020 et de 6,9 milliards d'euros en 2021.

Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française
de l'immigration et de l'intégration »

(en %)

Commission des finances du Sénat, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au présent projet de loi de finances

Cette dépense est retracée dans le document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé chaque année au projet de loi de finances, auquel contribuent 9 ministères, en plus du ministère de l'intérieur. Il ne prend en réalité en compte que les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers. Le rapporteur spécial regrette, à cet égard, que le ministère de l'intérieur, pourtant chef de file de cette politique publique, ne soit toujours pas en mesure d'apporter de réponse à ses questions relatives aux coûts de l'immigration supportés par les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

Comme en 2020, l'exercice 2021 est marqué par une sous-exécution des crédits votés en loi de finances, de l'ordre de 6 %, en AE et de 5 % en CP . Le montant des crédits exécutés a ainsi diminué de 11,37 % en AE et quasi stable en CP.

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »
en 2021

(en millions d'euros)

Exécution 2019

Exécution 2020

Prévision 2021

Exécution 2021

Evolution 2020-2021

Taux d'exécution

104 - Intégration et accès à la nationalité française

AE

386,9

391,9

473,96

443,1

13,06 %

93,49 %

CP

386,3

391,3

474,02

442,25

13,02 %

93,30 %

303 - Immigration et asile

AE

1 617,7

1 530,3

1 339,066

1 260,58

-17,63 %

94,14 %

CP

1 453,1

1 423,1

1 430,17

1 364,19

-4,14 %

95,39 %

Total mission

AE

2 004,6

1 922,2

1 813,026

1 703,68

-11,37 %

93,97 %

CP

1 839,4

1 814,4

1 904,19

1 806,44

-0,44 %

94,87 %

AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. Prévision : prévision en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans le projet de loi de règlement.

Commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Contrairement à 2020, où les évolutions étaient contrastées entre les deux programmes, l'année 2021 est marquée par une sous-exécution générale.

Cette situation marque un retournement important, largement expliqué par la crise sanitaire, car le programme 303 « Immigration et asile », qui finance notamment les dépenses d'asile, était en sur-exécution systématique depuis au moins six ans.

Le programme 303 « Immigration et asile » a ainsi fait l'objet d'annulations de crédits en cours de gestion, notamment en loi de finances rectificative 1 ( * ) pour un montant de 41,22 millions d'euros en AE et 44,86 millions d'euros en CP.

Les crédits ont toutefois également été modifiés par des ouvertures de crédits en début de gestion, en raison de l'anticipation de dépenses plus importantes.

Exécution budgétaire du programme 303 en crédits de paiement
pour l'exercice 2021

(en millions d'euros)

Commission des finances, à partir des données de Chorus

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une année atypique marquée par la sous-exécution des dépenses d'asile

Les dépenses de l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » concentrent à elles seules plus de 73 % des crédits de paiement de la mission. Cette action, qui finance les dépenses relatives à l'asile, fait l'objet d'une sur-exécution chronique, particulièrement importante depuis le début de la crise migratoire, en 2015.

En 2021, les dépenses d'asile font pour la première fois l'objet d'une sous-exécution depuis de nombreuses années.

La sous-exécution des dépenses d'allocation pour demandeur d'asile s'élève cette année à 14,8 %.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation temporaire d'attente (ATA) et à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA)

(en CP, en millions d'euros)

ATA

ADA

LFI

Exécution

LFI

Exécution

2009

30

68,4

2010

53

105

2011

54

157,8

2012

89,7

149,8

2013

140

149,2

2014

129,8

169,5

2015

93,3

81

2016

0

30

148,8

316,1

2017

0

177,3

220

348,8

2018

0

9,9

317,7

424,23

2019

0

5,01

335,83

492,5

2020

0

3,61

448

481,5

2021

0

2

454,76

387,6

Commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'allocation pour demandeur d'asile en 2021

(en AE/CP, en millions d'euros)

Commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

La sous-consommation s'explique par le fait que la loi de finances initiale avait été construite sur l'hypothèse d'une reprise du flux de demandes d'asile qui, après une baisse conjoncturelle en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, était susceptible de retrouver en 2021 son niveau de 2019 (environ 132 800 demandes) . Elle s'appuyait également sur une capacité de l'Ofpra à produire 170 800 décisions, permettant à l'établissement de traiter le flux des demandes entrantes, de réduire le stock de dossiers et d'accélérer les sorties du dispositif de l'allocation.

En raison de la persistance de la crise sanitaire, le niveau des flux de demande d'asile s'est révélé inférieur à celui prévu en loi de finances. Le gouvernement indique ainsi que le nombre de demandes d'asile introduites à l'Ofpra s'élève à 103 011 en 2021. Si les flux ont progressé de 7 % par rapport à 2020 (96 424 demandes), ils sont restés inférieurs de 22 % à ceux de l'année 2019.

L'allocation a ainsi été versée à 87 640 ménages en moyenne et à un coût mensuel moyen de 362 euros par ménage. Le nombre de ménages bénéficiaires a diminué durant l'année : de 101 600 ménages en janvier, il est passé à 78 900 en décembre.

Le rapporteur spécial estime que ce retournement constitue une évolution positive, mais traduit simplement l'ouverture d'une parenthèse dans la sous-évaluation chronique des dépenses d'asile. Il doit être accueilli avec prudence car il se produit dans un contexte migratoire très particulier, de diminution de la demande d'asile. La reprise des tendances observées jusque-là dans les années à venir apparaît plus que probable dans un contexte migratoire en très forte tension, notamment à la suite de la guerre en Ukraine.

2. Une sous-exécution des dépenses liées à l'immigration clandestine qui devra impérativement faire l'objet d'un rattrapage en sortie de crise

La crise sanitaire a entrainé une sous-exécution des crédits destinés à la lutte contre l'immigration clandestine, de plus de 11 % en CP.

Évolution des crédits de l'action 03
« Lutte contre l'immigration irrégulière »

(en millions d'euros)

Commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière atteignent ainsi 21,8 millions d'euros en CP en 2021, soit plus de 10 millions de moins que prévu en loi de finances initiale (32,6 millions d'euros).

Comme en 2020, l'activité de billetterie, qui permet l'éloignement des étrangers en situation irrégulière par le biais de moyens de transports en commun réguliers ou affrétés, est l'activité qui a été la plus touchée par la crise sanitaire avec une consommation de 13,4 millions d'euros en CP en 2021 contre 15,6 millions d'euros en CP en 2020. Ce niveau de dépense traduit la difficulté rencontrée pour procéder à des éloignements par les vols commerciaux. Dans ces conditions, les éloignements effectués par d'autres moyens se sont accrus. Cette évolution est illustrée par la consommation des activités « autres moyens de transport TMA » (4,9 millions d'euros exécutés en 2021 contre 3,3 millions d'euros en 2020) et « moyens aériens autonomes » (3,5 millions d'euros exécutés en 2021, soit un niveau identique à celui de l'année 2020).

Dans ce contexte budgétaire, le taux d'exécution des OQTF est resté extrêmement bas, puisqu'il ne dépassait pas 6 % sur les six premiers mois 2 ( * ) de l'année 2021.

Évolution du taux d'exécution des OQTF

(en %)

Commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur

Le rapporteur spécial plaide néanmoins pour que ce « retard » dans le nombre d'éloignements fasse l'objet d'un réel rattrapage dans les années à venir . L'augmentation des frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière prévue pour l'année 2022 est toutefois dérisoire, puisqu'ils n'atteignent que 34,7 millions d'euros en CP et en AE, soit une augmentation de 5,2 % par rapport aux crédits prévus pour 2021, ce qui rend peu probable une réelle amélioration en la matière.

Parallèlement à ce nécessaire accompagnement budgétaire, le rapporteur spécial plaide pour que des évolutions juridiques soient apportées afin de lutter contre l'immigration clandestine , à l'instar du rétablissement du délit de séjour irrégulier 3 ( * ) ou de la suppression de la limitation de durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à un an.


* 1 Loi de finances rectificative n° 2021-1549 du 1 er décembre 2021.

* 2 Les données postérieures n'ayant pas encore été publiées.

* 3 Ce dernier a été supprimé par la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

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